cours OBSERVATIONS L1 IED
cours OBSERVATIONS L1 IED
cours OBSERVATIONS L1 IED
Béatrice Geyres
1
Table des matières
Préambule ............................................................................................................................................... 3
Observation et Objectivité .................................................................................................................. 5
Observation et interprétation ............................................................................................................. 7
L’observation directe............................................................................................................................... 8
Qu’est-ce que l’observation directe? .................................................................................................. 8
Observation à découvert ou incognito ................................................................................................ 9
Observation participante .................................................................................................................. 11
Grilles d’observations et Carnet de bord .......................................................................................... 15
Références ............................................................................................................................................. 31
2
Préambule
Toutes les connaissances humaines ont forcément commencé par des observations fortuites.
L’homme ne pouvait, en effet, avoir la connaissance des choses qu’après les avoir vues et la
première fois c’est nécessairement par hasard qu’il a dû les voir. Ce n’est qu’après avoir
acquis un certain nombre de notions, par l’observation, que l’homme a raisonné sur ce qu’il
avait observé d’abord par hasard, puis il a été conduit à se faire des idées sur les choses, à
rapprocher les faits anciens et à en déduire de nouveaux qui étaient analogues : en un mot, il a
été amené après l’observation empirique, à trouver d’autres faits, non plus par pur hasard ,
mais par induction. Aussi l’empirisme, c’est-à-dire l’observation ou l’expérience fortuite, est
à l’origine de toute démarche scientifique. La figure 1 (ci-dessous) nous renseigne des
différentes étapes à effectuer pour respecter une démarche scientifique Figure 1
3
Si l’on se penche sur la figure 1 vous pouvez observer que toute démarche scientifique
commence par une question de départ. Or, celle-ci est le fruit d’une observation car comme le
relève Claude Bernard (1865) toute recherche scientifique a pour point de départ une
observation. Les idées expérimentales naissent très souvent par hasard et à l’occasion d’une
observation fortuite. Rien n’est plus ordinaire, et c’est même le procédé le plus simple pour
commencer un travail scientifique. Citant Bacon, qui compare l’investigation scientifique à
une chasse : « les observations qui se présentent sont le gibier », Claude Bernard poursuivra la
même comparaison, en ajoutant que si le gibier se présente quand on le cherche, il arrive aussi
qu’il se présente quand on ne le cherche pas, ou bien quand on en cherche un d’une autre
espèce. Ainsi, une observation survenue par hasard, fait naître une hypothèse sur la cause
probable du phénomène observé que l’on vérifiera en mettant en place un dispositif
expérimental. Cette expérimentation ferra alors naitre des observations que l’on peut appeler
observations provoquées (voir Figure 1 - étape 5) qui pourront à leur tour faire naître des
idées (voir conclusion).
4
On oppose donc généralement l’observation et expérimentation car ce sont deux extrêmes de
la réactivité et de la non-réactivité. En effet, ces deux méthodes peuvent agir plus ou moins
sur les sujets, les modifier, ne serait-ce que provisoirement, en provoquant une réaction, une
réponse. Si l’expérimentation vise précisément à susciter des réactions chez les sujets,
certaines formes d’observation ne sont pas réactives du tout. Par exemple, si les sujets ne
savent pas qu’ils sont observés rien chez eux ne sera modifié et l’observateur appréhendera ce
qui se passe en dehors de toute intervention.
Mais on peut aussi opposer l’observation à l’interrogation : on regarde ce que fait
effectivement quelqu’un plutôt que de s’en remettre à ce qu’il dit, et ce dans un contexte aussi
bien expérimental que naturel.
Ainsi le terme " observation " a au moins deux usages et deux significations :
- par rapport à l'expérimentation, il marque la volonté de savoir ce qu'il en est, en dehors de
toutes interventions, c'est-à-dire dans des conditions "naturelles" ou éventuellement la
reconnaissance de l'impossibilité d'expérimenter ; dans ce sens on parle d’observation directe.
- par rapport à l'interrogation, il indique qu'on veut enregistrer des comportements effectifs,
plutôt que leurs équivalents verbaux, leur description par les sujets eux-mêmes ou par des
témoins. Presque toutes les expériences comportent donc aussi des observations : dans ce sens
on parle d’observation systématique. Toutefois cette méthode s’avère malgré tout souvent
complétée par des entretiens.
Si l’observation en tant que méthode vise l’objectivité, observation directe ou systématique se
distingue. Après avoir posé leur fondement commun, nous étudierons dans un premier temps
l’observation directe, puis dans un deuxième temps, l’observation systématique en y intégrant
les techniques d’entretiens. Pour ce faire, je me suis appuyée sur les travaux de Matalon
(1999), Peretz (1998) et de Salès-Wuillemin (2006).
Observation et Objectivité
L’observation est une activité naturelle de tous les êtres vivants. L’histoire nous enseigne que
toutes les sciences ont connu une période d’observation avant de passer à l’expérimentation. Il
s’agit cependant ici de distinguer l’observation simple de l’observation méthodique qui
répond à des exigences précises de rigueur scientifique. Aussi avant d’aller plus loin, je vous
propose de faire une petite expérience qu’un enseignant aurait pu vous demander de faire si
vous aviez assisté à un cours en direct et non par correspondance. Demandez à deux
personnes prêtes à vous aider d’aller ensemble « observer » ce qui se passe à un certain
5
endroit, par exemple, un café, une sortie d’école, un square, une rame de métro ou un arrêt de
bus, la queue devant un cinéma ou à une caisse de supermarché. Puis, sans se concerter, que
chacun note ce qu’il aura observé. En principe vous aurez vu la même chose. Néanmoins il y
a de nombreuses chances que vos rapports soient très différents, et ceci d’autant plus que la
consigne n’indiquait pas dans quel but était faite l’observation, donc ne donnait aucune
indication quant à ce qu’il valait la peine de retenir. Aucune des notations effectuées n’est
fausse et pourtant pourra apparaitre qu’elles n’aient pas grand-chose en commun.
Aussi, vous pouvez reprendre cette petite expérience en vous donnant une consigne plus
précise : par exemple, indiquer le genre de personne qui se trouve là, ou vérifier une
hypothèse sur certains déterminants des interactions. Les différences entre vos rapports vont
assurément être plus faibles, mais vous vous apercevrez que tout le monde n’utilise pas les
mêmes traits pour décrire les individus ou les interactions. Vous pouvez encore limitez vos
différences en vous précisant le but de l’observation des personnes : par exemple, s’il s’agit
d’un café, d’un cinéma ou d’un supermarché, vous pouvez vous dire que vous réalisez une
étude appliquée dont le but est de connaitre la clientèle d’un commerce pour savoir comment
mieux l’attirer, ou s’il s’agit de recherche fondamentale, vous pouvez préciser quels facteurs
et quels aspects des interactions vous intéressent.
