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Contre l'aéroport et son monde

Échos de deux mois d'expulsions et de


résistances sur la Zone à Défendre

Janvier 2013 - 2 è édition


2
Sommaire
Introduction........................................................................................................3
Aux révolté-e-s de Notre-Dame-des-Landes....................................................... 5
L’aéroport de Nantes, c’est NON........................................................................ 7
Risques accrus d’expulsions sur la ZAD............................................................. 8
Besoin de soutien pour les jours à venir !......................................................... 10
Témoignage après dix jours d'expulsions..........................................................11
« Et ouais ».......................................................................................................13
Ils nous mettent à la rue, on occupe la route !.................................................. 17
Raser une maison............................................................................................. 19
Encore une expulsion de la forêt...................................................................... 23
Témoignage sur les expulsions dans la Forêt de Rohanne.................................25
Fondus dans la forêt......................................................................................... 26
Leur faire manger la terre................................................................................. 27
Prise de parole à l’arrivée de la manif de réoccupation..................................... 29
Nantes, le 17 novembre 2012 : un monde humain est en marche..................... 31
Un récit du 17 en BD....................................................................................... 34
Forêt de Rohanne : c’est loin d’être fini !.......................................................... 41
Après un baptême au lacrymo, ma nouvelle profession de foi : on lâche rien !.43
De la barricade considérée comme un des beaux-arts.......................................45
Opposants aux vieilleries du futur.................................................................... 47
Par rapport aux blessés des 23 et 24 novembre.................................................50
Tel est pris qui presse écrite..............................................................................51
C’est vous les morts ! Ou pourquoi on a déjà beaucoup gagné......................... 53
Lettre de Cyril..................................................................................................57
Contre l’aéroport mais pacifistes que ça !......................................................... 59
A sara dura.......................................................................................................63
Chronologie succinte des évènements...............................................................66
Sources
Tous les textes sont tirés du site web de la zad (http://zad.nadir.org). Les photos
sont du groupe automédia sauf mention contraire (ou erreur malencontreuse).
Contact
Pour nous écrire : [email protected] ou Vivre sans aéroport, La Primaudière,
44130 Notre-Dame-des-Landes.
3
Introduction
16 octobre 2012 sur la ZAD (Zone ont été écrits. Voici une compilation
À Défendre pour nous, Zone de quelques témoignages et analyses
d'Aménagement Différée pour sur ce qui se passait du côté de la
d'autres) à Notre-Dame-des-Landes. ZAD. Des voix multiples qui font
Des centaines de flics expulsent huit écho à la diversité des groupes et
maisons occupées dans le cadre du individus investi-e-s.
mouvement d'occupation contre le
projet de nouvel aéroport de la né- Il y a aussi eu plein d'action un peu
cropole nantaise. Beaucoup d'entre partout ailleurs : voir à ce sujet la
nous se préparaient à ce moment, brochure « Actions directes contre
l'attendait ou le redoutaient. Mais je l’aéroport et son monde — Chrono-
crois que personne ne s'attendait à logie des actions solidaires de 1la
une telle résistance, à un tel écho sur ZAD de Notre-Dame-Des-Landes » .
place mais aussi au delà. C'est beau !
Bonne lecture !
Durant ces deux mois on a tou-te-s
couru partout. Beaucoup de textes 1. http://zad.nadir.org/spip.php?article737

Destruction de la Gaité
4
5
Prélude
Aux révolté-e-s de Notre-Dame-des-Landes
Juillet 2012
Dans le bouillonnement un peu fou lieux autant qu’ils nous appar-
du petit monde des occupantEs de tiennent. C’est ne pas être indifférent
1a ZAD, un problème revient aux choses qui nous entourent, c’est
constamment : celui de la transmis- être attaché-e-s : aux gens, aux am-
sion de l’histoire. L’histoire des oc- biances, aux champs, aux haies, aux
cupations, certes, mais aussi des bois, aux maisons. à telle plante qui
histoires plus vieilles que nous, celle repousse au même endroit, à telle
de la lutte contre l’aéroport, autant bête qu’on prend l’habitude de voir
que les multiples résistances qui fa- là. C’est être en prise, en puissance
çonnent la région En fouillant dans sur nos espaces. C’est l’opposé de
les archivœ à la recherche de bribes, leurs rêves cauchernardesques de
certainEs sont tombéEs sur cet appel métropole où l’on ne ferait que pas-
de mai 2008 : « L’aéroport de ser.
Nantes, c’est NON ». En cette
période agitée ou l’état autant Habiter ici, c’est ne plus pouvoir
qu’AGO voudraient nous voir dipa- imaginer comment-tout ça pourrait
raître, ce texte est venu percuter disparaître : parce que ça, c’est ce
quelque chose : Parce qu’il est une qui fait nos vies.
des pierres qui fondent notre pré-
sence ici, qui fondent notre quoti- Vivre ici c’est être dans un rythme
dien, à nous, occupantEs. chahuté par les urgences de la lutte,
les pressions, l’incertitude de la suite,
Si nous sommes là, depuis quelques le harcèlement des flics et autres
semaines, mois, ou années, c’est Garcias1 .
parce que nous avons répondu à cet
appel, ou à ceux qui ont suivi. Vivre ici ce n’est pas facile en ce
moment. Que l’on soit proprio, ex-
Nous sommes nombreux/ses mainte- locataire ou occupantEs nous
nant. Nous habitons ici, et ce n’est sommes mis-e-s face aux procé-
pas peu dire. Habiter n’est pas loger. dures, à la justice. Puisque nous ne
Un logement n’est finalement qu’une nous soumettons ni ne nous rési-
case, dans laquelle on « loge » de gré gnons, nous sommes face à la force
ou de force les gens après leur jour- de l’État, face à ses armes. Peut être
née de travail et en attendant la tous-tes forcéEs à quitter la zone
suivante. C’est une cage dont les sous peu. Comme dit dans l’appel à
murs nous sont étrangers. Habiter, occuper la zone, le combat est long
c’est autre chose. C’est un entrelace- et difficile, mais une chose est sûre,
ment de liens. C’est appartenir aux il n’est pas vain.
6
Et c’est parce que les temps sont appartiennent, nous refusons de
durs et l’avenir incertain que nous perdre, et pour ces raisons, soyons
avons voulu donner réponse à ce sûr-e-s que Jamais aucun avion ne
texte. Signifier son importance. Dire décollera de Notre Dame des
la solidarité, comme la nécessité des Landes.
liens et des complicités face à ce
monde qui nous voudrait isoléEs. Alors à tou-te-s ceux et celles qui
Nos alliances sont notre force. Et il y ont lancé cet appel, à ceux et celles
a déjà ça, ici, comme une victoire qui ont ouvert leur porte à la ren-
sur la marche forcée des choses. contre, à ceux et celles qui ne se
laissent pas faire : nous ne voulons
Si nous ne nous connaissons pas pas seulement exprimer notre sou-
tous—tes, une chose est certaine, tien, comme une posture distante et
c’est que nous partageons la colère, extérieure, mais bien dire que nous
le refus. De ce terreau naissent nous sentons liéEs dans ces idées et
confiances, entraides, amitiés ou ini- dans ces actes.
mitiés. Le chemin est long pour tis-
ser tout cela, et nos quelques mois A tout bientôt dans la rue ou dans
ou années de présence ici, si riches les champs !
et si denses, nous semblent fort
courts finalement. Premiers signataires :
les Ardillères, les Cent Chênes,
Ce qui se partage aussi, c’est de se le Coin des Fosses Noires,
battre sans s’en remettre aux politi- Pimkie, la Pointe, les Planchettes,
ciens, de ne pas entendre leur langue le Potiron, les Rosiers,
morte, de ne pas croire leurs pro- le Sabot et son collectifmaraîcher,
messes, de" se méfier de leurs le Tertre.
concessions. Cette lutte s’inscrit dans
un mouvement planétaire contre le 1. le salopard d’AGO qui harcèle pour
capitalisme, les dominations et le faire partir les gens.
contrôle social qui leur est néces-
saire. Un mouvement d’émancipation
des peuples par les peuples sans re-
présentation institutionnelle. C’est à
nous de prendre les choses en main,
sans rien attendre de tous les rapaces
qui font leur puissance sur notre dos.
Nous ne sommes pas seulEs. Partout
d’autres se battent. À Atenco, à Val
Susa, à à Oaxaca ou en Grèce pour
parler de ce dont on parle, et dans
une infinité d’autres lieux, d’autres si-
tuations, où l’on ne se résigne pas.
Nous sommes ici, nos vies nous
7
L’aéroport de Nantes, c’est NON Tous : le maire-de Nantes Jean-Mare
Ayrault comme le premier ministre
Des habitants qui résistent, 1 er mai 2008 actuel François Fillon. Le pouvoir ne
cesse de nous rabâcher que nous vi-
Le monde s’enfonce dans une crise vons bien au-dessus de nos moyens.
climatique angoissante, mais la classe que nous avons mangé notre pain
politique continue de parler une blanc. Avoir un hôpital de. proximité
langue morte. Les gens qui défendent serait devenu un luxe intolérable : on
le projet d’aéroport de Notre-Dame- en supprimera donc 250. Redon,
des-Landes pensent l’avenir avec les Chateaubriant, Ancenis font partie de
mots d’un passé qui ne reviendra pas. la liste ; mais un aéroport pour aller
Ils sont les héritiers de ceux qui atten- rejoindre les plages méditerranéennes,
daient l’armée allemande derrière la est une inéluctable nécessité, un inté-
ligne Maginot, et qui se trouvèrent rêt public. L’économie marche sur la
débordés en une nuit de mai 1940 par tête. Il est grand temps que les hommes
les blindés du général Gudérian. reprennent en main leur destin.
Comme eux ils se trompent d’époque.
Nous savons que ce combat,
Nous pourrions rire, si ce n’était aussi commencé il y a 35 ans, sera encore
grave, du discours des promoteurs du long et difficile. Et c’est pour cette
nouvel aéroport. Comme la Toinette raison que nous lançons ce 1er mai
du Malade imaginaire, qui répond « le 2008 un appel à toute la France, à
poumon » à toutes les questions po- toute l’Europe. Il faut soutenir le
sées sur la santé d’Argan, ils répètent, mouvement contre l’aéroport de
hébétés par eux-mêmes : la crois- Notre-Dame-des-Landes avec toutes
sance, la croissance, la croissance. les forces disponibles. Et par des
moyens rarement utilisés à l’échelle
Ils ne savent pas. parce qu’ils ne le que nous l’envisageons : l’occupation
sauront jamais, que notre planète at- du territoire, la désobéissance civile,
teint déjà ses limites physiques dans le refus complet et définitif.
des domaines vitaux. Le transport en
fait partie. Dans un monde fini, ceux Le compromis n’est pas possible, car
qui poussent encore à la destruction ce : combat qui continue, et qui
des espaces et des espèces sont de concerne chacun, est entre une vie
redoutables aveugles. possible et un cauchemar certain.
Nous vaincrons, non parce que nous
La question de l’aéroport n’est pas de sommes les plus forts, mais parce
droite ou de gauche. Elle est une af- qu’il n’y a pas d’autre solution.
faire humaine. et pour cette raison
nous nous en emparons. Ailleurs dans Nous appelons donc, partir du pique-
le monde, comme autour de l’aéroport nique contre l’aéroport du 29 juin, à
londonien d’Heathrow, les mêmes que établir des campements d’occupation
nous ont décidé d’agir : nous sommes sur les terrains que se sont injuste-
l’espoir en mouvement. Quand ils ment appropriés les promoteurs de
n’incarnent que le renoncement. ce projet aberrant. et mortifère.
8

