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Communication et organisation

40 | 2011
Âges et générations : la communication revisite ses
publics

De la communication commerciale à la
communication publique : de la segmentation à la
catégorisation
Entretien réalisé par Agnès Pecolo

Agnès Pecolo

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/communicationorganisation/3616
DOI : 10.4000/communicationorganisation.3616
ISSN : 1775-3546

Éditeur
Presses universitaires de Bordeaux

Édition imprimée
Date de publication : 1 décembre 2011
Pagination : 179-184
ISBN : 978-2-86781-745-8
ISSN : 1168-5549

Référence électronique
Agnès Pecolo, « De la communication commerciale à la communication publique : de la segmentation
à la catégorisation », Communication et organisation [En ligne], 40 | 2011, mis en ligne le 01 décembre
2014, consulté le 30 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/
communicationorganisation/3616 ; DOI : 10.4000/communicationorganisation.3616

© Presses universitaires de Bordeaux


ENTREVUE

Trois entretiens réalisés par Agnès Pecolo

De la communication commerciale à la communication


publique : de la segmentation à la catégorisation
Julien Goupil est fondateur et directeur du cabinet Proxité, spécialisé
sur la communication sociale, publique et politique. L’Agence se veut au
service d’une communication citoyenne à savoir utile, engagée, en faveur
d’enjeux de société. Consultant en communication territoriale et d’intérêt
général, il coordonne la stratégie du cabinet, anime le réseau de consultants
et accompagne de nombreuses collectivités dans la définition de leur stratégie
de communication. Ses thèmes d’intervention privilégiés sont : citoyenneté,
information et sensibilisation au développement durable, concertation,
rénovation urbaine.

Dans quelles mesures les logiques de segmentation communicationnelle,


fort développées dans le monde des médias et du marketing, sont-elles
applicables dans le cadre de la communication territoriale ?
Notons tout d’abord que les techniques développées dans la communication
territoriale s’apparentent de plus en plus aux techniques de la communication
« commerciale » ; on voit désormais apparaître les termes de marque
territoriale, de marketing territorial... Aussi semble-t-il logique qu’il en soit
de même pour le ciblage.
L’approche « segmentée » de la communication territoriale répond à une
évolution de la culture des acteurs de la vie locale (communicants, élus...).
L’émergence des techniques de communication modernes (ex : Internet avec
notamment les réseaux sociaux) participe au déploiement de l’expression des
opposants, de la rumeur... et ont amorcé l’évolution et la professionnalisation
de la communication territoriale.
La communication territoriale développe désormais des stratégies de
communication rigoureuses et maîtrisées qui répondent à des objectifs et des
cibles prédéfinis. Autre signe de cette évolution, la culture de l’évaluation. On
ne communique pas parce qu’il faut le faire mais parce que la communication
est le vecteur fondamental de la perception de l’action publique. La
communication est désormais considérée, elle est devenue un enjeu.
C&O n°40

Au-delà des similitudes, il y a-t-il des spécificités selon vous ?


En termes de ciblage, la particularité de cette communication réside dans
le fait que, la plupart du temps, elle ne concerne pas seulement un segment
de population (entendu comme habitants d’un même territoire) mais
l’ensemble des citoyens du territoire. Seulement ces citoyens ne sont pas
concernés de la même manière selon leur profil sociodémographique, leur
lieu de résidence.... LE citoyen n’est pas UN citoyen, c’est-à-dire qu’il ne
correspond pas à un ensemble stéréotypé.
Exemple : pour la construction d’un gymnase tous les habitants semblent
concernés. Pourtant il semble fondamental de distinguer des catégories
en fonction des facteurs de leur intérêt (les sportifs de la ville en tant
que futurs usagers, les parents qui se satisferont d’un nouvel équipement
pour leurs enfants, les enfants qui en tant que prescripteurs promouvront
l’équipement, les riverains qui seront inquiets des travaux, l’interne qui doit
être en capacité de connaître les grands chantiers du territoire, les acteurs
socio-économiques pour les rassurer sur l’impact environnemental et/ou
économique...).
Le message de communication (qu’il soit promotionnel, informatif,
consultatif...) doit conserver une cohérence de contenu mais doit tenir,
selon le profil du destinataire, un discours adapté. Il n’est pas question ici
de changer la promesse, mais plutôt d’adapter le ton et le message.
Notons que malgré ce découpage, la communication territoriale se doit
d’être adaptée mais non segmentante car si elle doit tenir un discours
adapté aux préoccupations et aux intérêts de chacun, elle ne doit pas pour
autant confronter les différentes catégories de destinataires.
C’est pour cela que je ne parlerai pas de segmentation mais d’approche
catégorisée (sens certes équivalent mais notion plus appréciée par les
acteurs publics).
Percevez-vous une réelle prise en compte d’un découpage des citoyens
dépassant leurs facteurs d’intérêt évoqués précédemment, pour se centrer
sur des critères sociodémographiques et si oui depuis combien de temps ?
Il est à considérer que l’approche catégorisée est loin de se caractériser
par les seuls critères démographiques. La catégorisation reste aujourd’hui
principalement définie par les « usages » (on communique auprès de la
population qui prend le train, auprès des résidents HLM…).
Mais pour revenir aux critères démographiques, je pense qu’il y a un
développement de cette approche depuis une dizaine d’années.
Cette échéance correspond à plusieurs phénomènes, on peut noter :
• Le développement des nouvelles technologies. Dans les premières
années de l’Internet, ses utilisateurs correspondaient à deux profils :
CSP+ et Jeunes. Alors que les CSP+ utilisaient ce nouveau média
comme support professionnel, les jeunes le transformaient en moyen

