trema-1389
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20-21 | 2003
Innover en formation d'enseignants
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/trema/1389
DOI : 10.4000/trema.1389
ISSN : 2107-0997
Éditeur
Faculté d'Éducation de l'université de Montpellier
Édition imprimée
Date de publication : 1 janvier 2003
Pagination : 55-78
ISSN : 1167-315X
Référence électronique
Alain Lerouge, « Un dispositif innovant de conseil pédagogique : la visite de classe formative », Tréma
[En ligne], 20-21 | 2003, mis en ligne le 06 octobre 2010, consulté le 30 avril 2019. URL : http://
journals.openedition.org/trema/1389 ; DOI : 10.4000/trema.1389
Trema
Un dispositif innovant de conseil pédagogique : la visite de classe formative 1
Introduction
1 Le principe d'axer la formation des enseignants sur l'analyse de leurs pratiques
spontanées conduit à repenser totalement l'articulation entre la demande de formation
qui émerge du terrain et les formations didactiques et pédagogiques dispensées à l'IUFM
(Lerbet-Sereni, F. ; Violet D., 1999). Cela suppose de dépasser les scissions existantes entre
généralistes, didacticiens et conseillers pédagogiques pour développer de véritables
équipes intégrées, acceptant de travailler sur l'action située du stagiaire en formation.
2 L'enjeu est alors de développer la dimension professionnalisante de l'analyse de la
pratique (Altet, 2000), dans le sens d'accompagner le transfert professionnel des contenus
de la formation théorique. Cette perspective suppose que soient développés des
dispositifs intégrateurs des différents volets de la formation répondant à une double
fonctionnalité :
• d'une part, assurer l'émergence des logiques intrinsèques de l'action située ;
• d'autre part, permettre de modéliser ces logiques, en s'appuyant sur les contenus
extrinsèques à l'action apportés par la formation théorique dans ses divers aspects.
3 Dans le cadre général de l'ethnométhodologie (Coulomb, 1993) qui insiste sur l'aspect
émergent de l'organisation de la réalité sociale, et de l'ergonomie cognitive (Theureau,
1992), qui met l'accent sur la nécessité d'étudier des couplages « action situation », nous
empruntons à Y. Chevallard (1997) la notion de praxéologie comme modèle intégrateur de
cette double fonctionnalité.
4 Inscrit dans cette perspective, le dispositif « visite formative » a pour objectif essentiel de
faire en sorte que les enseignants stagiaires intègrent au niveau de leur habitus
professionnel, les contenus épars qu'on leur propose en formation. Tel que nous le
décrivons, il est l'aboutissement d'un cycle d'expérimentations de quatre années scolaires
portant sur deux groupes de formation sur lesquels nous avions toute liberté
d'intervention tant auprès des stagiaires qu'en formation des formateurs. Le principe
conducteur de cette recherche était l'ajustement successif, chaque année donnant lieu à
une nouvelle phase expérimentale optimisant à la fois le dispositif de la visite et le
système général de formation dans lequel il s'intègre. Après cette phase de recherche, les
visites formatives ont été implantées dans diverses filières de l'IUFM, où elles sont
généralement considérées par les formateurs et les stagiaires comme un bon vecteur
d'accompagnement du transfert professionnel.
7 Dans la filière des Professeurs de Lycée Collège, le rapport au terrain est fortement
contraint par le stage en responsabilité organisé en continu dans une même classe
pendant un an. Cette contrainte amène à organiser les visites formatives en lien avec le
démarrage de ce stage, en échelonnant ces visites sur les deux premiers mois de l'année
qui sont cruciaux pour la prise en main de la classe. Pratiquement, nous fonctionnons de
la manière suivante sur un emploi du temps souple déterminé par les disponibilités des
différents participants :
• chaque stagiaire du groupe de formation propose une date pour accueillir dans sa classe
quatre à six de ses collègues, en veillant à ce que son conseiller pédagogique soit disponible
à ce moment là ;
• les autres stagiaires s'inscrivent comme observateurs dans au moins quatre visites en
fonction de leurs disponibilités propres ;
• trois formateurs IUFM se répartissent les visites ainsi arrêtées, et prennent en charge le
suivi personnalisé des stagiaires qu'ils observeront au cours de ces visites.
