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Destruction de la Gaité
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Prélude
Aux révolté-e-s de Notre-Dame-des-Landes
Juillet 2012
Dans le bouillonnement un peu fou lieux autant qu’ils nous appar-
du petit monde des occupantEs de tiennent. C’est ne pas être indifférent
1a ZAD, un problème revient aux choses qui nous entourent, c’est
constamment : celui de la transmis- être attaché-e-s : aux gens, aux am-
sion de l’histoire. L’histoire des oc- biances, aux champs, aux haies, aux
cupations, certes, mais aussi des bois, aux maisons. à telle plante qui
histoires plus vieilles que nous, celle repousse au même endroit, à telle
de la lutte contre l’aéroport, autant bête qu’on prend l’habitude de voir
que les multiples résistances qui fa- là. C’est être en prise, en puissance
çonnent la région En fouillant dans sur nos espaces. C’est l’opposé de
les archivœ à la recherche de bribes, leurs rêves cauchernardesques de
certainEs sont tombéEs sur cet appel métropole où l’on ne ferait que pas-
de mai 2008 : « L’aéroport de ser.
Nantes, c’est NON ». En cette
période agitée ou l’état autant Habiter ici, c’est ne plus pouvoir
qu’AGO voudraient nous voir dipa- imaginer comment-tout ça pourrait
raître, ce texte est venu percuter disparaître : parce que ça, c’est ce
quelque chose : Parce qu’il est une qui fait nos vies.
des pierres qui fondent notre pré-
sence ici, qui fondent notre quoti- Vivre ici c’est être dans un rythme
dien, à nous, occupantEs. chahuté par les urgences de la lutte,
les pressions, l’incertitude de la suite,
Si nous sommes là, depuis quelques le harcèlement des flics et autres
semaines, mois, ou années, c’est Garcias1 .
parce que nous avons répondu à cet
appel, ou à ceux qui ont suivi. Vivre ici ce n’est pas facile en ce
moment. Que l’on soit proprio, ex-
Nous sommes nombreux/ses mainte- locataire ou occupantEs nous
nant. Nous habitons ici, et ce n’est sommes mis-e-s face aux procé-
pas peu dire. Habiter n’est pas loger. dures, à la justice. Puisque nous ne
Un logement n’est finalement qu’une nous soumettons ni ne nous rési-
case, dans laquelle on « loge » de gré gnons, nous sommes face à la force
ou de force les gens après leur jour- de l’État, face à ses armes. Peut être
née de travail et en attendant la tous-tes forcéEs à quitter la zone
suivante. C’est une cage dont les sous peu. Comme dit dans l’appel à
murs nous sont étrangers. Habiter, occuper la zone, le combat est long
c’est autre chose. C’est un entrelace- et difficile, mais une chose est sûre,
ment de liens. C’est appartenir aux il n’est pas vain.
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Et c’est parce que les temps sont appartiennent, nous refusons de
durs et l’avenir incertain que nous perdre, et pour ces raisons, soyons
avons voulu donner réponse à ce sûr-e-s que Jamais aucun avion ne
texte. Signifier son importance. Dire décollera de Notre Dame des
la solidarité, comme la nécessité des Landes.
liens et des complicités face à ce
monde qui nous voudrait isoléEs. Alors à tou-te-s ceux et celles qui
Nos alliances sont notre force. Et il y ont lancé cet appel, à ceux et celles
a déjà ça, ici, comme une victoire qui ont ouvert leur porte à la ren-
sur la marche forcée des choses. contre, à ceux et celles qui ne se
laissent pas faire : nous ne voulons
Si nous ne nous connaissons pas pas seulement exprimer notre sou-
tous—tes, une chose est certaine, tien, comme une posture distante et
c’est que nous partageons la colère, extérieure, mais bien dire que nous
le refus. De ce terreau naissent nous sentons liéEs dans ces idées et
confiances, entraides, amitiés ou ini- dans ces actes.
