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Tréma

20-21 | 2003
Innover en formation d'enseignants

Un dispositif innovant de conseil pédagogique : la


visite de classe formative
Alain Lerouge

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/trema/1389
DOI : 10.4000/trema.1389
ISSN : 2107-0997

Éditeur
Faculté d'Éducation de l'université de Montpellier

Édition imprimée
Date de publication : 1 janvier 2003
Pagination : 55-78
ISSN : 1167-315X

Référence électronique
Alain Lerouge, « Un dispositif innovant de conseil pédagogique : la visite de classe formative », Tréma
[En ligne], 20-21 | 2003, mis en ligne le 06 octobre 2010, consulté le 30 avril 2019. URL : http://
journals.openedition.org/trema/1389 ; DOI : 10.4000/trema.1389

Ce document a été généré automatiquement le 30 avril 2019.

Trema
Un dispositif innovant de conseil pédagogique : la visite de classe formative 1

Un dispositif innovant de conseil


pédagogique : la visite de classe
formative
Alain Lerouge

Introduction
1 Le principe d'axer la formation des enseignants sur l'analyse de leurs pratiques
spontanées conduit à repenser totalement l'articulation entre la demande de formation
qui émerge du terrain et les formations didactiques et pédagogiques dispensées à l'IUFM
(Lerbet-Sereni, F. ; Violet D., 1999). Cela suppose de dépasser les scissions existantes entre
généralistes, didacticiens et conseillers pédagogiques pour développer de véritables
équipes intégrées, acceptant de travailler sur l'action située du stagiaire en formation.
2 L'enjeu est alors de développer la dimension professionnalisante de l'analyse de la
pratique (Altet, 2000), dans le sens d'accompagner le transfert professionnel des contenus
de la formation théorique. Cette perspective suppose que soient développés des
dispositifs intégrateurs des différents volets de la formation répondant à une double
fonctionnalité :
• d'une part, assurer l'émergence des logiques intrinsèques de l'action située ;
• d'autre part, permettre de modéliser ces logiques, en s'appuyant sur les contenus
extrinsèques à l'action apportés par la formation théorique dans ses divers aspects.
3 Dans le cadre général de l'ethnométhodologie (Coulomb, 1993) qui insiste sur l'aspect
émergent de l'organisation de la réalité sociale, et de l'ergonomie cognitive (Theureau,
1992), qui met l'accent sur la nécessité d'étudier des couplages « action situation », nous
empruntons à Y. Chevallard (1997) la notion de praxéologie comme modèle intégrateur de
cette double fonctionnalité.
4 Inscrit dans cette perspective, le dispositif « visite formative » a pour objectif essentiel de
faire en sorte que les enseignants stagiaires intègrent au niveau de leur habitus

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professionnel, les contenus épars qu'on leur propose en formation. Tel que nous le
décrivons, il est l'aboutissement d'un cycle d'expérimentations de quatre années scolaires
portant sur deux groupes de formation sur lesquels nous avions toute liberté
d'intervention tant auprès des stagiaires qu'en formation des formateurs. Le principe
conducteur de cette recherche était l'ajustement successif, chaque année donnant lieu à
une nouvelle phase expérimentale optimisant à la fois le dispositif de la visite et le
système général de formation dans lequel il s'intègre. Après cette phase de recherche, les
visites formatives ont été implantées dans diverses filières de l'IUFM, où elles sont
généralement considérées par les formateurs et les stagiaires comme un bon vecteur
d'accompagnement du transfert professionnel.

1. Intégration du dispositif dans les filières de


formation
5 Le choix des groupes expérimentaux a été fait pour aborder l'ensemble de la
problématique des formations premier et second degré dans leurs aspects didactiques et
transversaux. Cela nous a amené à travailler l'intégration du dispositif « visite
formative » dans deux groupes de vingt à vingt cinq stagiaires selon les années :
• un groupe de formation didactique second degré, pratiquement le groupe de formation des
Professeurs de Lycée Collège de mathématiques (PLC2) ;
• un groupe de formation générale des Professeurs d'École (PE2).
6 Dans les deux cas, nous avons constitué des équipes intégrées de formateurs, en associant
aux enseignants de l'IUFM les conseillers pédagogiques tuteurs pour le second degré, et
les maîtres formateurs pour le premier degré. La contrainte des périodes de stagiarisation
étant différente dans les deux filières, le dispositif a dû être intégré de manière spécifique
à la planification de l'alternance dans chacune de ces filières.

1.1. Intégration dans la formation des Professeurs de Lycée Collège

7 Dans la filière des Professeurs de Lycée Collège, le rapport au terrain est fortement
contraint par le stage en responsabilité organisé en continu dans une même classe
pendant un an. Cette contrainte amène à organiser les visites formatives en lien avec le
démarrage de ce stage, en échelonnant ces visites sur les deux premiers mois de l'année
qui sont cruciaux pour la prise en main de la classe. Pratiquement, nous fonctionnons de
la manière suivante sur un emploi du temps souple déterminé par les disponibilités des
différents participants :
• chaque stagiaire du groupe de formation propose une date pour accueillir dans sa classe
quatre à six de ses collègues, en veillant à ce que son conseiller pédagogique soit disponible
à ce moment là ;
• les autres stagiaires s'inscrivent comme observateurs dans au moins quatre visites en
fonction de leurs disponibilités propres ;
• trois formateurs IUFM se répartissent les visites ainsi arrêtées, et prennent en charge le
suivi personnalisé des stagiaires qu'ils observeront au cours de ces visites.
8 L'intérêt majeur de cette organisation réside dans le fait que sur les premiers mois de
l'année, chaque stagiaire assiste au moins à quatre séances de classe analysées comme
nous allons le présenter, en étant à tour de rôle l'enseignant observé. Ces séances

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intègrent d'emblée le rapport au terrain à la formation théorique, et permettent dès le


début de l'année scolaire de lancer de manière efficace la coordination avec les
conseillers pédagogiques. Par ailleurs, le fait que les formateurs participants soient les
tuteurs de personnalisation des stagiaires visités engage in situ le bilan de compétences
professionnelles nécessaire au lancement de cette personnalisation.
Le tableau suivant synthétise cette organisation(Cf. tableau 1).