8 L'intérêt majeur de cette organisation réside dans le fait que sur les premiers mois de
l'année, chaque stagiaire assiste au moins à quatre séances de classe analysées comme
nous allons le présenter, en étant à tour de rôle l'enseignant observé. Ces séances
Tableau 1
9 Dans la filière des Professeurs d'Ecole, le contexte est différent du fait que le rapport au
terrain est organisée sur l'alternance de périodes de cours à l'IUFM avec deux stages en
responsabilité d'un mois, et trois stages de pratique accompagnée de quinze jours.
Pendant les périodes de cours, la formation générale a pour objet de développer des
apports théoriques transversaux en accompagnement des périodes de stage.
10 Cette formation fonctionne sur des groupes d'environ vingt cinq stagiaires, chaque
groupe étant pris en charge par une équipe constituée d'un professeur d'IUFM, d'un
Directeur d'Ecole d'Application et de quatre Maîtres Formateurs. Chaque période de stage
en responsabilité étant assortie de deux visites institutionnelles que nous n'avons pu
modifier du fait de la complexité de leur gestion, nous avons pris le parti d'expérimenter
les visites formatives sur les périodes de cours à l'IUFM, hors du temps de stagiarisation.
11 L'organisation adoptée a été de scinder le groupe de formation en équipes de travail sur
le terrain, chacune de ces équipes réalisant une visite pendant la semaine qui suit la fin
d'une période de stage. Cette organisation permet de travailler dans une classe connue du
stagiaire accueillant, qui peut prévoir la séance observée de manière coordonnée avec le
stage qu'il termine. Au total, chaque stagiaire participe sur l'ensemble de l'année à cinq
visites formatives animées par un membre de l'équipe de formateurs de son groupe de
formation générale. Pour l'une de ces visites, il est l'enseignant observé.
Le tableau suivant synthétise cette organisation (Cf. tableau 2).
Tableau 2
2. Le contrat de formation
12 Si l'on souhaite utiliser la visite de classe comme creuset d'intégration de la formation
dans des dispositifs d'alternance, il faut instituer cette démarche à partir d'un véritable
contrat de formation. Deux aspects nous paraissent essentiels dans l'établissement de ce
contrat : la finalisation réflexive de la démarche, et son positionnement par rapport à la
certification professionnelle.
de pratique par l'écriture réalisé par le stagiaire observé (Cifali M., 1995 et 1996). Nous
proposons la rédaction d'un document en trois parties :
• un relevé de points qui ont pris sens au cours de l'analyse ;
• un projet personnel de formation contractualisé avec les formateurs ;
• et une nouvelle fiche de préparation de la leçon.
17 Cet exercice a essentiellement pour but de mettre en mots les repères professionnels
abordés, et d'étayer le transfert de ces repères à d'autres contextes d'enseignement. Le
texte produit sert de base au parcours personnalisé de formation, mais en aucune
manière il n'est communiqué aux services administratifs qui gèrent la certification, ni
aux formateurs qui en ont la charge.
22 Deux possibilités peuvent être envisagées pour la séance observée : elle peut avoir été
préparée dans le cadre de la formation, ou au contraire être proposée spontanément par
le stagiaire accueillant. Une séance préparée en formation présente l'avantage d'être bien
dévolue aux observateurs, mais la préparation collective biaise la part personnelle de
l'enseignant dans les phénomènes observés. A contrario, une leçon proposée par l'acteur
est mal dévolue aux observateurs, mais permet d'analyser le cours d'action de
l'enseignant en fonction de ses logiques propres. Dans la perspective de donner le primat
à l'analyse de l'action située, nous avons privilégié cette seconde option.
24 La séance prévue par l'acteur (celui qui fait la leçon) est présentée au groupe des
observateurs sur la base d'un tableau réalisé sur le modèle qui suit (Cf. tableau 3).
