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XAM Idea Social Science Class 10 2024th


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Mais à quoi bon maintenant retourner en arrière et dépenser votre énergie
en regrets, devant un mal sans remède? Pleurer, c’est doux, oui, je le sais...
Pourtant vous avez mieux à faire, Jacques Chépart.
Ce nom amena un sourire amer sur les lèvres du romancier.
—Vous aussi, docteur, vous connaissez Jacques Chépart?
—Je le connais sous son véritable nom depuis quelques jours, un journal
a commis l’indiscrétion... mais j’admire son talent, depuis longtemps...
C’est un découragé, pourtant il possède—ou je me trompe fort—ce qui
manque à bon nombre de nos romanciers actuels: le sens moral! Il essaye
quelquefois d’abuser ses lecteurs sur l’importance d’une faute ou la réelle
portée du mal, mais il ne s’abuse jamais lui-même et on le sent... c’est
l’essentiel... Jacques Chépart a un grand talent, mon cher monsieur... et il ne
peut mourir d’un chagrin d’amour, il doit en guérir, entendez-vous!
—Ah! comment?
La voix du docteur se fit à la fois plus douce et plus grave.
—Par le travail, mon enfant. Aujourd’hui, vous traversez une crise,
demain vous réfléchirez à ce que je vous ai dit. Retournez à vos livres, à
votre lampe des laborieuses veillées, à votre plume qui vous attend auprès
d’une page blanche... Quand vous vous retrouverez au milieu de ces amis
des heures bonnes ou mauvaises, vous pleurerez peut-être encore, mais
moins amèrement... Et, comme l’a dit un poète, ce sont les grandes douleurs
qui créent les grandes œuvres... Votre génie s’ennoblira de ce que vous
aurez souffert; peu à peu, dans ce mystérieux tête-à-tête avec le meilleur de
vous-même, vos regrets s’atténueront... Je ne veux pas vous dire encore que
vous oublierez—vous ne me croiriez pas!—Cependant l’oubli est au bout
de toute chose... et l’oubli que le travail donne est le seul qui soit digne de
vous.
Le docteur se tut. Mademoiselle Armelle entrait suivie de Janik, et,
bientôt, ce fut l’heure des adieux. La vieille demoiselle y apporta son
habituelle volubilité; elle multiplia ses adjurations à la prudence, ses
recommandations de toutes sortes, elle supplia Bernard de lui écrire, puis
elle lui sauta au cou et le jeune homme l’embrassa sur les deux joues, bien
franchement, comme au temps de Vannes.
Janik attendait, debout à côté de sa tante, le visage décoloré, essayant de
sourire, on ne sait pourquoi, d’un pauvre sourire tremblant qui faisait mal.
Aussi blême qu’elle, les nerfs affreusement tendus pour ne pas crier son
déchirement, Nohel s’inclina devant elle, puis il prit la main qu’elle
avançait timidement.
—Voyons, voyons, pas tant de cérémonies, Bernard, embrassez votre
cousine, mon ami, s’écria mademoiselle Armelle avec bonhomie.
L’embrasser! Bernard se sentit défaillir... tandis que sa pâleur devenait
effrayante, il se pencha sur le front de Janik et y appuya ses lèvres...
—Adieu... murmura-t-il, adieu...
—Au revoir, corrigea mademoiselle Armelle.
Mais Nohel savait bien qu’il ne reverrait jamais la femme de Pierre.
Il pressa vivement la main de M. Le Jariel et s’élança dans la voiture...
Longtemps, il crut sentir la caresse des cheveux blonds.
—Ah! mademoiselle Armelle, pensait le docteur, vous aimez les romans,
vous vous êtes creusé la tête autrefois pour en bâtir un de votre façon et,
pourtant, vous voilà bien innocente devant celui qui se déroule sous vos
yeux, dans votre propre maison... A quoi donc vous sert d’avoir tant lu?
Ce célibataire endurci avait des théories très arrêtées sur le mariage, et il
pensait qu’une des conditions du bonheur dans un ménage est la supériorité
intellectuelle de l’homme. C’était la grande raison qui l’avait porté à
désapprouver les fiançailles que son frère Louis et son amie Armelle
avaient nouées avec une joie attendrie, prenant pour une réalité leur intime
désir et voyant le présent et l’avenir avec des yeux encore éblouis du passé.