Tableau 1

1.2. Intégration dans la formation des Professeurs d'École

9 Dans la filière des Professeurs d'Ecole, le contexte est différent du fait que le rapport au
terrain est organisée sur l'alternance de périodes de cours à l'IUFM avec deux stages en
responsabilité d'un mois, et trois stages de pratique accompagnée de quinze jours.
Pendant les périodes de cours, la formation générale a pour objet de développer des
apports théoriques transversaux en accompagnement des périodes de stage.
10 Cette formation fonctionne sur des groupes d'environ vingt cinq stagiaires, chaque
groupe étant pris en charge par une équipe constituée d'un professeur d'IUFM, d'un
Directeur d'Ecole d'Application et de quatre Maîtres Formateurs. Chaque période de stage
en responsabilité étant assortie de deux visites institutionnelles que nous n'avons pu
modifier du fait de la complexité de leur gestion, nous avons pris le parti d'expérimenter
les visites formatives sur les périodes de cours à l'IUFM, hors du temps de stagiarisation.
11 L'organisation adoptée a été de scinder le groupe de formation en équipes de travail sur
le terrain, chacune de ces équipes réalisant une visite pendant la semaine qui suit la fin
d'une période de stage. Cette organisation permet de travailler dans une classe connue du
stagiaire accueillant, qui peut prévoir la séance observée de manière coordonnée avec le
stage qu'il termine. Au total, chaque stagiaire participe sur l'ensemble de l'année à cinq
visites formatives animées par un membre de l'équipe de formateurs de son groupe de
formation générale. Pour l'une de ces visites, il est l'enseignant observé.
Le tableau suivant synthétise cette organisation (Cf. tableau 2).

Tableau 2

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2. Le contrat de formation
12 Si l'on souhaite utiliser la visite de classe comme creuset d'intégration de la formation
dans des dispositifs d'alternance, il faut instituer cette démarche à partir d'un véritable
contrat de formation. Deux aspects nous paraissent essentiels dans l'établissement de ce
contrat : la finalisation réflexive de la démarche, et son positionnement par rapport à la
certification professionnelle.

2.1. Finalisation réflexive du dispositif

13 En général, les stagiaires voient mal l'intérêt de l'analyse réflexive au regard de


l'entretien conseil qu'ils jugent beaucoup plus efficace sur le court terme.
Leur demande de conseils se heurte à la démarche réflexive instituée par le formateur, et
cette situation crée de l'incompréhension réciproque, qui se solde généralement par une
maïeutique confuse dans laquelle le formateur cherche à faire émerger le « conseil » qu'il
ne s'autorise pas à donner directement. Sans clarification du contrat de formation,
l'analyse se développe sur un système d'attentes croisées qui lui retire toute son
efficacité.
14 Pour éviter cette situation, il paraît essentiel de contractualiser le travail du groupe dans
une perspective de construction de la réflexivité professionnelle. Cette contractualisation
ne peut se faire qu'en affirmant clairement que le conseil et la construction de la capacité
réflexive sont deux aspects de la formation qui ne peuvent être menées de pair sous peine
de s'inhiber mutuellement. On peut alors justifier la finalisation réflexive de la visite
formative par l'entraînement à la prise de décision dans la classe, en se référant à la
nécessité de travailler sur la conscientisation de l'habitus professionnel (Perrenoud,
2001). Ce choix spécifique n'exclut pas le choix alternatif du conseil dans d'autres
situations, ce qui rassure les stagiaires et les rend attentifs à la démarche.

2.2. Sécurisation par rapport à la certification

15 La visite de classe comme outil de formation est incompatible avec la nécessité de


valorisation de soi induite par une perspective certificative. Il s'en suit la nécessité de
contractualiser la formation et la certification sur deux types de visites faites par des
formateurs différents. Cette séparation conduit à s'engager auprès des stagiaires sur le
fait que le formateur assurant la visite certificative n'aura pas connaissance des
observations formatives, et à repenser totalement la fonction du rapport de visite dans le
cadre de la formation. C'est seulement au prix d'une confidentialité de ce rapport au
regard de la certification que pourra s'établir la confiance indispensable à un travail sur
les problèmes rencontrés.

2.3. Positionnement du rapport de visite

16 Sur ce principe de séparation des fonctions certificatives et formatives des visites de


terrain, nous avons fait le choix de renoncer en visite formative au « rapport de visite »
traditionnellement rédigé par le formateur, et de le remplacer par un exercice d'analyse

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de pratique par l'écriture réalisé par le stagiaire observé (Cifali M., 1995 et 1996). Nous
proposons la rédaction d'un document en trois parties :
• un relevé de points qui ont pris sens au cours de l'analyse ;
• un projet personnel de formation contractualisé avec les formateurs ;
• et une nouvelle fiche de préparation de la leçon.
17 Cet exercice a essentiellement pour but de mettre en mots les repères professionnels
abordés, et d'étayer le transfert de ces repères à d'autres contextes d'enseignement. Le
texte produit sert de base au parcours personnalisé de formation, mais en aucune
manière il n'est communiqué aux services administratifs qui gèrent la certification, ni
aux formateurs qui en ont la charge.

3. Le dispositif « visite formative »


18 Le dispositif « visite formative » a pour objectif de proposer des « noyaux d'intégration
théorie - pratique », scandant la planification de la formation pour en étayer le transfert
professionnel. Concrètement il met en œuvre une analyse intrinsèque de l'action d'un
stagiaire sur le terrain de stage au cours d'une leçon observée par un groupes de pairs, et
développe sur cette action une modélisation praxéologique adossée aux contenus
théorique didactiques et généraux proposés à l'IUFM.
19 La séquence de travail est conçue dans une dynamique de formation réflexive du groupe
des participants, tant pour celui qui fait la leçon que pour ceux qui l'observent. Elle dure
environ une demi journée et se déroule sur trois phases :
• la préparation de l'observation ;
• l'observation proprement dite ;
• et l'analyse de la pratique observée.

3.1. Les participants

20 L'expression « visite formative » désigne donc une séquence de formation construite


autour d'une observation réalisée dans la classe d'un stagiaire, qui donne lieu à un travail
collectif d'analyse de la pratique de ce stagiaire auquel participent six à huit personnes :
• le stagiaire accueillant qui fait la leçon ;
• trois à six stagiaires observateurs ;
• le conseiller pédagogique du stagiaire accueillant ;
• et le formateur tuteur du parcours personnalisé du stagiaire accueillant chargé par ailleurs
d'une partie de la formation théorique.
21 L'animation du dispositif est assurée soit par le conseiller pédagogique du stagiaire
accueillant, soit par son tuteur de personnalisation. Il ne s'agit pas d'une co-animation, le
rôle de chacun étant clairement défini : l'un anime, l'autre sert de personne ressource qui
ne prend la parole que lorsqu'il y est invité par son collègue animateur. La participation
conjointe du conseiller pédagogique et du formateur IUFM est très riche du point de vue
de l'intégration de la visite aux versants théorique et pratique de la formation. Elle
permet en particulier de mettre en place de manière coordonnée le projet de formation
personnalisée du stagiaire visité.