Tableau 3
Document d'analyse des situations prévues et réalisées.
25 Le bandeau initial et la partie gauche sont renseignés a priori par l'enseignant ; la partie
droite est utilisée par les observateurs en cours d'observation pour rendre compte de la
réalisation.
26 Ce tableau sert à la fois de support à l'entretien préparatoire (partie gauche), à
l'observation (partie droite), puis dans son ensemble à l'analyse qui suit l'observation. Il
est conçu dans la perspective de laisser à l'acteur le maximum de latitude tout en lui
donnant une base de communication avec ses pairs. La seule contrainte qui lui est
imposée est de présenter sa séance en termes de situations successives, une situation
28 Les tâches d'observation sont réparties entre les stagiaires sur la base de trois entrées :
• le fonctionnement du dispositif prévu ;
• le jeu de l'habitus1 professionnel de l'enseignant ;
• l'activité des élèves.
29 Sur ces grands chapitres, chaque stagiaire spécifie ce qu'il envisage d'observer, et dont il
rendra compte au groupe dans l'analyse qui suit la leçon. Parallèlement à l'observation du
fonctionnement du dispositif prévu qui se fait sur la base du document que nous venons
de présenter, le jeu de l'habitus de l'enseignant et l'activité des élèves donnent lieu à des
protocoles d'observation spécifiques
30 L'observation du jeu de l'habitus de l'enseignant s'appuie sur une grille qu'il établit lui
même en prévision de sa propre observation. L'auto-élaboration de cette grille engage sa
réflexion sur les aspects problématiques de son comportement professionnel, et surtout
l'amène à proposer des items d'observation sur lesquels il accepte a priori le jugement
d'autrui. Pour guider la préparation de ce document, nous invitons le stagiaire à
s'inspirer des items proposés par M. Postic dans l'ouvrage, Observation et formation des
enseignants, 1977, p. 244-245, la consigne de ce travail étant de réduire le nombre de ces
items à une dizaine, en les spécifiant sur des comportements professionnels qui
manifestent l'habitus et qui dépassent le cadre local de la séance prévue.
31 Enfin l'observation des élèves est focalisée sur un ou deux élèves par observateur,
désignés par l'enseignant à partir de critères cognitifs ou comportementaux. La tâche
consiste à repérer les comportements d'intérêt et de désintérêt de ces élèves en
proposant des hypothèses à caractère didactique ou pédagogique sur ces comportements.
Ces hypothèses sont étayées par les productions écrites des élèves (cahiers de brouillon,
de cours, d'exercices...) récupérées en fin de séance, et par un court entretien
d'explicitation, réalisé lorsque c'est possible pendant environ un quart d'heure après la
séance.
32 Le conseiller pédagogique et le formateur IUFM n'ont pas de tâche d'observation
préalablement assignée, leur rôle consiste à repérer les noyaux autour desquels ils
engageront l'entretien qui suit l'observation.
33 L'objectif de cet entretien étant d'analyser l'action en situation, il est essentiel d'éviter
toute modélisation prématurée qui aurait pour effet d'inhiber l'explicitation de cette
action. Pour opérationnaliser le primat de l'analyse intrinsèque de l'action sur sa
modélisation extrinsèque, nous proposons un protocole d'entretien en cycles
« explicitation - modélisation », constitués de deux phases donnant lieu à des techniques
d'animation spécifiques :
• une phase d'analyse intrinsèque de l'action visant à expliciter l'organisation en actes de
l'enseignant (l'explicitation) ;
• suivie d'une phase d'analyse extrinsèque de cette organisation visant à développer un
repérage théorique transférable (la modélisation). Ces phases sont clairement scindées dans
le déroulement de l'entretien pour éviter leur inhibition réciproque.
