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CHAPITRE III.

CE QUI EST MOBILISÉ CHEZ LES DEUX INTERLOCUTEURS


DANS L’ENTRETIEN CLINIQUE
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Béatrice Marbeau-Cleirens
in Colette Chiland, L'entretien clinique

Presses Universitaires de France | « Quadrige »

2013 | pages 41 à 82
ISBN 9782130621287
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/l-entretien-clinique---page-41.htm
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CHAPITRE III

Ce qui est mobilisé


chez les deux interlocuteurs
dans l’entretien clinique
par Béatrice Marbeau-Cleirens

L’aspect clinique de l’entretien, c’est‑à-dire chercher à


aider autrui à s’exprimer, être disponible pour l’écouter,
comprendre la complexité et la richesse de ses processus
psychiques, devrait se rencontrer dans tous les entretiens.
C’est une aptitude difficile à acquérir ; elle demande, de
façon continue, un travail d’observation de soi-même,
d’auto-analyse et de contrôle de soi.
Certains sont appelés en consultation, par exemple les
parents d’un enfant examiné par un psychologue scolaire,
d’autres viennent d’eux-mêmes chercher une aide ; les
uns et les autres possèdent toutes sortes d’inhibitions,
d’hostilité, et des attitudes diverses vis‑à-vis des psycho-
logues, ce qui les entraîne à des comportements parfois
inadéquats à la situation et qui biaise la pensée et les
paroles. Mais, dans la relation duelle, chacun induit la
pensée, les émotions et le comportement de l’autre. Pour
que l’entretien soit le plus satisfaisant possible pour les
deux partenaires, il est souhaitable de comprendre les
principaux processus psychiques qui les touchent l’un et
l’autre : l’identification, la projection, le transfert et le

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42 L’entretien clinique

contre-transfert, la place des groupes d’appartenance des


deux interlocuteurs dans leurs relations dans l’entretien.

1. L’IDENTIFICATION

1) Compréhension empathique du client


par le psychologue
Dans un entretien clinique, c’est en rencontrant l’autre
sur quelques points de similitude que l’on peut arriver
peu à peu à le saisir par empathie. Parfois, il faut un objet
intermédiaire pour faciliter ce travail ; cela peut être un
jeu avec l’enfant, un problème professionnel avec un
employé, de la pâte à modeler, un jeu de cartes, de la
musique avec un psychotique. C’est en cherchant à péné-
trer le sens du langage de l’interlocuteur, en employant
ses mots, en se représentant son entourage et son passé,
que le psychologue réussira peu à peu à sentir de l’inté-
rieur les problèmes qui agitent l’interlocuteur, et il devien-
dra ainsi plus apte à lui parler un langage que ce dernier
pourra recevoir, car sa personnalité est respectée. Un des
aspects les plus délicats pour la compréhension de l’autre,
c’est de ne pas entreprendre une identification active par
rapport à lui, ne pas penser : « Que ferais-je à sa place ? »,
mais chercher à ressentir intuitivement sa sensibilité,
c’est‑à-dire imaginer : « Que pourrais-je faire si j’étais lui
pour résoudre ce problème ? » Pour cela, il est nécessaire
de prendre en considération les différences qui séparent le
psychologue de son interlocuteur. Le sexe, l’âge, le milieu
culturel, le statut social, le pays, la race, la profession, les
traits de caractère, les aptitudes, la fragilité psycholo-
gique, les systèmes de défense, etc. Ce sont ces derniers
qu’il faut savoir respecter pour ne pas les mettre en ques-
tion en dehors d’un traitement psychothérapeutique régu-
lier, car le sujet risque soit de s’écrouler, soit de se raidir,

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Ce qui est mobilisé chez les deux interlocuteurs 43

d’accentuer ses défenses et de s’opposer au discours du


clinicien. Il est très important de respecter son apparte-
nance à des groupes, même et surtout si la motivation de
leur adhésion apparaît clairement névrotique, car elle joue
un rôle de soutien narcissique, parfois indispensable pour
le protéger d’une angoisse intolérable ou d’une décom-
pensation. Si le psychologue ressent une vive opposition
intérieure à l’égard du groupe d’appartenance de son
interlocuteur, il doit contrôler au maximum ses réactions
subjectives, qu’elles soient affectives ou intellectuelles.
Mais, en outre, c’est une occasion pour lui de cher-
cher à comprendre en profondeur pourquoi son interlo-
cuteur y adhère avec un tel investissement, ce qui lui
permettra de prendre une distance à l’égard de sa propre
implication personnelle et de réaliser une meilleure
empathie avec l’autre.
Pour le clinicien, il existe trois dangers principaux
pour la compréhension de la psychologie profonde
d’autrui : celui de s’identifier affectivement de façon
active à l’interlocuteur, celui de s’identifier à une autre
personne qu’à celle de l’interlocuteur, et, enfin, celui
d’accepter de façon excessive son faux self.
Si le sujet parle d’un problème qui touche très person-
nellement le psychologue, celui-ci risque de s’identifier
fortement à lui tout en projetant ses émotions person-
nelles ; si son implication atteint un certain degré d’inten-
sité, il peut devenir moins disponible pour percevoir les
différents éléments qui font partie du problème du sujet et
lui donnent son caractère particulier ; il va sans doute alors
perdre son aptitude à la disponibilité intellectuelle et affec-
tive par rapport à la personnalité de l’autre, par rapport à la
question qui se pose, et à l’ensemble de l’entourage fami-
lial et professionnel de celui-ci. Par cette identification
massive associée à une certaine projection qui rend l’autre
analogue à lui-même, l’interviewer risque de transmettre
à son interlocuteur une part de son émotivité et ainsi

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44 L’entretien clinique

d’accentuer son angoisse, sa colère, sa révolte ou son état


dépressif, par exemple ; ou bien il va chercher à le surpro-
téger pour diminuer sa souffrance et ainsi le condamner à
une dépendance affective infantilisante.
Le processus identificatoire produit un effet nocif
quand le psychologue s’évade de la relation duelle du
moment présent, lorsqu’il s’identifie non pas à son inter-
locuteur pour mieux le comprendre, mais à une personne
de l’entourage de celui-ci. En voici deux exemples.
Un psychologue scolaire avait examiné une petite fille
assez perturbée scolairement et affectivement dans sa
classe de cours préparatoire. Dans un entretien avec la
belle-mère de cette enfant, elle apprend que le père avait
divorcé quand l’enfant avait 18 mois ; il avait trois enfants.
Les deux aînés allèrent vivre chez leur mère, mais la petite
dernière est restée chez son père qui vivait avec une
femme qu’il épousa. La belle-mère adorait cette enfant et
se faisait appeler « maman » par elle, tandis qu’elle éloi-
gnait la vraie mère qui d’ailleurs réclamait assez rarement
la fillette. Cependant, le frère et la sœur aînés venaient
régulièrement chez leur père et voyaient leur petite sœur.
Celle-ci vivait donc dans un climat de filiation assez
confus qui la perturbait. La psychologue scolaire voulait
expliquer à la belle-mère qu’il était nécessaire de dire la
vérité le plus rapidement possible à cette enfant. Elle s’est
trouvée face à une femme qui voulait obstinément retarder
ce moment-là et attendait que la fillette ait atteint 10 ans.
La psychologue s’identifiait à l’enfant et parlait à cette
jeune femme des problèmes que cela lui poserait, mais la
belle-mère, n’étant en rien convaincue, ne parlait au
contraire que des bénéfices que l’enfant en tirerait.
L’entretien aboutit à un échec complet. Tous les discours
de la psychologue ne s’étaient centrés que sur l’enfant qui
n’était pas là, et non pas sur cette femme, son enfance, son
passé, ses désirs les plus profonds, dont la connaissance
aurait pu permettre de lui parler un langage qu’elle aurait

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Ce qui est mobilisé chez les deux interlocuteurs 45

entendu. La psychologue, se rendant compte du désintérêt


qu’elle avait manifesté à l’égard de son interlocutrice, la
reconvoqua et apprit que cette femme ne pouvait pas avoir
d’enfants, qu’elle avait été elle-même abandonnée par sa
mère ; elle put alors dialoguer sur un autre ton qui n’était
plus celui du reproche culpabilisant, mais celui de la com-
préhension affective. Ainsi, au lieu de provoquer une atti-
tude défensive et hostile, elle aida cette femme à faire
tomber ses défenses, à ouvrir ses horizons et à changer de
projet par amour pour l’enfant.
Le deuxième exemple est celui d’un homme de 30 ans,
Wilhelm, qui demande conseil parce qu’il va se séparer
d’une compagne avec qui il vit depuis 4 ans et qui est
enceinte. La psychologue qu’il consulte s’est immédiate-
ment identifiée à cette jeune femme qui va être abandon-
née, pense-t‑elle, au moment où elle a au contraire besoin
de soutien. Elle défend immédiatement la jeune femme en
remettant en question le client de façon froide, distante,
voire culpabilisante ; elle pose des questions pour savoir
s’il a pensé aux devoirs psychologiques et financiers qui
s’imposent à lui et aux poursuites que peut lui faire cette
jeune femme pour la reconnaissance de cet enfant. Elle
n’avait pas pris le temps de laisser cet homme exposer
combien cette histoire était difficile pour lui, comment il
avait été manipulé par cette femme, qui connaissait les
droits qui la concernaient beaucoup mieux que lui-même.
Il désirait l’épouser depuis longtemps et avoir des enfants
avec elle, ce qu’elle avait toujours refusé. Puis elle sup-
prima la prise de la pilule sans le lui dire, tout en affirmant
au contraire qu’elle continuait la contraception. Quand il
sut qu’elle était enceinte, il voulut l’épouser ou au moins
reconnaître l’enfant ; alors elle se mit à rire, laissant
entendre que trois pères étaient biologiquement possibles,
car elle avait eu des aventures avec deux autres hommes
au moment de l’ovulation. Ainsi, elle aurait un enfant sans
père et, les trois hommes étant condamnés à verser de