Ainsi, vous pouvez vous apercevoir que l’observation qui semble un phénomène naturel, n’a
rien d’évident. Ce n’est pas, comme on pourrait le penser à première vue, une simple
constatation. Il est donc nécessaire de déterminer avec précision les aspects pertinents des
personnes ou des situations, compte tenu des questions initiales que l’on se pose. Comment
ses actions peuvent ils s’exprimer en termes de réactions, de comportements ou de conduites ?
Comment construire un dispositif d’observation approprié pour y avoir accès ? Observer c’est
alors interagir avec des objets dans des conditions de préparation déterminés. Selon les cas on
souhaitera que cette interaction soit minimale afin que les objets soit le moins modifiés
possible par l’observation, c’est un idéal naturaliste, ou au contraire on souhaitera modifier
l’objet. Cela implique que dans tous les cas, l’interaction doit être bien contrôlée, ou du moins
le mieux contrôlé possible puisque les relations humaines présentent certains aspects
imprévisibles. Quoiqu’il en soit le psychologue doit toujours être en mesure de spécifier les
conditions dans lesquelles il construit les données sur lesquelles il s’appuie pour faire son
interprétation.
6
Observation et interprétation
"Un homme marche dans la rue; il tient à la main un objet très mince, d'environ 10 cm sur 15.
Il s'approche d'un objet parallélépipédique, jaune, fixé au mur, ayant une ouverture étroite en
haut de la face vers la rue. L'homme glisse l'objet dans cette ouverture. Puis il tire de sa poche
un carré blanc, le porte à son nez, souffle dedans, et repart."
Voilà une observation détaillée, objective. Mais, devant la même scène, un autre observateur
aurait aussi pu dire : "Un homme a posté une lettre, puis s'est mouché"
(Matalon, 1999)
Laquelle de ces deux descriptions est la meilleure ? La première est d’allure plus scientifique
mais s’éloigne de ce que l’on dirait spontanément. La deuxième est plus naturelle mais il faut
une certaine culture pour qu’une telle description soit possible spontanément. Un observateur
américain, par exemple, chez qui les boites aux lettres sont très différentes hésiterait peut être
à identifier l’action et un observateur d’une civilisation sans écriture ou dans laquelle le
courrier est acheminé autrement ne comprendrait peut être même pas de quoi il s’agit.
Décider si les deux actions qui semble parfaitement distinctes, font ou non parti de la même
séquence peuvent être source d’hésitations ! Interpréter, catégoriser est donc problématique,
mais sans cela l’observation resterait pauvre et on passerait à côté de l’essentiel. Si cet
exemple n’est pas si ambigu pour des personnes appartenant à la même culture : il n’en pose
pas moins de nombreux problèmes.
Si la première description est très détaillée elle néglige beaucoup de choses : nous ne savons
rien de la personne en question, de son âge, de son aspect physique….. Même de manière
approximative, tous ces détails auraient pu être observés. Là encore l’interprétation est
inévitable puisqu’à vue d’œil évaluer un âge n’est pas si simple. A-t-il vraiment mis la lettre
dans la boite ? A-t-il vraiment mis une lettre dans cette boite ?
Selon les intérêts de l'observateur, d'autres traits peuvent devenir saillants ou significatifs : un
ergonome qui se demande si les boîtes aux lettres sont bien adaptées à leur fonction centrera
son attention sur le détail des gestes, leurs ratés, éventuellement il pourra mesurer le temps
mis pour introduire la lettre. Un spécialiste du mobilier urbain cherchera à savoir si telle
qu'elle est placée, la boite ou ceux qui s'y arrêtent ne gênent pas la circulation des autres
passant et donc relèvera leurs éventuels détour. Si on s'intéresse à une certaine personne, on
situera cet acte simple dans la suite de ses conduites ; si c'est l'acte lui-même qui motive
l'observation, on observera d'autres personnes dans les mêmes circonstances, ou encore
7
« poster une lettre » sera enregistré comme une des actions possibles à cet endroit, les autres
étant également relevées.
De cette multiplicité des descriptions possibles, et de sa conséquence : la nécessité de choisir
et d'interpréter, on tire parfois argument contre la possibilité d'une observation objective. En
effet, le risque de ne percevoir que ce qui correspond à nos attentes et d'interpréter en fonction
de nos présupposés est bien réel. Des précautions sont donc nécessaires pour en éviter le
risque. Pour cela, il faut commencer par prendre conscience qu’avoir « vu » n'est pas toujours
une preuve suffisante. Puis, quels que soient le choix théorique effectué, observation directe
ou systématique, des questions méthodologiques fondamentales sont à trancher afin de
contribuer à une meilleure objectivité concernant :
- La détermination du contexte dans lequel les individus seront observés
- Les unités d’observations
- Les instruments permettant de garder la trace des conduites des individus.
L’observation directe
Issue de l’ethnologie, l’observation directe consiste à être témoin des comportements sociaux
d’individus ou de groupes dans les lieux mêmes de leurs activités ou de leurs résidences sans
en modifier le déroulement ordinaire. Elle a pour objet le recueil et l’enregistrement de toutes
les composantes de la vie sociale s’offrant à la perception de ce témoin particulier qu’est
l’observateur. Celui-ci côtoie et étudie les personnes, assiste aux actes que produisent leurs
actions, écoute leurs échanges verbaux, fait l’inventaire des objets dont elles s’entourent,
qu’elles échangent et produisent. Dans ce cadre, l’observateur à quatre tâches à accomplir :
8
diriger clairement et rapidement des notes, et enfin, une culture générale et
psychosociologique apte à interpréter les données recueillis et à les présenter sous forme de
compte rendu. L’observation directe est donc une posture réclamant à la fois des capacités de
sociabilité, d’attention, de mémoire et d’interprétation.
Une fois que l’on a construit son objet de recherche, c’est à dire que l’on a identifié la
question, ou la problématique, à partir de laquelle on va interroger son terrain, il s’agit de
réfléchir à son statut d’observateur. Le statut d’observateur, ou rôle de l’observateur, désigne
la manière dont on veut se présenter et se comporter sur le terrain, et/ou la manière dont on
veut être perçu par les enquêtés, les deux ne coïncidant pas nécessairement. Pour ce faire,
deux paramètres essentiels permettent de caractériser le statut d’un observateur sur un terrain
particulier :
- Le choix d’une observation à découvert (on se présente en tant que psychologue faisant une
étude psychologique) ou incognito (on ne révèle pas aux enquêtés le fait qu’on est en train de
faire une étude psychologique sur ce terrain).
