Introduction en Bourse
Introduction en Bourse
2005/5 - no 158
pages 225 à 244
ISSN 0338-4551
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FINANCE
PAR PATRICK SENTIS
Introduction en Bourse
Quelles stratégies
pour l’entreprise
candidate1
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P
ouvoirs publics et institutions de marché ne
en Bourse implique de
ménagent pas leurs efforts pour convaincre les
multiples choix pour
l’entreprise candidate.
entreprises et les investisseurs de l’intérêt de la
L’objet de cet article est cotation. Les inquiétudes provoquées par la chute
d’offrir une revue de la récente du nombre d’entreprises cotées sont à l’origine
littérature récente des dernières mesures2. Celles-ci visent à unifier, sim-
contribuant à apporter plifier et assouplir les procédures d’émissions de titres.
des éléments de réponse
Cela suffira-t-il à encourager les entreprises à s’intro-
à ces choix. Une analyse
fine des problématiques
duire en Bourse et à recourir aux marchés financiers ?
de l’introduction et des Les entreprises se trouvent souvent désarmées face aux
intérêts des acteurs perspectives d’une première cotation. Parce qu’elles ne
impliqués permet de cerner maîtrisent pas toutes les facettes de l’opération, elles
avec précision les choix les
plus déterminants pour la
réussite de l’opération 1. Je remercie les commentaires et suggestions des deux relecteurs.
Je reste seul responsable de toutes erreurs ou omissions.
et le devenir de la valeur
2. Ces derniers mois, le système financier français a connu deux pro-
cotée. fondes réformes : la première concerne l’organisation de la cote finan-
cière sous la bannière d’Euronext. L’institution de marché paneuropéen
prévoit le regroupement en 2005 des trois marchés réglementés fran-
çais (premier marché, second marché, nouveau marché) en un seul
marché dont les conditions d’introduction en Bourse seront unifiées. La
deuxième réforme porte sur le régime juridique des valeurs mobilières
émises par les sociétés commerciales afin de donner plus de souplesse
aux sociétés pour l’émission de leurs titres et de simplifier les procé-
dures existantes (ordonnance du 26 juin 2004 « portant réforme des
valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales et extension à
l’outre-mer de dispositions ayant modifié la législation commerciale »).
226 Revue française de gestion
recourent à des intermédiaires coûteux qui rer les pratiques actuelles de l’introduction
les incitent à s’introduire en Bourse alors en Bourse.
qu’elles n’y sont pas prêtes. Quelquefois,
les retombées supposées en termes de pres- I. – LES PROTAGONISTES
tige et de notoriété de l’opération incitent DE L’INTRODUCTION EN BOURSE
les dirigeants à franchir le pas. Pourtant, ET LES PROBLÉMATIQUES LIÉES
l’évolution du titre peut décevoir les inves-
tisseurs et dégrader la réputation de l’entre- L’introduction en Bourse demande l’impli-
prise aux yeux de tous ses partenaires. cation de trois acteurs principaux : l’entre-
D’autres écueils de l’opération existent prise elle-même qui fait la demande d’in-
sans pour autant qu’ils en minimisent les troduction en Bourse ; l’intermédiaire-
bienfaits. Une réflexion adéquate doit per- introducteur par lequel elle doit obligatoi-
mettre à l’entreprise candidate d’en mesu- rement passer pour l’admission de ses titres
rer tous les aspects. L’objet de cet article est à la cotation ; les investisseurs dont la sous-
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d’offrir une revue de la littérature concise cription aux parts de l’entreprise est sollici-
3. Ces motivations ne sont pas exclusives les unes des autres. De plus, d’autres effets induits positifs résultent de
l’introduction en Bourse : accroissement de la liquidité, effet diversification et contrôle du pouvoir discrétionnaire
des dirigeants par le marché, notamment.
4. Une étude récente de Brau et Fawcett (2005) résume les résultats d’une enquête auprès de 336 entreprises intro-
duites en Bourse. La première raison avancée pour l’introduction en Bourse est la possibilité de financer des acqui-
sitions futures par émission de titres neufs.
