Le Marketing Politique

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LE MARKETING

POLITIQUE
Coordonné par
Thomas Stenger
SOMMAIRE

Avant-propos
Communication et démocratie
Éric Dacheux ........................................................... 7
Présentation générale
Le marketing politique : entre démocratie et marché
Thomas Stenger ....................................................... 15
La naissance de la « demande » populaire
Quand le peuple entre en politique
Roger Dupuy .......................................................    37
Une mémoire du marketing politique en France
Entretien avec Michel Bongrand
Propos recueillis par
Thomas Stenger et Camille Picard ..............................     53
Les procédés d’attention publicitaires : l’homme politique
peut-il s’inspirer des marques ?
Sonia Capelli, William Sabadie et Olivier Trendel ... 71
Les émotions dans le marketing politique
Virginie Martin ........................................................ 87
Défaite et succès des marqueteiros : le marketing politique
au Brésil
Renato Janine Ribeiro ..............................................   103
Obama 2008 : l’inflexion numérique
François Heinderyckx .............................................. 119
Le marketing politique

Les limites du consumérisme politique :


l’exemple du Tea Party
Nicolas Baygert ......................................................   133

Les contradictions du nouvel espace public médiatisé


Dominique Wolton ................................................ 151

Bibliographie sélective ............................................. 169


Glossaire ................................................................ 171
Les auteurs .............................................................. 177
Table des matières ................................................... 181

6
Présentation générale
Le marketing politique :
entre démocratie et marché
Thomas Stenger

Douter de l’existence du marketing politique,


c’est s’assurer d’être pris pour un idiot ou, au mieux,
pour un naïf. Le recours aux outils du marketing par le
monde politique au cours du xxe siècle paraît évident.
D’ailleurs quel candidat oserait encore se présenter à une
élection nationale sans agence spécialisée et sa panoplie
de conseillers et spin doctors* ?
La presse, bon nombre de politologues et de citoyens
pointent du doigt une dérive de l’action politique en
dénonçant la présence croissante du marketing. Cette
critique doit être appréciée avec beaucoup d’attention
car c’est la qualité du débat démocratique qui est en
jeu. L’existence de techniques communes (publicité,
sondages, études d’opinion, phoning, relations
publiques, marketing viral, etc.) et d’un champ lexical
commun (campagne, sondage, slogan, promesse, image,
etc.) indiquent a minima que les méthodes et langages
du marché et de la politique sont très proches. D’ailleurs,
si le citoyen peut être considéré comme électeur-

15
Le marketing politique

consommateur, une tendance inverse (ex : commerce


équitable, boycott*) peut aussi être observée.
Pourtant l’expression même de marketing politique
apparaît contre-intuitive, voire comme un oxymore*.
Le marketing renvoie explicitement au marché (market),
à l’échange marchand (son objet) et à la pratique des
entreprises – bien que ses domaines d’applications se
soient élargis. C’est « un moyen d’action qu’utilisent
les organisations pour influencer en leur faveur le
comportement des publics dont elles dépendent »
(Lendrevie et al., 2009, p. 2). Le marketing a pour
but le pilotage, le management de l’échange marchand
en situation concurrentielle (Marion, 2004). Il ne
s’agit donc pas d’être au service du peuple, de l’action
publique ou de la démocratie, mais bien « d’influencer
dans le sens de ses objectifs les conditions de l’échange »
(Dubois, Jolibert, 1998, p. 11).
Les liens entre marketing et politique semblent
moins évidents qu’il n’y paraît ; ils méritent un
examen rigoureux. Cet ouvrage analyse la proximité
et les transferts entre ces deux univers, en particulier
au niveau des outils et des logiques d’action, mais aussi
leurs incompatibilités et oppositions fortes. Il interroge
de façon critique le marketing politique à l’épreuve
des faits et montre que l’expression se heurte à une
réalité complexe. La relation avec la communication
politique est étudiée en détails puisque toute prise de
parole est désormais suspectée d’être « de la comm’ »

16
Présentation générale

ou pire encore « du marketing », dégradant le débat


démocratique au sein de l’espace public*. Il faut
pourtant bien distinguer ces deux concepts.
Rappelons qu’un ouvrage très complet de la
collection a déjà été consacré à La communication
politique (Mercier, 2008). Loin de constituer une
dérive des démocraties contemporaines caractérisées
par les médias de masse, il met en évidence que la
communication politique en constitue l’un de ses
fondements1. Qu’en est-il du marketing politique ?
Est-il constitutif de la communication politique et
donc de la démocratie de masse ? Vient-il biaiser le
débat démocratique ? Mais d’abord, qu’entend-on
par cette expression qui résonne à la fois comme une
évidence et un oxymore ?

