Rhétorique Publicitaire, La Parole Persuasive, Bertrand Buffon, L'interrogation Philosophique, Puf (Glissés) 2

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Chapitre 14

Rhétorique publicitaire

La publicité a envahi nos vies. Elle peuple notre imaginaire, suscite


et oriente nos désirs, norme nos conduites et contribue à construire
notre identité.
La publicité véhicule et inocule les valeurs et les idéaux des sociétés
de masse : l’individualisme, l’hédonisme et le règne des objets. Elle a un
pouvoir normatif : ses spots, ses affiches sont autant d’affirmations de ce
qui est bon et bien, désirable et conforme. De par son omniprésence et
l’influence qu’elle exerce sur les valeurs et les comportements, on peut y
voir une sorte d’ « éducatrice », un mode d’acculturation à notre monde.
Le discours publicitaire a d’ailleurs contaminé les autres discours
publics, au premier rang desquels le discours politique. Il a remplacé en
partie les discours dominants des temps passés, ceux de l’Église et ceux de
la République, qui donnaient sens au monde et identité aux hommes.
Cette influence prédominante est obtenue au moyen de techniques
rhétoriques très efficaces. Les étudier est un premier pas pour s’en délivrer.

I. LE DISCOURS PUBLICITAIRE

Le discours publicitaire a pour but de promouvoir un produit pour


en faciliter la vente. Il relève ainsi de deux des trois grands genres rhé-
toriques : le délibératif, qui conseille et l’épidictique, qui loue.

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Rhétoriques

La configuration rhétorique est ici particulièrement ingrate :


chaque message publicitaire est noyé dans une multitude d’autres mes-
sages et affronte un auditoire indifférent. La publicité répond à ce
double défi par l’effacement de l’énonciateur, l’adaptation systématique
à l’auditoire et la célébration sans nuance du produit.

A. Ethos. Qui parle ?


1. L’anonymat
Les slogans publicitaires sont anonymes. Le fabricant n’apparaît pas
en personne pour vanter les qualités de sa marchandise. Cet effacement
de l’énonciateur a un effet persuasif remarquable1.
1 / Tout d’abord, il donne un caractère objectif au message, lui
confère une sorte d’évidence et de validité universelle. N’étant affirmé
par personne en particulier, il peut être pris en charge par tout le monde.
2 / Ensuite, il donne moins prise à la contestation. Accorderait-on
autant de crédit à ces slogans publicitaires si on voyait celui qui les émet ?
Probablement non. « C’est lui qui le dit » serait la réaction immédiate.
3 / Par ailleurs, il favorise le rêve et contribue à créer un monde
euphorique : en se cachant, le fabricant supprime une référence au réel
et masque la trivialité de la production manufacturière.
4 / Enfin, il fait des destinataires les co-auteurs du message. Exem-
ples : France Télévision. Donnons de l’imagination à nos images ; ou cette
publicité pour la revue National Geographic : Enfin, en France ! Qui
parle ? À qui ? Parole sans locuteur, pour mieux identifier émetteur et
récepteur du message.

2. Un discours à sens unique


La publicité instaure une communication à sens unique, sans
réponse efficace possible. Pour faire oublier cette parole unilatérale
imposée, elle recourt à divers subterfuges.

1. Selon la thèse américaine du sleeper effect, ou effet hypnogène, un message est


d’autant mieux reçu et accepté qu’on ignore son auteur.

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Rhétorique publicitaire

1 / Par exemple, elle introduit un dialogue fictif afin de rendre


l’auditeur partie prenante du message. Cette apparence d’échange
confère à une communication de masse le caractère d’une com-
munication particulière et donne l’illusion d’une interaction per-
sonnalisée.
2 / Parfois, pour susciter l’identification, elle met en scène des person-
nes inconnues qui manifestent leur contentement à l’égard du produit.
Une publicité pour le catalogue de vente par correspondance La
Redoute montre plusieurs personnes hilares avec le slogan : On s’est vu
dans La Redoute. Le catalogue, superposé en transparence sur la photo-
graphie, encadre deux des personnes pour montrer que La Redoute
satisfait si bien leurs désirs que l’auditoire s’identifie avec l’énonciateur :
La Redoute, c’est nous !
3 / Plus souvent, la publicité fait appel, pour parrainer ses produits,
à des personnes célèbres et appréciées du public. Elle table alors sur
l’argument d’autorité, auquel l’auditoire est censé souscrire sans rechi-
gner. Les exemples sont légion : pas une grande marque qui n’ait ses
stars-sandwichs attitrées. Au lendemain de la victoire de la France aux
championnats d’Europe de football, en juillet 2000, notre star natio-
nale, Zinedine Zidane, s’affichait dans tout le pays aux côtés d’une
bouteille d’eau minérale.
4 / Enfin, la publicité procède quelquefois par personnification et pro-
sopopée en donnant la parole au produit.

B. L’auditoire

1. Ses caractères
Qu’elle passe par voie d’affiches publiques, de pages dans les jour-
naux ou de spots télévisuels, la publicité s’adresse à un public immense
et anonyme. Pour capter son attention, elle fait comme si elle
s’adressait à chacun d’eux personnellement.