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3.2. Le type de séance observée

22 Deux possibilités peuvent être envisagées pour la séance observée : elle peut avoir été
préparée dans le cadre de la formation, ou au contraire être proposée spontanément par
le stagiaire accueillant. Une séance préparée en formation présente l'avantage d'être bien
dévolue aux observateurs, mais la préparation collective biaise la part personnelle de
l'enseignant dans les phénomènes observés. A contrario, une leçon proposée par l'acteur
est mal dévolue aux observateurs, mais permet d'analyser le cours d'action de
l'enseignant en fonction de ses logiques propres. Dans la perspective de donner le primat
à l'analyse de l'action située, nous avons privilégié cette seconde option.

3.3. L'entretien qui prépare l'observation

23 L'entretien qui prépare l'observation a pour fonction d'assurer la dévolution de la séance


aux observateurs, et de répartir les tâches d'observation. Ce travail doit se faire sans
déstabiliser l'enseignant qui fait la leçon, ce qui suppose de limiter les échanges à la seule
prise d'informations en interdisant toute discussion critique sur les choix présentés.

3.3.1. Dévolution de la séance aux observateurs

24 La séance prévue par l'acteur (celui qui fait la leçon) est présentée au groupe des
observateurs sur la base d'un tableau réalisé sur le modèle qui suit (Cf. tableau 3).

Tableau 3
Document d'analyse des situations prévues et réalisées.

25 Le bandeau initial et la partie gauche sont renseignés a priori par l'enseignant ; la partie
droite est utilisée par les observateurs en cours d'observation pour rendre compte de la
réalisation.
26 Ce tableau sert à la fois de support à l'entretien préparatoire (partie gauche), à
l'observation (partie droite), puis dans son ensemble à l'analyse qui suit l'observation. Il
est conçu dans la perspective de laisser à l'acteur le maximum de latitude tout en lui
donnant une base de communication avec ses pairs. La seule contrainte qui lui est
imposée est de présenter sa séance en termes de situations successives, une situation

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étant appréhendée comme une phase stabilisée du fonctionnement de la classe autour


d'un objectif dominant et d'un dispositif approprié.
27 L'observation est ainsi focalisée sur des noyaux fonctionnels du point de vue de la logique
prévisionnelle de l'acteur. Le bandeau initial situe globalement sa prévision dans une
séquence de référence, et la disposition en deux colonnes qui suit permet de comparer
localement cette prévision à la réalisation situation par situation. Plus particulièrement,
la rubrique « autres choix possibles », invite l'acteur à présenter sa réflexion sur des
choix alternatifs, ce qui l'amène à relativiser ses options, et à engager les observateurs à
en vérifier l'efficacité dans l'action. Au final, la séance est présentée par le biais d'une
analyse contrastée des choix professionnels qui la sous-tendent, et non comme un objet
figé dont le concepteur supporterait mal la critique.

3.3.2. Répartition des tâches d'observation

28 Les tâches d'observation sont réparties entre les stagiaires sur la base de trois entrées :
• le fonctionnement du dispositif prévu ;
• le jeu de l'habitus1 professionnel de l'enseignant ;
• l'activité des élèves.
29 Sur ces grands chapitres, chaque stagiaire spécifie ce qu'il envisage d'observer, et dont il
rendra compte au groupe dans l'analyse qui suit la leçon. Parallèlement à l'observation du
fonctionnement du dispositif prévu qui se fait sur la base du document que nous venons
de présenter, le jeu de l'habitus de l'enseignant et l'activité des élèves donnent lieu à des
protocoles d'observation spécifiques
30 L'observation du jeu de l'habitus de l'enseignant s'appuie sur une grille qu'il établit lui
même en prévision de sa propre observation. L'auto-élaboration de cette grille engage sa
réflexion sur les aspects problématiques de son comportement professionnel, et surtout
l'amène à proposer des items d'observation sur lesquels il accepte a priori le jugement
d'autrui. Pour guider la préparation de ce document, nous invitons le stagiaire à
s'inspirer des items proposés par M. Postic dans l'ouvrage, Observation et formation des
enseignants, 1977, p. 244-245, la consigne de ce travail étant de réduire le nombre de ces
items à une dizaine, en les spécifiant sur des comportements professionnels qui
manifestent l'habitus et qui dépassent le cadre local de la séance prévue.
31 Enfin l'observation des élèves est focalisée sur un ou deux élèves par observateur,
désignés par l'enseignant à partir de critères cognitifs ou comportementaux. La tâche
consiste à repérer les comportements d'intérêt et de désintérêt de ces élèves en
proposant des hypothèses à caractère didactique ou pédagogique sur ces comportements.
Ces hypothèses sont étayées par les productions écrites des élèves (cahiers de brouillon,
de cours, d'exercices...) récupérées en fin de séance, et par un court entretien
d'explicitation, réalisé lorsque c'est possible pendant environ un quart d'heure après la
séance.
32 Le conseiller pédagogique et le formateur IUFM n'ont pas de tâche d'observation
préalablement assignée, leur rôle consiste à repérer les noyaux autour desquels ils
engageront l'entretien qui suit l'observation.

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3.4. L'entretien qui suit l'observation

33 L'objectif de cet entretien étant d'analyser l'action en situation, il est essentiel d'éviter
toute modélisation prématurée qui aurait pour effet d'inhiber l'explicitation de cette
action. Pour opérationnaliser le primat de l'analyse intrinsèque de l'action sur sa
modélisation extrinsèque, nous proposons un protocole d'entretien en cycles
« explicitation - modélisation », constitués de deux phases donnant lieu à des techniques
d'animation spécifiques :
• une phase d'analyse intrinsèque de l'action visant à expliciter l'organisation en actes de
l'enseignant (l'explicitation) ;
• suivie d'une phase d'analyse extrinsèque de cette organisation visant à développer un
repérage théorique transférable (la modélisation). Ces phases sont clairement scindées dans
le déroulement de l'entretien pour éviter leur inhibition réciproque.

3.4.1. Animation des phases d'explicitation

34 Dans les phases d'explicitation, l'animateur s'appuie sur la médiation par les pairs pour
dégager les structures émergeantes du cours d'action de l'enseignant. Il donne d'abord la
parole aux observateurs, ce qui engage en retour la réaction de l'acteur sur une
problématique ouverte par ses pairs, puis il sollicite le jeu de renvois acteur –
observateurs sur les trois axes d'observation que nous avons présentés (dispositif, habitus,
élève). De manière générale, il focalise les échanges sur les logiques de l'acteur en
arrêtant le débat d'explicitation au moment ou il juge qu'une structure didactique ou
pédagogique en acte est suffisamment cernée pour pouvoir être modélisée de manière
extrinsèque.