- Le degré et les modalités de participation
Ces deux paramètres sont fortement liés en pratique, mais il est utile de les distinguer
analytiquement pour voir la diversité des statuts possibles. De plus, on se trouve souvent dans
des statuts intermédiaires, et le rôle qu’on adopte peut évoluer selon les moments de l’enquête
de terrain : passage de la non-participation à la participation, présentation initiale à découvert
suivie d’interactions avec d’autres acteurs à qui on ne révèle pas son statut de psychologue. Il
importe toutefois de bien saisir ces deux grands paramètres, pour se situer par rapport à eux au
fur et à mesure de l’étude.
Pour opter pour l’observation à découvert ou incognito certains paramètres joue dans cette
prise de décision :
- Lien avec la question de l'accessibilité du terrain :
1er cas de figure : L'accès au terrain est-il impossible à découvert. Dans ce cas de figure, le
chercheur se demander s’il est objectivement capable d'une observation incognito (ex. : le rôle
impose d'être une femme et il est un homme; d'être noir et il est blanc).
9
2ème cas de figure : A l'inverse, dans beaucoup de lieux, il peut accéder sans qu'on lui
demande quoi que ce soit (étude d’un lieu public, un parc par exemple.). Il sera donc
incognito "par défaut", en quelque sorte. La question sera alors de savoir s’il veut quand
même allez ce présenter en tant que chercheur (et à qui?). (Voir ci-dessous étude Liebow,
1967)
3ème cas de figure : L'entrée dans le lieu doit se négocier, elle impose une "présentation de
soi", et dans ce cas vous devrez choisir un rôle (incognito ou à découvert) par exemple dans
une institution.
À découvert Incognito
10
- Le troisième paramètre non négligeable à prendre en compte dans sa décision est le
propre sentiment qu’il a par rapport à ce choix. Certains se sentent plus à l’aise en restant
incognito, alors que d’autres ne supporteront pas le fait de « mentir » aux enquêtés et
préféreront être à découvert. Cependant, il ne doit pas omettre l’intérêt scientifique de ces
deux options.
Dans tous les cas, le choix de l'une ou l'autre posture devra être justifié en fonction de tous ces
paramètres. Concrètement, dans la plupart des situations, on n'est pas à découvert pour tout le
monde : il faudra préciser dans l'observation pour qui vous êtes « à découvert », et qui ne
soupçonne pas les raisons scientifiques de votre présence.
Observation participante
11
Aussi l’observation participante répond à des caractéristiques essentielles :
- L’observateur doit s’insérer et participer au groupe qu’il étudie, prendre part à la vie du
groupe pour quelques semaines, quelques mois voire quelques années. Aussi, c’est une
méthode très couteuse, en temps tout au moins, et aussi en implication personnelle.
- La neutralité n’est pas possible. L’observateur ne peut pas être objectif, il est à l’intérieur du
phénomène étudié. Cependant, il a l’avantage de ne pas avoir à jouer d’autres rôles que le sien
propre, et n’introduit donc aucun élément nouveau.
- L’engagement personnel de l’observateur rend subjective l’étude et la compréhension du
phénomène étudié car le problème de recul se pose : il risque de ne pas avoir le regard
extérieur, le regard éloigné qui permet d’aller au-delà des « évidences » du groupe, de les
reconnaitre et de se poser des questions à leurs propos.
- L’observation peut se faire à découvert ou incognito, la seule règle étant d’obtenir des
informations fiables sur le phénomène étudié.
Comme les ethnologues dans les pays lointains, on a vu des sociologues ou des psychologues
aller travailler en usine, habiter dans des banlieues, s’introduire dans une secte, établir des
relations amicales avec une bande de malfaiteurs ou s’engager dans la police. Parfois, ils
peuvent faire leur travail ouvertement en se présentant comme des chercheurs, discutant de
leurs sujets et des progrès de la recherche. Mais ce n’est pas toujours possible et il faut trouver
un prétexte pour expliquer sa présence.
12
I.Participation total : « Dans ce rôle, les activités de l'observateur en tant que telles sont
totalement cachées. Le chercheur de terrain est ou devient un membre à part entière d'un
groupe constitué, partageant ainsi des informations secrètes ignorées des personnes
extérieures. Sa liberté d'observer hors du système de relations propres au groupe est limitée.
[...] Quand le participant apparaît au grand jour comme un chercheur qui fait état de ses
observations, il peut s'attendre à passer pour un espion... »
Ce rôle peut être illustré par les observations clandestines du psychologue sociale Festinger.
Au milieu des années cinquante, Festinger et six de ses collègues ont entrepris d’étudier
l’organisation d’une secte qui annonçait la fin du monde pour une date proche. En se faisant
passer pour des adeptes, les chercheurs souhaitaient observer clandestinement comment cette
organisation sociale allait affronter le démenti des faits. Cette étude intitulé « l’échec d’une
prophétie » (Festinger et al., 1956) suit pas à pas le déroulement de la diffusion de la croyance
au sein de cette communauté et montre comment les fidèles convertissent les nouveaux venus.
Ces derniers abandonnent peu à peu leur mode de vie et leurs attachent professionnelles. Le
déluge tant attendu ne survenant pas, les adeptes ont dû gérer le démenti des faits et
trouvèrent malgré tout dans ce désaveu des raisons supplémentaires pour croire et poursuivre
leur croisade. Ainsi, Festinger a montré que lorsqu'un groupe religieux, une secte, voit ses
prédictions réfutées par la réalité, le comportement du groupe en question tend vers un
développement de son activité prosélyte de façon à réduire la dissonance résultante, car en
recrutant le plus d'adeptes possible, cela les conforte davantage dans leurs croyances.
L'argument du nombre permet ainsi au groupe de rationaliser et de pallier à l'échec de la
prophétie, d'autant plus chez ceux pour lesquels l'investissement moral dans le mouvement est
important.