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Rhétoriques

a) Un auditoire varié,
a) difficile à appréhender
L’auditoire est appréhendé de façon statistique. Les sociétés
de publicité s’efforcent de cartographier les profils de consom-
mation.
Le Centre de communication avancée d’Eurocom a établi ce qu’il appelle des
grandes familles de « sociostyles ». La version de 1988 distinguait :
— les activistes (11 % de la population), sensibles aux argumentations pra-
tiques, élitistes et inédites ;
— les matérialistes (23 %), préoccupés par la sécurité et l’utilité, sensibles
aux argumentations vulgarisatrices et simplificatrices insistant sur la fonction-
nalité et la crédibilité des produits ;
— les rigoristes (20 %), conservateurs, sensibles à une argumentation auto-
ritaire, moraliste et bien structurée ;
— les décalés (– de 40 ans, 24 %), individualistes, anti-conformistes et
hédonistes, ouverts aux argumentations humoristiques et esthétiques ;
— les égocentrés (jeunes de milieux populaires, 22 %), réceptifs aux argu-
ments provocants, spectaculaires et sentimentaux.
Le pouvoir prédictif des styles de vie sur la consommation d’un
produit reste toutefois limité.
b) Un auditoire peu impliqué
Le consommateur ne va pas de lui-même vers la publicité ; tout au
plus accepte-t-il de la laisser venir à lui. Il ne fait aucun effort pour la
saisir. 5 % à peine des personnes exposées à une annonce en font
une lecture complète. Cette indifférence explique deux caractères
importants du discours publicitaire. C’est un discours phatique, qui
cherche avant tout à établir un contact, et c’est un discours ludique et
séduisant.
Souvent, cependant, le discours est absent. Lire demande un effort
trop grand. La publicité se réduit à une image, avec le logo de la
marque. La « paresse » n’est pas seule en cause. Chaque marque
est noyée parmi tant d’autres que la publicité a pour fonction
première de les montrer, de dire qu’elles existent, de manifester
leur présence. Elle multiplie leurs apparitions, des terrains de football
aux expositions de peinture, afin de créer une familiarité et une

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Rhétorique publicitaire

sympathie pour chacune d’elles. Dans un monde d’abondance, saturé


de produits, la présence est un argument en soi, au-delà de tout
discours.
c) Un auditoire en quête d’identité
L’efficacité de la publicité tient à la disponibilité de l’auditoire. Elle
ne serait guère opérante si les choix du public étaient déjà fixés.
L’individu moderne n’est plus enserré dans des cadres géographiques,
sociaux et culturels qui autrefois lui conféraient identité, habitudes de
vie et de consommation. Détaché de ces anciennes déterminations, il
est à la recherche de lui-même et « libre » de choisir ses produits. C’est
sur cette quête d’identité que la publicité bâtit son empire. Tel produit,
associé à telle valeur, vous donnera telle identité ; une identité qui n’est
jamais, bien sûr, que la manifestation de votre moi profond, de votre
être véritable...

Les exemples fourmillent :


– En Devernois, je suis moi (vêtements) ; Ma crème, c’est moi ; Ma Corsa, c’est
tout moi (automobiles Opel) ; Soyez différent : pensez Pepsi (boisson) ; Être Dim
jusqu’au bout (collants).
– Deviens ce que tu es, proclame une publicité pour les polos Lacoste
qui montre un individu nous regardant, habillé d’un tee-shirt de la marque.
– Je sais donc je suis, affirme une publicité pour la chaîne d’information CNN,
qui détaille, en plus petits caractères, le raisonnement censé fonder le slogan : Je
suis la somme de mes expériences. Plus je tente plus je comprends.
– La publicité pour le parfum Poême de Lancôme montre un visage
d’actrice, le flacon du parfum et ces mots : Tout dire sans un mot. Voilà un par-
fum qui vous donne tellement d’identité que vous n’avez même plus besoin
de parler pour la manifester.
– La publicité pour automobile joue beaucoup sur ce topos de l’identité.
Dans l’imaginaire collectif, la voiture dévoile la personnalité de son proprié-
taire, elle proclame littéralement qui nous sommes. Ce slogan de la marque
Buick l’illustre parfaitement : Elle vous donne le sentiment d’être l’homme que vous
êtes.
Voici un dernier exemple particulièrement significatif. Pour lancer
son nouveau parfum Allure, Chanel a publié en 1996 un « petit livre
beige » qui raconte l’histoire de sa lectrice :

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Rhétoriques

« Souvenez-vous. Vous étiez une petite fille. On vous disait comment vous coif-
fer, comment vous habiller. Comment parler, marcher, dire bonjour. Vos gestes, votre
langage, votre moi étaient dictés par les adultes. (...) Puis forcément vous avez
grandi. (...) Vous avez cherché une identité : un rôle pour vous exprimer. (...)
Aujourd’hui, soudain, vous vous souvenez que l’allure existe. (...) Il y a une clé de
l’allure (...) c’est le parfum. (...) Et aujourd’hui, pour la première fois, Allure est
un parfum. »

2. Les techniques pour capter l’attention de l’auditoire

La publicité capte l’attention de l’auditoire en l’impliquant dans le


message, à la fois collectivement et de façon personnalisée.
1 / Pour impliquer tout le monde, la publicité recourt au flou référen-
tiel en employant des infinitifs ou des pronoms sans référents clairs (il,
elle et surtout on), auxquels l’auditoire tend à s’identifier. Le même effet
d’identification peut être obtenu par la voix off, qui parle à la première
ou à la troisième personne.

Exemples :
– Peugeot 206. On peut encore être ému à notre époque.
– Pour la campagne des élections législatives de 2001 en Italie, Silvio
Berlusconi a choisi le slogan : La forza di un sogno : cambiare l’Italia (La force
d’un rêve : changer l’Italie). Chacun peut reprendre cet énoncé à son compte :
qui n’a pas d’idées sur ce qu’il faudrait changer pour que les choses
s’améliorent ?
2 / La publicité cherche aussi à impliquer chacun personnellement. Elle
emploie à cet effet des pronoms et des adjectifs possessifs, à la première
et à la deuxième personne (vous, votre, je, mon).