Cabane commune de la Forêt de Rohanne


9
Risques accrus d’expulsions sur la ZAD
Le 11 octobre 2012
Plusieurs sources laissent penser que La presse reconnaît d’ailleurs que le
des expulsions sont imminentes. dispositif pourrait en réalité cacher
Nous avons eu vent d’une première une opération en préparation contre
vague d’expulsion pour le mardi 16 la ZAD.
octobre à l’aube. Nous avons eu des
informations précises telles que le Nous nous tenons prêtEs.
lieu d’hébergement des troupes
mobilisées, l’itinéraire prévu pour Un appel a été publié appelant les
rejoindre la zone et l’effectif engagé, groupes et individus souhaitant
soit 500 gendarmes. Cette première s’inscrire en solidarité avec la lutte
vague devrait concerner les maisons ici à effectuer des actions
déjà expulsables ainsi que les décentralisées. Toutes les initiatives
cabanes. Une seconde vague devrait sont et seront les bienvenues.
suivre une dizaine de jours plus tard,
visant cette fois les cabanes dans les Les personnes souhaitant venir sur
arbres et 3 maisons, la Sècherie, le la ZAD sont invitées à s’organiser en
Rosier et la Saulce, dont l’huissier a conséquence : être conscientes de
choisi en août d’avancer la date l’urgence dans laquelle nous allons
d’expulsabilité, la passant du 15 être, prévoir au maximum de quoi
novembre au 27 octobre. être autonome.
Depuis plusieurs semaines des Nous nous préparons logistiquement
équipes de police se sont déplacés contre les expulsions, nous appelons
sur la ZAD pour faire des repérages les amiEs d’ici et d’ailleurs, voisinEs,
préparatifs, comme mesurer la à venir nous soutenir.
hauteur des cabanes dans les forêts
par exemple. Des équipes en civils se Dans tous les cas vous pouvez suivre
déplacent actuellement, certaines les évolutions sur le site de la ZAD.
dans des véhicules immatriculés
dans la région parisienne. Mardi
dernier (9 octobre) le dernier squat
de Grandchamps a été expulsé à
l’aide d’un impressionnant dispositif
policier. Cette semaine encore les
dispositifs de sécurité ont été
renforcés devant le Conseil Général,
le Tribunal de Nantes et d’autres
lieux stratégiques, les contrôles
routiers se sont quant à eux
multipliés sur et autour de la ZAD.
10
Besoin de soutien pour les jours a venir !
17 octobre 2012
« tout s’est déroulé sans incidents, En ce 2e jour, nous nous sommes
l’opération est terminée » disait le même offert le luxe de reprendre 3
préfet à 10h30 hier. lieux ce jour et de les charger à plu-
sieurs reprises. Nous allons bien,
Ha bon ? Pourtant en même temps nous n’avons rien a perdre car nous
qu’il prononçait ces mots les flics at- ne possédons rien. Nous avons tout à
taquaient le Far Ouezt et le Sabot et gagner car notre rage et notre force
l’accès à la ZAD fut interdit a tou-te- de résistance est infinie. Nous
s, y compris les journaleux et les ha- sommes une minorité et nous ferons
bitants « légaux » ! Les flics avaient plier la majorité !
prévus de prendre 11 lieux ce jour
là, soit un tiers de nos habitations ré- Pour cela nous avons besoin de
parties sur 2000 ha. Ils ne réussirent vous. Nous avons besoin de renforts
que pour 8 d’entre eux. sur place (vous pouvez accéder à
pied ou par les petites routes avec
Pour prendre le 1 er lieu ils se conten- une carte détaillée), de logistique
tèrent de tirer une pluie de grenade à (chaussettes sèches, couvertures, es-
distance jusqu’à y mettre le feu. Bien sence, …) mais aussi d’étendre la
sur ils n’avaient pas vérifié si des lutte par le biais d’actions décentrali-
gens dormaient dans leurs cabanes sées.
ou pas ! C’est donc cela une « opéra-
tion sans incidents »… Si vous ne pouvez nous rejoindre,
sachez qu’il existe forcement prés de
Pour la plupart des lieux suivants ils chez vous un chantier ou une auto-
furent étonnés de ne pas nous y route à péage de Vinci et des bu-
trouver, sauf pour deux maisons bar- reaux du PS. […] Ils ne doivent être
ricadées sur plusieurs niveaux qui en sécurité nul part !
leur firent perdre un temps précieux.
En effet nous n’étions pas chez nous La ZAD est partout ! Merci aux
ce jour là. Nous n’avions pas l’inten- potes d’Atenco, Bruxelles, Angers,
tion d’être là ou on nous attend. Poitiers, Montreuil, La Roche Sur
Nous sommes mobiles, nous Yon, Lyon, Vienne et Rennes qui
connaissons le terrain, c’est notre ont déjà commencé et a tou-te-s
force. Nous entendons bien faire de celleux qui nous envoient des mes-
la ZAD un nouveau bourbier, un sages de soutien. […] Selon les RG,
échec cuisant pour l’État et le capita- l’opération pourrait durer jusqu’à la
lisme. fin du mois. À moins qu’ils n’aban-
donnent avant ! […]
Ils sont 1 200, nous sommes 200.
Pourtant nous tenons nos positions. Quelques assiégées qui résistent !
11
Témoignage après dix jours d'expulsions
25 octobre 2012
Cela fait un peu plus d’une semaine et placent là où il y a besoin de résister.
demie que les expulsions ont Une solidarité importante s’est mise
commencé à Notre Dame des en place a l’extérieur comme à l’in-
Landes. Au départ ça s’est passé assez térieur, ravitaillement de nourriture,
rapidement, en une matinée de nom- de matos, actions de solidarité en
breux lieux sont tombés, La Bellich’ France et ailleurs, des centaines de
route a brulée, Bel Air, la Gaité, le messages de soutien et des réactions
Pré-Failli, l’Après Faillite, le Squat a dans le monde politicard.
Puce ont été expulsés, les Plan-
chettes ont été détruites. Des barri- Les barricades semblent être un en-
cades ont été érigées assez vite un droit important, même de fierté et
peu partout, puis au cours de la se- on semble oublier que tout ce qui se
maine le rythme effréné a ralenti joue autour est tout aussi important,
avec en moyenne 2 maisons détruites voir capital. De ce fait il est difficile
par jour. La blitzkrieg s’est transfor- de ne pas se sentir coupable de ne
mée en guerre des nerfs. […] pas être au « front » , un sentiment
dur a dépasser alors je dirai a
Une guérilla s’est mise en place dans tou`te`s : ce que vous faites où que
le bocage, harcèlement, embuscades, vous soyez même si c’est peu est
face à une militarisation de la zone, important. Personne ne doit se sentir
les gens tiennent les barricades se nul-le d’en faire moins que les
qui cristallise à certains endroits la autres. Ne désespérez pas, reposez-
lutte. Des gens restent à un endroit vous si besoin est, être courageux-se
pendant que des groupes se dé- ce n’est pas forcément « faire la
12
guerre » mais d’aider malgré la peur, le au fur et à mesure, ce n’est pas le
doute, l’incertitude du lendemain. […] tonneau de danaïdes, ni un gouffre
sans fond. Certains sûrement conti-
Je laisserai pour la suite la place au nuent de résister tout en gardant à
ressenti trop peu exprimé je pense l’esprit la réalité dure et froide que
jusqu’ici. C’est un peu comme la ma- l’on va perdre et d’autres se battent
rée, on voit les maisons détruites et en se disant que si l’on se laisse ga-
ça fait un pincement au cœur, gner par le pessimisme ambiant de
l'écœurement est fort quand on en- ce monde on n’arrivera à rien.
tend les bulldozers détruire dans un L’important c’est de tenir même si la
fracas les pans de murs s’écrasant cause semble désespérée, l’important
sur le sol. L'oppression quand l’héli- c’est de résister quelque soit la situa-
co nous survole, quand on voit la lu- tion, l’important c’est de continuer à
mière des projos se déplacer dans les montrer que des voix s’élèvent
champs la nuit. Quand on entend ces contre leur monde destructeur ,
porcs rigoler on a la haine qui d’une violence implacable, d’un mé-
monte, en même temps on laisse pas pris profond pour ce qui les entoure.
trop son corps nous parler, les senti- Leur inconscience les mènera à leur
ments on les enferment quelque part perte , car tant que nous serons en
pour supporter cette infamie nom- vie nous nous battrons , et s’ils nous
mée opération César, le décourage- tuent les idées elles sont impéris-
ment, le désespoir nous court aux sables, elles traversent les âges…
trousses.
Pour finir je tiens à remercier du
Puis on recroise les amis toujours là, fond du cœur les habitants qui nous
les camarades de lutte qui affluent, aident, sans eux ce serait difficile de
la solidarité comme j’en parlais plus tenir, c’est pour vous pour nous ils
haut, on entend que tel ou tel chose elles que nous sommes là.
s’est passée et l’on regagne en éner-
gie, on garde un espoir, l'espoir du Alors resistez, occupez, squattez leur
fou sûrement, l’espoir infime qu’on monde car ce n’est pas qu’à Notre-
tiendra face a cette machine infer- Dame-des-Landes que la zone est à
nale, face au fascisme capitalo-éta- défendre, c’est partout, même la où
tique on se surprend à rire , on il n’y a rien, et c’est ici et mainte-
apprécie fortement les moments en- nant, n’attendons pas le grand soir
semble où on se retrouve derrière un tant espéré, construisons un autre
verre de tisane ou de pif. Et oui à monde, arrêtons de nourrir notre en-
des moments on est épuisé-e-s mais nemi pour mieux le détruire, aidons-
on reprend des forces tôt ou tard et le dans sa chute, mais qu’ils ne nous
c’est reparti pour un tour. entraînent pas avec eux, le virage
c’est maintenant qu’il faut le prendre.
Alors par vague le désespoir est là à
marée basse , puis on reprend cou- VIVE LA RESISTANCE
rage à marré haute. Il n’y a pas de
sentiment uniforme qui se détériore Un occupant de la ZAD
13
« Et ouais… »
26 Octobre 2012
[…] Et ouais, aujourd’hui, alors que soit la dernière, et à six heures du
la tension retombe peu à peu et que mat on était nombreuses/eux plan-
la fumée des lacrymos se dissipe, je qué-e-s dans des buissons à attendre
commence à réaliser que cette lutte, les keufs. Ils sont venus.
cette zone ont radicalement changé
de visage ces dix derniers jours. L’hélico d’abord, qui te passe au-
Mardi 16, le jour où tout a commen- dessus de la tête dans un bourdon-
cé, on était sur le pied de guerre. On nement d’enfer au milieu de la nuit
avait été prévenu-e-s que la préfec- alors que tu te terres dans un fossé
ture devait expulser les squats de la avec des potes, sachant qu’il vous
ZAD ce jour là, on avait aucune idée voit probablement sur l’écran de sa
de comment ni même de si c’était caméra thermique. Comme si t’étais
vrai. On s’était préparé-e-s à ce que dans Apocalypse now. Puis les four-
cette nuit passée dans nos maisons gons de gendarmes mobiles, passant
à fond sur la départementale, par di-
zaines. Un peu partout les barricades
ont flambé dans la lueur rouge de
l’aube, un geste de rage un peu
désespéré contre l’armée qui nous
assaillait. Ça ne l’a pas arrêté, on ne
l’espérait pas. J’ai passé la matinée à
courir en petit groupe de squat en
squat dans le bocage, entre les cor-
dons de keufs. A 11 heures on finit
par retrouver des camarades regrou-
pées au Sabot. Le Sabot c’est une
ancienne friche squattée transformée
en immense potager collectif, avec
une grande serre et des cabanes
d’habitation. Il est toujours là lui,
mais on apprend que toutes les mai-
sons en dur sont tombées. Sur la
route on est tombé-e-s sur les ca-
banes de la Bellich, réduites en
cendres. Les potes, elleux, vont tou-
te-s bien apparemment. Radio
Klaxon, la radio pirate de la ZAD,
nous apprend qu’à la Paquelais le
préfet La Raclure se réjouit d’une
opération menée promptement et
Pancarte à la Vache-Rit. sans bavure. Connard.
14
Nous on est toujours là. Les keufs entrés dans le chemin, les potes les
aussi, gendarmes mobiles et CRS en en empêchent, cagoulé-e-s et ci-
armure. On bloque la départemen- toyennistes quinquagénaires côte-à-
tale avec plein de camarades venu-e- côte. Tout le barda entreposé dans
s en soutien. Les keufs aussi. On se les squats du coin se transforme en
regarde en chiens de faïence, on barricades érigées à l’arrache. Les
avance et on recule à tour de rôle détonations, ce sont les lacrymos
comme suivant une chorégraphie que les CRS et les (gendarme) mo-
bien réglée, sentiment d’avoir vécu biles balancent par centaines sur les
ce genre de situation trop de fois. Vu copains/ines. Les tirs finissent pas
qu’il reste encore des squats debout, s’arrêter, les flics restent en ligne à
sentant que la tension est retombée l’entrée du chemin et allument un
et que c’est le moment d’en profiter, immense projecteur dans notre di-
je pars me reposer... C’est dingue de rection alors que la nuit tombe et
se retrouver là, dans les cabanes des que les barricades se renforcent. 300
potes, de voir qu’elles sont toujours mètres plus au sud, dans un autre
là... qu’ils n’ont pas rasé la ZAD ! chemin d’accès, même scène. Ils ne
partiront que vers 22 heures.
L’aprem s’écoule. Je dors, je som-
nole. J’entends des détonations ve- Les deux jours suivants, même état
nant du Sabot. Là-bas les keufs sont de siège au Sabot avec petit échange

Les flics détruisent une barricade sur la D281


15
de projectiles à l’heure du goûter, les bitant-e-s hyper chouettes qui ré-
keufs rentrent dans le jardin, pié- sistent à nos côtés. Mais en ces
tinent et gazent les carottes, puis re- quelques jours c’est tout un pan d’ici
partent. Sensation qu’ils nous qui a été envoyé au néant par le
occupent là pour faire leur merde monstre AGO, et on sait tou-te-s que
ailleurs. Gagné. Mercredi les flics c’est qu’un prémice de ce qu’il nous
bloquent la route, des engins concocte.
viennent à la ferme des Planchettes
expulsée la veille, qui a été le lieu J’ai pas parlé d’une flopée d’actes de
collectif de tous les squats pendant résistance durant ces 10 jours : sa-
plusieurs années, avec réserve de botages de chantiers et de véhicules,
bouffe et de tracts collective, accès blocages et destruction de routes...
internet et lieu de réunion. Ils Ça a été hyper classe et ça continue.
détruisent tout, embarquent jusqu’à Je crois qu’on a gagné énormément
la dernière pierre. Celleux d’entre de trucs, fait des actions qui
nous qui vont y faire des repérages n’avaient jamais pu être faites ici au-
se heurtent à un cordon serré de mo- paravant, donné à cette lutte une
biles. En une journée l’affaire est intensité qu’elle n’avait jamais encore
pliée, les Planchettes n’ont jamais eue. Mais militairement, l’état a at-
existé. A la place un espèce de petit teint ses objectifs : tout un pan de la
champ labouré au bulldozer qui sera ZAD n’existe plus. A nous de re-
recouvert par la végétation avant créer sur ce qui a été détruit. On sera
l’été. En attendant le béton. toujours plus de cinglé-e-s à dé-
⁂ fendre cette terre, à se sentir de plus
en plus libres, de plus en plus fort-e-
s pour faire ce qui doit être fait pour
Je m’attarderai pas sur les jours qu’elle ne soit pas bétonnée. En cou-
suivants. Moi je suis resté autour du pant nos arrières ils nous obligent à
Sabot à guetter les flics qui se aller de l’avant. Peut-être jusqu’à la
montraient de moins en moins, oc- victoire, peut-être jusqu’à la destruc-
cupés à sécuriser la destruction du tion totale. Je crois qu’on est beau-
reste des maisons vidées et de plu- coup à ne plus en avoir rien à
sieurs cabanes de potes. Le Sabot et secouer de si ce qu’on fait peut rai-
bon nombre de squats sont toujours sonnablement aboutir.
debout à l’heure actuelle, personne
ne peut dire pour combien de Un grand fuck dans ta face Ayrault.
temps... Aujourd’hui, pour la pre- On va t’en faire baver.
mière fois depuis 10 jours, on a rien
vu d’autre sur la ZAD que les pa- Big up pour tous les gens avec qui
trouilles de gendarmes habituelles. on s’est tenu chaud ces derniers
Pas de destructions ni d’expulsions. temps derrière les barricades.
Mais la sensation bizarre d’être seul-
e-s au milieu d’un champ de ruines.. Un squatteur crasseux
C’est pas vrai parce qu’il reste des (nos douches ont été rasées).
squats et des squatteur/euses, des ha-
16

Barricades sur la D81 avant l'expulsion de la Saulce.