II. Le participant observe : « dans ce rôle, les activités d'observation du chercheur ne sont pas
complètement dissimulées, mais pour ainsi dire cachées ou soumises à ses activités de
participant, activités qui donnent aux personnes présentent dans la situation les éléments
essentiels pour évaluer le rôle tenu par l'observateur. Ce rôle peu limiter l'accès à certaines
informations et en particulier à celles tenues pour secrètes. C'est précisément parce que
l'observateur est considéré comme "un membre de la noce" qu'il aura du mal à établir une
communication dépassant ce qui se dit publiquement. Dans son compte rendu final, le
chercheur qui a occupé cette position est tenu de respecter le caractère secret ou confidentiel
des informations recueillies en accord avec les personnes. Car sa présence repose sur l'accord
implicite qu'on l'a accepté plus comme un participant (un ami) qu'un observateur (un étranger
qui fourre son nez partout). »
13
Ce rôle peut être illustré par les observations participantes d’Elliot Liebow. Dans les années
soixante, cet anthropologue décida de réaliser une enquête sur l’éducation dans les quartiers
pauvres de Washington DC, lieu où il avait grandi. Il interrogea des mères et leurs enfants
puis il décida de rencontrer les pères, population plus difficile à trouver en raison de leur
mode de vie instable et de leur faible lien au foyer familial. L’observation directe de ce
groupe social dans la rue et dans les divers lieux de rencontre s’avéra être la méthode la plus
appropriée. Pour ce faire, il arpenta le quartier en restant dans un périmètre restreint, attendant
qu’une relation s’établisse selon les règles sociales habituelles. Suite à une descente de police
il discuta durant quatre heures avec l’un d’eux « Tally » et lui indiqua qui il était et les
raisons de sa présence. Ainsi, il put tisser des liens avec d’autres sur la foi du premier, et avec
le temps, même si certains se méfieront toujours de lui d’autres nouveaux arrivants le
considèrent comme un habitué. Ce chercheur, d’origine juive, passa un an et demi au milieu
d’un groupe d’hommes noirs dans les rues de la capitale. Sa monographie intitulée « Tally’s
Corner » (1967) relate que ces hommes, instables, vivant au coin de la rue, forment entre eux
un réseau stable d’amitié, s’entraidant en réinterprétant leurs échecs et leurs faiblesses. Leurs
liens avec la société américaine passent par le travail et le mariage. Mais ils ne sont ni armés
par l’éducation pour obtenir un emploi qualifié, ni préparé à assumer leur charge familiale. Il
trouve dans la vie publique au coin de la rue une sorte de sanctuaire ou ils fuient la police, la
famille ou l’ennui, multipliant les actes et initiatives sans lendemain.
III. L'observateur participe : « dans ce rôle, les activités de l'observateur sont rendues
publiques dès le début et plus ou moins encouragées publiquement par les personnes étudiées.
C'est intentionnellement qu'elles ne sont pas cachées. L'observateur peut ainsi avoir accès à
une grande diversité d'informations et même à des secrets si l'on sait qu'il les gardes et qu'il en
respecte le caractère confidentiel. Dans ce rôle, le sociologue pourrait en principe bénéficier
du maximum de liberté pour recueillir l'information, mais seulement aux prix d'une contrainte
maximale sur le contenu de se son compte rendu. » Dans ce contexte, l'observateur est tenu de
respecter, la liberté qui lui a été donnée et de s'en tenir au contrat de confidentialité qu'il a
passé.
Ce rôle peut être illustré par la situation de l'observateur au sein de diverses organisations
formelles, comme par exemple l’institution scolaire, l’administration, les entreprises, les
hôpitaux.
IV. Simple observateur : « Cette situation implique une large gamme de rôles dans lesquels, à
une extrémité, l'observateur se cache derrière un miroir sans tain, éventuellement équipé d'une
14
caméra sonore et, à l'autre, ses activités, sont connues d'un groupe "hypothétique" dans lequel
par "consensus" il n'y a "ni secrets", "ni quoi que ce soit de sacré". On ne trouve pas
spontanément de tels groupes dans la société, mais on s'approche de cette forme et de ce
fonctionnement dans les groupes expérimentaux où l'observateur a un rôle formel comme
dans les situations créées dans les laboratoires de dynamique de groupe. ».
Nous ne développerons pas ce rôle, néanmoins on pourra se référer à la partie observation
systématique faisant référence à l’expérimentation.
La Grille d’observation
Si l’observation directe désigne une grande variété de pratiques caractérisées par la non
intervention et l’enregistrement des comportements, celle-ci est généralement faite en
fonction d’une «grille d’observation». En effet, avant que les psychologues disposent des
techniques d’enregistrement connues maintenant, le seul moyen à leur disposition était de
noter les aspects des conduites qu’ils décidaient d’observer. Ainsi, les conduites font l’objet
d’une catégorisation préalable appelée grille d’observation, qui permet une lecture plus facile
voir même une première analyse des données. L’enregistrement des conduites revient à noter
l’occurrence (nombre d’apparition) des catégories sur la grille, selon leur chronologie le cas
échéant. Chaque unité d’analyse est ainsi codée c’est-à-dire que l’on substitue à une unité
d’observation un code désignant une catégorie, dans la grille d’observation. Dans le cadre
d’une observation directe, les trois expressions, « grille d’observation », « grille de catégorie »
et « grille d’analyse » sont synonymes.
Les trois étapes générales d’observation directe :
I. Observation préalable « libre » :
Toute observation directe commence par une observation préalable libre de phénomène
identique à celui que l’on veut étudier. Dans cette étape, il n’y a pas une orientation précise.
Le but est de relever le plus grand de nombre d’informations possible qui sont liées aux
phénomènes ou aux comportements étudiés, sans priorité d’importance ou d’ordre.
II. Elaboration des catégories :
A partir de ces informations, on élabore les catégories de la grille de manière empirique. Les
catégories doivent correspondre aux comportements qui constituent le phénomène étudié.
Ces catégories doivent être :
- Homogènes, c’est-à-dire être définies par rapport à un même critère.
- Exhaustives, permettre de classer chacun des comportements observés.
15
- Exclusives, ne pas se chevaucher ou s’inclure les unes les autres ; un comportement doit être
classé dans une seule catégorie.
- Pertinentes, correspondre aux objectifs de la recherche ;
- Objectives, avoir reçu une définition opératoire précise.
III. Tester les catégories. Pour tester les catégories par rapport à leur homogénéité, neutralité
et objectivité, plusieurs observateurs utilisent la grille pour observer le phénomène et ensuite
compare leurs résultats. S’il y a une forte concordance, les catégories sont homogènes et la
grille est neutre et objective.
La grille de Bales
Les psychosociologues utilisent généralement la grille de Bales pour relever les échanges
entre les membres d’un groupe. Plus précisément, c’est un outil d'analyse quantitative et
qualitative des relations interindividuelles et de la dynamique de groupe permet de réaliser
une typologie des interactions verbales, par exemple lors de réunions de groupe de travail.
Dans de tels groupes, pour lesquels les membres sont censés avoir le même statut, on voit
spontanément émerger des rôles différents, dépendant à la fois de la tâche à accomplir, des
spécificités individuelles et collectives. Cette grille d’analyse permet également d'établir des
profils individuels, d'analyser la qualité des relations socio-affectives et des comportements
orientés vers le travail, à partir du type et du nombre d'interactions. Dans ce but, un
observateur note la portée (affective, centrée sur le travail), la valeur (positive, négative) et la
nature (centrée sur soi, sur autrui, sur une autre intervention) de l’intervention. Pour ce faire,
l’observateur classe chacune de ces interventions parmi 12 catégories : 6 catégories
concernent les interventions centrées sur le travail en cours, 6 autres sur les relations
interpersonnelles, socio-affectives. Dans chacun de ces deux domaines, 3 catégories
permettent de décrire, selon leur nature, des aspects positifs de l’intervention, 3 autres,
inversement, des aspects négatifs.