Définitions et conceptions plurielles


Avant de dénoncer ou de vanter la présence
croissante du marketing politique, il convient de
le définir. La littérature renvoie à au moins trois
conceptions qui oscillent entre communication
politique et marketing traditionnel.
Quand il n’est pas confondu avec la
communication politique, le marketing politique est
le plus souvent considéré comme le marketing de la
communication politique. Les titres des ouvrages

17
Le marketing politique

spécialisés, en français comme en anglais, sont


révélateurs (cf. bibliographie). Plus globalement,
les publications mettent l’accent sur les actions
de communication, au sens marketing du terme,
c’est-à-dire l’ensemble des moyens d’information
et de promotion au service des partis et candidats
(publicité, plans médias, marketing direct, relations
publiques, etc.). Autrement dit, une politique… de la
communication politique : une démarche globale de
conception, de rationalisation, et d’accomplissement
de la communication politique moderne (Maarek,
2007, p. 3). Une distinction avec la communication
de l’homme politique au pouvoir, dans l’exercice de ses
fonctions, est généralement opérée. Simple sur le plan
théorique, elle est toutefois délicate en pratique, tant
pour les citoyens que pour les organismes de contrôle,
tel le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA).
Le marketing politique est aussi conceptualisé
par G. Achache2 comme l’un des trois modèles de
communication politique, aux côtés des modèles
dialogique et propagandiste. Il s’agit selon lui du
seul modèle purement instrumental, dépourvu
d’idéologie* – nous y reviendrons.
Une troisième conception, très répandue, renvoie
à l’adaptation du marketing traditionnel au contexte
politique et à un marketing électoral. Si la plupart des
auteurs considèrent que les principes du marketing
commercial ne sont pas directement transposables au

18
Présentation générale

contexte politique (Lindon, 1986), ils s’en inspirent


explicitement pour le définir. Par exemple, M. Bongrand
(1986) définit le marketing politique à la suite de la
définition générique de P. Kotler et B. Dubois, comme
un « ensemble de techniques ayant pour objectif de
favoriser l’adéquation d’un candidat et de son électorat
potentiel, de le faire connaître à un plus grand nombre
d’électeurs et par chacun d’entre eux, de créer la
différence avec les adversaires et, avec un minimum
de moyens, d’optimiser le nombre de suffrages qu’il
importe de gagner lors de la campagne pour remporter
une élection ». C’est cette conception rationnelle
et procédurale qui est critiquée, notamment par É.
Dacheux (1998) : le marketing politique visant non pas
à rassembler largement mais à séduire une majorité, il
conduirait à éviter le débat politique et à développer le
consensus, s’opposant ainsi aux débats contradictoires
essentiels au fonctionnement démocratique.
Sur le plan théorique, les différentes conceptions
identifiées dans la littérature renvoient :
– au marketing des organisations non lucratives,
– au marketing social ou sociétal, pour le principe
de bien-être collectif,
– au marketing des services, pour sa dimension
immatérielle et l’association entre des idées et des
individus3.
Dans un registre plus opérationnel, il est le plus
souvent délimité aux périodes électorales. Il s’agit alors

19
Le marketing politique

de gagner des voix : maximiser l’emploi des ressources


imparties en recueillant un maximum de suffrages
et/ou améliorer certains indicateurs de performance
(image, notoriété…).