17
Ils nous mettent à la rue, on occupe la route !
26 octobre. La Saulce est expulsable le lendemain. L'invitation circule pour une
grande fête sur les routes autour du bois. Pizzas et barricades au menu toute la nuit.
Hier, dans la nuit de 26 Octobre, on a li- sur ces routes que l’on traverse à toute
béré une partie de la route entre Vi- vitesse, nous voulons prendre le temps
gneux-de-Bretagne et les Ardillères, d’échanger nos idées et nos initiatives
pour en faire une zone de libre expres- pour cesser de courir tête baissée vers
sion. Pour protéger cet espace nouvelle- l’abîme.
ment libéré on a construit des barricades
à notre façon. C’est sûr qu’on entrave la Ils nous encerclent et quadrillent la zone
libre-circulation des machines et voi- en contrôlant les routes, on répond par
tures qui roulent au pétrole, mais on a le blocage de ces axes qu’ils empruntent
ouvert cet espace pour la libre circula- pour nous expulser. Ils détruisent nos
tion des individus, des espèces natu- maisons, nos cabanes, on détruit la route
relles, qui sont souvent écrasées par ces par laquelle ils acheminent les machines
machines. qui font le sale boulot. Ils pensent pou-
voir se débarrasser de nous, de notre
Depuis deux semaines, la Zone à Dé- lutte contre l’aéroport et son monde, ils
fendre est bouclée par des centaines de doivent savoir qu’à chaque fois qu’ils
flics et de militaires, qui tiennent les nous chasserons nous reviendrons occu-
carrefours stratégiques et bloquent les per. Faire la fête dans un endroit qui
routes. Les gens se sont fait jeter de paralysera leurs chantiers, dans les mai-
chez eux par la force, ils ont dû subir le sons qu’ils murent, sur les routes qu’ils
spectacle de la destruction de leur mai- construisent, dans les forêts qu’ils
son et de leur lieux de vie. Ça fait déjà veulent raser, on ne les laissera pas tout
onze lieux rayés de la carte par l’État détruire dans le silence. Nous danserons
pour le bénéfice de Vinci. D’autres et chanterons sur leurs ruines jusqu’à ce
destructions et expulsions sont prévues qu’ils mettent fin au saccage organisé de
pour cette semaine. ce monde.
Ils nous jettent à la rue, donc on assume Des occupant-e-s
et on l’occupe ! En occupant la route, on enragé-e-s de la D81
créé un moment éphémère dans cette
lutte contre l’aéroport Grand ouest. Un
moment de rencontre pour celles et ceux
qui participent à cette lutte, un moment
pour montrer que même si des maisons
sont expulsées et détruites, ainsi que des
jardins collectifs et des potagers, cela
n’entame en rien notre détermination.
Rejoignez-nous pour faire la fête, parta-
ger de moments de joie et de rage. Nous
voulons partager un moment ensemble,
18

Barricade.
19
Raser une maison...
À propos des expulsions à Notre-Dame-des-Landes
Octobre 2012
Ca fait dix jours que César, l’opéra- per la suite semble illusoire telle-
tion impériale d’expulsions sur la ment la situation change à un
ZAD est lancée. Le PS, dans un rythme effrené. Cette intensité rare
interêt bien compris, semble ambi- offre un contexte de partage large
tionner une expulsion propre, sans d’expériences, d’envies et d’idées. De
vague, qui preserverait la paix so- nombreuses positions sont expri-
ciale et ce qui leur reste peut-être de mées, certaines sont relayées par
façade « socialiste ». Il n’y a là rien l’arsenal médiatique ravi de cette
de surprenant, si ce n’est le fait que sorte de mini-guerre à portée de la
les écologistes au gouvernement main, d’autres sont diffusées par une
n’aient pas encore réussi à faire certi- multitude de moyens autonomes. De
fier l’expulsion HQE. là, part l’envie de porter aussi des
positions politiques pour alimenter
Mardi matin n’a pas débarqué chez les innombrables discussions que la
nous un « dispositif militaire dispro- situation fait émerger.
portionné » mais une réponse poli-
cière banale et systématique à Une pensée forte va vers celleux qui
celleux qui résistent. Nous le luttent partout dans la grande brume
savions, mais le recul ne supprime de cette « époque si riche en specta-
pas la violence du choc. teurs et si pauvre en complices », les
expulsé-e-s sans bruit, les personnes
Pourtant l’abattement n’est pas la qui subissent les contrôles de flics et
règle tant les solidarités à l’œuvre se tabassages tous les jours, celleux qui
sont multipliées. Liens et positions vivent avec la peur au ventre, celle
sont en ébullition. Les limites se re- du contrôle d’identité, celle du cont-
dessinent sans arrêt. Les gestes de rôleur dans les transports en com-
lutte et messages de soutien ont sem- mun. Celleux qui n’ont nulle part
blé venir du monde entier, donnant d’où se faire expulser, les exploité-e-
une force surprenante à cette lutte s, les oppressé-e-s, les ratonné-e-s,
dans ce moment où elle en avait bien celles qui meurent sous les coups de
besoin. Quelques cloisons entre nous leur mec, celles qui vivent sous les
ont sauté et c’est un joli pied de nez coups de leur mec, celleux qui n’ont
à César et à ses années de travail pas la bonne couleur de peau pour
médiatico-policier de construction bénéficier d’un soutien large quand
de l’ennemi intérieur. Dans le rythme l’armée d’en face débarque et vers
fou de ces journées et de celles en- tou-te-s celles et ceux qui ne sont
core nombreuses à venir, il est bien pas du coté confortable des inégali-
difficile de s’extraire un moment de tés et qui ne le seront jamais.
l’urgence. Prendre du recul ou antici-
20

La ferme des Planchettes après l’opération César.

RASER UNE MAISON, ou un quartier, RASER UNE MAISON, c’est bien plus
est tout à l’opposé de l’acte « bar- qu’une question de « logement », ce
bare ». La démolition, c’est la banali- mot évoquant en effet plutôt un lieu
té de la civilisation qui se construit où l’on passe le temps de repos avant
toujours sur des ruines encore fu- de retourner au travail. Ce dont il
mantes. Ce projet d’« aéroport du s’agit ici, c’est surtout de tenter
grand ouest » n’est pas spécialement d’anéantir un lieu de vie, ses moyens
anti-écologique, inutile et nuisible. Il matériels d’autonomie mais aussi
n’est qu’une pierre parmi d’autres toutes ses imbrications sociales, lo-
dans la logique d’aménagement de cales, liens d’amitié, d’entraide, de
cette région pour la rendre compéti- solidarité, ses conflits aussi. Ainsi,
tive et rentable sur le marché des chaque jour, partout, des milliers de
métropoles. Remodeler des quartiers, personnes sont délogées, expulsées,
changer les noms et les usages des contraintes de déménager, de quitter
lieux, définir des axes de développe- leurs réseaux de débrouilles, de re-
ment pour des espaces à rentabiliser partir à zéro ailleurs. C’est vrai, ça se
est le travail quotidien des décideurs, voit moins d’habitude, mais l’effet
élus de tous bords et experts. Réali- d’isolement et d’affaiblissement est le
ser ces projets, s’engouffrer dans ces même et constitue la base de la do-
nouveaux marchés est le travail quo- mination capitaliste qui a besoin
tidien des investisseurs et profiteurs. d’individus dépendants au marché et
serviables.
21
RASER UNE MAISON, c’est souvent en RASER UNE MAISON en assumant la
effacer les traces rapidement, en tactique de la terre brulée, appeler
« nettoyant » scrupuleusement ou en « au calme » tout en osant prétendre
reconstruisant par dessus. Les traces que « tout s’est bien passé », c’est
de l’acte de destruction sont des nier la violence d’un tel acte. Ces tas
bribes de l’histoire des vaincus qu’il de gravas sont des plaies ouvertes
s’agit de faire disparaître. Sauver des qui risqueraient de nourrir la colère.
décombres quelques poutres, racon- Et ces pierres, si rares dans ce bo-
ter des histoires de ces lieux, prendre cage rebelle, appellent si fort à l’ex-
des photos avant le désert sont au- primer, à ne pas la laisser ronger
tant d’actes de résistance face à la l’intérieur, à la faire sortir de soi de
violence de la réécriture de l’histoire la manière la plus instinctive qui soit.
par les dominants. Garder des traces Les fracas des gravats dans les
pour que la colère sache exister bennes, les bip-bip des bulldozers et
contre l’oubli. Ces « places nettes » les convois aux girophares bleus ré-
laissées là où nous vivions font écho sonnent dans le brouillard et tentent
à tous ces « aménagements » qui dé- de graver en profondeur le sentiment
racinent, à tour de bras de tracto- d’impuissance. Alors les traces de
pelles, en grignotant aussi chemins, bitume fondu sous les barricades, les
terrains de jeu ou espaces libres. quelques arbres tombés, les griffures
de sous-bois, les courbatures d’avoir

Manifdu 20 octobre à Nantes (photo Val K. CC BY-NC-SA 3.0)


22
trop courru, crié ou jeté, les traces nauté en lutte. Des liens se ren-
de coups parfois, sont les seules ci- forcent, se révèlent, ou se tissent
catrices visibles qui restent. encore, dans le rythme incroyable de
ce moment où tout circule plus vite
MAIS CETTE FABRIQUE du vide et de dans cet espace plus « sécurisé » que
l’oubli à l’oeuvre partout sur le terri- jamais, avec cette réactivité face à
toire de l’empire se confronte ici tout des situations nouvelles et ce tour-
particulièrement à une construction billon de gestes de refus... Bon, la
d’une autre sorte. Ce qui s’est tramé confusion est grande, ce moment est
réellement ces dernières années dans hors contrôle pour tout le monde, et
la lutte contre l’aéroport et qui appa- ça c’est quand même pas loin de ce
raît au grand jour dans ce moment qu’on pourrait déjà appeler une vic-
de crise est un esprit de résistance et toire, non ?
de solidarité que le nombre de mili-
taires et de machines ne pourra em- Hors Pistes
pecher de continuer à grandir. Si,
militairement, la défaite était telle- un groupe en luttes contre l’aéroport
ment prévisible, la surprise est et son monde né dans le mouvement
grande de vivre ce moment avec d’occupations
cette sensation forte d’une commu-

La Gaité détruite.
23
Encore une expulsion de la forêt
5 novembre 2012
On habite dans la forêt de Rohanne. policiers armés de boucliers, tenue
Pendant les deux dernières années, anti-émeute complète et talkies-
les nombreuses personnes qui ont walkies bruyants. Les flics nous ont
vécu et passé par ici ont construit crié de prendre toutes les affaires
sept cabanes dans les arbres et une qu’on pouvait emporter et de sortir
belle maison collective de trois de la forêt. Les flics ont commencé
étages. Le jeudi 19 Octobre, les à casser le refuge et à découper les
policiers sont venus avec des bâches en petits morceaux alors que
bulldozers et ont détruit la maison. nous étions encore à l’intérieur.
Après nous avoir poussé dehors et
Dès le lendemain, avec beaucoup de mis à terre ils ont tailladé les matelas
gens motivés, on a commencé à et tout détruit, ils ont même coupé
construire une nouvelle cuisine à six tout le polyprop en morceaux
mètres de hauteur dans les arbres, et minuscules de façon à ce qu’il soit
une nouvelle cabane collective un totalement inutilisable. J’ai un peu
peu plus haut. Le mardi 30 et le l’impression qu’on commence
mercredi 31 octobre ils sont revenus vraiment à les faire chier. [...]
avec des bulldozers et des manitous
pour détruire les deux cabines Toutes les personnes valides de sexe
fraîchement finies, ainsi que les sept masculin ont été fouillées par les
cabanes dans les arbres. flics, et une d’entre elles avait une
carte d’identité avec elle. Les deux
Pendant le week-end, on a construit autres ont été emmenées en garde à
un abri temporaire sur le sol avec vue. Les trois personnes de sexe
des palettes et des bâches afin de féminin valides ont été invitées à
pouvoir y dormir pendant que nous attendre une femme flic pour les
reconstruirions des cabanes dans les fouiller. Et d’attendre. Et d’attendre.
arbres. En gros c’était quelques Et d’attendre. Il semble qu’il n’y ait
matelas sur des palettes, avec des pas autant de flics femmes dans le
poutres ficelées à des troncs d’arbres coin et au bout d’une heure ils ont
et couverts de bâche. juste demandé nos noms et lieux de
naissance. N’ayant pas réussi à
Tôt le matin, le lundi 5 Novembre obtenir d’informations personnelles
une vingtaine de fourgons de police ils se sont concertés, après quoi ils
a bloqué les routes autour de la forêt sont venus pour nous dire que nous
de Rohanne. Ils sont entrés dans la pourrions simplement partir.
forêt à pied, et à huit heures et Pourquoi ? Ils nous ont dit qu’ils en
demie six personnes endormies ont avaient marre de nous, et qu’ils ne
été encerclées par une trentaine de voulaient pas perdre de temps au
24
poste de police, encore une fois, si dans la forêt. Ainsi, près de deux
encore une fois nous n’allions pas cents policiers anti-émeute ont
donner nos noms. encerclé la forêt et passé presque
une journée entière à en passer
C’était une façon assez désagréable chaque centimètre carré au peigne
de se réveiller, finalement, et ça fin juste pour trouver six campeurs.
commence à être un peu ennuyeux Vingt camions pleins de policiers
d’avoir nos maisons détruites chaque hautement équipés juste pour faire
semaine. Toutefois, après avoir eu le tomber quelques poutres et des
temps de réfléchir, je ne peux bâches mises en place dans le week-
m’empêcher de voir un côté drôle à end. Peut-être que nous on en a
tout cela. Quand nous avons marre d’eux, mais c’est clair qu’on
demandé pourquoi nous étions les saoule complètement. À la
arrêtés la police nous a dit qu’il était prochaine cabane dans la forêt !
illégal de faire du camping sauvage

Cabane en Forêt de Rohanne.


25
Témoignage sur les expulsions dans la Forêt de Rohanne
31 octobre 2012
J’avais rejoint sept camarades en haut un moment bizarre, où j’ai vu
de la dernière cabane à expulser dans comme la peur me disciplinait. Je
la forêt de Rohanne. [...] On s’amusait veux dire, j’ai eu plusieurs fois
bien là-haut, peut être grâce à l’anxié- conscience d’occasions de le frapper,
té, à la tension palpable, partagées. On même dur. Mais la douleur qu’il me
faisait des blagues, on se distribuait faisait, et son calme... le pouvoir et
les équipements dispos. On a bricolé l’appui de l’État et de la loi, dans ses
un baudrier avec une longe. A regar- mains à lui. J’ai pas osé, tant mieux
der tout ça de haut pendant vingt mi- peut-être. J’ai demandé aux copinEs
nutes, on s’est sentiEs fortEs. à un de me lâcher. Pardon. Saucissonné,
moment en bas ça a chauffé, des je résiste mollement, essayant juste
hommes en plastique tout peinturlurés de le freiner. Et ma tête me rappelle
ont encerclé notre arbre et viré nos que je suis plus mou en tout cas
soutiens au sol, violemment… Dans qu’un godet de manitou. La mâchoire
quelque temps, ca va être notre tour… d’acier se referme pour une fois litté-
ralement, dans mon dos. Je passe la
Ils ont approché un manitou (un go- descente avec un genou sur la nuque.
det avec un bras télescopique de 16 De quel droit ? Tout ça là, d’où ?
m, je crois) et après quelques tergi-
versations, deux tortionnaires et un Au sol c’est les robocops qui me
sauveteur (sic) de haute montagne prennent en charge. Je passe trois
(re !) se sont embarqués dans le go- heures menotté serré à un arbre à
det et ont été hissés à notre hauteur voir mes codescenduEs traînéEs là
pendant que l’OPJ au sol nous som- dans le même état que moi, yeux
mait de descendre en disant « nous enfoncés, baffes et clés de partout,
n’emploierons pas la force ». A cinq mâchoire d’acier et tête de brute. Et
on fait la tortue (position solidaire, puis ensemble à essayer de nous
assis en rond, bras et jambes entre- foutre de la gueule des condés, à les
mêlés), tandis que trois autres potes mettre dans la merde éthique, at-
grimpent plus haut pour empêcher tendre qu’iles aient peur du noir et
que l’arbre ne soit coupé. D’ailleurs il des louves, que tout ça se casse de
est toujours là. Le premier tortion- chez nous. Illes s’embourbent eux-
naire éventre la bâche à coups de mêmes, nous, on les emmerde. Nous
couteau, l’autre attend en retrait, le on habite ici, on partira pas, mieux :
sauveteur alpin communique avec le on va s’installer, partout où l’État
sol. Une fois entré, le type se pose, pose ses sales pattes, ses dangereux
nous mate. « c’est un steack » il dit. appétits, ses gros yeux. Faudra de-
Et puis il va au travail. Clé cervicale venir moins peu, ce qui paraît en
(il a essayé de m’arracher la tête), chemin, et aussi cesser de penser
étranglement, doigts tordus… il m’a qu’il suffira de lancer des pierres.
aussi un peu broyé le genou. C’était Mais bon, j’ai espoir. À bientôt !
26
Fondus dans la forêt...
6 novembre 2012
Marcher dans le maïs, les bauges, les exigence d’être tout à la fois
forêts. Se déchirer avec les barbelés. absolument fondu dans la
Chercher les sentiers passables. sauvagerie, et totalement libre de
Retrouver les amis, les complices. toute forme de de surveillance, de
Habiter la nuit. Devenir la nuit, commandement.
l’esprit de la nuit, qui hulule, qui se
déplace comme une nuée pour Ainsi dans la forêt, armés de cris
envelopper les gendarmes, ceux qui d’animaux, dont quelques-uns de
refluent et ré-embarquent dans leurs légende, entre les ronces et les
fourgons, envahis par la crainte de troncs qui sont nos amis véritables,
l’inconnu, qui dissout les corps et les projectiles de l’industrie
constitués et leur infuse un répressive, conçus pour calibrer nos
commencement de panique. déplacements.
Soudain, une impulsion de rage en À continuer...
nous, venue de très loin, de l’antique

