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2.
Le développement de l’intelligence sensori- motrice
Les progrès psychomoteurs de l’enfant lui permettent d’accroitre sans cesse son champ d’expérience et alimentent son activité psychique et donc La construction de son intelligence en fonctionnement. Avant de donner un aperçu des recherches actuelles en psychologie du développement précoce, nous présentons la théorie de Piaget qui permet d’expliquer comment s’élaborent les structures intellectuelles du bebe au cours de cette période et sur la base de ces progrès psychomoteurs spectaculaires dont nous avons donné une description rapide. C’est par rapport à cette théorie piagétienne, la plus féconde sur le plan de la compréhension de la construction de l’intelligence que seront ensuite situes les résultats des recherches actuelles qui contre disent la théorie sur certains points ou conduisent à la nuancer .
2.1. Piaget : le stade de l’intelligence sensori- motrice :
Il peut être utile de relire auparavant le chapitre 1 pour avoir une vue d’ensemble de la théorie et des définitions des concepts piagétiens. Pour une description détaillée de cette période et pour comprendre comment s’élabore une théorie explicative à partir de descriptions minutieuses du développement de l’enfant, se référer aux deux ouvrages majeurs de Piaget (1936 et 1937). Pour une présentation claire mais très condensée, se référer à La psychologie de l’enfant de Piaget et Inhaler (1968). Cette période se caractérise par la constitution progressive de schèmes sensori- moteurs (cf. p. 29), c’est- à-dire de schèmes impliqués dans toutes les activités qui font intervenir la perception et le mouvement, donc la coordination sensori- motrice des actions. Pour Piaget, l’intelligence c’est l’adaptation à des situations nouvelles, et l’intelligence sensori- motrice c’est la capacité de résoudre des problèmes pratiques au moyen des actions sensori- motrices et avant l’apparition du langage. Pour lui, en effet la source de l’intelligence réside dans les actions sensori- motrices qu’exerce l’individu sur des objets et non dans le langage. Ce premier stade dans la construction de l’intelligence est capital car, dans la perspective constructiviste de Piaget, c’est à ce moment que s’élaborent toutes les substructures cognitives qui sont les éléments de base des constructions cognitives ultérieures. On va voir comment l’intelligence d’un enfant peut se construire à partir de ses expériences quotidiennes du réel et à partir de ses actions, de ses manipulations et de ses observations, en même temps qu’il élabore les notions fondamentales d’objet, d’espace, de temps et de causalité.
2.1.1. Le premier sous- stade : l’exercice des réflexes (0-1 mois)
La notion de réflexe chez Piaget ne correspond pas exactement à l’arc réflexe neurologique. Le réflexe est considéré ici comme une première réponse globale de l’individu à une stimulation provenant de son milieu, elle a donc déjà une fonction adaptative. Par la suite, des exercices fonctionnels vont consolider ce réflexe et l’élargir. En effet, ce sont les premières réponses réflexes qui constituent la source des schèmes. Le schème étant perfectible par l’exercice qui le consolide va rendre possible l’assimilation qui va l’enrichir. Prenons l’exemple du réflexe de succion dont nous avons vu qu’il faisait partie des réflexes archaïques. Le nouveau- né tâtonne un peu pour téter la première fois, puis le fait de façon de plus en plus assurée, il devient de plus en plus capable de retrouver le mamelon lorsqu’il l’a lâché. Cet exercice fonctionnel rend possible l’assimilation qui peut prendre plusieurs formes : l’assimilation fonctionnelle (ou reproductrice) correspondant à un besoin de reproduction de l’action, permettant la consolidation de cette action. L’assimilation généralisatrice se manifeste lorsque l’enfant incorpore dans cette action réflexe des objets différents (par exemple le sein et le pouce), provoquant ainsi un élargissement du schème- réflexe. L’assimilation devient ensuite recognitive (ou discriminative) lorsqu’elle donne lieu à des distinctions entre ces objets différents incorporés dans le schème (le bébé peut sans peine distinguer son pouce du sein, surtout quand il a faim car ils ne produisent pas le même effet en retour de son action). Il existe en outre une quatrième forme d’assimilation qui est l’assimilation réciproque des schèmes, elle se manifeste un peu plus tard par exemple au moment de la coordination de la vision et de la préhension. Il n’y a pas que le réflexe de succion qui soit à l’origine des schèmes, même s’il a été particulièrement étudié par Piaget, on peut prendre aussi l’exemple du regard, de la phonation, de la saisie, etc.
