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CORPUS : femmes et droits de cité à la fin du XVIIIe Siècle

1. Jean-Jacques ROUSSEAU, L’Emile, ou de l’éducation, 1762

La recherche des vérités abstraites et spéculatives, des principes, des axiomes dans les sciences, tout
ce qui tend à généraliser les idées n’est point du ressort des femmes, leurs études doivent se rapporter
toutes à la pratique ; c’est à elles à faire l’application des principes que l’homme a trouvés, et c’est à
elles de faire les observations qui mènent l’homme à l’établissement des principes. Toutes les
réflexions des femmes en ce qui ne tient pas immédiatement à leurs devoirs, doivent tendre à l’étude
des hommes ou aux connaissances agréables qui n’ont que le goût pour objet ; car, quant aux ouvrages
de génie, ils passent leur portée ; elles n’ont pas non plus assez de justesse et d’attention pour réussir
aux sciences exactes, et, quant aux connaissances physiques, c’est à celui des deux qui est le plus
agissant, le plus allant, qui voit le plus d’objets ; c’est à celui qui a le plus de force et qui l’exerce
davantage, à juger des rapports des êtres sensibles et des lois de la nature.

La femme, qui est faible et qui ne voit rien au dehors, apprécie et juge les mobiles qu’elle peut mettre
en œuvre pour suppléer à sa faiblesse, et ces mobiles sont les passions de l’homme. Sa mécanique à
elle est plus forte que la nôtre, tous ses leviers vont ébranler le cœur humain. Tout ce que son sexe ne
peut faire par lui-même, et qui lui est nécessaire ou agréable, il faut qu’elle ait l’art de nous le faire
vouloir ; il faut donc qu’elle étudie à fond l’esprit de l’homme, non par abstraction l’esprit de l’homme
en général, mais l’esprit des hommes qui l’entourent, l’esprit des hommes auxquels elle est assujettie,
soit par la loi, soit par l’opinion. Il faut qu’elle apprenne à pénétrer leurs sentiments par leurs discours,
par leurs actions, par leurs regards, par leurs gestes. Il faut que, par ses discours, par ses actions, par
ses regards, par ses gestes, elle sache leur donner les sentiments qu’il lui plaît, sans même paraître y
songer. Ils philosopheront mieux qu’elle sur le cœur humain ; mais elle lira mieux qu’eux dans le cœur
des hommes. C’est aux femmes à trouver pour ainsi dire la morale expérimentale, à nous à la réduire
en système. La femme a plus d’esprit, et l’homme plus de génie ; la femme observe, et l’homme
raisonne : de ce concours résultent la lumière la plus claire et la science la plus complète que puisse
acquérir de lui-même l’esprit humain, la plus sûre connaissance, en un mot, de soi et des autres qui
soit à la portée de notre espèce. Et voilà comment l’art peut tendre incessamment à perfectionner
l’instrument donné par la nature.

Le monde est le livre des femmes : quand elles y lisent mal, c’est leur faute ; ou quelque passion les
aveugle. Cependant la véritable mère de famille, loin d’être une femme du monde, n’est guère moins
recluse dans sa maison que la religieuse dans son cloître. Il faudrait donc faire, pour les jeunes
personnes qu’on marie, comme on fait ou comme on doit faire pour celles qu’on met dans des
couvents : leur montrer les plaisirs qu’elles quittent avant de les y laisser renoncer, de peur que la
fausse image de ces plaisirs qui leur sont inconnus ne vienne un jour égarer leurs cœurs et troubler le
bonheur de leur retraite.

2. Choderlos de Laclos (1741-1803), Discours sur la question proposée par l’Académie


de Châlons-sur-Marne : « Quels seraient les meilleurs moyens de perfectionner l’éducation
des femmes ? », 1783

Pierre Choderlos de Laclos est un romancier connu pour son roman épistolaire Les Liaisons
dangereuses (1782), dans lequel il dépeint les mœurs dissolues et libertines de la noblesse du
XVIIIe siècle, tout en se posant en moraliste. Mais il est aussi un auteur engagé dans la cause des
femmes, notamment lorsqu’il prend parti pour leur éducation dans un projet de discours qui répond à
la question « Quels seraient les meilleurs moyens de perfectionner l’éducation des femmes ? ». L’auteur
défend l’idée que si la société, et surtout les hommes, opprime les femmes, il ne tient qu’à elles de se
révolter car la femme naturelle est un « être libre et puissant ». Cependant, il souligne aussi l’idée que
tant que l’esclavage des femmes perdure, il n’y aura aucune possibilité de les éduquer.