34 Dans les phases d'explicitation, l'animateur s'appuie sur la médiation par les pairs pour
dégager les structures émergeantes du cours d'action de l'enseignant. Il donne d'abord la
parole aux observateurs, ce qui engage en retour la réaction de l'acteur sur une
problématique ouverte par ses pairs, puis il sollicite le jeu de renvois acteur –
observateurs sur les trois axes d'observation que nous avons présentés (dispositif, habitus,
élève). De manière générale, il focalise les échanges sur les logiques de l'acteur en
arrêtant le débat d'explicitation au moment ou il juge qu'une structure didactique ou
pédagogique en acte est suffisamment cernée pour pouvoir être modélisée de manière
extrinsèque.
35 Dans les phases de modélisation, l'animateur demande aux membres du groupe de sortir
du contexte de l'action située pour tirer de l'analyse intrinsèque qui vient d'être menée
des repères professionnels transférables. La consigne est inversée : il ne s'agit plus
d'entrer dans l'intrinsèque de l'action observée, mais de réagir par rapport à des
« théories » personnelles que chacun applique à cette action pour se l'approprier. Cette
seconde phase ouvre l'analyse sur le niveau théorique de la formation, l'enjeu étant de
réaliser l'intégration de la culture professionnelle de chaque membre du groupe à la
pratique observée et explicitée. C'est un moment clé de l'étayage du transfert
professionnel qu'il faut éviter d'inhiber par un enfermement polémique avec l'acteur.
Pour éviter cette dérive, la règle consiste à lui demander de ne pas intervenir pendant les
phases de modélisation, en lui assurant un temps de réaction globale en fin de chacune de
ces phases.
36 Pendant ces phases de modélisation, le rôle de l'animateur est crucial sur les effets de la
formation. S'il reste trop en retrait, les débats du groupe risquent de ne pas sortir du
contexte de la situation observée, et la modélisation nécessaire au transfert a du mal à se
développer. Inversement, s'il intervient de manière trop cadrée, l'activité de modélisation
est inhibée par la normalisation institutionnelle dont il est porteur aux yeux des
stagiaires. Toute la pertinence de l'animation consiste à savoir se positionner dans ce
paradoxe, en développant au sens vygotskien du terme, une zone proximale de formation
40 Généralement, l'entretien dure environ deux heures sur la base de trois ou quatre cycles
portant sur des aspects globaux ou parcellaires de la séance observée :
• il débute par deux ou trois cycles d'analyse locale portant sur des gestes ou des séquences de
gestes significatifs ;
• et il se termine par un cycle d'analyse globale de la séance à la lumière des apports des
différents cycles d'analyse locale.
41 En début d'entretien, l'animateur invite le groupe à ne pas chercher à couvrir de manière
exhaustive l'ensemble de la prestation mais à se focaliser sur des séquences de gestes
significatifs. Par la suite, en fonction des éléments apportés par le groupe, il est de son
ressort de faire les choix de focalisation qu'il juge pertinents, et de lancer les cycles
d'analyse autour de ces focalisations. Globalement sur l'ensemble de l'entretien, il ne doit
pas se placer dans une relation confuse de parité, mais tenir la place qui lui est assignée
pour chaque phase d'un cycle : accompagner l'explicitation de l'action par le jeu de miroir
acteur - observateurs puis étayer en alternance la modélisation de repères professionnels.
42 Enfin, l'animateur a pour tâche d'accompagner le travail d'écriture demandé au stagiaire
et la formation personnalisée qui en découle.
43 Nous ne développerons pas cet aspect qui est incident par rapport à l'animation du
dispositif, mais qui le positionne dans la planification globale de la formation.
Tableau 4
La notion de praxéologie.
Tableau 5
50 À un second niveau, nous prenons comme objet d'analyse de l'action de l'enseignant des
« séquences d'enseignement », c'est-à-dire des ensembles de gestes d'enseignement qui
remplissent pour l'acteur une fonction dominante didactique ou pédagogique particulière
(découverte d'une notion, maintien de l'autorité, etc.). Chronologiquement, une séquence
d'enseignement peut être constituée :
• par une succession de gestes temporellement groupés : « séquence compacte » ;
Tableau 6
Tableau 7
58 Un entretien ultérieur5 avec le stagiaire autour de ce tableau s'avère alors souvent des
plus intéressant.
activité de découverte, mais un problème qui a pour fonction de montrer les insuffisances
des connaissances installées, et d'en permettre la restructuration en acte. C'est une
notion qui est désignée dans la littérature scolaire en termes de « situation problème »,
mais l'expression « mise en acte » nous paraît plus adaptée, en ce sens qu'elle désigne des
activités d'accommodation opératoire qui ne mobilisent pas de manière explicite les
capacités langagières de l'élève.