Exemples :
– Une publicité pour les voyages en Norvège égrène les qualités
uniques de ce pays et conclut : Oui, je souhaite recevoir gratuitement le
catalogue.
– Dans la publicité pour le parfum J’adore de Christian Dior, la phrase
d’implication est aussi le nom du produit : J’adore, dit la femme représentée sur
l’affiche.

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Rhétorique publicitaire

– L’identité de pronom peut dissimuler un changement de référence : Il


peut arriver que votre peau ait besoin d’être mieux nourrie... la Crème de soin Oil of
Olaz... pénètre dès que vous l’appliquez sur votre visage...1 : le premier possessif se
réfère à la lectrice, les suivants à la consommatrice du produit.

Sur le fond, la publicité flatte le narcissisme du consommateur


en insistant sur sa singularité unique, incomparable. Ainsi cette pu-
blicité pour la carte Peugeot, qui donne droit à des réductions sur les
accessoires de la marque : Tous les jours VIP ! La carte Peugeot fait de vous
un client privilégié. Et toujours Chanel et son petit livre beige « écrit
tout spécialement à votre intention » : Il y a des choses incroyables en
vous... Et si vous leur donniez la parole. De même, une publicité
pour une entreprise d’annonces immobilières sur Internet figure un
gros bateau en bois sous-titré Noé, accompagné du slogan : On a
tous une maison qui nous ressemble. Toujours dans l’immobilier,
Kaufman & Broad affirme tranquillement : C’est en vous regardant vivre
que nous avons tout appris. Enfin, de la firme automobile Alfa Romeo,
cet éloge à côté de la nouvelle Alfa 166 : Vous savez très bien vous
exprimer.
Il existe nombre d’autres techniques d’implication. Certaines
consistent à mettre en scène l’amorce d’un échange, au moyen d’un
salut (Bonjour !), d’une interrogation (Et s’il était prouvé qu’un produit lai-
tier avait de l’influence sur la beauté de la peau ?, Danone), d’une devinette,
ou encore d’une énigme.
D’autres simulent la réaction du lecteur : ses interrogations
supposées (Que nettoie-t-on avec Duomagic ?), ses demandes d’ex-
plications complémentaires (Des produits de soins qui vont plus loin que des
produits de beauté ? Expliquez-moi ça !, Decleor), sa défiance (Un aspira-
teur qui me promet 20 % de puissance en plus ? Je demande à voir !, Tor-
nado) ou ses reproches (Quoi ! Une Seat Ibiza équipée d’un moteur système
Porsche de 85 chevaux pour 54 900 F ! Vous auriez pu me le dire plus tôt !,
Seat)2.

1. Cité par Jean-Michel Adam, Marc Bonhomme, L’argumentation publicitaire.


Rhétorique de l’éloge et de la persuasion, Paris, Nathan Université, 1997, p. 50-51.
2. Tous ces exemples sont cités par Adam et Bonhomme, op. cit., p. 38-41.

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Rhétoriques

À travers ces stratégies d’énonciation, la publicité cherche à satis-


faire deux besoins contradictoires : l’envie d’être avec les autres, dans
une communauté chaleureuse (le conformisme) et l’envie d’être
unique, différent.

C. Les genres du discours publicitaire :


un mélange de délibératif et d’épidictique

Le discours publicitaire est à la fois épidictique et délibératif,


louange et conseil, description et argumentation. L’un et l’autre sont
liés : louer, c’est implicitement conseiller, et inversement. Le délibératif
s’attache aux propriétés de l’objet, l’épidictique davantage aux valeurs
qu’il est censé incarner.
Les descriptions occupent la place centrale ; elles ont un caractère
hyperbolique et euphorique. L’objet est présenté comme unique en
son genre et source de plaisir infini.

Exemples :
– La publicité pour le téléphone portable T 28 s d’Ericsson le figure dans
l’espace, tel un satellite autour d’une planète, avec pour légende : Manifestation
d’intelligence.
– La publicité pour la bière Kronenbourg se contente d’une photographie
d’un verre de bière, avec cette inscription sans réplique : Kro. La Bière.
Quant à l’argumentation, elle est généralement reléguée à
l’arrière-plan. Dans les publicités pour voiture, les caractéristiques tech-
niques sont citées en petits caractères. Pour l’Alfa Romeo 156, on peut
lire : Airbags latéraux, climatisation automatique, volant et pommeau de levier
de vitesses en cuir, etc.

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Rhétorique publicitaire

II. L’ « ARGUMENTATION » PUBLICITAIRE

A. Les modes de persuasion

1. La publicité persuade moins par la raison que par l’émotion


Le mode de persuasion de la publicité lui est dicté tant par son but
que par son objet.
a) Un objectif sophistique
L’objectif assigné est de faire vendre, de persuader à tout prix
d’acheter le produit. Que le consommateur l’acquière parce qu’il est
convaincu de ses qualités ou simplement sur un coup de cœur importe
peu. La publicité est sophistique : seule l’efficacité compte, la vérité n’a
rien à y faire.
b) L’efficacité des passions
Or, pour vendre, il est plus efficace d’en appeler aux affects du
consommateur qu’à sa raison. Le pathos prime le logos. Plusieurs raisons
à cela. Tout d’abord, les publicitaires veulent être sûrs de leur coup.
En appeler à l’esprit critique est trop aléatoire et n’a d’ailleurs guère de
sens dans ce cadre. Ensuite, il serait peu judicieux de chercher à
surmonter l’indifférence de l’auditoire en exigeant de sa part un effort
de réflexion pour juger d’une argumentation. Au contraire, une
démarche ludique et onirique retient facilement l’attention et endort
les défenses critiques. Enfin, la raison est impuissante à vaincre les pré-
jugés.
Bref, mieux vaut aller en amont de la conscience réflexive et agir
sur les instincts : on les retrouve chez tout un chacun et l’effet de leur
stimulation est plus sûr. Découvrir l’hameçon psychologique approprié
au produit, voilà la tâche du publicitaire. Ici, le calcul psychologique
est toujours au départ du parcours rhétorique. Olivier Reboul donnait

