CDD poèmes expliqués

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Arthur Rimbaud, Cahiers de Douai, 1895

Poèmes expliqués
Source : http://rimbaudexplique.free.fr/
SOMMAIRE
« Première soirée »……………….………………………………………………………………..p. 2
« Sensation »…………………………………………………………………………………….....p. 3
« Soleil et Chair »………………………………………………………………………………….p. 5
« Ophélie »………………………………………………………………………………………...p. 8
« Bal des pendus »……………………………………………………………………………..…p. 10
« Le Châtiment de Tartufe »……………………………………………………………………...p. 14
« Le Forgeron »…………………………………………………………………………………..p. 16
« Roman »………………………………………………………………………………………..p. 19
« Rages de Césars »……………………………………………………………………………...p. 20
« Rêvé pour l’hiver »…………………………………………………………………………….p. 22
« Le Dormeur du val »…………………………………………………………………………...p. 23
« Au Cabaret-Vert »……………………………………………………………………………...p. 25
« La Maline »…………………………………………………………………………………….p. 27
« La Victoire de Sarrebrück »……………………………………………………………………p. 29
« Le Buffet »……………………………………………………………………………………..p. 30
« Première soirée »
1 Une bien-être amoureux
2 Une déception sentimentale ironique

1 Un bien-être amoureux
Ce poème en octosyllabes constitue le premier poème du cahier de Douai. Ce poème ne fut jamais
publié du vivant de Rimbaud. On y découvre un Rimbaud terriblement maladroit avec les
adolescentes de son âge. Parmi les 22 poèmes du recueil, il est indiscutable que sous des formes très
diverses, presque le quart des pièces se ramène à la femme (Vénus Anadyomène, Les réparties de
Nina, Roman). On remarque que ce poème de huit quatrains se termine par le premier quatrain qui
est repris donnant l'impression d'une boucle, d'un épisode qui revient à son point de départ. On
constate également de nombreux tirets, signes de ponctuation qui d'ordinaire dans les pièces de
théâtre, indiquent les changements d'interlocuteurs ou dans un texte remplace les parenthèses, l'un
au début du 1er quatrain, un autre au 3ème et au quatrième puis au milieu des 5ème, 6ème, 7ème et
enfin un tiret au début du dernier quatrain. Ces tirets, dont l'un au début du texte, qui indiqueraient
ici plutôt une parenthèse, une interruption dans la continuité syntaxique sont étrangement placés.
Ces signes marquent plutôt la discontinuité dans l'action détaillée du poète. Ecrit à l'âge de 16 ans, à
un âge où l'on est n'est guère sérieux, ce poème marque cependant à quelques nuances près un
certain bien être dans la compagnie féminine. La femme que notre poète cherche à séduire est assez
jeune, elle est assise sur une chaise à moitié-nue ou plutôt habillée légèrement. La suite de
l'aventure se termine par un "qui voulait bien...." dans laquelle les points de suspension sont placés
pour laisser le lecteur dans le doute. Le dernier quatrain reprenant le premier et nous ramenant au
point de départ laisse penser que la liaison fut un échec mais que notre auteur aura au moins eu le
mérite d'essayer. Rimbaud reprend également dans ce poème ses thèmes favoris du sein-refuge et de
la fleur-immondice. Dans son image du sein, "mouche au rosier", l'allusion au sein a une valeur
affective, c'est l'enfant privé de tendresse qui se sent symboliquement sevré. Ce sein qui le fascine
dans les premiers textes et particulièrement dans ce poème sera ensuite rejeté et tourné en dérision,
avec l'emploi des mots mamelle, téton. L'insolite "mouche au rosier" donne à cette fleur une
connotation de putréfaction confirmant l'assimilation de la fleur à la chair. On retrouve également
dans le qualificatif mi-nue de la jeune fille le transfert à la nature de toutes les frustrations
maternelles et désillusions sentimentales de notre auteur lorsqu'il parle de la terre à demi-nue.

2-Une déception sentimentale ironique


On retrouve un peu ici la "demoiselle aux petits airs charmants" de "Roman" et celle "Des réparties
des Nina" qui écarte d'une phrase laconique "Et mon bureau" les propositions lyriques du poète.
D'abord cette demoiselle a le droit à quelques privilèges, elle peut s'asseoir sur sa chaise, pas
n'importe quelle chaise, la sienne. On observe une multitude d'adjectifs possessifs, ce sont ses pieds,
son sourire, ma bouche mais ce ne sont pas ses pieds qui se retirent lorsqu'ils refusent le baiser mais
les petits pieds, ce ne seraient donc pas les siens, car ceux là sont petits. Lorsque Rimbaud essuie le
premier revers il abandonne les adjectifs possessifs pour des articles définis, le la. Il écorche
souvent la demoiselle, elle a "la tête mièvre", fade, caractérisant une grâce affectée. La familiarité,
le tutoiement laisse penser que les personnages se connaissent bien, toutefois, l'emploi de Monsieur
qui indique d'ordinaire une appellation respectueuse donne à la déclaration de la demoiselle une
solennité qui ajoute à l'ironie. L'ironie de Rimbaud vient certainement de sa déception devant la
résistance de sa partenaire. Il croyait pouvoir parvenir à ses fins rapidement, c'est un échec, une
désillusion.

Conclusion
"Première soirée " premier poème amoureux écrit par Rimbaud à l'âge de 16 ans retrace assez
fidèlement les maladresses des adolescents dans leurs envolées amoureuses parmi les effluves
printaniers. Rimbaud conservera ensuite de ses premières expériences amoureuses d'adolescentes,
assez réduites, se résumant généralement à un déshabillage à distance, un profond mépris pour ses
"petites amoureuses" .

« Sensation »

Plan
1-Un rêve d'adolescent fugueur
2-Bonheur et liberté
3-Femme et nature
1-Un rêve d'adolescent fugueur
Le jeune poète annonce son projet pour l'été qui arrive, il ira dans les sentiers, au cœur de la nature
pour laisser travailler tous ses sens, le toucher, l'odorat. Étrange titre que celui de sensation au
singulier que l'on retrouve plutôt au singulier dans faire sensation, on peut aussi bien entendre ce
titre dans ce sens, faire sensation en fuguant. A la suite de verbes d'action, on trouve des verbes que
l'on peut qualifier d'inaction, "je ne parlerai pas, je ne sentirai rien". La référence spatio-temporelle
du premier vers évoque des paysages idylliques comme souvent en rêvent les adolescents, des ciels
bleus d'été de romances amoureuses, des paysages sauvages, déserts. Les futurs, les pluriels
indiquent la multitude des idées de destination possible et leur réalisation dans un avenir imprécis,
on sait que ce sera l'été sans autre précision, la période des vacances scolaires car notre jeune poète
est toujours scolarisé.
2-Bonheur et liberté
La liberté est inséparable de la notion de bonheur. Il y a toujours un départ chez notre bohémien,
un affranchissement des contraintes, un éloignement de la famille, une errance. Ce départ est mis en
relief dans le premier quatrain par des assonances en é, voyelle ouverte, pour traduite l'ouverture
nécessaire à ce départ. J'irai au futur marque bien la décision volontaire de partir, de ne pas rester où
il séjourne actuellement, chez ses parents, le Rimbaud fugueur apparaît déjà dans ces premières
lignes. Cette liberté suppose un espace affranchi de toutes limites, qu'évoque le vagabondage, loin
des routes et des chemins traditionnels fréquentés. Il ira par les sentiers, ces marques de passage à
peine perceptibles à la lisière des champs, foulant même la végétation si nécessaire. Son départ se
fera loin des autres, seul. Son voyage s'apparente à une fugue, il n'a ni destination ni durée précise,
il veut aller, au hasard, très loin, vers une sorte d'infini, de voyage sans retour. La nature lui tient
lieu de protection, elle est douce, ce sont des soirs bleus d'été avec un peu de fraîcheur aux pieds.
Cette nature se prête, par les sensations visuelles et auditives qu'elle suscite, aux rêves et aux désirs,
l'amour infini lui montera dans l'âme. Cette nature douce prend l'apparence d'une femme maternelle
qui accueille l'enfant fugueur et lui offre l'assurance d'une complicité immédiate. Par la nature, il
retrouve le même bonheur amoureux qu'avec une femme. L'auteur se rêve en vagabond, comme un
bohémien, une sorte de sans domicile fixe condamné à l'exil et à une errance sans fin dans cette
nature accueillante qu'il traverse, parcourt dans tous les sens. La répétition de l'adverbe loin indique
bien la détermination de Rimbaud dans sa fugue.

3-Femme et nature

Le rapport avec la Nature (que Rimbaud écrit avec une majuscule pour la personnifier ou la
diviniser, à la manière des Romantiques) est décrit comme une forme d'amour, "Et l'amour infini
me montera dans l'âme". La nature est assimilée à une femme, " heureux comme avec une femme".
Le rapport entre l'homme et la nature en dehors du rapport amoureux est un rapport d'équilibre, que
l'on retrouve dans le même nombre de rimes masculines (sentiers/pieds, rien/bohémien) que de
rimes féminines pleines de délicatesse ( menue/nue, âme/femme). La disposition particulière en
rimes croisées masculine d'abord et féminine ensuite donne au poème l'idée d'un croisement, d'une
rencontre non seulement entre l'adolescent et la nature mais aussi avec l'amour. L'atmosphère douce
et musicale de la nature donne une impression de bien-être et de bonheur qui rappelle étrangement
le bonheur amoureux. Cet amour, c'est le bonheur de la rencontre, de l'entente, de l'harmonie avec la
nature qui remplace une femme. Comme le suggère en outre le titre, l'image que l'adolescent se fait
du bonheur est essentiellement sensuelle, subjective, individuelle et n'exige pas d'autre présence.
Les sensations tactiles qui sont les plus souvent citées, "picoté", "fouler", "baigner", "fraîcheur",
exigent un contact physique avec la nature, ces sensations ne peuvent exister que par le déplacement
et non le rêve. Toute réflexion, toute conscience est exclue, " Je ne parlerai pas ; je ne penserai rien"
vise à placer notre fugueur au cœur de la nature, dans sa plénitude sensorielle. Le bonheur est à ce
prix, à la sensation pure, brute, non réfléchie ou imaginaire, voire pervertie par une interprétation
subjective. On assiste par l'organisation syntaxique du dernier quatrain a une ascension progressive
vers une exaltation sensorielle qui atteint son apogée au dernier vers. Dans le second quatrain, le
premier vers, un alexandrin a un rythme régulier avec une césure à l'hémistiche. Le second vers se
lit d'un seul tenant, ce qui allonge le rythme, mais le mouvement d'horizontal devient ascensionnel,
on monte, ce qui exprime l'idée d'un effort, d'une intensité croissante. Ce mouvement ascensionnel
commencé au vers précédent se poursuit "loin, bien loin" et déborde sur le vers suivant avec le rejet
"De la nature" qui donne à la phrase une amplitude anormale et élargit le périmètre de
vagabondage pour aboutir au but, un équilibre matérialisé par le double tiret "heureux comme avec
une femme", un état d'harmonie, de bonheur parfait comparable à celui que l'on peut rencontrer
après d'une femme qu'on aime.

Conclusion
Dans ce court texte, on peut retrouve les sentiments d'une âme adolescente à la recherche du
bonheur, le désir de s'évader du milieu familial, de se libérer des contraintes, de vagabonder dans la
nature, de voyager. L'éveil de la sensualité s'exprime dans la quête de sensations que Rimbaud par
timidité peut-être préfère trouver auprès de la nature qu'auprès d'une compagnie féminine. Sur ce
dernier point Rimbaud ne changera pas. En mettant sensation au singulier, il n'est pas interdit de
penser que cette fugue qu'il nous annonce ne fera pas sensation.