Retour aux sources


L’origine du marketing politique est généralement
associée au développement des médias de masse et
à l’arrivée du suffrage universel pour les élections
présidentielles. Sa naissance est caractérisée par
le recours à deux instruments de la boîte à outils
marketing : les sondages et la publicité. Les médias, la
presse tout d’abord, puis la radio, la télévision bien sûr,
et désormais Internet, complèteront rapidement cette
panoplie. Notons que depuis les années 1920-1930, la
quasi-totalité des conseillers professionnels se situent
dans des agences de publicité et/ou de communication,
spécialistes des plans médias et des relations presse.
Si l’histoire du marketing est (très) américaine
(cf. Tedlow, 1989 ; Cochoy, 1999), celle du marketing
politique pourrait, sur le plan institutionnel, être
qualifiée d’américano-française, puisque l’International
Association of Political Consultants (IAPC) est créée à Paris
en novembre 19684 par Michel Bongrand (interviewé
pour cet ouvrage) et Joseph Napolitan, Américain, qui
participa à la campagne de J. F. Kennedy dès 1960. Mais

20
Présentation générale

c’est bien aux États-Unis que l’histoire du marketing


politique commence pour tous les spécialistes5. La date
de naissance retenue est le plus souvent 1952, avec D. D.
Eisenhower en particulier et le recours à de nombreux
outils marketing (mailing*, spots publicitaires télévisés
pour chaque État, simplification du message sous forme
de « proposition unique de vente », etc.), le tout étant
coordonné par un cabinet de relations publiques (BBDO)
et l’agence Ted Bates pour l’audiovisuel. Notons toutefois
que l’achat d’espace radiophonique à des fins politiques
apparaît dès 1924 et de publicité en 1928. Viennent
ensuite les « causeries au coin du feu » du président F. D.
Roosevelt à la radio américaine et en 1936, le recours aux
sondages auprès de G. Gallup (cf. infra).
En France, M. Bongrand réalise ce qui est
généralement considéré comme la première campagne
marketing en 1965 pour J. Lecanuet, candidat à l’élection
présidentielle, la première en France au suffrage universel
direct6. Pour la première fois, le candidat est jeune, il
sourit sur l’affiche, pose en famille, fait la une de Paris-
Match… Fort de son expérience professionnelle avec
la presse quotidienne régionale, M. Bongrand obtient
une couverture essentielle dans ces journaux. Inconnu
du grand public, crédité de 4 % d’intentions de vote à
l’origine, Lecanuet réalisera un score de 15,6 %. Le général
de Gaulle, pour qui la campagne était initialement conçue
et qui refusa de recourir au marketing, est en ballotage.
Depuis, tous les candidats, y compris de Gaulle, feront

21
Le marketing politique

appel à des conseillers en marketing et communication


politique (cf. M. Bechtold et C. Grimiaux, 2006 pour un
panorama des techniques de marketing politique pendant
quarante ans de campagnes présidentielles en France).
Notons cependant que les parallèles entre démocratie et
consommation, entre marketing politique et marketing
commercial sont à la fois fréquents (cf. tableau 1) et
contestés7.

Marketing Marketing politique


études d’opinion (sondages en
études de marché
particulier)
analyse concurrentielle analyse de l’offre politique
marché corps électoral
part de marché part de voix
segmentation électorale et ciblage
segmentation et ciblage marketing (électorat naturel, sympathisants,
opposants, électorat flottant…)
marque parti, candidat
produit programme
prix bulletin de vote
rapport qualité/prix rapport vote/promesse
communication commerciale communication politique
slogans slogans
distribution et points de vente réseau du parti et de militants
comportement du consommateur comportement électoral
décision d’achat décision de vote

Tableau 1. Parallèles entre marketing et marketing politique


issus de la littérature (adapté de Bechtold et Grimiaux, 2006 ;
Maarek, 2007 ; Lindon, 1986)

22
Présentation générale

En bref, quelle que soit la date retenue, les


experts s’accordent pour lier l’apparition du marketing
politique avec le développement des médias de masse
et du suffrage universel pour les présidentielles, ce qui
conduit le politique à s’interroger davantage sur les
attentes, les motivations, les préoccupations de tout
un chacun désormais électeur.