Ô femmes, approchez et venez m'entendre ! Que votre curiosité, dirigée une fois sur des
objets utiles, contemple les avantages que vous avait donnés la nature et que la société vous
a ravis. Venez apprendre comment, nées compagnes de l'homme, vous êtes devenues son
esclave ; comment, tombées dans cet état abject, vous êtes parvenues à vous y plaire, à le
regarder comme votre état naturel ; comment enfin, dégradées de plus en plus par votre
longue habitude de l'esclavage, vous en avez préféré les vices avilissants, mais commodes, aux
vertus plus pénibles d'un être libre et respectable. Si ce tableau fidèlement tracé vous laisse
de sang-froid, si vous pouvez le considérer sans émotion, retournez à vos occupations futiles.
Le mal est sans remède, les vices se sont changés en mœurs. Mais si au récit de vos malheurs
et de vos pertes, vous rougissez de honte et de colère, si des larmes d'indignation s'échappent
de vos yeux, si vous brûlez du noble désir de ressaisir vos avantages, de rentrer dans la
plénitude de votre être, ne vous laissez plus abuser par de trompeuses promesses, n'attendez
point les secours des hommes auteurs de vos maux : ils n'ont ni la volonté, ni la puissance de
les finir, et comment pourraient-ils vouloir former des femmes devant lesquelles ils seraient
forcés de rougir ? apprenez qu'on ne sort de l'esclavage que par une grande révolution. Cette
révolution est-elle possible ? C'est à vous seules à le dire puisqu'elle dépend de votre courage.
Est-elle vraisemblable ? Je me tais sur cette question ; mais jusqu'à ce qu'elle soit arrivée, et
tant que les hommes régleront votre sort, je serai autorisé à dire, et il me sera facile de prouver
qu'il n'est aucun moyen de perfectionner l'éducation des femmes.
Partout où il y a esclavage, il ne peut y avoir éducation : dans toute société, les femmes sont
esclaves ; donc la femme sociale n'est pas susceptible d'éducation. Si les principes de ce
syllogisme sont prouvés, on ne pourra nier la conséquence. Or, que partout où il y a esclavage
il ne puisse y avoir éducation, c'est une suite naturelle de la définition de ce mot ; c'est le
propre de l'éducation de développer les facultés, le propre de l'esclavage c'est de les étouffer
; c'est le propre de l'éducation de diriger les facultés développées vers l'utilité sociale, le
propre de l'esclavage est de rendre l'esclave ennemi de la société. Si ces principes certains
pouvaient laisser quelques doutes, il suffit pour les lever de les appliquer à la liberté. On ne
niera pas apparemment qu'elle ne soit une des facultés de la femme et il implique que la
liberté puisse se développer dans l'esclavage ; il n'implique pas moins qu'elle puisse se diriger
vers l'utilité sociale puisque la liberté d'un esclave serait une atteinte portée au pacte social
fondé sur l'esclavage. Inutilement voudrait-on recourir à des distinctions ou des divisions. On
ne peut sortir de ce principe général que sans liberté point de moralité et sans moralité point
d'éducation...
Avilissants : dégradants.
Syllogisme : raisonnement qui permet d’énoncer une idée générale et de l’appliquer à un cas particulier.
Le plus célèbre syllogisme étant : « Tous les hommes sont mortels or Socrate est un homme ; donc Socrate
est mortel ».
3. CONDORCET, De l’Admission des femmes au droit de cité, 3 juillet 1790

L’habitude peut familiariser les hommes avec la violation de leurs droits naturels, au point que
parmi ceux qui les ont perdus personne ne songe à les réclamer, ne croie avoir éprouvé une
injustice.

Il est même quelques-unes de ces violations qui ont échappé aux philosophes et aux
législateurs, lorsqu’ils s’occupaient avec le plus de zèle d’établir les droits communs des
individus de l’espèce humaine, et d’en faire le fondement unique des institutions politiques.

Par exemple, tous n’ont-ils pas violé le principe de l’égalité des droits, en privant
tranquillement la moitié du genre humain de celui de concourir à la formation des lois, en
excluant les femmes du droit de cité ? Est-il une plus forte preuve du pouvoir de l’habitude,
même sur les hommes éclairés, que de voir invoquer le principe de l’égalité des droits en
faveur de trois ou quatre cents hommes qu’un préjugé absurde en avait privés 1, et l’oublier à
l’égard de douze millions de femmes ?