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Rhétoriques

l’exemple1 d’une publicité pour huile automobile dont le slogan, Met-


tez un tigre dans votre moteur, pouvait faire l’objet d’un triple décodage,
à la fois conscient : « Cette huile est très efficace », subconscient :
« Grâce à lui, je dépasse tout le monde », et inconscient : « Je suis le
tigre. »

c) Un objet irrationnel
L’objet même de la publicité appelle le jeu sur les passions. Souvent
le choix d’un produit ne relève pas, ou pas seulement, de critères
rationnels, de qualités objectives, mais « des goûts et des couleurs », des
préférences individuelles. Prenez, par exemple, un parfum, un vête-
ment, une destination de vacances. En outre, les produits concurrents
ont généralement des caractéristiques techniques similaires. Voyez les
automobiles, les lessives, les montres. Le seul moyen de faire la diffé-
rence entre eux est de jouer sur les affects. Enfin, la publicité a pour
rôle de créer de toutes pièces des besoins pour des objets nouveaux ou
superflus.

2. Le discours publicitaire ne relève pas du vraisemblable

a) Il procède par affirmation auto-argumentée


Rares sont les publicités qui nous persuadent par la validité de leur
argumentation. La plupart se contentent d’énoncés péremptoires, asse-
nés sans preuve. La publicité pratique la pétition de principe à grande
échelle. Elle est l’art de rendre les choses vraies par la simple affirmation
qu’elles le sont. Nassau a l’eau la plus limpide du monde, proclame une
réclame touristique. Oseriez-vous reprocher au publicitaire son toupet,
qu’il vous répondrait qu’il ne faut pas prendre les choses si à cœur car
tout cela n’est qu’un jeu ; à preuve, l’affirmation qui suit : Dommage
qu’elle soit salée, car nous l’aurions déjà mise en bouteille. Autre exemple :
sur fond de plage de sable, on lit en gros caractères : BRAVO l’Espagne,

1. Le slogan, op. cit., p. 86.

402
Rhétorique publicitaire

et en plus petits : Calme absolu. Il existe encore, en Europe, des plages où il


est possible de se détendre...
Le mode de persuasion de la publicité procède avant tout par pétition
de principe : il part de la conclusion qu’elle veut imposer (ce produit est le
meilleur ; achetez-le) et il multiplie les « arguments » en ce sens, qu’ils aient
ou non rapport avec les caractéristiques véritables du produit. La publicité
s’auto-argumente, sans s’embarrasser du réel. Elle contient l’argument de
sa validation en elle-même, elle ne cherche pas à le fonder sur la réalité
extérieure. Cette auto-argumentation passe par l’image, le son ou le texte.
1 / Souvent écrit et image se renvoient l’un à l’autre, se justifient l’un par
l’autre : l’image vient valider le texte et réciproquement. Ainsi, pour
Nassau, nous montre-t-on une eau d’un bleu limpide (mais la photo
a-t-elle été prise à Nassau ?) et, pour l’Espagne, une belle plage de sable fin
(même question). La publicité pour DHL, une entreprise de transport
rapide, nous présente une chevelure brune avec une raie blanche au
milieu et le commentaire suivant : Une fois seulement je ne suis pas passée
par DHL. La raie blanche « montre » de façon ludique que ne pas recourir
aux services de cette société c’est risquer de se faire de grandes frayeurs.
L’ « argument » passe d’autant mieux que c’est le lecteur qui déduit
lui-même de l’image la terreur qui a saisi cette personne. Dernier
exemple : dans une publicité pour la bière 1664, le slogan, Au-delà des
mots, est autovalidé par le nom même de la bière – un chiffre, non des mots.
2 / L’auto-argumentation passe aussi par les sonorités. Dans Seb, c’est
bien, l’identité de son fait preuve : si les sons sont les mêmes, c’est que
les sens convergent, laisse-t-on entendre (cf. infra).
3 / Enfin, le texte publicitaire peut s’autovalider, au moyen d’un lieu
commun par exemple. Une affiche pour un cartable de la marque
Décathlon déclare : 149,95 F le sac à dos : c’est rassurant de savoir que son
enfant réfléchit. La phrase est à double sens. L’énoncé incontestable :
« C’est rassurant de savoir que son enfant réfléchit » transmet la force de
son évidence au sens véritable du slogan : ce sac a le meilleur rapport
qualité-prix, jugement qui n’est en l’occurrence nullement prouvé.
Réfléchit renvoie au fait même de réfléchir et au choix d’acheter ce car-
table. La publicité utilise l’évidence du lieu commun pour rendre natu-
rel l’achat du produit.