Soit, les catégories suivantes décrites par Bales.
16
Catégories centrées sur le travail, manifestations positives
4 – Suggestions
5 – Intervention exprimant l’avis, l’opinion
6 – Intervention directive, donnant des informations ou une orientation de travail
Catégories centrées sur le travail, manifestations négatives
7 – Demande d’informations
8 – Demande d’avis, d’opinions
9 – Demande de suggestions
Catégories centrées sur les relations interpersonnelles, manifestations négatives.
10 – Manifestation de désaccord
11 – Manifestation de stress ou de gêne, de tension
12 – Attaque relationnelle, manifestation d’animosité
Observation systématique
La méthode d’observation systématique constitue un préalable souvent incontournable à toute
démarche de recherches. Conçue en fonction d'un cadre théorique de référence (voir figure 1),
l'observation est un processus de base subordonné et intégré dans la démarche plus globale
qu'est la méthode expérimentale. Dans ce cadre, l’observation est considérée comme une
phase exploratoire de la recherche visant à se familiariser avec une situation ou un phénomène
afin qu'émerge une problématique et des hypothèses. Puis, une fois l’hypothèse formalisée, la
collecte des diverses observations appropriées permet de tenter sa vérification. Pour qu’une
observation soit scientifique, il faut qu’elle soit répétable et repérable et donc généralisable.
C’est pour cette raison que nous devons limiter les observables car nos capacités cognitives
sont limitées et définir des hypothèses pour pouvoir choisir les observables, les conditions
d’observation et les techniques à utiliser. Ces facteurs permettent une systématisation de
l’observation.
18
possibilité de conserver beaucoup de données, et de les analyser à loisir plus tard, de revenir
aux documents et de changer éventuellement de mode d'analyse, de recourir à plusieurs
observateur pour atténuer le risque d’erreurs individuels. On évite ainsi en partie les choix, les
catégorisations et les interprétations immédiates et les renvoie à un moment où on sera dans
de meilleures conditions pour les faire. On pourra aussi réaliser des analyses impossibles à
effectuer immédiatement, comme, par exemple, des dénombrements de mots ou des gestes
utilisés au cours d'une intervention.
Cette méthode, complexe du point de vue de sa mise en œuvre, présente l'avantage de fournir
au chercheur un large panel de facteurs interconnectés, permettant souvent de mettre en
évidence des actions et des relations passées jusque-là inaperçues. La démarche d'observation
systématique doit répondre aux questions suivantes : Comment font-ils ? Que font-ils ? Quels
sont les procédés mis en jeu ? Comment les décrire ? Comment les répertorier ?
19
Nature des variables et questions de recherche
Si l’observation n’est pas une expérimentation, toutefois pour procéder de manière
méthodique on doit distinguer les variables indépendantes (VI) des variables dépendantes
(VD). Cependant, parce que les VI de l’observation et de toute enquête sont spécifiques, il
n’est en général pas possible de mettre en évidence des relations causales. Dans
l’expérimentation les VI sont en principe provoquées c’est-à-dire manipulées par
l’expérimentateur. Chaque VI se décompose en plusieurs modalités que peut prendre la
variable. Par exemple, si l’on souhaite montrer l’effet de la méthode d’enseignement sur la
performance des élèves, on pourra manipuler les conditions d’enseignement en distinguant
par exemple méthode classique et méthode Freinet ou enseignement en présence et
enseignement à distance.
Dans l’observation, les VI sont en principe invoquées, cela veut dire qu’elles existent
indépendamment de l’action du chercheur. Elles s’apparentent plus à des critères de
classification qui permettent de comparer plusieurs situations. Les VI invoquées pouvant être
utilisées dans un dispositif relatif au développement de l’enfant pourraient être, l’âge de
l’enfant (nourrisson versus 18mois versus 24 mois), avoir une fratrie (deux modalités : enfant
unique versus avoir des frères ou sœurs) etc. Les VD correspondent à des indicateurs
apparaissant dans les comportement ou réponses des individus observés ou interrogés.
Les questions de recherche sont multiples et dépendent souvent de l’état d’avancement des
recherches sur l’objet d’étude. Si l’objet de recherche est inexploré ou peu connu on peut
modestement chercher à en attester l’existence et à le décrire. Par exemples lorsque les
psychologues ont commencé à s’intéresser au rôle des interactions entre enfants sur leur
développement intellectuel, ils ont commencés à rechercher à partir de quel âge les enfants
étaient capables d’interagir entre eux. Si l’objet d’étude est complexe et qu’il s’agit de faire
appel à de nombreuses variables pour le décrire on pourra chercher comment se structure ses
variables : sont-elles indépendantes ? Corrélées ? Ordonnées?
Si l’objet est connu mais sujet à évolution ou à variation on peut chercher à en saisir l’état
actuel ou à décrire son évolution. Par exemple, on peut examiner comment avec l’âge les
conduites interactives ou rechercher les caractéristiques qui les modifient (le style éducatif, le
nombre d’enfants dans la fratrie, la fréquentation de la crèche…. Quand on n’a pas
d’hypothèses précises, l’expérience a un statut exploratoire : On parle alors d’expérience pour
voir.
20
La mise en place d’une recherche repose la plupart du temps sur une phase exploratoire. Elle
permet de situer l’objet de la recherche dans un contexte global et de faire émerger une
problématique, l’émergence de variables et s’il y a lieu des pistes d’hypothèses. Bien que
cruciale, cette étape est peu formalisée. Tous les supports ou moyens d’information
accessibles sont exploités. Il peut ainsi s’agir de mettre en œuvre une méthode d’observation
documentaliste du terrain ciblé et/ou de réaliser une observation sur le terrain intégrant des
entretiens dits exploratoires qui ont pour fonction de mettre en lumière les aspects du
phénomène auxquels le chercheur ne peut penser spontanément, et de compléter les pistes de
travail suggérées par ses lectures.