Leur faire manger la terre


7 novembre 2012

Aujourd’hui passage rapide avec bien noire, tenez sentez-là (hop, au


collègues angevines sur la ZAD, passage le coquin Paul fout le nez du
magnifique moment passé avec Paul, flic dans la motte), hé bien cette
ce paysan de 79 ans qui doit être terre elle est à nous, à nous et pas à
archi-connu j’imagine là-bas, enfin vous, jamais elle sera à vous ! » et
bref, il a quasiment fait manger la hop il fait un pas en avant face aux
terre de la ZAD aux gendarmes en flics et il gueule « 1m ! hé les
leur déclamant un discours copains, j’ai repris 1 m ». bon enfin,
grandiose qui me fait encore des au moment où il s’est avancé
frissons : « Hé les envahisseurs, résolument vers la haie en disant
regardez ! ici ont poussé des qu’il comptait désormais « dérober
générations et des générations de l’estafette » il a fini par se faire gazer
patates ! et aussi de carottes ! et elles à bout portant. Oui au bout d’un
pousseront encore, autant que je moment « les gamineries, à 80 ans,
vivrai, et même après ! car cette ça suffit » a dit le gendarme.
terre, vous la voyez, cette terre là,
27

Tract d'appel lors de l'expulsabilité du Rosier.


28

Manifde réoccupation (photo du bas ValK CC by-nc-sa).


29
Prise de parole à l’arrivée de la manif de réoccupation
17 novembre 2012
Ami-e-s d’ici, ami-e-s d’ailleurs, vilèges et le confort d’un siège de
député ou de ministre. Vous qui êtes
Nous, expulsé-e-s ou expulsables, là parmi nous, humblement, et qui
habitant-e-s qui résistent au projet avez décidé d’agir plutôt que de
d’aéroport et à son monde, , nous te- subir. La parole des politiques ne
nons à vous remercier. doit pas étouffer celle des habitants
pour s’y substituer. Cette lutte c’est
Merci d’être venu-e-s, de Vigneux ou la notre, c’est la votre, parce que
de Turin, de Rennes ou de Bruxelles, c’est avec vous que nous obtiendrons
pour participer à cette lutte, pour re- l’arrêt immédiat du projet et que nos
construire aujourd’hui ensemble les pourrons faire plier les décideurs, ici
bases matérielles nécessaires à la pour- comme ailleurs.
suite de la résistance sur le terrain.
Nous avons toujours dit, « un terri-
Merci de vous être réappropriés ce toire se défend avec celles et ceux
combat, en organisant des rassem- qui l’habitent ». Et ces dernières se-
blements, des collages, des moments maines ont prouvé que les habitant-
de rencontres sur les marchés de vos e-s de la zone se défendent ! Une
villes et de vos villages, en créant armada policière débarque et le
des comités locaux... balais infernal des machines emporte
dans sa danse macabre, maisons et
Vous avez su exprimer notre colère cabanes, vieux chênes et
contre les aménageurs par un foison- salamandres... La tristesse et la co-
nement de gestes solidaires : du lère nous gagnent face à Vinci et à
péage gratuit au défilé de tracteur, du l’État socialiste écologiste qui défi-
sabotage au concert de soutien, de la gurent sous nos yeux ce paysage si
prise d’antenne sauvage aux mes- familier. Ils ravagent la nature et
sages qui nous parviennent depuis cherchent à effacer nos souvenirs.
plusieurs semaines maintenant ! Qu’ils nous jettent à la rue à coups
de matraque ou nous poussent au
Vous avez participé à cet immense déménagement par les pressions,
élan de solidarité ,solidarité mot qui c’est toujours la même violence et le
aujourd’hui prend tout son sens et même arbitraire qui nous écrasent. Il
qui s’est répandu comme une traînée est légitime que l’on retourne cette
de poudre bien au-de-là du bocage. violence contre ceux qui nous l’in-
fligent.
C’est vous, anonymes, animés par
d’inébranlables convictions qui faites Face à l’État, tous nos gestes de ré-
la lutte. Vous qui ne cherchez ni la sistances peuvent paraître dérisoires,
gloire superflue sous le crépitement mais ils sont ô combien justes et
des flashs et des caméras, ni les pri- nécessaires. Rassemblements, manifs,
30

défense des lieux vie, ouverture col- un peu de la détermination qui est
lective de maisons, occupation fo- née dans ce bocage. Que cette lutte
restière, ravitaillement, blocage de nourrie par celle du Val di Susa
routes, reconstruction, assemblées... comme par celles de Plogoff et du
Nous avons voulu montrer que nous Larzac, renforce en retour d’autres
ne sommes pas de simples meubles combats.
qu’on déménage, que nous pouvons
nous organiser, résister, dire non ! Nos révoltes ne se limitent pas à
Notre-Dame-des-Landes et à son aé-
Ces semaines ne sont qu’un début ! roport. Pendant que les caméras et
La lutte ne fait que commencer : dé- l’attention se focalisent ici, ils conti-
fense du Rosier, réoccupation de la nuent d’expulser et de bétonner
forêt de Roanne pour s’opposer à ailleurs, tous les jours, en silence...
son abattage, blocage des travaux du L’Etat oppresse, enferme, réprime
barreau routier, procès et expulsion à partout, tout le temps. Il est confor-
venir des habitant-e-s en bail pré- table de fermer les yeux, facile de se
caire et des paysans. Il y encore tant résigner, mais indispensable de se
à faire. Hollande, Ayrault et les révolter. Partout, pour contrer tous
cadres de Vinci doivent comprendre les Césars qui veulent aménager nos
qu’il n’y aura pas de retour à la nor- vies et nos territoires, continuons de
male jusqu’à l’arrêt immédiat du pro- construire des foyers de résistance
jet d’aéroport. Qu’ils prennent garde, irréductible.
car plus la lutte se renforce sur le
terrain et plus elle se répand ! Ici comme ailleurs, défendons nos
rêves et cultivons nos révoltes pour
Notre rêve, c’est que tous les ami-e-s qu’elles deviennent leur cauche-
d’ici et d’ailleurs ramènent chez eux mard !
31
Nantes, le 17 novembre 2012
Un monde humain est en marche
22 novembre 2012
François Hollande déclarait le matin- des occupant-e-s de la ZAD, de les
même : « Mais, en même temps, il y discréditer eux et leur discours, tout
a aussi la force du droit et la primau- un chacun sait maintenant que ces
té de la volonté, non seulement de militant-e-s sont capables d’organiser
l'État mais aussi des élus, et au-delà une manifestation rassemblant bien
même des alternances politiques ». plus de personnes que cela ne s’était
La force du droit, c’est probablement jamais vu au sujet de Notre-Dame-
celle qui permet par exemple de des-Landes, manifestation qui plus
détruire des maisons contenant de est doublée d’un chantier festif de
l’amiante à coups de bulldozer, ou de construction d’au moins 5 bâtiments.
secouer un arbre en haut duquel se
perche un-e militant-e, dans le mé- Dès mon arrivée sur la ZAD, le jeu-
pris le plus complet des procédures di après-midi, je me sens chez moi.
prévues pour ces situations. Comme Les visages sont bienveillants, ac-
quoi, « la raison du plus fort reste cueillants. Je commence par aller à
toujours la meilleure ». la Vache-Rit, pour savoir où je dois
mettre ma tente et quelques autres
Mais, Hollande et d’autres hommes détails. Des panneaux m’informent à
politiques auront beau essayer de mi- ce sujet : sur le champs en face des
nimiser l’inventivité et la créativité Rosiers. J’aide Rebecca à décharger
32
son camion qui regorge d’aliments : de contrôles de papiers qui s’éter-
de quoi réaliser 6000 repas. On trie nisent. En fait, je ne verrai pas de
la marchandise pour les différentes policiers en uniforme de tout le
cuisines qui prépareront ces repas. week-end.
J’installe ma tente et profite d’un Arrivé sur les lieux, première joie :
premier repas préparé par une asso- voir toutes ces voitures garées sur le
ciation de Flamands arrivés sur la bord de la route ! Les organisateurs
ZAD pour soutenir l’événement : avaient prévu 15 km de voitures ga-
400 repas le jeudi soir, 600 au petit- rées, ils ne s’étaient pas trompés !
déjeuner du vendredi… pour culmi-
ner à plus de mille le samedi soir ! Nous décidons tous les quatre de
Je mangerai tout le week-end sans rester sur le bord de la route pour
avoir besoin de débourser un cen- laisser passer le cortège et admirer
time, les approvisionnements étant les banderoles. Quelques slogans me
réalisés sur des dons. Je passe la soi- sont restés en mémoire « Pour faire
rée du jeudi aux Rosiers où ont lieu du fric il faut du flic » , « Crashe-toi
deux projections, dont un reportage du pues t’es pas de ma lande » ,
sur la résistance sur la ZAD. « On veut rien et on l’aura » ,
« Prends ZAD dans ta gueule ».
Le lendemain, chacun est invité à Nous voyons passer une partie des
s’atteler aux préparatifs pour le sa- 400 tracteurs, certains chargés avec
medi sur le mode de l’autogestion. les planches et palettes qui serviront
C’est ainsi que je coupe une cin- aux constructions : c’est l’opération
quantaine de poireaux en lamelles et « Astérix », en réaction à l’opération
assiste à la construction de toilettes
sèches et d’une barricade sur la route
à l’ouest des Rosiers (photo page
précédente)
Sur la route du retour sur Nantes, je
croise une amie habitante de la ZAD
qui me propose de m’emmener en
voiture. Je ne lui connaissais pas
cette voiture : normal, on vient de la
lui offrir par solidarité il y a une se-
maine. Le samedi matin, je suis avec
trois amis dans une voiture direction
Notre-Dame-des-Landes. Grand
suspens à ce moment-là : quelle sera
l’attitude de la police ?? Il ne me
paraissait que très peu vraisemblable
qu’ils essaient d’empêcher des di-
zaines des milliers de citoyen-ne-s
d’aller manifester, mais, j’avais peur Manifde réoccupation
33
« César » des expulsions organisée Sur le bord de la route, nous obser-
par la préfecture. La Brigade Acti- vons des marionnettes qui nous font
viste des Clowns (BAC) arrive, avec bien rire, comme celles-ci : « Les
son cortège de farces : certains avions volent … la terre », ou
miment des avions, une autre est dé- « Conseil santé de Vinci : manger au
guisée en parcmètre de chez Vinci moins 5 paysans par jour » (photo
(photo ci-contre). ci-contre).
Il nous prend l’idée de tenter de Quelques heures plus tard, nous ar-
compter les manifestants. On décide rivons sur le chantier, fin de la
de compter le nombre de mani- manifestation. Ici ce sont deux
festants qui passent par minute. Pour grands bâtiments pré-assemblés qui
moi, c’est 100, pour mon ami c’est ont été installés depuis ce matin sur
150 à 200. D’accord, j’irai postuler à un terrain défriché dans le bois. Là,
la préfecture ! Après une longue at- 3 habitations sont en train d’être
tente, 10 000 manifestants sont pas- construites. Au son de la battucada,
sés devant nous, au bas mot, nous une vraie ruche s’affaire : qui dé-
décidons de repartir, et nous appre- cloue des palettes, qui assemble une
nons que nous avons vu moins de la charpente, d’autres installent des
moitié du cortège. La manifestation fondations en pilotis ou sur pneus. Il
est un succès énorme, bien au-delà y a de la gaieté, de l’efficacité, une
des espérances initiales des organisa- formidable impression de puissance
teurs eux-mêmes, nous sommes et de désir de vivre me prend alors
ravis. que j’observe ce spectacle.
La soirée sera courte pour moi : de-
bout toute la journée, je suis couché
à 10 heures du soir ! Dimanche ma-
tin a lieu l’Assemblée Générale des
manifestant-e-s encore présent-e-s.
Les collectifs locaux se présentent :
beaucoup d’énergie et d’idées inno-
vantes se manifestent au cours de
cette réunion autogérée.
Ces résistant-e-s ont fait la preuve de
leur détermination et de leur capacité
d’organisation et de mobilisation :
gageons que ces constructions reste-
ront là pour un moment et que les
bétonneurs vont se faire des cheveux
blancs !
Pierre-Emmanuel Chaput
(photos pp 37-39 P.-E. Chaput)
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Expulsions dans la Forêt de Rohanne.


