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Contextes et didactiques
Revue semestrielle en sciences de l’éducation

9 | 2017
Contextes et évaluations : quelles interactions ?

Éditorial
Elisabeth Issaieva Moubarak Nahra et Lucie Mottier Lopez
https://doi.org/10.4000/ced.703

Texte intégral
1 Dans le champ de la recherche en évaluation, il est largement admis que toute
pratique évaluative est située dans un contexte donné et qu’il est essentiel d’en tenir
compte lorsque l’on envisage l’étude de l’évaluation comme objet de recherche, outil
méthodologique ou pratique pédagogique (De Ketele, 1993, 2006 ; Figari et Achouche,
2001 ; Mottier Lopez, 2009 ; Stufflebeam et Shinkfliend, 1985). Si la prise en compte du
contexte est reconnue comme importante par la communauté scientifique de la
recherche en évaluation, la définition proposée du contexte n’est pas toujours claire et
sa conception est loin d’être unique et partagée. De manière générale, on peut
différencier au moins deux conceptions, plus exactement deux modèles du contexte
dans le domaine de l’évaluation : le modèle hiérarchique et le modèle interactionniste.
2 Le modèle hiérarchique, proposé par De Ketele (2006), est compris comme une
pluralité de contextes pouvant être située sur trois niveaux :

un niveau micro-contextuel comprenant les caractéristiques de l’enseignement


et de l’apprentissage en classe ou en groupe de formation ;
un niveau méso-contextuel se situant au plan institutionnel (école,
établissement, institut de formation) ;
un niveau macro-contextuel renvoyant au système éducatif ou de formation.

3 Dans ce modèle hiérarchique, les niveaux contextuels sont envisagés comme


s’emboitant les uns dans les autres. Les relations entre eux sont souvent peu
conceptualisées et opérationnalisées ou alors dans un mouvement plutôt descendant, le
macro-contextuel sur le méso ou micro-contextuel. Par exemple, il est examiné dans
quelle mesure les résultats des épreuves externes standardisées infléchissent les
pratiques évaluatives en classe (par exemple, Mons et Pons, 2013 ; Yerly, 2014) ou
encore quelles sont les perceptions des enseignants à la lumière des contextes culturels
et des politiques évaluatives (par exemple, Brown, Lake et Matters, 2009 ; Issaieva,
Yerly, Petkova, Marbaise et Crahay, 2015). Peu de travaux existent par contre sur
l’influence inverse, à savoir des pratiques évaluatives en classe sur les décisions prises
au niveau des établissements (niveau méso) et/ou sur la régulation du système éducatif
ou de formation (niveau macro), peut-être parce que la conception dominante reste un
pilotage par le haut.
4 Le modèle interactionniste vise à dépasser cette conception hiérarchique entre les
niveaux de contexte. Gallego, Cole et the Laboratory of Comparative Human Cognition
(2001) incitent, par exemple, à concevoir les différents contextes comme constitutifs
d’un processus dynamique d’influences réciproques. Comme le précise Mottier Lopez
(2008 : 286), « une microculture de classe se constituerait en interaction avec d’autres
cultures plus larges et contribuerait, elle aussi, à construire et à assurer la pérennité
de ces cultures ». Pour ce qui concerne l’évaluation des apprentissages des élèves, des
travaux empiriques adoptant cette perspective interactionniste sont encore isolés, mais
semblent prometteurs. Ainsi, dans une analyse de l’élaboration d’un dispositif
d’évaluation par les formateurs, dans un institut de formation, Mottier Lopez et Van
Nieuwenhoven (2009) mettent en évidence que le contexte institutionnel (niveau méso)
n’est pas imposé d’en haut (mouvement top-down). Celui-ci s’élabore en interaction et
réajustement avec le niveau micro-contextuel, au travers notamment, des modalités de
concertation entre formateurs, et ceci sur la base de leurs expériences en situation avec
les étudiants. Dans une autre recherche, Mottier Lopez (2013) examine la façon dont
des enseignants négocient des cultures d’évaluation dans des dispositifs de modération
sociale, prenant en considération à la fois des référents institués et standardisés et des
référents informels ancrés dans des savoirs d’expérience.
5 L’objectif scientifique de ce numéro 9 de la revue « Contextes et Didactiques » est de
poursuivre la réflexion et l’analyse de l’évaluation à la lumière des contextes et de leurs
interactions, dans divers ordres d’enseignement et de formation. Ce numéro propose de
questionner également l’impact des contextes sur l’évaluation quand celle-ci recueille
des informations à partir des apprentissages (au sens large, incluant des compétences)
et acquis des élèves, ou d’étudiants et stagiaires en formation universitaire ou
professionnelle.
6 Ce numéro comporte des études empiriques mobilisant des dispositifs
méthodologiques complexes divers (entretiens, observations, analyses de productions),
mais aussi des analyses théoriques et empiriques ciblant la conceptualisation de la
notion de contextes en évaluation selon différentes définitions possibles. Au regard des
questionnements posés et des problématiques traitées, les différents articles qui
composent ce numéro apportent des développements intéressants et proposent des
pistes de réflexion qui visent à s’inscrire dans un ou plusieurs des axes suivants :