Quand on est capables de formuler des hypothèses explicatives, l’expérience sera conçue pour
mettre à l’épreuve ces hypothèses. Les hypothèses sont des affirmations provisoires qui seront
donc vérifiées grâce à une mise à l'épreuve. Ceci implique naturellement qu’elles soient
exhaustives, pertinentes et vérifiables. L’exhaustivité est en lien avec les VI (invoquées ou
provoquées). Une hypothèse par variable peut être formulée pour prédire un effet simple. Si
plusieurs VI sont considérées, il faudra considérer les effets d’interaction. Dans ce dernier cas,
une prédiction pour chacun des croisements obtenus peut, sans que ce soit une obligation, être
réalisée. L’évaluation de la pertinence d’une hypothèse est plus délicate, elle réside dans le
lien existant entre l’effet prédit et le cadre théorique. Pour être pertinente l’hypothèse doit
pouvoir découler directement de ce cadre. Les hypothèses doivent être énoncées de manière à
pouvoir clairement être confirmées ou infirmées. La vérifiabilité d’une hypothèse repose sur
les VD retenues et plus exactement sur les indicateurs qui font l’objet de la mesure. Les
hypothèses doivent inclure une référence explicite à ces indicateurs et prédire les variations
attendues. Voici pourquoi, elles sont construites en deux parties. La première, appelée
hypothèse générale ou théorique, contient une prédiction de portée générale. La seconde
appelée hypothèse spécifique ou opérationnelle contient des indicateurs qui permettront de
vérifier la confirmation ou l’infirmation de l’hypothèse. Voici un exemple d’hypothèse : « La
représentation du théâtre dépend du niveau de connaissance et de pratique des individus
interrogés. » On s’attend à ce que la représentation des comédiens soit différente de celle du
grand public.
L’entretien de recherche.
21
expérimentation, l'observation intervient lors de phase exploratoire de la recherche et
également en tant que méthode lorsqu’on recueille des observations dans le but de tester des
hypothèses. Quel que soit le type d’intervention, le chercheur effectue souvent des entretiens
afin de complémenter son recueil d’informations. L’entretien de recherche permet d’obtenir
de l’information verbale pertinente sur un objet d’étude. On peut distinguer les entretiens
selon leur but, comme le fait Chauchat (1985), entre l’entretien exploratoire et l’entretien
d’observation systématique.
La mise en place d’une expérience repose la plupart du temps sur une phase exploratoire. Elle
permet de circonscrire l’objet de la recherche dans un contexte global. Tous les supports ou
moyens d’information accessibles sont exploités afin de se familiariser avec l’objet de
recherche. Il peut ainsi s’agir de mettre en œuvre une méthode d’observation documentaliste
et/ou de réaliser une observation sur le terrain accompagné d’entretiens dits « exploratoires ».
Les entretiens exploratoires ont précisément pour fonction de mettre en lumière les aspects
du phénomène auxquels le chercheur ne peut penser spontanément, et de compléter les pistes
de travail suggérées par ses observations et ses lectures. Ils permettent de se familiariser avec
l’image que la population ciblée a de l’objet d’étude, de répertorier les réactions des individus
à son propos pour en faire émerger une problématique et des hypothèses.
L’entretien d’observation, quant à lui, est utilisé pour révéler directement l’image que la
population interviewée a de l’objet étudié. Il est privilégié lorsqu’il s’agit d’appréhender des
processus de pensée avec une plus grande finesse, ou de mettre au jour les opérations
mentales mises en œuvres par les individus dans la gestion de la réalité sociale, les
attributions causales, la dissonance, l’intériorisation des normes, l’élaboration des attitudes
etc. ou encore pour permettre à l’interviewé de traduire sa pensée de manière progressive,
modulée et personnelle sans l’enfermer dans un cadre de référence, des schèmes de pensée
préétablis.
On peut, également, distinguer les entretiens selon le caractère plus ou moins directif du mode
d’intervention de l’interviewer comme le font Guiglione et Matalon (1978). On distingue ainsi
trois niveaux de directivité :
- L’entretien non directif, quelquefois qualifié de libre. Cette façon de procédé est
souvent réservée aux entretiens exploratoires.
- L’entretien semi directif, qui utilise une grille de thème à aborder, mais qui
respecte un ordre, celui du discours de la personne interrogée.
22
- L’entretien directif ou standardisé qui se confond en partie avec le questionnaire à
question ouvertes.
La conduite de ces trois types d’entretiens et plus précisément l’entretien non directif qui ici
nous intéresse plus particulièrement sont présentés ultérieurement.
Le contrat de communication (Ghiglione et al. 1986 ; Blanchet et al. 1987 ; Blanchet, 1991)
qui s’applique à l’entretien le fait grandement différer d’une conversation banale où chacun
prend la parole en faisant en sorte d’apporter une contribution suffisante, pertinente, claire, de
façon à faire progresser la conversation qui se déroule. Tout d’abord, dans l’entretien, les
protagonistes poursuivent des buts et ont des enjeux spécifiques. L’interviewer (Ier) essaie
d'obtenir le maximum d'informations sur un thème donné. Il a des attentes précises, aussi il
peut être pris dans une logique économique et mettre tout en œuvre pour que cette quête soit
fructueuse sans perte de temps inutile avec des entretiens qui ne répondraient pas au cadre
strict de l’étude. De façon en apparence contradictoire, il cherche également à obtenir des
informations authentiques, à atteindre une dimension personnelle, fruit d’une implication de
l’interviewé (Ié). Voilà pourquoi, pour l’Ier les enjeux sont forts, chaque entretien doit être un
succès. En ce qui concerne l’Ié, les enjeux sont de toute autre nature. Il est bien souvent pris
entre deux exigences contradictoires : le désir d’être agréable et de se plier au jeu de
l’entretien, mais également le souci de ne pas dire de choses trop personnelles ou
impliquantes qui pourraient mettre en péril son image. Ensuite, la relation Ier/Ié apparaît
comme une relation faussement symétrique. L’Ié est à la fois en situation de possession des
informations que cherche l’Ier, ce qui le met en quelque sorte en position de force. Mais il est
également en position de faiblesse vis-à-vis de l’Ier à qui il attribue une bonne technique et
une grande expérience dans la conduite d'entretiens. En se référant à Blanchet et Gottman
(1992), il est possible de dire que l’Ié est en position de supériorité vis-à-vis du contenu
informationnel alors que l’Ier l’est du point de vue relationnel. De même, si l’on se réfère à
Goffman (1959) l’entretien peut apparaître comme un « jeu de face » particulier, parce que
l’Ier est « autorisé » à réaliser des ingérences dans le territoire de l’Ié, grâce au pouvoir de
questionner. L’Ié risque, de par l’acceptation de ce contrat de communication, de perdre la
face, par exemple, s’il doit avouer son ignorance de certaines informations. Enfin, un jeu
conversationnel peut également se mettre en place durant l’entretien. L’Ier a des attentes
23
précises, mais souhaite que l’Ié s’exprime librement. Ce dernier cherche à répondre librement
tout en ayant présentes à l’esprit les attentes supposées de l’Ier. Lorsque ces attentes sont trop
explicites, l’Ié peut être tenté de les satisfaire (biais de complaisance). Si ces attentes ne sont
pas assez explicites, il y a risque d’incertitude, l’Ié peut alors mettre en œuvre des stratégies
de protection et de quête des réactions de l’Ier.