Pour que cette exclusion ne fût pas un acte de tyrannie, il faudrait ou prouver que les droits
naturels des femmes ne sont pas absolument les mêmes que ceux des hommes, ou montrer
qu’elles ne sont pas capables de les exercer.

Or, les droits des hommes résultent uniquement de ce qu’ils sont des êtres sensibles,
susceptibles d’acquérir des idées morales, et de raisonner sur ces idées ; ainsi les femmes
ayant ces mêmes qualités, ont nécessairement des droits égaux. Ou aucun individu de l’espèce
humaine n’a de véritables droits, ou tous ont les mêmes ; et celui qui vote contre le droit d’un
autre, quels que soient sa religion, sa couleur ou son sexe, a dès lors abjuré les siens.

Il serait difficile de prouver que les femmes sont incapables d’exercer les droits de cité.
Pourquoi des êtres exposés à des grossesses, et à des indispositions passagères, ne
pourraient-ils exercer des droits dont on n’a jamais imaginé de priver les gens qui ont la goutte
tous les hivers, et qui s’enrhument aisément. En admettant dans les hommes une supériorité
d’esprit qui ne soit pas la suite nécessaire de la différence d’éducation (ce qui n’est rien moins
que prouvé, et ce qui devrait l’être, pour pouvoir, sans injustice, priver les femmes d’un droit
naturel), cette supériorité ne peut consister qu’en deux points. On dit qu’aucune femme n’a
fait de découverte importante dans les sciences, n’a donné de preuves de génie dans les arts,
dans les lettres, etc. ; mais sans doute, on ne prétendra point n’accorder le droit de cité qu’aux
seuls hommes de génie. On ajoute qu’aucune femme n’a la même étendue de connaissances,
la même force de raison que certains hommes ; mais qu’en résulte-t-il, qu’excepté une classe
peu nombreuse d’hommes très-éclairés, l’égalité est entière entre les femmes et le reste des
hommes ; que cette petite classe, mise à part, l’infériorité et la supériorité se partagent
également entre les deux sexes. Or puisqu’il serait complètement absurde de borner à cette
classe supérieure le droit de cité, et la capacité d’être chargé des fonctions publiques,
pourquoi en exclurait-on les femmes, plutôt que ceux des hommes qui sont inférieurs à un
grand nombre de femmes ?

1
Il s’agit du statut des comédiens.
Enfin, dira-t-on qu’il y ait dans l’esprit ou dans le cœur des femmes quelques qualités qui
doivent les exclure de la jouissance de leurs droits naturels ? (…)

4. Mme Roland de la Platière, Lettre à Robespierre, 14 octobre 1793, de l’infirmerie de Pélagie


Femme des Lumières, acquise aux idéaux de la Révolution, Mme Roland est femme du ministre Roland,
qui a joué un grand rôle dans la Révolution, dans le parti des Girondins. Elle a tenu un salon politique
de premier plan et a influencé un grand nombre de décisions de son mari. Elle est arrêtée en 1793, puis
condamnée à mort.
« Elle souhaitait mettre son savoir et ses idées au service de la République, sans revendiquer pour
autant un rôle politique de premier plan pour les femmes : influencée par les idées rousseauistes, elle
jugeait que celles-ci devaient demeurer à leur place au sein de la sphère privée et contribuer par là au
bonheur de la société, plutôt que de se mêler ouvertement de politique. Ces positions modérées
n’étaient pas partagées par tous, et d’autres figures plus radicales, comme Condorcet ou Olympe de
Gouges, revendiquaient la reconnaissance des droits naturels de la femme et son égalité avec l’homme.
Toutefois, si la Révolution a accordé aux femmes certains droits civils comme l’égalité successorale ou
le divorce et encouragé leur instruction, elle les a complètement exclues de la vie politique, interdisant
dès l’automne 1793 tous les clubs féminins. Destinée à remettre les femmes « à leur place », cette
mesure représente une régression par rapport à l’Ancien Régime où les femmes avaient par exemple le
droit d’exercer la régence. » https://histoire-image.org/fr/etudes/madame-roland-engagement-
politique-femmes-revolution