Marketing, communication et politique :


un processus de fertilisation croisée

Avant de dénoncer le recours au marketing par


la politique, on devrait d’abord se demander si ce n’est
pas l’inverse qui s’est produit et étudier précisément
qui s’est le plus nourri de l’autre.
Sur le plan académique, un examen de la
littérature permet de constater l’absence – à de rares
exceptions près8 – de travaux consacrés au marketing
politique par les chercheurs en marketing, en France
en particulier – ce que déplorent certains membres
de la communauté9. C’est davantage en sciences
politiques, en sociologie, en droit public et plus encore
en sciences de l’information et de la communication
(SIC) que des publications sont consacrées, plus
largement, à la communication politique et, parfois,
au marketing politique. Par ailleurs, si les étudiants en
sciences politiques et en SIC suivent un enseignement
de communication politique, ce n’est pas le cas des

23
Le marketing politique

étudiants en marketing, qu’ils soient à l’université, en


IAE, ou en écoles de commerce.
Dans le monde professionnel, force est de
constater que les « conseillers en marketing politique »
sont (presque) toujours des spécialistes de la publicité
et des études. Si ce sont là deux des instruments les
plus connus du marketing, ce dernier est bien plus
vaste, à la fois en tant que pratique managériale et
que champ théorique. Le marketing est un tout, un
système complet : il repose sur des études (de marché,
de la concurrence, de l’efficacité marketing) et sur
une double démarche, stratégique et opérationnelle.
Celle-ci comprend une vaste palette d’outils dont le
triptyque « segmentation, ciblage, positionnement »
pour le volet stratégique, et le « mix-marketing », qui
renvoie essentiellement à quatre composantes (les
« 4 P10 » : le produit, le prix, la communication et la
distribution), ainsi que la gestion de la relation client
pour le volet opérationnel.
Enfin, dénoncer cette imprégnation du politique
par le marketing, c’est s’inscrire dans une lecture
chronologique qui doit être réexaminée en détails.
Disons-le tout net, la perspective que nous proposons
ici va à l’encontre de la plupart des textes publiés sur
le sujet qui envisagent systématiquement le marketing
politique comme une adaptation héritée du marketing
commercial. Or, nous observons que bon nombre
de techniques, d’outils et de théories employés en

24
Présentation générale

marketing proviennent en réalité du marketing


politique et de la communication politique, ou ont
été élaborés conjointement. On notera également
qu’il s’agit à la fois de racines pour les SIC et pour le
marketing, donc les sciences de gestion. Citons ici au
moins quatre racines communes, que nous présentons
succinctement – le lecteur pourra se reporter à d’autres
Essentiels d’Hermès pour plus de détails (notamment
D’Almeida, 2008 ; Méadel, 2009).
– G. Gallup prédit l’élection de F. D. Roosevelt
en 1936 sur la base d’échantillons de petite taille,
mais représentatifs statistiquement, alors que la
presse, interrogeant ses propres lecteurs, prédisait la
victoire de son adversaire. Cet épisode a contribué
à populariser le recours aux sondages, à la fois dans
les sphères de la communication politique et du
marketing.
– E. Bernays, neveu de S. Freud, fixe les
règles de la propagande politique, mais aussi plus
largement des « relations publiques », nouvel outil
marketing, dans son ouvrage Propaganda (1928). La
célèbre campagne des « torches de la liberté » pour
Lucky Strike a d’ailleurs consisté à instrumentaliser
un discours politique (féministe) au service de la
consommation marchande.
– Les travaux de H. D. Lasswell (1948)
s’inscrivent eux aussi dans le champ de la propagande
politique. Le modèle des cinq questions (qui dit

25
Le marketing politique

quoi, par quel canal, à qui, avec quels effets ?) est


un des piliers de l’étude des médias, mais aussi de la
communication marketing, toujours repris dans les
manuels actuels.
– Les travaux de K. Lazarsfeld et de E. Katz
sont à la fois fondateurs pour la communication
et pour le marketing, tant sur le plan académique
que pratique. The people’s choice (1944) est une
référence en matière de théorie de la décision ;
rappelons que c’est d’abord la décision politique,
le choix des électeurs qui est envisagé. Le modèle
du two step flow* (ou modèle des effets limités) et
le concept de leader d’opinion, si populaires dans
la littérature marketing, proviennent avant tout
d’une étude des choix électoraux et de l’influence
des médias (Personal influence, 1955). Ces travaux,
qui s’inscrivent d’ailleurs en contrepoids des
approches de E. Bernays ou de H. D. Laswell11 sont
particulièrement importants, car ils renouvellent
simultanément les théories de la communication
et de la décision dans le contexte des médias de
masse. En effet, ils considèrent le « récepteur » non
plus comme isolé, mais au sein d’un groupe social
et comme un acteur de la communication doté de
sens critique. La diffusion et l’appropriation de ces
travaux en marketing sera extrêmement féconde : du
leadership d’opinion aux théories de la prescription
en passant par le marketing viral, l’héritage de

