Une Communauté Économique Des Pays Du Nord: Kay Heckscher

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L'Actualité économique

Une communauté économique des Pays du Nord


Kay Heckscher

Volume 31, numéro 1, avril–juin 1955

URI : https://id.erudit.org/iderudit/1002573ar
DOI : https://doi.org/10.7202/1002573ar

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HEC Montréal

ISSN
0001-771X (imprimé)
1710-3991 (numérique)

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Citer cet article


Heckscher, K. (1955). Une communauté économique des Pays du Nord.
L'Actualité économique, 31(1), 70–90. https://doi.org/10.7202/1002573ar

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Une communauté économique
des Pays du Nord

L'homme est guidé par ses sentiments: la raison lui sert pour
justifier, après coup, la direction qu'il aura imprimée à ses efforts.
L'économie politique, tout «intellectuelle» qu'elle soit, ne fait
pas exception; elle ne sera jamais une «science exacte»;elle restera
toujours la discipline «naturelle» c'est-à-dire descriptive, une
branche de la psychologie. Les peuples nordiques se considèrent
comme des nations-soeurs, ils sont attirés entre eux par les mille
liens d'une origine ethnique et linguistique, d'une culture, d'une
stratification sociale communes. L'unification économique sera
la clef de voûte, le symbole, qui scellera leur solidarité dans le
domaine matériel. Il s'agit maintenant de lajustifier en en démon-
trant les bienfaits.
Norden — les pays du Nord — est devenu le terme courant
de ce que l'on appelle aussi la Scandinavie. Ce sont (par ordre
alphabétique): le Danemark, la Finlande ou Suomi, l'Islande, la
Norvège et la Suède. Négligeant les différences, qui sont consi-
dérables, le monde les regardent — et ils se regardent eux-mêmes
— par prédilection (ou par ignorance)comme une entité, un groupe
qui se distingue nettement des peuples qui les entourent: Slaves,
Teutons, Anglo-Saxons et, à la périphérie, les Latins. Cela est
d'ailleurs largement étayé par l'unité de leur marche à travers
l'histoire, la préhistoire même, bien que leurs sorts n'aient pas
toujours suivi des voies parallèles, et que des dissensions sanglantes
les aient parfois opposés.
70
COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE DES PAYS DU NORD

Leur diversité économique est extrême. Le fondement de la


vie des Islandais est la pêche et les industries afférentes. La Fin-
lande tire le plus clair de sa subsistance de l'exploitation de ses
forêts; depuis la dernière guerre, l'industrialisation y a beaucoup
progressé et notamment l'industrie des métaux. D'autres facteurs
ont contribué à assigner à ces deux pays des places à l'écart des
trois autres: l'éloignement géographique de l'Islande, qui l'oriente
plutôt vers le Royaume-Uni et l'Amérique; les rapports spéciaux
qu'entretient bongrémalgrélaFinlandeaveclaRussiedesSoviets.
Lesdifférences destructure économique des trois payscentraux
du groupe sont tout aussi manifestes, bien que moins flagrantes.
Le Danemark est agricole et industriel; dans ses rapports avec
l'étranger, les produits de ses fermes prédominent. La Norvège
vit de sa pêche et de sa navigation maritime, de ses forêts et de ses
chutes d'eau; comme en Finlande, l'agriculture n'arrive pas à
couvrir les besoins alimentaires de la population, ni du cheptel.
La production suédoise de vivres, enfin, peut normalement assurer
à lanation un standard suffisant; maiscesont sesindustries du bois
et de l'acier, autrement dit sesforêts et sesmines, qui caractérisent
sa vie économique et, notamment, ses exportations.
Il ressort de cet aperçu succinct que l'intégration en un marché
unique des territoires de ces trois États ne créerait aucunement
une autarcie, une économie en vase clos et se suffisant à elle-
même, dédaignant lesapports de l'étranger et dont les exportations
ne serviraient qu'à stocker leurs caves de cet or (et de ces dollars)
si recherchés par tous les mercantilistes anciens et modernes.
Les surplus de l'agriculture danoise ne trouveraient qu'un débou-
ché mineur en Norvège, et pratiquement rien en Suède. Le bois
et ses dérivés exportables de ces deux pays pourraient encore
moins se contenter de se disputer le petit marché danois. Le sol
nordique nerenferme qu'un nombrerestreint dematièrespremières,
celui du Danemark en est pratiquement dépourvu. Et les indus-
tries des trois pays n'embrassent qu'une gamme modeste de pro-
duits, elles ne couvrent que quelques sections des besoins internes,
et doivent pour exister compter sur l'exportation d'une partie
de leur production vers les quatre coins du monde. Loin d'être
complémentaires,lestroiséconomiessont,par-ciconcurrentes,par-là
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L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE

trop peu diversifiées pour pouvoir satisfaire aux exigences mul-


tiples d'une société moderne.
La collaboration économique des pays du Nord aurait donc
des buts limités dans le domaine agricole comme dans celui des
industries primaires baséessur lesmatières premières indigènes. Tel
n'est pas le cas des industries transformatrices, qui sont condition-
nées surtout par l'existence chez;elles d'une main-d'œuvre instruite
et habile. Le Danemark a quatre millions d'habitants, la Norvège
trois, et la Suède sept. Séparément, leurs marchés sont trop res-
treints pour servir de base à des industries rationnelles. Un marché
«nordique» embrassant quelque quatorze millions d'âmes, presque
autant que le Benelux, offrirait par contre une assiette suffisante
pour mainte production par grandes séries et pour des spéciali-
sations.
D'autre part, ce territoire offrant le pouvoir d'achat de quatorze
millions de consommateurs constituerait un appât qui placerait
les importateurs nordiques en posture plus favorable vis-à-vis
des fournisseurs étrangers que quand, comme à présent, les
marchands de chacun d'eux doivent traiter pour leurs marchés
respectifs en ordre dispersé. Le parallélisme, ou même l'unité
des négociations de traités de commerce et autres avec les gouver-
nements étrangers présenteraient également des avantages évidents.
La diminution des prix de revient industriels, résultant de
la rationalisation et de la spécialisation, jointe à celle des mar-
chandises importées, serviraient en dernière analyse l'intérêt des
consommateurs des trois nations, qui pourraient s'approvisionner
à meilleur marché tout en ayant à leur disposition un plus grand
choix d'articles. Car, loin de reculer, les importations, qui sont
fonction du volume des exportations, se gonfleraient en quantité
et en variété. La baisse du coût de la vie aurait ses répercussions
sur les salaires et les autres éléments des frais de production.
L'effet de ces diverses réactions en chaîne serait le renforcement
de la capacité de concurrence des industries des trois pays, chez
eux aussi bien que sur le marché mondial avec, pour les habitants,
comme corollaire un standard de vie et un confort accrus.
La fusion des trois économies nordiques n'est d'aucune façon
dirigée contre les tendances régnant à travers l'Europe, pour la
création d'une communauté économique plus vaste. Comme
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COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE DES PAYS DU NORD