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46 L’entretien clinique

l’argent (selon la décision de la loi sur la filiation de


1972), sans souci financier. Cet homme souffrait autant
dans son amour, dans son sentiment paternel que dans sa
dignité d’homme et il venait chercher des lumières sur la
meilleure attitude pour que cette femme le laisse voir cet
enfant. L’identification immédiate de la psychologue à la
femme enceinte qu’elle croyait abandonnée a rendu
l’entretien extrêmement pénible pour cet homme qui s’est
cru, au début, encore une fois rejeté par une femme. Se
sentant incompris, il est allé consulter un autre psycho-
logue. On remarque qu’il est essentiel, pour bien mener
un entretien, de chercher à comprendre la personne pré-
sente, et non celle qui est absente, car c’est la personne
présente qui vient consulter.
Une des difficultés les plus subtiles est celle de ne pas
accomplir une empathie totale avec le client, c’est‑à-dire,
dans certains cas, de ne pas répondre complètement à la
demande du faux self du client.
Winnicott (« Distorsion du moi en fonction du vrai et du
faux self », in Processus de maturation chez l’enfant) a mis
en lumière la formation du faux self dans l’identification de
l’enfant à sa mère. Il existe un faux self de nature défensive
qui protège un vrai self. Pour se protéger des excitations
brutales du monde extérieur, le faux self est nécessaire dans
le développement de tous les enfants et l’adaptation de tous
les adultes à la vie collective. Il se forme dès le premier
mois de la relation de la mère avec son nourrisson. Le geste
du nourrisson exprime une pulsion spontanée et sa source
en est le vrai self. La bonne mère s’adapte aux désirs omni-
potents de son bébé, tandis que la mauvaise mère ne cesse
de lui faire défaut au lieu de répondre à sa demande et lui
impose son désir propre. Avec la bonne mère, l’enfant
prend confiance peu à peu en la réalité qui répond si sou-
vent à son désir spontané. Il contrôlera l’un et l’autre par la
suite. Quand la mère ne peut s’adapter aux désirs de son
bébé, ou bien celui-ci tombe malade, ou bien il se soumet

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Ce qui est mobilisé chez les deux interlocuteurs 47

complètement aux exigences de sa mère, puis accepte pas-


sivement celles de son environnement. Il étouffe en lui la
spontanéité et le vrai self. Quand le faux self domine chez
un individu, celui-ci ne songe plus qu’à répondre aux désirs
de l’autre et à ceux de la société qui sont pour lui alors des
exigences impératives ; chez lui, il ne s’agit plus d’adapta-
tion ni d’identification réelle, mais uniquement de soumis-
sion. Un grand nombre de personnes ont étouffé ainsi leur
véritable personnalité. Et nous rencontrerons cette passivité
soumise à l’autre dans les entretiens. Si un sujet cherche
à répondre de façon obéissante aux ordres de l’autorité en
étouffant ses propres désirs, il va sans doute venir pour
obtenir un conseil et l’appliquer aveuglément sans se poser
de question. Ce sujet annule ses désirs profonds qui
demeurent toujours en lui et qui se manifesteront un jour ou
l’autre dans des actes manqués, des manifestations vio-
lentes, une maladie psychosomatique ou de la dépression.
Ce qui est important, c’est de pouvoir rester à l’écoute de
l’existence de ses désirs les plus enfouis et de ne pas
répondre à cette demande de dépendance et de conseil aux-
quels le sujet veut obéir, mais qu’il n’est pas capable d’inté-
grer s’ils ne correspondent pas à sa demande la plus cachée.
Ce que l’interviewer va chercher, c’est à saisir, sous l’ap-
parence sociale de l’interlocuteur, ce qui demeure le plus
authentique, bien que le plus réprimé, et qu’il est possible
de faire surgir.

2) Identification du sujet au psychologue


Pour pouvoir prendre une distance par rapport à ses
problèmes, pour les comprendre, les observer et les élabo-
rer, le sujet trouve une aide considérable s’il réussit
à s’identifier à l’attitude du psychologue, c’est‑à-dire à
son calme, à sa sérénité, et à son regard objectif sur
l’ensemble du problème. Ainsi, il sera en mesure d’apai-
ser plus facilement son angoisse et sa précipitation quand

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48 L’entretien clinique

celles-ci se manifestent. L’intérêt que lui apporte celui qui


l’écoute lui procure une gratification narcissique ; si le
sujet souffre de sentiments d’infériorité et d’abandon, en
agissant de la même façon par rapport à lui-même,
c’est‑à-dire en jetant sur lui-même un regard plein de res-
pect et d’intérêt, il va commencer à surmonter ses anxiétés
douloureuses. D’autre part, en s’identifiant à l’attitude
du psychologue qui respecte sa personnalité et cherche
à le comprendre, il va peu à peu au cours des entretiens
prendre la même conduite à l’égard des autres, tenir
compte de leurs besoins, de leur personnalité, avoir un
regard moins égocentrique et plus large sur la complexité
de la situation. Cette attitude psychologique peut se
construire par exemple chez un père ou une mère d’un
enfant perturbé, qui est externe ou interne dans une insti-
tution ; ces parents ont des entretiens assez fréquents à
propos de leur enfant avec le psychologue de l’établisse-
ment. Le sujet apprendra à tenir compte lui aussi, comme
le fait le psychologue, du point de vue de son entourage
familial et social ; ceci lui permettra de mieux comprendre
ses propres difficultés et de commencer à les résoudre.
Un certain nombre de personnes, souvent des adoles-
cents dans un IMP, demandent un entretien et présentent
des aspects fragiles et régressifs de leur personnalité.
Ceux-ci vivent souvent des processus identificatoires
teintés des caractéristiques de ceux de la position schizo-
paranoïde 1, c’est‑à-dire possédant une forte ambivalence.
Il arrivera à celui qui mène des entretiens d’affronter une
agression violente de son interlocuteur. Celui-ci s’ingénie
à dévorer son temps, exiger un certain nombre de choses

1. La position schizo-paranoïde, selon Melanie Klein, se place au


début de la toute première phase du développement. Elle se caractérise
dans la relation à l’objet par l’angoisse paranoïde et la prédominance du
clivage. L’objet est vécu tour à tour comme tout-puissant dans sa
générosité et sa protection ou tout-puissant par sa cruauté et ses pulsions
destructrices.

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Ce qui est mobilisé chez les deux interlocuteurs 49

que le psychologue ne peut lui donner, à l’agresser avec


violence, mais continue néanmoins à venir le consulter
dès qu’il a un problème, pour pouvoir s’identifier à sa
sérénité et à sa clairvoyance, chercher à prendre une cer-
taine distance par rapport à ses conflits comme le fait le
psychologue.

2. LA PROJECTION

1) La projection des souvenirs et de soi-même


La relation duelle est un des domaines de prédilection
de la projection. Il existe une projection des souvenirs et
des affects qui ne sont pas présents à l’esprit et cependant
qui envahissent le champ perceptif et influencent le type
de relation entre les êtres.
Une jeune femme avait eu un entretien avec un psy-
chologue pour résoudre un problème qui concernait son
enfant. Elle gardait de ce contact un souvenir d’une
grande tristesse, et son pessimisme à l’égard de l’avenir
de son enfant s’était accru. Elle n’avait considéré les sug-
gestions, les questions, les points de vue du psychologue
que sous leur aspect négatif. Elle accentuait les risques
d’échec au-delà des périls possibles. Après une longue
réflexion sur les détails de cette scène, il lui revint à
l’esprit la tristesse de l’odeur de la pièce. Or il y avait un
magnifique bouquet de pois de senteur sur le bureau. Il y
a plusieurs années, ces fleurs avaient été déposées sur le
lit de mort de son frère au mois de juillet et leur parfum
s’était mêlé à l’odeur de la mort et à une image de déses-
poir et de renoncement. C’était l’odeur, non consciem-
ment perçue, qui avait donné de cet entretien un aspect si
négatif et si dépressif à cette jeune femme.
Les affects liés à une couleur, au sexe, au son de la
voix, à une démarche, à une spécialité professionnelle ou

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50 L’entretien clinique

sportive, à n’importe quel détail qui touche une personne,


au cadre où on la rencontre peuvent, soit créer des
a priori à leur égard, soit suggérer une atmosphère affec-
tive chez l’un des deux partenaires de l’entretien, ou
encore stimuler l’éveil d’un transfert ou d’un contre-
transfert.
La projection de soi-même sur l’autre constitue une
barrière qui sépare le sujet de la compréhension d’autrui.
La personne se répète en se projetant elle-même ; la per-
ception et l’écoute perdent alors leur fonction d’ouverture
vers l’autre, car le sujet se voit lui-même partout. Certains
agressifs pensent que les autres personnes sont hostiles,
certains généreux que les autres sont bons, les gens hon-
nêtes et travailleurs que les autres sont semblables à eux,
etc. Il est nécessaire que le psychologue supprime cette
attitude afin d’être entièrement disponible pour chercher à
s’identifier à l’autre, pour comprendre ses conflits. Pour
l’un et l’autre interlocuteur, la projection des souvenirs,
des affects et de la représentation de soi-même, sont
des oblitérations de la personnalité et des problèmes de
l’autre. Si l’on arrive à les maîtriser, alors le clinicien
devient capable de chercher et d’entendre l’autre, d’écou-
ter et de parler son langage, de faire des propositions ou
des suggestions qui peuvent avoir un sens pour lui. Ainsi,
cela permet à l’interlocuteur de percevoir la parole du
clinicien comme une lumière pour éclairer l’obscurité de
son conflit, et une ouverture pour chercher à sortir de son
enfermement, ou une suggestion pour une nouvelle direc-
tion dans sa recherche. Dans De la projection, Sami Ali
donne un exemple de cette attitude psychologique ; il
s’agit d’une cliente qui prend l’autre comme un analogon
d’elle-même : « Je sais pourquoi je pose tellement de ques-
tions, j’agis avec vous comme je le fais avec moi-même.
Je cherche à vous tourmenter comme je me tourmente.
J’exprime à votre sujet les doutes que j’éprouve à mon
égard, lorsque je vous interroge et que vous ne me répon-

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Ce qui est mobilisé chez les deux interlocuteurs 51

dez pas, je sens que vous vous opposez à moi de la même


façon que je le fais à moi-même » (p. 108).
Lorsqu’une personne se trouve dans une situation dif-
ficile, il lui arrive de régresser et de retrouver cette atti-
tude infantile : prendre ses désirs pour la réalité et les
projeter sur l’interviewer. En voici un exemple : une
femme vit un problème conjugal aigu avec un mari persé-
cuteur qui détruit son équilibre psychologique. Elle va le
quitter pour survivre, mais il veut garder leur petite fille.
Elle demande un entretien pour parler de son problème ;
elle répète rapidement plusieurs fois : « Il faut que vous
me disiez exactement ce que je dois dire à ma fille, pour
que tout se passe bien ». Elle attend le conseil magique
avant même d’avoir exposé réellement son problème et
les détails de la situation. Elle est très angoissée et elle
régresse jusqu’à ce qu’arrivent dans son esprit les pensées
infantiles de la réalisation hallucinatoire du désir, ce pré-
cisément qu’elle vient chercher dans l’entretien. Le psy-
chologue devient alors pour elle la mère toute-puissante
et magique qui, d’un coup de baguette, va transformer la
réalité, comme si la psychologue partageait avec elle ce
même monde.