« Soleil et Chair »

Plan
1-Le retour à la mythologie
2-Une critique de "La nature" de Lucrèce

3-L'amour dans les coeurs

4-Rimbaud sous les meilleurs auspices


C'est par La poste que le 24 Mai 1870, le jeune Arthur Rimbaud, 16 ans, élève de Rhétorique,
équivalent de la classe de 1ère au lycée de Charleville (Ardennes), adresse ce poème au parnassien
Théodore de Banville afin de le publier dans le "Parnasse contemporain", passage obligé de tout
jeune poète qui rêve dans la France littéraire de 1870, de publication et de gloire. Le titre initial du
poème était Credo in unam, littéralement : "je crois en une seule", sous entendue déesse, forme
détournée du credo catholique "Credo in unum deum (je crois en un seul dieu)" ou Rimbaud pactise
avec la poésie à la mode, en courtise les instances et en flatte les valeurs de beauté, d'éternité et
d'idéalité, ne reculant devant aucun des lieux communs de la poésie esthétique du Parnasse, la
mythologie, l'idéalisation des valeurs et la sublimation de la sexualité et de la féminité "déifiée"
sous les traits de Vénus, déesse nue surgissant de la mer. "Soleil et chair" est une version corrigée et
plus courte du "Credo in unam". C'est un éloge du paganisme, religion païenne avec de nombreuses
idoles, une forme primitive du sentiment religieux. Rimbaud qui a lu tous les romantiques et
Baudelaire reprend le thème de la nature des "correspondances", "un temple où de vivants piliers
laissent parfois sortir de confuses paroles". Si chez Baudelaire la nature a l'apparence d'un temple,
chez Rimbaud elle a celle de la femme la plus belle, création divine sortie de la mer, Venus, qui plus
tard émergera d'une vieille baignoire, un ulcère à l'anus. C'est un poème de l'hésitation, Rimbaud en
changera même le titre en "Soleil et chair, il manque sans trop savoir pourquoi des phrases entières
de la première copie remplacées par des points de suspension. Soleil et Chair se veut théorie d'un
retour possible à un monde idyllique.
1 Le retour à la mythologie
Écrit comme une symphonie, en quatre mouvements précédés de chiffres romains I à IV, le poème
se veut un retour à ce qu'on nomme la mythologie avec plusieurs dieux immortels qui n'est pas une
religion avec un seul Dieu et une morale du bien. L'homme préhistorique vivait dans l'angoisse, il
avait peur des phénomènes naturels, la foudre, les éruptions, les tremblements de terre. Pour le
rassurer on inventa les dieux et ce qu'il redoutait n'était que la colère des dieux. Les dieux forme une
grande famille issue de l'alliance d'Ouranos (Le ciel, le soleil) et de Gaia (La terre). Mais ces dieux
ne se bornent pas à surveiller de haut la race humaine mais descendent sur terre, déguisés pour
séduire des mortelles, c'est l'amour d'où ce titre de Soleil et chair, le ciel et terre, le dieu qui féconde
sous les traits d'un cygne, les mortelles comme Leda. Les lectures d'Homère ou d'Horace et de tous
les penseurs grecs n'a pas de secret pour ce jeune poète, elles font partie du cursus scolaire de
l'époque. Rimbaud regrette cette vie au temps de la Grèce antique, des spartiates, des femmes ou
des hommes vivant nus ou quasiment nus été comme hiver pour endurcir leur cors, faisant des
exercices dans le palestre (sorte de gymnase), aimant sa famille "Parce qu'il était fort, l'homme était
chaste et doux", ou passant leur temps à jouer ou à se divertir dans des banquets où l'on joue de la
cithare, de la lyre. Les dieux grecs sont partout, à tous les carrefours d'Athènes, sur terre, dans les
eaux, Zeus envoie la foudre, Venus-Aphrodite la passion amoureuse, on les questionne pour l'avenir,
on attend leurs signes, les présages. Pour conjurer le sort on remercie les dieux par des offrandes,
des sacrifices de moutons ou de chèvre. C'est un paysage peuplé de nymphes qui règnent sur les
eaux, les forets et les bois. Rimbaud nous donne de cette époque la vision d'une nature heureuse ou
tout est amour, les nénuphars embrassent les nymphes, le sol palpite sous le pied des chèvres, la
flûte, le syrinx simple morceau de bois émet un son d'amour, les arbres bercent les oiseaux. Le ton
du poète devient lyrique devant l'immense harmonie et beauté de la nature, avec de nombreuses
exclamations "Ô Vénus, ô déesse", "Ô splendeur de la chair", "Ô renouveau d'amour", le ciel
chante, le bois chante, le fleuve murmure, la nature chante, l'homme chante l'amour. C'était le temps
où "l'enfant suçait, heureux, sa mamelle bénie".
2-Une critique de "La nature" de Lucrèce
Lucrèce essayait d'affranchir les hommes de la peur des dieux et de la mort en invoquant dans une
sorte de prière une Venus génitrice et voluptueuse, connaissance, lumière, vérité renaissance,
l'image d'une nature qui loin de craindre les dieux s'épanouit à leur contact car la vérité et
l'apaisement ne peuvent naître que d'une compréhension juste de l'univers. Ce sont les philosophes,
dont Lucrèce qui les premiers s'insurgèrent contre les dieux devenus des moyens d'action entre les
mains d'intrigants politiques, multipliant les divinités les plus malfaisantes. Les prétendues
puissances célestes n'étaient que des inventions de l'ignorance et de la peur qui préparaient les
citoyens au joug. "L'Homme releva sa tête libre et fière !", est une révolte de philosophe pour faire
"palpiter le dieu dans l'autel". Le livre premier de La nature de Lucrèce reprend la même
exclamation à Venus, "O Mère d'Enée et de sa race, bienfaisante Venus..sous tes pas la terre
industrieuse étend ses doux tapis de fleurs, les flots de la mer te sourient, et toi, dans le ciel apaisé
se répand et resplendit la lumière". A travers Memmius comblé de tous ses dons, Lucrèce se lance
dans une explication de l'univers, matière et vide, sur la foudre, la pluie. Le texte fourmille de points
d'interrogation comme la suite de question que se pose Rimbaud, "Si l'on montait toujours, que
verrait-on là haut", "D'où vient-il ? Sombre-t-il ?". Mais notre poète, encore jeune n'a pas appris la
philosophie et conclue rapidement que nous ne pouvons savoir et trouver des réponses à nos
questions. Pour Lucrèce, la terre n'est que matière privée de sentiments mais elle produit de mille
manières une multitude de corps à la lumière du soleil, nous éloignant de Baudelaire et de ses
"Correspondances" dans laquelle "La nature est un temple ou de vivants piliers disent de confuses
paroles". Avec la mythologie, tout s'explique par un dieu, les mystères sont morts, il n'y en a pas, la
nature chante, l'homme est heureux au milieu de la nature.

3 L'amour dans les cœurs

Les principes de "liberté, égalité, fraternité" ont bien été gravés dans le marbre en 1848 au fronton
de la République, mais la fraternité, la solidarité, l'amour entre les êtres humains est loin d'être une
réalité et se pose la question du comment faire revenir "l'amour dans les cœurs" comme "le chant du
rossignol dans les bois". Le poète en appelle comme les grecs aux divinités et en premier à la mère
des dieux Cybèle et prône le retour de celle qui symbolise l'amour, Aphodite-Astarté qui jadis
émergea de la mer, nombril au vent. Comment rester indifférent devant la splendeur de ces formes
nues, les ventres neigeux, les cambrures des reins, la rondeur des seins, à peine dissimulés par des
voiles de mousse complices ? Les grecs malgré leur rivalités incessantes se sont toujours unis contre
un danger et constituent le meilleur exemple de fraternité. Pour les grecs, la famille est sacrée, les
spartiates sont des guerriers, forts mais ils sont doux, prévenant avec les enfants, les vieillards
"parce qu'il était fort, l'homme était chaste et doux", la relation de causalité est cependant très
contestable.

4-Rimbaud sous les meilleurs auspices.

La mythologie est en poésie un réservoirs d'images du merveilleux dont les parnassiens puiseront
abondamment. Rien d'étonnant à ce que notre jeune poète qui veut séduire le maître du mouvement,
Banville ne ponctue son texte de lyres, de cithares, de muses, de nymphes, de figures divines
Aphrodite-Kallipige, Éros, Ariadné, Thésée, puis Lysios-Dionysos, Zeus, Europe puis Zeus, Léda,
Héraclès, Séléné et enfin Endymion. C'est un défilé de personnages symbolisant la force, la beauté
et l'amour, Eros le dieu de l'amour qui unit les animaux, les végétaux et les hommes, Kallipige la
déesse de la beauté, Héraclès, le dieu de la force qui soumet les animaux sauvages, ours, loups, qui
terrorisent les grecs, Séléné la déesse de la lune, des cycles de la nature, Endymion le berger aimé
de Séléné, tous ces divinités complémentaires participent à une sorte d'affinité universelle
bienfaisante. Amour naissant, renouveau d'amour, l'aurore de l'amour triomphe de tout, Ariane-
Ariadné abandonnée par Thésée sur l'île de Naxos est consolée par Bacchus qui en tombe
amoureux. Tais-toi ! "carpe diem", c'est une invitation épicurienneà taire son désespoir amoureux et
profiter des plaisirs charnels qui s'offrent à elle. La destinée de l'humanité à travers ces récits
mythologiques glorieux se veut apaisante, "N'ayez pas peur" semble-t-elle nous dire", les dieux sont
là pour nous protéger s'opposant à ceux qui pensent que seule la science peut leur apporter une
solution aux problèmes philosophiques. Sachons écouter les auspices, comme le faisaient les grecs
dans le murmure du fleuve, le chant des bois. L'amour de Rimbaud pour la nature dont il disait
comparable à celui d'un homme pour une femme est un amour platonique dans une sexualité
sublimée à travers une nature féminisée et déifiée et la mythologie lui fournit la matière de son
exposé, la chair est une chair de marbre, belle, éternelle, idéale et il multiplie les exemples de
divinités nues sculptées dans le marbre, Aphrodite, Kallipyge, Venus, Leda, Cypris, Astarte, Cybèle.
On notera toute l'ironie dans l'attitude lascive, sensuelle, des tigres qui tirent le char de Lysios et
l'apologie de la nudité lorsqu'il regrette ce temps ou les hommes ne portaient pas de vêtements, puis
la critique à peine voilée de la religion qui avec "l'autre dieu qui nous attelle à sa croix" est accusée
de réprimer les plaisirs du corps au profil d'une morale sévère. Le meilleur exemple de l'union de
dieu et de la nature nous est donnée par l'image du bouvreuil qui fait son nid au sommet de la statue
et y dépose sa descendance comme une offrande. Les dieux écoutent l'homme a la même
connotation harmonique.

Conclusion
"Soleil et chair" est une poésie de la séduction adressé au maître du Parnasse Banville. Rimbaud
utilise toute la force de les séduction des images et des récits de la mythologie, pour faire passer un
message de fraternité entre les hommes en nous invitant à écouter la nature et à en retirer des
leçons.

« Ophélie »
Le thème Shakespearien
Ophélie reprend le thème shakespearien de l'héroïne d'Hamlet, Ophélie, femme délaissée
amoureuse d'un prince qui devient folle et se noie de désespoir. Le poème est composés de neuf
quatrains d'alexandrins à rimes croisées avec une numérotation de trois chapitres inégaux, deux
égaux de quatre quatrains chacun et le dernier d'un seul quatrain comme un refrain isolé. Cette
forme donne au poème une allure de complainte. Le nom anglais d'Ophélie "Ophélia" repris par
Rimbaud confirme l'identité du thème. Le manuscrit daté du 15 mai 1870 est joint à la lettre que
Rimbaud envoya quelques 10 jours plus tard au poète Parnassien Banville. Dans Hamlet, l’héroïne
de Shakespeare est amoureuse du prince, mais incapable de comprendre sa folle quête de la vérité,
finit par sombrer dans la folie, quand elle se croit abandonnée de son amant, et par se noyer de
désespoir.

Un tableau "préraphaélite"
Le premier groupe de quatrains fait penser à la toile de 1852 du peintre anglais, John Everett
Millais un "préraphaélite" montrant le corps d’Ophélie, paumes et regards tournés vers le ciel,
dérivant au fil de l’eau, le long de rives en fleurs. On retrouve la tradition picturale de la
Renaissance florentine d’avant Raphaël, le goût de la nature, des sujets religieux, caractéristiques de
l’école préraphaélite anglaise. Rimbaud brosse avec les couleurs un véritable tableau, joue sur le
contraste du noir "l’onde calme et noire" et du blanc "fantôme blanc", adjectifs de couleur repris
trois vers plus loin mais inversés. Comme dans le tableau du peintre anglais, Ophélie semble
toujours vivante, avec les yeux ouverts. Morte transfigurée Ophélie apparaît ici comme une figure
diaphane, une femme enfant, fille fleur, vierge sainte dans des voiles comparée à "un grand lys", la
fleur virginale et mariale. L’horizontalité est dominante dans le tableau et donne une impression de
paix, de sérénité, de lent glissement sur l'eau. Le poète joue sur les nombreuses allitérations en "l",
consonne liquide pour rendre compte de la scène, le mot hallali avec ses trois l apparaît comme un
point d'orgue à cette dérive fluviale. La nature comme dans une sorte d'harmonie universelle
participe à la compassion, les lignes verticales des saules ou des aulnes se courbent devant le corps
ou éprouvent des sentiments, les saules pleurent, les nénuphars soupirent. Les arbres, la végétation,
les floraisons chères aux parnassiens envahissent le tableau préraphaélite, composant un chatoyant
décor autour de la figure centrale. Que Rimbaud l’ait vu ou non, ou l’ait en tête, on apprécie cette
"correspondance" entre l’art poétique et l’art pictural chère à Baudelaire.