le Benelux, le Nord s'envisage plutôt comme un constituant poten-


tiel d'une union économique européenne à venir, par ces étapes
dont la Communauté du Charbon et de l'Acier est le premier
échelon, le «Plan Vert» peut-être l'échelon suivant. Par contre,
il n'est pas question pour les trois pays de fondre leurs individua-
lités politiques les unes dans les autres: leur orientation, notam-
ment en politique étrangère, a jusqu'ici trop divergé, étant large-
ment déterminée d'ailleurs par la géographie, pour ne pas parler
de leurs caractéristiques en d'autres domaines auxquelles ils
veillent jalousement. Peut-être que le regroupement européen
dont nous sommes les témoins, et en particulier la refonte de
l'Allemagne dans une situation et un moule nouveaux, pourront-
ils àlalongueamener laformation d'un BlocNordique, sous-groupe
de la Communauté Européenne.

*
* *

Si les économies des trois pays nordiques ne sont pas com-


plémentaires et ne se prêtent donc pas, comme nous avons vu,
par leur intégration à créer une autarcie en marge de l'économie
mondiale, on compte cependant qu'il en résultera des avantages
appréciables pour chacun d'eux, qui compenseront plus que les
sacrifices inévitables. Les vœux d'un rapprochement dans ce
domaine datent de plus d'un siècle. Un congrès d'économistes
nordiques eut lieu à Gothembourg, en 1862. L'Union Monétaire
Scandinave fut conclue il y a quatre-vingts ans, et elle fonctionna
à la parfaite satisfaction de tout le monde jusqu'à sa dislocation,
à la suite des événements de 1914-18. Son rétablissement reste
un jalon souhaité dans l'intégration générale, peut-être moins
lointain que d'aucuns ne le pensent, en relation avec la conver-
tibilité des devises européennes et du dollar actuellement à l'ordre
e
du jour. On a fêté, au début de 1955, le 75 anniversaire de la
première législation nordique unifiée dans ce domaine: les lois
sur les lettres de change, promulguées simultanément dans les
trois pays. Mais celles-ci et d'autres initiatives encore, la plupart
privées, ne furent que des phénomènes sporadiques bien que
nombreux, et ce n'est qu'après le cataclysme de 1940, brisant les
rapports normaux du Danemark et de la Norvège avec la Suède,

— 13 • -
L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE

que se réveilla la conscience universelle de la solidarité nordique.


Les champions du mouvement furent, d'abord, les Associations
Norden et, depuis 1953, le Conseil Nordique.
Les Associations Norden sont au nombre de cinq, une dans
chaque pays. Elles sont organisées sur des bases populaires et
décentralisées, ayant de nombreuses filiales à travers les villes et
les campagnes. Leurs activités embrassent en premier lieu le
domaine du sentiment, visant à faire pénétrer dans les âmes l'Idée
Nordique. Mais elles ne négligent rien de ce qui peut rapprocher
les peuples dans le champ pratique aussi et elles ont pris maintes
initiatives de collaboration et d'unification en matières culturelles,
sociales, législatives, économiques, etc.
Le Conseil Nordique est un «corps constitué», une assemblée
de caractère officiel composée de membres des parlements de
quatre pays, la Finlande restant provisoirement absente par suite
de l'attitude méfiante de Moscou vis-à-vis du Conseil. Celui-ci
n'a que des pouvoirs consultatifs. Les «recommandations» qu'il
adressera aux gouvernements doivent, pour acquérir force de lois,
être votées par les institutions constitutionnelles (parlements, etc.)
des pays membres respectifs. Mais il a le droit d'initiative et des
membres des gouvernements assistent à ses séances et participent
aux débats, bien qu'ils soient démunis du droit de vote. Il possède
un secrétariat permanent. Et sa composition même lui confère une
autorité que l'on aurait tort de sous-estimer.
Les activités du Conseil Nordique embrassent toutes sortes
d'affaires communes aux quatre pays — tout en ménageant les
intérêts et en réservant le siège de la Finlande. Les gouvernements
ont constitué de nombreuses commissions inter-nordiques dans
les domaines les plus divers, et il en est de même des organisations
privées: scientifiques, culturelles, professionnelles, etc.,et y compris
celles du patronat et des salariés. Les trois pays centraux ont
constitué entre eux une Commission inter-nordique pour la Colla-
boration Économique, qui est chargée de recherches approfondies
sur les problèmes techniques de l'union économique projetée et
sur les méthodes d'y arriver. Sous ses auspices, des équipes d'ex-
perts, pris aussi bien dans les rangs des entreprises et des organis-
mes que parmi les théoriciens de l'économie et du droit ainsi que
parmi les cadres des administrations publiques, entreprennent des
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COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE DES PAYS DU NORD

enquêtes, établissent des statistiques et rédigent des rapports sur


les répercussions que pourrait vraisemblablement exercer l'Union
sur les diverses branches de la vie économique comme sur les
économies générales des pays.
La fusion immédiate des trois marchés nationaux s'est tôt
révélée une chimère. Guidés par les tribulations du Benelux —
dont les augures ont plus d'une fois prophétisé l'échec fatal! —
les Nordiques se sont résignés à écarter d'avance les pierres d'a-
choppement les plus saillantes, à préparer le terrain parle scrutage
et l'éducation méthodiques de l'opinion publique, et à dégager une
formule d'intégration par étapes qui donnerait les bénéfices les
plus grands, avec le moins de dégâts. À l'analyse, les problèmes
se sont révélés fort diversifiés, non seulement par les différences
structurelles qui existent par exemple entre l'industrie et l'agri-
culture, mais aussi à l'intérieur de chacune de celles-ci et dans
leurs diverses branches et, plus particulièrement, par suite des
différences de climat économique quiont été créées par la politi-
que des trois pays respectifs en matière de tarifs douaniers comme
aussi en matière fiscale et sociale, etc.
Le tableau suivant montre l'incidence des droits d'entrée
sur la valeur des importations dans chacun des trois pays (1947):