[.. .] Je ne vous écris pas pour vous prier, vous l’imaginez bien : je n’ai jamais prié personne, et certes !
ce n’est pas d’une prison que je commencerais de le faire à l’égard de quiconque me tient en son
pouvoir. La prière est faite pour les coupables ou les esclaves ; l’innocence témoigne, et c’est assez
bien, ou elle se plaint, et elle en a le droit, dès qu’elle est vexée. Mais la plainte même ne convient
pas ; je sais souffrir et ne m’étonner de rien. Je sais d’ailleurs qu’à la naissance des républiques des
révolutions presque inévitables, qu’expliquent trop les passions humaines, exposent souvent ceux qui
servirent mieux leur pays à demeurer victimes de leur zèle et de l’erreur de leurs contemporains. Ils
ont pour consolation leur conscience, et l’histoire pour vengeur.
Mais par quelle singularité, moi, femme, qui ne puis faire que des vœux, suis-je exposée aux orages
qui ne tombent ordinairement que sur des individus agissants, et quel sort m’est donc réservé ?

Voilà deux questions que je vous adresse.

Je les regarde comme peu importantes en elles-mêmes et par rapport à moi personnellement. Qu’est-
ce qu’une fourmi de plus ou de moins, écrasée par le pied de l’éléphant, considérée dans le système
du monde ? Mais elles sont infiniment intéressantes par leurs rapports avec la liberté présente et le
bonheur futur de mon pays ; car si l’on confond indifféremment avec ses ennemis déclarés ses
défenseurs et ses amis avoués, si l’on assimile au même traitement l’égoïste dangereux ou l’aristocrate
perfide avec le citoyen fidèle et le patriote généreux ; si la femme honnête et sensible qui s’honore
d’avoir une patrie, qui lui fit dans sa modeste retraite ou dans ses différentes situations les sacrifices
dont elle est capable, se trouve punie avec la femme orgueilleuse ou légère qui maudit l’égalité,
assurément la justice et la liberté ne règnent point encore, et le bonheur à venir est douteux ! […]

Mémoires de madame Roland (1754-1793), contenant des fragments inédits et des lettres
de la prison (publication Claude Perroud, 1905)
5. Marie-Josèphe Théroigne de Méricourt, discours du 25 mars 1792

Les femmes étaient exclues des droits civiques et de la Garde nationale. Comme d’autres femmes,
l’autrice du discours enjoint les femmes à s’armer – ce qui leur était interdit – et à se constituer en
Garde Nationale, devant la menace de l’entrée en guerre avec les monarchies européennes et de la
guerre civile, réclamant ainsi des droits politiques.

CF : « De la guerrière à la citoyenne. Porter les armes pendant l’Ancien Régime et la Révolution


française », Dominique Godineau, 2004 (https://journals.openedition.org/clio/1418)

Discours prononcé à la société fraternelle des Minimes, le 25 mars 1792, l’an quatrième de la liberté,
par Mlle Théroigne, en présentant un Drapeau aux Citoyennes du Faubourg S. Antoine.

[…]

Citoyennes, nous pouvons, par un généreux dévouement, rompre le fil de ces intrigues. Armons-nous ;
nous en avons le droit par la nature et même par la loi ; montrons aux hommes que nous ne leur
sommes inférieures ni en vertus, ni en courage ; montrons à l’Europe que les Françaises connaissent
leurs droits, et sont à la hauteur des lumières du dix-huit siècle ; en méprisant les préjugés, qui par cela
seul qu’ils sont préjugés, sont absurdes, souvent immoraux, en ce qu’ils nous font un crime des vertus.

Les tentatives que le pouvoir exécutif pourra faire par la suite pour regagner la confiance publique, ne
seront que des pièges dont nous devons nous défier : tant que nos mœurs ne seront pas d’accord avec
nos lois, il ne perdra pas l’espérance de profiter de nos vices pour nous remettre dans les fers. Il est
tout simple, et vous devez même vous y attendre ; on va mettre en avant les aboyeurs, les folliculaires
soudoyés, pour essayer de nous retenir, en employant les armes du ridicule, de la calomnie, et tous les
moyens bas que mettent ordinairement en usage les hommes vils pour étouffer les élans du
patriotisme dans les âmes faibles. Mais, Françaises, actuellement que les progrès des Lumières vous
invitent à réfléchir, comparez ce que nous sommes avec ce que nous devrions être dans l’ordre social.
Pour connaître nos droits et nos devoirs, il faut prendre pour arbitre la raison, et guidées par elle, nous
distinguerons le juste et l’injuste. Quel serait donc la considération qui pourrait nous retenir, nous
empêcher de faire le bien lorsqu’il est évident que nous le pouvons et que nous le devons ? Nous nous
armerons, parce qu’il est raisonnable que nous préparions à défendre nos droits, nos foyers, et que
nous serions injustes à notre égard et responsables à la Patrie, si la pusillanimité que nous avons
contractée dans l’esclavage avait encore assez d’empire pour nous empêcher de doubler nos forces.
Sous tous les rapports, vous ne pouvez douter que l’exemple de notre dévouement ne réveille dans
l’âme des hommes les vertus publiques, les passions dévorantes de l’amour de la gloire et de la Patrie.
Nous maintiendrons ainsi la liberté par l’émulation et la perfection sociale résultante de cet heureux
concours.

