Cours de Philosophie-1

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O. INTRODUCTION GENERALE
Généralités
Selon le philosophe allemand KANT, « on ne peut pas apprendre la
philosophie on ne peut qu’apprendre à philosopher ». Ainsi, notre cours
est loin d’être la simple transmission des dogmes. Ce cours constitue
plutôt une initiation à l’acte philosophique. Il s’agit, pour nous,
d’acquérir le goût de la pensée cohérente, d’accéder à une culture
philosophique, de développer le bon jugement, etc.
Pour parvenir à cette finalité, nous devons nous familiariser avec le
langage philosophique, nous habituer à l’abstraction (opération par
laquelle l’esprit sépare, isole certains caractères de choses, ou de leur
types, en bref analyser), éveiller notre esprit critique pour permettre de
comprendre et d’apprécier les solutions données aux différents problèmes
rencontrés dans la vie. L’étude de la philosophie s’accompagne toujours
d’une réflexion personnelle.
La philosophie est une discipline qui se caractérise par l’amour de
la vérité et par une méthode rigoureuse. Le terme philosophie, se
compose du grec, philein « aimer », et de « sophia », qui possède le
double sens de « sagesse » et de « savoir ». La philosophie se fonde donc
sur la quête d’un savoir et n’a pas la prétention de dire le vrai. Le terme
reviendrait au présocratique Pythagore de Samos [570 à 490 av. JC] qui
aurait, par modestie, renoncé à se dire « sage » pour se contenter d’être
« ami de la sagesse ». Il estima que le mot sage ne convenait qu’aux
dieux, seuls êtres capables de posséder la sagesse et la vérité ; c’est ainsi
qu’il inventa pour l’homme le mot philosophia [l’amour, la recherche, le
désir de la sagesse] à partir de trois mots grecs : philia-tes-sophia ou
philein et de sophia. Les dieux possèdent la sagesse mais les hommes
ne peuvent que s’en approcher sans jamais la posséder. C’est pourquoi
on dit que dans son origine, la philosophie a un sens privatif. Elle nie dès
le départ la prétention de posséder la sagesse. Le philosophe est un
homme humble qui se fait ami de la vérité et qui consacre toute sa vie à
la recherche. Mais cette définition n’est pas suffisante. Notre parcours
nous permettra de trouver une définition de la philosophie plus précise.

© Professeur Dieudonné MBAKAMA


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0.1. L’ORIGINE DE LA PHILOSOPHIE


On date la naissance de la philosophie à la figure de Socrate qui, le
premier, au IVème siècle av. J-C. à Athènes, s’est détaché des mythes pour
mettre en valeur la notion de logos (« l’ordre », « la raison », mais aussi
« le langage ») pour comprendre le monde.
0.2. POURQUOI PHILOSOPHER ?
Comme le met en évidence Aristote, l’étonnement est essentiel pour
questionner le monde, soi et autrui. Sans lui, on risque d’être dans
l’illusion d’un savoir, illusion dangereuse qui mène au dogmatisme. La
philosophie interroge les fondements même de l’acte de connaitre et
cherche à construire des réponses aussi complexes que réelles. Ainsi la
philosophie ne s’apprend pas ; on ne peut qu’apprendre à philosopher.
La philosophie apparait avoir pour ambition de rechercher l’unité,
l’universalité, au-delà du fatras [confusion des choses] des visions
partielles et plurielles du monde. Ainsi Epictète, dans ses entretiens,
nous présente-t-il la philosophie comme la recherche d’une norme
commune. Cette norme qui peut être entendue comme les concepts et
l’accord des esprits permettant d’éviter la « folie des gens qui se
servent en tout d’une seule mesure, l’opinion » et de s’appuyer sur une
pensée légitime et critique, capable de construire le vrai. C’est pourquoi,
KANT, dans la logique, formule les grandes questions qui guident cette
recherche : Que puis-je savoir ? Que dois-je faire ? Que m’est-il permis
d’espérer ? Qu’est-ce que l’homme ?
0.3. QU’EST-CE QUE PHILOSOPHER ?
Dogmatisme et scepticisme semblent être deux attitudes qui
établissent un rapport au vrai ; mais sont-elles philosophiques ?
Le dogmatisme [sommeil de la raison] est l’attitude de l’esprit qui
rejette le doute et la critique et qui affirme posséder la vérité, une et
absolue. Ce moment, premier, est celui des maîtres à penser et peut
tendre dangereusement vers une aliénation de l’esprit. A l’opposé se situe
le scepticisme qui érige le doute en système et conteste à l’esprit la
possibilité d’atteindre avec certitude la connaissance.

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L’attitude critique (du grec crinein, « passer au crible »,


« tamiser ») seule permet la philosophie. La vérité reste le but de la
recherche philosophique. Le moyen de cette recherche est la critique :
la critique de la valeur de chacun de nos raisonnements. La vérité n’est
pas unique, elle est historique. Elle n’est pas une fin mais une quête
continuelle. Elle demande une remise en cause constante des préjugés et
opinions, appelle à la vigilance et à la tolérance et cherche enfin à créer
des concepts.

0.4. QU’EST-CE QUE LA PHILOSOPHIE


DEFINITIONS
- Au sens large (ou étymologique)
Au sens large du terme, tout le monde est philosophe par le fait que
tous, petits et grands, jeunes et vieux, avons le désir de connaitre la
vérité, en se posant des questions sur tel ou tel autre aspect de la vie,
dans le but de découvrir la vérité ; on est philosophe.
- Au sens strict
Au sens strict du terme, tout le monde n’est pas philosophe. Est
philosophe, celui qui est passionné à la recherche de la vérité, en
appliquant une méthode aussi rigoureuse que celle de la science, avec
une réflexion critique, un jugement réflectif qui permet d’approcher la
vérité. C’est ainsi que la philosophie sera définie :
- chez les uns et chez les autres, comme une réflexion critique sur
l’homme et sur sa situation dans le monde.
- Chez les existentialistes, au centre de la philosophie se situe
l’homme existant dans le monde. Sartre et G. Marcel mettent en
exergue cette préoccupation.
Remarque : toutefois, il y a lieu de noter que définir la philosophie n’est
pas une tâche facile. Cela, d’autant plus qu’il y a beaucoup de
philosophes, il y aussi plusieurs définitions da la philosophie ; car la
philosophie s’occupe de la réalité totale. Chaque philosophe s’occupe
d’un aspect particulier de cette réalité. Ce qui entraîne une diversité dans
la façon d’aborder la philosophie et c’est ce qui fait la richesse de cette

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dernière. Raison pour laquelle nous passons en revue quelques définitions


de la philosophie et leurs auteurs :
- Pour Thibaudet : la philosophie peut se définir non comme la
science de tout mais comme la science du tout. Cette définition
ramène à la définition étymologique, c’est donc une réflexion sur
tout (tous les acteurs dans leur totalité) et non une connaissance de
tout, cette réflexion ne prétend pas tout connaître mais elle
s’approche à la vérité.
- Pour René de Senne : la philosophie est une réflexion sur
l’expérience totale. Cette définition nous rapproche de l’objet de la
philosophie, la totalité du réel. Pour dire tout simplement que la
philosophie ne se cantonne pas à un aspect, c’est une approche
globalisante et totale.
- Pour Karl Jaspers : la philosophie est la recherche passionnée de
la vérité. C’est-à-dire la réflexion philosophique ne demande pas
seulement un exercice intellectuel d’envergure mais aussi et
surtout un amour (désir) de connaitre ;
- Pour Aristote : la philosophie est une science certaine qui porte sur
les principes premiers et causes premières. C’est-à-dire la
philosophie ne s’arrête pas aux aspects superficiels, elle va au fond
des choses, la vérité qu’elle recherche doit être certaine et fondée
sur la raison ;
- Pour Mutuza Kabe : la philosophie est l’effort de l’homme pour
reprendre le réel de chaque jour en vue de mieux l’expliciter et le
schématiser. C’est-à-dire la tâche du philosophe n’est pas déterrer
les choses passées ni de prédire l’avenir ; sa tâche est d’actualiser
les situations et les expériences : panser sa vie et panser les drames
de son temps dans un discours rationnel et cohérent.
- Pour Tshiamalenga Ntumba : se basant sur le dictionnaire de la
philosophie [Lalande] définit la philosophie comme un ensemble des
doctrines d’une époque ou d’un pays. Le cas ici de la philosophie
grecque, la philosophie Bantoue…

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0.5. LES METHODES DE LA PHILOSOPHIE


La philosophie en tant que discipline qui se caractérise par la
recherche de la vérité, chaque philosophe applique une méthode, aussi
rigoureuse que celle de la science : de la réflexion socratique (ironie ou
maïeutique) en passant par la dialectique platonicienne, le doute
cartésien… jusqu’à la réflexion seconde de Gabriel Marcel. Dans
l’ensemble, c’est toujours un processus de réflexion en deux étapes :
1. Une réflexion première qui fait passer de l’inconscient au conscient, de
l’implicite à l’explicite (exemple : la description phénoménologique).
2. Cette réflexion première est reprise par une réflexion seconde,
réflexion critique, jugement réflectif qui permet d’approcher la vérité.
Ainsi, nous disons que la méthode de la philosophie est réflexive, il
s’agit d’une réflexion seconde, puisqu’elle s’exerce sur le résultat de la
connaissance vulgaire ou scientifique constitué par la réflexion
première.
0.6. OBJET DE LA PHILOSOPHIE
La philosophie est à la base de toutes les sciences actuelles. Ainsi,
au centre de toute recherche philosophique, on rencontre l’homme. Il est
un objet de toutes les méditations philosophiques. Qu’il s’agisse de son
bonheur, de la connaissance dans les sciences ou des relations
existentielles avec l’univers où les autres, en prenant tous les aspects de
façon globaliste, on se met à la quête de la vérité pour son bien-être.
Toutes ces recherches ont pour but de trouver la vérité qui puisse
conduire au bien-être de l’homme sur la terre. Ainsi nous disons que
l’objet de la philosophie est la totalité du réel.
LA VERITE
Du latin « Veritas », la vérité, le vrai, la réalité ; « la vérité est une
relation adéquate [qui convient] de la pensée avec le réel » (Saint Thomas
d’Aquin). Cette relation a des dimensions suivantes :
- La vérité pratique ou familière (préscientifique) notre manière
habituelle de voir le monde ;
- La vérité scientifique ou objective (positive) qui se fonde sur la
vérification expérimentale de l’hypothèse scientifique.

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- La vérité philosophique qui s’appuie sur l’expérience également


mais surtout l’expérience au sens large et plus enveloppant du mot.
C’est-à-dire la philosophie opère les synthèses les plus hautes et
pose les questions dernières, telles : Que sommes-nous ? Que vaut
la vie en fin des comptes ? Quel est le sens de la vie ?
- La vérité religieuse ou révélée : qui ouvre au mystère de Dieu
vivant
Nous disons donc que la vérité est « une » [en tant que vrai réalité]
mais, les voies pour l’atteindre sont multiples.
LA CRITIQUE
Du grec « kritike » : la faculté de penser, l’art de juger. C’est un
principe ou un fait de formuler les jugements d’appréciation à son sujet.
- Un esprit critique : est un esprit qui n’accepte aucune assertion
sans s’interroger sur sa valeur (son contenu ou son origine).
- Un examen critique : qui examine la valeur logique, intellectuelle
d’un énoncé, d’un texte ou d’une assertion.
0.7. PHILOSOPHIE ET SCIENCES
Le micro Robert définit la science comme l’ensemble des
connaissances, des travaux et des valeurs universelles ayant pour objet
l’étude des faits et des relations vérifiables, selon des méthodes
déterminées. Ainsi, cette définition vient de mettre au clair que la science
se distingue des autres connaissances par son objet et sa méthode.
A) Différence entre la philosophie et la science
Cette différence, nous allons la situer sur le plan de l’objet, de la méthode
et du but :
- Au point de vue de l’objet, la science a pour objet les
phénomènes de la nature, les réalités objectives des quantités
continues et discontinues. Elle découvre ce qui est réel, elle
s’intéresse à l’aspect mesurable et quantitatif de la nature, elle
sépare le sujet observant et pensant de l’objet observé et pensé.
Tandis que la philosophie, étymologiquement parlant, est une
science qui cependant, étudie un ensemble des problèmes que pose
l’homme en lui-même et dans ses multiples problèmes de la vie.

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- Au point de vue de la méthode, les sciences tendent à


s’approcher de la méthode des mathématiques ou de l’usage des
déductions et la démonstration demeure indispensable. Les
sciences expérimentales se servent de l’expérimentation comme
première étape ; tandis que la philosophie suit la méthode réflexive
et elle croit à la validité des expériences matérielles mais surtout
intellectuelles.
- Au point de vue but, les sciences veulent expliquer l’univers pour
le comprendre, le dominer et mieux l’utiliser ; tandis que la
philosophie observe pour comprendre mais, elle va plus loin que la
science. Elle recherche les causes premières et les dernières, les
raisons d’être de chaque chose et son importance par rapport à
l’homme. Elle étudie la réalité dans sa totalité. Si la science a pour
but de savoir comment fonctionne l’électricité, la philosophie
cherche à savoir en quoi l’électricité est indispensable à la vie
humaine.

B) Relation entre la philosophie et la science


En dépit des précédentes divergences, il existe un certain rapport
entre la philosophie et la science. Les savants et les philosophes se
doivent une collaboration indispensable car, la découverte de l’un est
profitable à l’autre.
Ce que la science apporte à la philosophie :
- La science permet au philosophe de raisonner à partir du réel sur le
plan des vastes théories, la science a aidé le philosophe à
comprendre certains problèmes liés au comportement humain et le
sens de la liberté.
Ce que la philosophie apporte à la science :
- La philosophie est un grand secours à la science. D’abord elle
apporte le pourquoi matériel à la science, la raison d’être même de
la science. Elle vient pousser la science au-delà d’elle-même. Elle
permet à la science de préciser son objet d’étude. C’est la
philosophie qui, par sa critique, précise pour la science les

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méthodes des recherches qui permettent les nouvelles découvertes.


Ce qui permet aux sciences de connaître les limites de leurs
découvertes sur le plan pratique et la valeur.
0.8. LA DIFFERENCE ENTRE L’ART ET LA
PHILOSOPHIE
L’art étudie purement l’aspect subjectif. C’est l’expression du
message personnel, du goût individuel et particulier qui compte dans
l’art. C’est ce qui fait sa spécificité et sa force ; tandis que la philosophie
est à la fois subjective et objective. Elle s’occupe de la réalité totale.
0.9. DIVISION DE LA PHILOSOPHIE
Cette division porte sur la matière et les branches de la philosophie.
Actuellement, la préoccupation moderne de la philosophie reconnaît trois
subdivisions essentielles qui montrent les différents domaines où se situe
la matière philosophique. Nous citons :
1. La métaphysique [ontologie]
2. L’éthique [philosophie morale]
3. La critique [l’étude de la connaissance]

1. La métaphysique (ou l’ontologie) est l’étude des propriétés


générales de l’être en tant qu’être. Elle se subdivise en :
- Psychologie rationnelle : qui étudie l’être pensant, l’être au
niveau psychique ;
- La cosmologie ou la philosophie de la nature : qui étudie
des êtres de l’univers matériel ;
- La théodicée : qui étudie l’Être suprême en cherchant des
preuves rationnelles de l’existence de Dieu.
2. L’Ethique ou la philosophie morale : c’est la branche de la
philosophie qui étudie la valeur de l’action de l’homme, la valeur
des lois, des coutumes, des mœurs et des traditions. C’est aussi elle
qui s’intéresse aux valeurs des cultures et les civilisations des
différentes ethnies et des différents peuples. On l’appelle aussi
science du bien et du mal.

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3. La critique : elle est une partie de la philosophie qui s’intéresse à


la valeur de la connaissance. Elle se propose d’étudier la vérité. Elle
comprend aussi plusieurs sous branches à savoir :
- la logique : qui s’intéresse à la valeur de la pensée et à
la cohérence du raisonnement dans son aspect formel
comme continuel…
- la méthodologie : qui étudie la valeur des méthodes
utilisées pour mener des recherches dans les différentes
sciences en vue d’atteindre la vérité.
- L’épistémologie : étudie la valeur de la connaissance.
C’est elle qui doit étudier si la connaissance est vraie ou
fausse. Elle étudie la vérité découverte à partir de la
méthode de suivie. C’est à elle que revient, dans la
recherche de la vérité, le discernement du vrai et du
faux.

I. LES PRESOCRATIQUES
Si étymologiquement, la philosophie se comprend comme l’amour
de la sagesse, vulgairement, la philosophie est parfois considérée comme

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une vision du monde, une manière de procéder. Ainsi peut-on comprendre


le fait qu’autant qu’il y a des philosophies qu’il y a des philosophes.
L’homme de tout le temps et de tous les lieux n’a cessé de se poser des
questions sur l’univers qui l’abrite, sur son origine, sa constitution, son
devenir… Souvent l’homme a été incapable de répondre par lui-même à
ses interrogations. C’est ainsi que dans l’antiquité grecque, on plaçait les
réponses à ces questions souvent dans les divinités qui, par ailleurs,
étaient représentées comme des humains.
Les philosophes communément appelés « présocratiques » ont
essayé de dépasser cet anthropomorphisme [tendance à concevoir les
divinités ou les animaux à l’image des hommes et à leur prêter de ce fait,
des comportements humains.] de théogonies [dieu] mythiques pour
proposer les premières tentatives d’explication scientifique. Parmi les
grandes écoles ou orientations qui ont marqué cette période qui va du
VIIIème au VIème siècle avant notre ère, on peut citer :
A. LES IONIENS
Traditionnellement, on appelle « Ioniens » ou « premiers
philosophes de la Grèce » un groupe de personnages ayant fleuri au
VIème siècle av. J-C. dans les grandes cités côtières d’Asie mineure,
singulièrement dans la ville portuaire de Milet et la cité de pèlerinage
d’Ephèse. En écartant les interprétations mythologiques et surnaturelles
du monde, ces grandes figures cherchent à élaborer des explications des
phénomènes naturels par le seul moyen de la raison. Ces premiers
curieux de la nature, comme ils se nomment, prendront le nom de
physiciens, ou physiologues en référence à la physis (nature). Parmi ses
ioniens, nous distinguons l’école de Milet et l’école d’Ephèse.
a) L’école de Milet : cette école a pour grandes figures Thales de
Milet, Anaximandre, Anaximène et Anaxagore. Ceux-ci se
préoccupaient tous de déterminer l’unique matière de la nature
d’où sont sorties toutes les choses. Ainsi, pour Thales de M. la
matière originelle c’est l’eau. Pour Anaximandre, c’est l’infini
indéterminé ou illimité [apeiron]. Pour Anaximène, c’est l’air.