L'harmonie universelle

La musicalité savante des vers rimbaldiens, frissons, soupirs, ne pouvait que séduire le parnassien
Banville, à qui ces vers sont adressés ou, plus tard, les symbolistes, avec Mallarmé épris de ces
subtiles arabesques sonores. La complainte musicale commence avec les « hallalis» sons de cors
avant la mise à mort de l'animal, les frissons des saules, le froissement des nénuphars, les plaintes
de l'arbre, les soupirs des nuits. Le premier groupe de quatrains est une chanson triste, une plainte,
un soupir, une berceuse funèbre et mélancolique. L’apprenti poète qui use ici de l'alexandrin
classique et de son harmonie éprouvée joue dans un registre classique en multipliant les diérèses
traditionnelles, mystérieux, Ophélia, visions, les assonances "an", "eu" et les rimes intérieures
blanc/an/romances, les anaphores "voici plus de mille ans", les répétitions, sein, mille ans, blanc,
noir. Les audaces ou dissonances sont imperceptibles et rares : deux rejets "brisait ton sein",
"comme un grand lys". On remarque quatre pauses fortes, suspensions dramatiques ou silences
musicaux que l'on trouvait déjà chez Hugo ou Baudelaire.
La recherche rimbaldienne
L’exercice de style pour brillant qu'il est n'est que factice et pur artifice pour donner à Rimbaud
l'occasion de traduire son âme, celle du futur auteur du "Bateau ivre" et des "Illuminations" propre à
tous les élans, à toutes les dérives. C'est ici qu'apparaît toute l'importance des tirets. Dans les vers
détachés par les tirets, on finit par comprendre que le poète parle de lui. Rimbaud compare sa
situation à celle d'Ophélie et juge son aventure poétique comme un drame existentiel, une quête
aussi tragique que celle d’Ophélie et d’Hamlet. C’est le deuxième groupe de quatrains qui fait de
l'héroïne Shakespearienne le double mythique du poète révolté. L’identification de Rimbaud à
Ophélie est suggérée par le biais de l'apostrophe "ô pale Ophélia", par le tutoiement "tu mourus".
La femme fleur du tableau apparaît comme une sœur jumelle semblable aux "poètes de sept ans".
Ophélie dans sa quête d'amour et de liberté est devenue folle. Ophélie est comme lui une captive.
Mais L'aliénation ne va pas sans "délires" (Une saison en enfer) ni "vertiges" ni "visions" ou
"hallucinations", puisqu’elle est désir, nostalgie d'un ailleurs, révolte, évasion et libération "âpre
liberté", fusion ou communion avec le mystère du monde. La noyade d’Ophélie est la dramatique
métaphore de l'odyssée poétique à venir, celle du Bateau ivre, que parait annoncer le vers "c'est que
la voix des mers folles, immense râle". Les images, les mots diffèrent singulièrement du premier au
second groupe de quatrains : au tableau presque serein du début succède une scène de bruit et de
fureur. Au lieu de flotter lentement au fil de l’eau, la "pâle Ophélia" est "par un fleuve emportée",
sa chevelure tordue par les vents comme dans une sorte de "maelström" tragique mot qui sera
employé dans le "Bateau ivre". Les sonorités sont plus âpres faisant appel aux dentales, " t'avaient
parlé tout bas de l'âpre liberté".

Vision et folie en poésie

La quête poétique débouche à la fin sur la parole étranglée, sur un ultime et définitif silence, celui
de l’enfant noyé, celui du "pauvre fou", celui du poète, victime de son "rêve". Dans les
Illuminations on retrouvera l'incessante obsession d’unir le feu et la glace ; la neige fondue qui
traduit l'œuvre éphémère anticipe l’échec irrémédiable de l’entreprise rimbaldienne, incapable de
"changer la vie" et de renaître à un monde différent. La triste Ophélie ne peut que dériver sur le
fleuve de la folie.

Conclusion
Poème d'apprentissage fidèle au Parnasse dont il reprend les expressions de Banville, il est inspiré
par le drame d'Hamlet dont il reprend l'image d'Ophélie qui couronnée de fleurs décide de mourir en
se noyant. A travers le charme de ce mythe shakespearien on voit poindre le Rimbaud d'une "Saison
en enfer" et des "illuminations" qui parviendra à créer une nouvelle langue poétique.

« Le Bal des pendus »

« Ballade des pendus » de François Villon (1431-1463)


La ballade des pendus
Frères humains, qui après nous vivez,
N'ayez les coeurs contre nous endurcis,
Car, si pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :
Quant à la chair, que trop avons nourrie,
Elle est piéça dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
De notre mal personne ne s'en rie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Se frères vous clamons, pas n'en devez
Avoir dédain, quoique fûmes occis
Par justice. Toutefois, vous savez
Que tous hommes n'ont pas bon sens rassis.
Excusez-nous, puisque sommes transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l'infernale foudre.
Nous sommes morts, âme ne nous harie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
La pluie nous a débués et lavés,
Et le soleil desséchés et noircis.
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais nul temps nous ne sommes assis
Puis çà, puis là, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charrie,
Plus becquetés d'oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !
Prince Jésus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie :
A lui n'ayons que faire ne que soudre.
Hommes, ici n'a point de moquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

« BALLADE DES PENDUS » (LE VERGER DU ROI LOUIS)


de Banville Gringoire
Sur ses larges bras étendus,
La forêt où s'éveille Flore,
A des chapelets de pendus
Que le matin caresse et dore.
Ce boit sombre, où le chêne arbore
Des grappes de fruits inouïs
Même chez le Turc et le More,
C'est le verger du roi Louis.
Tous ces pauvres gens morfondus,
Roulant des pensers qu'on ignore,
Dans des tourbillons éperdus
Voltigent, palpitants encore.
Le soleil levant les dévore.
Regardez-les, cieux éblouis,
Danser dans les feux de l'aurore.
C'est le verger du roi Louis.

Ces pendus, du diable entendus,


Appellent des pendus encore.
Tandis qu'aux cieux, d'azur tendus,
Où semble luire un météore,
La rosée en l'air s'évapore,
Un essaim d'oiseaux réjouis
Par-dessus leur tête picore.
C'est le verger du roi Louis.

Envoi
Prince, il est un bois que décore
Un tas de pendus enfouis
Dans le doux feuillage sonore.
C'est le verger du roi Louis !

1-Un plagiat déstructuré d'une ballade médiévale


2-Un bal virtuel, un pastiche sarcastique
3-Une poésie romantique

Un mélange de style et d'époques


Ce poème a une origine scolaire et reprend un devoir de français donné par son jeune professeur
Izambard dans lequel il s'agissait d'écrire au nom Charles d'Orléans une lettre au roi Louis XI pour
obtenir la grâce du bandit et poète Villon menacé de la potence. Dans cette lettre Rimbaud prenant
la défense des déshérités mais aussi des poètes, nous présente Villon comme un "bon folastre" et
s'en prend aux juges, les terribles oiseaux noirs. Rimbaud dans "le bal des pendus" reprend le
thème de cette justice cruelle et inverse les rôles, les pendus sont ici les paladins, des chevaliers
des temps modernes, qui défendent les causes justes. Il est composé de 9 quatrains d'alexandrins en
symétrie autour du quatrain 5 et de deux quatrains identiques d'octosyllabes qui commencent et
achèvent le poème (incipit et clausule) à l'exemple "d'Ophélie" et de "Première soirée", lui
donnant une structure circulaire de boucle. Le titre donne le ton, c'est un bal, une fête joyeuse dans
laquelle ceux qui défendent une juste cause vont à leur tour danser au bout d'un gibet. Rimbaud, à
cette époque, n'a que 16 ans (né en 1854), il vit misérablement et a déjà connu la prison à Mazas
pour avoir voyagé sans billet, il n'en a que plus de haine contre la justice. Rimbaud reprend pour le
plagier, la ballade des pendus du parnassien Banville et celle du bandit François Villon, condamné
à la pendaison. Si la ballade des pendus de François Villon est une complainte de mourants à
l'adresse des bien-vivants, le bal des pendus de Rimbaud est un poème de joie sarcastique envers
les représentants et défenseurs de l'ordre établi, les palatins, livrés ici au diable Belzebuth derrière
lequel se cache évidemment notre poète.
Un plagiat déstructuré d'une ballade médiévale
Rimbaud ne fut certes pas le premier adolescent à se réfugier avec ses colères et ses espérances
dans le mirage ambigu des vers et des quatrains. Nous sommes confrontés dès le titre à sa volonté
adolescente de choquer le bon goût bourgeois qui se reconnaîtra dans la situation du pendu avec
son "armure de carton". Sous le diable Belzébuth qui maltraite les pendus en début de poème, se
cache la volonté évidente de notre poète de secouer, de frapper, de perturber, d'angoisser l'ordre
bourgeois établi et de se faire une place. Mais à la fin du poème, il intervient directement sous la
forme d'un squelette fou, bondissant, se cabrant, ricanant, un baladin avec ses "bohémienneries".
Rimbaud, tel le petit Poucet nous laisse toujours quelques indices. Nos pendus, les bourgeois, sont
trop gros, trop lourds dans leurs armures métalliques de "palatin", prennent trop d'espace. La diète
de la prison, leur permet désormais d'effectuer des gestes plus harmonieux, des cabrioles sur de
longs tréteaux, autre "bohémiennerie. Les premiers poèmes du cahier de Douai sentent tous
l'imitation , la parodie des grands maîtres qui font rêver, Hugo, Banville. Pour dire sa révolte contre
un monde encrassé, enlisé, hypocrite, injuste, qu'il entend bien secouer ("secouez-moi ces capitans
funèbres") et parfaire son apprentissage poétique, il se sert ici de ses souvenirs littéraires, Les
Misérables de Victor Hugo, le souvenir d'un Quasimodo retrouvé parmi les pendus du gibet de
Montfaucon en plein Paris. L'écriture des premiers poèmes est une écriture violente teintée
d'humour sarcastique. La ballade médiévale est un genre à la mode à l'époque de Villon, pratiquée
par les troubadours, poètes, chanteurs et musiciens pour faire danser (baller) les belles dames et
demoiselles en leurs châteaux pendant que leurs nobles maris, guerroient. Ces ballades ont une
structure fixe de trois strophes carrées (huitains d'octosyllabes, dizains de décasyllabes, douzains
d'alexandrins). Notre jeune poème s'en affranchit et reste fidèle aux quatrains et plus classiquement
en bon élève à l'alexandrin. L'atroce vision hivernale, neigeuse et nocturne de ces pendus nous
montre une complicité évidente de notre mauvais garçon révolté, fugueur avec le rebelle poète et
bandit François Villon qui tua un prêtre, ce qui n'était pas pour lui déplaire. Dans ce poème macabre
c'est le diable Belzébuth qui mène la danse, anobli pour l'occasion du titre de Messire Belzébuth,
c'est le mal, il donne des coups (un revers de savate), pousse les pendus les uns contre les autres (les
pantins choqués). La ballade est une poésie lyrique du moyen-âge obéissant à des règles strictes de
trois strophes suivies d'un "envoi". Elle est ici reprise, recomposée, modifiée même dans le titre. La
ballade, complainte dansante est devenue bal, plaisir populaire, mais danse macabre, bruyante, de
pendus que l'on reconnaîtra comme les nobles, les juges, les nantis, les gens en place, au bout d'une
corde. Les rôles sont inversés, le chevalier, le notable habitués aux danses qu'accompagnent les
troubadours sont désormais bien maigres rappelant Villon nourri de peu de pain lors de son séjour
en prison, ils peuvent désormais faire des saut légers, des pirouettes. Rimbaud conserve aux
paladins, l'armure métallique en comparant les pendus à une orgue et donne à ses paladins du diable
une armure de carton, il les allège pour qu'ils puissent s'élever (cabrioler). Les pendus deviennent
des pantins manipulés par le mal (le diable) qui tire les ficelles (la cravate). Le pendu a des
sandales, la chaussure du riche ou celle du pèlerin, le diable ainsi que les pauvres n'ont que des
savates. Le mouvement circulaire devient un mouvement infernal, les paladins qui pensaient avoir
gagné leur "paradis" sont les jouets du diable, ils se dégradent rapidement, ils se déshabillent de leur
chair (expression empruntée à Gautier). Le calvaire des malheureux se poursuit par des coups de
"savate", ils sont violentés, entrechoqués, humiliés. Ce rythme infernal imposé aux personnages par
le diable Belzébuth est encore accentué par les onomatopées, hop, hourra, Oh, holà.

Un bal virtuel, un pastiche sarcastique


Dans la poésie de Villon, les pendus sont des morts qui s'adressent aux vivants. Dans notre poème
nos pendus sont bien vivants, ils enlacent comme par pudeur leurs corps avec leurs bras dans la
dégradation de leurs corps (le déshabillage de chair). Rimbaud rend la situation encore plus
comique avec l'image de la neige qui en tombant recouvre pudiquement la tête du pendu d'un
chapeau ou celle des plumes du corbeau qui leur creusent le crâne mais leur fait aussi un panache,
et cela sur fond musical de vent glacial. Le ciel assimilé au paradis est en feu, il n'y a plus de salut.
Ces pendus amaigris par un séjour virtuel en prison ressemblent à des squelettes qui
s'entrechoquent, ils en appellent à Dieu, prient mais ils ne sont pas ici dans un moustier
(monastère), leurs vertèbres ressemblent à un chapelet (expression empruntée à Gautier). Tous ces
notables bien pensants, ces bourgeois, représentés ici par les paladins se sont que des gens sournois,
qui à force de s'accrocher à leurs avantages ont les doigts crochés (cassés), ce ne sont que de
bouffons marquis (capitan).
Une poésie romantique
Rimbaud en adolescent contestataire, en révolté ne manquera pas de dénoncer dans ses premiers
poèmes la misère des "choses vues" avec la même emphase et le même souffle qu'un Hugo dans
les "Châtiments". Si Hugo accumule les blasphèmes contre son ennemi de toujours, Napoléon III,
Rimbaud s'en prend à la religion hypocrite de son enfance, à la bigoterie, à la tartufferie qu'elle
entraîne (Ce n'est pas un moustier ici, les trépassés). Rimbaud invective à la moindre occasion le
Dieu des hypocrites et des "planqués" comme naguère Hugo voulait faire souffler un vent
révolutionnaire à la poésie-monachie et mettre un bonnet rouge au vieux dictionnaire. Rimbaud est
déjà bien romantique, il refuse les thèmes classiques de l'homme de raison, de la société organisée,
de l'esprit des lois. Il est lyrique, fait parler son cœur, peint les drames de la vie, s'indigne, se révolte
avec un goût prononcé pour le bonheur dans la mort (le chant des ossements), les ténèbres, la mort.
En reprenant ici Satan qui conduit le bal, Rimbaud ne se démarque pas encore des romantiques.