2) La projection comme moyen de défense


On peut éviter un danger extérieur en se déplaçant dans
l’espace, mais on ne peut fuir un danger intérieur ; aussi
a-t‑on tendance à projeter les émotions et les pulsions dan-
gereuses à l’extérieur pour s’en libérer. Ainsi, par la projec-
tion, un sujet expulse de soi et localise chez une autre
personne des sentiments et des désirs qu’il refuse en lui-
même. Par ce processus psychologique, une perception
interne non seulement devient externe, mais se transforme
en la croyance qu’il s’agit là d’une réalité objective. Les
images projetées sont des contenus conscients, mais c’est
un processus psychologique totalement inconscient

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52 L’entretien clinique

qui produit la projection. Des projections de pulsions


archaïques comme celles d’émotions plus tardives dans
l’évolution se manifestent dans la relation duelle de l’entre-
tien clinique.
Agalée, jeune femme de 25 ans, ne peut regarder en
face les personnes avec qui elle a une conversation
sérieuse ou un entretien approfondi. Elle baisse les yeux
ou tourne la tête. Ce malaise et ce comportement
expriment tout à la fois la projection des pulsions et celle
de son surmoi. Animée d’une pulsion sexuelle réprimée,
elle croyait voir dans le regard de l’autre un désir pour
son corps et une pénétration visuelle et libidinale. Ainsi,
elle se sentait condamnée du plaisir que cela lui apportait
dans son imaginaire. Paralysée par le souhait que les
ondes de ses yeux stimulent la pulsion sexuelle de son
interlocuteur, elle les détournait sans cesse. La projection
sur autrui de son surmoi accompagnait celle de ses désirs.
Elle avait peur du regard réprobateur de l’autre qui repré-
sentait pour elle le regard de son surmoi. Celui-ci
condamnait ses pulsions les plus refoulées. Sa culpabilité
profonde envahissait sa personnalité et lui faisait craindre
la punition ; le regard fait jouir, mais aussi il blesse, voire
tue, c’est pourquoi elle parlait toujours les yeux baissés.

3) L’identification projective
La projection de la pulsion de mort 1 de la position
schizo-paranoïde du bébé sur l’objet pour s’en libérer
demeure toujours possible chez les adultes. Mais quand
cette projection se manifeste, elle est toujours liée à ce qui
s’est passé dans les fantasmes de l’enfant à l’égard de sa
mère qui était apparue alors comme la mère terrifiante et

1. Dans la position schizo-paranoïde, l’enfant projette la pulsion de


mort sur sa mère pour s’en libérer, mais elle est vécue alors comme un
persécuteur.

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Ce qui est mobilisé chez les deux interlocuteurs 53

destructrice de son tout jeune âge. En raison de cette rela-


tion du passé, nous aborderons cette question en traitant
du transfert.
La même situation se retrouve dans l’identification
projective. Lorsque les pulsions agressives de l’enfant
sont projetées sur la mère, il va ensuite s’identifier à cet
objet, qu’il perçoit alors comme un persécuteur. Lorsqu’il
projette ses pulsions destructrices, c’est pour s’en débar-
rasser, contrôler le mauvais objet ou le détruire. D’autre
part, les bonnes parties du moi sont projetées pour les
préserver du mauvais objet interne. Tous les bébés vivent
ce système de défense, mais il peut être aussi vécu par les
enfants plus grands et même les adultes : quand l’enfant
agresse un psychologue lors d’un examen psychologique
ou lorsqu’un adolescent agresse un éducateur dans une
institution spécialisée, il arrive souvent que l’enfant ou
l’adolescent ait projeté sa pulsion de mort destructrice sur
le psychologue ou l’éducateur. Puis il s’identifie à lui,
l’agresseur imaginaire, pour s’en défendre. On retrouve
dans cette identification projective la projection de ce que
l’on détient en soi et l’identification à l’agresseur.
Un patient qui avait demandé un rendez-vous arrive
en retard parce qu’il avait prolongé le temps qu’il consa-
crait à ses occupations personnelles, qui l’intéressaient. Il
proteste auprès du psychologue en disant que celui-ci a
un air sévère et réprobateur et il se justifie avec violence
contre une admonestation qui aurait pu lui être avancée.
En fait, le psychologue avait gardé le sourire et n’avait
prononcé ni pensé aucun reproche. Le patient avait pro-
jeté les reproches de son surmoi sur celui qui l’attendait.
Peut-être avait-il provoqué ce retard afin d’être réprimé ;
pour attirer l’attention et être jugé, voire persécuté, plutôt
que de passer inaperçu ; peut-être cherchait-il à revivre
une situation libidinale de pénétration agressive sur un
mode symbolique. L’aspect libidinal sous-jacent de ce
retard volontaire accentue de beaucoup la culpabilité du

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54 L’entretien clinique

client, ce qui donne aux reproches surmoïques une tona-


lité plus intense, plus pénible, dont le sujet veut se libérer
en le projetant sur le psychologue ; puis il s’identifie à sa
sévérité fantasmatique pour s’en défendre.
Il est souhaitable que le psychologue perçoive le
mécanisme psychologique de cette agressivité défensive
pour ne pas en être blessé et pressentir ainsi les tendances
latentes qu’elle exprime. Ce processus psychologique de
projection de l’agressivité surmoïque sur l’autre est sou-
vent celui qui pourrait expliquer l’attitude hostile de cer-
taines personnes à l’égard de la psychologie ou de la
psychanalyse. Ces sujets, après avoir projeté leur animo-
sité sur eux, s’identifient à leur représentation imaginaire
du psychologue pour pouvoir s’en défendre en l’agres-
sant.

3. LE CONTRE-TRANSFERT

Le contre-transfert est l’ensemble des réactions


inconscientes du clinicien à la personne de son interlocu-
teur, et plus particulièrement au transfert de celui-ci. Le
contre-transfert est une réponse au transfert du sujet ; ils
s’influencent mutuellement et le contre-transfert peut
aller jusqu’à fixer le transfert dans une attitude régressive,
répétitive.

1) La sérénité
L’anxiété à l’égard du problème de l’autre. – Celui qui
vient consulter ou qui a été convoqué vient parce qu’il a
ou pose des problèmes. Il est nécessaire que celui qui
mène l’entretien puisse faire face à ces problèmes avec
sérénité ; s’il ne peut les affronter avec calme, comment
fera-t‑il, celui qui y fait face tout le long du jour ? Il ne

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Ce qui est mobilisé chez les deux interlocuteurs 55

pourra plus que les occulter, régresser ou en projeter la


totale responsabilité sur les autres.
S’il sent que le clinicien s’inquiète, que son cas est
grave, peut-être irrémédiable, son anxiété, ses symp-
tômes, ses problèmes familiaux ou professionnels peuvent
s’accentuer ; il peut renoncer à les combattre efficace-
ment. Si le psychologue s’inquiète au point que l’interlo-
cuteur s’en aperçoive, c’est peut-être que ses craintes sont
très réelles : il est vraiment persécuté par son supérieur
hiérarchique et il va alors accroître ses revendications
défensives ; ou bien, s’il a des idées de suicide, c’est parce
qu’elles correspondent à son destin psychologique : cette
idée risque d’amoindrir son système de défense et de le
pousser à une tentative de suicide. Si son inconscient
l’incite à agresser un substitut paternel, il peut aggraver
les actes de sa névrose d’échec pour faire souffrir celui qui
mène l’entretien, en augmentant son anxiété qu’il perçoit.
Le patient a le besoin de sentir le clinicien impavide, afin
de s’identifier à lui, de prendre une certaine distance par
rapport à ses problèmes pour pouvoir les affronter et sur-
monter sa crise. Si le consulté ne peut maîtriser sa crainte,
qu’il aille voir un spécialiste : un psychiatre, un psychana-
lyste, un psychologue, pour voir clair sur les difficultés du
cas et pour voir clair en lui-même afin de prendre les
décisions indispensables si nécessaire. Cette anxiété peut
venir aussi d’une identification à l’interlocuteur ou d’un
contre-transfert éveillé par ses paroles. Il est nécessaire
alors qu’il s’auto-analyse.

Préoccupation excessive d’un bon et rapide résultat. –


Cette préoccupation excessive vient d’un désir de pouvoir
sur l’autre, ou de confirmation de son statut professionnel
ou hiérarchique. Elle naît souvent d’un sentiment d’infé-
riorité qui a besoin d’être compensé par des réussites
rapides, ou bien encore d’une insécurité profession-
nelle qui cherche à se protéger de la même manière.

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56 L’entretien clinique

Malheureusement, ce besoin de rapidité agit nocivement


pour le but recherché, car il bloque l’évolution de l’inter-
locuteur. Ainsi, le psychologue refuse d’accepter la diffi-
culté d’évolution psychologique du sujet. Croyant lui
faire comprendre ses problèmes plus vite, il peut apporter
des interprétations trop profondes, inaccessibles pour
l’interlocuteur ; celui-ci va s’en défendre en augmentant
ses défenses par de la rigidité et de l’agressivité, ou peut-
être par un passage à l’acte. Certains conseils apportés
trop rapidement, assez autoritaires puisqu’ils ne tiennent
pas compte de la rigidité de l’autre, ne peuvent être enten-
dus aussi vite et découragent ou culpabilisent le client. Le
clinicien n’a pas été suffisamment disponible au langage
ni aux possibilités d’évolution de son interlocuteur, il
parle selon ses désirs personnels ou selon son identifica-
tion à l’autre. Emporté par sa subjectivité et son anxiété
de la réussite, il a freiné ses aptitudes à bien mener un
entretien.