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Forêt de Rohanne : c’est loin d’être fini !
1er décembre 2012
Forêt de Rohanne, centre ZAD. Des de nouvelles plateformes, une ma-
gens vivaient la plutôt tranquillement gnifique cabane au sol, un filet en
depuis deux ans, dans une grande hauteur et de nombreux ponts de
maison communale et des cabanes singe mais aussi une nouvelle as-
dispersées dans les arbres. La police surance partagée qu’il y avait l’éner-
vint et détruisit la maison le 18 oc- gie et le désir de défendre non
tobre 2012, çà parait déja loin. Une seulement cette forêt mais la ZAD
nouvelle maison communale a été toute entière. Je trouve profondé-
construite en hauteur dans les arbres. ment motivant qu’autant de gens
Les flics sont venus avec des grim- mettent leur énergie et leur talent
peurs et ont détruit toutes les mai- dans la construction malgré les
sons dans les arbres, la maison risques importants. Au matin du jeu-
communale comprise, entre le 30 et di 23 novembre la police est venue
le 31 octobre. Une nouvelle maison pour expulser les gens de la forêt
communale a alors été construite. pour la cinquième fois, mais pour la
Les flics sont revenus le 5 novembre première fois sans succès. C’est dur
et ont également détruite celle là. de dire exactement combien de gens
sont venus pour rester, de la boue
Là, les choses ont commencé à de- jusqu’aux genoux, toute la journée,
venir intéressante. en face des bulldozers, à bloquer le
passage. En tout cas plus de gens
Nous avions besoin d’aide et avons qu’il n’y en avait jamais eu dans la
fait un appel à ce que des gens forêt. Des centaines de personnes,
viennent et nous aident à réoccuper venues de près ou de loin, sont res-
dans la semaine suivant la manif de tées fermes faces aux machines,
réoccupation du 17 novembre, nous chantant et riant face aux lignes si-
avons presque été dépassé par la ré- nistres de flics. Juste avant la tom-
ponse. Une incroyable énergie col- bée de la nuit les machines ont fait
lective a bourdonné dans la forêt et demi tour et sont parties, sans avoir
le groupe qui occupait la forêt a au touché les maisons.
moins été multiplié par quatre.
Construction de plateformes, ap- Bien sur l’histoire ne s’arrête pas là.
prentissage des noeuds ou atelier Le jour suivant, le dimanche 24 no-
grimpe, cuisine, construction au sol, vembre, la police fourmillait dans la
récolte de bois pour le feu, transport forêt dès l’aube, formant des lignes
de matériel, tri de matériel de apparemment infinies de gendarmes
grimpe ou juste prendre un thé en- mobiles suréquipés, casqués, dans la
semble... il y avait toujours plein de forêt paisible. Cette fois les ma-
gens merveilleux remplissant la forêt chines et les grimpeurs sont entrés et
d’une toute nouvelle vie. A partir de ont détruit toutes les maisons, ca-
jeudi, non seulement il y avait plein banes dans les arbres, plateformes et
42
structures qui avaient été construites. nades, de violence et de charges po-
Ils ont pris chaque planche, casserole licières, en plus de l’habituel boue,
et poêle et sont partis avec. Comme pluie et froid, ce serait une insulte
lors des expulsions précédentes ils d’abandonner maintenant. Re-
ont été violents, agressifs et extrême- construisons et continuons jusqu’à ce
ment dangereux. Leurs machines se qu’il soit assez clair combien il est
sont écrasées sur des arbres où il y inutile d’envoyer les équipes de
avait des gens en hauteur dans les grimpeur détruire nos cabanes
branches et à nouveau ils n’ont pas chaque semaine. C’est déjà ridicule.
paru concerné par notre sécurité, Couvrir la zone des détritus de près
voir par la leur. Cependant cette ex- de deux cent cartouches de grenades
pulsion avait une différence signifi- lacrymos, blesser au moins vingt
cative et éclatante avec les personnes, mettre la vie de gens en
précédentes. De la même manière danger dans les arbres, avoir envoyé
qu’il y a plus de gens en hauteur d’innombrables grenades assourdis-
dans les arbres et sur les ponts de santes... tout çà pour détruire des
singe, le nombre de soutiens au sol cabanes que l’on peut reconstruire en
était élevé et constant. Malgré les moins d’une semaine. Nous n’allons
pires cas de violence policières de- pas nous laisser virer comme çà.
puis le début des expulsions, malgré C’est loin d’être fini.
les grenades assourdissantes toutes
les cinq minutes, malgré un nuage
permanent et épais de gaz lacrymos,
malgré de nombreuses charges poli-
cières essayant de sortir les gens de
la forêt... des centaines et des cen-
taines de manifestantES se sont
uniEs et sont restéEs dans la forêt
boueuse. Des centaines de gens
étaient encore en train de chanter et
une samba continuait à jouer,
lorsque bien après la nuit tombée la
police finit par sortir de la forêt.
Alors qu’ils se repliaient les lâches se
sont permis d’inonder à nouveau la
forêt avec tellement de gaz que ça
m’étonnerait vraiment de revoir une
salamandre dans le coin un jour. Je
ne sais pas vraiment quelle sera la
prochaine étape mais reconstruire ou
pas ne se questionne pas. Après que
des centaines de personnes se soit
prouvé avoir l’énergie, la force et la
passion suffisante pour survivre à
deux jours de gaz lacrymos, de gre- Cabane collective de la forêt.
43
Après un baptême au lacrymo, ma nouvelle profession de foi
On lâche rien !
23 novembre : expulsion du Rosier, attaque de la Châtaigne et de la Forêt de
Rohanne. 24 novembre : nouvelles expulsions à la Forêt de Rohanne.
J’ai senti pour la première fois lieux de vie. Les gendarmes tiraient
l’odeur des gaz lacrymogènes samedi des grenades lacrymo, sans que
dernier, le 24 novembre. j’arrive à comprendre pourquoi, je
ne voyais aucune agression de la
Dans la forêt de Rohanne, un cordon part des manifestants. La fumée
de gardes mobiles entouraient les piquait, mais au début aucune n’est
pelleteuses pour leur permettre de tombée près de moi.
détruire les cabanes dans les arbres
sans que les citoyens ne puissent s’y A un endroit, des gendarmes
opposer. J’étais contente et semblaient plus ouverts et blaguaient
impressionnée de voir les gens dans avec nous, c’était bien de voir qu’ils
les arbres, là depuis la veille pour souriaient aussi, qu’ils redevenaient
empêcher la destruction de leurs humains pour quelques instants
avant de se replier derrière leur
armure pour ne laisser voir qu’une
froide implacabilité.
D’autres bombes ont explosé, une a
atterri tout près de moi. Je pleurais,
ça piquait fort, mais j’étais surtout
sous le choc. Quand j’ai pu quitter le
nuage de fumée, sonnée, des
camarades m’ont nettoyé les yeux,
l’un d’eux m’a demandé si c’était
mon baptême -oui- et m’a embrassée
pour me réconforter. Les gendarmes
étaient à cinq mètres, impassibles. Je
pleurais toujours mais ça ne brûlait
plus, je suis allée leur parler, leur
dire que j’étais contente d’être là
malgré tout, que je savais pourquoi
j’étais présente et que j’étais fière, du
haut de mes dix huit ans, de dire
« non » à ce qui se passait. Je leur ai
dit que je ne comprenais pas
pourquoi eux avaient choisi ce
métier, qu’ils devaient se sentir mal
Cartouche de lacrymo.
44
après avoir grenadé des gens J’ai aussi vu plusieurs personnes
innocents, comment peuvent ils blessées, avec des bleus énormes ou
accepter ce métier ? Savaient ils ce des éclats métalliques de bombe
qu’ils participaient à détruire, au enfoncés dans les jambes, d’autres
service de quoi et de qui ils étaient qui boitaient. Et dire que c’est soi-
utilisés ? Ils ne me répondirent pas, disant légal ! Moi, naïve, je croyais
ceux-là ne disaient rien ; mais ils me que les gendarmes étaient au service
regardaient. Je crus voir de la de la population, mais en fait ils ne
compassion, du mal-être, de la servent que les intérêts de l'État. Le
tristesse mal camouflée dans leur lendemain, on a ramassé les déchets
yeux. Je suis retournée avec ceux qui dans la forêt : plusieurs cageots de
m’avaient réconfortée, qui grenades lacrymos ont été réunis, et
m’accueillirent d’un sourire beaucoup d’autres déchets, des
approbateur. De loin, je continuai à bouteilles cassées, les restes de
regarder les gendarmes silencieux et nourriture des bleus...
recommençai à pleurer de leur
faiblesse et de leur incapacité à Si je devais dire les émotions que j’ai
refuser la violence que, parce qu’ils ressenties ce jour-là, elles étaient
sont humains, ils ne désirent pas au nombreuses : la fierté de participer à
fond d’eux. Je pleurais leur carapace cette lutte ; l’indignation devant les
qui les empêchait de montrer ce qui violences de l’armée ; l’admiration
fait qu’ils sont humains et pas an voyant l’énergie que peuvent
animaux : leurs émotions. Pour ça je déployer les Hommes qui se battent
suis fière de pleurer, et quelque part pour leurs valeurs ; la colère d’être
je me sentais bien plus forte qu’eux impuissante face à un casqué, et en
par ma capacité à sentir, à réagir, à même temps la détermination
dire non. Je leur souhaite d’être farouche de ne rien lâcher et
suffisamment forts pour oser poser d’apporter ma pierre à l’édifice ; la
les armes si un matin ils n’ont pas tristesse, la compassion pour tous
envie d’aller cogner les gens et ceux qui souffrent, les blessés mais
couvrir des destructions. La journée aussi les gardes mobiles qui doivent
à été longue encore ; dans le champ aussi souffrir cachés derrière leurs
d’à côté, où étaient l’équipe médicale armures ; l'écœurement et la rage
et les repas, les gendarmes sont face aux injustices commises par
venus lancer des lacrymos et bombes l'État et Vinci ; l’émerveillement de
assourdissantes. Ils n’ont pas arrêté la solidarité entre nous, et la foi en la
de charger et de blesser les gens, les force que donne l’union.
explosions s’enchaînaient. Le soir je
revoyais dans ma tête les lignes de Merci aux Camilles d’être là et de se
gendarmes, dans la forêt, éclairés par battre.
un rayon de soleil qui perçait le
brouillard des gaz. Ce sont des Une Camille
visions qui semblent tirées d’un
film...
45
De la barricade considérée comme un des beaux-arts
Le spectacle valait le coup samedi Ah ! il fallait voir le peuple des prés
24 novembre en forêt de Rohanne, défendant par sa présence aux
où la résistance collective a atteint abords des bois les combattants ca-
des sommets d’intensité, de détermi- goules contraints d’en sortir pour se
nation, de cohérence. Bouteilles, replier, avides d’air pur, d’anonymat,
cailloux, terre, fusées, feux d’arti- de convivialité. Comme il fallait être
fices, cocktails Molotov, morceaux avec cette foule de gens aux visages
de bois et billes d’acier… les flics, découverts dansant au plus près des
c’est comme les cochons : ça mange lignes, au point d’en bousculer les
de tout. Tant mieux : deux jours du- flics, et applaudir les Irréguliers les
rant les opposants répartis sur la protégeant à leur tour à coups de
ZAD leur ont offert un menu varié pierres et de branches contre la fli-
et copieux, le « spécial Notre-Dame- caille en panique (rendez-vous
des-Landes ». Certes, les bleus ne compte : un cercle de braves chan-
sont pas exempts de cette générosité tant bras dessus et bras dessous une
qui leur est si particulière : ils distri- ridée), après qu’elle les eut gazés. A
buent dans des proportions effarantes un moment un commando de
gaz lacrymogènes, grenades assour- condés suréquipés a essayé de
dissantes et balles en caoutchouc, ce contourner l’énorme souche renver-
qui peut finir par devenir gênant ; lors sée derrière le monticule d’humus de
d’une de ces séquences de guérilla bo- laquelle s’étaient retranchés nombre
cagère de légende où cela pète dans de camarades, afin de les déloger de
tous les sens, je me suis fait allumer au ce bastion imprenable d’où partaient
flash-ball, sans conséquence. nombre d’attaques. Dans ces bos-
46
quets denses et humides, le mouve- Il leur aura fallu 12 heures pour
ment des poulets était rendu d’autant déloger les opposants installés dans
plus difficile que derrière chaque la canopée, abattre dix arbres et
arbre, tapis aux abords du fossé tous détruire une cabane. Mes amis, en
les copains se sont figés, projectiles vérité je vous le dis : nous sommes
à la main prêts à tirer. Sur nos ar- légion, quoiqu’ils saccagent, on le
rières vinrent les pétroleuses, avec reconstruira. Quant aux arbres, il en
des sacs de pierres à distribuer : sou- reste des milliers. Deux jours aupa-
dain des dizaines d’âmes vaillantes ravant, j’étais en compagnie d’un
étaient équipées d’un moyen de dé- ami accordéoniste avec qui, perché
fense, et toutes étaient tendues vers sur une barricade du chemin de
un seul objectif : empêcher les Suez, je dégustais un verre de
cognes de progresser. Le temps s’est muscadet, non loin du Rosier. Nous
suspendu… Personne n’en menait devisions sur l’art, sur l’improvisa-
large, mais que nous avions du cou- tion, sur la beauté, et il nous est
rage ! Et que nous étions beaux, tous apparu que, quel que soit notre rôle
ensemble à les mettre au défi de pas- dans la vie, il est vital de cultiver sa
ser ! Ainsi, en bute au harcèlement singularité. Dès lors, lutter à Notre-
des premières lignes de tireurs, cou- Dame-des-Landes c’est offrir à tous
vertes par la seconde et la troisième l’espoir, la force, le courage de vivre
de caillasseurs, morbleu ! ils n’y sont un rêve.
pas arrivés.
Car c’est un rêve, et il n’en finit plus
de s’épanouir.
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Opposants aux vieilleries du futur
5 décembre 2012
Les haies si fleuries de ces belles vallées cachaient alors d'invisibles agres-
seurs. Chaque champ était alors une forteresse, chaque arbre méditait un
piège, chaque vieux tronc de saule creux gardait un stratagème. Le lieu du
combat était partout.
Balzac, Les Chouans.
On nous appelle les opposants au futur Nous ne chérissons pas unanime-
aéroport de Nantes, mais il faut bien ment ces landes hostiles, ce que
reconnaître que, quand nous aurons nous aimons en tout cas, c'est
gagné cette partie, « le futur » entre- qu'elles le sont aussi à la valorisation
temps se sera modifié. L'intervalle de universelle. Nous entendons qu'elles
la lutte ne l'aura pas laissé intact. le restent. Ce n'est pas le projet d'aé-
roport qui est inutile, il est très cer-
A chaque lutte s'ouvre une faille tainement, du point de vue
spatio-temporelle que nous ne vou- moderne-démocratique, éminem-
lons pas voir refermer : c'est là que ment utile, au contraire. Ce sont ces
nous voulons vivre. Dans le calme landes et ces marécages qui sont in-
enchanté qui loge au cœur de la tem- utiles, et tant mieux. Il faut se battre
pête. Sans doute parce que partout pour les broussailles, les taillis, les
ailleurs l'air est irrespirable. Façon bordures, les fourrés, les restes, les
de parler, car on ne vit pas seule- marges inextricables, tout ce qui
ment d'oxygène, comme ne l'ont pas échappe à l'aménagement, à l'enca-
compris les écolos. On se nourrit du sernement du territoire et au jardin à
combat. la française, avec ou sans béton. Un
futur en forme d'aéroport vaut bien
Quelque chose s'est ouvert, où nous un futur en forme de parc naturel.
nous engouffrons sans parapluie, Seul ce qui ne sert à rien et ne pour-
avec armes et bagages. Filer un coup ra rien valoir requiert immédiate-
de main, construire là où ils vou- ment qu'on se batte pour lui, et avec
draient détruire, détruire là où ils lui. Car il est l'irrécupérable, et nous
voudraient construire. Il n'y a que rappelle à l'existence de l'irrécupé-
derrière les barricades qu'on se pré- rable. Tout le reste, la totalité valori-
munit de cette maudite pluie. Ce sable, est déjà foutue, en tant que
sont ces heures de combat, saturées telle. Tandis que cette constellation,
de gaz et d'essence, qui rendent cette encore visible d'ici, n'a jamais rien
petite pomme ridée à ce qu'elle est: rapporté, sinon de mauvais vers.
une bénédiction, putain! Seul le tra- Tandis que les champignons persé-
cé de la lutte justifie qu'on patauge vèrent dans leur poussée énigma-
ainsi dans la boue visqueuse. Hors tique et magique.
de ce sillon, faut croire qu'elle nous
avalerait!
48
Considérons la ZAD comme une d'habiter. De partir de ce qui relie et
constellation, ou comme un champi- jette des ponts insoupçonnés, de
gnon vénéneux pour eux, psycho- partir de ce qui nous parle, de la
trope pour nous. Battons-nous, une multiplicité des usages, et jamais de
certitude suffit: l'Empire ne parvien- « l'environnement ». Ainsi s'est po-
dra jamais à abolir complètement le sée la question de devoir abattre 50
clair de lune dans le brouillard. Et arbres pour en sauver 50 000.
arrêtons avec ces catégories pu- Question qui tient aussi peu de la
bliques d'utilité et d'inutilité, catégo- morale que celle de savoir si le bois
ries de vendus. Songeons au sec est préférable au vert pour
contraire à ce qui nous rend plus allumer un feu. Question, parmi cent
forts à leur encontre, songeons à les autres, qui rappelle l'intrication des
perforer. points de vue de l'habitant et du
combattant, et l'erreur que serait de
Comment rester irrécupérables vouloir les séparer.
parmi l'irrécupérable ? Le mauvais
réflexe environnementaliste consiste- Chacun du reste s'en rend compte,
rait à vouloir conserver, préserver, dès qu'il pose un pied ici : ici, on ne
sauvegarder un territoire, le veiller sait plus très bien ce qui est abri, ce
comme on veille les morts. Quand il qui est outil, ce qui est arme, ce qui
s'agit simplement de se battre et est bectance, ce qui est musique. –

Barricade au Moulin de Rohanne.