Conclusion
De ce divorce fondamental entre les rêves d'adolescent et le réel naît chez Rimbaud une
conscience malheureuse qu'amplifie sa passion généreuse. Ce premier poème est dans la lignée des
poèmes de débutants profondément marqué par l'imitation. Notre voyant qui apparaît plus ici
comme un voyeur nous donne cependant une facette de son talent. Même s'il s'agit d'une reprise, le
poème conserve une touche originale, un agencement particulier provoqués par des rapports de
compensation. Les mots qu'il emprunte (palatin, pantin), les vers qu'il imite, les strophes qu'il
réinvente sont pour cet adolescent révolté les supports d'une distanciation avec son univers familial
et social. Dans l'ensemble de ses premiers poèmes se retrouvent ses malheurs domestiques, une vie
sans père et la présence d'une mère bigote omniprésente et les difficultés à s'imposer dans le monde
littéraire. Dans ce poème il nous brocarde sans ménagement la justice mais aussi toute la
bourgeoisie de province racornie. La caricature avec les palatins est audacieuse, un peu
anachronique cependant.
« Le Châtiment de Tartufe »
1-Un cœur sous la soutane
2-Une religion refoulement
3-Une inspiration hugolienne

Ce poème est le 7ème poème du premier cahier de Douai, il a la forme d'un sonnet, deux quatrains
suivis de deux tercets en alexandrins comme les poèmes du second cahier. Il a été écrit
probablement lors de son séjour en septembre 1870 à Douai chez les demoiselles Gimbre tantes de
son professeur de classe de Rhétorique Izambard. Forme contraignante, le sonnet oppose
généralement les tercets aux quatrains. Les deux tercets ne sont pas ici précédés d'un tiret, signe
servant à séparer les parties d'une énumération mais un tiret précède une dernière marque de
mépris, de dédain au dernier vers "-peuh !", ponctué d'un des multiples points d'exclamation.

Un cœur sous la soutane

Le poème Tartufe écrit ici avec un seul f reprend> l'anticléricalisme commencé par Rimbaud dans
"un cœur sous la soutane". Cette sale éducation d'enfance qu'il a reçue, voulue par sa mère qui veut
l'élever dans un catholicisme strict, et lui fait lire chaque soir la bible, le 'livre du devoir". Dans "un
cœur sous la soutane", Rimbaud nous présente les confidence d'un séminariste Mr Léonard
amoureux d'une jeune fille Thimothina Labinette dont il ne pouvait un an après se séparer des
chaussettes qu'elle lui avait offert. Les souvenirs de séminariste lui rappellent ses cours de
rhétorique, l'art de persuader, avec son professeur Izambard, cours qui étaient communs aux
élèves laïcs en blouse et aux élèves en soutane. Il nous dit ici dans ce poème l' aversion, le mépris,
le dédain, pour le représentant de l'église qu'il ressentait déjà pour ces élèves en soutane, hypocrites,
dénonciateurs auprès du supérieur, moqueurs décrit dans "un cœur sous la soutane".

Une religion refoulement

Si le catholicisme mérite tant pour Rimbaud d'être ainsi "châtié", c'est parce que la religion qui
contribue à renforcer un ordre social injuste est aussi coupable du refoulement du corps et de la
sexualité. La religion ment, elle opprime les pauvres qui "bavent une foi mendiante et stupide" en
guise de prière. La religion si elle leur apporte un peu de réconfort ne les soulage en rien de leurs
difficultés, mais leur apporte un sentiment de culpabilité, de refoulement de leur corps et de leur
sexualité. Notre clerc qui tisonne pour rallumer son cœur généreux est pris à son propre piège de la
chasteté. L'église est un obstacle aux expériences sexuelles et va à l'encontre des appétits naturels.
Rimbaud se venge du sup** d'un cœur sous la soutane qui l'avait convoqué et "craché" sur sa
poésie" en chuchotant des "orémus". Il inverse les rôles, en violentant le représentant de la religion,
en le ridiculisant en le mettant nu. Cette violence peut paraître bien facile mais elle n'est pas gratuite
car notre poète range le catholicisme à coté de la bourgeoisie à bedaine soucieuse de l'ordre social
établi responsable des asservissements, freinant les instincts naturels, les élans vitaux. On se
souvient du reproche des "jambes trop écartées" d'un cœur sous la soutane. A travers la religion,
Rimbaud se révolte contre une société déchue, étouffante dont la religion est un des piliers.

Une inspiration hugolienne

Pour tout lecteur habitué au ton méprisant de Rimbaud, si notre poète traite ici à sa façon son
aversion pour les représentants de l'église qu'un méchant tire par l'oreille et dénude, il joue sur
l'ambiguïté. Châtiment rappelle trop Hugo et ses démêlés avec Napoléon III pour que chacun
puisse admettre que le tartufe n'est autre que Napoléon III. Pour rendre l'analogie encore plus
vraie, il reprendra dans son dernier vers le texte du Tartuffe de Molière dont il retirera un f.
Rimbaud craint que l'humanité et donc lui même ne fasse les frais de tous ces "châtiments" qui
ravagent le monde et il n'a pas envie de finir au "gibet noir" du "bal des pendus".

Conclusion
Rimbaud avait écrit "je serai parnassien", mais par son inspiration, ses thèmes, il se situe aux
antipodes du Parnasse car sa poésie est directement et >politiquement engagée. Dans le châtiment
de Tartufe, c'est un Rimbaud ricanant qui s'attaque à l'un des piliers de l'ordre social, la religion qui
constitue un frein aux énergies. Notre apprenti poète de dix-sept ans, encore bien sage, nous
apparaît plus comme un enfant frustré qu'il renvoie sur la religion en frustrant son représentant de
ses signes extérieurs.

Fortement inspiré des "Châtiments" de Victor Hugo, ce n'est pas à Napoléon III que s'adresse ces
vers mais à Louis XVI. En partant d'un fait réel, le roi Louis XVI interpellé par le boucher
Lengendre contraint de coiffer le bonnet phrygien, Rimbaud, exprime dans ce texte, un "cri du
peuple" à la Vallès, son idéal révolutionnaire et sa foi en l'avenir de l'humanité. L'anecdote intéresse
Rimbaud en ce qu'elle met en scène des hommes qui prennent en main leur destinée et se
découvrent soudainement forts et libres. Dans ces vers l'aventure politique et l'aventure poétique
sont subtilement mêlés.

« Le Forgeron »

1 Métaphore du forgeron et de l'écrivain


2 L'analyse politique et sociale
3 L'esprit révolutionnaire

Le poème "le forgeron" a été inspiré à Rimbaud par une gravure de l'Histoire de la Révolution
Française d'Auguste Thiers montrant Louis XVI pris à partie par le boucher Legendre et coiffant le
bonnet rouge des révolutionnaires. De ce boucher, Rimbaud a fait un forgeron, tâche plus riche de
signification mythique (les Titans en lutte contre les dieux de l'Olympe). Dès les premiers vers du
poèmes, Rimbaud va faire souffler sur ses alexandrins un vent de tourmente en jouant sur les
sonorités, les assonances et les allitérations pour rendre compte du climat de révolte mais aussi de
cacophonie qui règne dans le peuple. L'assonance en "i" , voyelle aiguë et fermée
(gigantesque/ivresse/riant/Louis) donne un aspect criard à la révolte populaire. En écho se
superpose le son plus sourd "an" (gigantesque/effrayant/grandeur/tordant) qui traduit la surditédu
roi aux appels populaires. L'assonance en "ai" répétée dans clairon d'airain marque une répétitions
d'interpellations demeurées sans suite. Rimbaud joue également sur le jeu des allitérations pour
rendre compte par un jeu de sifflantes de la rapidité de déplacement du roi (le seigneur, à cheval,
passait, sonnant du cor). Tout le poème n'est qu'un subtil jeu d'assonances et d'allitérations qui
donne du mouvement à la révolte populaire

L'analyse politique et sociale

Les deux premiers mots du poème "le bras" donne de suite le ton au poème, d'un coté des ouvriers
et des paysans qui n'ont que leurs bras et reçoivent "gratuitement" des coups de fouet du seigneur
(fouaillaient), de l'autre une noblesse brutale vivant sous les lambris d'or, un clergé vivant dans
l'insouciance et le confort "au soleil" passant le temps à réciter ses prières (disait des patenôtres),
des élus timides rédigeant "des menus décrets", des juges "hommes en noirs" renvoyant les litiges
des ouvriers. Rimbaud emprunte à Hugo le souffle et l'emphase des "Châtiments" pour dénoncer la
misère ouvrière de ce XIXème siècle. En mettant face à face en août 1792, un homme du peuple
énergique et musclé, le forgeron et le roi Louis XVI vacillant sur son trône, il accumule les
blasphèmes à l'endroit de la noblesse, le roi (ce gros là/le roi debout sur son ventre/tes mille
chenapans), puis la justice (ces chers avocassiers), les mots d'ordre exaltés de la "crapule
souveraine", le peuple des ouvriers réunis sous la bannière de la liberté et de l'amour. Il n'hésite pas
dans le même mouvement à agresser la religion hypocrite de son enfance, gavée de bigoterie et de
tartufferie.

L'esprit révolutionnaire

On retrouve dans le poème toutes les nombreuses sources des conflits révolutionnaires, les
injustices, les privilèges, les impôts, la propriété, le service militaire. Rimbaud fait parler le
forgeron avec un langage simple, familier mais très imagé. "Tu crois que j'aime voir ta baraque
splendide" dit le forgeron à propos des Tuileries au roi, "tes palsembleu bâtards qui tournent comme
des paons" à propos de la cour dont le pale sang bleu traduit une bien modeste noblesse, "nous
dorerons ton Louvre en donnant nos gros sous" pour rappeler l'usage qui est fait des impôts. Si le
forgeron personnifie La Bastille "cette bête suait du sang à chaque pierre", les ouvriers sont
constamment associés à une inorganisation et à une très grande saleté "le tas des ouvriers", "traînant
sa veste sale", "l'immense populace", "nos taudis", "main superbe de crasse". La demande du
forgeron apparaît cependant modeste, il ne demande pas le pouvoir comme on pourrait s'y attendre
mais de la reconnaissance, un peu de la récolte que lui accorde la Providence qui lui permettrait de
vivre avec sa femme et ses enfants. En ce sens Rimbaud apparaît plus un révolté qu'un véritable
révolutionnaire. L'espoir en une nouvelle vie est indissolublement lié chez lui à la révolte contre une
société déchue, étouffante. Se révolter, c'est retrouver en soi cet élan vital qu'a tenté de freiner la vie
sociale. A la fin du poème le forgeron abdique et d'un geste de mépris jette le bonnet au roi
.
Conclusion
On trouve de façon étonnante dans ce texte une certaine admiration de Rimbaud pour le monde
ouvrier. On sait aussi que Rimbaud depuis l'âge de treize ou quatorze ans rêvait à la destruction
violente de la société. Avec l'espoir de la commune, l'idée de cette métamorphose par le biais d'une
rénovation politique a donné une autre portée à sa révolte personnelle. En esquissant une révolution
comme l'alliance des forces instinctives des travailleurs guidés par un besoin d'amour (nous
marchions, nous chantions, nous allions au soleil, front haut), Rimbaud échappe ici à l'étiquette
socialiste qu'on lui a parfois attribuée.

« Les réparties de Nina »

1-Sottise ou stupidité dans la jeune fille qu'on désire


2-Une mauvaise expérience avec Nina
3-La désespérance de Rimbaud

Préalablement intitulée "Ce qui retient Nina", le poème "Les réparties de Nina" est un poème qui
conte, sur un air frivole, une promenade amoureuse imaginaire, au conditionnel, au milieu de la
campagne avec Nina, une jeune fille fictive. Ce 9ème poème du cahier de Douai de vingt-sept
quatrains et un tercet écrit alors qu'il n'a pas encore 16 ans (né le 20 octobre 1854) relate les
premières aventures amoureuses du poète dans sa campagne des Ardennes. Notre jeune poème a
les sensations que ressentent fréquemment les jeunes gens à cet âge, la quête d'un premier amour, le
bonheur dans la nature, les promenades bucoliques et romantiques. Il s'agit d'un poème de 25
quatrains hétérométriques avec alternance d'octosyllabes et de tétrasyllabes, de vers pairs puis un
dernier tercet détaché ou collé au dernier quatrain et enfin un dernier vers de trois mots, la réponse
de Nina, "Et mon bureau", complétant le tercet précédent. La structure d'octosyllabe complétée par
le tétrasyllabe donne une structure boiteuse d'alexandrins au poème. Notre jeune poète essaie ici,
par des envolée lyriques, de convaincre une amoureuse fictive, Nina, une citadine, une employée de
bureau, de venir le retrouver dans sa ferme et de partager un moment d'intimité chez lui, à la
campagne. La fin du poème après une invitation insistante par la répétition de "Tu viendras", se
termine par un immense doute appuyé par un jeu de mot entre "et m'aime", et "et même...".