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Rhétoriques

b) Il est fermé à toute réfutation


Tout comme une théorie est scientifique si elle est falsifiable, une
proposition est vraisemblable si elle ne se dérobe pas à la critique
rationnelle. Ce n’est pas le cas de l’énoncé publicitaire, qui se barricade
contre toute réfutation. Voici deux des moyens employés pour y par-
venir : la concision et l’abolition de la syntaxe.
1 / La concision
La concision fait la force du slogan. Elle en fait une formule frap-
pante, facile à retenir et agréable à répéter. Allonger un slogan ne le
renforce pas mais l’affaiblit et parfois le détruit. Un mot de trop et le
slogan peut perdre tout pouvoir. Un énoncé comme : L’alcool tue lente-
ment appellerait aussitôt la réplique : On n’est pas pressé ! Au contraire :
L’alcool tue ne permet aucune réponse1.
2 / L’abolition de la syntaxe
Jean Baudrillard prend l’exemple du slogan Persil lave plus blanc.
Est-ce vraiment une phrase ? Non, c’est plutôt un long substantif – Per-
sil-lave-plus-blanc –, un bloc insécable, un conglomérat ferme et rigide
qui s’impose comme un impératif. « La syntaxe est abolie et, à travers
elle, l’idée d’un sens construit, donc contestable. » Le discours est mis
« hors d’atteinte du jeu de la raison logique, d’une dialectique du sens
et de la contradiction. (...) Il interdit toute réciprocité de la communi-
cation et toute réponse à ses messages »2.
Le discours publicitaire est clos sur lui-même, fermé à toute réfu-
tation, barricadé dans son sens imposé. Ce qui persuade, ce n’est pas
son argumentation mais la qualité, la cohérence, la séduction de son
autojustification. La vraisemblance n’est plus à chercher dans le rap-
port à la réalité mais dans l’autovalidation interne, devenue principe
de réalité.

1. Cet exemple est donné par Olivier Reboul, in Le slogan, op. cit., p. 48.
2. Jean Baudrillard, « Langages de masse », in Encyclopaedia Universalis, t. 17, 1973,
p. 682 et 683.

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Rhétorique publicitaire

c) Il est au-delà du vrai et du faux


Le monde de la publicité est un monde irénique et parfait où
règne le consensus. Il n’est plus question de vrai ou de faux mais seu-
lement de désir et de plaisir. La référence objective du discours publi-
citaire disparaît derrière son mode d’expression péremptoire, ludique,
esthétisant et fantasmatique. Le contenu importe moins par ce qu’il dit
vraiment que par la séduction qu’il dégage. Comme le dit Jean Bau-
drillard, « la communication de masse est au-delà du vrai et du faux,
comme la mode est au-delà du beau et du laid, comme la “raison”
politique est au-delà du bien et du mal, comme les objets actuels sont
au-delà de l’utile et de l’inutile »1. L’important, répétons-le, n’est pas
la vérité ou non du discours mais son efficacité. La publicité fait
vendre, c’est là l’essentiel.

3. La publicité veut persuader des propriétés imaginaires


3. du produit davantage que de ses qualités véritables
a) Associer au produit des valeurs et une identité
La réclame se contentait d’illustrer, de mettre en avant les qualités
réelles du produit. La publicité, quant à elle, vise à structurer, à créer une
image de toutes pièces. Prenez le cas du tabac : les gens sont fidèles à
leur marque de cigarettes ; or, lorsqu’on fait des tests de reconnaissance,
ils ne sont pas capables de les distinguer d’autres marques ; ils fument
donc, en quelque sorte, une image.
La publicité persuade d’acheter tel produit moins en vantant ses
qualités objectives qu’en lui attribuant des propriétés subjectives : le
produit connote telle valeur, apporte telle identité, vous fait entrer dans
tel monde privilégié. La publicité agit davantage par connotation que
par dénotation : son message signifie moins par lui-même que par les
valeurs et l’image qui lui sont associées.
Le discours publicitaire tente de persuader que le produit satisfait
bien d’autres besoins que celui auquel il est censé naturellement

1. Ibid., p. 682.

405
Rhétoriques

répondre ; elle projette sur lui des besoins qui sont sans rapport direct
avec son usage. Ainsi le slogan1 : Perrier, le champagne des eaux de table
donne à cette eau gazeuse la vertu de satisfaire non seulement un
besoin réel, la soif, mais aussi un besoin de prestige, suscité par
l’analogie avec les bulles de champagne. Les objets cristallisent ainsi sur
eux tout un monde de sensations, d’idéaux, de désirs. Ils sont porteurs
de mondes, clés d’entrée dans un univers, vecteurs d’imaginaires. Ils
dépassent leur simple utilité pour devenir mythe. Leur valeur d’usage
disparaît derrière leur valeur de signe.

b) Créer par association des réflexes conditionnés


Le discours publicitaire procède par association pour créer des
réflexes conditionnés qui lient automatiquement le produit à une image
valorisante : à force de montrer une jolie femme à côté d’une berline, la
vue de celle-ci finit par amener immédiatement l’image agréable de
celle-là dans l’esprit du consommateur. Et celui-ci finira par penser
qu’une telle voiture lui permettra de séduire d’aussi belles créatures ; à
défaut, la possession d’un tel engin vaut bien celle d’une jolie femme.
Une voiture, une femme : n’est-ce pas un peu la même chose d’ailleurs ?
C’est en tout cas ce que laisse penser la publicité pour l’Alfa Romeo 156 :
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’a pas que son physique...

B. Les argumentations écrite et iconique

1. Les arguments écrits


a) Composition et disposition
1 / L’argumentation écrite passe essentiellement
1 / par la marque, le nom du produit et le slogan
La réputation de la marque, l’ « image de marque », a une grande
force persuasive. Ajouter Hermès sur une photo de cravate banale,

1. Cité par Olivier Reboul, in Le slogan, op. cit., p. 58.

406
Rhétorique publicitaire

celle-ci paraîtra belle. Le logo de la marque (le lion de Peugeot, par


exemple) permet de saisir immédiatement celle-ci, de la valoriser et de
mieux la mémoriser.
Le nom du produit peut contenir une description valorisante.
Ainsi : Stressless pour une marque de fauteuils et de literie, Fiesta pour
une voiture, etc.
Au sens général du terme, selon la définition d’Olivier Reboul, un
slogan est « une formule concise et frappante, facilement répétable,
polémique et le plus souvent anonyme, destinée à faire agir les masses
tant par son style que par l’élément d’autojustification, passionnelle ou
rationnelle, qu’elle comporte »1. Quant au slogan publicitaire, c’est une
formule brève, simple, péremptoire, agréable à répéter et aisément
mémorisable.