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Pour Anaxagore, le végétal contient sous une forme invisible, des


germes de chair ; tout vient de la végétation.
b) L’école d’Ephèse : cette école défend le changement ou le
mouvement. Héraclite est le leader de cette école. Ce philosophe
est surtout connu pour sa « loi du devenir universel », c’est-à-
dire une conception selon laquelle tout se meut et se transforme.
Pour lui, tout coule, tout passe et rien ne demeure. On ne se
baigne pas deux fois dans un même fleuve. Pour Héraclite, tout
vient du feu et tout revient au feu. Le feu conçoit et fait naître.
L’être est le non-être. L’être n’est qu’à la mesure où il y a le non-
être. Il y a l’unité dans la diversité à cause de l’équilibre.
Héraclite défend l’harmonie des contraires [le jour et la nuit, la
vie et la mort, le chaud et le froid…]

B. LES ELEATES
C’est à Elée, dans le sud de l’Italie du sud, que sont élaborés les
fondements ontologiques de la pensée. A l’encontre des Ionions de l’école
d’Ephèse. Les éléates réfute « la loi du devenir universel » et affirment en
effet l’identité et l’éternité de l’être. Cette doctrine est dominée par deux
grandes figures principales : Parménide d’Elée, Zénon d’Elée. Pour
eux, « tout est permanent, statique et le mouvement n’est qu’apparent. »
Dans son ouvrage « De la nature », Parménide affirme que l’être est, et le
non-être n’est pas. On ne peut pas passer de l’être au non-être et vice-
versa. Ce qui n’existe pas n’est pas. L’être est ce qui existe. S’il y a de
l’être, cet être est un. Il y a l’unité de l’être et plutôt que sa diversité.
Pour Parménide, l’althaea [la vérité] est une déesse. Il va donc distinguer
deux chemins : le chemin de la vérité [vrai chemin] et le chemin de la
doxa [de l’opinion : chemin de la fausseté, de l’apparence]. Le chemin de
la vérité c’est que l’être est, et que le non-être n’est pas.
C. LES ATOMISTES
Cette doctrine fonde sa théorie sur la matière. Pour elle, la matière
est discontinue [présente des solutions de continuité] et composée des
éléments insécables [c’est-à-dire que l’on ne saurait couper ou partager],

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composée des atomes et de vide. Parmi les fondateurs de cette doctrine


au Vème siècle av. J-C., nous citons : Leucippe et son disciple Démocrite.
Cette doctrine sera reprise par Epicure, puis à Rome par Lucrèce.
D. LES SOPHISTES
Au milieu du Vème siècle av. J-C. Athènes devient le centre
politique et intellectuel de la Grèce. C’est durant cette période marquée
par une agitation intense que les sophistes s’imposent. Ce terme désigne
quelques « hommes habiles (sophes) qui accordent toute leur attention
au problème du langage ». Les sophistes sont des philosophes qui
excellaient par leurs arguments souvent qualifiés de trompeurs ou des
fallacieux. Ils avaient employé la rhétorique [l’art de persuader par le
discours] et parvenaient à détruire les arguments de leurs adversaires.
Leurs principaux représentants sont : Protagoras, Gorgias et Prodicos de
Céos.

E. LES PYTHAGORISMES
C’est vers le milieu du VIème siècle qu’apparaît le pythagorisme.
Elaboré par un philosophe resté célèbre pour un théorème pourtant déjà
connu des Babyloniens, Pythagore (v. 580-v. 490 av. J.-C.), cette doctrine
prévoit un certain nombre d’interdits qui traduisent le désir de délivrer
l’homme des illusions de la matière. Avant qu’elle ne trouve un écho dans
le phédon de Platon, les pythagoriciens sont ainsi les premiers à formuler
la doctrine de l’immortalité de l’âme ou, comme disent les Grecs, la
palingéénésie. Selon eux, l’âme aurait la possibilité de passer d’un corps
à un autre et d’échapper à la mort en réintégrant celui d’un nouveau-né.
L’influence de Pythagore s’exerce aussi dans le domaine de la
science et, plus exactement, des mathématiques. Cherchant, comme les
ioniens, les lois secrètes qui régissent l’univers, il s’efforce ainsi de
formuler les propriétés élémentaires des nombres. Sans son apport
considérable, ni l’arithmétique, ni la géométrie moderne n’auraient pu se
développer.
F. LES PLURARISTES

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Les derniers philosophes présocratiques peuvent être groupés sous


l’appellation de pluralistes, car chez eux le premier principe devient
multiple ; ils acceptent tous les principes premiers cités chez les ioniens,
les éléates, les atomistes : ils partent de plusieurs éléments de la nature
pour l’expliquer : la terre, l’eau, l’air, le feu. Parmi les philosophes de
cette école nous pouvons citer : Empédocle.
G. LE SUBJECTIVISME MORAL
Le subjectivisme moral est une position méta-éthique qui énonce
que : les jugements éthiques expriment des propositions morales.
Quelques-unes de ces propositions sont vraies. Ces propositions portent
sur les opinions ou sentiments moraux des individus. Avec le
subjectivisme moral, l’homme est la mesure de toute chose.

CONCLUSION SUR LES PRESOCRATIQUES

On s’aperçoit qu’avec les ioniens, les éléates, les atomistes et les


pluralistes, la philosophie est tournée vers le dogmatisme des
physiologues ; c’est-à-dire l’origine de la matière. Tandis que les
sophistes, les sceptiques, les pythagoristes font rupture avec le physis ;
c’est ne pas la cosmogonie [système décrivant la formation de l’univers]
ou le physis qui sera au centre de la recherche. La philosophie cessera
d’être l’étude de l’univers pour devenir la science de l’homme et de son
bonheur. Socrate sera de ce fait, celui qui a beaucoup influencé sa pensée
sur l’homme pendant son époque. Voilà la raison de mener une étude
minutieuse sur sa pensée.

CHAPITRE I

SOCRATE
1. VIE ET ŒUVRES

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Citoyen d’Athènes, fils de Sophronisque (sculpteur) et de Phénarète


(sage-femme), Socrate a vu le jour en 470, est mort en 399 avant J.-C.
Marié à Xanthippe, le couple a eu trois enfants dont : Lamproclès,
Ménexène, Sophronisque. Dès son jeune âge, il apprend le métier de son
père pour gagner sa vie avant de se consacrer à la philosophie à l’âge de
40 ans. Le tournant décisif de sa vie provient surtout du métier de sa
mère dont il a subi l’influence positive. La vocation de sa mère a fait
naître en lui un comportement caractérisé par : le goût de l’hospitalité, la
pratique de la justice, le respect de la dignité et le sens de discernement.
Mais les raisons majeures qui le poussent à la philosophie sont :
1. Frappé par la décadence morale de son peuple consécutive à
l’occupation d’Athènes par les spartiates, il décide de travailler à la
conversion de ses concitoyens en 434 ;
2. Lors de son pèlerinage à Delphes au temple du dieu Apollon, il se
laisse touché par l’oracle - une devise qui est inscrite au fronton du
temple - « nosce te ipsum » [connais-toi toi-même] et se sent
investi d’une mission, celle d’enseigner la sagesse aux autres ;
3. Pour Socrate, une seule préoccupation est souveraine, celle de la
vérité, c’est-à-dire le vrai bien et le vrai bonheur de l’homme. Or à
son époque, sévissaient les sophistes qui privilégiaient l’éloquence,
tout en méprisant la vérité. Socrate va alors s’engager à les
combattre à travers la philosophie.
Pour remplir cette triple mission partant de sa philosophie, il
parcourt la ville interrogeant les gens et stimulant la réflexion
personnelle. Il prêcha sans le moindre salaire un enseignement basé sur
l’autonomie du sujet, le retour en soi et le détachement de l’Etat.
Suscitant un grand engouement et du succès, surtout auprès de la
jeunesse, il sera arrêté, accusé arbitrairement de corrompre la jeunesse,
d’abord ; ensuite, de ne pas reconnaître les dieux de la cité et de vouloir
introduire des divinités étrangères, nouveaux dieux à Athènes. Les vraies
raisons furent pourtant, que : les autorités craignent de le voir détruire la
tradition familiale, politique et religieuse. Il sera condamné à mort et à

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boire la ciguë (un poison) puis mourra en discutant avec ses disciples sur
« l’immortalité de l’âme ».
Socrate n’a rien écrit ; tout ce que nous avons de sa philosophie
nous vient de ses disciples, surtout Platon et Xénophon.
2. LA PENSEE DE SOCRATE
La révolution socratique et le dessein philosophique
Pour les présocratiques, c’est la recherche des causes
fondamentales de phénomène naturel qui était au centre de l’action
philosophique. Pour les sophistes venus peu avant Socrate, c’est le
bonheur de l’homme qui était la préoccupation fondamentale. Avec
Socrate, c’est l’homme en tant qu’Esprit qui est au centre de l’activité
philosophique. Pour cette cause, il invite la pensée douée de sagesse à
une conversion, à un nettoyage systémique, à se tourner du monde pour
se retourner à la conscience afin d’acquérir le vrai bonheur. Pour y
arriver, il faut une méthode.
3. LA METHODE SOCRATIQUE
Sa méthode se présente comme une dialectique en deux temps. Elle
est essentiellement interrogative, c’est-à-dire se fonde sur les questions
que Socrate pose à ses interlocuteurs. Elle comprend deux étapes :
3.1. L’ironie (l’étape négative et destructive)
C’est un dialogue interrogateur : par des questions, Socrate
cherche à détruire le faux savoir ou le savoir apparent qui cache
l’ignorance. Il se présente lui-même comme un ignorant qui veut
apprendre : « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien ». Ainsi il
s’acharne à débarrasser l’esprit ignorant du faux savoir, des opinions
critiquées qui l’encombrent, qui bouchent et empêchent la recherche du
vrai. Socrate veut amener l’homme à connaître ses limites et son
ignorance. C’est pourquoi l’ironie est appelée dialectique critique.
3.2. La maïeutique (étape positive et constructive)
C’est un dialogue interrogateur qui aide à accoucher la vérité. La
référence est faite ici au métier de sa mère (accoucheuse). Tout comme
l’accoucheuse qui n’apporte pas le bébé mais qui aide seulement à le
mettre au monde. Socrate aussi n’apporte pas du dehors la science mais

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c’est à l’esprit de ses interlocuteurs de rendre explicite la vérité implicite


qui est en eux, c’est-à-dire à découvrir la vérité qu’ils portent en eux sans
le savoir. L’oracle de Delphes [connais-toi toi-même] a ainsi joué un rôle
important dans cette méthode en emmenant l’interlocuteur à une
réflexion sur soi-même afin de sortir de son ignorance. Raison pour
laquelle la maïeutique est appelée dialectique réflexive.
4. LA VERTU SELON SOCRATE (la science du bien)
La conversion morale de ses concitoyens, une des tâches
principales qui a motivé Socrate à accéder dans le monde philosophique.
Sur ce, il se présentait devant ses interlocuteurs en posant des questions.
Il réfléchissait sur son expérience et sur les choses de la vie qu’il
observait, et il les invitait à lui emboîter les pas. Il était persuadé que la
vertu consistait dans la science du Bien. Et la doctrine de la vertu se
situe dans le courant de la théorie intellectualiste. Il la définit comme
« science du Bien ». Elle se résume dans la formule célèbre : « nul n’est
mauvais ou méchant volontairement, il suffit de connaître le bien pour le
faire ». Ainsi, science du bien et la vertu sont une même chose. Pour être
vertueux, il faut savoir ce que l’on doit faire pour bien l’accomplir et ne
point l’omettre.
Socrate est convaincu que l’on ne fait le mal que par ignorance du
bien. En d’autres mots, c’est la science du bien qui constitue la vertu.
N.B. En tant que Péripatéticien, Socrate enseigne à travers les
rues un rationalisme moral qui tient à pousser l’individu à découvrir le
bien personnel qui est en soi.

5. ACTUALITE ET FAIBLESSE DE SOCRATE


a) Actualités
- Socrate a mis fin la pensée mythique. Son avènement consacre une
connaissance basée sur la réflexion rationnelle et critique ;
- Avec lui, l’individu a acquis une certaine autonomie à l’égard du
groupe ; d’où la naissance de l’idée de liberté, de démocratie, de
droits de l’homme, de tolérance ; la notion de personnalité

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autonome qu’il a tracé lui a valu le titre de père de la philosophie


moderne.
- Avec Socrate, on peut parler d’un comportement éthique en
l’homme, c’est-à-dire le comportement de l’homme n’est plus régi
par des contraintes extérieures (exemple : les tabous, les dieux, les
ancêtres…) mais, il se base sur la voix intérieure de la conscience
pour dire le discernement éclairé par la raison ;
- En ouvrant une ère nouvelle avec sa révolution (recherche du vrai
et du bien pour l’homme), Socrate mérite d’être appelé le premier
martyre d’une pensée critique libre et responsable.

b) Faiblesses
1. Socrate n’est pas chrétien, on lui reproche son intellectualisme
moral en affirmant qu’il suffit de connaître le bien pour le faire
nécessairement, il a exagéré le rôle de l’intelligence en négligeant
la liberté et la volonté. Il a oublié que l’homme peut délibérément
commettre le mal ;
2. Il n’a pas écrit. Nous accédons à sa pensée par les écrits de ses
disciples.

A. PLATON
a)Sa vie
De son vrai nom Aristocrates, dit Platon à cause de ses épaules, il
est né à Athènes, en 427, dans une famille aristocratique. Appelé aussi
« Divin Platon » par les commentateurs, il devient disciple de Socrate à
l’âge de 20 ans. Il fut captivé par l’art merveilleux avec lequel Socrate
savait interroger, suivre une idée comme la piste, de question en
question, amener ses interlocuteurs, soit à reconnaitre leurs erreurs, soit

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à découvrir avec lui, ou même avant lui, quelque chose de la vérité


recherchée.
Après la condamnation et la mort de Socrate, il quitte Athènes et se
met à voyager en Egypte et à Syracuse en Sicile. Le tyran Dénis de
Syracuse, auquel il s’attache, le fera même vendre comme esclave. Il sera
racheté par un de ses amis. Revenu à Athènes, il fonde en 387 la
première école de philosophie dénommée ACADEMIA, parce que les
élèves suivaient les cours dans l’enceinte du jardin d’Académos, un héros
de la mythologie grecque. Outre la philosophie, on y enseignait les
mathématiques, et la rhétorique. Il meurt à Athènes en 348.

b) Ses œuvres
Les œuvres de Platon sont exposées sous forme de dialogue entre
Socrate et ses disciples. Elles sont appelées communément les
« Dialogues ». Parmi les principales œuvres, nous citons :
- « L’apologie de Socrate » : récit de la condamnation et de la mort
de Socrate ;
- « La république » : sur la cité idéale où règne la justice ;
- « Le phédon » : sur l’immortalité de l’âme ;
- « Le phèdre » : sur le beau ;
- « Le Menon » : sur la vertu ;
- « Le Banquet » : sur l’amour.

c) Sa pensée
Choqué par les injustices et la dégradation de sa société, cette
même société qui avait condamné son maître Socrate ; Platon est
convaincu que ce monde ce monde si imparfait, ne doit pas être le
véritable monde. L’idée maîtresse de sa pensée est la distinction de deux
mondes :

 Le Monde sensible :
C’est un monde fait d’apparence, d’illusions de corruption. C’est
celui des corps. C’est le seul monde que connaissent nos sens. Il est

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changeant, passager et contradictoire ; il est fait de reflets, de copies de


la vraie réalité. Ceux qui s’y limitent sont comme des prisonniers
enchaînés dans une caverne qui prendraient les ombres de ceux qui
marchent à l’extérieur pour des réalités (Cfr Allégorie de la caverne, dans
la République).

 Le Monde intelligible :
C’est le vrai monde, où se trouvent les idées, c’est-à-dire les
essences immuables et universelles des choses. Ce monde est situé au-
dessus du monde sensible ; il est invisible pour les yeux du corps, mais
visible pour l’œil de l’âme. Il est permanent, immuable, éternel.
Tout ce que nous percevons dans le monde sensible n’est que le
reflet des êtres et des choses qui se trouvent dans le monde des idées.
Ainsi, cet arbre, cet homme qui est devant moi… ne sont que le reflet,
l’ombre de l’arbre, de l’homme qui réel qui se trouve dans le monde des
idées.
Bref, le monde des idées n’est perceptible que par l’intelligence.
C’est pourquoi on parle du monde intelligible. Dans ce monde se
rencontrent des idées, essences universelles des choses. Si donc, on voie
des hommes qui se ressemblent, c’est parce qu’ils sont tous copies d’un
modèle immuable qui est l’homme, essence ou l’idée d’homme.
NB. Platon a illustré ce dualisme (les deux mondes) par l’allégorie ou le
mythe de la caverne).

d) Autres parties de sa pensée

 La Méthode : Ascension dialectique :


Elle consiste, pour l’esprit, à s’élever du monde sensible vers le
monde véritable, à savoir le monde des idées. L’élévation du philosophe
doit se faire par degré : commençant par des simples apparences aux
objets ; puis des objets aux idées abstraites, comme les idées
géométriques ; et enfin, de celles-ci aux idées véritables qui sont des
êtres réels existant en dehors de notre esprit, dans un monde invisible.

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 La théorie de la réminiscence :
Pour Platon, nous avons vécu dans le monde des idées avant notre
« incarnation » dans le corps actuel (que nous possédons), et delà nous
avons contemplé face à face les idées dans leur pureté. Nous avons gardé
de cette vision, non pas une mémoire claire mais un souvenir confus.
Tout ce que nous découvrons dans le monde sensible par un travail de
l’intelligence, n’est pas une invention, mais uniquement le fruit de ce
souvenir vague, imprécis (réminiscence).

 La théorie de l’amour
En entendre Platon, l’amour est l’attrait que nous ressentons pour
le monde invisible, l’attrait de l’idéal. L’amour comme intelligence,
procède aussi par degré. Il a d’abord à la beauté des corps mais à travers
celle-là, c’est la beauté des âmes qui l’attire, et par-delà cette beauté des
âmes, il tend vers la beauté idéale. C’est pourquoi « amour platonique »
est, dans notre langage, synonyme de « contemplation respectueuse et
idéalisante ».

 La Morale
Selon Platon, vertu suprême (ou le bien suprême) consiste à se
détacher du monde sensible et de ses reflets pour aller contempler le
monde véritable avec ses idées, spécialement l’idée du Bien ou l’Idée
suprême. En dessous de cette vertu quasi divine, il y a une vertu
purement humaine, c’est la justice qui consiste dans l’harmonie
intérieure de l’âme, et se subdivise en elle-même en d’autres vertus :
- La tempérance ou justice des sens ;
- Le courage ou justice du cœur ;
- La sagesse ou justice de l’esprit.

e) Comparaison entre Socrate et Platon


Platon est resté fidèle à son maître (Socrate) et il a même enrichi sa
pensée en la dépassant.

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Ressemblances :
- Tous deux sont contre la dégradation morale et attachement au
monde matériel, ils invitent à rechercher la vertu et la véritable
vie ;
- Tous deux sont convaincus de la présence en l’homme des notions
morales capables de l’aider à tendre vers la vie véritable.
- Tous deux initient à la réflexion critique en vue d’une connaissance
véritable.

Divergences :

- Pour Socrate, la vertu, c’est la connaissance et la pratique du


« Bien » tandis que pour Platon, la vertu réside dans la
contemplation de l’idée du Bien (Idée Suprême) ;
- La philosophie de Socrate est une science pratique (morale
rationnelle), mais celle de Platon, c’est une véritable doctrine
intellectuelle (Métaphysique).

Conclusion

Platon est considéré comme le père de la philosophie occidentale,


parce que, sous l’influence de Socrate, son maître, il a engagé la
réflexion, non vers le monde extérieur, mais vers la contemplation du
beau et du bien. Son influence sur l’Antiquité et le Moyen-âge demeure
indéniable. Et des penseurs chrétiens, tels Saint Augustin s’inspirant de
sa philosophie, et ont tenté de la confondre avec le christianisme.

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XENOPHON

1. Vie de Xénophon (v. 430-354 av. J.-C.)

Xénophon, né à Athènes vers 430 av. J.-C., est un historien,


philosophe, militaire et disciple de Socrate. Issu d’une famille aisée, il a
reçu une éducation de noble athénien et a participé activement à la vie
politique et militaire de son temps. Contrairement à d'autres disciples de
Socrate, Xénophon a mené une carrière militaire, en particulier à la tête
des Dix Mille, une armée de mercenaires grecs en expédition en Perse,
une aventure qu'il relate dans « l'Anabase ».

Il a vécu pendant la guerre du Péloponnèse et a pris part aux


guerres civiles grecques. En raison de ses positions pro-spartiates,
notamment son soutien au roi Agésilas, il fut exilé d’Athènes et vécut à
Sparte. Cependant, son exil ne l’a pas empêché de jouer un rôle influent
dans la sphère littéraire et philosophique de son époque.