1-Sottise ou stupidité de la jeune fille qu'on désire

Dans "les réparties de Nina" on note un décalage entre l'homme lyrique (tout le poème) et la
femme beaucoup plus prosaïque (3 mots en répartie "et mon bureau" ?), expliquant son échec
amoureux. Ses illusions, son avatar féminin commencé par "les réparties de Nina" prendront
cruellement fin dans "mes petites amoureuses", "Ô mes petites amoureuses, Que je vous hais !"...
L'année suivante en 1871, Rimbaud professera le plus grand mépris pour les élans lyriques des
romantiques, la rencontre amoureuse et bucolique dans la nature. Rimbaud se moque de la
description lyrique des romantiques qui affectionnent les natures grandioses. Ici le cadre est banal
fait d'une campagne ordinaire de vergers des Ardennes, avec le village, les fermes avec leurs étables
emplies de fumier, les vaches qui fientent fièrement, la grand-mère accompagnée de son missel, les
hommes qui boivent et fument, le feu qui brûle dans la cheminée et qui éclaire la maison, les
familles nombreuses, des taudis, mais une image de bonheur en famille que seul permet l'amour.Car
c'est bien au conditionnel que commence le poème, si... nous nous aimons, l'un contre l'autre,
poitrine contre poitrine, tout sera beau dans cette nature avec les aromes de fraise et de framboise,
les odeurs de fruits des vergers. Mais cela demande aussi beaucoup d'imagination, marquée par la
multiplicité des points de suspension, que semble ne pas posséder l'interlocutrice qui ne pense qu'à
ses activités professionnelles, à son bureau, à son travail d'employée.

II-Une mauvaise expérience amoureuse avec Nina

Pour présenter un paysage de désir, Rimbaud ouvre fréquemment ses poèmes avec un octosyllabe.
"J'ai embrassé l'aube d'été, premier vers de "Aube" des "Illuminations" suggère la métaphore
amoureuse. Féconde belle et sensuelle, la nature séduit le poète comme elle devrait séduire Nina
"Amoureuse de la campagne, semant partout, comme une mousse de champagne, ton rire fou". La
nature incite par communion à l'amour "de chaque branche, de chaque bourgeon, on sent frémir
les chairs". La nature participe à l'éclosion et à un vertige des sens, elle rend joyeux "Riant au vent
vif qui te baise", elle est capricieuse "Au rose églantier qui t'embête", elle rend ivre "brutal
d'ivresse". Son lyrisme, est un épanchement en compagnie de sa muse, Nina, devant les vibrations
de la nature. Dans le frémissement d'un contact "poitrine sur ma poitrine", le poète-bohémien, au
coeur de la nature, entend en lui la montée de l'amour comme la sève monte dans l'arbre et attend
de l'autre le même frisson du désir, "Je te porterai, palpitante". Mais cette impression est finalement
déçue par la stupidité de Nina qui ne contemple pas le spectacle plein de vie, de sensualité de la
nature en éveil et ne pense qu'à son travail au bureau.

III-La désespérance de Rimbaud

Rimbaud bohémien retourne son ironie contre lui dans ses aventures amoureuses. Après le départ
seul et rêvé du court poème "Sensation" par un soir bleu d'été où il se retrouvait comme ici dans
l'herbe, sur les sentiers, avec le vent cher aux romantiques, "heureux comme avec une femme", et
l'amour infini lui montant dans l'âme, on retrouve ici notre bohémien accompagné de Nina.
Rimbaud reprend ici le thème de "Sensation" pour savoir s'il est aussi heureux devant la nature qu'il
peut l'être avec une femme. A la première personne du singulier, "J'irai par les sentiers" de
"Sensation", s'est substituée la première personne du pluriel, "Nous regagnerons le village". A
l'assurance du futur "J'irai" du premier vers de "Sensation" succède l'incertitude du conditionnel
dans cette union, dès les deux premiers vers "Ta poitrine sur ma poitrine, hein ? Nous irions". Seul
l'emportement amoureux, l'audace, l'insolence, peut transformer ce conditionnel en certitude, "Tu
seras heureuse"'. La journée terminée, que le soir arrive et que l'on doit rentrer, le voyage imaginaire
se poursuit dans les fermes où sent bon le fumier chaud, où fientent fièrement les vaches, et dans les
maisons, les fermes, les taudis, où vivent de nombreux enfants en harmonie. Par l'amour, c'est une
vision transfigurée, idyllique des taudis, des fermes qui nous est donnée et qui est très loin de toute
réalité. Il y a cependant beaucoup d'ironie dans le nez long de la grand-mère avec son missel, les
fesses luisantes et grasses des enfants qui sont gros, qui ont un museau, le chien qui lèche l'enfant
comme pour le nettoyer, les carreaux petits, sales et gris des fenêtres noyées par la verdure.

Conclusion
Dans ce long poème qui est comme un complément au poème "Sensation" pointe déjà toute
l'audace, l'insolence, l'ironie, de Rimbaud envers les jeunes filles de son âge, les habitants des villes
comme ceux des campagnes. Sur un air frivole, le jeune poète de 16 ans qui veut découvrir l'amour
en invitant une jeune fille à venir chez lui, fait l'éloge de la vie à vie à la campagne, dans les fermes
ou sent bon le lait chaud. Hélas pour lui, son interlocutrice est beaucoup moins romantique et
prosaïquement en quelques mots rejette son attendrissante et puérile invitation.

« Roman »
PLAN :
1. La nature propice aux sentiments
2. Le jeu de la séduction
3. Une ironie constante

Le titre "roman" reprend l'étymologie du substantif, une narration d'aventures une étude de mœurs,
une analyse de sentiments ou de passions. Les romans sont souvent des fictions. Dans ce poème
Rimbaud fait tout une critique de ses aventures amoureuses d'adolescent encore bien naïf.

La nature propice aux sentiments


On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans qui commence et termine le poème apparaît comme la
raison de ses échecs amoureux. La diérèse sur sérieux traduit l'insistance sur cet âge ingrat et naïf
fait d'illusions, de chimères et de maladresses. Le pronom "on" donne une universalité à sa pensée
dans laquelle tout lecteur peut se reconnaître. Déjà dans "les réparties de Nina" on notait un
décalage entre l'homme lyrique (tout le poème) et la femme beaucoup plus prosaique (3 mots en
répartie "et mon bureau" ?) expliquant son échec amoureux. Ses illusions, son avatar féminin
commencé par "les réparties de Nina" prendront cruellement fin dans "mes petites amoureuses" "Ô
mes petites amoureuses, Que je vous hais !"… L'année suivante en 1871, Rimbaud professera le
plus grand mépris pour les élans lyriques des romantiques, la rencontre amoureuse dans la nature.
Rimbaud se moque de la description lyrique des romantiques qui affectionnent les natures
grandiose. Ici le cadre est banal fait de tilleuls, des arbres très courants. Beaucoup de termes de ce
poème se retrouvaient dans le précédent, sève, champagne.
Un jeu de séduction
Comme dans les fêtes galantes de Verlaine, les adolescents se livrent au jeu de la séduction,
l'adolescente qui apparait n'est pas une beauté plastique, elle est d'abord métaphorisée
prosaiquement en "chiffon", elle a des petits airs charmants mais est affublée de diminutifs, elle est
petite, semble soumise à son père, inaccessible. Mais on peut se prendre et se laisser prendre au jeu
de la séduction, devenir amoureux sur un simple regard, un retournement. Le retournement devient
bouleversement car l'amour impose de s'engager à deux malgré les divergences. Lorsque la réalité
prend le pas sur le romanesque, sur l'imaginaire des sonnets amoureux et lorsqu'elle lui répond par
lettre notre auteur qui a peur de s'engager abandonne rapidement la partie et retourne avec ses amis.
"On n'est pas sérieux" traduit qu'on ne recherche pas à dix-sept ans l'amour pour toujours mais
quelque chose d'éphémère pour assouvir un désir. En outre on manque d'expérience, on a peur d'être
maladroit et de tout compromettre. Même si ce besoin amoureux correspond ici à un besoin de
changer d'air, des fréquentations masculines habituelles des cafés, notre auteur voulait simplement
connaître le plaisir de l'amour même fulgurant.
Une ironie constante
Les amours d'été d'adolescent sont souvent sans lendemain et chacun reprend sa vie près de ses
parents comme un nouveau cycle. Les robinsonnades, néologisme qui renvoie à Robinson Crusoe
constituent pour chaque adolescent un rêve d'aventures, favorisé par les mois d'inactivité scolaire de
l'été. Ce seront des souvenirs à raconter à la rentrée lorsque l'imaginaire prendra le relai. Rimbaud
égratigne les romantiques avec leur cadre grandiose, les lacs propices aux épanchements amoureux.
Ici tout est simple et agréable et l'amour se résume à un baiser, pas de descriptions pompeuses mais
seulement des points de suspension dans lesquels chacun peut imaginer la suite.

Conclusion
Dans ce poème Rimbaud évoque vers la fin de l'été, une aventure amoureuse en cours. Toutefois le
"vous" utilisé rend ce roman applicable à tout lecteur. Ce n'est donc pas un poème de la rencontre
unique, mais une sorte de "diagnostic" porté sur les rêves d'amour à 17 ans.
« Rages de Césars »

Plan
1-Un hymne à la liberté
2-Une argumentation ad hominem
3-La condamnation de toute tyrannie

Ce poème "rages des Césars" avec un double pluriel est le 14ème et dernier poème du 1er cahier
de Douai. Il a la forme d'un sonnet, deux quatrains suivis de deux tercets en alexandrins. Il n'est pas
daté, comme la plupart des poèmes de Rimbaud dont on ne connaît que des copies. Si ce poème a
probablement été commencé après la défaite de Sedan du 1er septembre 1870, lors de son premier
et court séjour chez les demoiselles Gimbre, tantes de son professeur de lettres Izambard, la
dédicace chère à Verlaine en fin de poème laisse à penser qu'il a été repris après leur rencontre de
septembre 71. Forme contraignante, le sonnet oppose généralement les tercets aux quatrains.

1-Un hymne à la liberté.


Le Rimbaud frondeur, engagé, acquis aux idées républicaines, aux idéaux de liberté de 1789, déjà
perceptible dans ses premiers poèmes "Le forgeron", "Morts de Quatre-vingt-douze", "Le Mal" se
confirme ici dans un portrait au vitriol de Napoléon III. Ce souverain monarchique qui règne sur la
France depuis près de 20 ans est affaibli, malade de calcul dans la vessie. Fait prisonnier sur le
champ de bataille de Sedan à la tête de ses hommes, il apprend sa destitution au château de
Wilhelmstrohe à Kassel en Allemagne où il sera retenu prisonnier quelques mois. On voit dans ce
portrait l'image d'un tyran, ayant gouverné seul, et qui réfléchit amèrement sur la guerre perdue et
la fin de son pouvoir. Rien n'indiquait au départ chez cet homme un instinct despotique pour le
pouvoir solitaire, l'élimination des républicains, il est élu député puis président de la République et
lorsqu'en 1852 il se proclamera empereur, il se fait plébisciter par le peuple. Rimbaud attaque ici un
homme malade qui mourra deux ans plus tard, un homme pâle qui pense aux fleurs des Tuileries et
qui pensait à souffler la liberté comme une bougie. Napoléon III fait partie des rares souverains fait
prisonniers sur un champ de bataille en stigmatisant ses troupes, il s'apprêtait à écrire une histoire
de César. Notre souverain se promène a pied en habit noir d'apparat, il, il fume son cigare. C'est un
homme épuisé par la vie, par les fêtes luxueuses données aux Tuileries. Mais ne dissimule-t-il pas,
par dignité, ses réelles pensées. Il a des regrets mais ne les laisse pas voir. Rimbaud suit les traces
de Victor Hugo pour dénoncer un homme qui, cependant, accorda le droit de grève aux ouvriers, fut
méprisé et est ici dénoncé par Rimbaud comme un despote.
2-Une argumentation ad hominem
Rimbaud reprend ici une partie des accusations portées à Napoléon III par Victor Hugo, d'un
personnage apathique, sans expression, sans vie, "il a l'oeil terne, l'œil mort, d'une sorte de pantin
qui marche machinalement "il chemine" avec un goût de l'apparat "en habit noir", "fume le
cigare". Rimbaud tient ici une argumentation ad hominem, c'est à dire qu'il s'attaque à l'homme
pour dénoncer ses actes politiques. Ce qu'on lui reproche, c'est d'avoir aboli les valeurs de la
République pour mettre sur pied un Empire, où le pouvoir est quasi-absolu. Dès notre empereur
vaincu, les républicains défenseur des libertés reviendront au pouvoir, c'est la liberté qui revit après
20 ans. L' attitude figée, sans expression, qu'on en donne est souvent, en politique, une force
immense, pour contenir ses émotions, ne pas exposer son intimité, ses faiblesses, ce sont parfois des
atouts importants que l'on assimile à du mépris. Napoléon III mesure combien il a été imprudent et
maladroit de déclarer cette guerre pour se retrouver prisonnier, il cherche un responsable, ce n'est
pas lui, c'est son Ministre Émile Ollivier qui avait toute sa sympathie et qui a fait la déclaration de
guerre, il se cache derrière ses lunettes. Étrange personnage que ce Marseillais qui affirmait qu'il y
avait péril si la révolution s'unissait à la liberté et qu'il était sage de les opposer l'un à l'autre, de
vaincre le premier par le second. De tels propos ne pouvaient recevoir un écho favorable chez notre
adolescent turbulent. Désormais le cigare de Napoléon III se consume lentement, comme autrefois
dans les splendeurs de Saint-Cloud.
3-La condamnation de toute tyrannie

