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Laval théologique et philosophique

L’idée d’une théologie de la culture chez Paul Tillich et Gérard


Siegwalt
Nicole Grondin

Volume 45, numéro 1, février 1989

La Dogmatique de Gérard Siegwalt

URI : https://id.erudit.org/iderudit/400423ar
DOI : https://doi.org/10.7202/400423ar

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Éditeur(s)
Faculté de philosophie, Université Laval

ISSN
0023-9054 (imprimé)
1703-8804 (numérique)

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Citer cet article


Grondin, N. (1989). L’idée d’une théologie de la culture chez Paul Tillich et
Gérard Siegwalt. Laval théologique et philosophique, 45(1), 31–38.
https://doi.org/10.7202/400423ar

Tous droits réservés © Laval théologique et philosophique, Université Laval, Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des
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Laval théologique et philosophique, 45,1 (février 1989)

L'IDÉE DUNE THÉOLOGIE


DE LA CULTURE
CHEZ PAUL TILLICH
ET GÉRARD SIEGWALT *
Nicole GRONDIN

RÉSUMÉ. — Il semble y avoir chez Paul Tillich une opposition entre la « théologie de
la culture », tournée vers le monde extra-ecclésial, et la « théologie systématique »,
qui se veut tout entière au service de l'Église. Cette opposition apparente se trouve
résolue dans la Dogmatique de Gérard Siegwalt, grâce au principe de la récapitu-
lation, qui reconnaît la présence du Verbe créateur et rédempteur universel dans
les créations de l'esprit humain.

I. LE PROBLÈME CHEZ TILLICH

Avant de commencer la lecture de la Dogmatique pour la catholicité évangélique,


j'avais déjà en tête une problématique inspirée de Tillich. On retrouve chez lui, en
effet, comme deux types de théologie : une théologie de la culture et une théologie
systématique.
C'est tout spécialement dans la grande conférence donnée par Tillich à Berlin, en
1919, que l'idée d'une théologie de la culture est élaborée de façon extensive 1 . En
parlant de «théologie de la culture», Tillich semble alors quitter le terrain de la
religion explicite. La théologie qu'il propose part de la culture pour en déceler la
substance religieuse. Sa spécificité est dès lors bien établie. Tillich précise que le
théologien de la culture voit la religion dans la profondeur des créations culturelles,
comme la substance {Gehalt) qui s'exprime à travers elles2. Cette théologie de la

* Ce travail a été rendu possible grâce à une bourse du Conseil de Recherches en Sciences Humaines du
Canada.
1. « Ueber die Idee einer Théologie der Kultur», G. W. IX, pp. 13-31.
2. Ibid., p. 19.

31
NICOLE GRONDIN

culture {Kulturtheologie) se démarque donc d'un autre type de théologie, que Tillich,
dans cette même conférence, appelle « théologie d'Église » (Kirchentheologie), et qui,
elle, porte sur les contenus religieux, comme les dogmes et la tradition de l'Église 3 .
Cette conception de la théologie est également très différente de celle que Tillich
élaborera plus tard, dans les années 60, qui, elle, semble directement axée sur l'Église.
Dans l'introduction de la Théologie systématique, il écrit en effet: «La théologie,
comme fonction de l'Église chrétienne, doit servir les besoins de l'Église» 4 . «Le
théologien exerce une fonction de l'Église à l'intérieur de l'Église et pour l'Église » 5 .
Dans cette même Systématique, il précise encore que la théologie est «l'explication
méthodique des contenus de la foi chrétienne » 6 ; elle s'occupe du mystère de Dieu, de
la Trinité, de la christologie, des dogmes, etc.
Comment concilier cela avec la première conception qu'avait Tillich de la
théologie, celle de 1919, où il se prononçait explicitement contre une telle compréhension
traditionnelle de la théologie : « La théologie, écrivait-il, n'est pas la présentation
scientifique d'un ensemble révélé spécifique»7. Et «les facultés de théologie sont
considérées avec méfiance par la science, à bon droit, quand la théologie est comprise
comme la description d'une confession particulière, limitée, avec des prétentions
autoritaires» 8 .
La théologie de la culture que Tillich propose alors ne s'oriente donc pas vers les
objets de la foi comme tels. C'est plutôt aux différents domaines de la culture qu'elle
s'intéresse 9 : la science, la technologie, l'art, l'éthique, le droit, la politique; ce qui
donnera une théologie de la science, une théologie de l'art, une théologie politique,
etc. 10 . Ce que vise alors la théologie, c'est d'expliciter et d'exprimer « les expériences
religieuses concrètes qui sont présentes dans tous les grands phénomènes culturels » ' '.
Pour ce faire, le programme d'une théologie de la culture comprend trois étapes :
une analyse religieuse générale de toutes les créations culturelles, du point de vue
religieux ; ensuite une classification de ces créations, en distinguant les différents types
de création et de culture, du point de vue religieux toujours ; et finalement une
systématique, qui consiste à proposer une synthèse concrète de ce que serait l'idéal
d'une culture toute pénétrée de religion, ce que Tillich appelle culture théonome 12.
On voit que dans cette théologie tout se passe à l'extérieur de l'Église, dans la
culture profane, en partant des créations culturelles du passé, pour en arriver au projet
d'une culture toute pénétrée de religion. Cette organisation générale de la théologie,