26
Présentation générale

Lazarsfeld et Katz est au moins aussi important en


marketing qu’en SIC.
Enfin, en remontant aux racines mêmes de la
démocratie, nous rappellerons que l’agora d’Athènes
est autant une place de marché qu’une place
publique dédiée à la communication politique et la
vie démocratique. R. Laufer et C. Paradeise (1982)
inscrivent d’ailleurs clairement le marketing dans
la lignée de la rhétorique et de l’action politique
athénienne ; il s’agit de persuader afin de prendre le
pouvoir sur la foule rassemblée sur l’agora. La critique
du sophisme par Platon est à ce titre considérée comme
fondatrice de la critique du marketing12. Notons que
les études de marché et la cybernétique (encore une
théorie de la communication et une théorie politique
également) constituent les deux autres piliers du
marketing chez ces auteurs. Quelques deux mille ans
plus tard, nous avons pu observer que la campagne
de B. Obama en 2008 a constitué un moteur et un
modèle pour la communauté marketing, depuis lors
convaincue de l’intérêt des réseaux socionumériques
et des médias sociaux13 – même si l’analyse révèle
qu’elle reposait d’abord sur un recours aux méthodes
traditionnelles (cf. F. Heinderyckx dans cet ouvrage).
Il nous semble ainsi plus prudent de réexaminer
l’idée, reprise comme une évidence, d’un transfert du
marketing commercial vers le marketing politique
et donc une marchandisation de la sphère politique.

27
Le marketing politique

Nous considérons qu’il s’agit bien davantage d’un


processus de fertilisation croisée. Le marketing
politique puise ses racines antiques dans la rhétorique,
le sophisme et ses racines modernes dans la propagande
et les relations publiques, la publicité et les sondages,
l’étude des médias de masse… et le marketing, ainsi
que les sciences politiques, la sociologie, etc. Sur le
plan pratique, il dépend fortement du cadre législatif
(pour la collecte de fonds, la publicité, l’intervention
dans les médias, la publication des sondages, etc.) et
il est focalisé sur les mécanismes de persuasion, de
prescription et de participation (car il faut mobiliser
des militants en particulier), les sondages et les médias.

Efficacité, éthique et idéologie(s) du


marketing politique
Cet ouvrage est consacré aux pratiques et aux
enjeux du marketing politique : son éthique, ses effets,
son ou ses idéologie(s)* ; il en faudrait plusieurs pour
examiner ces questions. Notons ici que malgré l’effet
d’expérience, et bien que les techniques soient toujours
plus sophistiquées, l’efficacité du marketing politique
mérite d’être appréciée avec circonspection. Ses
résultats paraissent aléatoires (Albouy, 1994) quand ils
ne sont pas considérés comme néfastes (cf. critiques
récurrentes des sondages d’opinion in D’Almeida, op

28
Présentation générale

cit., 2009 et Revue Française du Marketing, 2007). Le


taux de participation aux élections, qui devrait être le
premier indicateur révélant l’efficacité du marketing
politique, est loin d’être croissant. Ce point est essentiel
car l’efficacité sert d’argument éthique et de légitimité.
G. Gallup inscrit les sondages au service de la
démocratie, contre le totalitarisme14. Se référant
aux town meetings* du xviiie siècle, il justifie leur
recours sous l’angle de l’utilitarisme. Le marketing
politique est fondé sur le principe de souveraineté
de l’opinion (du moins celle représentée par les
sondages), explique aussi S. Albouy (1994). Mais il
remet en cause l’objectivité, la prétendue neutralité
de la démarche marketing qui reposerait sur son
instrumentation. Pour lui, le marketing politique est
une forme douce de propagande, parce qu’il exerce
une violence symbolique sur les citoyens et conduirait
à un « tautisme* politique ». Cette confusion entre la
réalité et sa représentation conduit à la dé-réalisation
du rôle du citoyen et à une dépolitisation.
À l’inverse, le marketing politique est considéré
par G. Achache (op. cit., 2008) comme un modèle
purement instrumental pouvant être au service de
n’importe quelle idéologie. Son absence d’idéologie
intrinsèque serait la source de son absence de légitimité.
Notons que l’idéologie marketing fait néanmoins
l’objet d’une auto-critique (ex. Marion, 2004). Pour
Achache, le recours à la segmentation marketing