mitiés. Le chemin est long pour tis-
ser tout cela, et nos quelques mois A tout bientôt dans la rue ou dans
ou années de présence ici, si riches les champs !
et si denses, nous semblent fort
courts finalement. Premiers signataires :
les Ardillères, les Cent Chênes,
Ce qui se partage aussi, c’est de se le Coin des Fosses Noires,
battre sans s’en remettre aux politi- Pimkie, la Pointe, les Planchettes,
ciens, de ne pas entendre leur langue le Potiron, les Rosiers,
morte, de ne pas croire leurs pro- le Sabot et son collectifmaraîcher,
messes, de" se méfier de leurs le Tertre.
concessions. Cette lutte s’inscrit dans
un mouvement planétaire contre le 1. le salopard d’AGO qui harcèle pour
capitalisme, les dominations et le faire partir les gens.
contrôle social qui leur est néces-
saire. Un mouvement d’émancipation
des peuples par les peuples sans re-
présentation institutionnelle. C’est à
nous de prendre les choses en main,
sans rien attendre de tous les rapaces
qui font leur puissance sur notre dos.
Nous ne sommes pas seulEs. Partout
d’autres se battent. À Atenco, à Val
Susa, à à Oaxaca ou en Grèce pour
parler de ce dont on parle, et dans
une infinité d’autres lieux, d’autres si-
tuations, où l’on ne se résigne pas.
Nous sommes ici, nos vies nous
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L’aéroport de Nantes, c’est NON Tous : le maire-de Nantes Jean-Mare
Ayrault comme le premier ministre
Des habitants qui résistent, 1 er mai 2008 actuel François Fillon. Le pouvoir ne
cesse de nous rabâcher que nous vi-
Le monde s’enfonce dans une crise vons bien au-dessus de nos moyens.
climatique angoissante, mais la classe que nous avons mangé notre pain
politique continue de parler une blanc. Avoir un hôpital de. proximité
langue morte. Les gens qui défendent serait devenu un luxe intolérable : on
le projet d’aéroport de Notre-Dame- en supprimera donc 250. Redon,
des-Landes pensent l’avenir avec les Chateaubriant, Ancenis font partie de
mots d’un passé qui ne reviendra pas. la liste ; mais un aéroport pour aller
Ils sont les héritiers de ceux qui atten- rejoindre les plages méditerranéennes,
daient l’armée allemande derrière la est une inéluctable nécessité, un inté-
ligne Maginot, et qui se trouvèrent rêt public. L’économie marche sur la
débordés en une nuit de mai 1940 par tête. Il est grand temps que les hommes
les blindés du général Gudérian. reprennent en main leur destin.
Comme eux ils se trompent d’époque.
Nous savons que ce combat,
Nous pourrions rire, si ce n’était aussi commencé il y a 35 ans, sera encore
grave, du discours des promoteurs du long et difficile. Et c’est pour cette
nouvel aéroport. Comme la Toinette raison que nous lançons ce 1er mai
du Malade imaginaire, qui répond « le 2008 un appel à toute la France, à
poumon » à toutes les questions po- toute l’Europe. Il faut soutenir le
sées sur la santé d’Argan, ils répètent, mouvement contre l’aéroport de
hébétés par eux-mêmes : la crois- Notre-Dame-des-Landes avec toutes
sance, la croissance, la croissance. les forces disponibles. Et par des
moyens rarement utilisés à l’échelle
Ils ne savent pas. parce qu’ils ne le que nous l’envisageons : l’occupation
sauront jamais, que notre planète at- du territoire, la désobéissance civile,
teint déjà ses limites physiques dans le refus complet et définitif.
des domaines vitaux. Le transport en
fait partie. Dans un monde fini, ceux Le compromis n’est pas possible, car
qui poussent encore à la destruction ce : combat qui continue, et qui
des espaces et des espèces sont de concerne chacun, est entre une vie
redoutables aveugles. possible et un cauchemar certain.