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2. Œuvres principales
L’Anabase : Récit de son expédition avec les Dix Mille, où
Xénophon narre les péripéties des mercenaires grecs qui, après la mort
de Cyrus le Jeune, doivent revenir en Grèce à travers des territoires
hostiles.

 Les Mémorables (Apomnêmoneumata) : Dialogues socratiques


qui visent à défendre la mémoire de Socrate et à montrer sa
vertu.
 L’Œconomicus : Dialogue sur la gestion des affaires
domestiques et rurales, un traité sur l’art de gérer un
domaine agricole.
 L'Agésilas : Éloge du roi spartiate Agésilas, dont Xénophon
admirait les vertus.
 La Cyropédie : Un traité en forme de biographie idéalisée de
Cyrus le Grand, qui présente un modèle de souverain juste et
éclairé.
 L'Hipparque et Le Commandant de cavalerie : Textes
techniques destinés aux officiers militaires.

3. Pensée de Xénophon

La pensée de Xénophon est pragmatique, fortement influencée par


ses expériences militaires et son admiration pour les systèmes politiques
spartiates et perses. Ses œuvres, notamment L'Anabase et La Cyropédie,
révèlent une vision idéaliste du chef, mettant en avant des qualités telles
que la justice, le pragmatisme, et le sens de l’ordre.
Xénophon s'intéresse particulièrement à la notion de leadership,
qu'il traite sous divers aspects : militaire, domestique (avec
l’Œconomicus), et politique (avec la Cyropédie). Il est aussi préoccupé
par la morale pratique, en accord avec l'enseignement de Socrate, mais
avec une approche plus concrète et axée sur l'action.

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Son approche est souvent plus accessible que celle de Platon. Il


cherche à montrer que la vertu et l’efficacité dans la gestion des affaires
humaines sont réalisables à travers un leadership éclairé.

4. Comparaison avec Socrate

A. Ressemblances :
- Intérêt pour la vertu : Comme Socrate, Xénophon est préoccupé
par la question de la vertu et par la manière dont elle peut être
inculquée. Les dialogues socratiques qu'il rédige (notamment dans
les Mémorables) reflètent sa volonté de présenter Socrate comme
un modèle moral et philosophique.
- Éthique pratique : Tous deux valorisent une approche pratique de
la morale. Xénophon montre un Socrate préoccupé par l'application
quotidienne de la vertu.
- Leadership éclairé : Socrate et Xénophon partagent une vision
d'un leadership fondé sur la vertu et l’intelligence. Socrate, dans
certains dialogues platoniciens, explore aussi cette notion, même si
c’est de manière plus abstraite.

B. Divergences :
- Style philosophique : Xénophon est beaucoup plus terre à terre
que Socrate. Là où Socrate (notamment à travers les dialogues de
Platon) tend à pousser la réflexion vers des concepts abstraits,
Xénophon préfère rester dans des considérations pratiques et
concrètes, que ce soit dans la gestion domestique ou dans l’art
militaire.
- Vision politique : Socrate, tel qu’il est présenté chez Platon, est
souvent critique envers la démocratie athénienne, sans toutefois
embrasser explicitement d'autres systèmes. Xénophon, de son côté,
admire profondément la monarchie persane et la discipline
spartiate, allant jusqu’à écrire des œuvres louant ces systèmes.

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- Théorie vs Pratique : Socrate se concentre avant tout sur la


recherche de la vérité par la dialectique, tandis que Xénophon est
un homme d'action, plus intéressé par les applications concrètes
des idées philosophiques. Par exemple, dans L'Œconomicus, il met
en avant la gestion des biens et des terres, domaine qui aurait peu
intéressé Socrate.

5. Conclusion

Xénophon, bien qu’élève de Socrate, a développé une pensée


autonome, marquée par son expérience pratique dans la guerre et la
politique. S’il partage l’intérêt de son maître pour la vertu et la morale,
son approche est plus pragmatique, cherchant des applications concrètes
à des idéaux philosophiques. En cela, il diffère de Socrate, dont la
réflexion tend à être plus spéculative et abstraite. Les deux figures, bien
que liées par l’admiration de Xénophon pour Socrate, incarnent des
manières distinctes de vivre et de penser : l'une plus tournée vers l’action
et le leadership pratique, l'autre vers la quête philosophique.

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ARISTOTE :

1. Vie d'Aristote (384-322 av. J.-C.)

Aristote est né à Stagire, en Macédoine, et devient rapidement l’un


des plus grands philosophes de l'Antiquité grecque. Il entre à l'Académie
de Platon à 17 ans et y reste environ 20 ans, étudiant sous la direction de
Platon. À la mort de Platon, Aristote quitte l’Académie, probablement en
raison de désaccords philosophiques. Il devient ensuite précepteur
d'Alexandre le Grand, ce qui lui permet d'avoir une grande influence
politique et culturelle. Vers 335 av. J.-C., il fonde le Lycée à Athènes, une
école où il enseigne et développe son propre système de pensée.

2. Œuvres d'Aristote
Aristote est un auteur prolifique. Ses écrits couvrent presque tous
les domaines de la connaissance humaine, allant de la logique à la
physique, de l'éthique à la politique, de la métaphysique à la biologie.

 Logique : Organon (ensemble de traités sur la logique)


 Métaphysique : Métaphysique (exploration de l'être, de la
substance et de la cause première)
 Éthique : Éthique à Nicomaque (examen de la vertu, du bonheur et
de la vie morale)
 Politique : Politique (analyse des systèmes politiques et du bien
commun)

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 Poétique : Poétique (réflexions sur la tragédie et la littérature)


 Physique et biologie : divers traités sur la nature et les êtres vivants

3. Sa pensée
Aristote aborde la philosophie de manière empirique, en s'appuyant
sur l'observation de la réalité. Contrairement à Platon, il accorde une
grande importance au monde sensible.
En Métaphysique : Il développe la notion de substance et de cause.
Chaque être possède une essence (sa nature propre) et son devenir est
orienté par quatre causes : matérielle, formelle, efficiente et finale.
En Éthique : pour Aristote, la vertu réside dans le juste milieu (méson),
entre l'excès et le manque. Le but ultime de la vie humaine est l'atteinte
du bonheur (eudaimonia), par l'accomplissement des vertus.
En Politique : L'homme est un animal politique (zoon politikon), c'est-à-
dire qu'il ne peut réaliser son potentiel qu'au sein de la communauté. La
meilleure forme de gouvernement est celle qui vise le bien commun.
En Logique : Aristote est à l'origine de la logique formelle, avec des
concepts comme le syllogisme, qui est une forme de raisonnement
déductif.
En Physique et biologie : Il introduit une classification des êtres
vivants, et sa physique cherche à comprendre les mouvements et
transformations dans la nature.

4. La notion de Dieu chez Aristote


La conception de Dieu chez Aristote se trouve principalement dans
son ouvrage Métaphysique. Dieu y est décrit comme une cause première
et un moteur immobile, c'est-à-dire l'origine ultime de tout mouvement et
de toute existence dans l'univers, sans être lui-même soumis au
changement. Cette vision diffère de celle des religions monothéistes et
repose sur une approche philosophique plus abstraite.

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a) Dieu comme "Moteur immobile"


Pour Aristote, tout ce qui existe dans le monde est en mouvement
ou en changement. Cependant, il est nécessaire d'expliquer l'origine de
ce mouvement. Selon lui, il doit exister une cause première, un principe
qui met en mouvement toutes les choses sans être lui-même en
mouvement. C'est ce qu'il appelle le Moteur immobile (kinêtès akinètos).
Le Moteur immobile est la cause ultime de tout changement dans
l'univers, mais il ne change pas lui-même. Il est éternel, immuable, et
indépendant de toute autre chose.

b) Dieu comme cause finale


Aristote envisage Dieu non seulement comme la cause première (ou
efficiente), mais aussi comme la cause finale. Cela signifie que Dieu est le
but vers lequel tout être tend. Les êtres du monde agissent et se meuvent
en vue de réaliser leur perfection, et cette perfection ultime est
représentée par Dieu. Il est le télos (la fin ou la finalité) de tout être,
attirant toutes les choses vers lui comme un aimant.
Cependant, cette attirance n’est pas physique. Les êtres se dirigent vers
leur perfection en imitant, ou en cherchant à refléter, la perfection divine.

c) Dieu comme pensée pure


Aristote définit Dieu comme pensée pensante (noesis noeseos),
c'est-à-dire une intelligence pure. Dieu est l'acte de penser, mais sa
pensée est totalement auto-référentielle. Autrement dit, Dieu pense
uniquement à lui-même, à sa propre perfection. Il n'a pas de
connaissance du monde matériel ou des individus, car ces choses sont
changeantes et imparfaites. Dieu est donc une pensée parfaite, qui se
pense elle-même de manière continue et éternelle.
Acte pur : Aristote décrit Dieu comme étant l'acte pur (energeia), sans
aucune potentialité. Contrairement aux êtres matériels qui ont le
potentiel de changer et de se réaliser, Dieu est toujours en acte, c'est-à-
dire dans sa pleine réalisation.

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d) Différence avec les conceptions théologiques monothéistes


La conception aristotélicienne de Dieu diffère notablement des
conceptions des religions monothéistes (comme dans le christianisme, le
judaïsme ou l’islam) :
Dieu n'est pas créateur : Chez Aristote, Dieu n’a pas créé le monde. Le
monde est éternel et en mouvement perpétuel. Dieu n’a pas d’implication
directe dans les affaires du monde ou des êtres humains.
Dieu est impersonnel : Le Dieu d'Aristote ne se soucie pas du monde ou
des hommes, car il est pure pensée et n'a d'intérêt que pour lui-même. Il
ne peut pas aimer ou interagir avec les êtres, contrairement au Dieu
personnel des religions monothéistes qui intervient dans l'histoire et
entretient une relation avec ses créatures.

En résumé, pour Aristote, Dieu est le Moteur immobile, la pensée


pure qui pense à elle-même, et la cause finale de tout mouvement et
changement dans l'univers. Il n'est pas un être personnel ou créateur,
mais plutôt une perfection abstraite et immuable, vers laquelle tend tout
ce qui existe dans le monde. Cette vision est plus métaphysique que
théologique, centrée sur l'explication du mouvement et de l'ordre
cosmique.

5. La théorie de la substance et des causes


La théorie de la substance et des causes d'Aristote est l'un des
aspects fondamentaux de sa Métaphysique. Elle repose sur la tentative de
comprendre ce qu'est la réalité profonde des êtres, ce qui les définit et
explique leur existence et leur changement.

a) La notion de substance
Pour Aristote, la substance (ousia) est ce qui fait qu'un être est ce
qu'il est. C'est l'élément fondamental de la réalité, l'essence même d'une
chose. La substance combine deux éléments essentiels :
La matière : Ce qui compose physiquement l'objet ou l'être.

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La forme : Ce qui donne à l'objet ou à l'être sa nature propre, sa


structure et son organisation.
Par exemple, une statue est faite de matière (le marbre, le bronze, etc.) et
de forme (la forme de l'objet représenté). Pour Aristote, la substance est
l’union de ces deux aspects : la matière seule ne suffit pas à définir la
statue sans la forme, et inversement.

b) Les quatre causes


Aristote introduit la notion de quatre causes pour expliquer le
devenir et l'existence des êtres. Ces causes permettent de comprendre
pourquoi une chose existe et comment elle se transforme.
 La cause matérielle
La cause matérielle est ce dont une chose est faite, la matière qui
compose l'objet. Par exemple, pour une statue, la cause matérielle est le
marbre ou le bronze.
 La cause formelle
La cause formelle est ce qu'une chose est en soi, sa forme ou
essence, qui lui donne son identité. C'est la structure ou le modèle d'une
chose. Pour la statue, la cause formelle est la forme de la sculpture (par
exemple, la forme d'un personnage).
 La cause efficiente
La cause efficiente est le principe du changement ou du
mouvement, c’est-à-dire l'agent qui produit l'objet. Dans le cas de la
statue, la cause efficiente serait le sculpteur, celui qui façonne la matière
pour lui donner une forme.
 La cause finale
La cause finale est le but ou la fin pour laquelle une chose existe ou
est produite. C’est la raison d’être de la chose. Pour la statue, la cause
finale pourrait être la décoration, la commémoration, ou tout autre
objectif pour lequel elle a été créée.

Exemple concret : La statue

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Pour résumer, prenons l'exemple d'une statue pour illustrer les


quatre causes :
Cause matérielle : Le marbre dont est faite la statue.
Cause formelle : La forme de la statue (par exemple, celle d'un
personnage historique).
Cause efficiente : Le sculpteur qui a sculpté la statue.
Cause finale : La raison pour laquelle la statue a été créée (par exemple,
honorer un héros ou embellir un jardin).

6. Le devenir des êtres : la finalité (télos)


Aristote accorde une grande importance à la cause finale, qu'il
appelle aussi télos. Pour lui, chaque être a une fin, un but vers lequel il
tend naturellement. Le devenir d'un être est donc orienté par cette cause
finale. Par exemple, la graine d’un arbre possède en elle la capacité et la
tendance à devenir un arbre. Ce processus de réalisation de sa forme
finale est inscrit dans la nature de la graine, et c'est cette finalité qui
guide son développement.
Ainsi, Aristote propose une vision téléologique de la nature, où chaque
être ou phénomène est orienté vers une fin naturelle ou un
accomplissement.

7. La classification des êtres vivants chez Aristote


La classification des êtres vivants proposée par Aristote est l'une
des premières tentatives systématiques de regrouper les organismes en
fonction de leurs caractéristiques. Bien qu'elle ne soit pas aussi précise
que les systèmes modernes de classification, elle a été très influente dans
l'histoire des sciences naturelles. Aristote a basé cette classification sur
l'observation empirique de la nature, ce qui est une méthode novatrice
pour l'époque.

a) Les principes de base de la classification


Aristote classifie les êtres vivants en fonction de plusieurs critères
observables :

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La complexité et le degré de perfection : Aristote pensait que les êtres


vivants pouvaient être rangés en fonction de leur degré de complexité, de
leur capacité à percevoir et à bouger, et de leur capacité à se reproduire.

b) Les trois catégories principales


Aristote divise les êtres vivants en trois grandes catégories :
 Les plantes (phyta) : Ce sont des êtres vivants qui, selon Aristote,
ont la capacité de se nourrir et de se reproduire, mais ils ne
peuvent pas se déplacer ni percevoir. Les plantes sont considérées
comme des êtres vivants inférieurs car elles n’ont pas d’âme
sensible.

 Les animaux (zôa) : Les animaux, en revanche, possèdent une âme


sensible, ce qui leur permet de percevoir leur environnement et de
se mouvoir. Aristote classe les animaux en fonction de divers
critères comme la présence de sang, le mode de reproduction, la
forme des organes, etc. Une distinction importante est faite entre :
Les animaux à sang rouge (vertébrés), comme les poissons, les
oiseaux, et les mammifères. Les animaux sans sang rouge
(invertébrés), comme les insectes, les mollusques, et les crustacés.

 Les humains (anthrôpoi) : Les humains occupent une place spéciale


dans la classification aristotélicienne. Ils sont considérés comme les
êtres les plus complexes et les plus "parfaits" car, en plus des
caractéristiques des animaux, ils possèdent une âme rationnelle.
Cette âme rationnelle leur permet de penser, de raisonner, et de
parler.

c) Les âmes et le mouvement des êtres vivants


Aristote distingue également les êtres vivants en fonction de leur
type d’âme, qui détermine leurs fonctions et capacités :
 Âme végétative (plantes) : Permet la croissance, la nutrition et la
reproduction.

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 Âme sensible (animaux) : En plus des fonctions végétatives, elle


permet la perception et le mouvement.
 Âme rationnelle (êtres humains) : Elle inclut les fonctions
végétatives et sensibles, mais elle permet également la réflexion et
la raison.

d) Le concept d'échelle des êtres (scala naturae)


Aristote propose une échelle des êtres vivants, aussi connue sous le
nom de scala naturae (ou "échelle de la nature"). Selon ce concept, les
êtres vivants sont organisés de manière hiérarchique, du plus simple au
plus complexe. À la base de l’échelle se trouvent les plantes, suivies par
les animaux, et au sommet, les humains.
Cette échelle repose sur l'idée que certains êtres sont plus
"parfaits" que d'autres en fonction de leurs capacités et de la complexité
de leur organisation interne. Les animaux qui ont une capacité de
perception plus développée (comme les vertébrés) sont considérés
comme plus "élevés" que ceux qui n’ont que des perceptions
rudimentaires (comme les invertébrés). Les humains sont au sommet car
ils possèdent une raison, ce qui les distingue de tous les autres êtres.

8. Les critiques et limites de la classification aristotélicienne

La classification d’Aristote, bien qu'avancée pour son époque,


comporte plusieurs limites :
 Manque de précision : De nombreux critères qu'il utilise pour
classer les animaux (comme la présence de sang rouge) sont
aujourd'hui considérés comme insuffisants pour établir des
catégories biologiques.
 Absence d’évolution : Aristote ne conçoit pas les espèces comme
évolutives. Il les voit comme fixes et immuables, chaque espèce
ayant une nature propre.

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Cependant, sa classification et son approche de la biologie sont à l'origine


de l'étude systématique des êtres vivants et ont influencé la science
pendant des siècles.
9. Ses méthodes

Observation et empirisme : Aristote privilégie l'étude empirique et


l'observation du monde naturel, ce qui contraste avec l’approche plus
abstraite et idéaliste de Platon. La méthode empirique suit généralement
le processus suivant :
- Observation : observation des phénomènes naturels ou sociaux.
- Hypothèse : formuler une hypothèse pour une expliquer ce qui est
observé.
- Expérience : tester cette hypothèse par des expériences ou des
observations supplémentaires.
- Conclusion : tirer des conclusions basées sur les résultats observés.
Ces conclusions doivent être vérifiables et reproductibles. Cette
méthode est utilisée dans plusieurs sciences telles que la biologie et
la physique.
Rigueur logique : Il développe des outils pour une analyse rigoureuse des
raisonnements, notamment avec le syllogisme et la classification des
sciences.

10. Comparaison avec Platon : Convergences et


Divergences

Convergences :
- L'importance de la raison : Aristote et Platon croient tous deux en la
capacité de la raison à comprendre le monde et à guider l'action
humaine.
- La quête du bien commun : Ils s'accordent sur l'importance de la
justice et du bien dans la vie politique et individuelle.

Divergences :

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- Métaphysique : Platon postule l'existence de deux mondes : le


monde sensible, imparfait et changeant, et le monde des Idées,
parfait et éternel. Aristote rejette cette dualité et affirme que la
réalité est dans les objets sensibles eux-mêmes, qui possèdent en
eux leur forme et leur matière.
- Connaissance : Pour Platon, la connaissance véritable vient de la
contemplation des Idées, accessibles par l'intellect. Aristote, lui,
croit que la connaissance provient de l'observation et de
l'expérience du monde concret.
- Politique : Aristote critique la vision utopique de Platon sur la cité
idéale, notamment l’idée que les philosophes doivent être rois. Il
propose plutôt un gouvernement modéré, fondé sur des principes
pratiques.

11. Conclusion
Aristote se distingue par son approche empirique, sa rigueur
logique et son désir d’organiser la connaissance en systèmes cohérents.
Contrairement à Platon, qui valorise les Idées immatérielles, Aristote
privilégie le monde sensible et les observations de la nature. Leur
opposition symbolise deux grandes tendances philosophiques : le
rationalisme idéaliste de Platon et l'empirisme réaliste d'Aristote.
La théorie de la substance et des quatre causes d’Aristote vise à
offrir une explication complète de la réalité. Chaque être ou phénomène
est défini par une combinaison de matière et de forme, et son existence et
son devenir sont déterminés par quatre causes : matérielle, formelle,
efficiente et finale. Cette approche est fondamentale pour comprendre
comment Aristote perçoit le monde, en le considérant non seulement en
termes de ce qu'il est, mais aussi de ce qu'il tend à devenir.