Le respect rigide d’une technique. – L’insécurité inté-


rieure de celui qui mène un entretien peut le pousser à
appliquer aveuglément une technique ou une habitude de
travail sans s’adapter aux besoins ou à la demande de
l’interlocuteur. Un supérieur hiérarchique, pour com-
prendre un problème dans une équipe, ne pouvant sortir
de sa méthode de travail, par insécurité et manque de
souplesse, se contentera de donner des directives sans
comprendre que dans ce cas précis elles sont psychologi-
quement inapplicables. Un psychiatre ou un psychologue
voulant appliquer la méthode rogérienne le mieux pos-
sible cherche à être non directif et va répéter systémati-
quement les derniers mots de la phrase de l’interlocuteur.
Ce qui est souvent un bon moyen de faire approfondir la
pensée de l’autre, appliqué avec rigidité, peut devenir un
mur de non-communication infranchissable.
Il arrive qu’un psychologue applique une technique

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Ce qui est mobilisé chez les deux interlocuteurs 57

ou une méthode de travail avec rigidité pour se déculpa-


biliser de l’échec de l’entretien ; toute la responsabilité de
cette absence d’efficacité est projetée sur l’autre, puisque,
lui, il a parfaitement appliqué, croit-il, la bonne méthode.
Parfois, le psychologue, fier de ses connaissances, peut
vivre l’application de sa méthode avec un certain sadisme
qui rassure son insécurité intérieure par un sentiment de
supériorité et de domination. L’un et l’autre sont illu-
soires puisque le but dans l’entretien n’est pas atteint et
que les conséquences de cette rigidité aboutissent à un
échec. Le manque de souplesse à l’égard d’une technique
se présente comme une béquille pour rassurer le psycho-
logue par rapport à ses problèmes personnels, qui sont
souvent réveillés par le transfert du client ou par une
identification trop accentuée du clinicien à son interlocu-
teur. Une autre manière de fuir l’anxiété suscitée par les
problèmes du client est de se fixer sur un détail concret et
non pas sur les problèmes profonds : par exemple, un
employé se fait congédier de son travail pour la troisième
ou la quatrième fois en raison d’inexactitudes, de fautes
d’inattention qui ont des conséquences professionnelles
assez sérieuses. S’il consulte un clinicien ou un psycho-
logue ou un orientateur professionnel qui veulent éclair-
cir les problèmes de ces échecs, ils peuvent dans certains
cas, pour se protéger de leur contre-transfert, se fixer sur
des questions d’indemnités de licenciement qui permet-
tront d’éviter les problèmes les plus profonds du client,
par exemple la racine de sa névrose d’échec ou la diffi-
culté de ses relations avec un supérieur hiérarchique quel
qu’il soit.
Ainsi, il est souhaitable d’acquérir une sérénité inté-
rieure qui permette de faire face aux problèmes de l’autre
sans anxiété, d’accepter le rythme d’évolution de l’inter-
locuteur et de ne pas avoir besoin de se protéger par la
rigidité d’une technique.

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58 L’entretien clinique

2) La bienveillance
Maurice Bouvet 1, en accord avec Nacht, insiste sur la
bonté nécessaire au psychanalyste. Nous pensons que le
même état intérieur est indispensable à celui qui mène un
entretien clinique. Une identification active, une empathie
semble indispensable pour comprendre autrui et percevoir
ses états psychiques, préconscients et inconscients. Cela
ne veut pas dire se montrer bon. En outre, cette sympathie
bienveillante favorise l’acceptation de l’agressivité du
patient et permet d’en percevoir la signification profonde.
Parfois, un individu est antipathique par ses actions pas-
sées ou son contact présent ; cependant, cette sympathie
bienveillante est absolument indispensable pour com-
prendre l’autre et se permettre d’ouvrir ses propres hori-
zons, sa propre pensée. Un individu, quel qu’il soit, qu’il
nuise par ses actions et ses erreurs de travail aux responsa-
bilités professionnelles de celui qui mène l’entretien, qu’il
soit un révolutionnaire ou qu’il soit un criminel, possède
une cohérence dans ses processus psychologiques, par
rapport à ses relations passées, ses pulsions et son envi-
ronnement social. Tout en étant en total désaccord avec
les actes de cet interlocuteur, il est nécessaire pour le com-
prendre d’avoir une sympathie bienveillante envers la
complexité de ses processus psychiques et celle de son
entourage, ce qui permet de laisser de côté ses propres
certitudes. Quelquefois, le psychologue trouve l’occasion
d’en remettre certaines en question et d’assouplir ses
a priori pendant ces entretiens, ce qui ne peut être qu’un
enrichissement pour lui. Pour pouvoir mener des entre-
tiens, il faut s’être entraîné à mettre de côté ses propres

1. Maurice Bouvet, « Le transfert », in Œuvres psychanalytiques,


t. II, p. 199.

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Ce qui est mobilisé chez les deux interlocuteurs 59

certitudes afin d’être disponible pour la pensée de l’autre ;


cela est d’autant plus indispensable que, souvent, une
supériorité hiérarchique ou une compétence approfondie
dans un domaine sclérose l’écoute du clinicien, qui
s’appuie sur son statut ou sa spécialité pour se persuader
qu’il sait tout, qu’il a toujours raison, ce qui gratifie son
narcissisme et ne lui permet pas de mener des entretiens
valables et approfondis.
Il est préférable que cette aptitude à la bienveillance,
nécessaire pour l’écoute de l’autre, provienne d’un désir
tout à fait maîtrisé. Le psychologue souhaite être la bonne
mère, le bon père, en opposition à l’imago de la mauvaise
mère et du mauvais père ; parce que les racines de cette
motivation plongent dans son passé, il ne doit pas mener
un entretien pour contenter ses besoins personnels, mais
pour être utile au client ; or trop de bonté peut être gênante
pour lui. Il ne s’agit pas non plus de combler les désirs
pulsionnels de l’enfance du patient par des satisfactions
substitutives qui débordent la fonction de celui qui mène
l’entretien ; de même, il serait nuisible de toujours suppor-
ter des comportements agressifs, comme des retards, des
absences, ou en acceptant des rendez-vous en dehors des
heures de travail ou des coups de téléphone intempestifs
chez soi à des heures très tardives, etc. Ces attitudes,
semblables à celles de la mère à l’égard du tout petit
enfant, favorisent l’infantilisation de l’interlocuteur et son
manque de contrôle. Il serait utile pour le psychologue
d’analyser son contre-transfert, de comprendre pourquoi
il réagit ainsi à la demande et sous la conduite de son
client :
– A-t‑il eu des pensées ou des actes agressifs à l’égard
de quelqu’un dans son passé, blessures qu’il cherche à
réparer par un comportement de bonne mère ? Mais, en
fait, c’est une répétition de cette hostilité puisque ce
comportement à l’égard du client est nocif en profondeur
pour lui.

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60 L’entretien clinique

– Est-ce une identification au client avec un désir


archaïque de maternage et de régression ?
– Est-ce un désir narcissique de supériorité ? « Moi je
peux tout donner, et tout accepter, ainsi je suis supé-
rieur », processus psychique qui se rapproche du sadisme,
qui permet de trouver du plaisir en écrasant l’autre qui est
inférieur.
– Est-ce une réaction autopunitive, masochiste, qui
rend la vie professionnelle et personnelle épuisante, avec
comme seul réconfort celui de se trouver héroïque ?

Il y a un dévouement qui est indispensable dans des


cas de crise, mais il y en a un autre qui est préjudiciable.
Ce qui peut apparaître au premier abord une attitude de
bonté peut être un désir de domination qui écrase l’autre.
Nous prendrons comme exemple, pour illustrer cette
bonté gênante pour l’autre, une mère qui prend rendez-
vous avec une psychologue parce que son enfant a des
problèmes scolaires. Il a des problèmes aussi bien dans
son comportement que dans l’apprentissage des connais-
sances et elle sait par des examens psychologiques anté-
rieurs que l’enfant a une intelligence nettement au-dessus
de la moyenne. Cette psychologue d’âge mûr la reçoit
avec un air très protecteur, comme si la mère vivait des
problèmes dramatiques et venait chercher des consola-
tions et de la protection. Or il s’agissait d’une personne
intelligente et autonome qui voulait une aide d’un psycho-
logue compétent pour étudier le problème sous le plus
grand nombre de ses aspects possibles et entrevoir les
différentes décisions éventuelles qui pouvaient être profi-
tables pour son enfant. Elle supporta fort mal cette attitude
surprotectrice qui lui sembla rendre dramatique le cas de
son enfant, l’angoissa aussitôt, la rendit défensive dans
l’entretien et moins disponible pour aborder le problème
dès le début ; d’autre part, cela lui renvoyait une image
d’elle-même comme faible et peu capable d’assumer les

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Ce qui est mobilisé chez les deux interlocuteurs 61

problèmes de sa vie familiale. Ne supportant pas cet état


d’infériorité dans lequel la mettait la psychologue, elle a
interrompu l’entretien pour aller voir quelqu’un d’autre.
Cette surprotection, qui peut consciemment vouloir expri-
mer un désir d’aider, manifeste un besoin de supériorité et
de domination nocif pour la sécurité intérieure et le senti-
ment d’autonomie et de jugement sur lui-même de l’inter-
locuteur. Pour se protéger de cette humiliation, le patient
va perdre sa disponibilité et sa clairvoyance à l’égard de
son problème, ou devenir agressif par la parole ou son
départ, afin de garder sa dignité. Le patient peut aussi
répondre au désir inconscient du clinicien, régresser et
devenir dépendant de lui, de ses conseils, vécus comme
des ordres, et perdre ses possibilités de réflexion person-
nelle, ce qui est bien dommage.