Nous vaincrons, non parce que nous
La question de l’aéroport n’est pas de sommes les plus forts, mais parce
droite ou de gauche. Elle est une af- qu’il n’y a pas d’autre solution.
faire humaine. et pour cette raison
nous nous en emparons. Ailleurs dans Nous appelons donc, partir du pique-
le monde, comme autour de l’aéroport nique contre l’aéroport du 29 juin, à
londonien d’Heathrow, les mêmes que établir des campements d’occupation
nous ont décidé d’agir : nous sommes sur les terrains que se sont injuste-
l’espoir en mouvement. Quand ils ment appropriés les promoteurs de
n’incarnent que le renoncement. ce projet aberrant. et mortifère.
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Barricade.
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Raser une maison...
À propos des expulsions à Notre-Dame-des-Landes
Octobre 2012
Ca fait dix jours que César, l’opéra- per la suite semble illusoire telle-
tion impériale d’expulsions sur la ment la situation change à un
ZAD est lancée. Le PS, dans un rythme effrené. Cette intensité rare
interêt bien compris, semble ambi- offre un contexte de partage large
tionner une expulsion propre, sans d’expériences, d’envies et d’idées. De
vague, qui preserverait la paix so- nombreuses positions sont expri-
ciale et ce qui leur reste peut-être de mées, certaines sont relayées par
façade « socialiste ». Il n’y a là rien l’arsenal médiatique ravi de cette
de surprenant, si ce n’est le fait que sorte de mini-guerre à portée de la
les écologistes au gouvernement main, d’autres sont diffusées par une
n’aient pas encore réussi à faire certi- multitude de moyens autonomes. De
fier l’expulsion HQE. là, part l’envie de porter aussi des
positions politiques pour alimenter
Mardi matin n’a pas débarqué chez les innombrables discussions que la
nous un « dispositif militaire dispro- situation fait émerger.
portionné » mais une réponse poli-
cière banale et systématique à Une pensée forte va vers celleux qui
celleux qui résistent. Nous le luttent partout dans la grande brume
savions, mais le recul ne supprime de cette « époque si riche en specta-
pas la violence du choc. teurs et si pauvre en complices », les
expulsé-e-s sans bruit, les personnes
Pourtant l’abattement n’est pas la qui subissent les contrôles de flics et
règle tant les solidarités à l’œuvre se tabassages tous les jours, celleux qui
sont multipliées. Liens et positions vivent avec la peur au ventre, celle
sont en ébullition. Les limites se re- du contrôle d’identité, celle du cont-
dessinent sans arrêt. Les gestes de rôleur dans les transports en com-
lutte et messages de soutien ont sem- mun. Celleux qui n’ont nulle part
blé venir du monde entier, donnant d’où se faire expulser, les exploité-e-
une force surprenante à cette lutte s, les oppressé-e-s, les ratonné-e-s,
dans ce moment où elle en avait bien celles qui meurent sous les coups de
besoin. Quelques cloisons entre nous leur mec, celles qui vivent sous les
ont sauté et c’est un joli pied de nez coups de leur mec, celleux qui n’ont
à César et à ses années de travail pas la bonne couleur de peau pour
médiatico-policier de construction bénéficier d’un soutien large quand
de l’ennemi intérieur. Dans le rythme l’armée d’en face débarque et vers
fou de ces journées et de celles en- tou-te-s celles et ceux qui ne sont
core nombreuses à venir, il est bien pas du coté confortable des inégali-
difficile de s’extraire un moment de tés et qui ne le seront jamais.