2.1.2. Le deuxième sous- stade : les premières adaptations et les réactions
circulaires primaires (1-4 mois) Grâce à l’extension des schèmes assimilateurs, les acquisitions sont maintenant possibles : il y a apparition de conduites nouvelles qui correspondent à l’intégration de nouveaux éléments dans les schèmes initiaux. En reprenant l’exemple de la succion, on constate que l’enfant suce son pouce de plus en plus souvent, ce nouveau comportement témoigne du fait que le pouce a été « incorporé » en quelque sorte dans le schème- réflexe initial de succion. L’installation de cette nouvelle conduite se fait grâce aux réactions circulaires primaires. La réaction circulaire correspond à une reproduction active d’une action fortuite qui a provoqué un résultat nouveau et intéressant. Au cours de ses mouvements encore peu coordonnés, l’enfant met par hasard le pouce dans sa bouche, il trouve le résultat de cette action très agréable et va donc chercher à répéter la même action pour obtenir ce résultat. L’adjectif « primaire » spécifie que ces réactions circulaires ne concernent pour l’instant que le corps de l’enfant, et pas encore les objets qui l’entourent : effectivement, elles concernent à cet âge, outre la succion, la vision, la phonation et l’audition, aussi les mains (prises fortuites d’objets). L’enfant qui vocalise spontanément, s’entend et cherche à reproduire ce résultat très intéressant, il est ainsi incité à reproduire cette action (phonation), en la faisant varier quelque peu (accommodation). Ces réactions circulaires primaires s’organisent en schèmes sensori- moteurs primaires. C’est à ce stade que l’assimilation et l’accommodation commencent à se différencier l’une de l’autre, puisqu’il y a intégration d’éléments nouveaux aux schèmes antérieurs et modification des schèmes pour faciliter l’assimilation des nouveaux objets. Mais à ce stade, l’accommodation est encore peu fréquente et reste subordonnée à l’activité assimilatrice de l’enfant. Pour Piaget l’enfant de ce stade vit dans un monde composé de tableaux sensoriels successifs : tactiles, visuels, auditifs, gustatifs, sans mise en relation possible entre ces espaces sensoriels hétérogènes ; il y a autant d’espaces sensoriels que de schèmes sans qu’il existe d’espace commun aux différents domaines perceptifs. De même, l’enfant n’a pas encore de conscience d’objet. Les conduites décrites par Piaget dans ces premiers sous- stades ne peuvent pas encore être qualifiées d’intelligentes : il leur manque l’intentionnalité et la mobilité des schèmes qui les sous- tendent, mobilité indispensable à leur coordination en vue d’une réponse nouvelle. Ces deux caractéristiques vont apparaître dans les stades suivants.
2.1.3. Le troisième sous- stade : la coordination vision-préhension et les
réactions circulaires secondaires (4 à 8-9 mois) Ce stade est marqué par l’apparition de l’intentionnalité qui se manifeste dans les conduites de préhension : ce stade débute en effet par l’apparition de comportements nouveaux de saisie volontaire d’objets, grâce à la mise en place de la coordination visuo- manuelle : l’enfant maintenant peut saisir tout ce qu’il voit. Cette coordination émerge progressivement et va être à l’origine de nouvelles découvertes de l’enfant. Elle a surtout pour conséquence qu’il peut commencer à mettre en correspondance les différents espaces sensoriels (l’objet regardé est touché, mis à la bouche : il y a assimilation réciproque des schèmes et de leurs domaines d’application) et qu’il peut commencer à mettre en rapport le but et les moyens d’y parvenir. Donc, par ses gestes, l’enfant passe de son corps propre au monde des objets. Les réactions circulaires s’appliquent maintenant aux objets (elles sont secondaires). Un enfant qui s’agite dans son berceau peut dans son agitation mettre fortuitement en branle un objet sonore qui y est accroché. Le bruit ainsi provoqué par hasard lui plaît et il va s’agiter à nouveau dans l’espoir d’aboutir au même résultat : il s’agit là d’une conduite accommodatrice. On peut dire de ses comportements qu’ils résultent d’une mise en correspondance entre le but recherché et les moyens d’y parvenir, mais ce but n’est pas posé au préalable, il apparaît fortuitement au cours des actions de l’enfant, ce n’est donc que le début de la coordination moyen- but. Au cours de ces réactions circulaires secondaires qui lui permettent de manipuler les objets et de faire en quelque sorte le tour de leurs propriétés, on voit l’enfant appliquer aux objets nouveaux rencontrés, tous les schèmes qu’il possède dans son répertoire (qui ne cesse d’ailleurs de s’agrandir) : si on propose un objet nouveau à un enfant qui se trouve à cette période, on constate qu’il lui applique aussitôt ses schèmes familiers de frapper, secouer, frotter, passer d’une main dans l’autre, mettre à la bouche, ce qui lui permet effectivement de prendre connaissance de l’objet en faisant le tour de ses propriétés (il est dur ou mou, il fait du bruit, il est lisse, il a bon goût, etc.). On voit donc apparaître dans ces conduites exploratrices ce qui doit constituer la base des conduites ultérieures de classification. Comme tous les schèmes ne sont pas applicables de la même façon à tous les objets (selon leur forme, leur volume, etc.), il est conduit à modifier les schèmes initiaux : il s’agit ici d’une conduite nettement accommodatrice, d’adaptation au réel dont il est obligé de tenir compte. On voit qu’avec l’émergence de l’intentionnalité et la mise en route de réactions circulaires secondaires, l’activité exploratoire de l’enfant s’intensifie en changeant un peu de nature. Néanmoins la place que tient le hasard dans le déclenchement de ces comportements exploratoires montre qu’il n’y a pas encore intention délibérée de mettre en œuvre des moyens assujettis à un but posé au préalable. C’est au stade suivant qu’apparaissent de telles conduites qui témoignent de la naissance de l’intelligence pratique.
