LA_SPIRITUALITE_PAIENNE_VI
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LA SPIRITUALITÉ
PAÏENNE — VI
Gouverner et se gouverner — 2e partie
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, Pedro Alzuru
P
« Avec » la crise de la démocratie à Athènes, la arresia devient une pratique
ambiguë, elle se produit dans la démocratie mais aussi dans la monarchie ; il peut
produire le résultat souhaité et même un résultat inverse, mettant en péril la vie de
la personne qui l’assume ; en principe, la parresia et la démocratie se déterminent
mutuellement mais nous retrouvons la parresia dans le pouvoir autocratique ; dans ce cas,
elle ne s’adresse pas à l’Assemblée mais au monarque, elle découle de sa fonction
strictement politique et acquiert une fonction psycagogique, dirigée vers l’âme d’un individu.
Ainsi se forment les quatre grands problèmes de la pensée politique ancienne : la
recherche d’un régime, d’une politeia qui, par son indexation à la vérité, permet d’éviter le
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jeu dangereux de la parresia, c’est le problème de la ville, de l’État idéal ; laisser la parole à
tous, la démocratie, ou à un prince illustré par un bon conseiller, la monarchie ; comment
former des citoyens qui auront la responsabilité de guider les autres, comment former le
prince au discours de la vérité ; la parresia devrait être entre les mains de qui pour éduquer
les citoyens ou le monarque, quelles sont leurs connaissances, la rhétorique ou la
philosophie.
Tout le travail de Platon est traversé par le problème des relations entre vérité et politique
mais pour Foucault, dans le livre VIII de La République, il décrit la transition de l’oligarchie à
la démocratie, genèse de la démocratie et de l’homme démocratique, ce transit est
essentiellement économique, car pour l’oligarchie, moins il y a de riches, moins ils auront à
aspirer au pouvoir, son objectif est d’appauvrir la majorité, de séparer très riches et très
pauvres. Cette situation génère des guerres internes jusqu’à ce que la majorité prenne le
pouvoir et instaure la démocratie (l’isonomie, l’iségoria), l’égalité, mais n’oublie jamais
qu’elle porte la marque du conflit, de la guerre. L’égalité est établie dans de mauvaises
conditions, elle a pour conséquence la liberté de parler et de faire ce que tout le monde
veut et, partant, aucune opinion commune ne se constitue, chaque personne est une
singularité politique ; la liberté de parole permet également à quiconque de flatter la foule, il
suffit qu’il se dise ami des gens pour obtenir ce qu’il veut. Ainsi, l’indifférenciation mène à la
pire direction, tandis que la différenciation de la bonne parresia, son ascendance, dirige
correctement la ville.
L’homme démocratique est formé à l’image de la ville démocratique, dans une bonne
démocratie distingue entre les désirs nécessaires et les superflus, dans la mauvaise ceux
qui sont superflus s’imposent aux nécessaires, le même manque de différenciation produit
une anarchie politique dans la ville et dans l’âme l’anarchie du désir, le vrai discours n’est
plus discerné, l’ascendant de la raison n’est plus établi.
Dans le livre III des Lois, Platon décrit la constitution du royaume perse de Cyrus comme le
juste moyen entre esclavage et liberté, lorsque celui-ci se mit à la tête de l’empire : il limita
le pouvoir que les vainqueurs exerçaient sur les vaincus, Il convoqua les chefs naturels des
populations vaincues et ce sont eux qui devinrent leurs alliés ; les soldats étaient des amis
des commandants, ils ont donc accepté leurs ordres et ont remporté les batailles ; Il lui a
donné une totale liberté de parole et a rendu hommage à ceux qui, autour de lui, faisaient
des critiques intelligentes. Avec Cyrus, tout a prospéré grâce à la liberté, l’amitié, la
communauté et la collaboration.