3. Ibid., pp. 27-28.


4. Systematic Theology, I, p. 3.
5. Ibid., p. 32.
6. Ibid., p. 28.
7. « Ueber die Idee... », p. 14.
8. Ibid., p. 30.
9. Ibid., p. 16.
10. Ibid., pp. 22-27.
11. Ibid., p. 19.
12. Ibid., p. 20.

32
L'IDÉE D'UNE THÉOLOGIE DE LA CULTURE

telle qu'on la retrouve dans la conférence de 1919, présente donc une différence
importante avec la théologie systématique des années ultérieures, qui se trouve elle-
même ancrée dans l'histoire de la Révélation et de l'Église, pour s'appliquer ensuite de
façon concrète à la vie de l'Église dans la théologie pratique ou pastorale 13. On le voit,
la théologie systématique est alors une théologie qui fonctionne à l'intérieur de
l'Église, à partir de l'histoire de l'Église, et en vue du ministère de l'Église.
Les différences qui existent entre ces deux conceptions de la théologie chez Tillich
nous posent évidemment un problème. Que faire avec la distinction, voire même
l'opposition, entre la théologie de la culture et la théologie systématique? Doit-elle
être maintenue ou dépassée ? Faut-il considérer la théologie de la culture comme un
type différent de théologie, sans aucune articulation avec la théologie systématique ? 14

II. UNE VOIE DE SOLUTION CHEZ SIEGWALT

C'est par rapport à ce problème des relations entre théologie systématique et


théologie de la culture, que la Dogmatique du Professeur Siegwalt m'a paru éclairante ;
j'ai cru trouver dans cet ouvrage, en effet, un élément de réponse à ma question. Le fait
de considérer, comme Siegwalt, la théologie dogmatique non pas de façon particulariste,
fermée sur elle-même, mais comme totalisante, ouverte, s'intéressant à la «totalité»
des choses, pourrait, en effet, constituer une solution au problème de Tillich.
Chez Siegwalt, la théologie dogmatique (ou systématique) consiste à rendre
compte de la foi chrétienne, qui est elle-même présente dans le monde et la culture tout
autant que dans l'Église. Cette théologie est ouverte à tout le réel ; elle reconnaît une
dimension théologique en tout , 5 . Elle ne considère donc pas seulement l'Église, mais
aussi le monde, la culture 16. En plus d'être attentive aux formes expresses de la foi, elle
est aussi ouverte à tous les éléments religieux présents dans la culture.
Car le monde, la culture, le savoir profane, s'ils ne sont pas explicitement
religieux, comportent pourtant ce que Siegwalt appelle une profondeur « ontologique ».
La foi chrétienne ne se vit pas seulement dans l'Église, mais aussi dans le monde 17. Ce
n'est pas alors le mystère de Dieu qui est atteint explicitement, mais le mystère
ontologique l8. Il s'agit donc d'une foi ontologique, de la foi en l'Être. Car la pensée
qui porte sur le mystère de l'Être peut elle-même être dite «foi» 19 . Et cette foi
ontologique est aussi authentique que la foi au Dieu personnel.

13. Systematic Theology, I, pp. 29-32.


14. Jean RICHARD a déjà soulevé ces mêmes questions, après avoir signalé les contrastes existant entre la
théologie de la culture et la théologie systématique : « Theology of Culture and Systematic Theology in
Paul Tillich», Église et Théologie, 17 (1986), pp. 223-232.
15. Dogmatique pour la catholicité évangélique, I, p. 178.
16. Ibid, p. 135.
17. Ibid., p. Al.
18. Ibid., pp. 170-172.
19. Ibid., pp. 122-123; 134.