2.1.4. Le quatrième sous- stade : la coordination des schèmes secondaires et
leur application à des situations nouvelles (8-9 mois à 11-12 mois) L’enfant maintenant ne se contente plus de répéter des schèmes d’action pour reproduire des résultats intéressants, mais il va combiner différents schèmes pour obtenir un certain résultat. C’est cette coordination de schèmes qui est nouvelle et qui va permettre la solution de problèmes pratiques nouveaux : elle signe ainsi les premiers actes intelligents de l’enfant. La coordination des schèmes est rendue possible par leur mobilité : au lieu d’appliquer chaque schème à un objet, l’enfant va utiliser un schème comme moyen de parvenir à un but ; les schèmes devenus mobiles vont pouvoir se coordonner entre eux : il y a par exemple coordination de schèmes- moyens et de schèmes- but auparavant dissociés, ce qui suppose une prévision du résultat attendu. Piaget donne l’exemple du bébé qui ayant l’habitude de tirer sur une ficelle pour entendre le bruit du hochet qui y était suspendu, se met à tirer sur cette ficelle pour attraper un autre objet convoité et le faire ainsi tomber afin de s’en saisir. La conduite n’est pas globale comme précédemment et dirigée par le hasard, elle est dirigée par un but posé au préalable auquel on assujettit un moyen. Cette nette dissociation entre moyen et but peut être également mise en évidence lorsque le bébé utilise un même moyen pour des buts différents (ex. tirer sur la ficelle pour entendre le bruit du hochet ou pour faire tomber un autre objet), ou des moyens différents pour parvenir au même but (ex. écarter un obstacle pour atteindre un objet inaccessible, ou conduire la main de l’adulte vers cet objet). Sitôt le but atteint, l’enfant s’en empare, délaissant le moyen qui lui a servi, il s’agissait donc bien d’un moyen, d’un intermédiaire pour le conduire au but. En choisissant un moyen, l’enfant a anticipé le résultat de son action. Il y a eu prévision. L’enfant effectivement se situe beaucoup mieux dans la durée et la succession des événements : il prélève des indices et fait des inférences sur ce qui va se passer (s’il voit sa mère enfiler son manteau, il se met à pleurer, anticipant son départ). Les conduites exploratoires s’intensifient et on peut voir apparaître ce que Piaget appelle des réactions circulaires secondaires dérivées, qui diffèrent des précédentes en ce qu’au lieu de partir d’un point de départ fortuit (ex. un balancement d’objet provoqué fortuitement que l’enfant cherche à reproduire tel quel), l’enfant profite d’une modification de la situation pour en faire varier les effets (ex. le balancement de l’objet s’est arrêté, l’enfant observe, attend que le balancement soit fini pour recommencer). Il y a ici dissociation de l’acte et de ses effets, l’enfant passe de l’intérêt pour l’action en elle- même à l’intérêt pour l’effet de cette action. On voit qu’à ce stade la prise de conscience de la causalité a progressé nettement. Les objets acquièrent une permanence, même relative, qu’ils ne semblaient pas avoir dans les sous- stades précédents : par exemple, lorsqu’on cachait lentement et de façon très ostensible, sans dissimulation, un objet aux yeux de l’enfant, l’enfant n’esquissait aucune tentative de recherche de cet objet : l’objet s’était comme résorbé. Alors que maintenant il se montre actif dans sa recherche et peut le retrouver s’il n’y a pas eu d’autres déplacements que celui qu’il a vu. Cela veut dire que pour le bébé de cet âge (vers 9 mois) l’objet existe en lui- même, même s’il ne le voit pas ou s’il ne le touche pas : l’enfant lui reconnaît une existence intrinsèque, mais qui est encore à nos yeux relative car si, après que l’enfant ait retrouvé l’objet caché en A, on déplace l’objet en B, même de façon très visible, il n’est pas capable de tenir compte de ses déplacements visibles, il