228 Revue française de gestion
places boursières dans le monde. C’est dire vente rapide) profitables mais déstabilisa-
5. Le livre d’ordres, tenu par l’intermédiaire, répertorie les intentions d’achat par quantité et par prix des investis-
seurs. Il est utilisé pour définir le prix d’offre et pour l’allocation discrétionnaire des titres. À côté de cette procé-
dure, il en existe deux autres : la procédure d’enchères où le prix d’offre est fixé par un jeu d’enchère et la procé-
dure à prix fixe où le prix d’offre est fixé arbitrairement par l’entreprise ou l’intermédiaire. Des procédures
« mixtes » existent. Le marché français est unique au monde en offrant le choix entre ces trois types de procédures
(voir Faugeron-Crouzet (2001) pour un panorama).
6. La théorie des marchés efficients postule que toutes les informations disponibles sont incluses dans les prix des
titres.
7. De nombreuses études parviennent à ce constat sur différents marchés dans le monde. On trouvera un panorama des
études sur ce thème sur le site de Jay Ritter (http://bear.cba.ufl.edu/ritter/publ_papers/Int.pdf) régulièrement mis à jour.
On pourra également se référer à Ritter (2003) pour un résumé des études en la matière sur les marchés européens.
Introduction en Bourse 229
dizaines de pourcents selon les places d’in- Les phénomènes de regroupement d’intro-
troduction, les périodes, les modalités… ductions en Bourse constituent la troisième
Cela signifie que les entreprises acceptent problématique majeure. Ritter (1984)
de se sous-évaluer et donc de lever, en pro- constate que les phases où les rentabilités
portion, moins de fonds. Cela signifie éga- initiales sont élevées s’accompagnent d’un
lement que la commission des intermé- plus grand nombre d’entreprises introduites
diaires-introducteurs, calculée en en Bourse. Cette observation suggère un
pourcentage des fonds levés, s’amenuise en comportement opportuniste de la part des
conséquence. Pourquoi alors consentir un entreprises. Ce comportement est contraire
tel rabais aux investisseurs ? à la philosophie de l’introduction en Bourse,
La deuxième problématique a trait aux per- celle-ci devant être guidée par des nécessi-
formances boursières à long terme des tés propres à l’entreprise (financement de
introductions en Bourse. Plusieurs études l’activité, désendettement, etc.). Comment
concluent à une diminution significative de justifier l’engouement des investisseurs au
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Figure 1
LES PROBLÉMATIQUES DE L’INTRODUCTION EN BOURSE
Entreprise
Anciens actionnaires, dirigeants
Intermédiaire-introducteur Investisseurs
Nouveaux actionnaires
Allocation des actions,
production d’informations,
opportunisme
230 Revue française de gestion
conséquence. Cet arbitrage a notamment des perspectives intéressantes sur les sec-
8. Le flottant correspond au pourcentage des titres détenus par des investisseurs dont l’objectif n’est pas le contrôle
de l’entreprise ni d’obtenir une influence notable sur la gestion de celle-ci.
Introduction en Bourse 231
préfèrent être cotées sur des places finan- tial doit permettre les investissements
cières où les frais de transactions sont nécessaires à l’ouverture des opportunités
faibles car cela abaisse le taux de rende- de croissance (recherche et développement,
ment requis des investisseurs (et donc le acquisition de brevet, etc.). Une fois ces
coût du capital). Les protections offertes opportunités de croissance avérées, une
par les places financières à l’égard des augmentation de capital ultérieure par exer-
investisseurs peuvent être également un cri- cice des bons de souscription pourra procu-
tère de choix. Avec évidence, les critères rer les fonds nécessaires à leur exploitation.
