Colette1 AUBE

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COLETTE, SIDO, 1929

La promenade à l’aube (p49-50)

1 (…) Étés réverbérés par le gravier jaune et chaud, étés traversant


le jonc tressé de mes grands chapeaux, étés presque sans nuits… Car
j’aimais tant l’aube, déjà, que ma mère me l’accordait en récompense.
J’obtenais qu’elle m’éveillât à trois heures et demie, et je m’en allais, un
5 panier vide à chaque bras, vers des terres maraîchères qui se réfugiaient
dans le pli étroit de la rivière, vers les fraises, les cassis et les groseilles
barbues.

A trois heures et demie, tout dormait dans un bleu originel,


humide et confus, et quand je descendais le chemin de sable, le brouillard

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retenu par son poids baignait d’abord mes jambes, puis mon petit torse
bien fait, atteignait mes lèvres, mes oreilles et mes narines plus sensibles
que tout le reste de mon corps… J’allais seule, ce pays mal pensant était
sans dangers. C’est sur ce chemin, c’est à cette heure que je prenais
conscience de mon prix, d’un état de grâce indicible et de ma connivence
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avec le premier souffle accouru, le premier oiseau, le soleil encore ovale,
déformé par son éclosion…

Ma mère me laissait partir, après m’avoir nommée « Beauté,


Joyau-tout-en-or » ; elle regardait courir et décroître sur la pente son
œuvre, - « chef-d’œuvre », disait-elle. J’étais peut-être jolie ; ma mère et
20 mes portraits de ce temps-là ne sont pas toujours d’accord… Je l’étais à
cause de mon âge et du lever du jour, à cause des yeux bleus assombris
par la verdure, des cheveux blonds qui ne seraient lissés qu’à mon retour,
et de ma supériorité d’enfant éveillée sur les autres enfants endormis. »

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