33
NICOLE GRONDIN

Selon Siegwalt, la culture est justement l'expression de cette foi en l'Être. Dans la
culture, il n'y a pas seulement un vide, une question que viendrait remplir la révélation
divine, mais ce vide trouve en la culture elle-même sa réponse. Le monde, les réalités
créées, la culture, le savoir profane comportent donc eux-mêmes une forme de
révélation, qu'on pourrait aussi appeler «ontologique»
Il y a en effet dans la culture une valeur implicitement religieuse, une profondeur
implicitement divine. On peut reconnaître, par exemple, dans un tableau, dans une
œuvre d'art, une inspiration profonde. Ainsi, l'artiste qui peint un visage peut
exprimer par là une foi dans l'humain, où se laisse percevoir la présence du divin 20 .
La théologie dogmatique de Siegwalt se propose donc de rendre compte non
seulement des fondements proprement «dogmatiques» de la foi chrétienne, dans
l'Église, mais aussi des fondements dits «pré-dogmatiques», déjà présents dans le
monde 21 . Elle sait ainsi discerner les signes de la foi autant dans le monde que dans
l'Église 22 .
Quand la théologie dogmatique rejoint ainsi la profondeur du monde profane, en
critiquant, assumant et portant à leur plénitude toutes les réalités créées, tous les
savoirs, et toute la culture, elle devient alors, précisément, «théologie de la culture».
Elle est en ce sens englobante, pour autant qu'elle comprend aussi la théologie de la
culture. Elle est mise en rapport avec la culture pour la « récapituler », puisque tel est
justement le sens de la «récapitulation» chez Siegwalt, qui comporte les trois
dimensions de YAufhebung hégélien (critique, assomption et accomplissement).
Ce principe de la récapitulation signifie donc que tout est concerné par le Dieu
Créateur et Rédempteur 23 . Car la possibilité d'une théologie ouverte à toute la réalité
du monde est ancrée dans le fait que le Christ, fondement de la théologie, récapitule et
accomplit lui-même la réalité de façon plénière. C'est vraiment lui, le Verbe Incarné,
qui, en tant que Logos créateur et rédempteur, récapitule le monde de la culture 24 .
Mais comment le Christ peut-il être ce fondement qui porte tout, qui inclut tout,
qui récapitule toutes choses ? 25 C'est que, s'il est un être particulier, en tant qu'événement
concret, en tant que Jésus historique, il est aussi le Christ universel, le Logos par qui
tout a été fait26. Tel est le Logos dont parle saint Jean, qui « illumine » tout homme en
venant dans le monde 27 . C'est lui précisément, le Logos créateur, qui est aussi « Logos
rédempteur», étendant par là le salut aux dimensions du monde et de la culture 28 . Il
récapitule alors le monde et toute la réalité. Et la culture elle-même se trouve
récapitulée en lui, pour autant qu'elle est inspirée par lui.

20. Ibid., pp. 260-261.


21. Ibid., pp. 45; 135.
22. Ibid., p. 135.
23. Ibid., p. 179.
24. Ibid., pp. 87-88.
25. Ibid., p. 82.
26. Ibid., pp. 84; 133; 174.
27. Prologue, versets 4 et 9.
28. Dogmatique... 1, pp. 87-88.