l’urgence. Prendre du recul ou antici-
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RASER UNE MAISON, ou un quartier, RASER UNE MAISON, c’est bien plus
est tout à l’opposé de l’acte « bar- qu’une question de « logement », ce
bare ». La démolition, c’est la banali- mot évoquant en effet plutôt un lieu
té de la civilisation qui se construit où l’on passe le temps de repos avant
toujours sur des ruines encore fu- de retourner au travail. Ce dont il
mantes. Ce projet d’« aéroport du s’agit ici, c’est surtout de tenter
grand ouest » n’est pas spécialement d’anéantir un lieu de vie, ses moyens
anti-écologique, inutile et nuisible. Il matériels d’autonomie mais aussi
n’est qu’une pierre parmi d’autres toutes ses imbrications sociales, lo-
dans la logique d’aménagement de cales, liens d’amitié, d’entraide, de
cette région pour la rendre compéti- solidarité, ses conflits aussi. Ainsi,
tive et rentable sur le marché des chaque jour, partout, des milliers de
métropoles. Remodeler des quartiers, personnes sont délogées, expulsées,
changer les noms et les usages des contraintes de déménager, de quitter
lieux, définir des axes de développe- leurs réseaux de débrouilles, de re-
ment pour des espaces à rentabiliser partir à zéro ailleurs. C’est vrai, ça se
est le travail quotidien des décideurs, voit moins d’habitude, mais l’effet
élus de tous bords et experts. Réali- d’isolement et d’affaiblissement est le
ser ces projets, s’engouffrer dans ces même et constitue la base de la do-
nouveaux marchés est le travail quo- mination capitaliste qui a besoin
tidien des investisseurs et profiteurs. d’individus dépendants au marché et
serviables.
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RASER UNE MAISON, c’est souvent en RASER UNE MAISON en assumant la
effacer les traces rapidement, en tactique de la terre brulée, appeler
« nettoyant » scrupuleusement ou en « au calme » tout en osant prétendre
reconstruisant par dessus. Les traces que « tout s’est bien passé », c’est
de l’acte de destruction sont des nier la violence d’un tel acte. Ces tas
bribes de l’histoire des vaincus qu’il de gravas sont des plaies ouvertes
s’agit de faire disparaître. Sauver des qui risqueraient de nourrir la colère.
décombres quelques poutres, racon- Et ces pierres, si rares dans ce bo-
ter des histoires de ces lieux, prendre cage rebelle, appellent si fort à l’ex-
des photos avant le désert sont au- primer, à ne pas la laisser ronger
tant d’actes de résistance face à la l’intérieur, à la faire sortir de soi de
violence de la réécriture de l’histoire la manière la plus instinctive qui soit.
par les dominants. Garder des traces Les fracas des gravats dans les
pour que la colère sache exister bennes, les bip-bip des bulldozers et
contre l’oubli. Ces « places nettes » les convois aux girophares bleus ré-
laissées là où nous vivions font écho sonnent dans le brouillard et tentent
à tous ces « aménagements » qui dé- de graver en profondeur le sentiment
racinent, à tour de bras de tracto- d’impuissance. Alors les traces de
pelles, en grignotant aussi chemins, bitume fondu sous les barricades, les
terrains de jeu ou espaces libres. quelques arbres tombés, les griffures
de sous-bois, les courbatures d’avoir
La Gaité détruite.
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Encore une expulsion de la forêt
5 novembre 2012
On habite dans la forêt de Rohanne. policiers armés de boucliers, tenue
Pendant les deux dernières années, anti-émeute complète et talkies-
les nombreuses personnes qui ont walkies bruyants. Les flics nous ont
vécu et passé par ici ont construit crié de prendre toutes les affaires
sept cabanes dans les arbres et une qu’on pouvait emporter et de sortir
belle maison collective de trois de la forêt. Les flics ont commencé
étages. Le jeudi 19 Octobre, les à casser le refuge et à découper les
policiers sont venus avec des bâches en petits morceaux alors que
bulldozers et ont détruit la maison. nous étions encore à l’intérieur.