Françaises, je vous le répète encore, élevons-nous à la hauteur de nos destinées ; brisons nos fers ; il
est temps enfin que les femmes sortent de leur honteuse nullité, où l’ignorance, l’orgueil, et l’injustice
des hommes les tiennent asservies depuis si longtemps ; replaçons-nous au temps où nos Mères les
Gauloises et le fières Germaines, délibéraient dans les assemblées publiques, combattaient à côté de
leurs Epoux pour repousser les ennemis de la Liberté. Françaises, le même sang coule toujours dans
nos veines ; ce que nous avons fait à Beauvais, à Versailles, les 5 et 6 octobre, et dans plusieurs autres
circonstances importantes et décisives, prouve que nous ne sommes pas étrangères aux sentiments
magnanimes. Reprenons donc notre énergie ; car si nous voulons conserver notre Liberté, il faut que
nous nous préparions à faire les choses les plus sublimes. Dans le moment actuel, à cause de la
corruption des mœurs, elles nous paraîtront extraordinaires, peut-être même impossibles ; mais
bientôt par l’effet des progrès de l’esprit public et des lumières, elles ne seront plus pour nous que
simples et faciles.

Citoyennes, pourquoi n’entrerions-nous pas en concurrence avec les hommes ? Prétendent-ils eux
seuls avoir des droits à la gloire ? non, non… Et nous aussi nous voulons mériter une couronne civique,
et briguer l’honneur de mourir pour une liberté qui nous est peut-être plus chère qu’à eux, puisque les
effets du despotisme s’appesantissaient encore plus durement sur nos têtes que sur les leurs.

Oui… généreuses Citoyennes, vous toutes qui m’entendez, armons-nous, allons nous exercer deux ou
trois fois par semaine aux Champs-Elysées, ou au Champ de la Fédération ; ouvrons une liste
d’Amazones Françaises, et que toutes celles qui aiment véritablement leur Patrie, viennent s’y inscrire ;
nous nous réunirons ensuite pour nous concerter sur les moyens d’organiser un bataillon à l’instar de
celui des élèves de la Patrie, des Viellars ou du Bataillon sacré de Thèbes. En finissant, qu’il me soit
permis d’offrir un étendard tricolore aux Citoyennes du Faubourg Saint-Antoine.

Nota. La première Assemblée des Citoyennes se tiendra le lundi 2 avril à cinq heures du soir, dans le
local de la Société fraternelle des Minimes, Place Royale.

De l’Imprimerie de DEMONVILLE, rue Christine, 1791

Publié dans :

Discours Imprimés par ordre de la Société Fraternelle des patriotes, de l’un et l’autre sexe, de tout âge
et tout état, séante aux Jacobins, rue Saint-Honoré, Paris 179?

Orthographe et ponctuation modernisées.

On se reportera utilement à l’article suivant :

Caroline Fayolle, « La femme-monstre, la République face à la peur de la confusion des sexes », in La


république à l’épreuve des peurs, Jean-Claude Caron, Philippe Bourdin, Lisa Bogani, et al., 2016
(https://books.openedition.org/pur/47368?lang=fr)
Résumé : « Pendant la Révolution française, la participation des femmes à la vie politique suscite des
réprobations. Pour les stigmatiser, s’élabore la figure monstrueuse et menaçante de la « femme-
homme ». La peur de la confusion des sexes est aussi évoquée pour justifier l’inégalité d’instruction
entre les sexes et le refus de la mixité scolaire. La « femme monstre » éclaire ainsi le projet
pédagogique révolutionnaire de la régénération des femmes. Elle permet d’interroger la notion
d’ordre naturel qui est censée fonder l’ordre républicain. »

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