34
L'IDEE D'UNE THEOLOGIE DE LA CULTURE

Voilà pourquoi la théologie dogmatique, à l'image du Dieu créateur et rédempteur


qui est son fondement, est elle-même une théologie qui s'ouvre à tout ce que porte son
fondement 29 . Puisque le Christ Logos est la récapitulation, l'accomplissement de
toute la réalité, ainsi doit-il en être de la théologie dogmatique 30 .
Cette réalité totale représente ici le monde et la culture. C'est non seulement le
monde créé par Dieu qui est orienté vers lui, mais la culture est elle-même touchée par
la Révélation et la Rédemption, pour autant que le « Logos », créateur du monde, est
aussi la lumière de l'esprit humain, d'où procède toute la culture 31 . La théologie
récapitule donc toute la culture.
Et n'est-ce pas finalement ce que recherche Tillich dans sa théologie de la culture :
capter, dans la culture, les traces de ce Verbe qui illumine tout homme ? La substance,
le « Gehalt », dont Tillich recherche les traces dans la culture 32 , ne correspond-il pas au
Logos qui donne sens à toute création humaine?
Dans ce même contexte, le rôle de la théologie face aux autres sciences rejoint
aussi celui de la théologie de la culture chez Tillich33. Siegwalt affirme, en effet, que la
théologie au sens strict, c'est-à-dire celle dont l'objet spécifique est la révélation de
Dieu en Jésus-Christ, cette théologie a pour rôle d'« aider les sciences de la nature
comme les sciences de l'homme, et toute la culture humaine, à saisir les implications
métaphysiques ou théologiques qui sont les leurs, et à référer la question de Dieu, qui
apparaît à leur niveau, à la révélation » de Dieu en Jésus-Christ 34 . Elle renvoie donc
l'intuition de l'Être, qui se trouve à la racine des différents savoirs culturels, à la
révélation elle-même.
Ainsi, pour autant que la culture comporte une profondeur religieuse, pour
autant qu'elle est l'expression d'une quête métaphysique — en termes tillichiens, d'un
« Ultimate Concern » —, elle se trouve elle-même intégrée au domaine de la théologie
systématique. Dans les termes de Siegwalt, la culture se trouve alors récapitulée par la
théologie. La théologie, pour sa part, en récapitulant les différentes sciences de la
culture, les aide à saisir cette dimension ultime, théologique qu'elles portent en elles.
En conclusion, je propose donc d'interpréter la théologie systématique de Tillich
dans le sens du principe de la récapitulation, tel que l'explique Siegwalt. La théologie
de la culture, qui porte sur les fondements pré-dogmatiques de la révélation déjà
présents dans le monde, s'inscrit alors directement dans la démarche globale d'une
théologie systématique ainsi comprise d'après le principe de la récapitulation. On
n'est donc plus fondé à séparer les deux types de théologie chez Tillich, puisque la
théologie systématique englobe elle-même la théologie de la culture.

29. Ibid., pp. 179-180.


30. Ibid., p. 175.
31. Ibid., p. 179.
32. « Ueber die Idee... », p. 19.
33. « Ueber die Idee... », pp. 30-31.
34. Dogmatique... I, p. 189.

35
NICOLE GRONDIN

III. LA NOTION DE CULTURE CHEZ TILLICH ET SIEGWALT

Par mode de corollaire, j'aimerais maintenant signaler un point où Siegwalt


s'éloigne de Tillich : c'est sur la conception de la culture comme telle. Tillich, pour sa
part, distingue bien la culture de la religion. Il voit la culture comme « la quintessence
de tous les actes spirituels (culturels) orientés vers l'accomplissement des formes
particulières et de leur unité », tandis qu'il définit la religion comme « la quintessence
de tous les actes spirituels (culturels) orientés vers la saisie de la substance inconditionnée
du sens, à travers l'accomplissement de l'unité du sens» 35 .

Ainsi, d'après Tillich, si la culture et la religion se rencontrent dans leur


orientation vers le sens et si elles ont leur fondement commun dans le sens, elles
diffèrent cependant dans leur intention. En effet, lorsque la culture recherche le sens,
elle ne le fait pas nécessairement avec une intention religieuse ; elle est substantiellement,
mais non pas intentionnellement religieuse36. Elle s'arrête aux formes de sens
conditionnées, particulières, aux formes individuelles du sens, plutôt que de s'orienter
vers l'Inconditionné comme tel 37 . La religion, quant à elle, est l'orientation, à travers
les formes culturelles, vers l'inconditionné, l'orientation vers le contenu de toutes les
formes culturelles38. D'après Tillich, donc, nous sommes en présence de la religion,
lorsqu'à travers et au-delà des formes culturelles pleines de sens, c'est le contenu, la
substance du sens, l'Inconditionné, qui est appréhendé.

Siegwalt, quant à lui, attribue déjà à la culture elle-même une connotation


religieuse. Il voit la culture dans le sens d'une « conception globale des choses » 39 : la
culture est l'intuition qu'au-delà de la pluralité des savoirs, il y a une unité ; l'intuition
qu'au-delà de la totalité additive de plusieurs savoirs, il y a une pensée unifiée. Or,
cette unité réside, d'après lui, dans la « référence à la question dernière »40. C'est cela
qui constitue l'unité dernière des choses 41 . Siegwalt pose donc comme note spécifique
de la culture la référence à la question dernière, l'attention portée à la dimension
dernière du réel. Ainsi, les nombreux savoirs ne deviennent «culture» que lorsqu'on
peut percevoir en eux la « référence à la question dernière ».