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Qu'est-ce qu'un tracteur ? tive ? Et de quel définitif parle-t-on
alors ? Oasis alternative ? Ou véri-
On ne se bat pas contre le futur, table plaque tournante, haie touffue
mais sûrement contre cette idée, uto- dans la construction du mouvement
pie en marche, qu'il n'y en aurait révolutionnaire européen ?... Quoi
qu'un. qu'il en soit, c'est la menace d'une
réversibilité constante entre lieu de
On se bat contre tous ceux pour qui vie et lieu de lutte, entre habiter et
LE futur existe. Ils misent sur des combattre, qui explique l'emporte-
milliards de possibles, lancent ou ment et le manque de self-control au
collaborent à une myriade de projets Ministère de l'Intérieur. Là grandit
qui, par-delà des intérêts divergents, leur péril, là ce qui nous sauve.
finissent toujours par s'accorder
entre eux, et composer une même Malgré ça, pour toute une frange du
image: celle de l'Enfer. Des projets mouvement, ce qui suit reste dur à
de raclure. Car il faut bien en être un admettre: aller jusqu'au bout, c'est
pour aller à Notre-Dame-des-Landes, transpercer le cadre démocratique.
prendre un air styliste inspiré, et se Où tout peut se défendre à condition
dire: « Tiens, et pourquoi pas un aé- de demeurer une opinion, un
roport, ici ?… C'est possible, j'aime/j'aime pas, à condition de res-
non ?… Un kyste splendide !… ter parqué dans l'inoffensif. Gueuler
What else ?…». Comme il faut en un bon coup, et savoir courber
être une belle, de raclure qui ne fait l'échine en temps voulu, telle est la
que son travail, pour radiner ici avec règle démocratique. Mais ce n'est
sa pelleteuse. pas là notre idée de la vie. Nous ne
voulons pas « faire la loi », comme
On se bat pour une inlassable modi- ont pu nous le reprocher certains pa-
fication du futur, un inlassable bou- cifistes qui tenaient et s'obstinaient à
leversement. Une fois extrait cet pique-niquer dominicalement auprès
aéroport, petite tumeur impériale, le des forces de gendarmerie pendant
futur homogène et verrouillé que l'émeute. Nous voulons défaire la loi.
projettent tous les projets du monde, Tôt ou tard les démocrates finissent
le futur présente une micro-fissure, par dire : force doit rester à la loi.
et c'est justement ce que nous vou- Nous, nous voulons rendre la force
lons: fissurer ce qu'ils lissent et po- aux communs, à l'amitié, tout le
lissent, et entrer par effraction. Tout pouvoir aux communes. Voilà ce
le monde le sait: l'opposition à un qu'ils ne pardonneront pas.
projet de plus n'est que le côté pile.
De notre côté, nous ne pardonnerons
Le côté face, c'est la grande incon- pas les blessures et incarcérations
nue: la question du devenir de la déjà infligées à nos camarades.
ZAD. Le sens du sigle est d'ores et
déjà l'enjeu d'une bataille. Zone [NdE : des insultes sexistes que contenait
d'aménagement différé ? Zone à dé- ce chouette texte ont été remplacées]
fendre ? Zone d'autonomie défini-
50
Par rapport aux blessés des 23 et 24 novembre
Pour le 23 novembre, 11 blessures Blessés du 24 novembre
par flash-ball, au thorax, à la joue, à
la lèvre supérieure (avec probable • 1 blessure par grenade
lésion dentaire), aux doigts, à la assourdissante avec débris dans
cuisse, aux côtes (avec doute sur une un doigt ;
possible fracture), au genou ; • 1 fracture de cheville ;
• 1 blessure à la main ;
• 3 traumatismes de genoux ; • 1 impact de flashball au thorax
• 2 traumatismes de poignets ; avec suspicion de fracture de
• 1 plaie tympanique ; côte et lésion pulmonaire.
• 1 personne choquée par les gaz
• 1 plaie au crâne suturée par 2 Ce constat n’est qu’une faible partie
points ; de ce qui s’est passé pendant ces
• 1 plaie au crâne suturée par 15 deux jours. [...] Environ 100
points ; personnes ont été blessées par la
• 6 blessures par explosion de police de Valls
grenades assourdissantes, dont 3
impacts dans les cuisses de 3
personnes, 1 impact dans un
avant-bras, 1 dans la malléole, 10
dans les jambes d’1 personne, 10
dans les jambes d’une autre, avec
probable lésion du nerf sciatique,
1 impact dans l’aine d’1 personne
avec suspicion d’un corps
étranger près de l’artère fémorale.
Ces blessures se sont accompagnées
de débris en métal ou en plastique
dur et coupant, d’une taille de 0,5 à
1cm de diamètre, profondément
pénétrés dans les chairs, au risque de
léser artères, nerfs ou organes vitaux.
Tous n’ont pas été retirés. Certains
blessés ont été retardés, sur la route
de l’hôpital, par les barrages de
police. Le médecin juge cette
dernière attitude « inadmissible ».
Blessure par une crenade assourdissante
51
Tel est pris qui presse écrite
6 décembre 2012
Arrivé à Nantes, je me dirige alors n’importe quel amoureux des beaux
vers Notre-Dame-des-Landes […]. endroits. Je continue ma balade ma-
tinal. C’est au détour d’un chemin
Vers vingt heures, j’arrive à la Va- que je croise une pancarte qui me
cherie. Lieu convivial ou viennent se rappelle ce qui va se passer ici. Avec
reposer les plus fatigués. Ce lieu des mots rudes tels que « béton »,
permet également de stocker des vê- « avion », « parking » je me souviens
tements, de la nourriture, des médi- que tout est amené à être rasé, que
caments… Il y a aussi une cantine l’air frais sera remplacé par des
qui fournit en permanence des repas odeurs des carburants, des plateaux
chauds (délicieux au passage). Dès repas, des annonces d’horaires de
mon arrivée, on me propose un café vol.
et du tabac. On prend le temps de
m’expliquer la géographie du lieu, Je vais à la rencontre des personnes
les endroits où je peux dormir, bref, qui construisent les cabanes. Sur
au bout d’un quart d’heure je suis place, des créteux, des agriculteurs,
briffé. Je reprends mon sac et décide des draideux, des militants poli-
de faire le tour du « propriétaire ». tiques, des habitants.
Au fur et à mesure de ma visite, bien
qu’il fasse nuit, je ne peux que me Ici on apprend. Faire une charpente
rendre compte de la vie qui règne avec du bois de récupération c’est
sur le site, partout des gens, qui tout un art. Faire du torchis aussi.
construisent, rigolent, chantent, or- Durant deux jours je regarde les
ganisent, aménagent. Certains sont constructions s’avancer, on apprend
frais et dispos, d’autres sont usés et aussi à reconnaître les plantes, on
fatigués. Certains sont propres, apprend à se soigner autrement, à
d’autres sont des blocs de boue. Il se vivre ensemble, à avoir une bonne
fait tard, je vais me coucher. fatigue. Les gens qui occupent le fu-
tur site de l’aéroport savent se
Je crois que c’est le lendemain que je prendre en main, cultiver, fabriquer,
réalise la beauté du lieu. A l’aurore, vivre, partager, je n’ai pas vue de cli-
sur un levé du jour humide et timide, chés, les baba-cool fainéants
de beaux champs s’offrent à moi, le n’existent pas, les extrême-gauchistes
sol est composé d’une terre glaiseuse non plus, les agriculteurs chauvins
tantôt jaune ou verte qui sous un so- ne sont qu’une légende. Je n’y ai vu
leil ras offre des couleurs magni- que des gens déterminés à vivre au-
fiques, la forêt, quant à elle, semble trement, et ils le font ! En total ac-
inviter à la promenade et celui qui cord avec leurs idées respectives,
s’y aventure pourra découvrir une chacun et chacune y trouve sont
diversité d’oiseaux, de reptiles, de li- compte.
chens, de champignons à faire pâlir
52
Un soir la police accentue les cont- pires choses, sans réfléchir. Ce qu’ils
rôles à l’entrée du site, pose des font n’a pas de sens ! Comment pré-
herses sur le sol pour empêcher les tendent-ils nous protéger alors qu’ils
voitures de passer avec du matériel. nous frappent ? Sérieusement, moi
Plusieurs habitants décident alors de je me remettrais en cause. Je serais
réagir. Il faut que les gendarmes ravi de discuter avec eux mais j’ai
quittent leur point de contrôle. Un plus en plus de mal à les considérer
fossé bête et méchant sépare ce qui comme des êtres humains aptes à
se passe sur le site de la mission des raisonner. Quant à François hol-
forces de l’ordre. D’un coté une vie, lande, je ne vois pas ce qu’il y a de
de l’autre un ordre. C’est alors socialiste dans sa politique. Comme
qu’une centaine de personnes le parti communiste d’ailleurs, eux
caillasse et charge les gendarmes qui aussi soutiennent le projet de l’aéro-
n’ont d’autres choix que de reculer. port. Ce sont des traitres… »
Sans haine, mais avec fermeté, le
carrefour est libéré. Ceux qui ne sont Je dois déjà repartir, assez étonné de
pas d’accord avec ce mode d’action ce que j’ai pu voir sur place, à mille
« radical » le font savoir, mais res- lieux de ce que je pouvais imaginer.
tent solidaire. On est bien loin des Je suis arrivé en tant que journaliste
manifs lycéennes ou la moindre ac- rempli de préjuger, je repars avec un
tion qui n’est pas partagée par tous gout bizarre dans la bouche et une
crée le cliché du « bon » et du folle envie de revenir, mais sans
« mauvais » manifestant. Après crayon ni calepin, et encore moins
l’échauffourée, la route est nettoyée avec un appareil photo. Au passage
par les activistes pour permettre aux je devais prendre des photos pour
riverains de passer. Tout le monde se illustrer mon article, je les ai regar-
rentre, demain il faut continuer de dées en rentrant, ce n’était pas des
construire. photos de presse, c’était des photos
souvenirs de gens qui sourient, qui
Le lendemain, je discute avec un agri- construisent, bref, des photos de
culteur des événements de la veille : potes.
« Tu sais, avec ce que la police et la A tout les journalistes qui continuent
gendarmerie nous on fait, devenir un à écrire de loin, sans forcément sa-
peu plus radical est dans l’ordre des voir vraiment ce qui se passe, allez
choses, je crois que même le plus donc passer un peu de temps sur
pacifiste d’entre nous peut facilement place, touchez du doigt la créativité
avoir envie de se défendre. Je me du lieu, rencontrez ces gens soit di-
suis fais gazer l’autre coup, ça fait sant « dangereux », je vous mets au
mal ! On est chez nous ici. (…) Je défis de faire votre papier sans avoir
déteste pas les flics, c’est juste chaud au cœur, sans prendre parti, et
qu’entre la légitimité d’une lutte et la sans avoir envie de revenir.
légalité il y a un fossé qui n’est pas
reconnu, et eux, avec nos impôts Désormais, moi aussi, je ne lâcherai
comme salaire, ils se permettent les rien.
53
C’est vous les morts !
Ou pourquoi on a déjà beaucoup gagné
8 décembre 2012
Je fais partie de ces personnes pour Même si, j’en conviens, la symbo-
qui le fait que ce projet soit un aéro- lique de l’aéroport permet une
port a très peu d’importance, ce n’est convergence, des communs qui au-
pas ce qui m’a fait rester vivre sur la raient surement été moins présents
Zone A Défendre. C’est une lutte avec la construction d’une prison..
contre le système dans lequel l’aéro-
port s’inscrit, ca aurait pu être la Ce qui m’a fait resté c’est cette am-
construction d’une centrale nu- biance, cette expérimentation
cléaire, d’une prison ou d’une auto- d’autres modes de vie, d’autres types
route, je serais resté quand même. de relation inter-individuelles, c’est
54
tout ce que l’on y apprend sans pas- la richesse des rencontres avec
ser par les institutions : le maraî- toutes sortes de gens du paysans lo-
chage, la construction et j’en passe, la cal au punk irlandais, la démocrati-
liste est longue… sation de l’action directe, et le fait de
contribuer à ce petit vivier expé-
C’est parce que sur la ZAD, le quoti- rimental qui s’aligne moins à la paci-
dien était un mélange de pratiques fication sociale ambiante et cher à
alternatives, de connaissances pour notre petit pays depuis les émeutes
l’autonomie au sens large, d’expé- de 2005.
rimentation d’autres modes d’organi-
sation et d’action directe. Ce qui m’a Car tout ca serait transposé ailleurs
permis d’être plus en harmonie avec par les allers-retours ou voyages car
mes idées politiques, de réduire le c’est gravé dans la tête, dans le cœur,
fossé entre théorie et pratique et c’est vécu et indestructible. Je ra-
donc d’en minimiser mes contradic- conte cette anecdote car aujourd’hui
tions personnelles. encore j’ai envie de voir autrement
que par l’équation victoire = arrêt et
Pour préciser avant la médiatisation défaite = réalisation. Et c’est dès que
et le large soutien qui sont apparus l’on sort de ce rapport que le combat
avec les expulsions et que l’on espe- non pas contre l’aéroport mais contre
rait pas de cette ampleur, il m’est ar- le système dans lequel il s’inscrit,
rivé de me dire que peu importe si s’illustre. C’est aujourd’hui tout ce qui
ce projet se faisait que ce qui comp- donne cette ampleur, tout ce qu’il se
tait c’étaient toutes ces connexions passe et que je trouve formidable.
faites avec d’autres luttes, tous ce
que l’on a appris et vécus entres « ré- La répression a donné la médiatisa-
sident-e-s » et aussi avec toutes ces tion qui a participé a augmenté l’am-
personnes venues 2 jours ou 2 mois, pleur de la mobilisation, elle a initié
55
un réveil de plus en plus grand dans mocratie française et qui se rendent
le sommeil pacifié... chacun-e-s compte que rose ou bleu la matraque
voyant l’illogisme de ce projet ou est la même et que les Roms et les
plutôt la logique induite. sans paps sont expulsés et enfermés
de la même manière. C’est aussi
Dès le début des expulsions, des toutes ces personnes qui consternées
milliers de personnes sont venues disent qu’elles ne voteront plus
apporter directement en solidarité et jamais et ou qui ont brulés, déchi-
en supprimant ainsi tout les intermé- rés,renvoyés aux décideurs leur
diaires nourritures, argent, matériel cartes d’adhérent-e-s ou leur cartes
non pas a l’appel de quelconques as- électorales. La victoire c’est toutes
sociations ou partis mais à l’appel du ces personnes pacifistes et non vio-
cœur par sympathie ou rage..et ca lentes convaincues qui avaient du
c’est une victoire. mal à accepter d’autres modes d’ac-
tions et qui aujourd’hui après avoir
Des centaines de personnes de goûté aux lacrymos, vu de leurs
toutes sortes sont venues nous aider yeux ce qu’était la répression et d’où
à faire et a tenir barricades, à creuser venait la violence cautionne (et/ou
les routes. Des jeunes et des vie-ux- pratique) maintenant d’autres modes
illes brisant ainsi les rapports d’actions et ne considère plus
standardisés de dé-radicalisation des comme violent le fait de s’attaquer a
mentalités et des pratiques avec des pelleteuses (voir à des flics sur-
l’age..vous savez par exemple ce armés). Et cela de fait et non pas
fameux : « maintenant j’ai 40 ans, initié par une quelconque propa-
c’est normal a ton âge j’étais enragé gande ou prêche institutionnaliste.
aussi ». Et ça c’est une victoire ! […]
La victoire c’est aussi toutes ces per-
C’est tous ces citoyen-e-s écolos mo- sonnes qui n’avaient jamais vécu de
dèles qui trient leur déchets et telle situation, qui ne savaient pas
coupent l’eau pour se brosser les trop comment aider une fois sur
dents qui se rendent aujourd’hui place et qui ont trouvé leur place en
compte de l’hypocrisie de l’écoci- bloquant de façon pacifiste ou non
toyennisme à la sauce étatique et que les engins de chantier ou en faisant
ses seuls buts sont de faire de la chier un barrage de flics et qui sont
thunes et nous faire sentir personnel- reparties se sentant renforcées avec
lement responsable par nos actes le sentiment d’avoir apporter une
quotidiens de l’état de la planète plu- pierre à l’édifice et avec une énergie
tôt de regarder et remettre en cause et une motivation nouvelle. C’est de
le sysème productiviste qui nous a voir et d’entendre sur place ou
amené là. Et ca c’est une victoire ! ailleurs, dans les messages de soli-
darités sur internet que leur stratégie
La victoire c’est aussi, toutes ces per- de division médiatico-policière entre
sonnes qui ont voté socialiste (ou violent-e-s anarchistes étranger-e-s
autre) et qui voient aujourd’hui avec et opposant-e-s historiques ne
la répression le vrai visage de la dé- marchent pas et a même les effets
56
inverses que ceux escomptés. […] la mobilisation s’élargira et plus elle
se renforcera mais si le pouvoir se
C’est aussi tous ces moments de par- décide à céder et renoncer ou mettre
tage lors des réouvertures festives de un moratoire sur le projet il montre-
maisons expulsées sachant qu’elles ra par la même un signe de faiblesse
seront détruites de toutes façons. qui pourrait renforcer la détermina-
C’est le renforcement des liens tion d’autres luttes car à NDDL la
existants et la nouvelle vague de so- lutte « aura payé ». Et à la fois un
lidarité faîte avec les paysans venus moratoire représente pour eux une
parfois de loin […]. chance qu’à moyen terme la pacifi-
cation revienne, que les gens re-
Le fait que des milliers de personnes prennent leurs petites vies, que la
participent dans plus de quarante lo- médiatisation et la mobilisation
calités à leurs manières et de façon s’estompent car le projet est gelé…
spontanée à exprimer leur soutien alors gardons bien en tête qu’un mo-
contribuant ainsi à nationaliser la ratoire sur ce projet ne serait qu’une
lutte est une victoire et surtout un victoire ponctuelle contre l’aéroport,
fait d’une ampleur jamais vue qui une petite claque au système capita-
donne de l’espoir pour la suite. La liste dans lesquels il s’inscrit mais
victoire c’est aussi que d’autres luttes qu’il nous faudra rester vigilant-e-s,
ailleurs se renforcent grâce à l’écho déterminé-e-s et profiter de cette
qu’a celle-ci et vice versa, et que la énergie et de toutes ces connexions
détermination et l’énergie de toutes pour lutter contre les autres projets :
ces personnes soit renforcée pour centrales nucléaires, LGV, prisons,
leurs combats ailleurs. Halkidiki gaz de schiste, incinérateurs... Conti-
(mine d’or en Grèce), Khimki (auto- nuons à nous battre pour un autre
routes en Russie), NO TAV (LGV choix de société que cette mascarade
Lyon/Turin) , ligne THT (Cotentin, démocratique totalitaire et sécuri-
Mayenne). C’est ce qui se joue ac- taire qui permet au système capita-
tuellement à NDDL et partout et qui liste de ce maintenir debout, ce
dépasse largement l’aéroport laisse système qui survit grâce à notre rési-
percevoir un élan nouveau et des gnation, ce système basé sur la do-
perspectives nouvelles. C’est ce qui mination : oppression des peuples,
fait qu’en quelques sortes on a déjà domination patriarcale, enferme-
beaucoup gagné. ment, contrôle du territoire, gentrifi-
cation, fichage commerciaux et
Le gouvernement est de mon point policier, impositions et gestion de
de vue dans une impasse : toutes les nos vies (alimentation, production
stratégies et méthodes employées d’énergie, salariat, types d’habitats,
n’ont fait qu’accroitre la médiatisa- aménagement du territoire…). On
tion et la mobilisation sur place et n’en veut pas !
partout en France, la répression sus-
cite émoi, indignation et ne fait que La lutte continue ! Que creve le
renforcer la détermination. Plus le pouvoir !
pouvoir continuera dans ce sens plus
57
Lettre de Cyril
Cyril a été emprisonné après avoir été attrapé par des flics en civil sur une
barricade et condamné à dix mois de prison dont cinq ferme.
Très chers camarades qui en ont besoin. Leur porte-feuille
est déjà bien plein de nos richesses.
le 19 décembre 2012 Qu’il laissent la terre de nos anciens
à leurs enfants, à nos enfants, à tous
Beaucoup d’émotion sort de votre ceux qui aiment notre belle nature ?
lettre. Je ne peux m’empêcher de Nous ne sommes pas des marginaux.
verser des larmes en la lisant. Ces Nous sommes tous différents, unies
mêmes larmes se transforment en pour la vie à celle de notre terre.
encre indélébile, de mes pensées Dans notre combat inégal pour le
sincères et profondes à votre égard. moment mais qui perdure depuis
Vous me manquez. Mais je reste moult générations, nous vaincrons.
fort. Pour vous et pour tous ceux qui
croient en cette cause et continuent Tenez bon camarades ! Je vous
la lutte à travers l’écriture aux quatre envoi à travers mes écrits toute ma
coins de la France. Quand nous force de vivre et j’ai de la réserve. Je
sommes reconnus et soutenus. Cela vous respecte tous camarades
fait maintenant 23 jours que je suis zadistes au cœur vaillant, militant de
séparé de notre Terre. Je n’ai toutes parts. Agriculteurs, merci car
toujours pas le droit de téléphoner, sans vous nous crèverions de faim
de voir ma famille, mes amis et vous ou de malbouffe. Séchons nos
tous camarades. Sans compter la larmes et restons unies, c’est ce qui
privation de liberté. Mais grace à nous fera gagner.
vous tous et vos nombreuses lettres
de soutien, les journées se passent. Ne nous laissons pas prendre au
Alors merci à tous. Je ne regrette piège de ce système si misérable.
rien quand c’est avec mon cœur que Nous valons mieux, force et courage
je milite et l’on ne peut me l’enlever. sont nos étendards. Ils n’auront pas
En enfermant ou en brutalisant des notre peau ni celle de la terre.
êtres humains ; se battant pour la
vie, la terre, la liberté. [...] [Pourquoi Tenez bon, je compte sur vous
cette] interdiction de séjour en Loire
Atlantique, ma terre natale. Pour une
durée de deux ans. Sous peine d'être
de nouveau emprisonné [...]. Est-ce
normal ? Ont-ils peur de nous ? Se
rendent-ils compte de leur erreur ?
Que cherchent-ils chez nous ? Il n’y
a pas d’argent à voler. Quand nous
on partage tout pour ceux et celles
58