70 Les concepts étant construits, à la fois au niveau des invariants opératoires et des
signifiants langagiers (Vergnaud, 1991), il reste à optimiser les procédures spontanées des
élèves pour installer des automatismes procéduraux efficients. Nous désignons cette
fonction d'optimisation des automatismes procéduraux par l'expression « mise en
application ». Il s'agit d'une activité tout à fait différente de la mise en acte, en ce sens
qu'elle ne vise pas l'accommodation des schèmes cognitifs, mais leur stabilisation dans
leur application à une classe de problèmes.
71 Le processus piagétien de référence est ici l'assimilation, la clé étant de distinguer les
exercices qui permettent de remplir cette fonction de ceux qui visent l'accommodation
des connaissances dans la phase de mise en acte. Si l'automatisation des schèmes
opératoires est à l'évidence indispensable à la pérennisation des apprentissages, elle
72 La fonction de réinvestissement consiste à faire en sorte que les élèves sache mobiliser un
concept hors du champ de référence qui a permis de le construire. Pratiquement, il s'agit
de leur apprendre à réinvestir un savoir acquis sur des questions qui n'évoquent pas
spontanément ce savoir, ce qui permet de faire aboutir le processus de conceptualisation
en désétayant le concept construit de son contexte de construction.
73 Généralement, cette fonction est mal assumée par les enseignants, qui jouent la
rentabilité à court terme en développant fortement la mise en application (même
contexte) au détriment du réinvestissement (changement de contexte). Il s'agit de les
convaincre de faire travailler leurs élèves sur des « problèmes ouverts », c'est-à-dire des
problèmes dont l'énoncé ne mobilise pas le concept par analogie, mais oblige à l'activité
de transfert.
76 Parallèlement, nous distinguons trois aspects de la fonction de bilan selon qu'il s'agisse :
• d'un bilan au regard des progrès personnel de l'élève (évaluation différentielle) ;
• d'un bilan au regard d'un groupe de référence qui sert de norme relative (évaluation
normative) ;
• ou enfin un bilan au regard d'un niveau de compétence socialement repéré qui sert de
norme absolue (évaluation certificative).
77 Sur l'ensemble, nous insistons sur la nécessité de critérier l'évaluation, et d'optimiser les
tests proposés aux critères sélectionnés. Enfin nous développons une réflexion
docimologique en posant le principe que « la note » est un vecteur de communication
78 Les gestes d'enseignement sont des gestes complexes, rarement monoréférencés, qui sont
le plus souvent produits par une prise de décision qui optimise divers paramètres du
processus d'enseignement. Sur un geste précis les fonctions s'entremêlent, et la
dimension didactique de l'action de l'enseignant est difficilement séparable de sa
dimension pédagogique. Ce constat amène à croiser les six fonctions didactiques que nous
venons de décrire à quatre fonctions pédagogiques respectivement focalisées sur :
• la gestion des relations individuelles ;
• la gestion de la dynamique du groupe classe ;
• la gestion des contraintes institutionnelles ;
• et enfin la gestion des décalages socio-culturels.