L’entretien constitue une méthode de recueil très souple, qui peut être adapté à de multiples
objectifs de recherche. D’un point de vue méthodologique, plus la marge de manœuvre
laissée à l'enquêté est faible et plus le chercheur doit avoir d'hypothèses précises. Autrement
dit, l’entretien non directif, appelé aussi entretien libre, peut être utilisé dans une étude
exploratoire sans qu’il y ait une connaissance approfondie du thème, de la population et une
formulation d’hypothèses spécifiques. Il permet ainsi de faire émerger une problématique et
des pistes d’hypothèses. L’entretien semi directif ou semi structuré et l’entretien directif qui
s'apparente au questionnaire nécessitent à des degrés divers, une connaissance plus étendue de
l’objet et de la population pour pouvoir construire un guide pertinent et des hypothèses
spécifiques. Ils sont également qualifiés d’entretiens confirmatoires pouvant permettre la
validation ou non d’hypothèses spécifiques.
L'entretien Non Directif, appelé aussi entretien libre s'apparente à la méthode clinique. Il se
caractérise par une grande souplesse donnée à l’interviewé pour présenter ses contenus de
pensée. Aucun cadre n’est préalablement établi et l’interviewer s’ajuste totalement au
discours, à ce que dit l’interviewé mais cela ne veut pas dire que l’interviewer n’a pas de
principes d’intervention, tout au contraire. Il doit être constamment à l’écoute de l’interviewé,
de façon à repérer les thèmes abordés et à l’aider par des relances, à élaborer son point de vue
personnel. Il doit être également vigilant pour ne pas renforcer à son insu, certains types de
réponses. Pour cela l’interviewer devra être averti des biais induits par certaines formes de
questionnement ou d’attitude. Ainsi, il pourra les contrôler et interpréter à posteriori, au vu de
la transcription des entretiens, la dynamique interactive qui a pu produire tel ou tel effet sur
l’interviewé.
Lorsque les individus parlent librement, les entretiens revêtent des formes très diverses. Il y a
cependant un petit nombre de constantes, notamment en ce qui concerne l’évolution du
24
discours de l’interviewé. On distingue, selon Guiglione et Matalon (1998), généralement trois
phases dans un entretien non directif : les stéréotypes, le discours recherche et le discours
redondant.
- Les stéréotypes.
Durant les premières minutes, l’interviewé cherche à évacuer ses préoccupations antérieures
et s’efforce de se concentrer sur le thème de l’entretien ; la tache étant difficile il aborde
généralement le sujet en commençant à émettre des idées convenues. Les stéréotypes lui
permettent de d’alimenter facilement son discours. Ils l’aident également à évacuer le stress :
l’interviewé se détend progressivement en s’apercevant qu’il parvient à parler sans trop de
difficultés. Durant cette première phase de l’entretien, et à chaque fois que l’interviewé tend à
s’abriter derrière des stéréotypes, l’interviewer doit l’encourager à avancer afin qu’il ne
s’enferme pas dans son discours conversationnel. Ses encouragements sont des interventions
très brèves, l’intervenant se contentant de prononcer quelques mots tels que « je vois » ou
« oui » sur un ton exprimant la neutralité et l’empathie. Le « oui » n’exprime pas « vous avez
raison » mais « je vous écoute, je comprends, vous pouvez continuer ».
- Le discours recherche.
Quand l’interviewé ne trouve plus de formule toute faite, il commence par avoir le sentiment
qu’il a tout dit, puis il s’aperçoit qu’il ne s’est pas exprimé de manière personnelle. Il
entreprend alors un travail de recherche. L’interviewé réfléchit à haute voix, tâtonne, ordonne,
ses idées et élabore un discours original. Il se remémore également certaines impressions,
s’efforce de dénouer l’écheveau de ses émotions et exprime ses sentiments tout à fait
personnels. C’est alors qu’il se met souvent à parler à la première personne. Ce travail de
recherche est extrêmement difficile l’interviewé ne peut l’accomplir seul. Aussi l’interviewer
lui apporte son concours sans se départir de sa neutralité : il encourage l’interviewé à
maintenir son effort et l’aide à clarifier ou à approfondir son discours. Il intervient également
pour permettre à l’interviewé de prendre conscience de ce qu’il dit.
- Le discours redondant.
La dernière étape est marquée par l’apparition d’un discours redondant. L’interviewé
commence à se répéter, montre des signes de fatigue et entreprend parfois de conclure en
faisant le bilan de ce qu’il a dit. La fin de l’entretien approche mais l’interviewé peut avoir
encore des choses à préciser ou clarifier. Il importe que l’interviewer le relance comme durant
la seconde étape. Lorsque celles-ci deviennent inefficaces l’entretien s’achève.
25
Les interventions de l’interviewer.
Il existe plusieurs types de relances de l’interviewer. En s’inspirant de Blanchet et al. (1992)
ainsi que de Chauchat (1985) il est possible de dénombrer 6 principales formes de relance,
réparties en deux catégories, les relances non directives, et les relances directives : les
réitérations, les réitérations thématiques, les reformulations et les formulations du non-dit sont
des relances non directives. Par contre, les questions spontanées ainsi que les questions
préparées à l’avance insérées dans un guide d’entretien, sont des relances directives.
De plus, selon Blanchet (1991) il existe deux registres dans la relance, le registre modal qui
fonctionne comme un miroir, en reflet, il renvoie son discours à l’Ié, La relance modale
s’emploiera donc à reprendre l’attitude de l’interviewé quand elle apparaît explicitement au
travers d’expressions diverses comme « il me semble », « pour moi » ou rester implicite et
révélée quand elle était implicite. Dans les deux cas la relance se fait en incluant des formules
comme « selon vous », « à votre avis », « selon votre perception » etc. Le registre référentiel,
quant à lui, fonctionne en écho, il renvoie le contenu du discours. La relance ne mentionne
que les faits relatés par l’interviewé. L’utilisation de chacun de ces registres à un effet sur le
discours de l’interviewé. Le registre modal entraîne une modalisation du discours et se traduit
par l’apparition de marques explicitant l’attitude (« il me semble » « pour moi »), parce qu’il
est entendu par l’interviewé comme une remise en cause de sa sincérité (celui-ci est donc
amené à réaffirmer que c’est bien là son point de vue). Cet effet peut être recherché lorsqu’il
s’agit de mettre en évidence l’opinion des enquêtés. Le registre référentiel a pour conséquence
une référentialisation du discours de l’interviewé, parce que la relance est perçue comme une
question indirecte visant un approfondissement.