Exemples :
– Du Bo, du Bon, Dubonnet ;
– C’est bien, c’est beau, c’est Bosch ;
– Mini Mir, mini prix, mais il fait le maximum ;
– Au volant, la vue, c’est la vie.
On distingue deux types de slogans : ceux qui sont au centre de
telle ou telle publicité et ceux qui accompagnent partout le nom de la
marque dont ils représentent alors la devise, c’est-à-dire la stratégie
économique : Peugeot. Pour que l’automobile soit toujours un plaisir ;
Renault, créateur d’automobiles, etc.
2 / L’ordre des arguments :
2 / parcours de lecture d’une publicité
La disposition du texte publicitaire a une influence sur le sens et le
degré de lecture de l’annonce. Elle a donc une portée argumentative
manifeste. Marque, nom et slogan doivent être disposés de telle sorte
que le lecteur inattentif soit guidé naturellement vers eux.
La disposition classique et souvent optimale – dite « en Z » – suit le
parcours naturel de lecture, de gauche à droite et de haut en bas. Elle

1. Olivier Reboul, Le slogan, op. cit., p. 42.

407
Rhétoriques

découpe la page selon une diagonale descendante qui délimite deux


espaces au potentiel de lecture différent. Les constituants les plus
importants du message sont en général placés sur la partie droite, où la
lecture est maximale, tandis que les informations techniques figurent
plutôt dans la zone d’ombre, en bas à gauche. Les variations de typo-
graphie, les découpages en paragraphes, les signes (flèches, traits, etc.) et
les jeux de couleurs viennent en renfort pour canaliser au mieux la
lecture.
D’autres types de parcours de lecture empruntent des formes géo-
métriques dont la portée symbolique confère par elle-même une force
argumentative au texte qui les épouse. Ces parcours peuvent prendre la
forme de balayages circulaires, en miroir ou quadrillés. Adam et Bon-
homme citent l’exemple1 des barres de chocolat Farmer, agencées en
cercles pour figurer les rayons du soleil et accompagnées du slogan :
L’énergie naturelle en barre à tout moment. L’image fonde l’argument
analogique donné par le slogan. C’est un nouvel exemple d’auto-
argumentation.

b) La poétique du slogan :
b) l’argumentation par la mélodie

La poésie du slogan a un double effet persuasif, par son rôle argu-


mentatif d’une part et par la mémorisation et la répétition qu’elle faci-
lite d’autre part.
La musicalité du slogan tient souvent lieu de preuve. La publicité
joue en cela du phantasme de la naturalité du langage, comme si les
mots n’étaient pas des conventions mais émanaient naturellement des
choses : la nature étant bien faite, l’identité de son renverrait à une
identité de sens. La persuasion publicitaire tient davantage à la forme du
slogan qu’à son contenu.
Plus un slogan est bien rythmé et mélodieux, plus on le mémorise
aisément et plus il nous vient de le répéter. Or le seul fait de répéter
une formule suffit souvent à la faire admettre.

1. Jean-Michel Adam, Marc Bonhomme, op. cit., p. 78.

408
Rhétorique publicitaire

Les slogans publicitaires tiennent leur rythme et leur mélodie de


structures variées1.

La plus classique est celle du vers rimé (deux segments de même lon-
gueur avec un son identique à la fin) :
– On est fou d’Afflelou (opticien, 3 syllabes + 3 syllabes) ;
– Donnez des ailes à vos Diesels (Total, 4 + 4) ;
– Sortez du troupeau, roulez en Polo (Volkswagen, 5 + 5).
Parfois, les longueurs des segments varient :
– Old Nick, emmène-moi en Martinique (Rhum, 2 + 8) ;
– Kenzo, ça sent beau (vêtements et parfum, 2 + 3).
Certains slogans jouent non sur la rime mais sur des sonorités voisi-
nes (paronomase) :
– Choisissez bien, choisissez But ;
– Le ticket chic, le ticket choc (RATP) ;
– La vie austère, la vie Auchan (supermarché).
D’autres présentent une structure régularisée autour d’un centre :
– Évident c’est Président (camembert) ;
– Inno c’est Inoui (supermarché) ;
– Je ronronne pour Toblerone (chocolat).
La répétition en début de segment (anaphore) est également
fréquente :
– On joue, on marque, on gagne (Loto sportif) ;
– Du pain, du vin, du Boursin.
On a aussi des structures avec fuite, du type : A / A / A + n :
– C’est facile, c’est pas cher et ça peut rapporter gros (Loto, 3 + 3 + 7) ;
– Des pâtes, des pâtes, oui mais des Panzani (2 + 2 + 6) ;
et des structures avec progression : A /A + n /A + n + n, telles que :
– Le téléphone, c’est bien quand il sonne, c’est mieux quand il répond
(4 + 5 + 7).

1. J’emprunte ce classement et les exemples qui suivent à l’ouvrage de Blanche


Grunig, Les mots de la publicité. L’architecture du slogan, Paris, Presses du CNRS, 1990.