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René Descartes
(La valeur de la connaissance)

1. vie et œuvres
René Descartes est venu au monde le 31 mars 1596 à la Haye en
France. À 8 ans, il va fréquenter le collège royal de la Flèche chez les
pères Jésuites où il apprend la philosophie, les mathématiques et
l'algèbre. Malgré les qualités intellectuelles de ces maîtres, il quitta. Il
estime n'avoir pas trouvé la vérité absolue dans ses enseignements
(scolastique). Il va rechercher cette vérité dans « les grands livres du
monde », et dans la réflexion personnelle. Toujours insatisfait, il s'engage
dans l'armée et c'est dans sa chambre de militaire qu'il mit au point sa
célèbre œuvre “Discours de la méthode” où il raconte ses années
d'études et sa déception. Accusé de détourner la jeunesse de la saine
philosophie, Il s'est exilé en Suède où il se met au service de la reine
Christine pour lui apprendre sa philosophie. C'est en allant philosopher
avec son élève qu'il a trouvé la mort le 11 février 1650 à Stockholm
(Suède).

philosophe français, père de la philosophie moderne, il a eu un


esprit universel ( philosophe, mathématicien, physicien, homme de droit),
Descartes à laisser des écrits dans plusieurs domaines : en physique, en
géométrie, en mécanique, en logique, en moral, mais c'est le discours de
la méthode qui reste son chef-d'œuvre, sa première œuvre écrite en
français, dans son intégralité : “ les discours de la méthode pour bien
comprendre la raison et chercher la vérité dans les sciences » en 1637.
On peut citer d'autres œuvres :
 Méditation métaphysique (1641) ;
 Principe de la philosophie (1644) ;

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 Traité du monde (1629) ;


 Diopriques et Météore (1637) ;
 Des passions (1649).
2. Pensées de Descartes
2.1. Problème de la certitude
Descartes pose le problème de la certitude dans la connaissance,
comment peut-on arriver à la vérité dans notre savoir, comment faut-il la
comprendre pour arriver à la vérité ? Il a constaté que toutes les
connaissances philosophiques des anciens inspiraient le doute, une
remise en question. Malgré son caractère très étendu, le doute cartésien
n'a rien de fantaisiste. Ce n'est pas non plus le doute sceptique (du
scepticisme ou pyrrhonisme fondé par le philosophe grec Pyrrhon au 4e-
3e siècle avant Jésus-Christ),qui stipule que l'homme est dans
l'impossibilité d'atteindre toute la vérité. Chez Descartes, le doute est une
méthode, un moyen pour accéder à la vérité indubitable, indiscutable.
C’est pourquoi on l'appelle toute méthodique. Il est provisoire, volontaire,
systématique, universel...

2.2. Le doute méthodique


Descartes pose le doute méthodique comme point de départ de la
recherche de la vérité dans la connaissance. On les qualifie de méthode
dans la mesure où il privilégie la « vérification » de toute connaissance.
Le doute est donc le moyen (la voie) pour découvrir la vérité
fondamentale. mettre tout en doute, mais ne retenir que l'indubitable (le
vrai qui peut être remis en doute. ) Les doutes montrent les raisons qui
font qu'on puisse douter non seulement des choses sensibles, mais aussi
des équations mathématiques parce qu'un " malin génie”, comme le dit
Descartes, peut user de toute sa puissance pour me tromper dans les
choses que je crois les mieux connaître ». Il propose qu'on doute de tout :
les sens, les opinions, l'imagination et la pensée qui peuvent parfois se
tromper. Les opinions personnelles nécessitent aussi un doute. Ainsi, à
toute connaissance, Descartes suspend provisoirement son adhésion pour
s'efforcer de trouver des preuves irréfutables et solides. Le principe du

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doute consiste à rejeter comme absolument faux tout ce en quoi il perçoit


le moindre doute. À la fin du doute, après vérification c'est la « certitude
», la certitude absolue, étant qu'elle est impliquée par le doute lui-même.
C'est pourquoi la première certitude est qu'il se découvre pensant : « je
pense donc je suis ou le cogito ergo sum ». La seule chose que Descartes
ne peut pas remettre en doute, c’est le fait de douter. Or, pour douter, il
faut penser, et pour penser, il faut exister. C’est ainsi qu’il arrive à cette
première certitude : le fait même qu’il est en train de penser prouve qu’il
existe.

2.3. La vérité fondamentale ou première certitude


Pendant que le doute de tout, Descartes s'aperçoit qu'il y a au
moins une chose dont on ne peut douter : c'est l'existence de celui qui
emploie le doute comme méthode ou comme moyen pour atteindre la
vérité. Aussi, pose-t-il le « je pense donc je suis » (cogito ergo sum).
L’existence du sujet « pensant » ou « doutant » est une vérité indubitable,
une évidence. Cette dernière, n'est pas le fruit d'une déduction, mais
d'une intuition profonde : puisqu'on ne peut pas penser sans exister, c'est
lui qui pense existe indubitablement, indiscutablement. Donc, la
conscience de soi est le fondement à partir duquel Descartes peut
construire d'un seul tenant toute sa philosophie.

2.4. Le critère suprême de vérité : l'idée claire et distincte


Ayant découvert la première certitude, l'existence indiscutable du
sujet pensant, des cartes considèrent que l'idée claire et distincte est
vraie et ne peut être mise en doute. Ce critère est ainsi formulé : « tout ce
que nous concevons fort clairement et fort distinctement et vrai ». Ainsi
dans le « je pense donc je suis », l'évidence est que je conçois clairement
et distinctement que pour penser il faut être, c'est-à-dire l'idée claire et
distincte demeure le centre de toute la philosophie de Descartes.

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2.5. La véracité de Dieu


Descartes révèle que parmi toutes les idées claires et distinctes
présentes dans l'homme, il y en a une tout à fait extraordinaire, c'est celle
de perfection et d'infini. Comme toutes les idées claires et distinctes,
celle-ci est innée. Puisque l'homme est un être imparfait, cette idée de
perfection ne peut donc venir de lui-même, mais d'un être parfait
supérieur à l'homme, qui a pu la mettre en lui avant sa naissance et qui
est même l'auteur de son être. Cet être ne peut être que Dieu. En plus,
comme Dieu, Être parfait, ne peut ni être trompé, ni se tromper, ni nous
tromper, toutes les idées claires et distinctes qu'il a mises en nous sont
garanties par sa véracité et sont par conséquent, vraies.

3. La méthode cartésienne
Descartes a beaucoup apprécié la méthode mathématique : « je me
plaisais surtout aux mathématiques à cause de la certitude et de
l'évidence de leur raison », dit-il. Seulement, la méthode mathématique,
en dépit de sa rigueur, n'a jamais pu être appliquée à d'autres domaines.
C'est pourquoi il va lui-même imaginer une méthode qui pourrait
s'appliquer à tous les domaines et qui sera appelée méthode universelle.
Lui-même définit la méthode comme « un ensemble de règles certaines et
faciles, par l'observation exacte, desquelles on sera certain de ne prendre
jamais le faux pour le vrai… ». Aussi définit-il quatre règles à sa
méthode :

1. La règle d'évidence
L'évidence, c'est ce qui est clair et distinct, c'est-à-dire ce qui
résiste à l'épreuve du doute. Pour atteindre l'évidence, il faut notamment
éviter soigneusement la précipitation et la prévention. Car, selon des
cartes, il ne faut rien admettre qu'il ne soit absolument évident, sans
penser au moindre doute. Cette règle marque le rôle de l'instruction
intellectuelle dans la philosophie cartésienne ;

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2. La règle d'analyse
Elle veut que chaque problème soit divisé en autant de parties qu'il
serait plus facile et plus aisé d'étudier et de mieux comprendre. C’est la
décomposition d'un tout en ces éléments ;
3. La règle de synthèse
Elle veut que nos pensées soient conduites en ordre, en étudiant les
parties ainsi diviser (dans l'analyse) des plus faciles au plus difficiles, des
plus simples au plus composés. Il s'agit ainsi d'avoir une vue synthétique
ou globale et chercher les liens entre les différentes parties. C’est
conduire un tout par les éléments les plus simples pour terminer par les
éléments complexes.
4. La règle de numération (ou dénombrement)
Il s'agit d'une étape de vérification pour s'assurer que rien n'a été
omis aussi bien dans l'analyse que dans la synthèse. C'est faire un
inventaire total des éléments. Cette méthode cartésienne deviendra
célèbre dans les siècles ultérieurs parce qu'elle représentait pour ces
siècles un véritable manifeste du libre examen et du rationalisme.
N.B.
* Libre examen : Descartes affirme, par sa méthode,
l'indépendance (la liberté) de la raison et le rejet de toute forme
d'autorité.
* Le rationalisme : nous arrivons à l'évidence par la raison et non
par le sens ni par l'expérience.

5. Le dualisme cartésien
Descartes distingue deux entités séparées ; l'âme et le corps, c'est-
à-dire la substance pensante (l'âme) et la substance étendue (le corps),
qui forment deux mondes séparés, juxtaposés, de natures différentes.
L'âme est le siège des pensées, alors que le corps est une machine
comme cette montre qu'on peut réparer lorsqu'elle se détraque (ce serait
là l'origine de la médecine moderne).

Conclusion :

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A. Importance de Descartes
1. Descartes à poser le problème critique dans toutes ses
dimensions. opposé à la médiocrité intellectuelle, il a mis en
exergue la réflexion critique et la culture du jugement pour
rechercher passionnément et atteindre la vérité ;
2. Génie mathématicien, Il est le fondateur de la géométrie analytique
(qui permet de résoudre par l'algèbre des problèmes de géométrie)
et ajouter les bases, c'est-à-dire poser les règles d'une recherche
scientifique crédible et rigoureuse ;
3. En posant avec rigueur, avant tout le monde, le problème de la
valeur de la connaissance, il a fait que sa philosophie peut être
considéré comme la première synthèse de la vie intellectuelle à
l'époque moderne, véritable révolution de la pensée qui met fin à
tous les dogmatismes (à la base du discrédit d'Aristote : « Aristote a
dit, magister dixit : le maître a dit »). Voilà ce qui a fait qu'il soit
reconnu comme le père fondateur de la philosophie moderne.

B. Les faiblesses de Descartes


La priorité du sujet pensant ("Cogito") :

1. Bien que la certitude du "Je pense, donc je suis" soit fondamentale


dans la pensée de Descartes, certains philosophes, comme
Heidegger ou Merleau-Ponty, ont critiqué cette approche en
mettant l'accent sur l'importance du corps et du monde dans la
constitution du sujet. Selon eux, Descartes privilégie une vision
abstraite du sujet, séparée du monde, alors que l’être humain est
toujours engagé dans un rapport concret avec le monde, par le biais
de son corps ;

2. Descartes soutient que les idées claires et distinctes, dans l'idée de


perfection présente dans l'homme, prouvent l'existence de Dieu. Et
c'est Dieu qui garantit la véracité des idées claires et distinctes qu'il
a mises dans l'homme. Cependant, cette démonstration a été
critiquée pour sa pétition de principe, c'est-à-dire qu'il suppose
implicitement ce qu'il cherche à prouver. Descartes utilise la
certitude des idées claires et distinctes pour prouver l'existence de
Dieu, mais il a déjà besoin de la véracité de Dieu pour garantir la

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certitude de ces idées. Cette circularité est connue sous le nom de


"cercle cartésien".

3. Le dualisme cartésien : Descartes soutient que l’esprit et le corps


sont deux substances distinctes. Cependant, une des critiques
majeures est la difficulté d'expliquer comment deux substances
aussi différentes peuvent interagir. Si l’esprit est immatériel et le
corps matériel, comment peuvent-ils avoir une influence mutuelle ?
Cette question, appelée le "problème de l’interaction", reste non
résolue dans le système cartésien. Spinoza, un philosophe
postérieur, proposera une solution en rejetant le dualisme et en
adoptant le monisme, affirmant que l’esprit et le corps sont deux
aspects d’une même réalité.

4. En voulant tout démontrer par la raison, Descartes à oublier les


limites de celle-ci que lui impose le réel. Le doute méthodique de
Descartes est souvent vu comme un outil puissant pour rejeter les
croyances infondées. Cependant, certains critiques affirment qu'il
mène à un scepticisme excessif, difficile à dépasser. Par exemple, le
doute de Descartes inclut l'idée d'un "génie malin" qui pourrait
tromper l’esprit sur toute réalité, ce qui entraîne une vision du
monde où même les vérités évidentes ne peuvent être acceptées
sans une justification extérieure (comme l’existence de Dieu). Cette
approche, bien qu'intellectuellement rigoureuse, est parfois jugée
impraticable pour fonder une connaissance fiable.

Ces critiques n’enlèvent pas l’importance historique de la pensée de


Descartes, mais elles soulignent les défis que ses idées ont rencontrés au
fil du temps et dans le développement ultérieur de la philosophie.

L’EXISTENTIALISME OU PHILOSOPHIE
EXISTENTIELLE
INTRODUCTION

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Définition:
L'existentialisme est un courant philosophique qui place l'existence
humaine et l'expérience individuelle au centre de la réflexion. Il
s'intéresse à des questions comme le sens de la vie, la liberté, l'angoisse,
et l'authenticité. Voici un aperçu de l'existentialisme :

Origine :
L'existentialisme prend ses racines dans les écrits de philosophes
du 19e siècle comme Søren Kierkegaard et Friedrich Nietzsche, mais il
s'épanouit surtout au 20e siècle avec des penseurs comme Jean-Paul
Sartre et Simone de Beauvoir. Le mouvement est né en réaction au
rationalisme dominant et à la philosophie de l’essence, qui supposait une
nature humaine prédéterminée.

Initiateur :
Søren Kierkegaard (1813-1855), souvent considéré comme le père
de l'existentialisme, est un penseur chrétien. Il a introduit l'idée que
l'individu doit faire face à l'angoisse existentielle pour trouver son propre
chemin, notamment à travers le saut de la foi religieuse.

Courants existentialistes :

1. L'existentialisme athée :
Jean-Paul Sartre et Albert Camus sont les figures majeures de ce
courant.
Sartre prône que, "l'existence précède l'essence", signifiant que l'individu
doit créer son propre sens à la vie à travers ses choix et ses actions. Cela
signifie qu'il n'y a pas de nature humaine préétablie, et que chaque
individu est responsable de ses actions. Cette liberté totale engendre
l'angoisse, mais aussi la possibilité de vivre de manière authentique.
Albert Camus explore des thèmes similaires, notamment dans Le Mythe
de Sisyphe, où il aborde l'absurdité de la condition humaine. Cependant,
Camus ne se définit pas directement comme existentialiste.

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2. L'existentialisme chrétien :
Søren Kierkegaard et Gabriel Marcel sont les figures majeures de
ce courant.
Kierkegaard soutenait que le sens de la vie humaine se trouve dans la
relation individuelle avec Dieu, marquée par des moments d'angoisse
existentielle. Pour lui, la foi est un saut irrationnel mais nécessaire dans
l'inconnu.
Gabriel Marcel, philosophe catholique, mettait l’accent sur l’existence en
tant que relation avec autrui et avec Dieu, valorisant l’amour, la
communion, et l’espoir.

Méthode :
L'existentialisme n'a pas une méthode systématique comme
certaines autres écoles philosophiques. Il se distingue par son approche
phénoménologique (description de l'expérience subjective) et par un
intérêt marqué pour l'individu. Les existentialistes utilisent souvent la
littérature, les essais, et le théâtre pour explorer des concepts
philosophiques, comme le montrent Sartre dans ses pièces Huis Clos ou
Les Mouches, et Camus dans L'Étranger.

Pensée centrale :
 Liberté et responsabilité : L'homme est libre de ses choix, mais
cette liberté est également un poids car elle entraîne une
responsabilité totale de ses actes.
 L'absurde : La vie n’a pas de sens intrinsèque, mais l’individu doit
continuer à vivre malgré cette absence de but.

 Authenticité : L'existentialisme insiste sur la nécessité de vivre


authentiquement, c'est-à-dire d'assumer sa liberté et de ne pas se
cacher derrière les conventions sociales ou les croyances figées.
 L'angoisse : L'existence humaine est marquée par l'angoisse, une
sorte de vertige face à la liberté totale et au manque de sens.

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Conclusion :
L'existentialisme, dans ses versions athée et chrétienne, interroge
profondément la condition humaine. Il invite à une prise de conscience de
la liberté individuelle, de la responsabilité qui en découle, et du défi de
créer du sens dans une existence parfois perçue comme absurde.

JEAN-PAUL SARTRE (21 juin 1905 - 15 avril 1980)

1. Vie de Jean-Paul Sartre


L'enfance de Jean-Paul Sartre a été marquée par plusieurs
événements qui ont eu une influence sur sa vie et sa pensée
philosophique.

a. Naissance et famille
Jean-Paul Sartre est né le 21 juin 1905 à Paris dans une famille
bourgeoise. Son père, Jean-Baptiste Sartre, était officier dans la marine,

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mais il est décédé alors que Jean-Paul n'avait que 15 mois. Sartre fut
donc élevé principalement par sa mère, Anne-Marie Schweitzer, issue
d'une famille intellectuelle alsacienne, et qui était la cousine d'Albert
Schweitzer, le célèbre médecin et théologien. La mort précoce de son
père a laissé un vide dans sa vie, et Sartre a toujours ressenti le manque
de cette figure paternelle.

b. Rapport à sa mère et sa famille maternelle


Après la mort de son père, Sartre et sa mère ont déménagé chez les
grands-parents maternels, les Schweitzer, à Meudon. Son grand-père,
Charles Schweitzer, était un professeur de langue allemande strict et
cultivé. Sartre a développé une relation très proche avec sa mère, mais il
a souvent évoqué une enfance isolée et solitaire, où il se sentait surveillé
et protégé de manière excessive par sa famille. Il voyait son grand-père
comme une figure autoritaire, mais aussi comme un modèle intellectuel.

c. Éducation et amour des livres


Très jeune, Sartre a montré un vif intérêt pour la lecture et les
livres. Son grand-père, un homme lettré, l’encourageait à lire et à se
plonger dans la littérature. Sartre se réfugiait souvent dans les livres
pour échapper à la réalité qui l'entourait. Cette passion précoce pour la
littérature l'a poussé à se tourner vers l'écriture et a profondément
marqué son futur parcours intellectuel et philosophique.

d. Changement de cadre familial


À l’âge de 12 ans, un événement important est survenu dans la vie
de Sartre : sa mère s'est remariée avec Joseph Mancy, un ingénieur. Ce
mariage a provoqué un changement de dynamique familiale et un
déménagement à La Rochelle. Sartre, qui avait jusqu’alors vécu une
relation très fusionnelle avec sa mère, a ressenti ce mariage comme une
trahison, ce qui a généré en lui une certaine forme de révolte. Ce
sentiment d'abandon et cette période de rupture émotionnelle ont
façonné sa vision de la liberté et de l'autonomie.

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e. Isolement et solitude
En raison de sa petite taille et de son apparence physique, Sartre a
souvent été victime de moqueries et d’isolement durant son enfance. Il a
grandi en étant conscient de son physique qu’il qualifiait lui-même de «
laid ». Ce sentiment de solitude et de différence l'a amené à développer
une vie intérieure riche et à se réfugier davantage dans la lecture et
l'introspection, des activités qui lui ont permis de nourrir sa réflexion
philosophique.

f. Influence sur sa philosophie


L'enfance de Sartre, marquée par l'absence de son père, la relation
fusionnelle avec sa mère, et son isolement, a joué un rôle fondamental
dans la formation de sa pensée. Le sentiment d’abandon et de solitude a
été un terreau fertile pour son existentialisme, qui met l’accent sur
l'individu, la liberté et la responsabilité personnelle. Sa quête de sens
face à un monde sans figure paternelle (et donc sans autorité suprême)
est une réflexion qui se retrouve dans ses travaux philosophiques sur
l'absurde, la liberté et l'angoisse existentielle.