Toujours dans Les Lois (livre VIII), le problème de savoir qui doit assurer l’ordre moral,
religieux et civique de la ville est soulevé, une autorité exercée volontairement est
nécessaire et que les citoyens l’acceptent de la même manière, qu’ils se conforment et
qu’ils le fassent parce qu’ils le veulent, qu’ils soient convaincus de la validité de la loi pour
l’assumer comme étant la leur. Ici se pose le besoin de parresia dans l’exercice de cette
autorité qui concerne l’âme, le corps, les désirs et les plaisirs. Nous voyons la parresia dans
sa double articulation : ce dont la ville a besoin pour être gouvernée mais aussi ce qui doit
agir sur l’âme des citoyens pour agir au besoin, même si la ville est bien gouvernée.
parle dans sa propre voix, il prospère et est conservé, au contraire, lorsqu’il imite la voix
d’une autre politeia, il est perdu. Dans La République, il s’agit également de la voix mais de
la voix de la masse, de l’ensemble polymorphe de citoyens, de l’assemblée, cette voix est
celle de tout ce qui n’est pas raisonnable, et le mauvais patron est précisément celui qui
apprend ce vocabulaire du désir, le fait écho et guide cette masse dans le sens qu’elle veut.
Dans la Lettre V, l’enjeu n’est pas la masse, mais la politeia, la constitution, qu’elle soit
démocratique, oligarchique, aristocratique ou monarchique, car une structure doit avoir une
voix selon son essence ; le problème n’est pas de définir la meilleure constitution, mais que
chacune travaille selon sa propre essence. La parresia n’aurait pas un rôle à jouer
seulement dans la démocratie mais dans tout type de gouvernement. Le rôle du philosophe
sera alors d’essayer de rendre la voix qui est articulée conforme à la constitution, pour ne
pas dire quelle est la meilleure constitution, même si cela a été évoqué à un autre moment.
Si Platon est capable de conseiller un autocrate au lieu de conseiller le gouvernement
d’Athènes, c’est parce qu’il estime que ses habitants ont de si mauvaises habitudes et
pendant si longtemps qu’il n’est plus possible de les réformer.
Puis, dans la Lettre VII, Platon dresse le bilan de son expérience en Sicile, de sa vie, et,
parallèlement, développe sa théorie autour de ce que devrait être le conseil politique d’un
philosophe à un tyran. Il se rappel de ce que nous pouvons appeler sa double déception
lorsque, jeune athénien et élève de Socrate, assiste à des épisodes qui illustrent deux
formes de gouvernement : le régime de Trento et le retour à la démocratie. La démocratie
athénienne, compromise par les défaites de la guerre du Péloponnèse, est effondrée par un
groupe d’aristocrates. Platon est séduit par cette nouvelle forme politique à Athènes mais il
est presque immédiatement déçu par la violence qu’il déchaîne, par les arrestations
arbitraires. Ensuite, le régime de Trento est vaincu, la démocratie revient, elle sympathise
également à Platon et le déçoit ensuite. Deux expériences, l’oligarchie et la démocratie,
négatives pour Platon.
Il conclut qu’il faudra alors que les philosophes arrivent au pouvoir et que les chefs, ceux
qui ont la dynastie, commencent à philosopher. Seule l’adaptation de l’exercice et de la
pratique de la philosophie à l’exercice et à la pratique du pouvoir peut rendre possible ce
qui est devenu impossible tant dans l’oligarchie que dans la démocratie. La parresia dans
l’ordre politique doit être fondée par la philosophie, non pas comme une intervention, mais
comme une identification « l’union dans les mêmes hommes de la philosophie et la
direction des villes », car aucun fonctionnement politique ne garantit le juste jeu de la
parresia. Ainsi, Platon réaliserait également non seulement le logos mais participerait à
l’action, être logos et action, l’idéal de la rationalité grecque ; la raison de l’intervention du
philosophe dans la sphère politique n’est pas le désir de celui à qui elle s’adresse, mais
l’obligation de la philosophie en tant que logos d’être aussi de l’action.
La preuve par laquelle la vérité philosophique se manifeste comme réelle est le fait qu’elle a
le courage de s’adresser à ceux qui exercent le pouvoir. Ce n’est pas dire la vérité sur la
politique, Platon n’exclut pas que dire la vérité pour la philosophie, c’est proposer des lois,
conseiller le prince, persuader l’assemblée, mais en soulignant toujours la spécificité de ces
discours, c’est ce qui la distingue de la rhétorique, elle s’introduit, avec sa différence, dans
la politique, en tout cas, c’est l’un des principes permanents de sa réalité depuis plus de
deux millénaires et demi.