3.4.2. Animation des phases de modélisation

35 Dans les phases de modélisation, l'animateur demande aux membres du groupe de sortir
du contexte de l'action située pour tirer de l'analyse intrinsèque qui vient d'être menée
des repères professionnels transférables. La consigne est inversée : il ne s'agit plus
d'entrer dans l'intrinsèque de l'action observée, mais de réagir par rapport à des
« théories » personnelles que chacun applique à cette action pour se l'approprier. Cette
seconde phase ouvre l'analyse sur le niveau théorique de la formation, l'enjeu étant de
réaliser l'intégration de la culture professionnelle de chaque membre du groupe à la
pratique observée et explicitée. C'est un moment clé de l'étayage du transfert
professionnel qu'il faut éviter d'inhiber par un enfermement polémique avec l'acteur.
Pour éviter cette dérive, la règle consiste à lui demander de ne pas intervenir pendant les
phases de modélisation, en lui assurant un temps de réaction globale en fin de chacune de
ces phases.
36 Pendant ces phases de modélisation, le rôle de l'animateur est crucial sur les effets de la
formation. S'il reste trop en retrait, les débats du groupe risquent de ne pas sortir du
contexte de la situation observée, et la modélisation nécessaire au transfert a du mal à se
développer. Inversement, s'il intervient de manière trop cadrée, l'activité de modélisation
est inhibée par la normalisation institutionnelle dont il est porteur aux yeux des
stagiaires. Toute la pertinence de l'animation consiste à savoir se positionner dans ce
paradoxe, en développant au sens vygotskien du terme, une zone proximale de formation

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dans laquelle les interventions du formateur prennent sens en appui de l'activité de


modélisation des formés (Vygotski, 1934).
37 Ainsi, la question radicale de savoir si l'animateur doit rester en dehors des débats, ou au
contraire apporter la dimension institutionnalisante de la formation est une fausse
question. Il lui revient d'intervenir dans la proximité de ce qu'élabore le groupe, en
conservant son statut de formateur. La position est difficile à tenir, d'autant que la
pression du groupe va dans le sens de le contraindre à des réponses stéréotypées. S'il vise
juste, et surtout s'il ne cherche pas à trop apporter de manière artificielle, il peut étayer
très efficacement le processus de modélisation.
38 Une introduction possible de la phase de modélisation peut être de demander aux
stagiaires de formuler les repères théoriques qu'ils jugent pertinents au regard de la
situation analysée. Généralement, ces repères sont bousculés par la complexité de cette
situation, et l'intervention de l'animateur dans le sens d'une clarification théorique de ces
repères est alors tout à fait intéressante

3.4.3. Animation du changement de phase

39 Un autre aspect crucial du rôle de l'animateur concerne la manière dont il gère le


changement de phase entre l'explicitation et la modélisation de l'action observée. Nous
insistons sur le la nécessité de rompre l'équilibre installé dans la phase qui se termine, en
évitant de laisser se développer un temps de pseudo continuité entre les deux phases : pas
de phase intermédiaire, mais une discontinuité reconnue lorsqu'on change de paradigme
de travail. Il est essentiel au changement de phase d'institutionnaliser clairement le
nouveau contrat de formation, si ce n'est pas le cas, on observe généralement un
croisement des attentes entre le formateur et les formés qui empêche la dévolution claire
de ce nouveau contrat.

3.4.4. Déroulement général de l'entretien

40 Généralement, l'entretien dure environ deux heures sur la base de trois ou quatre cycles
portant sur des aspects globaux ou parcellaires de la séance observée :
• il débute par deux ou trois cycles d'analyse locale portant sur des gestes ou des séquences de
gestes significatifs ;
• et il se termine par un cycle d'analyse globale de la séance à la lumière des apports des
différents cycles d'analyse locale.
41 En début d'entretien, l'animateur invite le groupe à ne pas chercher à couvrir de manière
exhaustive l'ensemble de la prestation mais à se focaliser sur des séquences de gestes
significatifs. Par la suite, en fonction des éléments apportés par le groupe, il est de son
ressort de faire les choix de focalisation qu'il juge pertinents, et de lancer les cycles
d'analyse autour de ces focalisations. Globalement sur l'ensemble de l'entretien, il ne doit
pas se placer dans une relation confuse de parité, mais tenir la place qui lui est assignée
pour chaque phase d'un cycle : accompagner l'explicitation de l'action par le jeu de miroir
acteur - observateurs puis étayer en alternance la modélisation de repères professionnels.
42 Enfin, l'animateur a pour tâche d'accompagner le travail d'écriture demandé au stagiaire
et la formation personnalisée qui en découle.
43 Nous ne développerons pas cet aspect qui est incident par rapport à l'animation du
dispositif, mais qui le positionne dans la planification globale de la formation.

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Pour terminer la présentation de ce travail de recherche, nous allons maintenant


développer ses fondements théoriques, tant au niveau de l'explicitation intrinsèque de
l'action observée, qu'au niveau de la modélisation extrinsèque de cette action.

4. Éléments sur l'explicitation de l'action


44 L'analyse de pratique qui suit la leçon est structurée autour de cycles « explicitation -
modélisation » fondés sur la notion de praxéologie qu'Y. Chevallard (1997) définit au
regard de quatre entrées :
• la tâche que s'assigne l'enseignant (son intention générale) ;
• les techniques qu'il développe (l'action située observable) ;
• les technologies qu'il fournit dans l'entretien (l'explicitation qu'il donne de son action) ;
• les théories de référence (le champ de la culture professionnelle extrinsèque à l'action).
45 Un cycle explicitation – modélisation vise à intégrer praxis et logos, en appréhendant le
versant de l'explicitation par le jeu des trois premières entrées de la notion de
praxéologie (tâche, technique, technologie), et le versant modélisation par la quatrième
(théorie) positionné du côté de l'explicatif culturel, extrinsèque à l'action du sujet.
L'ensemble est à appréhender de manière intégrée, ce que schématise le tableau qui suit
en positionnant la notion de praxéologie à l'interface de l'action du sujet et de la culture
professionnelle2 (Cf. tableau 4).

Tableau 4
La notion de praxéologie.

46 Dans ce cadre théorique général, deux niveaux d'organisation praxéologique paraissent


particulièrement pertinents dans l'analyse du cours d'action d'un enseignant :
• le niveau des micro praxéologies de l'acteur (les gestes d'enseignement) : par exemple, le
fait d'annoncer publiquement les notes en rendant les copies aux élèves ;
• et le niveau de macro praxéologies organisant une séquence de gestes au regard d'une
fonction didactique ou pédagogique particulière : par exemple, au niveau didactique la
macro praxéologie « situation problème3 », ou au niveau pédagogique, la macro praxéologie
« conseil des élèves4 ».