Après nous avoir poussé dehors et
Dès le lendemain, avec beaucoup de mis à terre ils ont tailladé les matelas
gens motivés, on a commencé à et tout détruit, ils ont même coupé
construire une nouvelle cuisine à six tout le polyprop en morceaux
mètres de hauteur dans les arbres, et minuscules de façon à ce qu’il soit
une nouvelle cabane collective un totalement inutilisable. J’ai un peu
peu plus haut. Le mardi 30 et le l’impression qu’on commence
mercredi 31 octobre ils sont revenus vraiment à les faire chier. [...]
avec des bulldozers et des manitous
pour détruire les deux cabines Toutes les personnes valides de sexe
fraîchement finies, ainsi que les sept masculin ont été fouillées par les
cabanes dans les arbres. flics, et une d’entre elles avait une
carte d’identité avec elle. Les deux
Pendant le week-end, on a construit autres ont été emmenées en garde à
un abri temporaire sur le sol avec vue. Les trois personnes de sexe
des palettes et des bâches afin de féminin valides ont été invitées à
pouvoir y dormir pendant que nous attendre une femme flic pour les
reconstruirions des cabanes dans les fouiller. Et d’attendre. Et d’attendre.
arbres. En gros c’était quelques Et d’attendre. Il semble qu’il n’y ait
matelas sur des palettes, avec des pas autant de flics femmes dans le
poutres ficelées à des troncs d’arbres coin et au bout d’une heure ils ont
et couverts de bâche. juste demandé nos noms et lieux de
naissance. N’ayant pas réussi à
Tôt le matin, le lundi 5 Novembre obtenir d’informations personnelles
une vingtaine de fourgons de police ils se sont concertés, après quoi ils
a bloqué les routes autour de la forêt sont venus pour nous dire que nous
de Rohanne. Ils sont entrés dans la pourrions simplement partir.
forêt à pied, et à huit heures et Pourquoi ? Ils nous ont dit qu’ils en
demie six personnes endormies ont avaient marre de nous, et qu’ils ne
été encerclées par une trentaine de voulaient pas perdre de temps au
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poste de police, encore une fois, si dans la forêt. Ainsi, près de deux
encore une fois nous n’allions pas cents policiers anti-émeute ont
donner nos noms. encerclé la forêt et passé presque
une journée entière à en passer
C’était une façon assez désagréable chaque centimètre carré au peigne
de se réveiller, finalement, et ça fin juste pour trouver six campeurs.
commence à être un peu ennuyeux Vingt camions pleins de policiers
d’avoir nos maisons détruites chaque hautement équipés juste pour faire
semaine. Toutefois, après avoir eu le tomber quelques poutres et des
temps de réfléchir, je ne peux bâches mises en place dans le week-
m’empêcher de voir un côté drôle à end. Peut-être que nous on en a
tout cela. Quand nous avons marre d’eux, mais c’est clair qu’on
demandé pourquoi nous étions les saoule complètement. À la
arrêtés la police nous a dit qu’il était prochaine cabane dans la forêt !
illégal de faire du camping sauvage
défense des lieux vie, ouverture col- un peu de la détermination qui est
lective de maisons, occupation fo- née dans ce bocage. Que cette lutte
restière, ravitaillement, blocage de nourrie par celle du Val di Susa
routes, reconstruction, assemblées... comme par celles de Plogoff et du
Nous avons voulu montrer que nous Larzac, renforce en retour d’autres
ne sommes pas de simples meubles combats.
qu’on déménage, que nous pouvons
nous organiser, résister, dire non ! Nos révoltes ne se limitent pas à
Notre-Dame-des-Landes et à son aé-
Ces semaines ne sont qu’un début ! roport. Pendant que les caméras et
La lutte ne fait que commencer : dé- l’attention se focalisent ici, ils conti-
fense du Rosier, réoccupation de la nuent d’expulser et de bétonner
forêt de Roanne pour s’opposer à ailleurs, tous les jours, en silence...