3) La haine
Celui qui mène un entretien le mènera d’autant mieux
qu’il aura lui-même bien compris et analysé les senti-
ments de haine qu’il aura refoulés ; c’est ce qui permet de
percevoir la signification agressive de quelques compor-
tements, que ce soient des paroles en apparence gentilles,
des silences, des sentiments hostiles non formulés. La
connaissance de ses propres pulsions agressives aide à
l’acceptation des hostilités manifestes et à leur compré-
hension, ce que rencontrent de façon permanente ceux qui
s’occupent des psychotiques et des personnalités anti-
sociales.
Il est nécessaire que le psychologue maîtrise l’émer-
gence de ses propres pulsions agressives de la position
schizo-paranoïde quand le patient l’éclabousse de la
sienne. Il peut menacer le clinicien, car il le perçoit
comme un persécuteur par projection de ses pulsions des-
tructrices. Winnicott écrit : « Le malade cherche de la
haine objective ou justifiée, il faut qu’il puisse l’attendre,

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62 L’entretien clinique

sinon il n’aura pas le sentiment que l’amour objectif peut


être à sa portée » (« La haine dans le contre-transfert 1 »,
p. 53). Il peut vivre une relation positive simultanément
par ailleurs parce qu’il s’est libéré de sa haine dans l’entre-
tien ou bien il pourra créer une relation positive avec le
clinicien parce que celui-ci a pu supporter son agression
sans le rejeter ni le détruire et il aura ainsi perdu une partie
de son aspect terrifiant. Mais pour agir ainsi, maintenir sa
fermeté, son calme et sa permanence, il est indispensable
que le clinicien ne se sente pas menacé dans son incons-
cient par l’imago de la mauvaise mère fantasmatique, car
celle-ci risque d’être réveillée par les projections persécu-
trices de l’interlocuteur.
Nous précisons qu’il s’agit d’agression verbale et non
d’agression corporelle ou de destruction d’objet, qu’il est
préférable d’enrayer si l’on ne veut pas stimuler les ten-
dances destructrices et sadiques les plus archaïques de
l’inconscient. Elles peuvent devenir réellement dange-
reuses chez les adolescents et les adultes parce que leur
force musculaire se trouve déployée par l’émergence des
pulsions refoulées.

4) Le contre-transfert
La parole de l’interlocuteur peut évoquer une situation
passée que le clinicien a eue avec son père, sa mère, ses
frères et sœurs, etc. Celui-ci peut inconsciemment réagir
comme il l’aurait fait autrefois ou comme il aurait voulu
le faire, mais alors il n’est plus disponible pour l’identifi-
cation passive, l’empathie, qui lui permet de comprendre
l’autre ; il est emporté par sa propre subjectivité et devient
inadéquat pour mener un entretien efficace pour le client
ou pour lui-même.
Une psychologue scolaire, responsable d’une classe

1. In De la pédiatrie à la psychanalyse.

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Ce qui est mobilisé chez les deux interlocuteurs 63

dans un lycée, reçoit le père d’un élève de troisième.


Celui-ci, bien qu’il ait déjà redoublé une classe, avait
dans toutes les matières des résultats très inégaux, parfois
une bonne moyenne, mais souvent, et même de plus en
plus souvent, des résultats médiocres. Cette femme sen-
tait que cet élève avait des aptitudes inexploitées parce
qu’il n’arrivait pas à se concentrer ; elle pensait qu’un
changement d’attitude des parents ou des entretiens psy-
chothérapeutiques avec cet adolescent lui permettraient
de démarrer. Les professeurs trouvaient que le niveau
baissait, que l’élève ferait mieux de quitter le lycée ; le
garçon était indifférent à tout cela. Le père venait pour
dire qu’il souhaitait que son fils abandonnât ses études
parce qu’il y échouait, pour faire une formation profes-
sionnelle de menuisier. La psychologue scolaire répond
qu’il a tout à fait tort de prendre une telle décision, qu’il
ne pense pas au bien de son fils ni à son avenir. Le père,
blessé par ce comportement, se durcit, n’a plus assez
confiance pour aborder les problèmes de son fils à la
maison, comme le souhaitait cette jeune femme, ni pour
envisager de changer d’avis. Cette jeune femme s’est
bien rendu compte que son enthousiasme pour aider ce
garçon à continuer à faire ses études lui a plutôt nui, et
que son opposition violente à l’égard du père a été exces-
sive et l’a empêchée de l’interroger, de l’entendre, et de
lui parler un langage qu’il aurait pu recevoir ou accepter.
Après réflexion, elle a pris conscience de son contre-
transfert parternel sur cet homme qui voulait arrêter les
études de son fils, comme son père l’avait fait pour ses
frères. Son père, d’un milieu ouvrier, avait laissé ses deux
filles faire des études puisqu’elles allaient se marier très
jeunes et être prises en charge par un mari, tandis que ses
fils devaient vite faire un CAP pour travailler et pouvoir
fonder une famille. Elle est devenue psychologue tandis
que ses deux frères, très aimés, ont été condamnés à faire
un labeur dans lequel ils trouvaient fort peu de satisfac-

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64 L’entretien clinique

tions. Elle se sent coupable de sa réussite et de sa chance


et en veut profondément à son père de ses décisions. Ce
sont ces sentiments qu’elle a revécus inconsciemment
face à cet homme qui pensait faire arrêter les études de
son fils. Le contre-transfert avait été si peu conscient
qu’elle n’avait pas pu le maîtriser ni s’adapter à la pensée
de son interlocuteur.

5) Un des moyens pour comprendre l’autre


Un acte manqué, une émotion contre-transférentielle
auto-analysés sont des moyens de comprendre le client
par une sensation affective très profonde élaborée par
la réflexion. Michel Neyraut (Le Transfert, p. 44-45) en
donne un exemple : un patient raconte pendant une séance
de psychanalyse une visite très ennuyeuse chez un ami
qui parle en répétant toujours la même chose, le patient ne
pouvant ni intervenir, ni faire changer la conversation, ni
parler. Il fait la même chose pendant sa séance, il parle en
répétant toujours la même chose et le psychanalyste
n’interprète pas, n’intervient pas, s’ennuie beaucoup
comme son patient l’avait vécu, et, de la même manière
que celui-ci n’avait pu partir, il ne peut interrompre la
séance à l’heure habituelle et, dans une sorte d’acte
manqué, la fait durer beaucoup plus longtemps que
d’habitude. Il s’auto-analyse et se rappelle sa mère lors-
qu’il lui exposait ses petites histoires de camarades
d’école, elle lui disait : « Mais mon enfant, tu ne m’en-
nuies pas, continue », sur un ton plein de lassitude. Il n’a
pas voulu faire subir cette humiliation affective au
patient ; en s’identifiant à lui, il a compris, à travers son
enfance personnelle, l’influence qu’avait pu avoir pour le
patient l’indifférence affective maternelle.
Ce qui existe en psychanalyse se retrouve aussi dans
l’entretien clinique. Il arrive qu’un psychologue réponde
à la demande infantile de protection d’un patient, parce

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Ce qui est mobilisé chez les deux interlocuteurs 65

que celui-ci, par son appel et sa dépendance, stimule son


contre-transfert maternant et protecteur. Répondre à la
demande du patient gratifiera les désirs de maternage du
psychologue, mais ne sera pas structurant pour le client,
qui, au contraire, se fixera dans une attitude infantile. Très
souvent, c’est par son auto-analyse personnelle au cours
de l’entretien que le psychologue pourra sentir le compor-
tement régressif du client à son égard.

4. LE TRANSFERT

Le transfert est la répétition d’une relation d’objet du


passé à l’égard d’une personne présente. Il s’agit d’un
processus psychique totalement inconscient. Une per-
sonne va vivre des sentiments, prendre des attitudes, res-
sentir des craintes, employer des moyens de défense et
avoir certains comportements, comme elle les a eus dans
son enfance ou sa jeunesse, avec certaines personnes de
son entourage avec qui elle a vécu une relation très
impliquante. Elle va déplacer cette relation sur une autre
personne ; c’est pourquoi son attitude sera souvent inadé-
quate et la communication risquera d’être biaisée, l’entre-
tien inutile.
Freud a mis en lumière la puissance de la compulsion
de répétition : elle apparaît « plus originaire, plus élémen-
taire, plus pulsionnelle que le principe de plaisir qu’elle
met à l’écart » (« Au-delà du principe de plaisir », p. 64).
Les répétitions ne se font pas à la lettre, mais elles se font
par des équivalents symboliques. Le transfert se mani-
feste dans la vie quotidienne et particulièrement quand
le statut ou le rôle de l’autre l’éveille : par exemple, le
policier, le juge, l’examinateur rappellent souvent la sévé-
rité paternelle ; tandis que l’infirmier, le médecin, l’avo-
cat évoquent les soins maternels ; et dans la relation

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66 L’entretien clinique

amoureuse, fréquemment, une grande partie de l’attache-


ment œdipien est revécu et répété.
La situation de l’entretien clinique favorise particuliè-
rement l’apparition d’attitudes transférentielles : en effet,
le clinicien est disponible pour l’autre, il l’écoute avec
une neutralité bienveillante et l’accepte tel qu’il est ;
ils sont l’un et l’autre, en général, dans un lieu clos, avec
un temps consacré pour leur entretien, et se trouvent ainsi
protégés du monde extérieur ; ces deux facteurs per-
mettent la régression et l’apparition rapide du transfert.
Si l’interlocuteur a réclamé un rendez-vous pour obte-
nir de l’aide, pour lui ou un des membres de sa famille, sa
demande peut éveiller en lui une attitude de dépendance
analogue à l’attitude de l’enfant à l’égard de ses parents
et avec elle toute une complexité émotive du passé : pas-
sivité, soumission, exigences, agressivité, etc. S’il a reçu
une convocation du psychologue scolaire ou du psycho-
logue d’un service hospitalier, ce peut être l’espérance, la
méfiance, la culpabilité, etc. qui ont été vécues dans son
enfance avec les représentants du surmoi. Le chercheur
qui vient de l’extérieur et qui désire obtenir un entretien
peut être vécu dans l’inconscient, par certains, comme un
inquisiteur qui vient épier les relations interdites ; quand
l’entretien se passe dans un cadre institutionnel, les trans-
ferts par rapport à l’institution peuvent venir accentuer ou
complexifier la relation entre les deux interlocuteurs.
Il est nécessaire de percevoir le transfert qui s’opère
chez le patient pour lui permettre de le dépasser s’il
fausse la relation, la rend inadéquate, et pour contrôler
son propre contre-transfert qui peut répondre inconsciem-
ment à la demande transférentielle de l’autre, l’entretien
se trouvant biaisé par les pulsions inconscientes et leur
répétition.
On peut étudier le transfert sous quatre de ses aspects
principaux : le transfert positif, le transfert négatif, le cli-
vage et la résistance par le transfert.