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4.1. La notion de « geste d'enseignement »

47 Un « geste d'enseignement » est donc une micro praxéologie du cours d'action de


l'enseignant, identifiée par une technique observable, et explicitée a posteriori par une
technologie particulière. Il peut avoir un caractère coutumier lorsqu'il est fortement
implanté dans l'habitus de l'acteur, ou avoir au contraire un caractère exceptionnel,
notamment lorsqu'il manifeste une tentative de changement. Dans les deux cas, il
apparaît comme une unité élémentaire du cours de l'action située, qui peut être en accord
ou en rupture avec le champ théorique extrinsèque apporté par la formation. Pour des
raisons de commodités de communication avec les stagiaires, nous distinguons les gestes
pédagogiques des gestes didactiques, par exemple :
• le fait d'écrire une définition au tableau est un geste d'enseignement à caractère didactique ;
• le fait d'élever la voix pour faire taire un élève est un geste d'enseignement à caractère
pédagogique.
48 Cependant, il s'agit d'une distinction formelle. En effet, écrire une définition au tableau
peut relever d'avantage de l'intention pédagogique de calmer les élèves en les
contraignant à écrire, que de l'intention didactique de passer à une phase de synthèse. Ce
geste peut d'ailleurs relever des deux intentions à la fois. La distinction entre didactique
et pédagogique résulte de l'analyse intrinsèque de l'action et non d'un a priori extrinsèque
sur cette action.
49 A titre d'exemple, nous analysons dans le tableau qui suit le geste d'enseignement
« annoncer publiquement les notes en rendant les copies aux élèves » extrait d'un
protocole d'entretien avec un stagiaire en formation (Cf. tableau 5). Dans ce cas, la théorie
(culturel extrinsèque) est en rupture avec la technologie (personnel intrinsèque) avancée
par l'acteur.

Tableau 5

4.2. La notion de « séquence d'enseignement »

50 À un second niveau, nous prenons comme objet d'analyse de l'action de l'enseignant des
« séquences d'enseignement », c'est-à-dire des ensembles de gestes d'enseignement qui
remplissent pour l'acteur une fonction dominante didactique ou pédagogique particulière
(découverte d'une notion, maintien de l'autorité, etc.). Chronologiquement, une séquence
d'enseignement peut être constituée :
• par une succession de gestes temporellement groupés : « séquence compacte » ;

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• ou au contraire par une succession de gestes temporellement séparés : « séquence sérielle ».


51 Une séquence d'enseignement est donc une organisation praxéologique, identifiée par la
dominante fonctionnelle que lui attribue l'acteur, et qui apparaît aux observateurs
comme une succession de gestes coutumiers et de gestes exceptionnels. L'analyse de la
distribution des gestes de la séquence, ouvre sur l'articulation de l'habitus et des effets de
la formation.

4.2.1. Repérage d'une séquence par les ruptures de contrat

52 Pour repérer de manière opérationnelle ces séquences dans le cours d'action de


l'enseignant, nous utilisons l'explicitation des ruptures de contrat didactique (G.
Brousseau, 1989) ou de contrat pédagogique, en interprétant ces ruptures comme des
indicateurs de modification fonctionnelle du processus d'enseignement. Ces ruptures
peuvent apparaître sous forme technique (changement de comportement de l'acteur) ou
sous forme technologique (changement de discours dans l'explicitation).
53 Localisée ainsi par les ruptures de contrat, une séquence d'enseignement est alors
identifiable comme un ensemble de gestes d'enseignement, fédérés par le même contrat
dans une finalité didactique ou pédagogique particulière. Il est à remarquer que le même
contrat peut être repris sur des périodes séparées dans le temps, et que les séquences
ainsi obtenues peuvent avoir un caractère compact ou sériel au sens ou nous venons de le
définir.
54 Une telle séquence peut alors être analysée de manière globale, ou de manière
chronologique en faisant apparaître l'enchâssement des gestes d'enseignement qui la
constituent.

4.2.2. Analyse globale et analyse chronologique du cours d'action de l'enseignant

55 Deux sortes d'analyse de séquence peuvent être menées :


• une analyse globale qui prend pour objet la globalité de la séquence pour en expliciter les
quatre entrées praxéologiques (tâche, technique, technologie, théorie) ;
• ou une analyse chronologique à partir d'un support vidéo, difficile à réaliser dans le temps
de l'entretien, mais qui peut donner lieu à un travail ultérieur du stagiaire.
56 À titre d'exemple, le tableau suivant (Cf. tableau 6), présente l'analyse praxéologique
globale d'une séquence d'enseignement visant à corriger une erreur rédhibitoire. Il est à
remarquer que la théorie culturelle se scinde en deux champs dont l'un valide et l'autre
invalide la technologie de l'acteur.

Tableau 6

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57 En complément de l'analyse développée lors de la visite, et lorsqu'on dispose d'un film de


la séance observée, on peut demander au stagiaire de reprendre dans son travail
d'écriture l'analyse de cette séance au niveau de la chronologie des gestes qui la
constituent. Ce travail peut se traiter sous forme d'un tableau du type suivant (Cf. tableau
7), faisant apparaître l'enchâssement des gestes isolés et des séquences compactes ou
sérielles.

Tableau 7

58 Un entretien ultérieur5 avec le stagiaire autour de ce tableau s'avère alors souvent des
plus intéressant.

5. Éléments sur la modélisation de l'action


59 Sur le versant de la modélisation de l'action, nous avons fait le choix de travailler dans un
environnement théorique multi-référencé (J. Ardoino, 1993), le principe étant celui d'une
approche co-disciplinaire (Cl. Blanchard Laville et coll., 1997), chaque champ théorique
donnant un regard spécifique sur la pratique, sans chercher à intégrer ces divers champs
dans une matrice explicative unique.
60 L'analyse intrinsèque du cours d'action étant faite en termes de fonctions didactiques ou
pédagogiques, la cohérence amène à ouvrir l'analyse intrinsèque sur le versant théorique
de ces fonctions. À une approche fonctionnelle intrinsèque correspond une approche
fonctionnelle extrinsèque permettant d'analyser le caractère rarement univoque des
gestes et des séquences d'enseignement. La démarche est la même, mais le référentiel
change : ce n'est plus l'action du sujet qui sert de référence, mais la culture
professionnelle extrinsèque à cette action.
61 Pour illustrer notre propos, nous présentons le repérage fonctionnel multi-référencé
arrêté en formation d'enseignants de mathématique du second degré. Pratiquement,
chacune des fonctions référencées dans le tableau qui suit (Cf. tableau 8), est abordée en
formation théorique avec les stagiaires, et en formation de formateurs avec les conseillers
pédagogiques. Ce travail préalable ouvre une base commune de communication qui
permet le travail de modélisation lors des visites de classe.