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d’expression. Dès lors les collectivités ont compris que les jeunes avaient
aussi une opinion et surtout qu’ils constituaient un relais intéressant.
• Le renforcement de la démocratie locale, qui a fait émerger des
conseils générationnels représentatifs.
• La professionnalisation de l’approche communicationnelle.
Pouvez-vous nous parler rapidement de ces conseils générationnels ?
Il s’agit de conseils qui permettent aux équipes municipales de disposer de
groupes générationnels « représentatifs ». L’objectif initial est souvent de
renforcer la démocratie locale en soumettant à leur opinion des propositions,
des projets. Ces conseils peuvent également être sollicités pour conduire
des travaux territoriaux (ex. : mémoire de la ville).
Ainsi nous voyons émerger des conseils municipaux des jeunes, le conseil
des seniors…
Politiquement et stratégiquement ces conseils constituent de réelles
opportunités ; ils peuvent instaurer des panels disponibles et mobilisés. Ils
fondent dès lors de vrais leviers d’évaluation générationnelle de l’action
publique.
Vous avez évoqué l’adaptation, non de la promesse, mais du message et
du ton, en fonction du profil du destinataire. Y a-t-il un ton spécifique
développé en fonction d’un profil « âge » ?
En effet, cela semble évident même s’il ne faut pas tomber dans les excès
d’adaptation. On ne peut stéréotyper le ton, d’autant moins qu’il dépend
aussi fortement du thème de communication. On peut cependant dégager
de grandes lignes, repères plus que consignes strictes :
• Enfants : 4 à 12 ans ludique
• Adolescents : 12 à 17 ans fun
• Jeunes : 17 à 25 ans moderne
• Adultes : 25 à 55 ans familial
• Seniors : 55 à 70 ans professionnel et technique
• Anciens : 70 ans et plus factuel
Nous voyons apparaître ici des découpages précis. Quelles sont les entrées
générationnelles les plus sollicitées aujourd’hui dans le champ public et
politique ?
Les plus sollicités sont pour moi :
• Les enfants, adolescents : facilement accessibles par le biais de
la vie scolaire et périscolaire et pour lesquels on favorise des ateliers
participatifs (théâtre, vidéo), une déclinaison des messages de manière
ludique (BD, jeu de l’oie, jeu de sept familles…), même si les adolescents
sont moins réceptifs.

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• Les seniors : car plus concernés, impliqués et disponibles, et auxquels


on va proposer l’édition, les réunions publiques, la presse… (quand on
favorise pour les anciens les sorties et animations).
Les segmentations communicationnelles ne participent-elles pas aux
séparatismes sociaux ?
Là est tout l’enjeu. Comme je le disais il n’est pas question d’avoir une
approche segmentante mais adaptée. Il ne faut pas ignorer une catégorie
de la population parce que soit disant elle ne dispose pas du niveau de
connaissance permettant l’appréhension du message. L’ignorer c’est
s’exposer à un retour de bâton électoral. Cela dit, il semble important de
considérer les spécificités de la population afin d’être au plus près d’elle et
le plus concernant possible.
Pour exemple, sur le tri sélectif l’approche en maison individuelle se fera
au travers d’une brochure explicative (expliquant les enjeux, les avantages
économiques...), alors que pour les logements sociaux nous privilégierons
la présence terrain avec l’intervention d’ambassadeur du tri et la mise à
disposition de brochures pédagogiques plus ludiques (ex : Bande dessinée)
Une action politique pour tous mais expliquée à chacun.
Existe-t-il un « profil » de collectivités plus réactives quant à l’approche
générationnelle de la communication ?
Il n’existe à mon avis pas de profil de collectivités plus réactives ou adaptées.
Tout est une question de décision politique. Les stratégies de communication
varient selon la capacité des décideurs à entendre et comprendre l’enjeu de
ce discours communicationnel. Ainsi une ville, un département, une région
auront la même capacité de réactivité.
Ceci étant, il est à considérer qu’une commune a sous sa responsabilité les
écoles, un département les collèges et une région les lycées... aussi sera-t-il
plus aisé de diffuser des messages et de mener des actions auprès des
catégories générationnelles concernées par leurs obligations.
La jeunesse apparaît de plus en plus comme rétive aux modes de
communication traditionnels (écrits, affiches). Que conseillez-vous à vos
partenaires territoriaux en termes de supports d’information pour toucher
ce segment de population ?
Clairement, deux maîtres mots me viennent à l’esprit : adaptation et
participation. L’utilisation de nouvelles technologies (réseau sociaux,
Twitter, réalisation) et les appels à création…
Adaptation car il est important de disposer d’une certaine légitimité si
on souhaite être accepté par la jeunesse. Là est toute la subtilité. Il n’est
pas question de faire du jeunisme en utilisant une sémantique qui leur
est propre (la crédibilité, auprès de toutes les générations, pourrait être