Cette attention portée à la dimension dernière du réel correspond par ailleurs à ce


que Siegwalt appelle la « quête métaphysique » dans et à travers la réalité physique 42 ,
la quête du mystère des choses 43 . Voilà donc tout ce qu'inclut la notion de culture chez
Siegwalt. Elle implique la foi dans le monde, ce que nous avons appelé plus haut la « foi

35. « Religionsphilosophie» in G. W. I, p. 320.


36. Ibid.
37. Ibid.
38. Ibid.
39. Dogmatique... I, pp. 167 187.
40. Ibid., p. 187.
41. Ibid., pp. 188-189.
42. Ibid., pp. 170-171.
43. Ibid., p. 110.

36
L'IDÉE D'UNE THÉOLOGIE DE LA CULTURE

ontologique »44. « Le sens du monde est ainsi la culture, en tant que par sa médiation,
par ce que l'homme fait du monde, celui-ci est offert à Dieu 45 . »

Cette conception de la culture comporte manifestement des harmoniques fortement


religieuses. Avec sa référence à la « question dernière », la culture correspond précisément
à la « religion » chez le premier Tillich, qui se définit elle-même comme l'orientation
vers l'ultime 46 . C'est que Siegwalt distingue ici «culture» et «civilisation». La
civilisation implique quelque chose de plus profane, de plus matériel que la culture.
Elle est considérée comme le fruit du savoir humain, comme la cité que l'homme bâtit
avec son savoir humain, alors que la culture va bien plus loin : elle comporte un aspect
spirituel, elle est religieuse47. Dans ce cas, le rapport culture-civilisation chez Siegwalt
correspond au rapport religion-culture chez Tillich.

Notons cependant qu'on trouve au deuxième volume de la Dogmatique une


notion beaucoup plus tillichienne de la culture. Celle-ci se trouve alors définie comme
la réaction de l'homme devant le monde et elle est par là plus ou moins identifiée à
l'histoire 48 . La culture n'y est donc plus distinguée de la civilisation, mais équivaut à la
culture chez Tillich.

RÉPONSE DE GÉRARD SIEGWALT

Cette contribution d'une jeune doctorante représente un excellent projet de thèse.


Les termes en sont clairement définis, il y a une problématique, il y a donc un enjeu. La
réflexion propre de Nicole Grondin aura la possibilité de s'épanouir à partir de là.
L'affirmation que selon la Dogmatique tout comporte une dimension dernière est
bien vue. Elle implique que la théologie au sens propre, c'est-à-dire vue au sein de
/'Universitas litterarum et scientiarum, n 'est pas en dernier lieu un domaine particulier,
à côté d'autres domaines particuliers, mais a trait à la dimension dernière précisément
de tous les domaines. Elle est au service de cette dernière dans les sciences, dans la
philosophie, dans l'art etc., tout comme à l'inverse les sciences, la philosophie, l'art etc.
rappellent à la théologie, en tant qu'ils sont porte-parole et interprètes du réel, qu'elle
devient idolâtre lorsqu'elle s'absolutise et donc se coupe par rapport au réel. La
théologie est par vocation ancilla culturae, servante de la dimension dernière. Sa
spécificité, qui tient à son fondement qu 'elle a dans la révélation spéciale, n 'est justifiée
que par cette référence au réel en général, la révélation spéciale elle-même n 'existant
que « dans, avec et à travers » celui-ci. Cette compréhension rejoint la conception du
« Beruf » (métier, profession) de Luther ; le « Beruf » est le lieu séculier du culte rendu à
Dieu.

AA. Ibid., p. 135.


45. Ibid., p. 103.
46. Ibid., p. 187.
47. Ibid., pp. 187-188.
48. Dogmatique..., II, pp. 69-70.

37
NICOLE GRONDIN

Nicole Grondin emploie l'expression « principe de la récapitulation ». Je renvoie à


ce propos à la différence capitale faite dans mon texte introductif entre récapitulation
et récupération. La théologie atteste et dans ce sens « sert » la récapitulation qui est le
fait du Christ ; elle ne la «fait » pas.
Concernant la distinction entre culture et civilisation, elle est clairement définie
par N. Grondin. C'est dans le tome II de la Dogmatique, consacré à la Sociologie
théologique, que cette distinction sera encore davantage explicitée, apropos de ce qui
y sera dit sur la société humaine.

38

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