Mais il existe des conditions pour que le discours philosophique atteigne son réel, non
seulement le logos, mais également l’ergon, qui ne s’adresse pas à tout le monde mais
uniquement à ceux qui veulent entendre (que ce soit le monarque, les aristocrates, les
oligarques ou l’ensemble des citoyens), qui ne parle pas au vent et ne risque pas sa vie, qui
n’utilise pas la violence pour changer la constitution de sa patrie, rien de bon n’est obtenu
par les exils et les massacres. Il ne peut pas s’adresser à cette volonté si elle ne veut pas
l’entendre ; un discours qui n’est que protestation, cri et colère contre le pouvoir et la
tyrannie n’est pas un discours philosophique. Le test de réalité du discours philosophique
est l’écoute, la philosophie n’existe pas si elle n’est pas entendue volontairement. La
rhétorique, au contraire, capture malgré-t-elle la volonté du récepteur et en fait ce qu’elle
veut.
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Pour reconnaître ceux qui peuvent et veulent écouter, il est nécessaire de leur montrer le
travail philosophique dans toute son étendue, avec ses difficultés, le travail en question. Si
l’auditeur est digne de cette science, ce chemin lui semblera merveilleux et commencera
immédiatement. Ce mode de vie, pris au sérieux, lui apportera sobriété, intelligence,
mémoire et capacité de raisonnement. Cette décision de la philosophie n’est pas
incompatible, elle est au contraire indissociable de la vie ordinaire, des activités de tous les
jours.
Dans la Lettre VII, la philosophie dans ses pratiques et dans son réel, n’est pas un regard
mais un chemin, ce n’est pas une conversion mais une origine et une fin, ce ne sont pas
des réalités éternelles mais la pratique de la vie quotidienne à partir de laquelle nous
devons devenir capables d’apprendre, de nous souvenir et de raisonner, de travailler sur
nous-mêmes, c’est dans ce travail que le réel de la philosophie se manifeste. Le sérieux de
la philosophie n’est pas de proposer des lois et des villes idéales, mais de rappeler sans
cesse aux hommes, à ceux qui veulent entendre, que le réel de la philosophie est dans
leurs pratiques, dans la pratique d’eux-mêmes, dans l’articulation du problème du
gouvernement de soi et du gouvernement des autres, telle est leur tâche et leur réalité
(Idem, p. 235-26).
Un autre aspect de la Lettre VII c’est que ce qui apparaît dans les conseils du philosophe
est la manière dont le souverain se comporte en philosophe, une série d’opinions plus
philosophiques ou morales que véritablement politiques, des questions générales
concernant la justice et l’injustice, des conseils de modération, de réconciliation, d’amitié du
souverain avec le peuple. Celui qui gouverne doit être maître de soi-même, doit être
prudent, capable de garder ses désirs à la limite de ce qui est convenable et d’éviter ainsi
les désaccords qui empêchent l’harmonie, un rapport de pouvoir de l’individu avec lui-
même, c’est ça que signe la bonne gouvernance.
Dans la Lettre VIII, la guerre civile a déjà éclaté, Platon se mêle de l’organisation de la ville
elle-même, son conseil est basé sur une considération générale de la parresia, la nécessité
de distinguer ce qu’elle doit voir avec l’âme, avec le corps et avec les richesses, voilà ce qui
concerne les dirigeants, les guerriers, les marchands et les artisans. Il faut que la politeia
respecte cette hiérarchie, elle ne donne pas plus d’importance au corps qu’à l’âme ou aux
richesses.
C’est ce qu’il affirme comme attribut de sa fonction parresiastique, il insiste sur le fait que ce
qu’il dit est son opinion personnelle, ce qu’il pense, ce qu’il croit ; se caractérise par une
tension entre le caractère de conseil personnel et temporaire qu’il donne et la situation de
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guerre civile vécue, entre la référence aux principes généraux et les circonstances ; il
s’adresse au monde entier, aux deux côtés qui se font face, il s’adresse également à
chacun pour obtenir de lui un certain comportement ; il le fait en tant qu’arbitre, en dehors
du processus, a qui se fait appel pour résoudre un différend ; accepte et réclame ce défi de
la réalité, demande à la réalité si ses conseils sont faux ou vrais.