409
Rhétoriques

Certains slogans n’ont pas de structure particulière et se contentent


de jouer sur les allitérations et les assonances :
– Vittel vous aide à retrouver la vitalité qui est en vous (i, v) ;
– André, le chausseur sachant chausser (ch, ss) ;
– Crunch le chocolat qui croustille (cr, ch) ;
– Kodac un déclic d’avance (k, d, a).
La mémorisation est également stimulée par les jeux de mots (syl-
lepse ludique), les antonymes et les créations lexicales.
Le double sens passe par :

1 / La répétition :
– La Bretagne : les bains de mer pas les bains de foule ;
– Quand c’est plein on le vide, quand c’est vide on se plaint.
2 / L’image aussi, qui appelle un autre sens :
– La fin des pompes funèbres (image de superbes pompes) ;
– Ces sacs qui nous emballent (image de pochettes d’emballage com-
mercial) ;
– La féminité se porte bien, merci ! (image d’une femme plantureuse, vête-
ments Rodier).
3 / Le contexte verbal seul, enfin :
– Vahiné, c’est gonflé (levure) ;
– Un jour sans Bic, c’est la barbe (rasoir) ;
– Ce n’est pas du vol (SNCF).
Quant aux antonymes, ils sont :

1 / Soit dans la dépendance l’un de l’autre :


– La petite géante (Volkswagen) ;
– La frappe douce (IBM).
2 / Soit dans deux fragments du slogan :
– Un peu de Woolite, beaucoup de sécurité ;
– Moins on roule, plus on va vite (Air Inter) ;
– Quand on achète un premier téléviseur, autant acheter le dernier Sony ;
– Il vous donne de l’avance le jour où vous prenez du recul (Le Journal du
Dimanche).

410
Rhétorique publicitaire

Enfin, des mots sont créés par imbrication, calembour ou dérivation.


Le « mot-valise »1 imbrique deux mots :
– Le loto c’est spormidable ! (sport + formidable) ;
– confipote (confiture + compote) ;
– fruisane (fruit + tisane).
Les homophonies foisonnent :
– Il n’y a que Maille qui m’aille (moutarde) ;
– Quand on s’aime, on sème (Crédit agricole) ;
– La couleur c’est l’Avi (peinture) ;
– Dim moi tout (bas).
Les dérivations sont également très fréquentes.
1 / Des adjectifs sont formés à partir de noms de marque :
– Quelque chose en vous est Dior ;
– L’année commence vraiment Ford ;
– 205 GTI, plus GTI que jamais ;
– Être Guerlain.
2 / Les noms de marque deviennent des noms communs :
– les DD (chaussettes) ;
– les Lacoste (vêtements) ;
– les Peugeot.
3 / Des verbes sont dérivés :
– Avec Carrefour, je positive ;
– Rowentez-vous la vie (fer à repasser).

c) Les paralogismes
Les « arguments » publicitaires sont fréquemment paralogiques : ils
n’ont d’arguments que la forme. Les paralogismes quasi logiques sont
les plus répandus.
Le premier d’entre eux est le paradoxe de la conjonction des incompati-
bles, de l’identité des contradictoires. Évoluant dans un monde oni-

1. Néologisme fondé sur une analogie : tout comme une valise contient plusieurs
choses, le « mot-valise » réunit plusieurs mots.

411
Rhétoriques

rique, le discours publicitaire aime simuler la transgression du principe


de non-contradiction. Le principe de plaisir prime le principe de réa-
lité. Le produit est l’instrument miraculeux qui vient concilier les con-
traires, résoudre un dilemme auquel jusque-là nul ne pouvait échapper.
Ainsi : Les hommes aiment les femmes qui ont les mains douces. Vous le
savez. Mais vous savez aussi que vous faites la vaisselle. Alors ne renoncez pas
pour autant à votre charme, utilisez Mir Rose.

Exemples tirés de publicités pour automobiles :


– slogan de la Peugeot 406 : Vous ne choisirez plus entre le plaisir et la
sécurité ;
– pour une Audi : l’image montre la voiture, un paysage qui défile et la
lune, avec ce slogan : Allo Houston, nous n’arrivons pas à décoller, signifiant par là
le dépassement de l’incompatibilité entre très grande vitesse et bonne adhé-
rence au sol ;
– pour la Mercedes classe M, l’image montre la voiture empruntant une
route barrée par un panneau triangulaire contenant un point d’exclamation et,
en dessous, l’indication : Route défoncée. Commentaire, en bas à droite : Ils ont
oublié le youpi avant le point d’exclamation.
Blanche Grunig cite, quant à elle, les exemples suivants1 :
– Des prix qui ne changent pas ça change ;
– Le fromage blanc de campagne de La Laitière. Ce qui est nouveau c’est qu’il est
comme autrefois ;
– Faure le mot est faible ;
– L’inattendu tant attendu (Lagerfeld, nom d’un parfum) ;
– On peut avoir une Volvo pour le prix d’une voiture ;
– Une Lancia c’est plus moderne qu’une voiture ;
– Il y a les chocolats et il y a Lindt.
On le voit, la publicité raffole de l’oxymore. On en trouve un bon
exemple dans la promotion des produits financiers, qui s’efforce de les
présenter comme l’alliance miracle de la rentabilité et de la sécurité,
alors que, dans la réalité, plus la rentabilité potentielle d’un placement
est forte, plus le risque de perte est grand. Ainsi le fonds de la banque
Cortal, Elit’ Action Garantis, est-il conçu « pour investir en Bourse avec