La tyrannie n'a pas la même signification pour chacun. A 16 ans, pour Rimbaud, la tyrannie c'est
celle de sa mère qui doit le remettre en pension en janvier 71 et qui essaie de le retenir captif. Il
écrit à Izambard qu'il se décompose dans la platitude, la mauvaiseté, la grisaille car il s'entête à
adorer la liberté libre. Rimbaud enrage de rester chez sa mère à Charleville, la rage de l'empereur
déchu est un peu la sienne. Il espérait des bains de soleil, des promenades infinies, des
bohémienneries et il se contente de voir pérégriner dans les rues, les soldats, les piou-pious et
gesticuler une benoîte population patrouillotiste, le Chassepot au cœur. Sa patrie se lève, il
souhaite la voir assise. En cet automne 1870 cette guerre le contrarie, les journaux parisiens, les
livres ne circulent plus, il en est réduit à lire le "Courrier des Ardennes", comment va-t-il faire pour
se faire connaître ? Décidément Napoléon III méritait bien ce coup de griffe. Mais la dédicace finale
A...Elle, prend tout son sens, on peut bien évidemment penser à la liberté, mais c'est probablement
à sa mère, celle qui l'opprime, qui le tyrannise à qui il l'adresse. Tous les tyrans comme tous les
césars n'appartiennent pas au monde politique.
Conclusion
"Rage de Césars" nous présente un portrait de Napoléon III amorphe, mais à travers ce dernier
monarque français c'est à ses idées d'un pouvoir absolu, sans opposition, qu'on s'attaque. Les idées
républicaines, de liberté issues de 1789 ont été supprimées par cette forme de pouvoir solitaire.
Mais à travers ce personnage Rimbaud défend également sa liberté, victime de l'oppression de sa
mère qui restreint ses déplacements, victime de la guerre qui gène ses déplacements et paralyse le
pays au moment ou sa renommée de poète ne peut pas ne pas arriver.

« Rêvé pour l’hiver »

Plan
1- Un rêve sentimental
2- La comédie de l'amour
3- L'éloge de la sensualité

« Rêvé pour l'hiver » est le premier sonnet écrit par Rimbaud durant sa fugue en Belgique. On y
observe ce qui est rare dans les sonnets, une alternance d'alexandrins et d'hexasylabes.
L'inspiration se rattache, par le futur des verbes, aux réparties de Nina. Ce poème est inspiré par une
curiosité et un désir naissant pour les femmes, on y découvre une vision des rapports amoureux qui
prend l'allure d'un jeu de colin maillard, d'une fête teintée d'érotisme. Le minaudage de la jeune fille
ne résiste pas à l'enthousiasme, à l'audace de notre adolescent.

I- Un rêve sentimental

Rimbaud poursuit avec ce poème ce que l'on peut appeler un cycle sentimental commencé avec
"Première soirée" et poursuivi par "Roman". Ces rêves s'appuient sur des expériences probables
avec des serveuses de restaurant que l'on retrouve dans "au cabaret vert" ou dans "La Maline". Avec
"Première soirée" la jeune fille est "fort déshabillée", avec "Roman" c'est une "demoiselle aux petits
airs charmants", ce sont deux personnages idéalisés qui font frissonner le cœur de notre adolescent
comme jadis Timothina Labinette dans "Un cœur sous la soutane". Le titre "Rêvé pour l'hiver"
comporte un verbe au passé, "Rêvé" et une saison, l'hiver qui approche et qui en soit constitue une
énigme supplémentaire dans le poème. Le poème est daté et plus encore localisé "en wagon du 7
octobre 1870". La date correspond à sa seconde fugue après la première du 29 août à Paris qui se
termina en prison pour avoir voyagé en train sans billet. Rimbaud quitte la maison des tantes
d'Izambard qui l'avaient recueilli et ou pendant le mois de septembre il recopiait ses poèmes. Il
s'ennuie, la rentrée scolaire n'a pas lieu en raison de la guerre aux portes de Charleville. Il s'agit bien
d'un rêve sentimental car la seconde fuite vers la Belgique se fait sans train cette fois, à travers
champs. Le poème a une dédicace A***Elle, avec des étoiles pour masquer le nom, étoiles apparues
dans "Un cœur sous la soutane". Les baisers et la couleur rose font leur retour. Étrange début pour
un rêve que de commencer par un verbe au futur, "L'hiver nous irons". Tout diffère de la réalité qui
est ici embellie, le wagon est de couleur rose et les siège en bois d'ordinaire sont ici recouverts de
coussins bleus, ajoutant une note de confort au plaisir de se retrouver seuls, "nous serons bien". Ce
wagon semble être un lieu d'aventures amoureuses passées, à chaque coin on en retrouve la trace
sous la forme de nids de baisers. On remarquera la similitude entre baiser et becquée et entre le coin
du wagon et le nid des oiseaux, lieux des amours. Rimbaud semble ressentir un bien être indéniable,
un réel bonheur en compagnie de cette demoiselle.

II-La comédie de l'amour

Le jeu de l'amour et du désir commence par une mise en scène. Dans "Première soirée" ou
"Roman", les rapports amoureux se limitaient à un échanges de regards troublés de cœur polissons.
Ici "Tu fermeras l'œil" qui commence le second quatrain est une invitation à ne pas en rester là,
mais à reconstruire les corps, à les deviner, à les imaginer au lieu de les observer, à les magnifier
pour en retirer le plus de plaisir. Le rapport amoureux est basé sur la confiance, il faut chasser toute
peur. Regarder le paysage nocturne, c'est courir le risque de faire revenir dans son imaginaire les
vieilles légendes populaires de monstres. On a peur de la nuit car on ne discerne pas les choses qui
nous environnent et tout devient suspect. Notre jeune poète s'est affranchi de cette peur depuis
longtemps, en bohémien, il aime dormir à la belle étoile. En gardant les yeux ouverts, la demoiselle
risque d'apercevoir par la vitre des monstres noirs, ou des animaux effrayants de la même couleur
qui se confondent avec le paysage nocturne. Cette comédie de l'amour impose la plus grande
sérénité.

III-L'éloge de la sensualité et de l'érotisme

"Sensation", "Roman", "La maline" et ce poème font tous l'éloge d'une sensation ou d'une
situation, ce sont des poèmes euphoriques décrivant un bonheur joyeux, l'union de deux âmes ou de
deux corps. L'isolement d'un wagon dans la nuit est parfois le prétexte à des rapprochements
heureux, à l'éveil de la sensualité. Tout le monde connaît le jeu "Colin maillard" consistant pour un
joueur les yeux bandés à rechercher les autres et à le reconnaître, à tatons, le début du jeu
commence aussi par "cherche". Il s'agit dans l'isolement de ce wagon de retrouver une araignée
imaginaire qui courait sur le cou de la demoiselle et qui a du se dissimuler sous les vêtements.
L'inclinaison de la tête est un geste d'appel bien connu que l'on fait pour inviter quelqu'un à se
rapprocher. On s'imagine que ce jeu polisson devra être effectué en tatonnant ou en déshabillant la
partenaire. On fera durer le jeu le plus longtemps possible car cette araignée imaginaire voyage
beaucoup. C'est un poème plein de vigueur, d'audace, de liberté juvénile que rien ne doit troubler.

Conclusion
Pour les habitués de Rimbaud, la lecture de ce poème plein d'enthousiasme pour l'éveil sentimental
d'un adolescent peut surprendre. Mais c'est un rêve pour l'hiver, la saison froide et rien ne saurait
refroidir les ardeurs des partenaires. Ce sont les premiers poèmes de Rimbaud qui ont été écrits
avant sa troisième fugue pour Paris, à partir de laquelle, il connaîtra des mutations profondes. N'a-
t-il pas demandé à Demeny le 10 juin 1871, de brûler tous ces vers qu'il fut assez sot d'écrire.
Demeny a bien fait de ne pas les brûler, ce qui nous permet aujourd'hui d'apprécier son incroyable
précocité poétique.

« Le Dormeur du Val »

Plan
1-Une nature féérique
2-La position inattendue du soldat
3-Une berceuse hésitante
4-Une mort omniprésente

On a tous appris par cœur à l'école le célèbre sonnet encore bien sage de Rimbaud. Mais derrière
ce poème se murmure un cri de révolte contre l'horreur de la guerre, l'assassinat des jeunes soldats,
le massacre de toute une jeunesse. Une lente approche dans un vallon ensoleillé conduit peu à peu le
lecteur devant une découverte macabre qu'on assimilerait à un sommeil paisible.

Une nature féerique

Le premier quatrain dresse un cadre enchanteur dans une féerie de couleurs et d'illuminations. Le
vallon parcouru par un cours d'eau est ici présenté par une périphrase « un "trou de verdure"
endroit généralement propice aux idylles, aux rêves. Le mot "trou" du premier vers prépare déjà le
dernier pour lui faire écho. La rivière, discrètement personnifiée comme la montagne, chante
comme en signe de joie, d'allégresse. La joie de vivre de la rivière se manifeste en accrochant des
objets aux herbes comme des guirlandes. L'audacieux rejet, "D'argent" met l'accent sur la richesse
des jeux d'eau et de lumière. L'apparition du soleil, symbole avec l'eau de la vie pour la nature
métamorphose les lignes et les volumes : la montagne est "fière" d'observer à ses pieds ses bienfaits
comme ceux d'une mère nourricière. Le second rejet "luit" donne une sorte de gros plan, de
synesthésie, de vertige des mouvements que la nature personnifiée fait éclater, l'eau mousse sous les
rayons de soleil. Les rimes croisées, et non pas embrassées, les nombreux enjambements ou rejets,
l'assonance en "ou" participent à ce bouillonnement visuel et sonore.

La position inattendue du soldat

Ce qui surprend dans la position du personnage c'est d'être allongé dans l'herbe avec la tête à fleur
d'eau. L'évocation du soldat nous désigne un être jeune, la "bouche ouverte" et la"tête nue" qui lui
prête un aspect peu réglementaire, un être libre, insouciant, quelque peu naïf. La posture suggère
plus l'oisiveté que le devoir militaire. Mais en y regardant de plus près, il nous est décrit comme un
être malade "pale" dans un "lit". Il "dort" mais son sommeil est frappé d'ambiguïté car la bouche
ouverte pourrait être autant celle d'un mort que celle d'un agonisant, et cette "nuque baignant" qui
marque d'inertie, celle d'un corps abandonné plus qu'un corps qui s'abandonne. Il y a la même
ambiguïté tragique dans la position d'un dormeur ou d'un gisant, dans cette étrange pâleur
qu'accentuent la verdure et la lumière. La "nue" ajoute à l'indétermination car il peut s'agir d'un ciel
de lit ou d'un drap mortuaire. Le "trou" ajoute encore à la confusion en rappelant le tombeau. La
multiplication des couleurs froides (bleu, vert, pale, les rimes plus étouffées, moins vibrantes que
dans le premier quatrain atténuent l'élan joyeux des premiers vers.

Une berceuse hésitante

Le premier tercet use de répétitions attentives, pleines de sollicitude, "il dort", "il fait un sonne","il a
froid". La comparaison du sourire avec celle d'un enfant malade étonne, voire alerte le lecteur.
L'adjectif "malade" détaché par un quasi-rejet à la césure conduit à un surprenant diagnostic "il a
froid", La construction parataxique "il dort", "il fait un somme", "il a froid" apparaît pour ce qu'il est
ou risque d'être : une litote ou un euphémisme masquant une réalité horrible, se refusant à nommer
"l'innommable", c'est à dite La mort. Le mal mystérieux, le froid inexplicable au creux du vallon
baigné de soleil, ne relèvent pas en fin de compte d'une inertie passagère mais apparaît être celle
d'un être inerte, sans vie. Le premier vers du second tercet qui frissonne de ses allitérations en "r" et
en "f" peut redonner un espoir. La position de la main sur la poitrine qui peut être celle du sommeil
ou de l'immobilité cadavérique ne peut pas confirmer le diagnostic funeste et lever le doute. Il faut
attendre l'ultime vers pour enfin obtenir la révélation. Le mot fatidique n'est pas prononcé, mais
l'image s'impose, avec la présence concrète, d'un corps ensanglanté.