Au cours d’un entretien non directif, plusieurs types de relance peuvent être utilisés par
l’interviewer et notamment les réitérations et les reformulations. Les réitérations ou écho sont
des répétitions d’une énonciation de l’interviewé. Les réitérations simples (RS) sont les plus
élémentaires, elles limitent les risques d’influence et sont aisées à produire parce qu’elles
correspondent à une reprise de la dernière phrase ou partie de phrase au sein de la dernière
prise de parole de l’interviewé. Elles sont interprétées comme des demandes indirectes
d’explication et contribuent à une linéarisation du discours. Les RS ne doivent toutefois pas
être faites en trop grand nombre parce qu’elles donnent l’impression de n’être pas écouté.
Ayant le sentiment qu’il est seul à participer, l’interviewé peut se sentir perdu et s’arrêter de
parler. Les réitérations thématiques (RT) sont assez proches des RS. L’interviewer ne se
contente toutefois pas de reprendre la dernière phrase de l’interviewé, il choisit une partie des
propos de ce dernier, dans sa dernière prise de parole. Les RT donnent l’impression d’être
26
moins mécaniques que les RS. L’interviewer semble faire un effort conversationnel d’écoute
plus important puisqu’il est capable de choisir et de répéter une phrase énoncée peu avant.
Cependant, outre le risque d’influence résultant de la mise en exergue de certaines
thématiques, le temps écoulé entre la formulation et la reprise entraîne des risques de
déformation. Or, l’emploi d’un terme différent, même en apparence synonyme, peut induire
une transformation du sens et une évolution de l’entretien.
Les reformulations (REF) correspondent à un résumé de la dernière prise de parole de
l’interviewé. L’interviewer réalise un effort conversationnel plus important et donne
l’impression qu’il intervient à part entière, qu’il « co-construit » (Ghiglione, 1986). Les REF
présentent un important risque d’interprétation : l’interviewer peut ne pas refléter exactement
la pensée de l’interviewé (déformation, interprétation) ou ne pas respecter précisément la
perspective en se focalisant sur des éléments qui n’avaient pas grande importance
(amplification) ou en restreignant la portée d’autres éléments (réduction).
Les Formulations du non-dit (FND) sont plus délicates à gérer. Ces relances s'appuient sur ce
qui transparaît du discours sans en modifier la signification. Il s’agit d’expliciter l’implicite.
Cela peut se faire en laissant transparaître l’attitude de l’interviewé (lorsque la FND est faite
sur le registre modal) ou en tirant une conclusion à partir du contenu des propos de
l’interviewé (lorsque la FND est faite sur le registre référentiel). Parce que l’effort
conversationnel de l’interviewer semble maximal, les FND donnent une tournure
extrêmement naturelle à la situation d’entretien. Les FND comportent toutefois un risque
énorme d’interprétation. En outre, elles peuvent être perçues par l’interviewé comme une
obligation d’assumer des conclusions ou des prises de position dont il voudrait peut être se
garder, ce qui peut être ressenti comme une agression. Voilà pourquoi ces interventions
nécessitent la plus grande prudence.
27
Ce guide constitue donc un schéma directeur standardisé de l’entretien en limitant les risques
de dispersion.
En choisissant de laisser une grande liberté de parole à l’interviewé au sein de chaque thème,
la possibilité de faire des découvertes est ainsi possible.
L’ESD oscille entre la non-directivité et la directivité aussi l’interviewer a une attitude non
directive quand il répète et reformule les propos de l’interviewé grâce au RS, RT, REF, FND,
comme lors d’un entretien non directif, et une attitude directive quand il pose des questions
spontanées ou préparées. Les relances directives, peuvent être des questions spontanées ou
des questions préparées. Les questions spontanées (QS) sont totalement improvisées, précises
et ajustées au discours de l’interviewé. Elles visent à éclaircir des éléments de contenu non
explicités (questions référentielles) ou des aspects de l’attitude non précisés (questions
modales). Les questions préparées (QP) sont beaucoup plus générales. Elles sont
préalablement formulées et insérées dans le guide d’entretien.
L'entretien Directif
28
Les biais acteur-observateur
Soit, par exemple, deux sujets un artiste et un ingénieur qui observent un paysage. L'artiste
sera surement plus fasciné par la beauté du paysage et ses caractéristiques esthétiques, tandis
que l'ingénieur sera plus intéressé par les constituants géologiques ou botaniques du lieu.
Cette tendance de l'observateur à se projeter inévitablement dans ce qu'il perçoit a reçu le nom
de "biais de l'observateur". De même, Le chercheur, comme tout homme, a accumulé des
connaissances préalables et s’est construit une certaine représentation du monde et de la
réalité qui l’entoure. En situation d’observation il est susceptible d’observer les objets en
fonction de ses attentes, de ses aspirations et de ses motivations et non pas seulement en
fonction des caractéristiques de son objet d’étude, éliminant ainsi certains faits significatifs
observés. Ainsi, malgré les efforts déployés pour être le plus objectif possible, les données
d’observation peuvent être empreintes d’une certaine subjectivité attribuable aux biais
d’observation tel que le biais de halo (Thornike, 1920) et le biais de sévérité (Hoyt, 2000)
pour n’en citer que deux.
Le biais de halo, décrit l’impact qu’une impression préalable de l’observateur peut avoir sur
ses observations subséquentes. Par exemple, si un observateur développe une opinion
favorable envers un participant lors des premières minutes d’observation et que cela influence
par la suite le jugement qu’il porte sur ses comportements à venir, on qualifiera ce biais
d’effet halo. Cet effet peut se constater par exemple chez les enseignants qui conservent la
première impression qu’ils se sont fait d’un élève le premier jour de classe, même si celui-ci
n’est pas régulièrement bavard ou attentif ou participatif !
Le biais de sévérité pose que l’observateur utilise des critères pas assez ou trop sévères lors
de ses évaluations, ce qui peut affecter la moyenne des résultats rapportés. Ce que par
exemple tout observateur étudiant peut constater lorsque l’objet étudié est la différence de
notation de copies par un enseignant ou un autre !
30
l’application d’une réelle méthodologie, les risques subsistent, et chacun s’accorde à dire que
l’observation ne peut être employée de manière isolée, un croisement systématique avec
d’autres méthodes doit être opéré et en premier lieu l’expérimentation.
Références
Ghiglione, R. (1986). L’homme communiquant, Paris : Armand Colin
Ghiglione, R., Matalon, B. (1978) Les enquêtes sociologiques, Paris, Armand Colin.
31