La Gaité.
59
Contre l’aéroport mais pacifistes que ça !
En réponse à deux tribunes parues dans le journal « Le monde »
16 décembre 2012
La semaine dernière deux tribunes premier ministre ou président d’hon-
successives sont parues dans votre neur d’une association citoyenne,
journal1 . Elles sont le fait de « prési- ceux-ci semblent toujours estimer
dentes », « porte-paroles », élu.e.s que, quand bien même on viendrait
d’organisations et partis politiques. piétiner nos maisons et nos cultures,
Elles portent un point de vue qui il nous faudrait rester calmes et po-
paraît englober tout le mouvement lis. Mais l’Histoire ne s’écrit pas
d’opposition à l’aéroport de Notre seulement sous les projecteurs mé-
Dame des Landes. Elles ont en com- diatiques et dans les cénacles poli-
mun d’affirmer que le mouvement a tiques. Nous ne renoncerons pas à ce
toujours été non-violent, que l’hosti- qu’elle nous appartienne aussi.
lité face à la police était le fait d’in-
filtrés policiers, que la manifestation2 On peut se demander si la « non-
du 17 novembre était pacifique… violence » invoquée par certain.e.s
Quand on retrouve en quelques para- inclut aussi les barricades en feu et
graphes, les termes « non-violents » les projectiles lancés sur la police
et « pacifique » martelés à ce point, pour ralentir son avancée, les sabo-
on peut se dire que l’on a affaire à tages d’engins de chantier, et les
une opération de recadrage idéolo- marques laissées sur les
gique et en l'occurrence de réécriture permanences et bureaux de ceux qui
de notre histoire commune. nous attaquent. Ce « pacifisme »
parachuté serait alors sans doute
Pour nous qui partageons cette lutte, comparable à celui attribué en occi-
cette réécriture de l’histoire est pour dent aux « révolutions arabes » tan-
le coup violente. Nous ne pouvons dis que les rues du Caire ou de
laisser quelques tribuns et porte-pa- Tunis s’embrasaient.
roles auto-proclamés rayer d’un coup
de plume ce que nous avons vécu En attendant, il faut un sacré toupet,
ces dernières années. La complexité après un mois et demi d’expulsion et
de notre réalité, faites de long débats de résistance acharnée dont les
et de contradictions, de pratiques images ont été montrées en boucle
multiples mais aussi de liens qui se sur toutes les télés et journaux, pour
tissent, s’est encore intensifiée depuis claironner à tout va sur le « pari de
le 16 octobre et le début de la vague la non-violence ». Si nous ne nous
d’expulsion, appelée « opération Cé- étions pas défendu, de toutes ces
sar ». Nous savons que l’écriture de manières là aussi, il n’y aurait proba-
l’Histoire est généralement le privi- blement plus grand monde pour par-
lège des dominants. Qu’ils soient ler de la zad aujourd’hui, moins
60
encore pour y vivre. Mais cette réali- contexte de porter une attention par-
té là semble à ce point déranger les ticulière à ce que celles et ceux qui
habituels détenteurs de la bonne mo- ne le souhaitait pas puissent l’éviter.
rale militante, tellement pressé.e.s de Pour autant nous nous étions prépa-
se positionner, qu’ils et elles ne com- ré.e.s en amont aux possibilités de
prennent même pas qu’il est peut- barrages et à la nécessité d’auto-dé-
être encore un peu tôt pour gommer fense des manifestant.e.s en cas
les coups échangés. d’agression policière. Si certain.e.s
peuvent dire à posteriori que cette
Nous avons lancé, il y a plus d’un an, action collective a été « pacifique »
l’appel à une grande manifestation c’est bien parce que les forces de
de réoccupation en cas d’expulsion l’ordre ont choisi de s’effacer ce jour
et avons participé à son organisation là face à la force du mouvement.
jusqu’au bout, par le biais d’une as-
semblée ouverte réunissant jusqu’à Quelques jours plus tard, quand les
200 personnes. Nous pouvons af- troupes sont revenues pour expulser,
firmer ici qu’il ne s’est jamais agi de détruire et blesser - des centaines de
mettre en avant un défilé « paci- personnes de tous horizons ont
fique », mais bel et bien une action éprouvé côte à côte cette capacité
directe d’occupation en masse. Son d’auto-défense, avec des chants, des
objectif n’était certes pas l’affronte- sittings mais aussi des cailloux et des
ment et nous avions décidé dans ce bouteilles incendiaires. Tout.e.s

Barricade au Moulin de Rohanne.