Une mort omniprésente

Par un procédé habile, Rimbaud essaie de nous mettre sur une fausse piste, mais il nous laisse une
foule d'indices qui recouvre le thème de la mort. Le "trou" nous l'avons dit peut être assimilé à une
tombe creusée, les "glaïeuls" qui ne sont pas des fleurs aquatiques mais celles que l'on dépose dans
les cimetières, puis les "haillons" qui sont des vêtements hors d'usage, qui ont fini leur vie, et enfin
la nuque qui baigne généralement dans le sang contribuent à nous mettre sur la voie, celle d'un
soldat mort.

Conclusion
On relève de nombreuses réminiscences littéraires dans ce poème de Rimbaud. L'essentiel est dans
un art consommé du tragique, tout entier agencé en une ascension tragique vers une cassure, une
"chute" dramatique. Rimbaud multiplie les effets rythmiques brisés, les rejets pour mieux rendre
compte d'une vie interrompue tragiquement. Le pathétique est aussi plus lourd, plus efficace et plus
expressif dans une colère assourdie qui hurle.., en se taisant. L'ironie est rendue plus tragique encore
avec le dévoilement progressif des périphrases, des litotes, des euphémismes, que rythment les
rejets successifs. Le lecteur, admirateur des futurs chefs-d'œuvre, reconnaîtra sans peine dans les
audaces de cette versification les prémices d'une langue poétique unissant révolte existentielle et
révolte esthétique.

« Au Cabaret vert »

PLAN

1-La marche de la liberté

2-Un bonheur simple

3-L'obsession amoureuse des adolescents

"Au cabaret vert" est avec "La Maline", "Rêvé pour l'hiver" un des poèmes recopiées à Douai,
rassemblés dans un premier recueil adressé à Paul Demeny dans l'espoir d'être imprimé à Paris et
qui relate la fugue en Belgique, la liberté adolescente d'un jeune poète de 16 ans. C'est un sonnet en
alexandrins.

1-La marche de la liberté

Le titre est explicite "Au cabaret-vert", mais pourrait plonger par erreur le lecteur à l'intérieur d'un
établissement de spectacle dans lequel les spectateurs peuvent se restaurer. Il ne s'agit pas d'un
cabaret mais d'un restaurant de routiers en Belgique. Rimbaud s'ennuie à Charleville dans
d'interminables vacances scolaires de l'année 1870, en raison de la guerre, à faire le marché, tenant
la main de son idiot de frère Frédéric précédé par ses deux sœurs Vitalie et Isabelle se tenant
également la main et suivie par la redoutable "mother" autoritaire. Il va fuguer en Belgique, à pied,
en train, une chevauchée épuisante de près de 100 kilomètres en 8 jours avec des chaussures en
mauvais état à travers la campagne ardennaise. C'est au cours d'une halte dans un cabaret connu de
Charleroi, La Maison verte, une auberge de routiers, ainsi qualifiée parce que tout y était peint en
vert, même les meubles, qu'il nous dépeint ce rare moment de bonheur, de liberté. C'est bien par
rejet d'une existence qui ne lui convient pas que notre poète justifie sa fugue. La multiplication des
références donne à cette poésie un aspect autobiographique visant à rendre compte d'un instantané
vécu, une sorte de note de voyage. Ce voyage nous est décrit avec précision et réalisme, à pied, avec
des chaussures usagées, s'y ajoute la précision de l'heure, 17 heures.Les rejets qui ont motivé son
départ sont présents dans tout le poème, il y a six enjambements (v.1,3,5,6,12,13) ; trois rejets
(v.4,6,13) ; et un contre-rejet (v.13) ; tout est improvisé, décousu et traduits par des alexandrins
dissymétriques, mal découpés, parfois boiteux comme le dernier alexandrin du premier tercet dont
la longueur n'est sauvé que par une double diérèse douteuse, ti/è/de et colo/ri/é, par des rimes
inhabituelles croisées ABAB au lieu d'embrassées ABBA pour les quatrains d'un sonnet, par un
vocabulaire très familier " ce fut adorable", "celle-là", "tétons énormes".

2-Un bonheur simple

Tout, dans cette auberge est fait pour la satisfaction du client aussi jeune soit-il et aussi seul dans ce
restaurant à 5 heures du soir, le sourire commercial de la serveuse, on lui demande, ce qui est
inhabituel pour lui, ce qu'il souhaite manger, et le décor, les meubles sont d'un vert apaisant comme
la nature. Il est fatigué et il peut se décontracter, se reposer, se mettre à l'aise, il "allonge les
jambes", il "contemple". Le poète cherche à retrouver une fraîcheur physique, suggérée par les
couleurs "blanc" et "rose" du jambon étendu sur le plat, le jambon rappelant étrangement les jambes
fatiguées de notre bohémien. Le poète nous fait une description précise des lieux, la tapisserie
composée probablement d'un papier peint banal, devient source d'émerveillement avec les dessins
simples qui le composent d'ordinaire qui deviennent des sujets naïfs, ce qui est plus valorisant.
Même la modeste décoration du plat le ravit, il est colorié, la diérèse accentue le caractère naïf,
enfantin d'un enfant découvrant son premier cahier de coloriage. La description de la nourriture fait
références aux habituelles sensations visuelles, olfactives et tactiles. Dans le premier quatrain, il fait
la demande de tartines et de jambon, à moitié froid car il s'agit dans son esprit de jambon brut qui se
mange d'ordinaire chaud ou froid. On lui apporte des tranches de jambon de Paris, rose et blanc,
parfumées d'ail sur un plat et non caché entre deux tranches de pain. La couleur du jambon rose et
blanc était déjà celle de la joue de La Maline, "un velours de pêche rose et blanc". Ce jambon est
tiède, conforme à sa commande d'un jambon, à moitié froid. Les détails alimentaires sont
fréquemment réitérés, tartines, jambon, beurre, sont avec baiser constamment utilisés comme pour
marquer un ressassement de plaisir ou un désir obsessionnel. Le repas est, cependant, tout ce qu'il y
a de plus banal, du jambon, mais il procure au marcheur épuisé et affamé un plaisir immense. La
sensualité matérialiste d'un simple casse-croûte se transforme ici, dans ce décor apaisant et sous la
présence joyeuse de cette serveuse, en un bonheur quasi spirituel qui atteint son paroxysme dans
l'éclat sous les rayons du soleil rasant à cette heure de la journée de la mousse abondante d'une
chope de bière démesurée pour un enfant. Tout concours à ce bonheur, le charme de la serveuse
avec son sourire commercial que notre naïf enfant prend pour une marque d'affection, les
sollicitations sensuelles avec les appâts physiques provocateurs de la serveuse, des seins
volumineux, une attitude provocatrice, aguichante, espiègle, gaie, joyeuse, "-Celle-là, ce n'est pas
un baiser qui l'épeure". Il y a dès la commande une sorte de communion avec la serveuse, elle est
gaie, joyeuse, libre comme lui, il la décrit de manière enthousiaste et se plaît à imaginer avec elle,
un premier baiser. Il y a constamment chez les adolescents, la recherche de ce premier baiser, de
savoir quand et comment il se donne. Avec ce baiser quasi obsessionnel chez Rimbaud tout au long
de cette fugue en Belgique qui pourrait prendre les allures d'une quête amoureuse, on ne sait jamais
s'il s'agit bien de la recherche d'un baiser d'amour ou le souvenir de celui d'une mère. Le poème
propose donc une image sensuelle et prosaïque du bonheur, qui prend la forme d'un rêve et d'un
idéal. Le cabaret avec sa couleur verte qui rappelle la nature, les rayons du soleil, la présence
maternelle des "tétons énormes" des femmes qui viennent d'avoir un enfant, sont des images
teintées de de rêve et d'idéal d'une enfance heureuse qu'il n'a pas eu, un père absent, une mère
autoritaire, dans une ville sans attrait Charleville, qu'il appellera "Charlestown".

3-L'obsession amoureuse des adolescents

Commencé par "Rêvé pour l'hiver" pour le trajet vers Charleroi qu'il imaginait dans un petit wagon
rose, entrecoupé par "Le dormeur du Val", suivi par "La Maline" qui est comme la suite de ce
poème avec la serveuse d'un autre restaurant, ce cycle de la fugue de Rimbaud en Belgique nous
retrace la difficile quête des adolescents dans la recherche amoureuse. Si Rimbaud conserve la
forme traditionnelle du sonnet, propice au lyrisme amoureux, il en bouleverse la syntaxe, les rimes,
pour mieux marquer son trouble émotionnel. A 16 ans, on veut aller vite, brûler les étapes, les très
nombreux enjambements témoignent de l'impatience de l'auteur. Malgré sa volonté d'imiter les
parnassiens, notre apprenti poète prend quelques libertés avec les conventions poétiques, une
grande familiarité du langage, on trouve un plat, une tartine, une chope, une gousse d'ail, qui nous
renvoie à une réalité trop prosaïque, trop terre à terre, trop livre de cuisine au lieu de nous exprimer
des valeurs morales de liberté qu'il semble défendre. Il y a aussi cette provocation constante dans les
poèmes de Rimbaud du tiret - précédant la phrase pour signaler graphiquement qu'il s'agit d'une
intrusion, d'une intervention personnelle de Rimbaud, pour exprimer ses sentiments.

Conclusion
Ce poème écrit seulement à l'âge de seize ans est déjà très significatif des dispositions poétiques
prometteuses d'Arthur Rimbaud. Rimbaud ne sépare jamais la poésie et la vie, il est toujours
fortement présent dans ses poèmes, souvent écrit à la première personne "J'allongeai", "j'avais",
"j'entrais", "je demandai", "je contemplai", "m'apporta", "m'emplit". Ce poème revendique
clairement le caractère autobiographique d'un Rimbaud qui cherche à construire sa propre image,
celle d'un bohémien courant la nature, seul, en quête de bonheur, d'absolu, pour fuir la laideur de sa
province natale, l'ennui d'une famille gouvernée par une femme abandonnée de son mari et
autoritaire, et rechercher le bonheur d'une enfance qu'il n'a pas eue, qu'il revendique et qu'il est prêt
à tout pour trouver. Le Cabaret-Vert restera longtemps dans la mémoire du jeune homme, évocation
vivante d’un court mais intense moment de bonheur éprouvé dans un lieu pourtant très simple. C'est
une bel exemple de transfiguration de la réalité par l'imaginaire qui plus tard deviendront autant
d'illuminations, des visions éclatantes de vie et de couleurs d'éléments les plus banals de notre
existence.

« La Maline »