son abattage, blocage des travaux du L’Etat oppresse, enferme, réprime
barreau routier, procès et expulsion à partout, tout le temps. Il est confor-
venir des habitant-e-s en bail pré- table de fermer les yeux, facile de se
caire et des paysans. Il y encore tant résigner, mais indispensable de se
à faire. Hollande, Ayrault et les révolter. Partout, pour contrer tous
cadres de Vinci doivent comprendre les Césars qui veulent aménager nos
qu’il n’y aura pas de retour à la nor- vies et nos territoires, continuons de
male jusqu’à l’arrêt immédiat du pro- construire des foyers de résistance
jet d’aéroport. Qu’ils prennent garde, irréductible.
car plus la lutte se renforce sur le
terrain et plus elle se répand ! Ici comme ailleurs, défendons nos
rêves et cultivons nos révoltes pour
Notre rêve, c’est que tous les ami-e-s qu’elles deviennent leur cauche-
d’ici et d’ailleurs ramènent chez eux mard !
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Nantes, le 17 novembre 2012
Un monde humain est en marche
22 novembre 2012
François Hollande déclarait le matin- des occupant-e-s de la ZAD, de les
même : « Mais, en même temps, il y discréditer eux et leur discours, tout
a aussi la force du droit et la primau- un chacun sait maintenant que ces
té de la volonté, non seulement de militant-e-s sont capables d’organiser
l'État mais aussi des élus, et au-delà une manifestation rassemblant bien
même des alternances politiques ». plus de personnes que cela ne s’était
La force du droit, c’est probablement jamais vu au sujet de Notre-Dame-
celle qui permet par exemple de des-Landes, manifestation qui plus
détruire des maisons contenant de est doublée d’un chantier festif de
l’amiante à coups de bulldozer, ou de construction d’au moins 5 bâtiments.
secouer un arbre en haut duquel se
perche un-e militant-e, dans le mé- Dès mon arrivée sur la ZAD, le jeu-
pris le plus complet des procédures di après-midi, je me sens chez moi.
prévues pour ces situations. Comme Les visages sont bienveillants, ac-
quoi, « la raison du plus fort reste cueillants. Je commence par aller à
toujours la meilleure ». la Vache-Rit, pour savoir où je dois
mettre ma tente et quelques autres
Mais, Hollande et d’autres hommes détails. Des panneaux m’informent à
politiques auront beau essayer de mi- ce sujet : sur le champs en face des
nimiser l’inventivité et la créativité Rosiers. J’aide Rebecca à décharger
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son camion qui regorge d’aliments : de contrôles de papiers qui s’éter-
de quoi réaliser 6000 repas. On trie nisent. En fait, je ne verrai pas de
la marchandise pour les différentes policiers en uniforme de tout le
cuisines qui prépareront ces repas. week-end.
J’installe ma tente et profite d’un Arrivé sur les lieux, première joie :
premier repas préparé par une asso- voir toutes ces voitures garées sur le
ciation de Flamands arrivés sur la bord de la route ! Les organisateurs
ZAD pour soutenir l’événement : avaient prévu 15 km de voitures ga-
400 repas le jeudi soir, 600 au petit- rées, ils ne s’étaient pas trompés !
déjeuner du vendredi… pour culmi-
ner à plus de mille le samedi soir ! Nous décidons tous les quatre de
Je mangerai tout le week-end sans rester sur le bord de la route pour
avoir besoin de débourser un cen- laisser passer le cortège et admirer
time, les approvisionnements étant les banderoles. Quelques slogans me
réalisés sur des dons. Je passe la soi- sont restés en mémoire « Pour faire
rée du jeudi aux Rosiers où ont lieu du fric il faut du flic » , « Crashe-toi
deux projections, dont un reportage du pues t’es pas de ma lande » ,
sur la résistance sur la ZAD. « On veut rien et on l’aura » ,
« Prends ZAD dans ta gueule ».