Droits d'entrée en% dela valeur Proportiondes


importations
de l'importation des marchandises totales grevées de
totale grevéesde droits droits

Danemark 3.5 7.8 45.2


Norvège. 6.5 15 1 43.1
Suède. .. 6.4 10.5 61.2

Comparés à maints autres pays, les Nordiques sont en principe


libre-échangistes, mais à des degrés divers. La Norvège possède
lesdroits lesplusélevés,suivie d'assez près parla Suède, cependant
que le Danemark aundes plus bas tarifs du monde. L'on remar-
quera queles taux norvégiens sont sensiblement plus hauts que
ceux des deux autres pays puisque leur total est le plus élevé,
tout en provenant du pourcentage le plus réduit du total des
importations. À l'intérieur deceschéma, sedissimulent de grandes
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L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE

divergences, en fonction de la structure et des traditions économi-


ques de chacun. C'est ainsi qu'en Norvège un grand nombre de
produits métalliques, outils, machines, etc. sont sujets à des droits
très bas quand ils ne sont pas entièrement exemptés, cependant
que ces mêmes articles paient des droits relativement élevés au
Danemark et en Suède, lesquels pays possèdent des industries
domestiques à protéger, ce qui n'est pas le cas de la Norvège.
D'autre part, l'agriculture danoise, qui vise l'exportation, attribue
au libre-échange le plus clair de ses succès depuis bientôt un
siècle, cependant que les paysans suédois et norvégiens, qui ne
produisent que pour leurs marchés indigènes respectifs prétendent
que, sans des droits destinés à maintenir les prix intérieurs à des
niveaux élevés, ils devraient fatalement péricliter et une propor-
tion inquiétante des terres tomberait en friche.
Unir les trois pays à l'intérieur d'un cordon douanier commun
et à tarif unique, intermédiaire entre ceux en vigueur réclamerait
donc des concessions significatives de part et d'autre. Les Danois
devraient se voir imposer des droits sur divers articles, non seu-
lement dispensables mais même qui entrent dans leur frais de pro-
duction; ils craignent, d'une part, que leurs industries soient
mises en état d'infériorité vis-à-vis de la concurrence étrangère
et, d'autre part, que la protection douanière qui leur sera offerte
se révèle bientôt comme un oreiller sur lequel ils s'endormiront,
au plus grand dam aussi bien desconsommateurs que des industries
protégées elles-mêmes. Des répercussions similaires seraient à
appréhender pour l'agriculture, ce qui explique l'aversion des
fermiers danois pour un compromis avec les exigences suédoises
et norvégiennes.
L'accord entre les paysannats des trois pays a ainsi pu se
faire assez aisément sur la nécessité d'un régime spécial pour
l'agriculture au sein d'une union économique éventuelle. Non
seulement la Norvège et la Suède doivent-elles pouvoir conserver
leurs droits sur les produits agricoles danois —•fût-ce sous forme
de «HeJîfmgen» à caractère spécial — mais même l'importation
de ces produits sera-t-elle réglée quantitativement en fonction
des saisons et des contingences de l'approvisionnement.
Lesexpériences du Benelux ont montré qu'une union douanière
mènera inéluctablement à l'union économique. Une fois créé
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COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE DES PAYS DU NORD

lemarché unique, toute la politique économique,fiscale,financière,


monétaire et même sociale des partenaires doit être parallélisée
si l'on ne veut pas risquer des tensions et des positions artificielles
à l'intérieur du groupe. Les problèmes déjà compliqués se multi-
plient à vue d'oeil et s'étendent à un très grand secteur de la vie
delanation. Quelques-unsont reculédevant l'immensité apparente
de la tâche et ont proposé que, tout au moins temporairement,
l'on se contente d'un «territoire de libre-échange». Selon la termi-
nologie consacrée, un tel arrangement suppose la libre circulation
à l'intérieur du groupe des marchandises produites par chacun
des membres. À l'examen, cette proposition n'a pas été retenue,
par suite notamment de la difficulté de définir des critériums sûrs
et aisément contrôlables pour la détermination d'origine, et devant
les monceaux de paperasseries et autres formalités qui en seraient
la conséquence.
Plus pertinent encore fut l'argument qu'un tel accord n'aurait
qu'une portée fort limitée puisque aussi bien les économies des
trois pays ne sont que faiblement complémentaires et que la plus
grande partie de leur commerce extérieur ne serait donc pas tou-
chée. Les experts, de même que l'opinion publique, dans leur
grande majorité, se sont donc arrêtés à l'union douanière comme
but immédiat, avec à plus longue échéance, l'union économique
intégrale. L'on prévoit cependant que l'une et l'autre seraient à
établir par étapes parallèles, avec un certain chevauchement par
suite de l'interdépendance des deux systèmes, selon les possibilités
des moments et les exigences des circonstances.