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Un dispositif innovant de conseil pédagogique : la visite de classe formative 14

Repérage théorique multiréférencé d'une séquence d'enseignement.6 et 7


Tableau 8

62 De manière pragmatique, nous avons cherché à stabiliser un repérage extrinsèque de


l'action de l'enseignant qui soit adapté :
• aux connaissances théoriques des stagiaires en formation ;
• à la culture professionnelle des conseillers pédagogiques qui les encadrent ;
• et à la prise compte de la complexité de l'action de l'enseignant, mêlant en permanence le
didactique et le pédagogique.
63 Nous donnons dans les paragraphes qui suivent un développement point par point des
diverses fonctions synthétisées dans le tableau ci-contre.

5.1. Fonctions didactiques d'une séquence d'enseignement

64 En référence aux travaux de didactique des mathématiques, et tout particulièrement à


ceux de G. Brousseau (1986, 1989), Y. Chevallard (1992, 1997), R. Douady (1992) et G.
Vergnaud (1991, 1994), nous proposons aux stagiaires de mathématiques d'analyser leur
enseignement au regard de six fonctions didactiques théoriques :
• l'accommodation des schèmes opératoires : « mise en actes » ;
• la construction des langages : « mise en mots » ;
• l'optimisation des automatismes procéduraux : « mise en application » ;
• la décontextualisation conceptuelle : « réinvestissement » ;
• la régulation des apprentissages : « évaluation - régulation » ;
• le bilan des apprentissages : « évaluation-bilan ».

5.1.1. Fonction d'accommodation des schèmes opératoires : « mise en acte »

65 En mathématiques, la fonction d'accommodation des schèmes opératoires a pour objet de


faire apparaître des connaissances « en actes », c'est-à-dire des connaissances non
verbalisables a priori (notion de théorème en actes au sens de G. Vergnaud, 1992). Il s'agit
pour l'essentiel de mettre en réseau dans les séquences de démarrage d'un cycle
d'apprentissage le « déjà là » en acte avec l'apprentissage visé.
66 La notion clé travaillée en formation est l'accommodation piagétienne, en insistant sur le
fait qu'un exercice visant l'accommodation du système cognitif n'est pas une simple

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Un dispositif innovant de conseil pédagogique : la visite de classe formative 15

activité de découverte, mais un problème qui a pour fonction de montrer les insuffisances
des connaissances installées, et d'en permettre la restructuration en acte. C'est une
notion qui est désignée dans la littérature scolaire en termes de « situation problème »,
mais l'expression « mise en acte » nous paraît plus adaptée, en ce sens qu'elle désigne des
activités d'accommodation opératoire qui ne mobilisent pas de manière explicite les
capacités langagières de l'élève.

5.1.2. Fonction de construction des langages : « mise en mots »

67 Si la « mise en acte » permet de créer du réseau cognitif, elle ne suffit pas à la


conceptualisation des nouvelles connaissances qui restent contextualisées au cadre de
leur production. Dans un second temps, l'objectif pour l'enseignant de mathématique est
de faire aboutir le processus de conceptualisation en greffant sur une acquisition en actes
les mots qui permettent de la signifier. La fonction de construction des langages vise à
assurer cette étape indispensable en repérant un double niveau (G. Brousseau, 1986) :
• celui de la connotation en langage élève qui permet de valider les conceptions en actes (la
formulation) ;
• et celui de la dénotation institutionnelle qui vise à construire le sens des expressions
institutionnelles stabilisées par l'usage (l'institutionnalisation).
68 Généralement, l'étape de construction des langages est occultée par les enseignants de
mathématiques, qui passent d'activités de découverte au psittacisme de l'apprentissage
de règles supposées construites par ces activités. Il s'agit de les convaincre de la nécessité
de construire sur les signifiés en actes, les signifiants conceptuels qui expriment les
concepts émergeants.
69 Nous insistons sur l'importance de travailler la formulation avant l'institutionnalisation
parce que cette démarche permet de construire le langage scientifique au regard du
langage familier des élèves. Globalement, la fonction de construction des langages est
souvent identifiée comme « fonction de synthèse », mais l'expression « mise en mots »
nous paraît mieux convenir parce qu'elle désigne une véritable activité de l'élève sur le
langage, et non une simple mise en forme faite par l'enseignant.

5.1.3. Fonction d'optimisation des automatismes procéduraux : « mise en


application »

70 Les concepts étant construits, à la fois au niveau des invariants opératoires et des
signifiants langagiers (Vergnaud, 1991), il reste à optimiser les procédures spontanées des
élèves pour installer des automatismes procéduraux efficients. Nous désignons cette
fonction d'optimisation des automatismes procéduraux par l'expression « mise en
application ». Il s'agit d'une activité tout à fait différente de la mise en acte, en ce sens
qu'elle ne vise pas l'accommodation des schèmes cognitifs, mais leur stabilisation dans
leur application à une classe de problèmes.
71 Le processus piagétien de référence est ici l'assimilation, la clé étant de distinguer les
exercices qui permettent de remplir cette fonction de ceux qui visent l'accommodation
des connaissances dans la phase de mise en acte. Si l'automatisation des schèmes
opératoires est à l'évidence indispensable à la pérennisation des apprentissages, elle

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Un dispositif innovant de conseil pédagogique : la visite de classe formative 16

court-circuite souvent la conceptualisation par de la simple répétition. Nous insistons sur


les aspects suivants :
• ne pas mettre un concept « en application » avant de l'avoir mis « en actes » et « en mots »,
sous peine d'inhiber la conceptualisation par de la répétition stérile ;
• se garder d'un « bachotage » non finalisé, en fondant ce type de travail sur une analyse de
l'erreur avec exercices de traitement différenciés.

5.1.4. Fonction de décontextualisation conceptuelle : « réinvestissement »

72 La fonction de réinvestissement consiste à faire en sorte que les élèves sache mobiliser un
concept hors du champ de référence qui a permis de le construire. Pratiquement, il s'agit
de leur apprendre à réinvestir un savoir acquis sur des questions qui n'évoquent pas
spontanément ce savoir, ce qui permet de faire aboutir le processus de conceptualisation
en désétayant le concept construit de son contexte de construction.
73 Généralement, cette fonction est mal assumée par les enseignants, qui jouent la
rentabilité à court terme en développant fortement la mise en application (même
contexte) au détriment du réinvestissement (changement de contexte). Il s'agit de les
convaincre de faire travailler leurs élèves sur des « problèmes ouverts », c'est-à-dire des
problèmes dont l'énoncé ne mobilise pas le concept par analogie, mais oblige à l'activité
de transfert.