Le lendemain, chacun est invité à Nous voyons passer une partie des
s’atteler aux préparatifs pour le sa- 400 tracteurs, certains chargés avec
medi sur le mode de l’autogestion. les planches et palettes qui serviront
C’est ainsi que je coupe une cin- aux constructions : c’est l’opération
quantaine de poireaux en lamelles et « Astérix », en réaction à l’opération
assiste à la construction de toilettes
sèches et d’une barricade sur la route
à l’ouest des Rosiers (photo page
précédente)
Sur la route du retour sur Nantes, je
croise une amie habitante de la ZAD
qui me propose de m’emmener en
voiture. Je ne lui connaissais pas
cette voiture : normal, on vient de la
lui offrir par solidarité il y a une se-
maine. Le samedi matin, je suis avec
trois amis dans une voiture direction
Notre-Dame-des-Landes. Grand
suspens à ce moment-là : quelle sera
l’attitude de la police ?? Il ne me
paraissait que très peu vraisemblable
qu’ils essaient d’empêcher des di-
zaines des milliers de citoyen-ne-s
d’aller manifester, mais, j’avais peur Manifde réoccupation
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« César » des expulsions organisée Sur le bord de la route, nous obser-
par la préfecture. La Brigade Acti- vons des marionnettes qui nous font
viste des Clowns (BAC) arrive, avec bien rire, comme celles-ci : « Les
son cortège de farces : certains avions volent … la terre », ou
miment des avions, une autre est dé- « Conseil santé de Vinci : manger au
guisée en parcmètre de chez Vinci moins 5 paysans par jour » (photo
(photo ci-contre). ci-contre).
Il nous prend l’idée de tenter de Quelques heures plus tard, nous ar-
compter les manifestants. On décide rivons sur le chantier, fin de la
de compter le nombre de mani- manifestation. Ici ce sont deux
festants qui passent par minute. Pour grands bâtiments pré-assemblés qui
moi, c’est 100, pour mon ami c’est ont été installés depuis ce matin sur
150 à 200. D’accord, j’irai postuler à un terrain défriché dans le bois. Là,
la préfecture ! Après une longue at- 3 habitations sont en train d’être
tente, 10 000 manifestants sont pas- construites. Au son de la battucada,
sés devant nous, au bas mot, nous une vraie ruche s’affaire : qui dé-
décidons de repartir, et nous appre- cloue des palettes, qui assemble une
nons que nous avons vu moins de la charpente, d’autres installent des
moitié du cortège. La manifestation fondations en pilotis ou sur pneus. Il
est un succès énorme, bien au-delà y a de la gaieté, de l’efficacité, une
des espérances initiales des organisa- formidable impression de puissance
teurs eux-mêmes, nous sommes et de désir de vivre me prend alors
ravis. que j’observe ce spectacle.
La soirée sera courte pour moi : de-
bout toute la journée, je suis couché
à 10 heures du soir ! Dimanche ma-
tin a lieu l’Assemblée Générale des
manifestant-e-s encore présent-e-s.
Les collectifs locaux se présentent :
beaucoup d’énergie et d’idées inno-
vantes se manifestent au cours de
cette réunion autogérée.
Ces résistant-e-s ont fait la preuve de
leur détermination et de leur capacité
d’organisation et de mobilisation :
gageons que ces constructions reste-
ront là pour un moment et que les
bétonneurs vont se faire des cheveux
blancs !
Pierre-Emmanuel Chaput
(photos pp 37-39 P.-E. Chaput)
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La Gaité.
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Contre l’aéroport mais pacifistes que ça !