*
* *

Comme au Benelux, c'est dans l'agriculture que l'on rencontre


les obstacles les plus graves à une intégration complète, même si
les cultivateurs sont généralement bien disposés envers l'uni-
fication dans d'autres domaines que le leur. Les conditions du
sol et du climat varient infiniment d'un pays à l'autre et même
à l'intérieur de chacun d'eux. Seul le Danemark présente une
homogénéité relative à travers tout son territoire. Si son sol n'est
pas partout très fertile, le labour millénaire de l'homme lui a
permis d'en tirer un maximum de productivité. La proximité des
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L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE

grands débouchés anglais et allemand, d'autre part la concurrence


des prairies d'outre-mer, ont poussé à la spécialisation dans l'éle-
vage bovin et porcin et de la volaille, au détriment de la culture
des céréales. Le Danemark doit importer des quantités massives
de blé panifiable et de fourrages divers; seule la betterave sucrière
et quelques spécialités — semences sélectionnées, plants de pom-
mes de terre — fournissent des excédents exportables, d'ailleurs
en quantités très fluctuantes d'une année à l'autre.
Les produits du règne animal de l'agriculture danoise jouissent
d'une réputation de haute qualité. La production est rationalisée
à l'extrême et basée sur les données scientifiques les plusmodernes,
en conséquence de la dure nécessité de lutter contre la concurrence
de pays mieux doués par la nature. Rejetant délibérément la poh-
tique protectionniste qui, à ses yeux, mènerait directement au
renchérissement de la production, le paysan danois s'est fait le
champion des principes libre-échangistes aussi bien pour lui-même
que pour lesproduits auxiliaires àson exploitation. (Cette attitude
est cependant purement pragmatique, l'agriculture danoise ne
refusant nullement une protection dans certains cas où elle peut
lui paraître utile: sucre, lin, primeurs, etc.). C'est là la principale
source de discorde entre la gauche-libérale, parti paysan par excel-
lence,et lesconservateurs qui représentent l'industrie; ces derniers
verraient volontiers des droits (modérément) protecteurs sur des
produits tels que les engrais chimiques, lesmachines agricoles, etc.
Les parties méridionales de la Suède, notamment la Scanie,
présentent des conditions naturelles analogues à celles du Dane-
mark. Les grandes plaines alluviales du Centre produisent égale-
ment des céréales en abondance et seules les vastes étendues du
Norrland sont désavantagées. Bonan,malan, l'agriculture suédoise
nourrit l'habitant etellepeutmêmenormalement exporter quelques
produits laitiers. Mais si les conditions d'exploitation en Scanie
peuvent parfaitement se comparer avec celles du voisin danois,
le climat progressivement plus rigoureux au fur et à mesure que
l'on monte vers le nord fait passer les prix du blé et des autres
produits du sol, bien au-dessus de ceux auxquels on pourrait les
importer. Quand laSuèdeveut préserver laculture deseschamps,
quand pour des raisons nationales et sociales, ou stratégiques, elle
désire maintenir une classe paysanne robuste et indépendante,
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COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE DES PAYS DU NORD

elle doit forcément avoir une «politique du blé» qui permette de


rémunérer convenablement le labeur sur des terres qui, autrement,
seraient déficitaires.
Si la Suède pouvait cependant sans grand risque ouvrir ses
frontières au blé danois, puisque aussi bien le Danemark n'en
cultive pas pour l'exportation, il n'en serait pas de même pour les
autres produits agricoles, dont les prix de revient sont largement
fonction de celui du blé. Une fusion des marchés suédois et danois
contraindrait la Suède à reviser toute sa politique agraire, ce qui
n'est pas possible, au moins dans les conjonctures actuelles. Les
tractations au sein du Benelux peuvent peut-être fournir un
guide, avec toutefois cette réserve que les divergences entre
l'agriculture belge et néerlandaise peuvent encore paraître sur-
montables, seul le Luxembourg ayant des problèmes analogues
à ceux de la Suède et, comme nous allons voir, de la Norvège.
Car en Norvège, les conditions se rapprochent de celles de
la Suède septentrionale. Seules quelques régions favorisées du
Midi jouissent de conditions naturelles qui permettent une agri-
culture rationelle. Dans lereste du pays, le sol et leclimat rendent
l'exploitation plus onéreuse, aggravée encore par le morcellement
extrême des terres labourables, dispersées parmi les rochers, et
l'étendue minime des fermes et des parcelles. Il n'y a que le foin
qui se récolte en quelque abondance. La Norvège doit importer
la presque totalité de son blé et de son seigle panifiables et de
bonnesquantités defourrages, aussibienquelesoutils,lesmachines
agricoles et les engrais chimiques. Seuls les azotés sont produits
au pays, et ils sont même l'objet d'une fructueuse exportation.
D'autre part, la Norvège est arrivée à se suffire en produits des
animaux: viande, beurre, fromage, etc., bien qu'à des prix supé-
rieurs à ceux du marché mondial.
Pour les mêmes raisons que la Suède, mais à un degré encore
plus élevé, la Norvège a ainsi été amenée à s'entourer d'une cein-
ture de protectionnisme agricole, qu'elle n'est pas disposée àrelâ-
cher en faveur du paysan danois. Ce que celui-ci aurait à lui offrir
ne serait d'ailleurs que les produits de son élevage, ceux justement
dont nous avons dit que la Norvège n'aurait pas besoin. Le sucre
danois y a cependant trouvé un débouché, la betterave sucrière
ne se cultivant pas en Norvège, pour des raisons climatériques.
— 79 —
L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE

Comme en Suède, l'adaptation du tarif douanier norvégien à celui


du Danemark et l'admission des produits agricoles danois sur le
marché norvégien ne se révèlent donc pas possibles.
L'horticulture, dans laquelle il convient de comprendre la
culture des légumes au champ ainsi que les vergers, a elle aussi
ses problèmes. Dans les trois pays, la production des fruits et
des légumes est protégée par des droits de douane et par des
restrictions quantitatives des importations pouvant aller jusqu'à
l'interdiction saisonnière. Les conditions d'exploitation de l'hor-
ticulture présentent d'ailleurs des analogies plutôt avec l'industrie
que l'agriculture. Le cycle de production y est en maints cas moins
long que dans celle-ci et plus adaptable aux variations conjonc-
turelles des marchés. Malgré certaines résistances, il y a lieu de
penser que des solutions pourront être trouvées qui, tout en
conservant des mesures protectrices pour certains produits com-
muns aux trois pays permettent la libre circulation du reste, c'est-
à-dire d'une part, les fruits et légumes particuliers à chacun d'eux
et, d'autre part, ceux-là importés de pays tiers.
La pêche maritime est pratiquée par les trois nations, la Norvège
exportant notamment de fortes quantités de morue et de harengs
salés, le Danemark du poisson frais. Mais le commerce inter-
nordique des produits de la pêche est insignifiant. Il se pose entre
eux des problèmes pour la pêche côtière, dont la plus grande
partie devrait cependant pouvoir être résolue par des négociations
bilatérales et sans rapport direct avec l'union économique.