61
celles et ceux qui ont partagé ces complexes pour rentrer dans les ca-
journées savent bien que cette diver- ricatures du pouvoir : « ultras »,
sité de réponse n’a pas été tant « gentil écolos », « opposants histo-
source de scissions et de séparations, riques », « jeunes zadistes »... Fort
mais bien plutôt de rencontres et de heureusement et malgré les4 tenta-
solidarités mutuelles. L’avenir de tives désespérées d’Auxiette ou de
cette lutte s’est écrit pendant ces mo- Lavernée5, les divisions posées en
ments là, et pas depuis un bureau. ces termes n’ont plus eu tellement de
prises sur les dynamiques de ces
Pour notre part, il ne nous viendrait dernières semaines. Quand des pay-
pas à l’esprit d’affirmer, que « le sans mettent en jeu leurs tracteurs et
mouvement pratique toutes les varié- les enchaînent auprès des barricades,
tés de (3) résistance, toujours vio- quand des trous sont creusés dans
lentes » . La réalité du mouvement les routes, quand la police est prise
c’est une multitude de personne qui en embuscade, il s’agit de se donner
font de la logistique, des repas, de la les moyens adéquats pour répondre
communication, des collages, des à la situation. Ce que nous voulons
dossier juridiques, des lance-pierres, mettre en avant, maintenant, ce ne
des pansements, des chansons, qui sont pas des mots magiques brandis
construisent des maisons, cultivent, en totems comme autant de brides
se couchent sur les routes ou y sur nos potentialités collectives, mais
courent masqués... Beaucoup d’entre une détermination commune à ce
nous partagent ces différentes que cet aéroport ne se fasse pas.
manières de se rapporter au mouve-
ment suivant les heures, les jours, les Quant aux profiteurs et aménageurs,
montées de colère, de joie ou les ré- nous ne nous faisons pas d’illusion
flexions tactiques.... Ce que nous vi- sur le fait qu’ils continuent d’impo-
vons sur le terrain, ce n’est pas une ser leurs projets par la force. À nous
nécessité de s’affirmer comme de faire en sorte que les concrétiser
violent ou non-violent, mais une vo- finisse par leur nuire plus que de les
lonté de dépasser ces catégories abandonner.
idéologiques et séparations neutrali-
santes. Nous sommes un peu trop Des résistant.e.s à l’opération César

1. « Notre-Dame-des-Landes : la démo- 2. Quelques citations parmi d’autres :


cratie en question » - 05.12.2012 Par « Les opposants dans leur diversité ont
Catherine Conan, Geneviève Lebouteux, multiplié les formes de contestation
Sylvie Thébaud, Françoise Verchère, mais sont toujours restés intransigeants
Pierre Giroire et Frank Meyer et sur le fait que la lutte contre ce projet
« Notre-Dame-des-Landes, un creuset doit être non-violente. », « (...) toutes les
pour les mouvements citoyens » – ruses de la répression ont été mises en
06.12.2012 - Par Susan George, prési- œuvre : (…) La manipulation en infil-
dente d’honneur d’Attac et Aurélie Trou- trant des éléments provocateurs pour
vé, coprésidente d’Attac pousser à l’affrontement avec les forces
62
de l’ordre ou à l’agressivité envers les 4. Jacques Auxiette président PS de la
journalistes », « Le pari de la non-vio- région Pays de Loire qui sur France
lence et de la démocratie. Notre dé- inter avait demandé au Préfet « de pas-
termination reste aussi intacte que notre ser au Kärcher la frange la plus radicale
volonté de lutter pacifiquement contre des opposantes de Notre Dame des
ce projet ruineux pour les finances lo- Landes »
cales, destructeur de l’environnement et
de la vie des gens qui habitent sur ce 5. Christian de Lavernée, préfet de la
territoire et y travaillent. » région Pays de Loire, artisan de l’opéra-
tion César qui a dénoncé à de nom-
3. Dans sa tribune Susan Georges af- breuses reprises « la violence d’une
firme : « Aujourd’hui comme hier, les minorité autonome, venue d’ailleurs » et
opposants pratiquent toutes les variétés marqué la différence qu’il faisait entre
de résistance, toujours non-violente. » « entre les opposants violents et les per-
sonnes et associations qui font connaître
leur opinion dans un cadre légal ».

Tête de la manifde réoccupation.


63
A sara dura
Prise de parole d’occupant-e-s à la manif NoTAV de Lyon
Texte de la prise de parole à la manif NO TAV du 3 décembre à Lyon qui n'a pas
pu être lu du fait de la répression que la plupart d’entre nous ont subi ce jour là.
Amis d’ici, amis d’ailleurs, • les reconstructions fleurissent de
toute part
A SARA DURA !!! L’écho de ce cri • le ravitaillement spontané opère
de colère et de révolte poussé depuis comme une magie qui nous sub-
la vallée a résonné jusqu’au bocage merge de bouffe et de matos,
de Notre Dame des Landes. précédant nos besoins
• les barricades apparaissent et
Pendant les trois ans du mouvement disparaissent dessinant une
d’occupation, nous étions nom- mystérieuse et sublime géogra-
breuses à avoir les yeux braqués sur phie mouvante de l’auto-défense
la vallée, à fantasmer la puissance du territoriale…
mouvement populaire qui s’y dé-
ployait. Plus la lutte se renforce et se durcit
dans le bocage, et plus elle se répand
Aujourd’hui, nous arrivons ici por- au delà du territoire. « La valle sulla
tées par l’énergie folle de sept se- citta » proclamait le mouvement
maines de résistance sur la ZAD, NOTAV en février dernier alors que
portées par l’élan d’un mouvement la résistance prenait la forme de blo-
de lutte qui a éclot pendant ces se- cages, d’occupations et de manifs
maines de conflits. dans dans une flopée de métropoles
italiennes...
L’aéroport n’est plus un projet, un
monstre de papier, c’est une réalité « ZAD partout » peut-on désormais
matérielle et humaine : c’est nos lire sur les murs de nombreuses ville
maisons détruites, c’est la forêt en France. Plus d’une soixantaine de
éventrée par les chenilles des ma- comités locaux organisent des ac-
chines, c’est nos amies blessées et tions diverses et répandent ainsi le
emprisonnées. L’idée d’un mouve- conflit. Les formes sont multiples et
ment contre l’aéroport et son monde sans cesse renouvelées : sabotages
n’est plus un rêve porté par quelques solidaires, occupations de mairies,
habitantes isolées dans le bocage, blocage d’un pont sur le periph de
c’est une vague de résistance en acte Nantes par les paysans et leurs trac-
qui déferle, nous emporte et nous teurs, ect...
dépasse.
De nouvelles présences sur la zone
La ZAD n’a jamais été aussi dessinent une nouvelle architecture
vivante : de l’occupation. Présences paysannes
et usage défensif des tracteurs, al-
64
lers-retours de collectifs qui s’or- La lutte c’est des élus dépassé par le
ganisent depuis leurs villes respec- mouvement et contrains à l’action
tives, implication sans précédent des directe pour se redonner une légiti-
gens du coin. mité...
Sur son propre terrain, la lutte a déjà « Siammo tutti black block » scan-
vaincu un ennemi bien plus fort que dait la foule rageuse au Val di Susa.
le projet d’aéroport : elle a été ca- « Il n’y a aucun groupuscule
pable de réduire les distances entre d’anarchiste dangereux, c’est nous
nous, de subvertir les rôles et d’abolir tous le groupuscule, les 30 000 per-
en partie les frontières entre : gens sonnes que nous sommes, main dans
du coin et gens d’ailleurs, entre asso- la main.. ; On a pas peur de le dire,
ciation citoyennes et formes d’auto- nous paysans on va les prendre les
organisation et d’action directe, entre pierres et les bâtons » proclame sou-
squatteur-euse-s perçues comme dain le porte parole de l’ACIPA.
marginales et salariées perçues
comme respectables. Si nous sommes venus à Lyon au-
jourd’hui, c’est que LGV et aéroport
La lutte c’est des personnes en tout sont les deux fragments d’un même
genre qui nous aident à remplir des monde que nous combattons et rê-
sacs de projectiles en nous soufflant vons d’abolir. Le bocage comme la
« Mettrez leur en plein la gueule » ! vallée sont défigurés par la même
logique de métropolisation, traversés
La lutte c’est un paysan exproprié par les mêmes flux, soumis au
qui passe devant les tribunaux pour même impératif absurde de la Vi-
avoir balancé des bouteilles sur les tesse. Au-de-là de la France et de
flics et regrette devant le juge … de l’Italie, d’Atenco au Mexique aux
ne pas les avoir blessés ! La lutte luttes contre les projets de mines ou
c’est un gars du bourg qui vient avec de barrage, au Brésil, ces luttes dé-
sa tronçonneuse sur la barricades, bordent les frontières de l’Europe ;
sourire aux lèvres ! parce que le pouvoir cherche à
imposer partout la logique de métro-
La lutte c’est des centaines de per- polisation.
sonnes qui crient « Vinci dégage ré-
sistance et sabotage ! » LVG aéroport, tram-train, centrale à
gaz, mine de charbon, stade de foot,
La lutte c’est des milliers de per- centrale nucléaire, THT, éoliennes
sonnes qui forment une immense industrielles, lotissement HQE :
chaine humaine pour construire des Contre toutes ces infrastructures qui
cabanes en forêt ! aménagent nos territoire, contrôle
nos vies !
La lutte c’est des dizaine de tracteurs
enchainés les uns aux autres pour Comme l’écrivent nos camarades de
protéger un lieu d’organisation col- Milan ces infrastructures « c’est la
lective surgi de terre en quelques jours ! concrétisation faite de ciment,
65
d’acier et d’uniformes bleus, d’une mais immédiatement, on rêve de
conception du monde qui nous est l’usage collectif de ces terres, on
absolument étrangère » imagine d’autres manière d’habiter
cet espace, d’autre manières d’habiter
Alors que la lutte contre l’aéroport ce monde. Lutter contre l’aéroport,
prend une ampleur insoupçonnée, c’est aussi susciter des désirs de
nous voulons que la visibilité qu’elle sécession, c’est aussi effleurer la
a acquise et que l’énergie qui s’y dé- possibilité d’espaces autonomes,
ploie rejaillissent sur toutes les luttes vivre la possibilité de la Commune.
contre l’aménagement du territoire...
Ces luttes participent de la même ré- Au début de l’opération César, la
volte contre le pouvoir ! Ce mouve- préfecture déclarait « Si la répu-
ment qui s’organise à la base, n’est blique ne parvient pas à reprendre la
pas soluble dans les tentatives de re- zone, alors il faut s’inquiéter pour la
présentation, de négociation, de pa- république ». Aujourd’hui à Lyon,
cification et de récupération. nous lui répondons :
Lutter contre le quadrillage du terri- « Semons la zone pour faire trem-
toire par les infrastructures, ce n’est bler la république »
pas seulement porter des coups
contre la métropole. On se retrouve A SARA DURA, ANCHE IN
dans une lutte contre cet aéroport FRANCIA !!!
66
Chronologie succinte des évènements
Octobre 2012 Vendredi 26. Verdict du juge
d’exécution des peines pour d'expul-
Lundi 8 Vers 7h, une expulsion à sabilité : le Rosier a un délai jusqu’au
Grandchamps-des-Fontaines, à la li- 15 novembre et la Sécherie jusqu’au
mite est de la ZAD. 27 décembre ! Début d'un week-end
de fête et de résistance à La Saulce
Samedi 13. Occupation festive expulsable.
d’une maison au Liminbout.
Samedi 27 et dimanche 28. Occu-
Mardi 16. Expulsions de La pation et barricadage de la D81 qui
Bellishroot, La Gaité, Les Plan- passe devant La Saulce.
chettes, Bel Air, Le Tertre, Pré Failli,
L’après Faillite, Saint-Jean du Tertre. Lundi 29. Un huissier passe au Sa-
bot et au Phare Ouest
Mercredi 17. Démolition des mai-
son des Planchettes et du Tertre Mardi 30. expulsion de la Saulce et
affrontements toute la journée au-
Jeudi 18. Expulsion et murage de tour des barricades. Manifestation
La Pointe, destruction des cabanes paysanne au Sabot.
au sol dans la Lande de Rohanne.
Mercredi 31. Expulsions au Sabot,
Vendredi 19. Expulsion et destruc- Cent Chênes, No Name et à la Forêt
tion du Coin et de l’Isolette ; réoccu- de Rohanne. Un flic se blesse en
pation près de la Sècherie. tombant d'un arbre.
Samedi 20. Manifestation à Nantes Novembre 2012
le matin avec 1 500 personnes et à
La Paquelais dans l’après-midi avec Vendredi 2. Déménagement, réoc-
une centaine de personnes cupation et expulsion du Tertre
Lundi 22. Expulsion et destruction Lundi 5. Nouvelle expulsion à la fo-
de la maison réoccupée vendredi rêt de Rohanne
près de la Sècherie et destruction du
toit de la maison mitoyenne de la Mercredi 7. Affrontements du côté
Sècherie. du Sabot
Mardi 23. Destruction de la maison Jeudi 8. Construction de chicanes
de La Gaité. sur la D281
Mercredi 24. Chantier de désa- Samedi 10. Manif à Rennes
miantage au Liminbout arrêté un
moment par l’inspection du travail. Dimanche 11. Street-Crépes-Party
La Pointe démurée dans la nuit. sur la D281
67
Mercredi 14. reprise des fouilles Décembre 2012
d’« archéologie préventive » à l'est
de la ZAD Mardi 4. Procès des cabanes de la
Châtaigne.
Samedi 17. Manifestation de réoc-
cupation. 30 à 40 000 personnes Samedi 8. 5 000 manifestant-e-s à
participent à la construction d’un Nantes contre les « grands projets
nouveau lieu de rencontre entre op- inutiles ».
posant-e-s et d’organisation de la
lutte sur la ZAD, « La Châtaigne ». Mardi 11. Occupation d'un terrain
et d'un hangar et construction d'une
Dimanche 18 au jeudi 22 : les serre. Rendu de procès de la Châ-
chantiers de construction continuent taigne qui est destructible immédia-
sur le site de la Châtaigneraie et dans tement.
la forêt de Rohanne adjacente.
Samedi 15. Début des rencontres
Vendredi 23. Le Rosier (première des comités locaux. Manif contre la
maison squattée de la zone), est ex- répression à Nantes avec environ
pulsée et détruit après de belles jour- 3 000 personnes.
nées de résistances et de solidarités
paysannes. La Châtaigne est envahie Lundi 17. Affrontements au carre-
par les forces de l’ordre pour inter- four du Moulin de Rohanne
rompre le « chantier illégal ». Tenta-
tive d'expulsion de la Forêt de Mercredi 19. Occupation d'un
Rohanne (encore). chantier Vinci à Rennes. Un autre
camarade écope de 2 mois de prison
Samedi 24. L'expulsion de la Forêt ferme.
de Rohanne continue. Et plus de 500
personnes se retrouvent sous les gaz Vendredi 21. Premier jour de la
dans la forêt et pratiquent divers « commission du dialogue ».
modes de résistances. 8 000 per-
sonnes manifestent à Nantes. Jeudi 27. La Sècherie expulsable.
Lundi 26. Affrontements près de Samedi 29. Rassemblement devant
Far Ouest, 3 arrestations par des la prison de Carquefou : plus de 250
flics déguisés en opposant-e-s personnes, du son et des feux d’arti-
fice, en solidarité avec tou-te-s les
Mercredi 28. Un camarade est prisonnier-e-s.
condamné à dix mois de prison
ferme dont 5 avec sursis pour « vio- Janvier 2012
lence avec usage d’une arme, de port
d’arme de catégorie 6 et de participa- Mardi 1er. Réoccupation à Bel-Air
tion armée et voilée à un attroupe-
ment » et deux autres camarades à 2. Expulsion de Bel-Air, résistance
du sursis. et affrontements puis réoccupation.
Contre l'aéroport et son monde
Échos de deux mois d'expulsions et de résistances sur la ZAD

16 octobre 2012 sur la ZAD – Zone je crois que personne ne s'attendait


À Défendre pour nous, Zone d'Amé- à une telle résistance, à un tel écho
nagement Différée pour d'autres – sur place mais aussi au delà.
à Notre-Dame-des-Landes. Des
centaines de flics expulsent huit Durant ces deux mois on a tou-te-s
maisons occupées dans le cadre du couru partout. Beaucoup de textes
mouvement d'occupation contre le ont été écrits. Voici une compila-
projet de nouvel aéroport de la né- tion de quelques témoignages et
cropole nantaise. Beaucoup d'entre analyses sur ce qui s'est passé du
nous se préparaient à ce moment, côté de la ZAD.
l'attendait ou le redoutaient. Mais

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