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Ce qui est mobilisé chez les deux interlocuteurs 67

1) Transfert positif
Puisque, dans le transfert, le client sait inconsciem-
ment faire jouer au psychologue le rôle des figures paren-
tales, celles-ci ayant été aimées et craintes, le transfert
sera toujours ambivalent. Nous allons séparer transferts
positif et négatif pour faciliter l’exposé.
Le transfert positif est celui où la relation aimante
pour un parent de l’enfance se répète et prend le clini-
cien comme substitut. Il est souvent nécessaire, même
au cours d’un entretien unique, pour aller le plus loin
possible, pour atteindre la visée souhaitée par l’un
comme par l’autre.
Quand une personne perturbée dans une institution a
de fréquents contacts avec le psychologue, lorsqu’un
parent d’enfant handicapé a des entrevues avec le clini-
cien lors de ses visites ou quand il vient chercher son
enfant, un transfert positif est nécessaire pour que le client
continue son dialogue quand apparaissent des sentiments
négatifs à l’égard de celui qui mène l’entretien.
Le transfert positif est efficace pour que la personne
qui demande de l’aide puisse s’identifier à celui à qui il
parle afin de prendre une certaine distance par rapport à
ses problèmes, pour qu’il puisse s’observer lui-même,
pour comprendre ses attitudes, ses comportements et ses
émotions afin ensuite de les maîtriser.
Les caractéristiques du stade de développement de la
libido peuvent se rencontrer dans des dialogues d’adultes.
Une attitude du stade oral peut exister : la dépendance du
bébé dans les bras de sa mère sera analogue à la confiance
absolue qui permet de recevoir l’écoute et la parole du
meneur de l’entretien comme un réconfort et une bonne
nourriture. Une attitude anale peut permettre un entre-
tien positif : on expulse ce que l’on a à l’intérieur de soi

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68 L’entretien clinique

comme l’enfant donne son premier cadeau à sa mère dans


son pot, et l’interlocuteur parle de ce qu’il y a de plus
profond en lui avec peu de résistances. Les transferts œdi-
piens, eux aussi, favorisent la communication lorsque le
client cherche à plaire, voire à séduire celui qui mène
l’entretien, en répondant à sa demande : en cherchant à
s’exprimer, à souffrir, à comprendre, à élaborer et aussi
à recevoir.
Le transfert positif dans son excès peut être nocif. Un
transfert oral passif de dépendance peut fixer l’interlocu-
teur dans une attitude infantile où il ne se prend plus en
charge, où il attend tout de l’autre, ce qui empêche toute
possibilité de progression et de maîtrise. D’autre part, si
un sujet se laisse emporter par un besoin intense d’expul-
ser tout ce qu’il a en lui, il peut être entraîné dans une
diarrhée verbale où lui-même, comme le psychologue,
risque de se noyer sans qu’il y ait aucune possibilité de
réflexion ni d’élaboration. Quant à celui qui veut absolu-
ment plaire, peut-être va-t‑il déguiser ses sentiments, pour
être certain de n’être ni jugé ni rejeté, et toute authenticité
est alors biaisée.
Nicolette a été élevée par une mère très tendre, mais
dont les obligations professionnelles de traductrice, qui la
faisaient beaucoup voyager, entraînaient de fréquentes
séparations. En outre, son père était très amoureux de sa
mère, exigeait la disponibilité et la présence de celle-ci
dès qu’il arrivait, pour compenser la souffrance des
absences de sa femme. Si le père de Nicolette arrivait
pendant que sa mère lui chantait une chanson, celle-ci
s’arrêtait immédiatement et laissait sa fille. Cette enfant
vivait successivement la grande tendresse et l’abandon, de
façon très fréquente. En raison de ses absences profession-
nelles, sa mère mit Nicolette en pension à 6 ans, tout en
lui consacrant entièrement une journée tous les 15 jours. Il
est resté chez Nicolette un besoin de cette tendresse et de
cette disponibilité dont elle a goûté la saveur, mais qu’elle

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Ce qui est mobilisé chez les deux interlocuteurs 69

n’a reçue qu’avec parcimonie, ce qui fut une source de


souffrance et d’angoisse intenses. Ce besoin d’obtenir
tout de l’autre, quand elle est dans une relation de
demande, la fait régresser à la complète passivité du bébé
qui vit une totale dépendance et confiance dans les soins
que lui prodigue sa mère.
Nicolette est une femme qui assume ses responsabili-
tés professionnelles importantes avec beaucoup de
rigueur. Son transfert maternel archaïque n’apparaît que
lorsqu’elle va demander un service personnel. C’est alors
seulement qu’elle régresse au stade oral. Ce transfert
positif a des conséquences nuisibles ; en raison de son
excès, il l’oblige à retourner plusieurs fois voir le psycho-
logue s’il n’a pas perçu cette attitude transférentielle de
dépendance, qui se trouve en totale contradiction avec sa
personnalité manifeste et ses responsabilités profession-
nelles.

2) Le transfert négatif
Le transfert négatif est basé sur toutes les formes de la
haine : l’hostilité, la colère, l’esprit critique systématique,
la peur du jugement négatif, du rejet, voire de la persécu-
tion. Ce transfert est tout à fait nuisible quand il est non
exprimé et non surmonté ; il empêche toute authenticité
dans la relation ; l’approfondissement et la communica-
tion restent impossibles. L’entretien est inutile ou encore
l’interlocuteur interrompt la séance avant qu’elle ne soit
terminée.
D’autres sujets, par masochisme, vont accentuer ou
faire durer la relation pénible, soit pour revivre une rela-
tion douloureuse de l’enfance parce qu’elle avait été for-
tement investie, soit par autopunition, pour rester fixés
dans leur souffrance. Ces entretiens ne font que fixer la
névrose du patient, si le psychologue ne déclare pas qu’il

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70 L’entretien clinique

ressent l’attitude négative de l’interlocuteur pour lui per-


mettre d’en prendre conscience.
Le transfert oral peut être aussi celui à l’égard de la
mère destructrice de la position schizo-paranoïde, le
patient en effet peut être terrorisé par la personne en face
de lui, par ses interventions qui seraient une nourriture
empoisonnée, et il parlera avec le moins d’implication
possible pour que le clinicien ne puisse rien dire d’impor-
tant qui risquerait de l’écraser. Pour les sujets qui vivent
leur transfert au stade anal, ils vont agresser le psycho-
logue par un flot de paroles superficielles et non impli-
quées dans lequel le clinicien n’arrivera plus à voir
l’essentiel ni à remplir sa fonction d’aide et de compré-
hension ; ou bien ce sera son besoin de rétention qui
dominera et ce sera par le silence qu’il manifestera son
transfert négatif. Enfin, par son attitude et son comporte-
ment, ses absences, ses retards, certaines de ses exi-
gences, le patient se comporte parfois de façon à revivre
un Œdipe malheureux dans le transfert, en cherchant à se
faire rejeter par le psychologue. Quand l’hostilité n’est
pas formulée, il arrive fréquemment qu’elle se traduise
par un passage à l’acte. Celui-ci est une décharge dans
l’acte des tensions émotionnelles qui n’ont pas été verba-
lisées, en dehors de toute prise de conscience. Les senti-
ments refoulés s’expriment alors dans l’action. Le patient
arrive en retard, il fait un bruit excessif dans la salle
d’attente, entre de façon impromptue dans le bureau du
clinicien pendant une consultation. Ces comportements
sont l’expression de l’ambivalence dans le transfert, ce
qu’il est nécessaire que le psychologue comprenne pour
que son attitude, ni agressive, ni défensive, mais réceptive
et compréhensive, permette au patient de retirer quelque
chose de positif de cette entrevue.
Anastasie a beaucoup souffert du divorce de ses
parents, ni l’un ni l’autre ne l’ayant gardée chez eux en
raison des difficultés psychologiques de l’un et des

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Ce qui est mobilisé chez les deux interlocuteurs 71

voyages professionnels de l’autre. Tout en leur restant


extrêmement attachée, elle se sent agressive à leur égard.
Sa relation avec son père s’établit particulièrement sur le
mode de la querelle. Elle le critique continuellement et
s’oppose à lui ; alors il s’occupe d’elle et répond violem-
ment ; elle vit avec plaisir son pouvoir de l’importuner
qui a la même valeur pour elle que celui de le séduire.
Ainsi, tout à la fois, elle exprime sa rancœur de ne pas
vivre avec lui et son amertume du temps insuffisant qu’il
lui accorde. Les mouvements d’humeur et la violence de
son père à son égard représentent pour elle la preuve de
l’attachement qu’il lui porte, preuve dont elle a besoin
pour compenser son éloignement de la maison ; en un
mot, elle l’affronte et s’oppose à lui pour entendre son
autorité, dont elle érotise la force et la domination. Hési-
tant pour l’avenir de ses études, son père lui propose,
pendant son année de terminale, d’aller consulter un
conseiller d’orientation, ce qu’elle accepte volontiers.
Cependant, dès les premiers moments de l’entretien, elle
critique les questions posées, le programme de tests pro-
posés, déclare que cela ne sert à rien, agresse le psycho-
logue, exprimant immédiatement un transfert paternel par
ce comportement. Le psychologue n’est pas entré dans
son jeu, n’a pas essayé de lui montrer les qualités de son
travail pour la convaincre, ni l’intérêt professionnel qu’il
lui portait. Il s’est contenté de déclarer, dans une parfaite
neutralité bienveillante, que ce travail d’orientation était
fait dans son intérêt à elle et que, si elle ne souhaitait pas
s’y consacrer, il y avait des adolescents sur la liste
d’attente qui seraient heureux de son désistement. Immé-
diatement, Anastasie s’est libérée de son attitude transfé-
rentielle, car elle n’a pas trouvé de réponse de culpabilité,
d’autorité et d’amour blessé à son comportement agressif.
Il est indispensable que le transfert négatif soit exprimé
et analysé, afin que le patient puisse percevoir que
l’expression d’une hostilité qui a toujours été contenue

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72 L’entretien clinique

n’est pas mortifère ; le clinicien est toujours en vie et


continue à le recevoir : il sera alors possible d’élaborer et
de maîtriser cette hostilité.
La peur de l’autre peut être la projection de sa propre
agressivité sur lui, et c’est l’occasion d’en prendre
conscience. Dans la vie, quand on agresse les autres
parce qu’on a peur d’eux, on provoque toujours une réac-
tion d’hostilité, qui vient confirmer les angoisses incons-
cientes, tandis que, dans l’entretien clinique, l’agression
sera reçue par la neutralité bienveillante du psychologue
qui va chercher à analyser cette attitude, ce qui peut per-
mettre l’évolution du sujet, et lui faire comprendre sa
relation avec son entourage.