29
Le marketing politique

illustre « un espace public fragmenté […] en systèmes


de valeurs et d’intérêts divers » et révèle une société
caractérisée par un lien discontinu (ibid., p. 112).

L’apport de la revue Hermès


Depuis sa création en 1988, la question politique
est au cœur de la revue Hermès. D’ailleurs, six des
sept premiers numéros lui sont consacrés. De plus,
les n° 1 et 17-18 abordent explicitement la relation
entre communication et politique ; sans compter ceux
traitant de la démocratie (n° 19 et 26-27), de l’opinion
publique (n° 31), du peuple et du populisme (n° 42),
ou de la communication dans la cité (n° 47), etc.
Ces travaux ne cessent de souligner le rôle central
de la communication dans l’espace public et plus encore
celui de la communication politique dans les démocraties
de masse. Ils insistent sur le fait que, contrairement
aux idées reçues ou formulées trop hâtivement,
la communication politique, loin de dégrader le
débat démocratique, est une condition même du
fonctionnement de l’espace public contemporain. Dans
ce cas, elle est définie comme un processus d’interactions
intégrant des échanges contradictoires entre l’homme
politique, le journaliste et l’opinion publique : les trois
acteurs des démocraties de masse caractérisées par le
suffrage universel égalitaire, le règne des médias et celui

30
Présentation générale

des sondages (Wolton, op. cit., 2008). Il ne s’agit donc


pas de dénoncer une dérive contemporaine, mais de
veiller au fonctionnement de ce jeu d’interactions et
s’assurer qu’il s’agit bien de processus de communication
– donc d’échanges, d’incompréhension, de points
de vue multiples, de débats contradictoires. Dans
l’ensemble, les travaux de la revue refusent de sombrer
dans une vision désespérée (et désespérante) d’une
audience passive et d’un récepteur-électeur réduit à
un agent aisément manipulable. Ils considèrent au
contraire le travail de sélection, d’interprétation et
d’appropriation de ce récepteur-électeur, véritable acteur
de l’information et de la communication politique. Plus
encore, ils plaident pour une confiance renouvelée, mais
non béate et accompagnée d’une posture critique, dans
la communication politique et les rôles des différents
acteurs, qu’ils soient homme politiques, hommes de
médias ou citoyens.
Cet ouvrage examine finalement l’intervention
d’un quatrième acteur : l’homme de marketing (le
marketer peut-on lire parfois) dans ce système de
communication politique.

Présentation de l’ouvrage
Pour commencer, une approche historique nous
rappelle que la conscience politique du peuple et la

31
Le marketing politique

question du populisme sont anciennes, puisque Roger


Dupuy identifie deux formes distinctes de populisme
dès la fin du xviiie siècle en France. Ensuite, avec
Michel Bongrand, nous revenons aux origines du
marketing politique en France, en étudiant les
conditions de son introduction et les proximités avec
le marketing commercial. Des questions clefs, tant
pour la politique que pour le marketing, peuvent ainsi
être examinées conjointement. Faut-il « répondre
à la demande » ? Les pratiques contemporaines de
marketing politique sont ensuite examinées. La
campagne présidentielles de 2007 et celle, en cours,
de 2012, servent de terrain d’étude aux deux chapitres
consacrés aux discours des hommes politiques. Ils
évoquent le recours à l’humour et à la peur, avec le
texte de Sonia Capelli, William Sabadie et Olivier
Trendel, et plus largement à l’émotion avec celui de
Virginie Martin. Les mécanismes d’attention et de
persuasion, les effets d’anxiété et d’empathie sont
étudiés sous l’angle du marketing.
Une mise en perspective internationale,
essentielle pour un ouvrage dédié au marketing
politique, est ensuite proposée. L’arrivée des
marqueteiros dans l’arène politique brésilienne
est analysée par Renato Janine Ribeiro, puis
l’orchestration de la campagne de Barack Obama
est étudiée par François Heinderyckx. Les points de
vue des auteurs contrastent, favorisant la réflexion