Ce qui semble important dans les conseils de Platon, ce sont les alliances entre vainqueurs
et vaincus, entre les villes, entre les colonies et la métropole, les modes de gouvernement,
la délégation de pouvoir, les relations entre le pouvoir de la métropole et le pouvoir des
villes, le fait que la forme politique de la ville ne puisse plus correspondre à un type
d’exercice du pouvoir qui, géographiquement et démographiquement, dépasse ces limites,
car le pouvoir du monarque sera réparti dans cette grande unité politique.
et en la présentant comme la vérité, Cette pratique est l’ombre de la parresia, une imitation
néfaste, c’est de la flatterie. Le problème de la flatterie en opposition à la parresia était un
problème politique, théorique et pratique, aussi important au cours de ces huit siècles que
la liberté de la presse ou la liberté d’opinion dans les sociétés contemporaines. Elle acquiert
également de multiples niveaux d’action : la ville, les citoyens, les souverains, doivent être
gouvernés, la parresia n’est plus seulement une opinion donnée à la ville pour se
gouverner, elle apparaît comme une activité dirigée vers l’âme de ceux qui gouvernent pour
qu’ils sachent se gouverner et ainsi puissent gouverner la ville, gouvernement de soi pour
gouverner les autres, notion politique et problème philosophico-moral.
Si le faux, si l’illusion, vient esquiver ou cacher la vérité, ce n’est pas l’effet du même
langage, c’est à cause des ajouts, de l’artifice. C’est le langage nu qui dit la vérité, le
langage philosophique, simple, adéquat à ce qu’il désigne, selon ce que pense celui qui dit
cela, pas le langage rhétorique, armé pour faire le lien entre ce qui a été dit et les autres,
ceux qui écoutent (Idem, 290). La démocratie athénienne avait de graves problèmes, à tel
point que ceux qui pouvaient et qui devaient se sentir obligés de jouer le rôle de
parresiastés étaient tellement menacés qu’ils préféraient y renoncer. Cependant, le rôle que
joue réellement Socrate, le philosophe, dans la ville, sans être directement politique est
essentiel pour la ville, refuse de faire ce que la majorité voulait tant comme ce que
imposaient les dictateurs, considérant ces deux mesures illégales, il a confronté avec la
vérité à la démocratie et à la tyrannie et dans les deux cas au risque de sa vie.
Le philosophe doit jouer un rôle vis-à-vis de la politique et non dans la politique, et ce rôle le
joue certainement ; quand la politeia, dans la démocratie ou dans la tyrannie, le met dans la
situation de commettre lui-même une injustice, il ne l’accepte pas, dit non et en même
temps manifeste la vérité. La question est le sujet politique, la philosophie ne traite pas de
politique, mais de justice et d’injustice résultant de l’action d’un sujet agissant en tant que
citoyen ou souverain, elle traite le sujet dans la politique. Il n’affirme pas la vérité en
paroles, mais en actes, en votant contre la majorité qui a tenté d’adopter une loi injuste, en
désobéissant à l’ordre d’arrêter quelqu’un. Sa parresia n’est pas directement politique, c’est
un rejet de l’injustice, il ne s’agit pas de la santé de la ville mais de la santé du sujet. Sa
parresia n’apparaît pas nécessairement dans les mots, elle peut apparaître dans les
choses, dans les actes, dans les manières de faire et d’être, le rhétoricien est ornée, car
justement l’ornement est son affaire, le philosophe ne sera pas seulement celui qui dit la
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vérité, il est aussi celui qui rend la vérité manifeste dans leurs actions, avec leur façon
d’être. La parresia philosophique ne consiste pas à dire la vérité dans le domaine politique,
elle a une fonction de rupture par rapport à l’activité politique elle-même.