commet ce qu’on appelle l’erreur A- non B, c’est- à-dire qu’il retourne le chercher là où il l’avait trouvé peu de temps auparavant. La permanence de l’objet reste étroitement liée à sa localisation. L’augmentation importante des manipulations d’objets par l’enfant donne aux schèmes qu’il leur applique un statut d’instrument de compréhension. Il développe par ce type d’explorations méthodiques des catégories élémentaires. Puisque les schèmes s’appliquent à un nombre de plus en plus grand d’objets, ils deviennent progressivement un peu plus généraux donc plus abstraits. A ce stade, si l’assimilation prédomine encore, elle provoque beaucoup d’accommodations qui, en retour, facilitent de nouvelles assimilations. L’adaptation qui résulte de l’accélération de ces échanges entre l’enfant et le monde par assimilations et accommodations successives, est de plus en plus importante elle aussi.
2.1.5. Le cinquième sous- stade : différenciation des schèmes d’action par
réactions circulaires tertiaires et découverte de moyens nouveaux par expérimentation active (11-12 à 18 mois) Les réactions circulaires continuent d’évoluer : l’enfant ne cherche plus à reproduire simplement un résultat intéressant mais à faire varier le résultat au cours des répétitions. Par exemple l’enfant qui de son parc ou de son lit fait tomber tous les objets qu’il a sous la main, ne le fait pas seulement pour le plaisir certain de voir ses parents les ramasser, mais il fait varier les trajectoires et suit des yeux chaque objet pour voir où et comment il tombe. Ce sont en quelque sorte des expériences « pour voir » qui diffèrent des précédentes (c’est pourquoi Piaget les appelle tertiaires) par l’introduction de variations dans l’action en vue d’en modifier les résultats et procèdent donc d’une démarche de type expérimental. La coordination récente des schèmes s’intensifie et se complexifie car elle est maintenant dirigée vers la découverte de moyens nouveaux. La découverte de ces moyens nouveaux se produit au cours d’une expérimentation, par exemple, pour attraper un objet très éloigné mais qui se trouve sur un support (comme dans le cas où l’enfant voudrait attraper un jouet sur la table recouverte d’une nappe). Dans ses efforts pour l’attraper, il tire sur la nappe et remarque que le jouet se déplace en même temps, il ne lui reste plus qu’à tirer un peu plus et l’objet (et tout ce qu’il y a sur la table !) sera à portée de main. L’enfant a découvert et utilisé la notion de support, il peut de même utiliser un bâton pour rapprocher un objet éloigné, ou encore une ficelle si elle est fixée à cet objet. Il s’agit bien d’une utilisation de moyens intermédiaires intentionnels pour parvenir au but, car sitôt le but atteint, l’enfant délaisse l’instrument. Une fois découvert, ce moyen nouveau est facilement généralisé. On voit qu’à travers ces conduites nouvelles (conduites dites du support, de la ficelle ou du bâton), l’objet existe bien par lui- même et non par l’enfant qui le ferait exister. L’objet devient définitivement indépendant de la vision de l’enfant ou de l’action qu’il peut exercer sur lui. L’enfant peut maintenant suivre un objet au cours de ses déplacements visibles (par contre, il échoue si les déplacements de l’objet sont masqués à sa vue). Les causes des événements peuvent alors être situées non plus seulement dans son action mais aussi dans les rapports qu’ils entretiennent entre eux (ex. la relation de support).Les conduites nouvelles de ce stade sont expliquées par Piaget par un rapport nouveau entre assimilation et accommodation : l’accommodation peut diriger maintenant l’assimilation. Il y a effectivement dans ces situations nouvelles, accommodation active des schèmes, conduisant à de nouvelles assimilations. À partir de ce moment il y aura alternance de prédominance entre assimilation et accommodation.