79 Les métiers d'éducation travaillent sur l'humanité des acteurs qui les assument, et à
l'école comme partout ailleurs, les phénomènes de transfert sont la trame des relations
interpersonnelles. La relation pédagogique se joue sur fond de résonances multiples entre
l'histoire de l'enseignant et celle de l'élève, cette situation étant particulièrement
sensible chez les jeunes enseignants qui ont généralement du mal à se mettre à distance
de leur expérience d'élève (A. Lerouge, 1998). De manière pragmatique, pour étayer la
gestion de ces phénomènes, nous travaillons le positionnement professionnel en insistant
sur les points suivants :
• ne pas réagir en miroir ;
• nommer les élèves ;
• les respecter si l'on veut se faire respecter ;
• donner un projet de réussite ;
• n'exiger que ce que l'on peut tenir ;
• poser avec l'élève le sens d'une sanction, et donc son caractère nécessairement individuel ;
• rompre toute situation d'enfermement dans une mécanique de surenchère punitive qui se
joue sur fond d'identité personnelle bafouée, en général sans issue pour les deux
protagonistes ;
• et enfin « parler vrai » en toutes circonstances, ce qui ne signifie pas que l'on peut tout dire
dans la classe, mais que si l'on ne veut pas répondre à une question, on le dit clairement
plutôt que de raconter n'importe quoi.
80 Très concrètement, lors de situations de crise en relation duelle, nous invitons les
enseignants à ne pas chercher à régler le problème dans l'arène de la classe, mais à
provoquer un entretien différé avec l'élève, éventuellement médiatisé par un autre élève
ou un autre adulte de l'établissement. Cela conduit à travailler en formation les
entretiens de résolution de crise sous forme de jeux de rôle, dans l'objectif de sortir de la
surenchère punitive pour contractualiser la relation pédagogique. Tout particulièrement,
clarifier le fait que la relation parent - enfant n'est pas du même ordre que celle d'un
enseignant avec ses élèves permet d'installer une relation pédagogique hors de la
répétition stérile des scénarios familiaux.
changer. Il s'agit alors de traiter en formation cette représentation passive des acteurs
dans le système éducatif, en travaillant sur le pouvoir instituant des enseignants au sein
de projets d'établissements qui peuvent véritablement les rendre auteurs de nouvelles
dynamiques institutionnelles (J. Ardoino, 1993).
86 Enfin, ouvrir l'analyse sur la régulation des décalages socioculturels conduit à travailler
l'évolution de l'identité professionnelle de l'enseignant dans la société française, la
question centrale étant celle de la rupture entre la constitution historique de cette
identité, issue des idéaux de la Troisième République, et la réalité actuelle des attentes
sociales de la jeunesse et des familles. Dans la tradition culturelle du rôle de l'école dans
la société, bon nombre d'enseignants, pensent que l'éducation est essentiellement du
ressort des familles, et que leur rôle consiste à enseigner à des élèves a priori déjà
éduqués. Cette conception les conduit à verrouiller la dimension éducative de leur métier,
ce qui provoque parfois des situations de crise tout à fait épuisantes.
87 L'enjeu est ici de travailler sur la nouvelle fonction sociale de l'École dans l'éducation du
citoyen, en repositionnant sa mission éducative au regard de sa mission d'instruction.
Pratiquement, cela oblige à reconsidérer fondamentalement la situation isolée de
l'enseignant dans sa classe, pour ouvrir sur un travail d'équipe éducative, mettant en
œuvre de manière coordonnée la construction dans l'établissement des repères sociaux
fondamentaux.
Conclusion
88 L'ensemble du travail que nous venons de présenter s'inscrit dans la volonté d'intégrer
les entrées théoriques et pratiques de la formation, en développant des dispositifs
d'analyse de pratiques qui permettent d'étayer le transfert professionnel. Cette
perspective assigne ces dispositifs à une double fonctionnalité :
• d'une part ils doivent assurer l'émergence des logiques intrinsèques de l'action située ;
• et d'autre part ils doivent permettre de modéliser ces logiques au regard de la culture
professionnelle extrinsèque à cette action.
89 Cette double fonctionnalité ouvre sur deux champs théoriques de référence : celui de
l'analyse de l'action située, et celui de la modélisation de cette action dans la culture
professionnelle. Cette dualité théorique est parfois considérée comme paradoxale, en ce
sens que l'on oppose de manière radicale les approches intrinsèque et extrinsèque des
phénomènes d'enseignement. Dans une perspective anthropologique, et plus
particulièrement en référence à l'analyse praxéologique avancée par Y. Chevallard (1997),
nous rejetons cette radicalité épistémologique en nous plaçant dans une posture
dialogique (E. Morin, 1990) que nous pensons indispensable à la formation professionnelle
des enseignants.