5.1.5. Fonctions de régulation des apprentissages

74 En ce qui concerne l'évaluation, nous pensons important de repérer deux fonctions


essentielles : la fonction de régulation des apprentissages (évaluation formative) et la
fonction de bilan (évaluation sommative). Au niveau de la fonction de régulation des
apprentissages, nous distinguons :
• la régulation par l'élève de ses propres apprentissages dans laquelle l'évaluation est utilisée
comme outil de formation (évaluation formatrice) ;
• la régulation par l'enseignant des effets de son enseignement, dans laquelle l'évaluation est
utilisée comme diagnostic externe à l'élève (évaluation diagnostique).
75 Le propre de l'évaluation formatrice est de « former » par l'évaluation, et donc de
développer de l'apprentissage, alors que celui de l'évaluation diagnostique est
simplement de prendre de l'information pour réguler la formation de l'extérieur. En
d'autres termes, l'évaluation formatrice est une régulation qui boucle sur l'élève,
l'évaluation diagnostique une régulation qui boucle sur l'enseignant.

5.1.6. Fonction de bilan des apprentissages

76 Parallèlement, nous distinguons trois aspects de la fonction de bilan selon qu'il s'agisse :
• d'un bilan au regard des progrès personnel de l'élève (évaluation différentielle) ;
• d'un bilan au regard d'un groupe de référence qui sert de norme relative (évaluation
normative) ;
• ou enfin un bilan au regard d'un niveau de compétence socialement repéré qui sert de
norme absolue (évaluation certificative).
77 Sur l'ensemble, nous insistons sur la nécessité de critérier l'évaluation, et d'optimiser les
tests proposés aux critères sélectionnés. Enfin nous développons une réflexion
docimologique en posant le principe que « la note » est un vecteur de communication

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sociale de la performance, et qu'il convient de s'interroger sur sa fonction lorsqu'elle est


utilisée dans une autre finalité.

5.2. Fonctions pédagogiques d'une séquence d'enseignement

78 Les gestes d'enseignement sont des gestes complexes, rarement monoréférencés, qui sont
le plus souvent produits par une prise de décision qui optimise divers paramètres du
processus d'enseignement. Sur un geste précis les fonctions s'entremêlent, et la
dimension didactique de l'action de l'enseignant est difficilement séparable de sa
dimension pédagogique. Ce constat amène à croiser les six fonctions didactiques que nous
venons de décrire à quatre fonctions pédagogiques respectivement focalisées sur :
• la gestion des relations individuelles ;
• la gestion de la dynamique du groupe classe ;
• la gestion des contraintes institutionnelles ;
• et enfin la gestion des décalages socio-culturels.

5.2.1. Fonction de gestion des relations individuelles

79 Les métiers d'éducation travaillent sur l'humanité des acteurs qui les assument, et à
l'école comme partout ailleurs, les phénomènes de transfert sont la trame des relations
interpersonnelles. La relation pédagogique se joue sur fond de résonances multiples entre
l'histoire de l'enseignant et celle de l'élève, cette situation étant particulièrement
sensible chez les jeunes enseignants qui ont généralement du mal à se mettre à distance
de leur expérience d'élève (A. Lerouge, 1998). De manière pragmatique, pour étayer la
gestion de ces phénomènes, nous travaillons le positionnement professionnel en insistant
sur les points suivants :
• ne pas réagir en miroir ;
• nommer les élèves ;
• les respecter si l'on veut se faire respecter ;
• donner un projet de réussite ;
• n'exiger que ce que l'on peut tenir ;
• poser avec l'élève le sens d'une sanction, et donc son caractère nécessairement individuel ;
• rompre toute situation d'enfermement dans une mécanique de surenchère punitive qui se
joue sur fond d'identité personnelle bafouée, en général sans issue pour les deux
protagonistes ;
• et enfin « parler vrai » en toutes circonstances, ce qui ne signifie pas que l'on peut tout dire
dans la classe, mais que si l'on ne veut pas répondre à une question, on le dit clairement
plutôt que de raconter n'importe quoi.
80 Très concrètement, lors de situations de crise en relation duelle, nous invitons les
enseignants à ne pas chercher à régler le problème dans l'arène de la classe, mais à
provoquer un entretien différé avec l'élève, éventuellement médiatisé par un autre élève
ou un autre adulte de l'établissement. Cela conduit à travailler en formation les
entretiens de résolution de crise sous forme de jeux de rôle, dans l'objectif de sortir de la
surenchère punitive pour contractualiser la relation pédagogique. Tout particulièrement,
clarifier le fait que la relation parent - enfant n'est pas du même ordre que celle d'un
enseignant avec ses élèves permet d'installer une relation pédagogique hors de la
répétition stérile des scénarios familiaux.

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Un dispositif innovant de conseil pédagogique : la visite de classe formative 18

5.2.2. Fonction de gestion de la dynamique du groupe classe

81 Si pour une part la relation pédagogique s'installe au niveau des relations


interpersonnelles, l'enseignant ne peut ignorer que dans son ensemble la dynamique du
groupe classe relève de phénomènes psychosociaux non réductibles à la simple
juxtaposition de ces relations. La professionnalité dans ce domaine consiste à savoir
travailler la résistance au changement dans les groupes restreints, au niveau de la
dynamique globale de ces groupes et non par traitement isolé des individus.
82 Ainsi, en situation de crise, contrairement à la gestion des relations individuelles traitées
plutôt par entretiens différés, le traitement de la globalité de la dynamique du groupe
classe consiste à travailler les représentations sociales du groupe par des situations de
mise en débat collectif, en instituant des temps de parole inspirés des pratiques de la
pédagogie institutionnelle (F. Imbert, 1994). Cet aspect de la relation pédagogique conduit
à travailler sur l'appropriation par les élèves d'un règlement de fonctionnement de la
classe et sur la mise en œuvre de situations de régulation lorsque ce règlement est bafoué.

5.2.3. Fonction de gestion des contraintes institutionnelles

83 Au-delà des phénomènes relationnels et des phénomènes de groupe, une situation de


classe peut être éclairée par le système de contraintes institutionnelles dans lequel se
trouvent l'enseignant et les élèves. Trois niveaux de contraintes apparaissent
fréquemment :
• le niveau organisationnel de l'établissement (séance mal placée dans l'emploi du temps) ;
• le niveau de la contrainte des programmes (suivre le programme dans une classe faible) ;
• et enfin celui du statut institutionnel de l'enseignant, à la fois juge et partie dans le
traitement des conflits dans la classe.