d’introduction et de maintien à la cotation Habituellement, les entreprises lèvent en
apparaissent déterminants dans ce choix. une seule fois l’ensemble des fonds liés à
Plus les critères sont contraignants, plus la l’acquisition des opportunités de croissance
place financière est réputée (sans pour et à leur réalisation. Cependant, cette procé-
autant qu’il y ait un lien de cause à effet). dure expose les investisseurs à une mau-
Les entreprises vont privilégier le marché vaise utilisation du free cash flow si les
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sur lequel elles pourront respecter les cri- opportunités de croissance ne s’avéraient
ordres extrêmes (prix trop élevé ou trop tive du titre nouvellement coté, les intermé-
9. Cette activité consiste à souscrire à l’introduction au prix d’offre (généralement sous-évalué) et à revendre le titre
sur le marché secondaire durant le(s) premier(s) jour(s) de cotation afin d’empocher la plus-value.
Introduction en Bourse 237
Aggarwal (2003) a montré que cette activité de l’opération pour l’entreprise candidate.
restait limitée. Lorsqu’elle existe, elle est le Les nombreux travaux contribuant à définir
fait majoritairement des investisseurs insti- les tenants et aboutissants de ces choix peu-
tutionnels. Un système de pénalités peut vent être d’un grand recours pour améliorer
être instauré pour éviter de telle pratique : le les pratiques actuelles en matière d’intro-
vendeur des actions peut encourir une com- duction en Bourse. La partie suivante tente
mission forfaitaire facturée par l’intermé- de dresser les apports de cette littérature
diaire amputant fortement la plus-value réa- aux pratiques de l’introduction en Bourse.
lisée ; il peut également se voir limiter ou
refuser l’accès aux futures introductions en III. – LES APPORTS POUR LA
Bourse réalisées par cet intermédiaire. PRATIQUE DE L’INTRODUCTION
Politique de gestion de la valeur EN BOURSE
directement dépendre des objectifs des pro- Bourse devra apporter des réponses adap-
10. La période de lock-up correspond à la durée pendant laquelle les actionnaires-dirigeants initiaux s’engagent à
conserver leurs titres.
238 Revue française de gestion
autant céder aux charmes présumés de la bancaire. Une telle dépendance existe pour-
cotation sans réfléchir préalablement à leurs tant à l’égard de tout type de financement :
alternatives. un financement par fonds propres implique
Le marché boursier représente une source une dépendance de l’entreprise à l’égard de
de financement privilégiée en fonds propres nouveaux actionnaires. De plus, en situa-
lorsque l’entreprise souhaite financer son tion de parcours boursier difficile, la dépen-
développement. Dans ce cas, les perspec- dance à l’égard des établissements ban-
tives de croissance (exportations, investis- caires peut s’accroître du fait de la décote
sements, etc.) et de rentabilité justifient du titre empêchant le recours au marché.
pleinement la demande de cotation. Toute- De manière similaire, la recherche de
fois, lorsque le choix existe entre plusieurs notoriété peut s’effectuer plus directement
sources de financement, l’entreprise devra au moyen d’une campagne de communica-
vérifier l’inadéquation de ces autres sources tion sur les produits, les marques ou l’en-
de financement. En période de marché treprise elle-même. Il existe un arbitrage
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haussier (hot market), les coûts du finance- entre les coûts associés à chacune de ces
Figure 2
DÉFINITION DES CHOIX POUR L’INTRODUCTION EN BOURSE
Tableau 1
MOTIVATIONS ET ALTERNATIVES À L’INTRODUCTION EN BOURSE
Les motivations Financement par
de l’opération recours au marché Notoriété Cession des parts
11. Cette dernière contrainte d’ordre informelle n’est pas exigée par la réglementation française pour l’introduction
des entreprises sur ce marché.
240 Revue française de gestion
Tableau 2
LES CATÉGORIES DE MARCHÉ EN FONCTION DES CARACTÉRISTIQUES
DES ENTREPRISES
Caractéristiques de l’entreprise Catégories de marché
Petite Ancienne –
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Jeune –
Tableau 3
LES PRINCIPAUX LEVIERS D’ACTION POUR ATTIRER LES INVESTISSEURS
Fixation du Choix des Procédures Nature
prix d’offre intermédiaires d’introduction de l’émission
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