2.1.6. Le sixième sous- stade : l’invention de moyens nouveaux par
combinaison mentale (18 à 24 mois) L’acquisition la plus importante de ce stade réside dans l’apparition de représentations mentales. Les conduites de l’enfant effectivement changent radicalement : mis en face d’un problème pratique, l’enfant expérimentateur des stades précédents tâtonnait et parvenait parfois à la suite de ses tâtonnements à la solution du problème. Maintenant l’enfant, après quelques essais infructueux, marque une pause et trouve brusquement la solution. Il présente une conduite qu’on appelle insight (découverte soudaine et intuitive de la solution). L’exemple que prend Piaget pour illustrer ce changement de conduite est celle d’un enfant voulant attraper un petit objet dans une boîte d’allumettes insuffisamment entrouverte. Dans une telle situation l’enfant du stade V retourne la boîte en tous sens, et peut même l’ouvrir au hasard de ses tâtonnements, alors que l’enfant de ce stade examine la boîte et brusquement glisse le doigt dans la fente pour l’agrandir. Piaget a même observé juste avant que l’enfant n’agisse une ouverture de la bouche qui serait l’équivalent moteur de cette combinaison mentale de schèmes. Car cette compréhension brusque est due en fait à des combinaisons mentales de schèmes sensori- moteurs : il y a intériorisation des tâtonnements et des combinaisons, dont on n’observe que le résultat final qui témoigne de l’existence d’un début de représentations mentales. Les représentations mentales sont également nécessaires pour l’achèvement du processus conduisant à la permanence de l’objet : en effet la représentation de l’objet que l’enfant élabore lui permet de tenir compte de ses déplacements invisibles, par exemple dans le cas d’un objet caché dans une boîte, elle- même sous un écran, ou encore d’un mobile qui se déplace sous un tunnel : l’enfant anticipe la sortie du mobile du tunnel car il peut maintenant se représenter ses déplacements bien qu’il ne puisse les voir, c’est ce qu’on appelle l’effet tunnel. La construction de la notion d’espace se poursuit et progresse de façon solidaire de la permanence de l’objet, maintenant tout à fait extérieur à l’enfant. Les déplacements autonomes de l’enfant l’aident à structurer l’espace. Dès lors, il va percevoir l’espace comme un milieu immobile dans lequel il est lui, mobile. Alors qu’auparavant ses déplacements passifs dans l’espace pouvaient induire la représentation d’un espace mobile dans lequel il pouvait se percevoir comme immobile. Il s’agit bien d’un renversement de point de vue qui témoigne d’un progrès important. Cette structuration de l’espace à travers ses déplacements peut être formalisée dans un groupe, analogue par ses propriétés aux groupes logiques qu’il construira plusieurs années plus tard, mais qui à cet âge n’est qu’un groupe pratique (c’est- à-dire lié à l’action). Il contient néanmoins en germe les éléments nécessaires à la construction ultérieure de l’espace euclidien. Les quatre propriétés du groupe des déplacements sont : la composition [deux déplacements peuvent être composés en un seul], la réversibilité [à tout déplacement direct correspond un déplacement inverse, permettant de revenir au point de départ], l’identité [la composition des deux déplacements directs et inverse donne un déplacement nul], et enfin l’associativité [un même point peut être atteint par des chemins différents, c’est ce qui caractérise les conduites de détour]. La permanence de l’objet, lorsqu’elle est complète, constitue la première caractéristique invariante d’un objet qui permet la réversibilité de l’action : cacher/retrouver. L’évolution de la notion de temps devient plus objective et reste étroitement liée à la construction de l’espace : il se constitue des séries temporelles objectives, dans lesquelles l’avant et l’après sont encore très liés aux déplacements spatiaux. La causalité qui tendait elle aussi à devenir de plus en plus objective continue en ce sens mais en devenant simultanément représentative, c’est- à-dire que l’enfant devient capable de se représenter des liens causaux de ses actions ou ceux qui existent entre les objets. À la fin de cette période, après une décentration progressive de l’enfant qui se croyait à l’origine de tout, corrélative d’une objectivation croissante du monde qui l’entoure, l’univers de l’enfant est devenu un univers d’objets permanents, reliés par des relations causales extérieures à l’enfant, et situés dans un espace et un temps objectif. L’enfant peut se percevoir comme cause et comme objet, et donc soumis aux mêmes lois que les autres objets. Il reste maintenant à reconstruire au niveau des représentations tous les acquis sensori- moteurs de cette première période, c’est ce qui se fera dans les années suivantes, en commençant par la mise en relation des objets avec des signes : c’est ce qui se passe au début de l’étape suivante, au début de la troisième année.
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