la définition des contextes en jeu et leur relation avec la question évaluative


(comprise comme une pratique évaluative, réelle ou déclarée) ;
la modélisation des relations et des interactions conçues entre les contextes
concernés du point de vue de l’évaluation des apprentissages et acquis des élèves,
des étudiants et des stagiaires ;
la problématisation et l’interrogation des éventuelles tensions et
transformations liées à la relation ou interaction entre contextes ;
l’identification de l’impact des différents contextes au niveau macro (politiques
éducatives, pilotage d’un système), méso (établissements, équipes disciplinaires,
par exemple) et micro (classe, discipline, contenu, acteurs) sur l’évaluation et
inversement ;
la compréhension des mécanismes pouvant expliquer l’impact réciproque
entre contextes au regard d’enjeux évaluatifs.

7 L’article de Lucie Mottier Lopez et Lionel Dechamboux intitulé « D’un référentiel


d’évaluation fixe à une co-constitution référentielle dynamique, ce que nous apprend le
jugement situé de l’enseignant » propose une modélisation théorique de la
référentialisation dans des pratiques d’évaluation certificative réelles d’enseignants de
l’école primaire genevoise, en français et en mathématiques. À partir de l’hypothèse
d’une double relation dialectique entre le couple référent–référé et les situations, les
auteurs tentent, non seulement, d’expliquer le processus sous-jacent des interactions
des contextes évaluatifs pluriels convoqués (en termes de dynamiques co-constituantes
médiatisées par l’activité interprétative de l’enseignant), mais aussi d’identifier les
éléments qui les composent et qui sont réellement mobilisés dans l’agir évaluatif. Ce
faisant, l’enjeu scientifique vise aussi à mieux appréhender les conditions des
interactions des contextes co-constitutifs de la pratique évaluative.
8 L’article de Kristine Balslev, Anne Perréard Vité et Edyta Tominska, intitulé
« “Formative, on est vraiment dans cette perspective-là” : interventions et intentions
d’une formatrice universitaire dans l’évaluation de stages » s’interroge sur la mise en
œuvre de l’évaluation formative lors d’un entretien tripartite de stage en responsabilité
dans la formation initiale à l’enseignement primaire à Genève, en Suisse. En partant du
postulat que les pratiques réelles prennent forme dans un mouvement double, entre des
contextes prédéfinis et émergeants dans l’interaction, les auteurs interrogent
l’évaluation formative du stage en termes de réseaux et d’influences réciproques. Les
résultats révèlent l’importance des rôles endossés par les trois interactants (enseignante
stagiaire, tutrice de terrain et formatrice universitaire), ainsi que des dimensions
relationnelles informelles engagées pendant l’entretien.
9 L’évaluation formative en contexte constitue aussi l’objet de l’article proposé par
Christelle Goffin et Annick Fagnant et intitulé « Faire vivre une expérience d’évaluation
mutuelle en formation initiale : quelle transposition vers les pratiques d’enseignement
projetées ? ». En partant du constat d’un écart entre le prescrit en matière d’évaluation
formative et les pratiques réellement mises en classe, en Belgique francophone, les
auteurs considèrent qu’un dispositif d’expérience d’évaluation mutuelle, en formation
initiale, permettra aux futurs enseignants de comprendre ses enjeux et d’envisager des
transferts possibles vers le terrain. En adoptant cette perspective, les chercheurs
distinguent quatre niveaux de contextes et étudient plus particulièrement l’interaction
entre les contextes de la formation et des futures pratiques professionnelles.