BIBLIOGRAPHIE
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Recherche et formation, N° 35, 2000, pp. 25-41.
BLANCHARD-LAVILLE Cl. et Coll. : Variations sur une leçon de mathématiques. Paris, Editions
l'Harmattan, 1997.
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renoud Ph. (dir), Former des enseignants professionnels. Quelles stratégies ? Quelles compétences ?
. Bruxelles (Belgique), De Bœck, 1996, pp. 119-135. COULON A. : Ethnométhodologie et éducation.
Paris, PUF, 1993.
LEROUGE A. : « Le conflit adulte enfant en milieu scolaire : éléments sur la formation des
enseignants », in Neuropsychiatrie de l'enfance et de l'adolescence, 46 e année, N° 7-8, 1998, pp.
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THEUREAU J. : Le cours d'action : analyse sémio-logique. Essai d'une anthropologie cognitive située
. Berne (Suisse), Peter Lang, 1992.
VYGOTSKI L.S. : Pensée et Langage. Messidor Editions sociales, 1985 (1re édition en 1934).
NOTES
1. Pour assurer une dévolution d'usage de cette notion d'habitus (Ph. Perrenoud, 2001), nous la
traduisons par l'expression « réflexe professionnel » qui marque bien le caractère automatique et
pré conscient des schèmes activés en situation.
2. Il paraît important de préciser qu'il ne s'agit pas d'une vision dichotomique du sujet et de la
culture, mais d'une modélisation de l'état entre le culturel et le personnel à un moment de
l'histoire du sujet. Dans cette perspective, le versant sujet peut être appréhendé comme
l'ensemble du culturel professionnel qu'il a déjà intégré au moment de la formation.
3. Macro praxéologie didactique visant à faire construire une nouvelle notion à partir des
représentations déjà installées chez les élèves.
4. Macro praxéologie pédagogique visant à faire s'approprier à la classe les règles de son
fonctionnement interne.
5. Ce type de travail ne peut se faire au cours de l'entretien, mais on peut très bien l'envisager
dans un entretien complémentaire, ou comme exercice de formation dans le cadre d'un mémoire
professionnel.
6. Le lecteur intéressé et non spécialiste de didactique des mathématiques pourra se référer au
chapitre « L'apprentissage et l'enseignement des mathématiques », in Apprentissages et
Didactiques, où en est-on ? Hachette Education, 1994.
7. Cf., L'ouvrage d'ETIENNE R et LEROUGE A : Enseigner en collège ou en Lycée, repères pour un
nouveau métier. Paris, Armand Colin, 1997.
RÉSUMÉS
Cet article présente un dispositif d'analyse de pratiques développé à l'IUFM de Montpellier, dans
l'objectif d'intégrer les aspects théoriques de la formation à la pratique professionnelle observée
sur le terrain. La démarche se fonde sur la notion de praxéologie, autour de laquelle est construit
le protocole expérimental. Ce protocole consiste à dégager de l'observation d'un enseignant en
situation des séquences fonctionnelles de gestes professionnels, puis à développer sur ces
séquences un repérage théorique extrinsèque multiréférencé.
This article presents a course of action for the analysis of professional practices, which has been
developed at the Montpellier IUFM (teacher training college), with the goal of integrating the
theoretical aspects of teacher training with professional practice as observed in the field. This
approach is grounded upon the notion of praxéology on the basis of which this experimental
protocol is constructed. This protocol consists in drawing out from the observation of teacher «in
situ» functional sequences of professional acts, then, in building upon these sequences a
multireferential and extrinsic theoretical framework.
INDEX
Keywords : analysis of teaching practices, in situ actions, pedagogical advice, praxéology,
teacher training
Mots-clés : action située, analyse de pratiques, conseil pédagogique, formation des maîtres,
praxéologie
AUTEUR
ALAIN LEROUGE
Equipe LIRDEF, IUFM de Montpellier