Ainsi, cette enfance complexe et marquée par la solitude et


l'introspection a permis à Sartre de développer très tôt une réflexion sur
l'existence, la liberté et le rôle de l'individu dans un monde qui n’offre pas
de sens prédéterminé.

Philosophe, écrivain, dramaturge et critique littéraire, Jean Paul


Sartre a joué un rôle central dans le mouvement existentialiste français et
la philosophie marxiste. Il a étudié à l'École Normale Supérieure, où il a
rencontré Simone de Beauvoir, sa compagne intellectuelle et amoureuse.
Sartre s'est engagé politiquement tout au long de sa vie, soutenant
diverses causes comme l'anticolonialisme et le communisme, bien qu'il ait
toujours gardé une certaine indépendance vis-à-vis des mouvements
politiques.

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2. Œuvres principales et années de publication

Jean-Paul Sartre a produit un grand nombre d’œuvres dans des


genres variés : essais philosophiques, pièces de théâtre, romans, et
articles. Voici quelques-unes de ses œuvres majeures :

 "La Nausée" (1938) – Un roman qui aborde le thème de


l'absurde et de la contingence de l'existence humaine.

 "L'Être et le Néant" (1943) – Son ouvrage philosophique


majeur, dans lequel il expose sa philosophie de
l'existentialisme.

 "Les Mouches" (1943) – Une pièce de théâtre qui revisite le


mythe d'Électre et explore la question de la liberté et de la
culpabilité.

 "Huis clos" (1944) – Une autre pièce de théâtre qui illustre sa


célèbre citation « L'enfer, c'est les autres ».

 "L'existentialisme est un humanisme" (1946) – Un essai qui


résume sa pensée existentialiste de manière accessible.

 "Les Chemins de la liberté" (trilogie publiée entre 1945 et


1949) – Une série de romans traitant de la liberté individuelle
et des engagements politiques.

 "Critique de la raison dialectique" (1960) – Un essai complexe


dans lequel Sartre tente de concilier l'existentialisme avec le
marxisme.

3. Pensée philosophique
Jean-Paul Sartre est le père de l'existentialisme athée, une
philosophie qui met l'accent sur la liberté individuelle, la responsabilité,
et l'angoisse qui en découle.

A. L'existence précède l'essence

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La formule "L'existence précède l'essence" est l'un des concepts


fondamentaux de la philosophie existentialiste de Jean-Paul Sartre. Elle
exprime l'idée que l'être humain n'a pas de nature ou d'essence
prédéfinie avant d'exister, et qu'il est donc responsable de se créer lui-
même à travers ses choix et ses actions. Voici une explication plus
détaillée de cette notion :

L'essence et l'existence : Définition


 Essence :
L'essence désigne l'ensemble des caractéristiques fondamentales
ou la nature d'une chose, ce qui la définit et la rend ce qu'elle est. Par
exemple, pour un objet comme une chaise, son essence précède son
existence. Un artisan conçoit une chaise avec une idée claire en tête de
ce que doit être une chaise (son essence), avant même de la fabriquer
(son existence).
 Existence :
L'existence désigne le fait d'être présent dans le monde, d'avoir une
réalité matérielle. Chez Sartre, l'existence fait référence à l'être de
l'humain, qui est avant tout une réalité vivante et consciente.
b. Inversion de la relation traditionnelle
Dans la philosophie classique (comme chez Aristote ou les penseurs
religieux), on considérait que l'essence des êtres humains était
déterminée à l'avance, soit par Dieu, soit par une nature humaine
universelle. Autrement dit, l'essence précède l'existence : les êtres
humains naissent avec une nature ou un but prédéterminé, et leur
existence consiste à se conformer à cette essence.
Sartre, en tant qu'athée et existentialiste, rejette cette idée. Il
affirme que l'existence précède l'essence dans le cas des êtres humains :
nous existons d'abord, puis nous définissons ce que nous sommes à
travers nos actes. Il n'existe pas de nature humaine universelle ou de plan
prédéfini pour l'individu.

c. L'absence de nature humaine prédéfinie

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Pour Sartre, il n'y a pas de "plan" ou d'essence donnée à l'être


humain par une force extérieure (comme Dieu ou la nature). L'être
humain n'a pas de nature préétablie qui déterminerait ce qu'il doit être
ou comment il doit se comporter. Sartre, en tant qu'athée, souligne l'idée
que, dans un univers sans Dieu, il n'existe aucune raison ou plan
supérieur qui donnerait une essence aux individus.

L'être humain est un projet : Chaque individu est un projet en


cours de réalisation. Il n'est pas défini par une nature fixe ou des
caractéristiques immuables, mais par les choix qu'il fait au fil de son
existence. C'est en agissant, en choisissant, et en se projetant vers
l'avenir que l'humain construit son essence.

B. La liberté comme socle de l'existence

Chez Jean-Paul Sartre, la liberté est un concept central de sa


philosophie existentialiste. Pour lui, l'homme est radicalement libre, mais
cette liberté entraîne une lourde responsabilité et souvent une angoisse
existentielle.

a. Liberté par rapport à soi-même


Sartre affirme que l'humain est libre par rapport à lui-même, dans
le sens où l'existence précède l'essence. Cela signifie que nous n'avons
pas d'essence ou de nature prédéfinie : nous ne sommes pas déterminés à
être quelque chose de particulier dès la naissance. Au contraire, nous
devons choisir ce que nous voulons devenir à travers nos actions.
Choix de soi : Chaque individu doit se créer à travers ses
décisions. Il n'y a pas de nature humaine fixe ou d'essence qui dicte ce
que nous devons faire. Cela nous rend libres de déterminer notre propre
existence.
La mauvaise foi : Cependant, cette liberté peut être source
d'angoisse. Sartre introduit le concept de "mauvaise foi" pour désigner la
tendance qu'ont les individus à se mentir à eux-mêmes en prétendant

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qu'ils ne sont pas libres, qu'ils sont déterminés par leur situation, leur
nature, ou les attentes sociales. Par exemple, quelqu'un pourrait dire : "Je
n'ai pas le choix", pour se déresponsabiliser. En réalité, selon Sartre,
même dans des situations contraignantes, nous restons libres de nos
décisions. Ainsi, Sartre qualifie celui qui ne reconnait pas sa liberté et
celle des autres de « salaud » ; et celui qui, au nom de son rang social
nie sa propre liberté de « lâche ».

b. Liberté par rapport au monde


Sartre soutient également que l'homme est libre par rapport au
monde, dans le sens où il projette du sens et des valeurs sur le monde à
travers sa conscience. Le monde, tel qu'il est, n'a pas de sens objectif ou
de signification intrinsèque : c'est l'humain, en tant que conscience, qui
donne une signification aux objets, aux situations, et à son existence.

Conscience et projet : La conscience humaine, ou le "pour-soi",


est toujours en mouvement, toujours en projet vers l'avenir. L'homme
n'est pas déterminé par ce qu'il est à un moment donné, mais il se
projette dans ses possibilités futures. Cette capacité à se projeter fait de
nous des êtres fondamentalement libres.

La contingence du monde : Pour Sartre, le monde et les objets


qui le composent sont "en-soi", c'est-à-dire qu'ils existent simplement,
sans raison ou but transcendant. Nous sommes libres d'interagir avec ce
monde et de lui donner du sens selon nos choix et nos projets. En ce sens,
le monde n'impose pas de contraintes fixes ou définitives sur l'individu,
sauf celles que nous choisissons de reconnaître ou d'accepter.

c. Liberté absolue
Sartre va plus loin en affirmant que la liberté humaine est absolue,
même si elle est angoissante. Cela signifie que, quoi qu'il arrive, l'individu
est toujours libre de ses choix et de ses actions, même face à des
contraintes externes ou à des situations difficiles. Il n'y a pas de

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déterminisme psychologique, social, ou biologique qui puisse excuser un


individu de ses responsabilités.

Condamnation à la liberté : Sartre dit que l'homme est


"condamné à être libre". Cette phrase signifie que, même si l'on voudrait
parfois échapper à la liberté et aux responsabilités qu'elle implique, il est
impossible d'y échapper. Même ne pas choisir est un choix, ce qui rend la
liberté inévitable.

Responsabilité totale : Avec cette liberté absolue vient la


responsabilité totale. Chaque individu est responsable de ses actions, et
donc de ce qu'il devient. En l'absence de Dieu ou d'une essence
prédéterminée, il n'y a personne pour prendre la responsabilité à notre
place. Cela conduit à l'angoisse existentielle, un sentiment de vertige face
à l'immensité des possibilités et des responsabilités.

L'exemple de l'engagement : Sartre utilise souvent des exemples


concrets pour illustrer cette liberté absolue. Dans un monde où il n'y a
pas de valeurs objectives ou de lois divines pour guider nos actions,
l'individu doit s'engager librement dans des causes qu'il choisit, sachant
que cet engagement est un acte totalement libre et qu'il en est
responsable.

d. Conséquences de la liberté absolue


La liberté chez Sartre n'est pas une simple licence pour faire ce que
l'on veut, mais un fardeau. Cette liberté sans limites impose à l'individu
de faire face à la réalité de ses choix et à la responsabilité qui en découle.
Sartre distingue deux attitudes face à cette liberté :
- L'authenticité : Vivre de manière authentique, c'est accepter
pleinement sa liberté et la responsabilité qui l'accompagne, sans se
réfugier dans la "mauvaise foi" ou dans des excuses déterministes.

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- L'angoisse : La liberté absolue peut conduire à une angoisse


profonde, car elle implique l'absence de certitudes, de valeurs fixes
ou de garantie d'un avenir stable. Il revient à chaque individu de
créer du sens et de choisir ses propres valeurs.

Pour Jean-Paul Sartre, la liberté est un élément fondamental et


absolu de l'existence humaine. L'homme est libre de se définir, de donner
un sens au monde, et de faire ses choix, mais cette liberté est
indissociable de la responsabilité et de l'angoisse. Sartre soutient que la
véritable existence consiste à accepter cette liberté, à se libérer des
illusions de la "mauvaise foi", et à vivre de manière authentique en
assumant pleinement la responsabilité de ses choix.

C. L'existence est absurde


Le concept selon lequel "l'existence est absurde" chez Jean-Paul
Sartre découle de sa vision existentialiste de l'homme dans un univers
dépourvu de sens intrinsèque. Cette idée est liée à l'idée que l'homme est
condamné à être libre et à chercher un sens à son existence dans un
monde qui, en lui-même, n'en possède pas.

 Absence de sens prédéterminé


Pour Sartre, l'existence humaine est absurde dans le sens où il n'y a
aucune raison ou but ultime à l'existence. Contrairement aux philosophies
ou religions qui postulent que la vie a un sens défini par Dieu, la nature
ou une essence humaine prédéterminée, Sartre, en tant qu'athée
existentialiste, affirme que l'univers et l'existence humaine sont
fondamentalement dépourvus de sens objectif. Il n'existe pas de plan
divin ou de finalité ultime qui justifierait ou expliquerait pourquoi les
êtres humains existent.
Sartre rejette l'idée qu'il existe une raison supérieure ou
transcendante pour laquelle l'homme est sur Terre. L'existence humaine

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est simplement là, et les êtres humains sont confrontés à cette réalité
brute sans justification.

 La contingence de l'existence
L'absurdité de l'existence est également liée à la contingence de la
vie. Sartre soutient que l'être humain existe par hasard, sans nécessité ni
but prédéterminé. L'homme se retrouve dans un monde qui existe sans
raison, et son existence n'est pas nécessaire. Cela crée une forme
d'absurde parce que nous cherchons souvent à comprendre ou à justifier
notre existence, mais nous sommes face à un monde qui ne fournit
aucune réponse satisfaisante. Notre raison ne saurait justifier pourquoi
nous existons.
La contingence désigne le fait que les choses existent sans raison
particulière. Par exemple, une personne naît dans un lieu et un contexte
donnés, mais cela n'a pas de sens ultime. Il n'y a pas de cause
transcendantale ou nécessaire derrière cet événement.

d. La quête de sens dans un monde sans sens


Sartre insiste sur l'idée que, bien que l'existence soit objectivement
absurde, les êtres humains sont condamnés à chercher un sens à leur
existence. Cette quête de sens est un besoin fondamental de l'homme,
mais elle se heurte à un monde indifférent qui ne répond pas à cette
recherche.
L'absurde, pour Sartre, émerge du fossé entre l'aspiration humaine
à trouver un sens et le caractère insensé et aléatoire du monde. L'homme
veut donner un sens à sa vie, mais il est confronté à un univers qui n'a
pas de réponse, ce qui crée une situation d'absurdité.

e. La liberté face à l'absurde


Même si l'existence est absurde, Sartre soutient que l'homme est
libre de créer son propre sens. Puisque le monde n'offre aucun sens
préétabli, c'est à l'individu de donner un sens à sa vie à travers ses choix
et ses actions.

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Sartre voit dans cette situation non pas une condamnation totale, mais
une opportunité de liberté radicale. L'absurdité de l'existence nous libère
du poids des significations ou des valeurs préétablies. Nous sommes
libres de créer nos propres valeurs et de façonner notre existence comme
nous le souhaitons. Ainsi, même si l'existence n'a pas de sens en soi,
l'individu peut lui en donner un.
L'absurde est ainsi à la fois une prise de conscience douloureuse et
une libération. Il nous confronte à l'absence de sens, mais il nous donne
également l'occasion de vivre de manière authentique, en reconnaissant
notre liberté de créer du sens pour nous-mêmes.

f. La révolte contre l'absurde


Sartre, en accord avec l'existentialisme, propose une sorte de
révolte contre l'absurde. Même si l'existence est objectivement absurde,
cela ne signifie pas qu'on doit se résigner ou abandonner. Au contraire, il
faut agir, s'engager et créer du sens à travers nos choix. La révolte contre
l'absurde consiste à vivre authentiquement, à accepter la liberté et la
responsabilité qui en découlent, et à continuer à donner un sens à la vie
malgré l'absence d'un sens objectif ou transcendant.
Sartre montre ainsi que l'absurde n'est pas une fatalité. Même si
l'existence n'a pas de sens objectif, il est possible de vivre pleinement en
assumant la liberté et en donnant une direction personnelle à sa vie.

Le concept de "l'existence est absurde" chez Sartre renvoie à l'idée


que la vie humaine n'a pas de sens prédéfini ou objectif. L'homme existe
sans raison particulière dans un univers indifférent et contingent, ce qui
rend l'existence absurde. Toutefois, cette absurdité est aussi une source
de liberté, car l'individu est libre de créer son propre sens à travers ses
choix et ses actions. Face à cette liberté, il doit assumer la responsabilité
totale de sa vie et accepter de vivre sans se réfugier derrière des illusions
ou des excuses.

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D.Le En-soi et le Pour-soi

Chez Jean-Paul Sartre, les concepts de "en-soi" et de "pour-soi" sont


centraux à sa compréhension de l'existence humaine et de la réalité. Ces
termes sont introduits dans son ouvrage L'Être et le Néant (1943), où il
les utilise pour décrire deux modes distincts de l'être.

a. Le En-soi ("l'être en soi")


Le en-soi représente l'être des objets, des choses, qui sont définis
par eux-mêmes et n'ont pas de conscience. Voici les principales
caractéristiques du En-soi :

 Fixité et complétude : Le en-soi est totalement ce qu'il est. Il ne


change pas, il n'a pas de potentiel pour devenir autre chose, et il ne
se questionne pas sur lui-même. Par exemple, une chaise est une
chaise ; elle est "en-soi", c’est-à-dire qu'elle est pleinement ce
qu'elle est, sans conscience d’elle-même ou possibilité de
transformation volontaire.
 Absence de conscience : Le en-soi est inconscient. Il existe, mais
il ne peut pas réfléchir à son existence ni se projeter dans l'avenir.
Les objets du monde sont "en-soi" : ils existent tout simplement,
sans se poser de questions sur leur nature.
 Plénitude : Le en-soi est plein, complet, et n'a pas besoin de
justification extérieure. Il est statique, figé dans son être.

b. Le Pour-soi ("l'être pour soi")


Le pour-soi est l'être caractéristique de la conscience humaine,
marqué par la réflexion sur soi et la possibilité de transformation. Voici
les principales caractéristiques du pour-soi :

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 Conscience de soi : Le pour-soi est un être conscient, capable de


se poser des questions sur sa propre existence. C'est ce qui
distingue les humains des objets. Le pour-soi est l'être qui se
questionne, qui peut dire "je suis" et qui est toujours en train de se
projeter vers l'avenir.
 Incomplétude et manque : Contrairement au en-soi, le pour-soi
est caractérisé par l'incomplétude et le manque. Sartre explique
que le pour-soi est en perpétuel devenir ; il n'est jamais totalement
ce qu'il est, car il est toujours en projet, cherchant à se définir à
travers ses actions. Cette incomplétude crée un vide ou un manque
que le pour-soi tente de combler.

 Liberté : Le pour-soi est fondamentalement libre. Puisqu'il n'est


pas figé dans une essence préétablie, il peut choisir ce qu'il veut
devenir. Sartre affirme que l'humain est "condamné à être libre",
car cette liberté implique également une responsabilité totale pour
ses choix et actions.
 Néant : Le pour-soi contient du néant en lui-même, car il est
constamment en relation avec ce qu'il n'est pas. Le pour-soi est
donc toujours en train de devenir, d'essayer de se dépasser, sans
jamais atteindre une pleine plénitude, comme c'est le cas pour le
en-soi.

c. Relation entre le en-soi et le pour-soi

Sartre définit l’existence humaine comme une tension entre le en-


soi et le pour-soi. Les humains, en tant que consciences (pour-soi), sont
en quête d’un état de stabilité ou de complétude, qui pourrait ressembler
à celui du en-soi. Cette quête d’unification, où la conscience aspire à
devenir aussi fixe et complète que le en-soi, est pourtant impossible.
Cette impossibilité de réunir ces deux modes de l’être engendre de
l'angoisse chez les individus. Sartre va même jusqu'à dire que l'homme

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aspire à être Dieu dans le sens où il voudrait être à la fois libre (pour-soi)
et complètement accompli (en-soi), ce qui est une contradiction.

En résumé, chez Sartre, le en-soi correspond à l'être des objets,


inconscients, fixes et pleinement définis, tandis que le pour-soi
correspond à l'être de la conscience humaine, caractérisée par la liberté,
l'incomplétude et le projet constant de se définir. Cette dualité exprime la
tension fondamentale de l'existence humaine, entre la stabilité des choses
et la liberté angoissante de la conscience humaine.

E. L'existence de Dieu

Le syllogisme de Jean-Paul Sartre reflète une idée centrale de sa


philosophie existentialiste, qui repose sur l'opposition entre la liberté
humaine et l'existence d'une divinité transcendante. Sartre s'appuie ici
sur une conception spécifique de l'homme et de Dieu pour justifier
l'inexistence de Dieu à partir de la liberté humaine.
"Ou l'homme existe, ou Dieu existe.
Or, l'homme existe.
Donc, Dieu n'existe pas."