10 Si dans les articles précédents, des interactions entre des contextes évaluatifs sont
constatées, c’est moins le cas dans la recherche réalisée par Gonzague Yerly et intitulée
« Les raisons du faible usage des résultats d’évaluation externe par les enseignants.
Étude croisée dans trois contextes éducatifs ». Ainsi, l’auteur analyse le regard de 41
enseignants quant à leur dispositif et à leur politique d’évaluation externe au Québec, en
Ontario et en Suisse. Malgré les différences importantes entre les dispositifs et les
politiques d’évaluation externe dans les trois contextes, les enseignants accordent peu
de validité à ces données externes et ceci pour des raisons proches. L’auteur discute ces
résultats en termes de dissonances qui sépareraient les approches d’évaluation externe
et d’évaluation interne, tant sur le plan de leurs méthodes, de leurs usages que de leurs
finalités. Afin de trouver un dialogue possible entre le contexte évaluatif macro et micro,
l’auteur suggère de cibler le contexte méso (l’établissement) en tant qu’espace potentiel
de rencontre et de rapprochement.
11 L’article de M’hand Ammouden intitulé « Analyse sociodidactique des évaluations
internationales inspirées du Cadre européen commun de référence pour les langues »
suggère de prendre en considération la diversité des contextes et des cultures
éducatives, et par extension des cultures d’évaluation, en Algérie. Les expérimentations
menées examinent les niveaux de compétences proposés pour les langues, et leurs
descripteurs supposés prendre en considération le contexte immédiat de la pratique
langagière. Les auteurs soulignent les difficultés de leur application dans des contextes
non européens. Les auteurs concluent, d’une part, que ces difficultés découlent
essentiellement de la nature des consignes et des thématiques, et d’autre part, que les
contraintes qui en résultent désavantagent les publics qui ne connaissent pas la France
et sa culture. La fiabilité et l’équité des évaluations sont alors mises en question.
12 L’article d’Ana Maria de Jesus Ferreira Nobre, intitulé « Pierre angulaire de
l’enseignement des langues étrangères dans un environnement d’apprentissage virtuel :
l’évaluation », envisage une redéfinition du concept d’évaluation en langues étrangères
dans l’enseignement supérieur à distance au Portugal. Les auteurs proposent de passer
d’une approche d’évaluation des connaissances à une approche qui vise le
développement des compétences, en établissant la distinction bien connue aujourd’hui
dans la littérature anglophone entre une évaluation des apprentissages (assessment of
learning) et une évaluation pour les apprentissages (assessment for learning). Sans
être directement théorisée par les auteurs, la relation entre évaluation et contexte est ici
abordée du point de vue des outils pédagogiques et des ressources notamment sous
forme d’informations et fichiers multimédias.
13 Un dernier article de synthèse sera inséré au dossier au mois de septembre 2017. Il
visera à discuter les contributions de ce numéro au regard de la littérature de recherche.
14 En interrogeant la notion du contexte en évaluation dans une perspective plurielle, ce
numéro 9 de la revue « Contextes et Didactiques » a pour objectif de mieux définir et
comprendre les contextes au regard des enjeux évaluatifs et de modéliser plus
explicitement certaines pratiques évaluatives situées. Ceci permettrait sans doute de
prolonger les investigations afin de comprendre à quelles conditions certaines
interactions contextuelles se produisent et pas d’autres.