*
* *

Certaines industries caractéristiques pour l'un ou l'autre


pays doivent leur essor, sinon leur existence, à la présence soit
des matières premières, soit de l'énergie hydraulique. C'est ainsi
que, depuis le moyen âge déjà, la Suède fut le siège d'une floris-
sante sidérurgie basée sur ses gisements à haute teneur de fer.
De même, ses inépuisables forêts ont donné naissance aux indus-
tries du bois, de la pâte de bois et du papier, avec leurs dérivés.
Elle est suivie de près par la Norvège. Ici aussi, les richesses du
sous-sol, bien que moindres que chez la voisine, sont actuellement
exploitées activement, cependant que l'énergie électrique à bon
— 80 -
COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE DES PAYS DU NORD

marché et disponible en quantités massives a suscité une puissante


industrie de l'azote (engrais chimiques), du carbure de calcium —
mentionnons aussi «l'eau lourde», utilisée dans la technique nu-
cléaire — de la sidérurgie et de la métallurgie électrolytiques,
produisant notamment l'aluminium et les aciers spéciaux.
Les Norvégiens ont prétendu considérer ces industries-là
comme leur apanage particulier, une espèce de monopole naturel,
et ils ont mal accueilli des initiatives suédoises visant à la fabrica-
tion de certains alliages de fer et de l'azote, commandée par des
raisons de défense nationale, mais où la Norvège voyait menacé
le plus clair de ses exportations traditionnelles vers la Suède. Les
Suédoisdisent toutefois que leur marché del'engrais azotése trouve
actuellement en plein développement et qu'il y aura place pour
les uns et lesautres; ils ne comptent donc pas se désister.
L'énergie électrique elle-même est l'objet de transactions
importantes entre les trois pays. En raison de crue, la Suède en
exporte vers le Danemark, dont les usines thermiques la lui res-
tituent quand les cours d'eau suédois sont gelés ou à sec. Mais
c'est surtout la Norvège qui pourra en fournir aux deux autres,
possédant encore d'énormes réserves hydrauliques inexploitées.
L'on envisage l'installation d'un câble sous-marin, alternativement
une ligne de haute tension via la Suède, pour l'exportation du
courant norvégien vers leDanemark. D'autre part, la Suède désire
s'y approvisionner pour ses chemins de fer et pour ses industries
du Centre et du Nord. Ces projets vont exiger l'apport de capi-
taux fort élevés pour l'aménagement des chutes d'eau, la cons-
truction de barrages et d'usines, l'établissement des stations
transformatrices, etc. en Norvège; ce sera la Suède qui les lui
fournira.
L'azote, l'aluminium, l'acier, le bois et l'électricité sont des
paradigmes d'industries basées sur les richesses naturelles des
pays. Les avantages qu'elles peuvent escompter d'une union
économique nordique compensent, et de loin, les désavantages
éventuels. Il en est de même pour d'autres branches qui, comme
elles, travaillent autant sinon plus pour l'exportation que pour la
consommation indigène. L'union économique leur offrira des
bases élargies sur lesquelles elles asseoiront une production en
séries plus grandes. Avec la rationalisation technique vont de
_ g] _
6A
L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE

pair la spécialisation, la division du travail parmi les entreprises


et les pays, et l'organisation commerciale de la distribution des
produits. La capacité compétitive des industries et des pays con-
cernés en général s'élèvera d'autant, à condition que la politique
douanière y soit adaptée, c'est-à-dire qu'elle en tienne compte
pour diminuer des droits d'entrée tenus jusque-là pour équitable-
ment protecteurs d'industries moins puissantes. Toutefois, ce
ne sera pas le cas partout et toujours. Nous avons vu que par
exemple les machines-outils sont exonérées ou faiblement imposées
en Norvège qui n'en fabrique pas, cependant que la Suède et le
Danemark protègent leurs fabricants lesquels sont arrivés à satis-
faire une partie des besoins du marché intérieur et même à lancer
quelques spécialités sur le marché mondial. Si, comme il est à
prévoir, le tarif de douane de l'Union s'établira comme une moyen-
ne des tarifs actuels des trois pays, les Norvégiens devront payer
plus cher les machines-outils qu'ils importeront de l'étranger,
donc subir un renchérissement de leur production. Et il n'est
pas certain que l'exonération des droits pour lesmachines importées
du Danemark ou de la Suède suffira pour compenser pareil pré-
judice.
Plusieurs entreprises industrielles possèdent un monopole
de fait. Les frais de transport et d'emballage, la fragilité des pro-
duits, etc. peuvent les protéger tout aussi efficacement que les
droits douaniers contre la concurrence étrangère et même indi-
gène. C'est souvent le cas de la poterie et la briqueterie, de la
fabrication des meubles, de certains éléments du bâtiment, etc.,
pour ne pas parler des métiers domestiques et artisanaux travail-
lant pour des goûts ou selon des traditions localisées. L'évolution
de notre époque, la standardisation des objets et des modes, le
développement des transports, ont cependant entamé celles-là
de toutes parts, elles s'effritent, et sont en voie de disparaître
devant les modèles scientifiquement élaborés, dépersonnalisés, et
diffusés par le truchement du commerce privé et des coopératives.
La concurrence que les industries nationales infligent ainsi aux
entreprises locales serait encore intensifiée par l'admission en
franchise des produits des autres pays nordiques. La résistance
des intéressés est compréhensible, en tout comparable à celle des
industries jouissant de monopoles nationaux de fait, à l'abri de