 L'opposition entre Dieu et l'homme


Sartre pose un dilemme : soit c'est Dieu qui existe, soit c'est
l'homme en tant qu'être libre qui existe, mais les deux ne peuvent
coexister. Ce raisonnement repose sur l'idée que si Dieu existait, cela
impliquerait une sorte de déterminisme et un sens prédéterminé à
l'existence humaine. En d'autres termes, si Dieu existe, l'homme ne
pourrait être radicalement libre, car son essence serait déjà fixée par une
volonté divine.
Dans la théologie classique, Dieu est souvent perçu comme ayant
créé l'homme avec un but spécifique et une nature fixe. Cette vision
contredit la liberté radicale que Sartre attribue à l'être humain. Pour lui,

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la liberté humaine exige une absence de détermination préalable, que ce


soit par Dieu ou une essence donnée. Si Dieu existait, il aurait un plan
pour l'humanité, et donc l'homme serait limité dans sa capacité à se
définir et à faire ses propres choix.

 La preuve de l'existence humaine


Sartre déclare ensuite que l'homme existe, ce qui est une réalité
observable et incontestable. L'existence de l'homme en tant qu'être libre,
capable de faire des choix et de définir sa propre essence par ses actions,
est pour Sartre une évidence. C'est le fondement de sa philosophie
existentialiste : l'homme existe d'abord, et c'est ensuite à lui de se définir,
de créer sa propre essence.

 Le rejet de Dieu
Puisque l'homme existe en tant qu'être libre, Sartre en conclut que
Dieu n'existe pas. Pour lui, l'idée d'un Dieu omniscient, omnipotent et
créateur impliquerait un monde déterminé, où les actions humaines
seraient prédéfinies ou guidées par un plan divin. Cela serait
incompatible avec la liberté radicale de l'homme, telle que Sartre la
conçoit. Si Dieu existait, l'homme ne pourrait pas être totalement libre de
créer sa propre essence, car cette essence serait déjà définie par Dieu.
Sartre en vient donc à cette conclusion : si l'homme est libre, alors
Dieu n'existe pas, car l'existence d'un Dieu impliquerait la négation de
cette liberté. Le syllogisme repose sur l'idée que la liberté humaine et
l'existence de Dieu sont mutuellement exclusives.

 Justification de l'inexistence de Dieu


Sartre justifie l'inexistence de Dieu en affirmant que, pour que
l'homme soit libre, il ne doit y avoir aucune autorité ou essence
transcendante qui détermine sa nature ou ses actions. Si Dieu existait,
cela signifierait que l'essence de l'homme serait déterminée à l'avance, ce
qui contredirait la liberté radicale que Sartre attribue à l'être humain.

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En rejetant l'existence de Dieu, Sartre affirme que l'homme est


"condamné à être libre", c'est-à-dire qu'il est seul responsable de ses
choix et de la création de son propre sens dans un univers dépourvu de
signification transcendante. Il n'y a pas de plan divin, pas de valeurs
prédéfinies. L'homme doit créer ses propres valeurs et définir sa propre
existence.

4. Idéologie et engagement politique

Sartre s'est engagé politiquement, notamment dans des


mouvements marxistes, bien qu'il ait conservé une critique vis-à-vis du
communisme soviétique. Il a soutenu l'indépendance algérienne, le tiers-
mondisme et s'est opposé à la guerre du Vietnam. Pour lui, l'intellectuel
devait s'engager activement dans les affaires publiques et sociales,
influencé par sa croyance en la liberté et la responsabilité individuelle.

5. Méthodes philosophiques
Sartre utilise plusieurs méthodes dans ses travaux philosophiques :
 Phénoménologie : Il s'inspire de la méthode phénoménologique
d'Edmund Husserl, en particulier dans L'Être et le Néant, où il
analyse la conscience, le rapport à l'autre, et l'expérience subjective
de la liberté.
 Dialectique : Dans Critique de la raison dialectique, il utilise la
dialectique pour expliquer les relations entre les individus et
l'Histoire, en intégrant des éléments du marxisme.
 Littérature et théâtre comme vecteurs de la philosophie :
Contrairement à d'autres philosophes, Sartre a souvent utilisé la
littérature et le théâtre pour exprimer ses idées philosophiques,
rendant ainsi sa pensée plus accessible au grand public.

6. Le refus du prix Nobel

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Jean-Paul Sartre a refusé le prix Nobel de littérature en 1964


pour plusieurs raisons, toutes liées à ses convictions personnelles et
politiques.
a) Refus de toute forme d'institutionnalisation : Sartre avait
une règle personnelle de toujours refuser les honneurs officiels,
estimant que ces distinctions risquaient de limiter sa liberté en
tant qu'écrivain et philosophe. Il pensait qu'accepter un prix
venant d'une institution comme le Nobel aurait pu
l'institutionnaliser ou le transformer en une figure consensuelle,
ce qu'il rejetait fermement.

b) Indépendance politique : Sartre voulait rester indépendant


des institutions, qu'elles soient politiques ou culturelles. Il ne
souhaitait pas être récupéré par aucun camp, ni par l'Occident
ni par l'URSS dans le contexte tendu de la Guerre froide.

c) Coïncidence avec la guerre d'Algérie : Au moment de


l'attribution du prix, la France était encore marquée par la
guerre d'Algérie et Sartre s'était fermement opposé aux
politiques coloniales françaises. Il estimait que recevoir un prix
aussi prestigieux aurait pu être perçu comme une tentative de
réconciliation, ou même de récompense de la part d’un
système auquel il s'opposait. Sartre voulait préserver la liberté
de son discours et de ses engagements sans être contraint ou
influencé par une récompense officielle.

7. Faiblesses de la philosophie sartrienne


L'inconvénient principal de la philosophie sartrienne, en particulier
de l'existentialisme, réside dans le poids de la liberté totale et de la
responsabilité individuelle qu'elle impose. Sartre soutient que "l'existence
précède l'essence", ce qui signifie que les individus ne sont pas définis
par une nature préexistante mais par leurs choix et actions. Cela place
sur chaque personne la charge complète de ses décisions et de leur
signification.

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Quelques inconvénients notables de cette vision :

a) a)L'angoisse existentielle : La liberté totale peut générer une


profonde angoisse. Si rien ne prédétermine nos actions et que nous
sommes seuls responsables de donner un sens à notre vie, cela peut
être écrasant pour certains.
b) Absence de valeurs absolues : Dans une perspective existentialiste,
il n'y a pas de valeurs objectives ou universelles qui guident les
actions humaines. Cela peut conduire à un sentiment de relativisme
moral ou de vide, où les individus doivent constamment créer leurs
propres valeurs, ce qui peut être déroutant.
c) La "mauvaise foi" : Sartre décrit la mauvaise foi comme le
comportement d'une personne qui se ment à elle-même pour fuir la
responsabilité de sa liberté. Cet auto-illusionnement est souvent
une tentative d'échapper à l'angoisse, mais cela peut aussi
entraîner une aliénation ou une perte d'authenticité.
d) Difficulté de la cohabitation sociale : Si chacun est entièrement
responsable de soi et de ses choix, les relations interpersonnelles
deviennent complexes, car il peut être difficile de concilier la liberté
individuelle avec les exigences d'une vie en société, notamment en
ce qui concerne la solidarité et l'empathie.

Cette philosophie peut donc parfois paraître trop exigeante pour


certains, en raison du fardeau que représente la liberté absolue.

8. Conclusion
Jean-Paul Sartre a profondément influencé la philosophie du 20e
siècle, surtout à travers sa vision de l'existence humaine marquée par la
liberté, la responsabilité, et l'angoisse existentielle. Bien qu'il ait été
critiqué pour ses prises de position politiques et certaines incohérences
entre son existentialisme et son soutien au marxisme, Sartre a laissé une
empreinte durable dans la philosophie, la littérature, et l'engagement
intellectuel. Sa pensée continue de résonner aujourd'hui dans les

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discussions sur la liberté individuelle, la responsabilité morale et


l'engagement politique.

Gabriel Marcel
1. Vie et œuvres
Gabriel Marcel (1889-1973) est un philosophe, dramaturge, et
essayiste français, souvent considéré comme le fondateur de
l’existentialisme chrétien. Fils unique d'une mère décédée lorsqu'il était
jeune, il a été élevé par son père, un diplomate et agnostique
(contrairement à l’athée qui nie l’existence de Dieu et au croyant qui
affirme l’existence de Dieu, l’agnostique considère qu’il est impossible de
savoir si Dieu existe ou non, mais se concentre plutôt sur la question de la
connaissance et de la preuve concernant le divin). Après avoir étudié la
philosophie, Marcel s’est intéressé au théâtre, à la musique et à la
métaphysique.

Son travail philosophique a débuté dans le sillage de la Première


Guerre mondiale, où il a été influencé par l'expérience du conflit.
Contrairement à de nombreux existentialistes, il ne s’est pas tourné vers
l'absurdité de l'existence, mais a exploré l'espoir, la foi et les relations
humaines, ce qui l’a conduit à sa conversion au catholicisme en 1929.
Parmi ses œuvres majeures :
Œuvres philosophiques
 Journal Métaphysique (1927)
 L’eistence et objectivité (1914)
 Être et Avoir (1935)
 Du refus à l’invication (1940)
 Homo Viator (1945)
 La métaphysique de Royce (1945)
 Le Mystère de l’Être (1951)
 Position et approches concrète du Mystère ontologique
Œuvres théâtrales :

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 Les cœurs des autres (1921)


 Le monde cassé (1933)
 Un homme de Dieu (1925)

2. Le postulat de sa pensée philosophique


Gabriel Marcel, philosophe existentialiste chrétien, s'oppose aux
doctrines telles que le rationalisme, le scientisme et tout mouvement en
"isme" pour plusieurs raisons qui sont liées à sa conception de l'homme,
de la vérité et de l'existence.

a) Refus des "ismes" : Pour Marcel, les "ismes" représentent des


idéologies ou des systèmes fermés qui réduisent la complexité de
l'expérience humaine à des cadres rigides. Il croit que ces systèmes
tendent à déshumaniser l'individu en plaçant la théorie au-dessus
de la personne, de son vécu et de sa capacité à transcender. Marcel
valorise l'expérience personnelle et l'ouverture à l'inconnu, refusant
ainsi toute forme de réductionnisme.

b) Refus du rationalisme : Marcel rejette le rationalisme car il


considère que la raison, bien que précieuse, ne peut à elle seule
saisir la totalité de l'expérience humaine. Pour lui, la vie est plus
que la simple logique ou la pensée analytique : elle inclut la
dimension du mystère, de la foi, de l'amour et de la transcendance.
Le rationalisme réduit la réalité à ce qui est objectivement
mesurable, alors que Marcel défend une vision plus holistique (en
tenant compte du contexte global), qui inclut l'expérience
subjective et la relation en vue d’étreindre ou saisir le réel.

c) Refus du scientisme : Le scientisme, qui fait de la science la seule


source de vérité, est aussi problématique pour Marcel car il ignore
la profondeur de l'existence humaine. Marcel croit que certaines
réalités fondamentales, telles que la souffrance, l'amour ou la
spiritualité, échappent à l'explication scientifique. Le scientisme, en

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se focalisant uniquement sur l'objectivité et la matière, néglige


l'aspect spirituel et métaphysique de l'homme.

En somme, Gabriel Marcel s'oppose à ces courants parce qu'ils


dénaturent, selon lui, la richesse et la profondeur de l'expérience
humaine en la réduisant à des concepts trop étroits. Il défend une
philosophie de l'existence ouverte, incarnée et reliée à l'expérience
spirituelle et relationnelle.

3. Courant philosophique
Marcel appartient à la tradition existentialiste, mais il se distingue
en étant un existentialiste chrétien. Contrairement à des existentialistes
athées comme Jean-Paul Sartre, il a exploré l'importance de la foi, de la
transcendance et des relations interpersonnelles authentiques. Il a
souligné la centralité de l'expérience personnelle et de l'engagement dans
la découverte du sens de la vie.

4. Pensée philosophique
La philosophie de Marcel est centrée sur les concepts de "mystère"
et de "problème". Il distingue la réalité "problème", qui peut être
objectivé et résolu, de la réalité "mystère", qui ne peut pas être
simplement résolu mais qui doit être vécu et exploré. Cette distinction
montre son rejet du rationalisme pur, et son insistance sur l’importance
de l'expérience vécue.

Etre Avoir
Subjectivité (Mon existence) Objectivité
(science)

Mystère
Problème

Méthode : recueillement
Méthode : rationnelle.

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NB. Toutes nos souffrances ou nos maux du monde viennent de la


confusion entre les relations de possession et les relations de communion,
lorsqu’on veut rendre les hommes objets ; lorsqu’on ne sait pas collaborer
avec les autres ou lorsqu’on veut s’imposer sur les autres.

5. L'existence selon G. Marcel


Contrairement à Jean-Paul Sartre, qui soutient que "l'existence
précède l'essence" dans son existentialisme athée, Gabriel Marcel adopte
une approche différente dans son existentialisme chrétien. Chez Sartre,
cette maxime signifie que l'être humain n'a pas d'essence prédéfinie, et
qu'il construit lui-même son identité et sa signification à travers ses choix
et ses actions dans un monde sans Dieu.

Gabriel Marcel, en revanche, ne soutient pas l'idée d'une existence


séparée de l'essence dans ce sens radical. Pour lui, l'être humain n'est
pas un projet isolé qui se façonne à partir de rien, mais un être incarné,
qui est déjà en relation avec le monde, avec autrui et avec Dieu. Son
existence est donc immédiatement marquée par une ouverture à la
transcendance et à des dimensions essentielles de l'existence, comme
l'amour, la fidélité, et le don de soi.

Dans la perspective de Marcel :

a) L’existence et l’essence sont intimement liées : Il ne voit pas


l’homme comme une "table rase" qui crée son essence à partir de
ses choix. Au contraire, l’existence humaine est toujours marquée
par un lien avec l’essence, car l’être humain existe déjà dans un
réseau de relations, d’engagements et de transcendance qui
confèrent une signification profonde à son existence.

b) L’Être comme mystère : Marcel insiste sur le fait que l’existence


humaine participe du mystère de l’être. Pour lui, l’essence de
l’homme est mystérieuse, car elle n’est pas totalement connaissable
ni définissable. Cette essence inclut une dimension spirituelle qui
dépasse l’entendement purement rationnel. Ainsi, la liberté,
l’amour, et la fidélité sont autant d’expériences qui révèlent
l’essence humaine tout en échappant à une compréhension
pleinement maîtrisée.

En résumé, pour Gabriel Marcel, l’existence n’est pas une réalité brute
qui précède l’essence et se façonne entièrement par les choix individuels,

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comme chez Sartre. Au contraire, l’existence humaine est déjà marquée


par une essence qui est en partie donnée par la relation avec autrui, la
communauté, et la transcendance. L’essence et l’existence sont
inséparables, et c’est à travers les engagements concrets et les relations
que l’être humain découvre et manifeste son essence.

6. L'existence n'est pas absurde selon G. Marcel


Pour Gabriel Marcel, l'existence n'est pas absurde. Cette idée est en
contraste avec des existentialistes athées comme Jean-Paul Sartre ou
Albert Camus, pour qui l'existence peut sembler dénuée de sens ou
marquée par l'absurde. Marcel, en tant qu'existentialiste chrétien, rejette
cette vision nihiliste de la condition humaine.

Quelques points clés sur la manière dont Marcel voit l'existence et


pourquoi il ne la considère pas comme absurde :

a) L'existence est marquée par le mystère : Marcel distingue le


"problème" du "mystère". Un problème est quelque chose que l'on
peut objectiver et résoudre, tandis qu'un mystère est une réalité à
laquelle on participe et qui dépasse notre compréhension complète.
Pour Marcel, l'existence fait partie du mystère de l'être, et bien
qu'elle ne puisse pas être entièrement saisie par la raison, elle n'est
pas pour autant absurde. Elle contient une profondeur et une
signification que l'homme peut progressivement découvrir à travers
ses engagements et ses relations.

b) L'ouverture à la transcendance : Contrairement à l'absurdité, qui


découle souvent d'une vision du monde sans transcendance (comme
chez Camus, où l'homme est seul dans un univers indifférent),
Marcel voit l'existence comme ouverte à une dimension
transcendantale, c'est-à-dire à Dieu. L'existence humaine a un sens
parce qu'elle est enracinée dans une relation avec le divin. Cette
relation permet à l'individu de surmonter l'angoisse de la finitude et
du désespoir.

c) L'engagement et la fidélité : L'existence humaine prend forme à


travers des relations significatives, comme l'amour, la fidélité, et le
don de soi. Pour Marcel, ces relations révèlent que l'existence a un
sens intrinsèque, car elles nous relient à autrui de manière
profonde et signifiante. Ainsi, loin d'être absurde, l'existence est
enrichie par ces engagements.

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d) La réconciliation avec l'être : Marcel souligne l'importance de la


réconciliation avec l'être, ce qui signifie accepter l'existence comme
un don, malgré ses mystères et ses incertitudes. En acceptant l'être
et en vivant en harmonie avec lui, l'individu peut trouver un sens à
sa vie.

En conclusion, pour Gabriel Marcel, l'existence n'est pas marquée


par l'absurdité mais par le mystère, la transcendance et les relations
humaines. Ces dimensions donnent à la vie un sens profond,
contrairement à une vision existentialiste athée, où l'individu doit
affronter un univers dénué de signification.

7. La liberté selon Gabriel Marcel


Sa conception de la liberté est centrée sur l'idée d'une liberté
incarnée, relationnelle et ouverte à la transcendance.

a) Liberté et existence : Pour Marcel, la liberté n'est pas une


abstraction ou une simple capacité à choisir entre différentes
options. Il considère que la liberté est profondément liée à notre
être et à notre existence dans le monde. Elle est vécue à travers des
situations concrètes et se manifeste par notre manière d'être dans
le monde.

b) Liberté et engagement : Marcel rejette l'idée d'une liberté


purement individuelle et autonome. Pour lui, l'être humain est
toujours en relation avec autrui et avec le monde, et la véritable
liberté se trouve dans cette ouverture et cet engagement envers les
autres. C'est dans cette relation d'amour, de fidélité et de don de
soi que la liberté prend tout son sens.

c) Liberté et mystère : Un des concepts centraux chez Marcel est


celui du "mystère", qu'il oppose au "problème". Alors que les
problèmes sont des questions extérieures à nous que nous pouvons
résoudre, les mystères sont des réalités auxquelles nous
participons, comme la liberté. La liberté, selon Marcel, ne peut être
entièrement comprise ou maîtrisée, elle fait partie du mystère de
l'existence humaine.

d) Liberté et transcendance : La liberté chez Marcel est liée à


l'expérience de la transcendance. Il ne s'agit pas seulement de se
libérer des contraintes externes, mais de s'ouvrir à une dimension
supérieure de l'existence, ce qui inclut une relation avec Dieu. Pour

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69

lui, la liberté est également une liberté spirituelle, une ouverture à


l'infini et à la grâce.

Ainsi, pour Gabriel Marcel, la liberté n'est pas seulement un choix


individuel ou une absence de contraintes, mais une relation dynamique
avec les autres et avec la transcendance. Elle est profondément enracinée
dans l'expérience humaine de l'engagement, du don de soi et de la
participation au mystère de l'existence.