Le rôle du philosophe n’est pas d’intervenir dans l’assemblée, ce n’est pas le refus explicite
de devenir un sujet injuste. Il y a une parresia spécifiquement philosophique, elle est mise à
la disposition de n’importe qui, à condition qu’il soit disposé à l’écouter, cette alliance est
une condition pour l’exhorter à prendre soin de soi-même, pas des honneurs, des richesses
et de la gloire ; savoir si on sait bien ce que l’on sait ou si on ne le sait pas, ne consiste pas
seulement en une forme de discours mais en un mode de vie, c’est vivre en se scrutant et
en scrutant les autres. Le parresiaste essaie d’empêcher la ville de s’endormir et si la ville
condamne le parresiaste, se condamne elle-même au sommeil ; cette fonction n’est pas
politique mais elle est nécessaire par rapport à la politique, nécessaire à la vie de la ville, de
veiller sur elle-même.
Il est nécessaire que qui parle, le parresiaste, ait connaissance de la vérité des choses dont
il parle. Socrate n’est pas satisfait de cette solution qui consisterait à connaître la vérité à
l’avance, la connaissance de la vérité n’est pas pour Socrate, avant la pratique du discours.
Si la vérité est donnée avant le discours, l’art de la rhétorique sera l’ensemble des
ornements, des jeux de langage à travers lesquels la vérité sera oubliée, cachée, omise. Il
est nécessaire que la vérité ne soit pas donnée mais qu’elle soit une fonction constante du
discours, ces petites différences doivent être très bien établies et pour cela il est nécessaire
de pouvoir rassembler dans une vision générale ce qui est dispersé ; pour persuader, une
technique rhétorique n’est pas nécessaire mais une technique dialectique, le pouvoir du
discours dépend de sa psycagogie, de la connaissance de l’être par la dialectique et de
l’effet du discours sur l’âme par la psycagogie. Tout cela à travers l’amour, une relation telle
que cette âme sera modifiée et pourra accéder à la vérité, condition nécessaire et
constante qui ne peut être dissociée de l’effet direct et immédiat qu’elle a non seulement
sur l’âme de celui à qui elle est dirigée mais sur l’âme de celui qui la dit, c’est en tout cas
ainsi que la pratique de la philosophie s’est affirmée tout au long de l’Antiquité.
Une vie philosophique est une option d’existence qui implique le renoncement à certaines
choses, mais ce n’est en aucun cas - comme pour l’ascèse chrétienne - une purification de
l’existence. Cette dimension existe, mais si l’on considère la longue période, ce n’était pas
la plus constante et la plus importante, ni pour la détermination de l’existence
philosophique, ni pour l’affirmation de la philosophie comme mode de vie. La philosophie
est donc un mode de vie, c’est aussi un métier, privé et public, de conseiller politique, une
interpellation permanente dirigée vers le collectif ou vers l’individu, que ce soit sous la
forme d’une prédication cynique ou stoïque, au théâtre, à l’assemblée, aux jeux, à la
croisée des chemins. La philosophie occidentale moderne a peu de points communs avec
cette philosophie parresiastique.
On peut voir la forme typique de la philosophie ancienne dans le portrait que fait Epictète du
cynique (entretien 22, livre III des Entretiens), une sorte de limite de la philosophie ancienne
en tant que parresia, une limite également parce que nous percevons s’esquisser le lieu où
la pensée chrétienne, l’ascèse, la prédication, la parresia chrétienne vont se précipiter : la
philosophie comme mode de vie dans lequel la vérité se manifeste ; pour dire la vérité il est
disposé à s’adresser aux puissants ; dans son rôle d’illuminateur, celui qui annonce la vérité
sans rien craindre, est sauvé, au-dessus du marché ; pour la santé qu’il exerce, est en
mesure de servir l’humanité, il est l’homme qui doit en discuter avec tous les hommes ; Il
doit parler de bonheur et de malheur, de bonne et de mauvaise fortune, d’esclavage et de
liberté.
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Le texte de Kant sur l’Aufklärung est une prise de conscience de la philosophie, des
problèmes qui étaient dans l’Antiquité ceux de la parresia qui ont refait surface au cours des
XVIe et du XVIIe siècle. C’est une pratique qui trouve dans sa relation à la politique sa
preuve de vérité ; dans la critique de l’illusion, du piège, de la flatterie, sa fonction de vérité ;
dans la transformation du sujet par lui-même et par un autre, objet de son exercice. Le
philosophe doit maintenir une extériorité permanente par rapport à la politique, et c’est en
cela qui est réel ; il ne doit pas discerner le faux et le vrai dans la science, il doit exercer
une critique du piège et de l’illusion, et c’est ainsi qu’il joue le jeu dialectique de sa vérité ; il
ne doit pas désaliéner le sujet mais définir les façons dont la relation avec soi peut
éventuellement se transformer.