32
Présentation générale

chez le lecteur, puisqu’ils constatent respectivement


la « défaite du marketing politique » et la mise en
œuvre réussie de la panoplie marketing, « Obama
08 » constituant un véritable cas d’école. Puis,
c’est à nouveau la question du populisme, dans
une version contemporaine cette fois-ci, qui est
examinée par Nicolas Baygert. Il défend la thèse
d’un consumérisme* politique en étudiant la
structuration d’un mouvement-label politique dans
un mouvement de bas en haut (bottom-up) à travers
l’étude de cas du Tea Party aux USA. Pour ne pas
conclure et ouvrir la réflexion, Dominique Wolton
replace la question du politique et des rapports
individu – société dans le contexte historique du
développement des médias de masse, des technologies
numériques, de la mondialisation de l’information et
de l’obsession de l’audience. Il en dessine les enjeux
et livre cinq questions clefs pour aujourd’hui et
pour demain.

NOTES

1. Wolton, D., « La communication politique : construction d’un


modèle », in Mercier, A (dir.), 2008, p. 29-52 et « Les contra-
dictions de la communication politique », ibid., p. 89-104.
2. Achache, G., « Le marketing politique », in Mercier, A.,
2008, p. 53-68.

33
Le marketing politique

3. Cf. Maunier, C., « La communication politique en France, un


état des lieux », Market Management, vol. 4, n° 6, 2006, p. 69-83.
4. L’association américaine (AAPC) sera créée l’année d’après et
sa version européenne (EAPC) en 1996.
5. Nous reprenons ici quelques éléments issus des ouvrages cités
plus haut (Albouy et Maarek en particulier).
6. M. Bongrand considèrera plus tard que c’est véritablement lors
des élections législatives de 1967, avec G. Pompidou, qu’il réa-
lisera la première campagne de marketing politique, précisant
que celle de 1965 n’était limitée qu’aux relations publiques.
7. Manceau, D., Trinquecoste, J.-F. « Éditorial : Marketing et
politique, y a-t-il véritablement rapprochement ? », Décisions
Marketing, n° 45, 2007, p. 5-6.
8. Voir notamment European Journal of Marketing : numéro spé-
cial en 1996 ; deux numéros de la Revue Française du Marketing
en 2006 et 2007, un en 1978.
9. Cf. Rothschild, M. L., « Political advertising: a neglected
policy issue in marketing », Journal of Marketing Research,
vol. 25, n° 1, 1978, p. 58-71 et aussi Manceau, D., Trinque-
coste, J.-F., op. cit., 2007.
10. Les « 4P » renvoient, en anglais, à product, price, place, pro-
motion. Notons qu’en anglais comme en français, on parle de
politique de produit, de prix, etc.
11. Laswell, H. D., « The Structure and Function of Communi-
cation in Society », in Bryson, L. (dir.), The Communication
of Ideas, New York, Harper and Brothers, 1948.
12. Le Mercator reprend cette perspective et inscrit le marketing
dans le prolongement de la rhétorique conçue comme l’art

34
Présentation générale

de la persuasion ; il cite aussi l’exemple d’un parti politique


qui cherchera à obtenir le vote des électeurs – et parle alors de
marketing électoral (Lendrevie et al., 2009, p. 3).
13. Stenger, T., Coutant, A., « Web 2.0 et médias sociaux »,
in Stenger, T., Bourliataux-Lajoinie, S., E-marketing &
E-commerce, Paris, Dunod, coll. « Management Sup », 2011,
p. 63-116.
14. Gallup, G., « Mettre les sondages au service de la démocratie »,
in D’Almeida, N., 2009, p. 51-68.

Références bibliographiques :

Albouy, S., Marketing et communication politique, Paris, L’Harmattan,


coll. « Logiques sociales », 1994.
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