8. Les relations constitutives


Gabriel Marcel accorde aussi une grande importance aux relations
humaines et à l'intersubjectivité. Pour lui, l’homme ne peut se
comprendre pleinement que dans ses relations avec autrui, en tant
qu'être incarné et engagé.
"On me regarde donc j'existe" Gabriel Marcel met en lumière une idée
centrale de sa philosophie, celle de l'intersubjectivité et de la relation à
autrui.

a) La relation à autrui : Pour Marcel, l'existence humaine ne peut


être comprise de manière isolée. L'individu se découvre
véritablement à travers ses relations avec les autres. Le regard de
l'autre, loin d'être une simple observation, participe à la
constitution de son être. Le regard de l’autre nous interpelle ; le
regard de l’autre est un appelle à l’existence.

b) L'incarnation de l'existence : L'existence n'est pas seulement


une réalité intérieure, elle se manifeste dans le monde et auprès
des autres. Être vu par autrui signifie être reconnu dans son
incarnation, dans sa présence concrète au monde.

c) Opposition à l'individualisme : Cette citation s'oppose à une


vision de l'homme comme isolé ou autosuffisant. Contrairement à
Descartes qui déclarait "Je pense donc je suis", plaçant

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70

l’existence dans la pensée solitaire, Marcel souligne ici


l'importance du lien social pour affirmer l’existence.
d) Reconnaissance et dignité humaine : Le regard de l'autre ne se
limite pas à une reconnaissance passive, mais contribue à
l'affirmation de la valeur et de la dignité de l'individu. En étant vu,
on se sent reconnu en tant que personne. Ainsi, cette citation "On
me regarde donc j'existe", illustre la conviction de Marcel que
l'être humain ne peut pleinement exister que dans un contexte
relationnel, où la présence de l'autre joue un rôle fondamental
dans la construction de son identité.

e) La relation avec les autres et avec le divin : Gabriel


Marcel voit l'être humain comme un pèlerin (homo viator),
toujours en quête de sens. Homo viator, une expression latine
qui signifie "homme en marche". Pour Marcel, la condition
humaine est fondamentalement une quête de sens, marquée
par l'incertitude, le doute et l'ouverture à la transcendance.
Cette quête n'est pas seulement intellectuelle, mais
existentielle et spirituelle. L'homo viator est toujours en
chemin, en recherche d'une signification plus profonde à la
vie, au-delà des certitudes immédiates ou matérielles. Marcel
met l'accent sur la finitude humaine, mais aussi sur la
capacité de l'homme à se dépasser lui-même en s'ouvrant à la
relation avec les autres et avec le divin. Cette dynamique de
quête est ce qui caractérise l'existence humaine selon lui : un
parcours où l'on apprend à travers les épreuves, tout en
cherchant à répondre aux grandes questions de l'existence,
telles que l'amour, la mort, et la foi.

Pour Marcel, l'homme n'est jamais totalement "arrivé" ou en


possession complète du sens ultime de la vie ; il est en constant devenir,
en perpétuelle ouverture à l'infini. Ce pèlerinage de l'existence est
marqué par la fidélité, l'espérance et le refus de réduire l'être humain à

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71

une simple fonction ou objet dans un monde utilitariste. L’existence est


pour Gabriel Marcel une vocation et un don. Dieu est l’achèvement de
l’existence. Il est le regard amoureux qui m’appelle à sortir de moi. La
mort est la disponibilité totale pour pouvoir répondre à l’appel de Dieu.
Un appel total.

9. Méthode philosophique
Marcel utilise une méthode introspective basée sur l’expérience
existentielle directe. Ses travaux se présentent souvent sous forme de
journaux ou de réflexions personnelles, où il examine des situations
concrètes et des dilemmes éthiques. Plutôt que de proposer un système
clos de pensée, il invite ses lecteurs à méditer sur des questions de
l’existence comme la mort, la souffrance, et l’espérance.

10. Convergences et divergences avec Jean-Paul


Sartre

Les deux philosophes sont associés à l'existentialisme, mais leurs


visions divergent largement.

Convergences :
Marcel et Sartre s'accordent sur le fait que l'existence humaine est
marquée par la liberté et l'engagement personnel. Ils rejettent les
systèmes de pensée fermés et affirment que l'homme doit définir son
propre sens à l'existence.

Divergences :
Sartre soutient que l'existence précède l'essence et que l'homme
est seul et condamné à être libre. Il ne croit pas en Dieu, ni en une
transcendance qui donnerait un sens extérieur à la vie humaine. En
revanche, Marcel défend une vision théiste de l'existence, où l'homme est
orienté vers un mystère transcendant et où l'espérance joue un rôle
central.

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72

Marcel critique l'athéisme de Sartre, qu'il considère comme réducteur, et


accuse la philosophie de Sartre de sombrer dans une désespérance qui
exclut la dimension de l'être, de l'amour et de la foi.

11. Citations de Gabriel Marcel

 "L'espérance est une détermination héroïque de l'âme. Sa


plus haute forme est désespoir surmonté."
 "Avoir n'est pas être."
 "Je ne pense pas que la solitude puisse jamais être vaincue
autrement que par la foi."
 "Aimer une personne, c'est lui dire : toi, tu ne mourras pas !"
 "L’être humain ne peut être lui-même qu’à travers ses
relations avec les autres."

DEUXIEME PARTIE
LA PHILOSOPHIE BANTOUE

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73

1. Sens et Problématique de la terminologie

a) Sens de l'appellation « philosophie Bantoue »

Le terme « bantou » fait donc allusion au groupe ethnique du même


nom. Les bantous désignent « l'être humain » par le terme « Muntu » ou
« Bantu ». En effet, les bantous font partie du grand ensemble négro-
africain qui regroupe les négroïdes, les Nilotique (ou Chamites), les
soudanais et les bantous. De nos jours, l'expression « pensée bantoue »
ou « philosophie bantoue » n'est plus en vogue. On n'en parle presque
plus. On préfère, à sa place, parler de « la pensée négro-africaine » ou de
la « philosophie africaine » pour désigner l'ensemble de la pensée de
l'Afrique Noire. Mais dans notre cours, nous continuerons à utiliser
l'expression traditionnelle de « pensée bantoue » ou « philosophie
bantoue ».

b) Problématique

L'occident s'est vanté depuis toujours d'une brillante tradition


philosophique, car depuis de deux millénaires et demi, il existe et se
manifeste une philosophie « de grand style », c'est-à-dire qui présente
une cohérence systématique. S'agissant de l'Afrique, la question
fondamentale posée est celle de savoir s'il existe ou non une philosophie
africaine en général et bantoue en particulier. Si oui, quel en est le
fondement et quelle en sont les perspective? Si non, pourquoi alors ?

Les débats autour de ces questions ont suscité à tort ou raison


plusieurs controverses, c'est-à-dire des querelles à la fois convergentes et
divergentes des une comme des autres se sont levées et réparties en deux
blocs :

1. Pour les négateurs ségrégationnistes:

La philosophie africaine ou bantoue n'existe pas, parce que l'homme


noir est un être barbare, sans âme, sans système de pensée logique, sans
civilisation, sans mode ou manière de vie, etc.... tel es: le point de vue des

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74

occidentaux, en l'occurrence: Levy Brühl, Charbonniers, Hegel, David


Hume, Linné, George Cuvier...

2. Pour les affirmateurs:

Il n'existe pas de peuple au monde sans culture. De ce fait, les


bantous ont une vision du monde qui leur est propre, une philosophie
contenue dans leur mode d'agir, leur art, leur littérature, leurs croyances.
Donc, la philosophie africaine ou bantoue existe, mais elle n'est pas
explicite. Cette position a été soutenue par Tempels, Hountondji, Orkez,
Obenga, Marcien Towa, Lufulwabc. Mulago, Kajiga, Kangafu, gambembo,
Elungu pene Elungu Disons, avant de poursuivre notre exposé, un mot
sur la présentation du Père Placide Tempels qui a grandement marqué la
philosophie bantoue.

c) Le Père Placide Tempels (1906-1977)

Le R.P Placide Tempels est un prêtre missionnaire Belge arrivé au


Congo en 1933 et qui s'installa au Katanga (Shaba). Après dix ans de
travail missionnaire comme prêtre itinérant, Curé, Directeur et
Professeur dans les écoles de la place, il s'intéresse à l'homme noir, le
peuple luba, auprès de qui il assimile la langue, les coutumes, les récits et
les proverbes. Cette expériences de vie l'amène à une prise de conscience
et reconnaitre l'existence d'une vraie philosophie » dans le dire et le faire
des bantous. Aussitôt, en 1945, il publie son fameux livre en Néerlandais:
« Bantoe filosofie» ; livre qui fut plus tard publié en français: Philosophie
Bantoue. C'est grâce à ce livre que le Père Tempels a eu le mérite d'être
considéré comme le père fondateur ou le précurseur de la philosophie
bantoue. Il vaut tel mérite, parce qu'il est le premier qui a soulevé et écrit
pour première fois le problème de la philosophie bantoue. Cet ouvrage lui
a valu autant d'éloge que des critiques.

CHAPITRE PREMIER: HISTORIQUE ET EVOLUTION DE LA


PENSEE BANTOUE

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75

Il existe plusieurs synthèses historiques de la philosophie bantoue à


cause des controverses tout autour de la problématique de son existence.
De ce fait, nous nous contenterons de la classification du R.P Alphonse
Joseph Smets (Missionnaire Belge au Congo, Passioniste) qui regroupe
quatre courants de pensée qui s'entremêlent chronologiquement.

1.1. LE COURANT IDEOLOGIQUE

a) Définition du terme « idéologie »

L'idéologie est l'ensemble des idées philosophiques, morales,


religieuses, propres d'une époque ou à un groupe social. C'est aussi une
opération sur la nature humaine et sur le cours à venir de l'histoire.

b) Quelques idéologies

Depuis les temps immémoriaux et contrairement au préjugé racial


occidental, l'Afrique n'a jamais été un vide culturel. Ainsi, à travers de
vives protestations, c'est-à-dire une lutte acharnée des revendications
anticoloniales, le courant idéologique affirme l'existence d'une culture
propre aux Noirs Africains. Cela à travers :

• La Négritude

Le mot « négritude » est un néologisme forgé par Aimé Césaire qui


l'a utilisé pour la première fois dans un ouvrage intitulé « Cahier d'un
retour au pays natal ». Selon Aimé Césaire, la négritude est une simple
reconnaissance du fait d'être noir, C'est donc l'expression de la façon de
vivre des noirs, de voir, de confondre, d'agir, de penser, de s'exprimer, de
faire la politique; bref, c'est l'expression de mode de vie prôné comme
une éthique et une image à travers laquelle le peuple noir doit être perçu;

Selon Thomas Melone, la négritude est le propre du nègre, comme


c'est le propre du Zèbre de porter des zébrures;

Pour Jean-Paul Sartre, la négritude est un mouvement historique de la


révolte du nègre contre les blancs. C'est donc un racisme anti- raciste qui
est appelé à passer quand la négritude sera dépassée, c'est-à-dire quand

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76

elle deviendra un mythe, elle n'aura plus de sens. NB. Cette littérature
développée dans le cadre de courant reste moins systématique et moins
critique. Cependant, elle est marquée par un double combat, à savoir :

• La libération des noirs par l'affirmation de soi;


• L'élaboration d'un système de société adaptée en Afrique.

Ce courant a eu comme Défenseurs: L.S. Senghor, A. Césaire et Julius


Nyerere.

1.2. LE COURANT DE RECONNAISSANCE D'UNE PHILOSOPHIE


AFRICAINE TRADITIONNELLE: « ΕΤΗΝΟ - PHILOSOPHIE »

Ce courant est, pour la majorité des philosophes, le véritable point


de départ ou d'envol d'un mouvement philosophique en Afrique. Il est issu
d'une réaction à la fois des Africains et non Africains contre les préjugés
qui méconnaissent ou niaient toute rationalité à la pensée dite primitive.

Cette contestation se manifeste ouvertement en 1945 par la


publication du père Placide Tempels: La Philosophie Bantoue », dans cet
ouvrage, Tempels étale sa réaction contre un courant de pensée selon
lequel « la mentalité dite primitive » est qualifiée de « prélogique », c'est-
à-dire est incapable à la réflexion logique et à la philosophie ». La
publication de Tempels devient ainsi le premier jalon ou base qui valorise
les Noirs et qui établit l'existence d'une philosophie africaine originale
comprise comme une vision du monde spécifique, mais supposée
commune à tous les africains dans la manière d'agir, littérature, les
récits, les proverbes; les croyances et les coutumes. Ce courant a
également ouvert la voie à de nombreuses recherches en faveur de
l'existence de cette philosophie. Mais, c'est spécialement vers les années
70 que cette philosophie originale sera appelée L'ΕΤΗΝΟ-PHILOSPHIE.
Elle compte comme représentants:,

• Tempels, « la philosophie bantoue » ;


• Alexis Kagame, « la philosophie bantoue Ruandaise de l'être » ;
• Abbé Vincent Mulago, un visage africain du Christianisme » ;

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77

• Lufuluabo, « la Notion Luba bantoue de l'être » ;


• Kajiga, « untu et son apport à l'univers » ;
• Raymond Amisi Mujinya, « l'homme dans l'univers bantu ».

Disons succinctement comment Tempels et sa suite présentent la


philosophie propre aux bantous.

1.2.1 La Philosophie Bantoue de Tempels

Ce livre de Tempels est sans doute le plus connu, parce qu'il a été à
la base de toute la discussion sur l'existence ou non de la philosophie
chez l'homme noir, il reste à ce juste titre, « ur repère capital», mieux, le
point de référence » dans l'histoire de la philosophie africaine. L'on se
souviendra ici que c'est le Père Tempels qui a affirmé tout haut qu'il
existe bel et bien une philosophie chez l'homme noir.

Pour élaborer cette philosophie, Tempels est allé emprunter


certaines notions de la philosophie occidentale, pour dégager d'une
manière méthodique et organisée les données. Ensuite, il va étudier la
vision implicite du peuple luba avec qui il avait longtemps vécue et chez
qui il a assimilé la langue, les coutumes, les proverhes. Enfin, il
proclamera l'existence d'une « vraie philosophie » cachée dans le dire et
le faire des bantous, ou encore dans leur culture. D'après Tempels, cette
philosophie est une ontologie et s'articule autour d'un concept
fondamental: « la force vitale ». Ce concept correspond, pense Tempels,
au concept de l'être que l'on trouve dans la philosophie occidentale.

1.2.2 Alexis Kagame

Prêtre Ruandais (1912-1981), il va suivre les voies tracées par


Tempels et va étudier en profondeur la « philosophie bantoue » de
Tempels. Sa contribution est produite (lans ses deux livres de référence
intitulés: « la philosophie bantu ruandaise de l'être » (1956) et « la
philosophie bantoue comparée » (1976). Le second livre a des bases plus
rigoureuses et plus scientifiques que celui de Tempels, suite à une
recherche très étendue de faits et documents. Il procède par étape pour

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78

contrôler la thèse de Tempels. Evitant de rester prisonnier de


l'ethnologie, il ne tient que ce qui parait propre aux bantous.

1.3 LE COURANT CRITIQUE

1.3.1 Critique de l'ethno - philosophie

La critique ici, c'est que la philosophie bantoue soutenue et


élaborée par Tempels et sa suite a été vivement critiquée par certains
penseurs qui n'acceptaient pas qu'elle soit appelée philosophie, mais
plutôt une ethno - philosophie, c'est à - dire qu'elle n'est rien d'autre
qu'une synthèse de renseignement recueillis par la sociologie, la
linguistique et l'ethnologie dans le but de prouver qu'un système de
pensée sous-tend l'ensemble culturel africain.

Voici en détail les reproches majeurs adressés aux défenseurs de


cette discipline (philosophie bantoue). La philosophie bantoue n'est pas
une philosophie comme telle à cause de :

• Un manque de rigueur dans la terminologie: c'est-à-dire qu'une


philosophie qui se considère comme une vision du monde d'une
population donnée ne devrait pas être appelée philosophique, mais
plutôt ethno - philosophie (cette critique est de Franz Crahay);
• L'utilisation même de l'adjectif << bantoue >> entraîne une faute
grave, car une étude philosophique quoique spatio-temporelle, ne
doit pas rester l'affaire d'une tribu, d'une ethnie, d'un peuple ou
d'un groupe d'homme donné, mais doit toujours revêtir un
caractère universel (Paulin Hountondji);
• Les méthodes de recherche, d'analyse et d'interprétation de la
philosophie bantoue ne répondent pas aux exigences d'une
discipline philosophique.

Les représentants du courant critique sont: Franz Crahay, Paulin


Hountondji, Fabien Eboussi Boulaga, Marcien Towa et Njoh Mouelle.

1.4 LE COURANT SYNTHETIQUE

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79

(Perspective d'avenir de la philosophie africaine).

Les discussions d'existence ou de non existence de la philosophie


africaine étaient résumées par le courant qui recherche à construire une
pensée africaine moderne systématique et critique. Modestement, tous
les adeptes défenseurs et les critiques de la philosophie bantoue sont
convaincu qu'il n'y avait pas de philosophie dans la tradition et qu'ils ont
ensemble un devoir impérieux d'élaborer une nouvelle philosophie pour
les africains, en partant d'une triple base:

• La réalité actuelle: c'est-à-dire au jour d'aujourd'hui, il doit y avoir une


interpénétration entre la philosophie et la vie, de manière à ce que la
philosophie puisse contribuer à la solution des problèmes concrets de la
vie sociale, et qu'en revanche la réalité actuelle de l'Afrique puisse
enrichir la vision des œuvres philosophiques du passé. De plus, la
problématique portée sur l'homme, Dieu, le monde, la mort, le destin qui
revêt un caractère universel, doit s'inscrire de sa préoccupation. La
sagesse africaine devrait se constituer en pierre angulaire dans la
recherche des solutions ou d'apaisement;

• La méthode de la philosophie de partout et de toujours, c'est-à-dire que


la méthode de la philosophie doit être universellement acceptée partout
et toujours. Elle ne doit pas être bonne ou vraie pour certains; et mauvais
ou dépassé pour les autres ;

• L'étude des valeurs africaines, c'est-à-dire que les valeurs léguées par
la tradition et qui continuent à faire partie du passé doit subir une étude
systématique pour en dégager le sens de l'histoire.

1.4.1 Conditions d'existence d'une Philosophie Africaine

Pour promouvoir la philosophie africaine, Franz Crahay a proposé


cinq conditions, selon lui la philosophie africaine sera possible :

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80

1. Lorsqu'elle aura un personnel qualifié, c'est-à-dire des philosophes


bien formés à la défense de la pensée radicalement africaine
critique et autocritique;
2. Lorsqu'elle gardera un contact permanent et prolongé avec l'une
des grandes traditions philosophiques existantes dans le monde;
3. Lorsqu'elle sera capable de faire un inventaire des valeurs à sauver
qui donne matière à penser;
4. Lorsqu'elle effectuera un décollage conceptuel, c'est-à-dire un
dépassement des mythes africains pour accéder à une bonne
réflexion qui soit critique, autocritique et constructive;
5. Lorsqu'elle évitera les courts-circuits et le culte de la différence.

NB. A ces cinq conditions s'ajoutent deux autres propositions formulées


par quelques penseurs en vue de l'élaboration de cette même philosophie:

1. La liberté d'expression, c'est-à-dire que l'africain doit s'émanciper


des idéologies politiques et des dogmes religieux;
2. Une écriture purement africaine, c'est-à-dire l'Afrique doit écrire
les textes philosophiques, dans ses propres langues et être capable
de les défendre.

CHAPITRE DEUXIEME:

QUELQUES THEMES DE LA PHILOSPHIE BANTOUE

II.1 LE PRINCIPE FONDAMENTAL DU MUNTU « le pan –


Vitalisme »

Au-delà de ses préoccupations traditionnelles, à travers sa vie


familiale, politique, socioreligieuse et au fond de son âme, le muntu est
profondément enraciné par une aspiration, un attrait irréductible vers un
renforcement de vie infini. Cette conception est appelée « le
Panvitalisme ».

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81

Le Muntu se caractérise par :

• Un profond amour de la vie (il aime la vie plus que tout et l'aime
sans limite);
• La peur de tout ce qui diminue cette vie (la mort, la maladie, les
forces du mal);
• La recherche de tout ce qui peut accroître ou renforcer sa vie.