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remise en cause), mais plutôt en diffusant des messages sur des espaces ou
supports qui leur correspondent. En cela les réseaux sociaux constituent
une opportunité extraordinaire pour les collectivités. Encore faut-il qu’elles
y trouvent une place non intrusive et attractive. Mais on trouvera également
l’usage d’Id code ou autre alternative technologique.
Participation car la jeunesse construira son opinion dans l’action. La
jeunesse pour sa majorité est très peu disposée à construire son opinion
à partir de la seule réception d’un message ; il faut rendre cette catégorie
générationnelle actrice de cette communication.
Pour exemple si vous souhaitez communiquer sur la rénovation urbaine d’un
quartier ; rien de plus efficace que d’organiser un travail sur la mémoire de
quartier en faisant appel notamment à la contribution artistique des jeunes
(photos, dessins...) ; ce type d’actions est un prétexte idéal pour diffuser le
message par contournement.
Les entrées « familles » sont-elles toujours celles les plus sollicitées lorsqu’il
s’agit de toucher les enfants ?
Clairement non, je dirais même le contraire. C’est-à-dire que de mon point
de vue l’entrée enfant est utilisée pour toucher les familles. L’enfant devient
aujourd’hui prescripteur (d’ailleurs autant économique que social).
Pour exemple la sensibilisation au développement durable des adultes
réfractaires passera par le biais des enfants ou ne passera pas. Pour améliorer
les résultats d’une collecte sélective sur un territoire rien de tel qu’une bonne
sensibilisation en milieu scolaire pour voir les chiffres progresser. Une fois
l’enfant concerné par un sujet il se fait fort de véhiculer le message auprès
de ses parents.
Dans ce contexte c’est l’entrée « cadre scolaire et périscolaire » qui est
sollicitée.
Vous avez mentionné des adolescents « moins réceptifs ». Sont-ils l’objet
de politiques de communication spécifiques ?
Ils sont souvent une des catégories oubliées de la communication des
collectivités. Si on sait où les trouver (au collège et au lycée), on ne sait pas
encore trop les concerner et les intéresser. Pour compenser on trouve de
plus en plus les conseils territoriaux (municipaux, généraux, régionaux) de
la jeunesse pour garder contact avec cette catégorie de population.
Les services “seniors” semblent être d’actualité dans les collectivités.
Comment la communication se positionne-t-elle face à l’émergence de cet
intérêt pour cette population ?
Par l’édition de supports spécifiques type journal des seniors et la mise en
place d’instances participatives spécifiques.

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Vous avez abordé un travail sur la mémoire du quartier : dans ce cas de


figure ne sollicitez-vous pas, en parallèle des jeunes, les anciens ?
Il est à considérer que les travaux menés ne se feront ni dans le même
temps, ni sur les mêmes supports, ni avec les mêmes techniques … Quand
les seniors travailleront sur une approche factuelle, les jeunes emploieront
des approches plus artistiques.
Ainsi l’initiative ne sera pas intergénérationnelle mais le résultat pourra l’être.
Les thèmes de la cohésion sociale, du “vivre ensemble” et des solidarités
favorisent les réflexions et initiatives intergénérationnelles. Êtes-vous
sollicité sur ces problématiques et quels types de stratégies et outils
proposez-vous ?
Non, nous n’avons pas encore été sollicités sur ces questions, mais je
pense que ces problématiques correspondent plus à de l’opérationnel
qu’à du communicationnel. J’entends par là que le « vivre ensemble »
et « la cohésion sociale » sont des valeurs sur lesquelles nous pouvons
communiquer une fois que le terreau opérationnel est mis en place. Pour
être clair il faut proposer des actions avant de s’engager dans des actions
de communication. La communication n’est pas génératrice de lien social
mais elle peut l’accompagner et participer à son émancipation.
Pour conclure, le marketing s’évertue à prôner une représentation des
« vieux » comme des personnes actives et pleines d’avenir quand l’entreprise
véhicule une vision de travailleurs seniors usés et rétifs à l’adaptation.
Qu’en est-il selon vous dans le champ public ?
Tel que je l’ai identifié, je distinguerai les seniors des anciens.
Les seniors (55 à 70 ans) représentent une catégorie d’âge active et intéressée,
sur laquelle les politiques comptent. Ils constituent notamment un relais
essentiel de la vie locale. Ce sont eux les plus mobilisés et mobilisables : ils
participent aux réunions publiques, viennent aux événements, participent
aux enquêtes publiques, réagissent à l’action locale, mobilisent les
oppositions. En ce sens nous sommes très loin de l’image des travailleurs
seniors usés et rétifs.
La considération des anciens est différente. La préoccupation à l’égard de ce
public est plutôt orientée sur l’animation et la préservation de l’autonomie.
Rares sont les initiatives communicationnelles qui cherchent à convaincre
cette catégorie de population.

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