3) Résistance par le transfert


Parfois, le transfert, par son intensité ou sa perma-
nence, empêche l’entretien de se poursuivre, pousse à la
rupture ou à un passage à l’acte.
Le patient peut rechercher des gratifications pulsion-
nelles dans la relation d’entretien : ainsi, il se complaît
dans la passivité et la dépendance, si le psychologue
n’intervient pas et le laisse dans sa passivité ; encore s’il
agit à son égard comme on agit avec un enfant, en lui
donnant des conseils répétés.
D’autres peuvent venir pour vivre le plaisir d’agresser,
comme ils auraient souhaité l’avoir fait avec un frère, par
exemple, pour avoir la satisfaction de dominer, d’écraser
fantasmatiquement le clinicien. Le plaisir sadique devient
si grand que le patient ne vient que pour cela et non pour
éclaircir ses problèmes. Un patient, par exemple, ne vien-
dra parler au psychologue d’une institution que pour
exprimer son agressivité à l’égard de l’institution qui a
pris en charge son enfant.
Dans les établissements pour adolescents et adultes, le
transfert œdipien peut se transformer en sentiment amou-

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Ce qui est mobilisé chez les deux interlocuteurs 73

reux, ce qui est une résistance à toute relation clinique


possible, car le patient ne vient voir le psychologue que
pour le voir, le toucher et espérer un rendez-vous en
dehors du lieu de travail ; il va jusqu’à fausser son dis-
cours pour séduire. C’est un moyen pour fuir ses pro-
blèmes et l’utilité d’un entretien clinique ou la préparation
à un examen psychologique.
Certains sujets, pour se protéger de la douleur que leur
inflige leur problème, s’en éloignent par l’intellectualisa-
tion ou la rationalisation ; ce processus psychique est
d’autant plus employé qu’il a été une attitude valorisée
par un être aimé dans son enfance.
Par exemple, un employé qui a des problèmes rela-
tionnels dans son travail, en consultant un clinicien, va
dévier son discours sur des questions politiques. Il agira
ainsi à la fois pour se protéger de toute implication et se
faire admirer par le clinicien, représentant l’image paren-
tale qui admirait les connaisseurs de théories politiques.
Toutes ces résistances par le transfert peuvent se mani-
fester dans un seul entretien mais elles apparaissent plus
clairement encore quand les entretiens se répètent.

4) Le clivage
Dans la position schizo-paranoïde, Melanie Klein
(Essais de psychanalyse, p. 347) a bien mis en lumière
que le petit enfant possédait une imago maternelle clivée.
Il est mû à la fois par la pulsion de vie et par la pulsion de
mort ; pour se libérer de cette dernière, il la projette sur
l’imago maternelle qui devient terrifiante, et une partie de
la pulsion de mort qui demeure en lui prend la forme de
l’agressivité à l’égard de ceux qu’il croit être des persécu-
teurs ; sa libido est projetée à son tour sur la mère idéale
pour conserver sa vie et celle-ci confirme son imago par
des satisfactions gratifiantes qu’elle lui apporte. Ce cli-
vage est nécessaire pour l’évolution de l’enfant, il pourra

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74 L’entretien clinique

bénéficier de la tendresse de la mère sans en avoir peur s’il


a projeté ses pulsions terrifiantes sur une autre imago.
Cette position schizo-paranoïde existe très enfouie en cha-
cun de nous, mais elle est d’autant plus présente que la
perturbation psychologique est archaïque, en particulier
chez le psychotique où toute une partie de la personnalité
est restée fixée à ce stade oral de l’enfant. Ainsi, en raison
de l’aspect extérieur ou de détails du comportement, il
peut se réveiller chez un prépsychotique ou psychotique
une imago de la bonne ou de la mauvaise mère qui l’amè-
nera à réagir de façon qui peut paraître tout à fait inadé-
quate au psychologue. Les institutions où il existe une vie
de groupe avec des personnes ayant des activités très dif-
férenciées stimulent l’apparition du clivage fantasma-
tique. Ainsi, pour un enfant, l’enseignant pourra être un
persécuteur qui donne une nourriture indigeste tandis que
la psychologue sera la mère cajolante qui s’occupe de lui.
À l’hôpital psychiatrique, les imagos peuvent être proje-
tées sur deux cliniciens qui ont des fonctions différentes.
Par exemple, le psychiatre qui donne des médicaments,
perçus fantasmatiquement par certains malades comme
une mauvaise nourriture, et qui interdit de quitter l’hôpital
pourrait être vécu comme la mauvaise mère tandis que le
psychologue qui écoute les discours les plus débridés du
malade et n’impose pas de discipline serait la bonne mère
toujours disponible pour le bébé. Ainsi, le statut même du
personnel éducatif ou des soignants peut provoquer des
transferts très archaïques chez le patient. C’est dans les
réunions de synthèse que les soignants et psychologues
peuvent très clairement prendre conscience de ce qu’ils
ressentent. Ils font l’objet des fantasmes archaïques de
leur interlocuteur. Ce clivage est nécessaire pour que le
malade puisse avoir des relations positives avec quel-
qu’un ; pour cela, il est utile de projeter la terreur éveillée
en lui sur quelqu’un, tandis que le persécuteur fantas-
matique, par sa neutralité bienveillante et sa patience

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Ce qui est mobilisé chez les deux interlocuteurs 75

inébranlable, apaisera les menaces fantasmatiques de


l’imago de la mauvaise mère. Le malade ne donne qu’un
aspect de lui-même à chacun et les soignants et les psy-
chologues vont lui renvoyer ces différentes apparences de
lui-même comme des parties morcelées, ce qui ne va
qu’accentuer sa dissociation. C’est pourquoi la discussion
d’équipe est indispensable dans un établissement, car elle
permet de réunifier la personne dans l’esprit des soignants
et, en particulier, chez le psychologue qui mène des entre-
tiens avec le malade.

5. LES GROUPES D’APPARTENANCE ET L’ENTRETIEN

Chaque être humain appartient à des groupes divers :


son sexe, son âge, sa race, sa nationalité, sa spécialité
professionnelle, éventuellement son adhésion à un parti
politique, à un syndicat, à une croyance religieuse, etc.
Non seulement il fait partie inévitablement de groupes,
mais, en outre, il a des attitudes conscientes et incons-
cientes à leur égard. Il peut les investir profondément ou
s’y opposer, s’appuyer sur eux comme soutien nécessaire
à son équilibre. L’appartenance à un groupe peut parfois
combler le narcissisme d’une personne ou au contraire
l’étouffer ; il arrive qu’un sujet se croie redevable ou au
contraire coupable à leur égard.
L’appartenance à des groupes influence l’établisse-
ment du transfert comme celui du contre-transfert dans la
relation d’entretien. Les représentations imaginaires des
groupes auxquels les deux partenaires appartiennent ou
auxquels chacun croit que l’autre appartient jouent un rôle
sous-jacent. Elles peuvent faire obstacle à la communica-
tion ou bien favoriser un dialogue.

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76 L’entretien clinique

1) Personnalité structurée par l’adhésion


à un groupe
Un grand nombre de personnes adhèrent à un groupe
volontairement : groupe religieux, politique, syndical,
professionnel, etc. L’individu y trouve une identité,
l’estime d’autrui, la solidarité entre collègues, c’est‑à-dire
l’amour et la réassurance. Bien souvent, il y accomplit
une fonction qui lui attribue un certain pouvoir dont il est
dépourvu par ailleurs. En outre, le nombre de personnes
dans cet ensemble organisé dont il fait partie donne une
impression de puissance, car il possède la force de la
quantité, de l’espace et du temps. Le groupe est plus
durable que l’être humain ; il garde son dynamisme après
la disparition d’un de ses membres, et la fierté de chacun
s’appuie sur les noms illustres de ses chefs, images de
l’idéal du moi du groupe.
Cette adhésion à un groupe ou à une croyance risque
de donner à certains cliniciens la certitude de leur valeur,
car ils pensent posséder la vérité. Ils auront du mal à
entendre la parole du patient si elle est totalement oppo-
sée à la leur et prononceront difficilement un discours
que l’autre pourrait recevoir.
Nous avons connu un clinicien athée de façon convain-
cue, très opposé à la religion catholique, qui avait décrété
qu’un de ses patients était délirant alors qu’il était sincère-
ment catholique et participait aux cérémonies religieuses
et aux pèlerinages de sa paroisse, ce qui était pour lui d’un
grand secours dans sa solitude morale ; il adhérait simple-
ment au mouvement collectif de la religion chrétienne. Il
est souhaitable que le psychologue puisse prendre une
certaine distance par rapport à ses options afin de pouvoir
comprendre celles de son interlocuteur. L’adhésion à un
groupe est parfois indispensable à la structure de la per-

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Ce qui est mobilisé chez les deux interlocuteurs 77

sonnalité d’un patient ; celui-ci pourrait se décompenser,


si ce groupe perdait brutalement de la valeur à ses yeux ; il
pourrait aussi perdre toute confiance envers le clinicien
s’il percevait chez lui une incompréhension pour son
engagement.