Ainsi, il s'engage à pratiquer n'importe quelle technique pour protéger sa


vie. Essayons de souligner certaines pratiques influentes dans la vie du
Muntu :

• La Magie: ensemble des techniques (formules, gestes ou actions)


pour s'accaparer des forces favorables et se protéger des forces
malveillantes;
• Le fétichisme: C'est l'usage et le culte de petits objets matériels
considérés comme le correspondant d'un esprit possédant un
pouvoir magique ;
• La sorcellerie: C'est une pratique magique utilisée dans le but de
nuire à autrui;
• La divination: C'est l'art de dévoiler des vérités cachées, présentes
ou futures;
• Animisme: c'est une croyance aux esprits ou doctrine
philosophique qui consiste à attribuer une âme à une chose.

II.2. LA NOTION DE L'ETRE SELON LE PERE TEMPELS

Le père Tempels a essayé de donner une définition précise de l'être


dans la conception bantoue. Si dans la pensée occidentale, l'être est
présenté comme « ce qui est » ou une « réalité qui est ». Tempels trouve
chez les bantous une conception dynamique et vitale de l'être. Ce qui
veut dire que, pour les bantous, « l'être est force » ou « l'être=force ».

Non seulement parce qu'il possède la force, mais il est la force en


essence. Cette réalité affecte tous les êtres (vivant, céleste ou divin,

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82

terrestre, humain, animal, végétal, minéral ou matériel). Tempels dégage


ainsi un certain nombre de propriétés qui, dans l'esprit du Muntu seraient
liées à cette force à laquelle l'être s'identifie, à savoir :

• Toute force peut se renforcer ou s'affaiblir (tout être peut devenir


plus fort ou plus faible);
• Rapport des forces entre les êtres: Un être peut influencer un autre
étre et vice versa. Une force peut renforcer ou diminuer une autre
force. Cette croyance va engendrer le principe fondamentale de la
morale bantoue: « Est bon et louable tout ce qui peut contribuer au
renforcement et à l'épanouissement de la vie: par contre, est
mauvais et à éviter tout ce qui tend à affaiblir, à détruire et à
anéantir la vie »
• La hiérarchie des êtres : elle se fait sur de degré de leur
importance, de leur valeur ou de leur force.

II.3 LA HIERARCHIE DES ETRES

Le degré de la hiérarchie de la force des êtres se présente de la manière


suivante

1. DIEU: Esprit et Créateur, source de l'existence et de la vie des


autres êtres;
2. Les Ancêtres Fondateurs du Clan: ils sont « semblables » à
Dieu. Ce sont : Les premiers à qui Dieu communique la force vitale;
Des êtres spiritualisés appartenant à une hiérarchie supérieure et
participante dans une certaine mesure à la force divine.
3. Les Défunts du Clan classés selon leur degré de primo géniture
ou de respect de l'âge;
4. Les Vivants sur terre: hiérarchisés suivant leur puissance vitale,
- Le chef du clan: Il est le père, le roi, la source de la vie
intense, l'intermédiaire entre les vivants et les morts. Il a le
monopole de la sève qui vivifie la communauté;
- Les vieux ou les sages;
- Les hommes, les femmes et les enfants;

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83

5. Les Forces Naturelles (animales, végétales et minérales). Toutes


ces forces sont soumises à l'homme et à son service. Elles
constituent une conception anthropocentrique.

• CRITIQUES DES IDÉES DU PÈRE TEMPELS

a) Rejet de l'être est force;

b) Emploi impropre, abusif du terme « philosophie »

1. L'Abbé Vincent Mulago

Fut Professeur de théologie à l'université nationale du Congo (ex


Zaire) et a écrit un article intitulé « un visage africain du christianisme ».
Dans ses écrits, il condamne l'identification que fait Tempels selon que «
l'être est force». Il part des études et enquête menées chez les Bashi,
Burundi et Banyarwanda et conclut que la notion de force n'épuise pas
les catégories des êtres crées. La force n'est pas l'être comme tel, mais
seulement une qualité de l'être

2. Franz Crahay

Fut également professeur et auteur de l'article, « le décollage


conceptuel : conditions d'existence d'une philosophie bantoue». Selon lui,
on reproche à Tempels d'avoir utilisé le terme philosophie bantoue à ce
qui est pourtant « une vision bantoue » du monde.

Tempels a fait une philosophie au sens large, c'est-à-dire de l'ethno-


philosophie, car son entreprise ne consiste qu'à refléter la vision bantoue
du monde. Sa philosophie n'est pas une réflexion critique (philosophie au
sens strict). Elle est une philosophie réfractaire, parce qu'elle repose sur
« le nous pensons >>> sur une pensée collective, unanime et spontanée.
Pourtant, la philosophie digne de ce nom, est le fait d'un seul individu,
une affaire personnelle. Elle est élaborée par un seul sujet à partir de son
expérience personnelle, ses schémas, ses catégories, sa visiori du monde
et surtout à partir de son point de vue.

II.4. LE DIEU DES BANTOUES (Théodicée bantoue)

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84

L'importance de l'étude sur la notion de Dieu dans la philosophie


bantoue découle de la réalité selon laquelle le Muntu est
fondamentalement théiste (religieux). Le propos de l'Abbé Mulago le
démontre clairement: << la philosophie de l'homme Muntu, comme toute
sa vie est religieuse, et sa religion est une philosophie vécue ».

Après ses investigations menées auprès des Bakongo, des


Banyarwanda, des Baluba du Kasaï et des Nkundo (groupe Mongo),
l'Abbé Mulago présente des traits communs concernant les attributs
divins les plus répandus chez les bantous. En voici parmi autres:

1. Dieu est la source première de toute vie et de tout moyen vital,


c'est Dieu qui donne et accroit la force. Il est la cause efficiente première
de l'être;

2. Dieu est Transcendant: li est insaisissable, înaccessible, au delà de


tout. L'Etre Suprême n'est pas inclus dans les catégories des autres êtres.
C'est ainsi qu'en Kinyarwanda l'être se traduit par << NTU >>> et on
distingue quatre categories de l'être :

- Le MU-ntu: L'être qui a l'intelligence, la personne humaine;


- Le KI-ntu: L'être sans intelligence, la chose;
- Le KJ-ntu: La modalité de l'étre (façon, manière);
- Le HA-ntu: La localisation de l'être (espace-temps), l'être
localisateur.

Aucune racine « NTU » ne désigne Dieu. Il n'entre pas dans le cadre des
autres êtres. Il est au-dessus de tout.

3. Dieu est Providence: Il est Omniscient (Il sait tout), Omniprésent (Il
est partout), protecteur et Bienveillant. En tant que Créateur des hommes
et de toutes choses, il continue à s'occuper de ses créatures. Il est
Donateur de tout: << la fécondité aux mères et aux champs. C'est Lui qui
engendre, qui fait grandir hommes et bêtes, qui fait germer le grain, fait
pousser les plantes et les arbres ». C'est Lui qui dirige l'histoire humaine

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85

et cosmique. IL veille sur ses créatures et leur accorde bienfaits et


grâces.. Il décide du cours des événements (Grand Juge et seul Maître);

4. Dieu est Père: les bantous aiment considérer Dieu, leur Père. Dire
que Dieu est Père, c'est tout dire. Tel est le principal attribut de Dieu
dans la théodicée bantoue. De nombreuses prières attestent cette foi en
un Dieu - Père.

II.5 L'HOMME DANS LA CONCEPTION BANTOUE

Selon les enquêtes menées en psychologie, les bantous définissent


un individu à partir de trois dimensions:

• Un corps ou une enveloppe corporelle:


• Un souffle de vie (qui quitte le corps pendant le sommeil pour
voyager dans l'espace, puis retourne chez soi);
• Un principe vital supérieur (immortel) intimement lié aux ancêtres
et qui continue la vie après la mort.

II.5.1 L’Homme et ses relations avec les Autres Etres

C'est l'anthropologie sociale qui s'est intéressée à ce sujet. Nous


présentons sous deux volets les relations qu'entretienne l'homme Muntu.
La première est celle qui le lie à ses semblables, appelée * la fraternité
clanique ». La seconde est celle qu'il noue avec l'univers, appelée « la
fraternité cosmique » ;

a) La fraternité clanique

Chez les bantous, l'homme individu reste intimement impliqué dans


un réseau de relations vitales par et pour lesquelles il existe. Dans cette
vision du monde, il ne possède « sa force vitale » qu'en restant dans une
étroite communion de solidarité avec tous ses frères de sang. Il est pour
sa famille, son clan, sa tribu, membre d'une communauté ce sang ». En
d'autres termes: son appartenance à sa communauté le rend comme « un
maillon dans une chaîne » très complexe dont le circuit remonte à

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l'ancêtre fondateur, en passant par les défunts, les chefs de clan et de


famille jusqu'au dernier né de la lignée. Cet attachement est un enjeu
majeur, car se couper de la communauté, c'est aussi se couper de la
source de vie; c'est être condamné à l'étiolement, à la destruction, comme
une branche détachée de l'arbre. Et que son isolement complet ôte du
muntu sa raison d'être. Le lien avec la communauté constitue donc un des
critères essentiels de la morale bantoue. Pour le né Africain, vivre en paix
avec Dieu et les divinités, c'est avant tout se conformer scrupuleusement
aux lois de la société, harmoniser ses rapports avec ses voisins, professer
l'altruisme et faire preuve d'esprit de... solidarité en toute circonstance.

La solidarité clanique est une valeur essentielle du monde bantou.


Elle constitue le socle de la fraternité clanique ou sa loi fondamentale.
Elle correspond à la justice et l'amour des autres. Pour bien comprendre
la portée de cette solidarité, nous devons ajouter deux précisions:

• La cohésion intra clanique ou solidarité n'exclut pas le devoir


d'hospitalité à l'égard des étrangers de la tribu;
• La communion aux autres êtres n'implique nullement l'effacement
de la personne, comme si elle devrait se dissoudre au profit de la
communauté.

NB. La fraternité clanique reste pris au sérieux par le Muntu, du fait que
naître dans une famille, un clan, une tribu ou sa communauté, plonge le
muntu dans un courant vital spécifique et que le clan reste pour lui ce
cadre dans lequel circule la vie qui vient de Dieu par l'entremise des
ancêtre et du chef de clan. Dans le clan, Chef a un grand pouvoir sur les
autres membres: il véhicule ou donne la sève vitale qui vivifie la
communauté.

b) La fraternité Cosmique

Elle traduit le rapport que le Muntu entretient avec l'univers, Le


monde. De même qu'il est soudé à la communauté, de même il est
solidaire à l'univers qui l'entoure. Il est attaché au monde comme un
enfant est lié à la mère par le cordon ombilical.

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Aimé Césaire trouve l'homme dans le monde bantou comme « la


chaire de la chaire du monde » ou « la conscience du monde » qui fait
vivre le monde et qui vit grâce au monde. Il y a donc une action
réciproque entre l'homme et le monde: le monde porte l'homme, le
soutient et le fait progresser. Celui-ci, à son tour renouvelle l'univers er
se renouvelant lui-même. Les animaux, les plantes et tous les êtres
inorganiques ne sont pas considérés comme des êtres extérieurs, mais
comme, las prolongements et les moyens vitaux de ceux dont ils sont les
appartenances.

1. Le rôle de la danse

La danse est le moyen privilégié par lequel le Muntu communique


avec les autres membres et avec les forces cosmiques. Elle joue un rôle
indispensable dans le maintien de l'ordre cosmique ou du rythme du
monde (c'est-à-dire dans le maintien de l'équilibre. dans le changement
continuel au monde), par ses gestes et ses danses rythmés par tam-tam,
le danseur exprime le rythme cosmique (la vie de l'univers); il retrace la
lutte toujours renouvelée mais toujours victorieuse de la lumière sur les
ténèbres, de la vie sur la mort. A l'origine, la danse n'était pas un simple
divertissement. Elle avait une fonction importante: « Unir l'homme aux
autres et à l'univers ».

2. Le rôle de la Parole

C'est l'expression par excellence de la vie et un moyen de


transmission ou de communication. La parole est également l'expression
de la force qui soutient la communauté des vivants (telle est la parole des
ancêtres considérées comme sacrée). La parole traduit un acte
performatif capable de causer une situation bonne ou mauvaise (parole
bienveillance ou malveillance), la guérison, la maladie, la mort.

« L'efficacité de la parole dépend du rang social (cfr. Hiérarchie des


êtres) ou de la puissance vitale de celui qui la prononce ».

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La parole des ancêtres doit être respectée sous peine d'apporter


des souffrances aux vivants. A propos, un dicton des Banzela tribu du
Katanga) dit: <<< un ancien peut manquer lorsqu'il lance une pierre
mais il ne rate jamais sa parole ». C'est à l'aide des proverbes que les
paroles ancestrales sont toujours vivantes et atteignent les générations
futures.

NB. Bien que le pouvoir des choses soit l'apanage du Muntu grâce à son
verbe (le seul être pourvu d'activité), Dieu est « la grande force, le Père
Créateur », le Maître de la parole par excellence ». C'est lui qui possède
la maitrise absolue de la parole.

II.6. LA MORT ET L'AU-DELA

Ecoutons ce que disait Birago Diop: « Ceux qui sont morts ne sont
jamais partis: ils sont dans le sein de la femme. Ils sont dans l'enfant qui
vagit, et dans le tison qui s'enflamme... Les morts ne sont pas sous la
terre: les morts ne sont pas morts! »

II.6.1. LA MORT DANS LA CONCEPTION BANTOUE

La mort survient par la destruction du corps qui cesse d'être vivifié


par les principes vitaux inférieurs. Elle concerne donc les deux premiers
principes: L'un matériel périssable (le corps) et l'autre spirituel (le souffle
tde vie), à la mort, le principe vital immortel (supérieur) quitte
définitivement le corps et continue à vire dans l'au-délà.

a) Les causes de la mort

Aux yeux des bantous, la vie ne devrait s'éteindre qu'à la suite d'une
extrême vieillesse. Ici, la mort peut être considérée comme une mort
normale, naturelle et peut être acceptée par tous les membres, comme fin
habituelle de toute vie. C'est le cas de la mort des vieux dont la cause est
Dieu. (Dieu est venu les prendre pour un repos éternel).

En outre, si l'homme meurt à l'âge jeune (sans atteindre l'âge de la


vieillesse), c'est que cette mort est anormale et inadmissible. C'est dans

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ce cadre qu'il faut comprendre des troubles faites (ou causées) par des
jeunes de tout bord à l'égard des membres d'une famille éprouvée.

b) Conséquences de la mort

Chez les vivants:

 La mort d'un membre crée un vide ou une perte énorme dans sa


famille, son clan;
 Elle entraîne une diminution du potentiel de la communauté
(famille, clan, tribu);
 Elle rend les vivants incapables de profiter des biens du défunt s'il
jouait un grand rôle ou fonction dans la société ou s'il était grand
monsieur >> dans sa vie ;
 Elle désavantage les survivants pour avoir perdu un membre sur
lequel on comptait beaucoup dans certaines circonstances.

• Chez les Défunts:

 Elle entraîne la séparation entre le principe matériel périssable et


le principe vital spirituel immortel;
 Elle entraine aussi la rupture avec le monde où le défunt jouissait
des avantages matériels auxquels il avait accès (comme sa
richesse);
 Elle est un départ pour l'inconnu, mais apporte une augmentation
de force au défunt.

c) Attitude du Muntu devant la mort

Le Muntu est profondément angoissé et désorienté devant la mort.


Cette angoisse est due au fait que le mode d'existence d'outre-tombe ne
lui a pas été révélé; l'homme a l'impression qu'il s'achemine vers
l'inconnu. La mort lui semble donc un départ pour l'inconnu. Raison pour
laquelle il s'accroche davantage à la vie terrestre, la seule qu'il connait
avec certitude. Cet attachement à la vie terrestre justifie la soif de la
création prolifique chez les bantous, car ils veulent s'éterniser dans leur
descendance. Ainsi, soucieux de sa vie, le Muntu pense que « mourir sans

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laisser des enfants sur terre, est le plus grand malheur pour lui » Malgré
la profonde inquiétude devant la mort, les bantous ne considèrent pas la
mort comme la fin de l'existence; Pour eux, la mort permet un
changement de vie, c'est un départ vers un autre monde. Mourir, disent-
ils, c'est avant tout partir, c'est « quitter ce monde vers un autre ». Cela
montre davantage que le défunt n'est pas anéanti par la mort mais qu'il
continue à exister dans l'au - delà aux côtés des ancêtres.

II.6.2. LA NATURE DE L'AU-DELA

Les bantous conçoivent l'au-delà comme un village sous la terre ou


le << village des ancêtres « dont le mode de vie ressemble au nôtre. On
pense que « le mort est rentré » ou que « il nous a précédés chez les
ancêtres ». Cette croyance est à la base de certaines pratiques que l'on
trouve chez les bantous :

• On habille le défunt convenablement pour qu'il ne soit pas nu dans


l'au - delà;
• On enterrait dans certaines tribus, le grand chef avec ses femmes,
ses esclaves et ses biens afin qu'il ne soit pas seul dans l'au-delà;
• On dépose sur la tombe des ustensiles, des objets familiers, de la
nourriture pour que le défunt puisse se nourrir.

II.7. RELATION ENTRE LES VIVANTS ET LES MORTS

Chez les bantous, la famille intégrale ou entière comprend les


vivants et les morts. Ce sont les liens invisibles qui les unissent tous.

Le réseau de ces liens véhicule toute la sève, tout le sang, toute l'énergie
vivifiante qui pérennise et renforce les efforts soucieux de tous les
membres du clan.

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• Les relations existant entre Trépassé et Habitants de la terre sont


réciproques. Cette réciprocité est visible dans les actions des uns
envers les autres et vice versa;
• Les Morts sont souvent considérés comme les Garants ou Gardiens
de la vie de ceux qui sont sur la terre. (Ce sont de protecteur et des
surveillants procurant tout bonheur et veillant au bon
fonctionnement du clan). Ces surveillants invisibles peuvent
rappeler les Vivants à l'ordre au cas où ces derniers foulent aux
pieds les lois ancestrales et n'assurent pas I'harmonie de la vie intra
clanique.
• Les vivants sont soumis au respect et aux honneurs à leurs défunts,
par la vénération et le culte des ancêtres (invocations, offrande,
sacrifices), de peur d'être punis et de subir des malheurs ou
difficultés dans leurs entreprises, leurs voyage... le respect le plus
remarquable auquel tout Muntu est voué, c'est de penser à ses
ancêtres avant de boire son verre de vin, en versant une quantité
sur terre et en leur exprimant cette parole: Ancêtres morts ! Voici
votre part!». C’est dans cette communion ou interdépendance que
Muntu trouve dans la vie et dans la mort, Paix, Joie, et
épanouissement véritables.

II.8. LE JUGEMENT DES MORTS

Si le muntu meurt, il passe d'abord devant le tribunal des ancêtres,


lequel doit sanctionner son acceptation, ou son refus dans le monde. Ce
jugement que le trépassé subit est principalement basé sur la qualité des
relations qu'il avait entretenues avec ses frères. Ainsi, il est admis dans la
famille bienheureuse des ancêtres, s'il se présent sans avoir eu un conflit
avec les membres de son clan. Il en est exclu s'il présent un cœur chargé,
coupable d'envoutement, de rancune opiniâtre, de haine contre les
autres. S'il est concerné par ce dernier cas, il n'a pas d'office de place
dans le village des ancêtres et devient carrément un esprit méchant et

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dangereux qui doit errer dans la solitude et qui risque d'importuner ou


menacer et déranger les vivants sur terre.

II.9. LE RETOUR DES MORTS

Le retour des Morts dans la vie des vivants se fait par réincarnation
du « Nitu » qui rentre dans le sein d'une jeune fille du clan pour renaitre
et devenir un enfant. C'est ainsi que l'on identifie souvent quelqu'un déjà
mort avec l'enfant à peine de naitre, suivant que ce dernier porterait la
même physionomie, les même traces, la façon de parler, d'agir... ce
phénomène explique le retour, avec force d'un membre de famille décédé
et traduit ou justifie le respect que les adultes vouent (réservent) aux
enfants.

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