Cependant, il ne s’agit pas d’une confession chrétienne ou d’une pratique judiciaire ; rien
n’est plus éloigné de la psycagogie platonicienne que l’idée qu’une rhétorique de
confession sur une scène judiciaire puisse opérer la transformation du injuste en juste, cette
thérapie ne s’applique pas à l’âme qui a commis la faute, c’est une thérapie qu’Il faut
appliquer à la ville, punir le criminel ne le guérit pas, il expulse de la ville un mal perçu
comme impureté et maladie, ce n’est pas une psycagogie, c’est une politique de
purification. Socrate ne s’accuse pas à soi-même quand il est conduit devant les tribunaux,
il ne va pas au tribunal, ce sont les juges qui le persécutent ; d’autre part, si vous vous
laissez condamner, ce n’est pas parce que vous reconnaissez avoir commis une injustice, il
ne s’agit donc pas d’un aveu, mais d’obéissance aux lois afin de ne pas commettre
d’injustice. Nous ne devons pas citer Socrate pour confirmer l’importance de cette
supposée scène d’aveu thérapeutique et psycagogique, c’est un usage burlesque de la
rhétorique, si vous voulez utiliser ce truc qui n’est rien et qui est inutile, vous pouvez faire
deux usages grotesques : aller voir les juges et utiliser leur talent rhétorique pour s’auto-
accuser ; quand vous avez un ennemi, allez le défendre devant le tribunal, faites l’effort qu’il
ne soit pas pénalisé et s’il est pénalisé que cela ne le rend pas juste. Il n’y a pas
psycagogie de l’aveu judiciaire, ce n’est pas de manifester la vérité de soi-même devant un
juge que nous devenions justes, la manière d’être du discours qui peut efficacement faire
fonctionner la psycagogie doit avoir trois qualités : la connaissance, la bienveillance et
l’ouverture (Idem, 315).
Quand une personne a commis une faute, dans la solution philosophique, il est nécessaire
qu’elle admette que cela n’a pas été fait volontairement, qu’elle a de nouveau besoin de
conseils. S’il le commet à nouveau, la seule punition est qu’il soit abandonné par celui qui le
dirige, nous trouvons ici la manière d’être du discours philosophique et sa manière de lier
l’âme à la vérité, à l’Être et à l’Autre. Si, en démocratie, ce ne sont pas la fortune et le statut
qui peuvent la placer parmi les meilleurs, elle a la rhétorique, la démagogie, le populisme,
c’est l’instrument qui rend à nouveau une société inégalitaire dans laquelle l’on a tenté
d’imposer une structure égalitaire à travers les lois, c’est pourquoi cette rhétorique ne peut
pas être indexée sur la loi, c’est contre la loi qui joue, elle est justifiée comme un jeu
agonistique. Face à ce jeu, Socrate en proposera un autre, un discours dont l’on se serve
comme preuve d’une âme pour l’autre, d’affinités entre les âmes. Joue dans le registre de
la réalité, de la vérité. La relation qui va s’établir entre les âmes n’est pas agonistique, ou il
s’agit de s’imposer à l’autre, ce sera une relation de preuve, de démonstration de la réalité
et de la vérité, de l’âme authentique. La flatterie est aussi une homologie : prendre ce que
pense l’auditeur, l’élaborer comme son propre discours et le renvoyer à l’auditeur qui est
ainsi facilement convaincu par ce qu’il dit et pense, mais il s’agit d’une homologie
apparente. Ce n’est pas le logos ce qui est identique, ce sont les passions, les désirs, les
plaisirs, les opinions. Dans le dialogue philosophique, les deux ont le même logos car ils
sont dotés de connaissances, de bienveillance et de franchise.
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Références
Michel Foucault 2008, Le gouvernement de soi et des autres. Cours au Collège de France, 1982-1983, EHESS-Gallimard-Seuil,
Paris.
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