Plan
1 Un portrait de serveuse aguichante
2 Une pause agréable dans une errance

« La Maline » est le 19ème poème sur les 22 des premières poésies de Rimbaud contenues dans le
recueil "Le cahier de Douai". La Maline figure dans le second cahier des poèmes composé
exclusivement de sonnets alors que le premier cahier n'en contenait que cinq sur quinze. Ce sonnet
a plusieurs points communs avec "Au Cabaret-Vert", "Cinq heures du soir". Tout d'abord ils
relatent tous l'épisode de la fugue de Rimbaud à l'automne 1870, en octobre après son séjour en
septembre à Douai chez les les tantes de Georges Izambard, jeune professeur du collège de
Charleville qui lui fera découvrir les parnassiens et pour lequel il avait une grande amitié. Après
avoir recopié ses premiers poèmes, il erre seul dans la campagne ardennaise où il fréquente les
cafés et les auberges qui entourent la frontière franco-belge.
Une serveuse aguicheuse
Le cadre est ici une auberge en Belgique, une auberge de routiers dans laquelle l'unique serveuse
essaye d'obtenir la sympathie des clients de passage. Avec les autres poèmes il partage les mêmes
personnages, le narrateur Rimbaud et une jeune servante, qui lui fait des avances. On retrouve les
conditions de l'écriture de Rimbaud, il sent et il traduit par écrit ce que lui communiquent ses sens.
On a donc ici les odeurs chaudes et parfumées d'une cuisine de campagne. On trouve dans ces
sonnets un même climat de sensualité, de contentement des sens, dû aux attraits conjugués de la
nourriture, d'une présence féminine, et du repos. Comme Verlaine, à la façon d'un peintre, Rimbaud
fixe le cadre, la salle à manger d'un restaurant, sombre par la couleur "brune", s'en évade des odeurs
de tables cirées, de parfum de fruits, on lui apporte un repas. Puis par une succession de plans
rapprochés il fait le panorama des lieux, une horloge, une porte de cuisine puis un personnage qui
apparaît, la serveuse. La serveuse tapote sur sa joue pour demander un baiser.
L'agrément de la pause
On est étonné de constater l'attrait du narrateur pour la serveuse, elle n'est pas mise en valeur, il la
qualifie de servante, ses doigts sont "petits", elle est jeune par la nature de sa peau de velours et par
une petite lèvre. Mais elle est maline et ce caractère que l'on s'attend à trouver d'ordinaire dans le
regard se retrouve ici dans sa coiffure à moitié défaite. La stratégie de la serveuse qui apparaît en
chute dans le dernier tercet est très habile, d'ou son caractère malin, elle s'approche du client pour
lui rendre le repas plus agréable et obtenir un baiser pour réchauffer sa joue. A travers cet épisode
on retrouve une critique vive de son enfance sans chaleur. Rimbaud nous décrit ici une scène
comme il s'en passe beaucoup dans les familles lors des repas, une situation idéale ou la chaleur du
repas, se conjugue à la chaleur familiale pour se traduire en moment de tendresse et d'affection.
Dans ce poème Rimbaud sait lire avec une rare intensité les objets et les êtres. L'horloge n'est
présente que pour ne rien cacher du temps qui donne sa mesure au mouvement. Chaque détail
apparaît ici avec une intense justesse, la porte s'ouvre laissant échapper les effluves, la coiffure
défaite de la serveuse nous donne l'apparence d'une femme facile qui vient de terminer une étreinte
passionnée. Ici les mots même dans leur sens populaire "je m'épate", "je m'aise", "heureux et coi"
ont une justesse, une beauté qui transfigure le moment de bonheur retrouvé autour d'une présence et
d'un repas après la solitude d'une errance dans la campagne. On aperçoit dans ce poème, à priori très
banal, le degré de regard qui fait que tout est saisi dans le moindre détail pour donner une réalité
aux quelques moments de détente dans la vie des hommes, des routiers, souvent seuls et qui
trouvent auprès d'une serveuse de restaurant la chaleur d'un foyer familial qu'ils ont quittée pendant
quelques heures ou quelques jours.
Conclusion
Si Malines est bien une ville de Belgique, la maline qui donne le nom au poème est ici mal
orthographié volontairement par Rimbaud. La maline est bien cette serveuse de restaurant qui use
de toute son habileté pour retenir les clients. Ici l'image traque le réel jusqu'à le rendre irrationnel.
La serveuse fait sa moue pour mieux séduire ses clients comme Rimbaud utilisera la colère pour se
faire entendre. Deux méthodes semblables pour le même but.
« L’éclatante victoire de Sarrebrück »
Plan
1-La description d'une gravure satirique
2-Une visite surprise
3-Un feu d'artifice
Ce poème "L'éclatante victoire de Sarrebruck" est le 19ème poème du cahier de Douai. Il a la
forme d'un sonnet, deux quatrains suivis de deux tercets en alexandrins. Forme contraignante, le
sonnet oppose généralement les tercets aux quatrains. "L'éclatante victoire de Sarrebruck" daté
d'octobre 1870, porte en sous titre : "Gravure belge brillamment coloriée, se vend à Charleroi, 35
centimes." qu'il n'a pas été possible de retrouver. Si la fin de la phrase vaut pour le sarcasme, la
première partie ancre bien le poème dans les arts visuels. En effet, chaque strophe s'essaie à la
description d'une partie de ce que l'on suppose être un tableau, la première strophe décrit le milieu,
la seconde, la partie inférieure, le bas, la troisième le coté droit. Si un dessin d'époque semble avoir
servi de base à ce poème, nous allons essayer de le reconstituer.

1-La description d'une gravure satirique


On assiste à la description par notre jeune poète de 16 ans, d'une gravure qui se vend 35 centimes
à Charleroi ville proche de Charleville. Au milieu, l'Empereur juché sur son cheval accompagné de
son fils et entouré de sa gare personnelle, les cent gardes par les couleurs bleues et jaunes de leur
uniforme, les soldats, les piou-pious, ont une capote bleue, un pantalon rouge et des guêtres
blanches, avec leur fusil flambant neuf, le Chassepot. L'empereur que l'on sait malade de calcul
dans la vessie a beaucoup de difficultés pour marcher et se déplace donc à cheval. C'est un homme
malade, qui souffre, il est raide sur son cheval, son "dada". Il est en habit d'apparat avec toutes ses
médailles accrochées à sa poitrine, il est radieux, très jovial et entrevoit l'issue favorable de la
bataille. Dans le bas du tableau les soldats, les fantassins, les piou-pious qui se reposent, étendus
près des tambours dorés et qui se relèvent lentement non pour reprendre le combat mais pour la
visite de l'empereur. La tenue des piou-pious est négligée, Pitou, c'est le "fayot", il réarrange sa
veste et les noms qu'ils prononcent sont des superlatifs, des grands noms, des "Majesté". Ce sont
des superlatifs de puissance, de grandeur qui lui donne le vertige. Un autre soldat qui semblait
sommeiller, appuyé sur son fusil adresse un simple "Vive l'empereur", tandis qu'un autre comme
paralysé ne trouve pas ses mots. Au centre de la gravure, un soldat est mis en relief, il est encore
plus endormi que les autres car il se demande à qui peut bien s'adresser ces "vive l'empereur" alors
qu'il est devant lui. Aurait-il pris les commentaires flatteurs pour lui ? Boquillon, simple soldat de
l'empire serait-il devenu empereur ? sa position est grotesque car en s'adressant à son collègue il
montre son "derrière" à l'empereur.

2-Une visite surprise

On l'aura compris, cette gravure est une caricature de l'armée, des soldats débraillés, endormis,
couchés dans l'herbe découvrant leur empereur, leur chef qui vient leur rendre visite par surprise,
sans prévenir. En dévalorisant cette armée apathique, Rimbaud justifie son refus de soutenir ses
collègues de classe qui décident de vendre leurs livres pour leur envoyer l'argent. C'est aussi une
façon de se démarquer, de ne pas suivre stupidement les autres, ces "anciens imbéciles de collège".
On retrouve dans ce tableau les satires qu'il en fait dans sa lettre à Izambard du 25 août 1870.
L'armée n'est qu'une prud'homesque population spadassine qui gesticule, ce ne sont que des
notaires, des vitriers, des percepteurs, des menuisiers, des gens qui ne pensent qu'à manger, des
ventres, et qui le Chassepot au cœur fait du patriotisme. Comment une telle armée peut-elle avoir
remporté une bataille ? ce sont les journaux qui l'affirment mais il ne les reçoit plus avec la guerre.

3-Un feu d'artifice

Cette guerre est décidément bien mal venue, elle le condamne à lire le journal local "Le courrier des
Ardennes", des faits divers sans importance alors qu'il ne reçoit plus la presse parisienne, celle qui
fait l'opinion, qui publie les événements marquants. L'éclatante victoire de Sarrebruck est une
invention de journaliste car Sarrebruck est un simple accrochage sans importance et n'a rien à voir
avec une éclatante victoire. Cette armée n'est composée que d'hommes "ventrus" peu aptes aux
exercices militaires, ils pérégrinent dans les rues, au lieu de se battre. Éclatante était la victoire
annoncée par les journaux parisiens, il ne pouvait en être autrement et cette victoire était bien celle
de nos piou-pious. Ce que Rimbaud reproche dans le comportement humain c'est leur attitude,
malgré le procédé onomastique utilisant les noms propres pour désigner les coupables, les piou-
pious ne sont que de simple pions sous leurs uniformes, ils obéissent sans véritable motivation.
Dans les deux quatrains les effets poétiques sont inexistants puis tout s'accélère dans les tercets.
Rimbaud accélère le rythme, multiplie les allitérations en dentale 'd", "A droite, Dumayet", donnant
un effet acoustique de pas, puis en sifflante, "s", "son chassepot sent", "un schako surgit" rappelant
le bruit des balles, dans la labio-dentale, "v", "Vive l'empereur, son voisin", et enfin dans la
bilabiale "b", "Boquillon rouge et bleu". Tous ces bruits sont des bruits de guerre, de bataille,
d'armes. Les deux tercets réussissent une sorte d'apothéose sonore, cette éclatante victoire de
Sarrebruck qui représente plus un feu d'artifice qu'une bataille méritait bien une gravure.

Conclusion
"L'éclatante victoire de Sarrebruck" ne fut éclatante que dans l'imagination de certains journalistes.
De victoire il n'y en eut point. Cette victoire imaginaire doit être commémorée comme il se doit
pour mobiliser les troupes. Rimbaud nous en tire ici un magnifique feu d'artifice dans lequel il n'a
jamais aussi bien utilisé le sonnet.
« Le Buffet »

PLAN
1-Un amoncellement de souvenirs
2-Un au-delà des choses
3-Une grande sensibilité

Ce poème comme l'ensemble des 7 poèmes du second cahier de Douai dont fait partie "le buffet" a
la forme d'un sonnet, deux quatrains suivis de deux tercets en alexandrins. C'est l'avant dernier des
22 poèmes du Cahier de Douai, précédant "la Bohème". Il a été écrit probablement lors de son
séjour en septembre 1870 à Douai chez les demoiselles Gimbre tantes de son professeur de lettres
Izambard. Forme contraignante, le sonnet oppose généralement les tercets aux quatrains. Les deux
tercets sont précédés d'un tiret, signe servant à séparer les parties d'une énumération.

Un amoncellement de souvenirs

Les buffets de nos campagnes ont vite perdu leur fonction première de rangement à vaisselle pour
aller meubler diverses pièces et devenir des malles à souvenirs. Pour le jeune Rimbaud qui n'a que
16 ans, ces buffets sculptés sont à l'image de leur contenu, des choses qui ne servent plus à rien, de
vieux linges jaunis, de vieux vêtements démodés ou usagés. Il s'en dégage encore l'odeur des temps
anciens. Ce buffet est comme personnalisé, il a pris par mimétisme l'air bon, la gentillesse et la
générosité de ses propriétaires, les deux tantes qui l'hébergent. Rimbaud n'est pas ingrat, il ne
vilipende plus les vieux mais a une reconnaissance de circonstance pour ses logeuses. L'air bon est
ici accentué par l'adverbe si. Toutes ces choses désormais inutiles sont entassées dans ce buffet
comme on garde des souvenirs. Ce qui transparaît c'est l'absence de rangement, c'est un fouillis où
les choses sont entassées pèle mêle au fur et à mesure de leur inutilité ou de leur usure . On
découvre de vieux fichus, de vieux napperons. Mais c'est aussi, plus profondément cachés que
doivent se trouver des souvenirs plus personnels, des photos de parents disparus, des mèches de
cheveux de défunts. Ce buffet qui regorge de souvenirs contient en fait toute la mémoire des
habitants de cette maison conservés sans ordre précis dans cette sorte d'intimité.

Un au-delà des choses

Rimbaud se plaît à philosopher sur l'au-delà des choses. Les choses prennent fin lorsque nous
cessons de les utiliser, mais nous en conservons certaines pour leur valeur sentimentale. Les choses
devenues inutiles ont encore une histoire à raconter. On respecte les vieilles personnes car elle sont
la mémoire de notre histoire récente et nous raconte un temps que nous n'avons pas connu. Ce
buffet sait bien des choses mais elles sont ici enfermées. Nous les ressortons pour leur faire raconter
leur histoire. Rimbaud lui même dans "Une saison en enfer" évoquera ses goûts artistiques en
soulignant son attirance pour la naïveté. Il aimait les ..Romans de l'enfance, les petits livres de
l'enfance, les refrains niais. Les enfants sont toujours attirés par les greniers qui regorgent
généralement de vieux souvenirs rappelant des périodes antérieures. Ces objets inutiles qui
encombrent nos buffets sont souvent des affaires de notre enfance, de vieux jouets que l'on conserve
précieusement. Ce qui est étonnant c'est l'attitude bienveillante de Rimbaud devant ces souvenirs.
Généralement, ce sont les personnes âgées qui essaient de faire renaître la félicité d'un passé comme
dans une sorte de rêve en arrière, pour retraverser à l'envers une existence et se donner l'illusion de
revenir enfant. En ouvrant le buffet il revient les bouffées d'autrefois, les sensations de jeunesse, les
élans même, des visions de choses oubliées.

Une grande sensibilité

Pour tout lecteur habitué au ton méprisant de Rimbaud, notre poète fait ici preuve d'une grande
sensibilité pour la mémoire du temps à travers des objets qui ont fini leur vie mais qui ont encore la
mémoire tu temps passé. Ce buffet a l'apparence généreuse, il verse des flots de parfums, les objets
ont conservé les odeurs de leur époque et témoignent ainsi à leur façon du temps passé. En
qualifiant les parfums d'engageants, il redonne comme une seconde vie à ces objets. Les deux
derniers vers viennent ici nuancer notre imaginaire car ce buffet grince et a la couleur noire de la
mort. En ouvrant avec précaution ce buffet nous allons trouver de bons souvenirs mais aussi des
souvenirs plus douloureux, de défunts par exemple.

Conclusion
"La buffet" nous présente un Rimbaud bien jeune déjà attaché aux souvenirs auxquels il accorde
une valeur émotionnelle. Les choses même inutile ont encore bien des choses à nous raconter. Il est
bon de conserver ces preuves de notre existence, les bonnes comme les moins bonnes. C'est à un
Rimbaud bien sentimental que nous avons affaire ici. Avec un vocabulaire simple, des répétitions
multiples sur les mots "vieux", "vieille", "conte", Rimbaud nous apparaît d'une rare sensibilité et
pour une fois sans agressivité.

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