1. Blanche Grunig, op. cit., p. 98-100.

412
Rhétorique publicitaire

l’attrait des meilleures performances et la sécurité du capital ». Quant au


groupe anglais Barclay’s, il propose, avec Barclays Perspective 2000, le
« doublement du capital sans risque sur la mise initiale »1.
Ce langage qui ne connaît plus la contradiction ni la négativité
s’apparente au processus primaire des rêves décrit par Freud : « Des
pensées contradictoires non seulement ne se distinguent pas, mais
encore se juxtaposent, se condensent et forment un compromis que
nous n’admettrions jamais dans la pensée normale. »2
La publicité s’amuse à d’autres transgressions argumentatives.
Elle pratique l’inversion causale : À force d’être riche j’ai appris à compter
(Daewoo), et l’illogisme pragmatique : Avec 26 millions de livres vendus par
an on se demande si on doit faire de la pub (France Loisirs).
Elle va jusqu’à se transgresser elle-même, avec des slogans censés
détourner de ce qu’ils proposent :
– Plus on lit LIRE plus on a envie de lire autre chose (magazine littéraire) ;
– Mamie Nova, les mamies ne lui disent pas merci (yaourts).
On rencontre également des simulations de transgression de la logique
temporelle :
– SNCF. Prenez le temps d’aller vite ;
– Debout, le soleil se couche ! (Whisky J&B) ;
– Philips, c’est déjà demain ;
– Prenez de l’avance sur votre avenir (Hermès Éditions).
La tautologie est omniprésente. Le produit vanté a une valeur telle
qu’il est incomparable et ne peut s’égaler qu’à lui-même : Omo, ça c’est
de la lessive.
Souvent la tautologie est feinte parce que les référents sont
différents :
– Il est le seul (jour de parution) parce qu’il est unique (qualité) (Le Journal du
Dimanche) ;
– Tout ce qui est bon (pour la santé) n’est pas forcément mauvais (pour le goût)
(Gerblé).

1. Exemples cités par Laurence Delain, dans Le Monde du 15-16 avril 2001, sup-
plément « Argent », p. 1.
2. In L’Interprétation des rêves, cité par Baudrillard, op. cit., p. 682.

413
Rhétoriques

Si comparaison il y a, elle accumule les superlatifs et occulte le


comparé pour accroître la valeur du produit et fermer le message à
toute réfutation : Persil lave plus blanc.

Enfin, certains messages prennent la forme d’enthymèmes. Adam et


Bonhomme citent les exemples suivants1 :
– Toutes les vertus sont dans les fleurs, Toutes les fleurs sont dans le miel, Le miel
Trubert (au lieu de : Donc toutes les vertus sont dans le miel) ;
– Il n’y a pas de bulles dans les fruits, Alors il n’y a pas de bulles dans Banga : la
prémisse mineure – car il n’y a que des fruits dans Banga – est éludée, et pour
cause, elle est fausse. Le slogan est juridiquement inattaquable...
– Moi j’aime le naturel et mon visage aime Monsavon. La prémisse mineure est
ici : Or Monsavon est naturel, donc...

2. Les argumentations iconiques

En publicité, l’image prime le langage, car elle est nettement mieux


mémorisée. La plupart des enquêtes le montrent. Reboul, Adam et
Bonhomme citent chacun les résultats suivants. Par rapport à l’indice
général de souvenir établi à 100, l’indice de souvenir de l’annonce à
dominance d’image est de 117, celui de l’annonce à dominance de
texte de 76. 30 % des gens se souviennent de ce qu’ils voient et seule-
ment 10 % de ce qu’ils lisent.
En outre, l’image est saisie immédiatement, elle n’a pas besoin,
comme le texte, d’être déchiffrée. La simple évidence de sa perception
est un argument. Elle possède également un grand pouvoir d’exci-
tation, d’éveil des appétits (faim, érotisme...). Enfin, l’image joue le
rôle d’un fétiche : contempler le produit qu’elle représente, c’est déjà
un peu le posséder.
Cela étant, l’image ne signifie pas par elle-même. Elle a besoin de
l’appui du langage – au moins du nom de la marque – pour être inter-
prétée, pour déclencher un développement argumentatif. En général,
on l’a vu, elle vient valider le texte. Une publicité pour les dentifrices

1. Adam et Bonhomme, op. cit., p. 113 et 116.

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Rhétorique publicitaire

Colgate déclare : un dentifrice protège de façon prouvée là où aucune brosse n’a


accès : sous la gencive ; l’image en appui reproduit une photo laser d’une
dentition, donnant ainsi l’impression que ce dentifrice va, en effet,
jusque-là.
L’image relève davantage de l’épidictique que du délibératif.
L’ « argumentation » iconique procède par association ou par généralisa-
tion. Dans le premier cas, elle montre ensemble deux ou plusieurs élé-
ments – la femme et la voiture, par exemple – pour identifier certaines de
leurs propriétés. C’est le procédé employé pour créer des réflexes
conditionnés. Dans le second cas, elle expose un exemple singulier (on
voit une grosse tache disparaître après application du produit) qu’elle présente
comme une règle générale (ce produit nettoie toutes les taches). L’induction
et la généralisation indues sont consubstantielles à l’image : impossible
pour elle de montrer une règle, encore moins la multitude d’exemples
nécessaires pour asseoir celle-ci ; elle se contente d’une illustration
censée valoir pour tous les cas.
La rhétorique de l’image emprunte les mêmes figures que la rhéto-
rique du discours. Chacune d’elles peut être, en effet, traduite de façon
visuelle : la répétition par la reproduction, l’ellipse par la suppression de
certains éléments iconiques, la tautologie par la présentation du produit
seul sur toute l’image, l’hyperbole par le grossissement voire le gigan-
tisme, la métonymie par la substitution de l’effet à la cause (un réfrigéra-
teur remplacé par un bloc de glace de même forme, la chaussure par son
empreinte) ou l’inverse (la laine remplacée par un mouton), la synecdoque
par l’évocation d’une partie du produit au lieu du produit lui-même
(un airbag pour une voiture), la métaphore par une métamorphose, etc.

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