Bibliographie
Brown, G. T. L., Lake, R. et Matters, G. (2009). Assessment policy and practice effects on New
Zealand and Queensland teachers' conceptions of teaching. Journal of Education for Teaching,
35(1), 61-75.
DOI : 10.1080/02607470802587152
De Ketele, J.-M. (1993). L’évaluation conjuguée en paradigmes. Revue Française de Pédagogie,
103, 59-80.
DOI : 10.3406/rfp.1993.1298
De Ketele, J.-M. (2006). La recherche en évaluation : propos synthétiques et prospectifs. Mesure
et évaluation en éducation, 29(1), 99-118.
Figari, G. et Achouche, M. (dir.) (2001). L’activité évaluative réinterrogée : regards scolaires et
socioprofessionnels. Bruxelles : De Boeck.
DOI : 10.3917/dbu.figar.2001.01
Gallego, M. A., Cole, M. et the Laboratory of comparative human cognition. (2001). Classroom
cultures and cultures in the classroom. Dans V. Richardson (dir.), Handboock of research on
teachning. Fourth edition (p. 951-997). Washington, DC : American Educational Research
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Issaieva, E., Yerly, G., Petkova, I., Marbaise, C. et Crahay, M. (2015). Conceptions et prises de
positions des enseignants face à l’évaluation scolaire dans quatre systèmes éducatifs : quel est le
reflet des cultures et politiques évaluatives ? Dans L. Belair et P.-F. Coen (dir.), Évaluation et
auto-évaluation : quels espaces de formation ? (p. 73-98). Bruxelles : De Boeck.
Mons, N. et Pons, X. (2013). Pourquoi n’y a-t-il pas eu de « choc PISA » en France ? Sociologie de
la réception d’une enquête internationale (2001-2008). Revue Française de Pédagogie, 182, 9-18.
Mottier Lopez, L. (2008). Apprentissage situé : la microculture de classe en mathématiques.
Berne : Peter Lang.
Mottier Lopez, L. (2009). L’évaluation en éducation : des tensions aux controverses. Dans L.
Mottier Lopez et M. Crahay (dir.), Évaluations en tension : entre la régulation des
apprentissages et le pilotage des systèmes (p. 7-25). Bruxelles : De Boeck.
Mottier Lopez, L. (2013). Pour une culture partagée de l’évaluation. Du retour à des pratiques
d’évaluation traditionnelles vers la construction d’un nouveau rapport entre la recherche, le
terrain et le politique. Revue Éducation Canada. Disponible en ligne sur : http://www.cea-
ace.ca/education-canada/article/pour-une-culture-partagée-de-l’évaluation
Mottier Lopez et Van Nieuwenhoven, C. (2009). Co-élaboration d’une pratique d’évaluation entre
formateurs : quelles relations de régulation au sein de la communauté de pratique ? Dans L.
Mottier Lopez et M. Crahay (dir.), Évaluations en tension : entre la régulation des
apprentissages et le pilotage des systèmes (p. 181-199). Bruxelles : De Boeck.
Stufflebeam, D. L. et Shinkfliend, A. J. (1985). Systematic evaluation: A self-instructional guide
to theory and practice. Boston : Kluwer-Nijhoff Publishing.
DOI : 10.1007/978-94-009-5656-8
Yerly, G. (2014). Les effets de l’évaluation externe des acquis des élèves sur les pratiques des
enseignants. Analyse du regard des enseignants du primaire. Thèse de doctorat en Sciences de
l’éducation, Université de Fribourg, Fribourg.
Pour citer cet article
Référence électronique
Elisabeth Issaieva Moubarak Nahra et Lucie Mottier Lopez, « Éditorial », Contextes et
didactiques [En ligne], 9 | 2017, mis en ligne le 15 juin 2017, consulté le 27 novembre 2024.
URL : http://journals.openedition.org/ced/703 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ced.703

Auteurs
Elisabeth Issaieva Moubarak Nahra
CRREF (EA 4538), Université des Antilles

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