En réponse à deux tribunes parues dans le journal « Le monde »
16 décembre 2012
La semaine dernière deux tribunes premier ministre ou président d’hon-
successives sont parues dans votre neur d’une association citoyenne,
journal1 . Elles sont le fait de « prési- ceux-ci semblent toujours estimer
dentes », « porte-paroles », élu.e.s que, quand bien même on viendrait
d’organisations et partis politiques. piétiner nos maisons et nos cultures,
Elles portent un point de vue qui il nous faudrait rester calmes et po-
paraît englober tout le mouvement lis. Mais l’Histoire ne s’écrit pas
d’opposition à l’aéroport de Notre seulement sous les projecteurs mé-
Dame des Landes. Elles ont en com- diatiques et dans les cénacles poli-
mun d’affirmer que le mouvement a tiques. Nous ne renoncerons pas à ce
toujours été non-violent, que l’hosti- qu’elle nous appartienne aussi.
lité face à la police était le fait d’in-
filtrés policiers, que la manifestation2 On peut se demander si la « non-
du 17 novembre était pacifique… violence » invoquée par certain.e.s
Quand on retrouve en quelques para- inclut aussi les barricades en feu et
graphes, les termes « non-violents » les projectiles lancés sur la police
et « pacifique » martelés à ce point, pour ralentir son avancée, les sabo-
on peut se dire que l’on a affaire à tages d’engins de chantier, et les
une opération de recadrage idéolo- marques laissées sur les
gique et en l'occurrence de réécriture permanences et bureaux de ceux qui
de notre histoire commune. nous attaquent. Ce « pacifisme »
parachuté serait alors sans doute
Pour nous qui partageons cette lutte, comparable à celui attribué en occi-
cette réécriture de l’histoire est pour dent aux « révolutions arabes » tan-
le coup violente. Nous ne pouvons dis que les rues du Caire ou de
laisser quelques tribuns et porte-pa- Tunis s’embrasaient.
roles auto-proclamés rayer d’un coup
de plume ce que nous avons vécu En attendant, il faut un sacré toupet,
ces dernières années. La complexité après un mois et demi d’expulsion et
de notre réalité, faites de long débats de résistance acharnée dont les
et de contradictions, de pratiques images ont été montrées en boucle
multiples mais aussi de liens qui se sur toutes les télés et journaux, pour
tissent, s’est encore intensifiée depuis claironner à tout va sur le « pari de
le 16 octobre et le début de la vague la non-violence ». Si nous ne nous
d’expulsion, appelée « opération Cé- étions pas défendu, de toutes ces
sar ». Nous savons que l’écriture de manières là aussi, il n’y aurait proba-
l’Histoire est généralement le privi- blement plus grand monde pour par-
lège des dominants. Qu’ils soient ler de la zad aujourd’hui, moins
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encore pour y vivre. Mais cette réali- contexte de porter une attention par-
té là semble à ce point déranger les ticulière à ce que celles et ceux qui
habituels détenteurs de la bonne mo- ne le souhaitait pas puissent l’éviter.
rale militante, tellement pressé.e.s de Pour autant nous nous étions prépa-
se positionner, qu’ils et elles ne com- ré.e.s en amont aux possibilités de
prennent même pas qu’il est peut- barrages et à la nécessité d’auto-dé-
être encore un peu tôt pour gommer fense des manifestant.e.s en cas
les coups échangés. d’agression policière. Si certain.e.s
peuvent dire à posteriori que cette
Nous avons lancé, il y a plus d’un an, action collective a été « pacifique »
l’appel à une grande manifestation c’est bien parce que les forces de
de réoccupation en cas d’expulsion l’ordre ont choisi de s’effacer ce jour
et avons participé à son organisation là face à la force du mouvement.
jusqu’au bout, par le biais d’une as-
semblée ouverte réunissant jusqu’à Quelques jours plus tard, quand les
200 personnes. Nous pouvons af- troupes sont revenues pour expulser,
firmer ici qu’il ne s’est jamais agi de détruire et blesser - des centaines de
mettre en avant un défilé « paci- personnes de tous horizons ont
fique », mais bel et bien une action éprouvé côte à côte cette capacité
directe d’occupation en masse. Son d’auto-défense, avec des chants, des
objectif n’était certes pas l’affronte- sittings mais aussi des cailloux et des
ment et nous avions décidé dans ce bouteilles incendiaires. Tout.e.s