— 82 —
COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE DES PAYS DU NORD

barrières douanières et qui ne se voient pas volontiers forcées à


partager leur clientèle avec les voisines, toutes «nations-soeurs»
qu'elles soient, en échange d'une perspective douteuse de réci-
procité.
Lesintérêts individuels, quelque éminement respectables qu'ils
puissent être, et l'intérêt national, qui se confond pour une bonne
part avec celui des consommateurs, peuvent ainsi entrer en conflit.
Il est souvent difficile de juger du bien-fondé des arguments d'un
exploitant — et du personnel qui fait cause avec lui — qui se
voit menacé dans son gagne-pain. Il faut cependant se garder
d'infliger inutilement des préjudices, des souffrances, et d'autre
part l'État n'a pas à protéger la routine et l'incapacité. Si les
circonstances peuvent être pour beaucoup dans l'alternance des
succès et des échecs, le facteur humain reste dominant: l'esprit
commerçant et la formation technique de l'entrepreneur et de ses
collaborateurs. Souvent l'on a vu de petites entreprises locales
prendre de l'envergure, de plus grandes péricliter, au milieu de
conjonctures identiques. Ici, ce n'est plus aux économistes d'ali-
gner des chiffres, mais bien aux politiciens d'arbitrer le conflit
entre l'intérêt particulier et l'intérêt supérieur de la nation.
L'opposition à l'union économique possède cependant aussi
des arguments précis, étayés par des faits mesurables. En fonction
des droits douaniers et des politiques économiques des trois pays,
les niveaux généraux des prix se sont établis assez divergeants
les uns des autres. C'est le cas non seulement des vivres, mais
tout particulièrement des salaires — plus élevés en Suède, plus
bas en Norvège —- ainsi que pour bien d'autres éléments des
frais de la production. Les lois fiscales ne sont d'aucune façon
comparables, notamment en matière de taxation ou d'exemption
des amortissements et des réserves de renouvellement et d'auto-
investissement. Les taux de l'escompte et du crédit à court et à
long terme sont fonction de l'offre de fonds, plus abondants en
Suède, plus rares en Norvège. Les taxes sur les revenus et sur les
fortunes des personnes physiques et morales, si elles diffèrent
d'un pays à l'autre, n'entrent peut-être pas directement en con-
sidération pour lesfrais deproduction;indirectement, elles peuvent
influencer l'orientation du flux des capitaux en quête d'emploi,
— 83 —
L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE

soit des investissements et du choix de localisation de nouvelles


industries.
*
* *

La Commission Inter-Nordique s'est trouvée devant une tâche


compliquée. Si, à longue échéance, l'intérêt supérieur des trois
nations recommande l'union douanière, en premier lieu pour des
raisons économiques mais aussi comme une composante parmi
plusieurs — politiques et autres — qui ensemble constitueront
la Communauté Nordique, l'on ne pourrait pas pour cela rester
indifférent aux sorts de multiples citoyens qui seraient indubita-
blement lésés par des réahsations brusquées. La sagesse humaine
s'est donc arrêtée à l'intégration par étapes. L'on envisage de
débuter par l'abolition des droits sur certaines catégories de
produits, celles-là où les intéressés eux-mêmes se sont d'avance
déclarés d'accord, et on laissera temporairement de côté les bran-
ches où l'on trouve lesadversaires ou dont l'adaptation présente-
rait des problèmes compliqués, en attendant d'avoir acquis quelque
expérience.
Mais voici que les gouvernements nordiques se trouvent
avoir les mainsfiéesd'avance par leurs obligations internationales.
La plupart de leurs traités de commerce avec des pays tiers con-
tiennent la clause «de la nation la plus favorisée», c'est-à-dire
que toute concession qu'ils accorderaient à un pays quelconque
— in casu, l'exemption de droits pour les produits des deux autres
pays nordiques — profiterait automatiquement aux parties des-
dits traités. Des tentatives antérieures d'accords plurilatéraux
ont échoué précisément à cause de l'existence de cette clause,
notamment la Convention d'Oslo de 1930. Les conventions inter-
nationales de l'après-guerre ont battu en brèche la rigidité de
telles interprétations. C'est ainsi que pourront être exemptés
de l'application de la clause en question les accords d'union doua-
nière ou de territoires de libre-échange, conclus entre deux ou
plusieurs États. Un critérium a toutefois été fixé de la sincérité
de pareils arrangements, à savoir que pour être reconnus comme
tels ils doivent porter sur au moins soixante-dix pour cent des
échanges entre les partenaires. Une union douanière qui n'em-
brasserait qu'un nombre limité de produits ne serait donc pas
— 84 —
COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE DES PAYS DU NORD

reconnue par les autres signataires de conventions plus ou moins


universelles tels que le G.A.T.T., lesquels se prévaudraient alors
de la clause de la nation la plus favorisée.
La Commission devra conséquemment désigner un nombre
suffisant de branches industrielles, et à l'exclusion de l'agriculture,
dont l'ensemble des échanges avec les autres pays nordiques serait
susceptible d'atteindre le pourcentage stipulé. Le tableau suivant
montre les résultats (provisoires) des recherches de la Commission
menées par des enquêtes parmi les intéressés, aussi bien que par
des investigations individuelles, avec les indices des tendances
prépondérantes dans chaque branche et dans chaque pays. Une
attitude favorable envers l'Union est indiquée par un F, défavo-
rable par D. Un X, à la dernière colonne, désigne les branches
que la Commission a recommandées aux trois gouvernements pour
un examen plus approfondi. Celles-ci semblent en effet suscep-
tibles de recueillir le plus d'avantages et le moins d'inconvénients
de l'unification de leurs marchés. Les autres branches ne sont tou-
tefois pas pour cela écartées, leur tour viendra par la suite.