2) Transfert sur un groupe ou une institution


Pour Anzieu, « le groupe serait par essence féminin et
maternel » (Le Groupe et l’Inconscient, p. 182), il le décrit
de façon démonstrative dans son observation des groupes
de diagnostic. Un grand nombre d’individus investissent
les groupes réels de la même manière. La communion
d’intérêts, la solidarité apportent l’amour ; ils sont cadrés,
comme un enfant dans les bras de sa mère, par la structure
et les règlements de l’organisation, ils peuvent y être nour-
ris matériellement par l’argent qu’ils y gagnent, et spiri-
tuellement par la culture et la formation qu’ils y reçoivent.
Quand Roger Garaudy a été exclu du parti communiste,
pour la première fois de sa vie il a ressenti la tentation du
suicide, en perdant l’appui, la compréhension, l’amitié, la
solidarité de ses 2 000 camarades. « C’est l’intolérable
souffrance du fœtus qui sort des humeurs placentaires,
c’est le malheur de naître, de naître expulsé contre son
gré, exclu, et qui s’exprime par l’interminable braillement
du nouveau-né. Oui, je braillais comme un nouveau-né »
(Parole d’homme, p. 22).
Nous citons ces deux auteurs pour montrer que cer-
taines personnes investissent un groupe, une institution,
comme l’enfant sa mère. Ils en sont si dépendants pour
leur équilibre psychologique qu’ils ne peuvent entendre
ce qui pourrait mettre légèrement en question ce « groupe-
mère ».
Puisque les institutions représentent pour certaines
personnes une imago protectrice, certains patients ne
peuvent s’exprimer dans des entretiens cliniques que s’ils

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78 L’entretien clinique

ont lieu dans un cadre institutionnel qui les rassure,


comme l’hôpital psychiatrique où ils sont nourris, logés,
chauffés, soignés, quoi qu’ils disent au psychologue. À
l’hôpital de jour ou au dispensaire, ils savent qu’ils seront
pris en charge même s’ils manquent leur rendez-vous ou
agressent le clinicien ; si le psychologue tombe malade,
un autre le remplacera. Ils ont besoin de cette sécurité
maternante pour réussir à s’exprimer, et le psychologue
est alors un représentant de cette imago protectrice.
Les organisations qui ont pris en charge le patient
peuvent être au contraire vécues comme l’imago mater-
nelle morcellante, écrasante, avec qui le patient risque de
perdre son identité. C’est ainsi que sont parfois vécus les
règlements de placement d’office de l’hôpital psychia-
trique, les disciplines collectives dans les foyers d’adoles-
cents, les IMP.
Il arrive que le psychologue soit perçu inconsciem-
ment ou consciemment comme le représentant de l’orga-
nisation qu’il incarne dans sa personne ; il est alors celui
qui cause le risque de perte d’identité, de morcellement ;
c’est pourquoi il va être agressé par l’interlocuteur sans
que cela puisse se justifier par les décisions ou les
paroles du clinicien. C’est pourquoi celui-ci doit être à
l’écoute de la signification de l’hostilité manifeste du
patient. A-t‑il été réellement traité avec brutalité par des
membres des organisations qui se sont occupés de lui ?
Le patient revit-il dans le transfert sa relation avec un
parent autoritaire, rejetant, violent ? Cette agression
permet-elle au sujet en danger psychologique de concen-
trer sa libido sur un objet, donc de garder sa vitalité, de
se refaire une unité ? Le fait d’agresser une personne du
monde extérieur permet, dans ce déplacement, d’apaiser
les fantasmes des dissociations causées par la mauvaise
mère, fantasmes qui bouillonnent dans le monde inté-
rieur ; elle donne aussi au clinicien l’occasion de com-
prendre son angoisse et sa souffrance intérieure.

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Ce qui est mobilisé chez les deux interlocuteurs 79

3) L’appartenance à des nationalités


ou des races différentes
L’appartenance à des nationalités ou à des races diffé-
rentes rend très complexe la relation des cliniciens avec
le patient étranger.
Si le psychologue possède le désir profond d’être la
bonne mère accueillante, soit pour offrir ce qu’il n’a pas
reçu, soit pour compenser son agressivité latente ou
encore pour sublimer son sentiment maternel, il peut bles-
ser plus encore un émigré qu’un Français, car sa surpro-
tection peut être ressentie comme humiliante et favoriser
la régression de l’inadaptation.
Il arrive que le psychologue ressente une agressivité à
l’égard de son père ou de sa mère. Cette hostilité non
liquidée peut se déplacer sur la société en général, en
particulier à l’égard de la société passée de l’époque
paternelle qui, pour une grande part, se sentait supérieure
aux habitants du Tiers Monde. Cette attitude favorise
l’identification projective et l’occultation de l’interlocu-
teur comme personne totalement différente de soi-même.
Cela obscurcit la compréhension des problèmes psycho-
logiques professionnels ou familiaux au sein desquels il
est inséré. Les psychologues s’identifient plus facilement
aux immigrés s’ils ont eu eux-mêmes un parent particu-
lièrement autoritaire dans leur enfance. Il est certain que
beaucoup d’émigrés et d’exilés politiques ont besoin
d’une disponibilité et d’une écoute extrêmement ouverte
des psychologues dans les entretiens, même s’ils ne
viennent pas dans la consultation pour se faire surproté-
ger, même s’il s’agit d’un problème professionnel, rela-
tionnel ou d’orientation à éclaircir et à approfondir.
Toutefois, l’investissement affectif et subjectif du clini-
cien peut aveugler le regard de celui-ci sur les conflits

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80 L’entretien clinique

que vit le patient ; le croire persécuté par l’entourage alors


que cela ne constitue pas du tout le noyau essentiel de son
problème.
Certains individus ont vécu dans leur passé une rivalité
extrêmement violente à l’égard de leurs frères et sœurs
dans leur relation avec leur père et leur mère ; ils ont très
mal supporté les naissances successives et fantasmé avec
angoisse et révolte d’autres naissances possibles. Ils
peuvent investir les étrangers, travailleurs migrants ou
réfugiés, dans leur pays comme des envahisseurs rivaux,
analogues à leurs frères et sœurs, et les rejeter psychologi-
quement ; cette attitude inconsciente suppose chez eux un
a priori négatif avant tout entretien.
Nous avons tous besoin de sécurité, mais certains
sujets, un peu plus fragiles que d’autres, la construisent
avec une certitude de la vérité, de leur savoir et de leur
système de valeurs, ce qui fait qu’ils s’ouvrent difficile-
ment aux habitudes de pensée d’autres pays, d’autres
races, d’autres ethnies. L’existence de valeurs différentes
des leurs ébranle le cadre qui structure leur moi et les
angoisse. D’autre part, il faut admettre que l’expression
des maladies mentales dans une autre culture nous
échappe en partie et que nous avons plus de difficulté à
comprendre et à aider ceux qui viennent d’ailleurs. Notre
compétence et notre désir de compréhension ont des fai-
blesses et des limites. Il faut éviter, pour garder sa sécurité
intérieure et protéger son narcissisme, de projeter com-
plètement sur l’autre la cause de son incompétence et de
son inefficacité qui, pourtant, est seulement fondée sur la
différence de culture empêchant parfois une véritable
communication.
Le migrant a décidé de venir en France le plus sou-
vent parce qu’il n’a pu trouver dans son pays un travail
suffisamment rémunérateur pour les nourrir, lui et sa
famille. Le pays où il est né n’a pas su le protéger, le
nourrir comme il en avait besoin. Dans son inconscient,

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Ce qui est mobilisé chez les deux interlocuteurs 81

son pays paraît semblable à une mère insuffisante. Quant


à l’exilé politique, ou bien sa patrie n’a pas su le protéger
de l’envahisseur, il a dû fuir pour survivre, ou bien les
dirigeants de son pays l’ont emprisonné, torturé en raison
de ses opinions politiques, il a dû fuir les habitants de sa
propre nation pour garder la vie ; dans son inconscient,
son pays natal est analogue à la mauvaise mère qui tor-
ture et rejette. Ces étrangers, qui cherchent un accueil
temporaire ou définitif en France, font appel à une imago
de mère rassurante qui protège. Mais avec la difficulté de
langue, le chômage, la xénophobie, le racisme et la diffé-
rence de culture, la France ne peut pas être accueillante
comme cela semble nécessaire à leurs besoins profonds.
Il y a en eux, de façon larvée ou parfois intense, la
crainte du contrôle et du rejet, de la poursuite, de la
manifestation de la mère persécutrice sous toutes ses
formes symboliques. Les étrangers se montrent parfois
très susceptibles et interprètent en mauvaise part une
question, une proposition ou une décision qui avaient été
faites pourtant dans leur intérêt. Cet étranger, qui a un
entretien à cause d’un problème de relation dans son
travail ou en raison d’une difficulté familiale, peut vivre
cet événement autour duquel se centre l’entretien comme
une manifestation de la mère destructrice des fantasmes
de son enfance qui ont été confirmés par le passé de son
histoire personnelle. Pour cette raison, il leur arrive
d’accentuer, voire un peu de déformer certains éléments
de leurs problèmes, et de percevoir d’une façon biaisée
le comportement et les paroles du psychologue, d’autant
plus qu’une différence de culture les sépare. Ce sont
dans ces entretiens que les dialogues se présentent
comme les plus difficiles, car l’intensité des transferts,
comme celle des contre-transferts, est amplifiée en raison
de leurs racines très archaïques, chez l’un et l’autre inter-
locuteur.
Il arrive qu’un entretien avec des personnes d’un

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82 L’entretien clinique

autre pays que le sien provoque une certaine inquiétude


chez le psychologue, une inquiétude sur son système de
valeurs ; il met parfois en évidence l’étroitesse de ses
aptitudes à la communication. S’ajoute à ce malaise la
peur inconsciente de l’envahissement culturel et territo-
rial par ceux avec qui il communique mal ; cela remue
l’anxiété archaïque des multiples bébés fantasmatiques
que sa mère portait en elle et qui vont peut-être appa-
raître. Cet ensemble angoissant, non formulé ni maîtrisé,
peut provoquer un rejet, une écoute biaisée, une occulta-
tion de la personnalité du patient et de ses problèmes.
Quant à celui-ci, il est plus démuni que les habitants du
pays d’accueil pour se faire comprendre. Ce pays et ses
représentants, qui ne parlent pas sa langue maternelle et
ne possèdent aucune complicité avec sa culture et les
fantasmes qui en découlent, qui ne peuvent l’accueillir
comme sa recherche d’asile le demande, prennent par-
fois l’image fantasmatique de la mauvaise mère, ce qui
bloque son aptitude à s’exprimer et à entendre.

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