Le rapport aux programmes

84 La contrainte des programmes est récurrente dans les analyses de pratiques


professionnelles, et l'obligation de suivi du programme institutionnel fait obstacle à la
prise en compte par l'enseignant du niveau réel des élèves qui lui sont confiés. Cet aspect
génère l'inadaptation des savoirs enseignés à la réalité de la classe et produit une
situation structurelle de crise pédagogique impossible à traiter dans le seul contexte
conjoncturel. Le dépassement de cet obstacle oblige l'enseignant à faire le deuil d'un
même niveau de programme pour tous, à accepter le principe d'une évaluation
différenciée, et à travailler en projet d'établissement pour donner à sa démarche une
cohérence institutionnelle sur plusieurs années. Autant de points qui supposent une
véritable révolution des mentalités installées.

L'enseignant juge et partie

85 Au niveau institutionnel global, l'absence de lieu de médiation dans le système éducatif,


apparaît comme un véritable vide institutionnel dans la gestion des situations de crise. En
particulier, le statut de l'enseignant à la fois juge et partie dans ses différents avec les
élèves, développe une violence institutionnelle qui diffuse dans la relation pédagogique
(B. De France, 1995). Dans ce contexte, enseignants et élèves se vivent comme victimes de
contraintes institutionnelles qu'ils subissent avec la conviction de ne pouvoir rien y

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changer. Il s'agit alors de traiter en formation cette représentation passive des acteurs
dans le système éducatif, en travaillant sur le pouvoir instituant des enseignants au sein
de projets d'établissements qui peuvent véritablement les rendre auteurs de nouvelles
dynamiques institutionnelles (J. Ardoino, 1993).

5.2.4. Fonction de régulation des décalages socioculturels

86 Enfin, ouvrir l'analyse sur la régulation des décalages socioculturels conduit à travailler
l'évolution de l'identité professionnelle de l'enseignant dans la société française, la
question centrale étant celle de la rupture entre la constitution historique de cette
identité, issue des idéaux de la Troisième République, et la réalité actuelle des attentes
sociales de la jeunesse et des familles. Dans la tradition culturelle du rôle de l'école dans
la société, bon nombre d'enseignants, pensent que l'éducation est essentiellement du
ressort des familles, et que leur rôle consiste à enseigner à des élèves a priori déjà
éduqués. Cette conception les conduit à verrouiller la dimension éducative de leur métier,
ce qui provoque parfois des situations de crise tout à fait épuisantes.
87 L'enjeu est ici de travailler sur la nouvelle fonction sociale de l'École dans l'éducation du
citoyen, en repositionnant sa mission éducative au regard de sa mission d'instruction.
Pratiquement, cela oblige à reconsidérer fondamentalement la situation isolée de
l'enseignant dans sa classe, pour ouvrir sur un travail d'équipe éducative, mettant en
œuvre de manière coordonnée la construction dans l'établissement des repères sociaux
fondamentaux.

Conclusion
88 L'ensemble du travail que nous venons de présenter s'inscrit dans la volonté d'intégrer
les entrées théoriques et pratiques de la formation, en développant des dispositifs
d'analyse de pratiques qui permettent d'étayer le transfert professionnel. Cette
perspective assigne ces dispositifs à une double fonctionnalité :
• d'une part ils doivent assurer l'émergence des logiques intrinsèques de l'action située ;
• et d'autre part ils doivent permettre de modéliser ces logiques au regard de la culture
professionnelle extrinsèque à cette action.
89 Cette double fonctionnalité ouvre sur deux champs théoriques de référence : celui de
l'analyse de l'action située, et celui de la modélisation de cette action dans la culture
professionnelle. Cette dualité théorique est parfois considérée comme paradoxale, en ce
sens que l'on oppose de manière radicale les approches intrinsèque et extrinsèque des
phénomènes d'enseignement. Dans une perspective anthropologique, et plus
particulièrement en référence à l'analyse praxéologique avancée par Y. Chevallard (1997),
nous rejetons cette radicalité épistémologique en nous plaçant dans une posture
dialogique (E. Morin, 1990) que nous pensons indispensable à la formation professionnelle
des enseignants.

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Un dispositif innovant de conseil pédagogique : la visite de classe formative 20

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NOTES
1. Pour assurer une dévolution d'usage de cette notion d'habitus (Ph. Perrenoud, 2001), nous la
traduisons par l'expression « réflexe professionnel » qui marque bien le caractère automatique et
pré conscient des schèmes activés en situation.
2. Il paraît important de préciser qu'il ne s'agit pas d'une vision dichotomique du sujet et de la
culture, mais d'une modélisation de l'état entre le culturel et le personnel à un moment de
l'histoire du sujet. Dans cette perspective, le versant sujet peut être appréhendé comme
l'ensemble du culturel professionnel qu'il a déjà intégré au moment de la formation.
3. Macro praxéologie didactique visant à faire construire une nouvelle notion à partir des
représentations déjà installées chez les élèves.
4. Macro praxéologie pédagogique visant à faire s'approprier à la classe les règles de son
fonctionnement interne.
5. Ce type de travail ne peut se faire au cours de l'entretien, mais on peut très bien l'envisager
dans un entretien complémentaire, ou comme exercice de formation dans le cadre d'un mémoire
professionnel.
6. Le lecteur intéressé et non spécialiste de didactique des mathématiques pourra se référer au
chapitre « L'apprentissage et l'enseignement des mathématiques », in Apprentissages et
Didactiques, où en est-on ? Hachette Education, 1994.
7. Cf., L'ouvrage d'ETIENNE R et LEROUGE A : Enseigner en collège ou en Lycée, repères pour un
nouveau métier. Paris, Armand Colin, 1997.

RÉSUMÉS
Cet article présente un dispositif d'analyse de pratiques développé à l'IUFM de Montpellier, dans
l'objectif d'intégrer les aspects théoriques de la formation à la pratique professionnelle observée
sur le terrain. La démarche se fonde sur la notion de praxéologie, autour de laquelle est construit
le protocole expérimental. Ce protocole consiste à dégager de l'observation d'un enseignant en

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situation des séquences fonctionnelles de gestes professionnels, puis à développer sur ces
séquences un repérage théorique extrinsèque multiréférencé.

This article presents a course of action for the analysis of professional practices, which has been
developed at the Montpellier IUFM (teacher training college), with the goal of integrating the
theoretical aspects of teacher training with professional practice as observed in the field. This
approach is grounded upon the notion of praxéology on the basis of which this experimental
protocol is constructed. This protocol consists in drawing out from the observation of teacher «in
situ» functional sequences of professional acts, then, in building upon these sequences a
multireferential and extrinsic theoretical framework.

INDEX
Keywords : analysis of teaching practices, in situ actions, pedagogical advice, praxéology,
teacher training
Mots-clés : action située, analyse de pratiques, conseil pédagogique, formation des maîtres,
praxéologie

AUTEUR
ALAIN LEROUGE
Equipe LIRDEF, IUFM de Montpellier

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