branches Danemark Norvège Suède indice

conserves de légumes et de fruits F D F


conservesdepoissons D F D
meubles F F F X
industrie chimique lourde F F F X
industrie des plastiques F F F
couleurs, vernis, lacques F F F X
porcelaines, etc F D F X
verre D D F
ciment et béton F D F
tuiles et briques F F F
caoutchouc F D F
cuir et chaussures F D F X
textiles F D F X
confection F D F
métaux autres que lefer D F F
fer et acier F F F
alliages du fer F F D
produits du fer D D F
machines F D F X
radio et électronique F F F X
électrotechniques autres F D F

favorables 17 10 19
défavorables 4 11 2
L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE

Les attitudes respectives des industries des trois pays reflètent


assez; fidèlement le degré d'industrialisation de chacun d'eux.
La Suède possède un ensemble d'industries florissantes, qui n'ont
pas souffert mais au contraire ont pu profiter des circonstances
spéciales créées par deux grandes guerres. Elle n'a rien à craindre
maistout àespérer d'un élargissement desonmarché. La Norvège,
par contre, s'est àpeine relevée desruines laissées par l'occupation,
qui l'avait isolée du reste du monde, uséjusqu'à la trame l'outillage
existant, et désorganisé sesfinancespubliques et privées. Le règne
socialiste que cepays s'est donné depuis lalibération a encoreparsa
politique dogmatique retardé laconsolidationet la rationalisationde
sesindustries renaissantes.Celles-ci demandent en conséquence des
mesures protectrices contre les techniques plus perfectionnées
des pays voisins, ou tout au moins une «trêve éducatrice» pendant
laquelle une politique financière et fiscale libérale et prévoyante
devra leur permettre de rattraper le retard. Il est symptomatique
que, parmi les quelques branches norvégiennes qui envisagent
favorablement l'union douanière, figurent les industries exporta-
trices caractérisées telles les conserves de poissons, l'azote, l'alu-
minium basées, nous l'avons dit, sur les richesses naturelles du
pays. Le Danemark se trouve, comme on pouvait s'y attendre,
au stade intermédiaire, avec prépondérance favorable, comme
il sied à une nation de vieilles traditions commerçantes.
L'union douanière vise principalement à la fusion des terri-
toires par l'abolition des barrières douanières à l'intérieur d'un
cordon douanier commun. L'union économique présuppose en
outre la coordination des politiques économiques et financières
dans le sens le plus large. Cet aperçu ne serait pas complet sans
une mention brève des services ancillaires, si l'on peut dire: le
commerce, les transports, et la finance. Ceux-ci n'ont pas attendu
l'union formelle pour traverser les frontières. Le commerce est
intrinsèquement international et libre-échangiste. Les transactions
commercialesnordiquesrestent,deparleursstructures économiques
respectives, en dedans des limites modestes, bien qu'il y ait encore
moyen de les développer. Le tableau suivant montre la part qu'a
le commerce inter-nordique dans le volume total de leurs échanges
internationaux (1951):
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COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE DES PAYS DU NORD

Danemark Norvège Suède

importations 15.0 p.c. 17.9 p.c. 10.6 p.c.


exportations 13.5 " 15.3 " 17.1 "
ensemble. .. 14.3 " 16.8 " 14.0 "

Les sociétés d'assurances et notamment de réassurances ne


connaissent pratiquement pas de frontières inter-nordiques. De
nombreux organismes bancaires et industriels se sont intéressés
financièrement aux trois pays. L'union économique va signifier
pour eux un champ d'activité accru, par les facilités qu'elle leur
offrira. Cela s'applique tout particulièrement aux sociétés d'ar-
mement et de construction de navires.
D'autre part, la S.A.S. bien connue — Scandinavian Airlines
System — constitue déjà la première société anonyme vraiment
internationale, avec participation financière des trois pays et
employant un personnel pris au prorata dans chacun d'eux. Leur
collaboration se manifeste également dans le tourisme: les passe-
ports ont été abolis dans le trafic inter-nordique et il en sera pro-
chainement de même pour les carnets de passage des automobiles.
Vis-à-vis des étrangers aussi, les trois pays, et la Finlande, vont
bientôt constituer un territoire uni pour la circulation des per-
sonnes et des autos. Des expositions de produits industriels et
d'objets d'art sont organisées en commun dans de nombreux pays.
Enfin, les trois pays, avec la Finlande, constituent d'ores et déjà
un marché du travail unifié où chaque citoyen de l'un d'eux peut
prendre de l'emploi où il veut et entrera alors de plein pied dans
les organismes de sécurité sociale de l'endroit tels que caisses
de chômage, assurances contre les accidents, secours et hospita-
lisation, pensions de vieillesse, etc.

L'union économique des Pays du Nord n'est encore qu'au


stade de projet. Mais les investigations ont déjà été poussées
loin, l'opinion publique est favorablement disposée, et des réali-
sations ont eu lieu en maints domaines connexes. Des courants se
croisent et se heurtent. Les uns voudraient explorer d'abord tous
87 —
L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE

les problèmes à fond, se garder d'avance contre toute surprise,


toute peinemêmelégère,pour neprocéder àlaconclusion d'accords
formels réalisateurs que quand tout serait prêt jusqu'au dernier
bouton de guêtre. D'autres s'impatientent et veulent aller fran-
chement de l'avant; ilsdisent que sil'on devait attendre que toutes
conditions fussent globalement réunies, on attendrait indéfiniment.
Les uns et les autres invoquent à l'appui de leur thèse l'exemple
du Benelux qui, comme on sait, fut lancé d'abord sur le papier,
etensuiteappelé àlavieaprèsunepériodedepréparation sommaire.
Les difficultés, les vicissitudes mêmes qui sont apparues par la
suite effraient les uns, qui voudraient en épargner leur pays,
cependant que les autres trouvent encouragement précisément
dans cette hardiesse et cette bonne volonté, qui ont permis de
remédier après-coup aux défaillances, d'ailleurs inévitables quoi
qu'on fasse. En voulant trop prévoir, l'on paralyse les forces agis-
santes, la perfection n'étant pas de cemonde.
La voie moyenne, qui correspond le mieux à la mentalité et
au tempérament nordiques, semble recueillir la majorité des voix:
la réalisation graduelle et progressive. Certaines branches pour-
raient être intégrées tout de suite, c'est-à-dire les droits d'entrée
et les restrictions d'autre nature à la libre circulation des produits
nationaux; d'autres neviendraient qu'à lafind'une période d'adap-
tation, pouvant aller jusqu'à dix ans, selon le cas, de rationali-
sation des entreprises (notamment en Norvège) par l'apport de
techniques nouvelles et de capitaux nouveaux, et aussi par le vote
de législations appropriées.
Si la Suède et le Danemark étaient seuls impliqués, l'union
pourrait vraisemblablement se faire à bref délai. La gestation se
révèle plus pénible par l'attitude de la Norvège, qui craint l'inon-
dation de son marché et l'engloutissement de ses industries censées
faibles, par celles des deux autres réputées plus modernes et plus
fortes. Des voix se sont élevées pour que le Danemark et la Suède
passent outre et établissent d'emblée l'union entre eux deux.
Elles prétendent que la Norvège devra fatalement venir s'y ad-
joindre ultérieurement et, selon eux, plus rapidement. La méthode
paraît un peu cavalière aux yeux de beaucoup, qui espèrent encore
pouvoir amener l'opinion en Norvège à consentir les sacrifices
immédiats quoique parfois douloureux, et à courir les risques
_88—
COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE DES PAYS DU NORD

nécessaires, en échange d'avantages plus grands même s'ils sont


à plus longue échéance.
Un argument spécieux de la Norvège fut que le déplacement
d'une partie de ses importations et exportations fausserait l'équi-
libre de sa balance des paiements, déjà précaire. Le mécanisme de
l'Union Européenne des Paiements, et les perspectives d'une
convertibilité générale des principales devises européennes et du
dollar ont réduit à néant cette objection de théoriciens imbus de
dirigisme économique et qui ne verraient pas volontiers diminuer
leur emprise sur l'orientation du commerce. Mais, ou l'on ouvre
les frontières et donne libre jeu aux lois de la concurrence, ou l'on
organise sa vie économique selon les théories que l'on peut avoir
et alors tout devra s'y conformer. Une union économique où l'une
des partiesprétend ordonner lefluxdesmarchandises,quantitative-
ment et qualitativement, aussi bien que celui des capitaux selon un
schémaparticulier serait un non-sens. Fût-ce à son corps défendant,
la Norvège devra bien finir par imiter ses deux voisins et revenir
aux méthodes de l'économie classique libérale qui ont encore une
fois fait leurs preuves. La liberté des échangesfigure enbonneplace,
la liberté de circulation des hommes, des biens et des capitaux.
La Commission Économique Inter-Nordique travaille main-
tenant d'arrache-pied pour pouvoir soumettre son rapport défini-
tif au Conseil Nordique, à la session prochaine de celui-ci qui aura
lieu à Copenhague, au début de 1956. Il est à prévoir que les
principaux problèmes auront alors été suffisamment élucidés pour
permettre au Conseil de «recommander» aux trois gouvernements
un projet-embryon d'union douanière. Ce sera alors aux adminis-
trations à en élaborer le détail, chacun de son côté, tout en se
tenant en contact permanent par des consultations mutuelles par
écrit et dans des réunions aux divers niveaux. Après quoi, les
parlements nordiques auront le dernier mot.
L'idée de constituer une union limitée aux seuls Danemark
et Suède paraît maintenant abandonnée. En effet, l'adhésion ulté-
rieure de la Norvège pourrait être rendue difficile quand ce pays
se trouverait devant un traité où il n'aurait eu aucune part dans
la détermination des principes et dans la rédaction des textes.
De plus, ce serait mal connaître l'âme norvégienne, qui prover-
bialement secabre devant lefait accompli. D'autre part, ladécision
— 89 —
L'ACTUALITÉ ÉCONOMIQUE

de temporiser peut avoir été provoquée par un sentiment d'opti-


misme naissant, l'indice d'une perspective de revirement en Nor-
vège parmi le public aussi bien que chez; les industriels eux-mêmes,
vers une attitude plus positive. Lors de la dernière session du
Conseil Nordique, les délégués norvégiens du salariat recom-
mandèrent en effet la poursuite des travaux. Seuls les délégués
patronaux furent encore hésitants. En dernière analyse, c'est
question de cadence.
À cette même session du Conseil, en février 1955, à Stockholm,
le ministre du commerce suédois, M . John Ericsson, déclara:
«La collaboration dans le domaine économique doit viser à pro-
mouvoir le progrès dans tous les trois pays. Le développement
accéléré de la technique industrielle exigera des apports accrus
de capitaux si nous voulons garder notre rang dans la concurrence
internationale. Il nous faut organiser la distribution adéquate
du travail pour augmenter la production et l'expansion. C'est
l'intérêt de chaque pays de ne prendre que des mesures qui les
favorisent tous, à l'exclusion de celles qui pourraient créer des
difficultés aux partenaires.»
Le délégué danois, M . Einar Foss, disait: «Les inégalités qui
indubitablement existent danslacapacitédeconcurrence de nos pays
ne sont pas essentiellement différentes de celles que nous trouvons
au sein de chacun d'eux. Les appréhensions de la Norvège ne
devraient pas l'induire à se tenir à l'écart, la limitation de l'union
aux seuls Danemark et Suède serait regrettable.» Et le délégué
norvégien, M . Finn Moe, mettait en garde contre la précipita-
tion: «D'abord, disait-il, nous devons préparer le terrain en résol-
vant les questions de détail. Notre union ne doit pas chercher
à être un but en elle-même, elle doit s'orienter vers l'extérieur,
pour accroître la collaboration économique avec tous les pays
du monde.
Les Pays Nordiques se rencontrent ici avec ceux du Benelux,
et de toute l'Europe occidentale, comme le rappelait l'ex-premier
ministre belge M . Paul Van Zeeland: «Mieux vaut agir, quitte
à accorder des exceptions et des dérogations quand les nécessités
l'imposeront. Fixons les yeux sur l'Europe!»
Kay HECKSCHER,
docteur en sciences politiques.
_ go —

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