A cette époque, Janik avait déjà l’esprit charmant d’une enfant très bien
douée et assez sérieusement instruite; puis, par la réflexion, par la lecture,
par un travail mystérieux de son cerveau, ses facultés naturelles s’étaient
affinées. Elle avait imité «les abeilles qui pillotent de-çà de-là les fleurs,
mais font après le miel qui est tout leur». Peu à peu, en s’assimilant ce
qu’elle récoltait et amassait de pensées étrangères, elle s’était créé une
intellectualité toute personnelle, très féminine, très intuitive, quelque chose
de délicat et de rare comme ces plantes qui ne peuvent vivre que dans une
atmosphère spéciale. Pierre, le meilleur cœur de la terre, avait beaucoup de
bon sens, c’était tout. Ce garçon franc et rond, positif en diable, concevrait
mal le caractère de mademoiselle de Thiaz qu’il froisserait sans cesse, et
involontairement, dans ses plus secrètes fibres. Il y a des papillons qu’un
toucher un peu maladroit blesse à mort; certaines âmes sont comme ces
papillons.
Non, jamais Pierre n’inspirerait à Janik l’affection tendre et forte, faite
de confiance, d’abandon, d’admiration aussi, que toute femme vraiment
femme garde dans un coin de son cœur pour celui qui sera son maître. Un
maître, le pauvre Pierre! Quelle dérision... Et il serait le premier à souffrir!
Le docteur se répétait ces choses, le soir en quittant mademoiselle
Armelle et sa nièce, et il pensait à Bernard que la vapeur emportait vers
Paris, si faible, si désespéré.
Un détraqué, oui, peut-être, ce Bernard, mais un charmeur... Est-ce que,
par hasard, Janik l’aimerait? Elle était bien pâle et bien troublée en lui
disant adieu...
X
Pendant que mademoiselle Armelle, le docteur et Pierre causaient dans
le salon, Janik s’était isolée sur la terrasse. Elle était lasse, si lasse!
Il y avait six semaines que Bernard était parti... Mademoiselle de
Kérigan et M. Le Jariel avaient reçu deux fois de ses nouvelles. Il ne se
ressentait plus de sa maladie, il était très occupé, travaillait beaucoup... Le
nom de la jeune fille n’était pas même mentionné dans le courant des pages;
en terminant, Nohel envoyait «ses respectueux souvenirs à mademoiselle de
Thiaz», c’était tout. Et Janik avait souri, les larmes aux yeux, à cette
formule, dérisoire en sa banalité.
Un autre jour, la vieille demoiselle avait poussé des «ah!» et des «oh!» à
n’en plus finir, en lisant une seconde lettre, plus longue, de son cher
Bernard: «Puisque vous «adorez» Jacques Chépart, disait cette lettre, je ne
puis résister au plaisir de vous adresser une nouvelle édition de ses œuvres
les moins imparfaites, en vous avouant son véritable nom.»
—Comme ces pauvres écrivains sont moins terribles qu’ils n’en ont
l’air! s’écria-t-elle, Jacques Chépart, c’est Bernard! je n’en reviens pas.
La lettre était pleine d’une déférence très affectueuse; mademoiselle de
Kérigan, enchantée, la fit lire à mademoiselle Louise et au docteur, puis,
comme Janik qui travaillait à l’aiguille en écoutant passivement ce que lui
racontait Pierre, n’avait pas donné le moindre signe d’intérêt ou même de
curiosité, elle s’indigna: «Quelle ingrate, cette Janik!... Elle était toute à son
Pierre et ne songeait plus au pauvre Bernard!»
—Et il était en admiration devant elle, docteur... Parfois n’allais-je pas
craindre qu’il ne fût amoureux!
Une interrogation muette et très rapide passa dans les yeux de Pierre,
tandis que mademoiselle de Thiaz tendait la main pour demander la lettre,
mais personne ne s’en avisa.
Elle était calme, cette lettre, et spirituelle, amusante, presque enjouée.
—Allons, pensa Janik, le voici en bonne voie!
Depuis le départ de Nohel, combien de fois avait-elle prié: «Mon Dieu,
faites qu’il m’oublie!»
Maintenant, elle avait froid au cœur en constatant qu’il l’oubliait. Et elle
éprouvait une souffrance révoltée, en se disant que cet oubli irait croissant,
et que c’était inévitable, et que c’était bien heureux!... Un jour, la petite
Bretonne ne serait plus qu’un souvenir pour Jacques Chépart; il
rencontrerait d’autres femmes plus séduisantes; peut-être même un jour
s’éprendrait-il d’une jeune fille très bonne et très jolie... alors il se marierait.
Janik rendit la lettre à sa tante; elle eût voulu se sauver dans sa chambre
pour y pleurer de douleur, de jalousie... presque de honte aussi.
Dieu savait pourtant qu’elle avait combattu pour s’arracher cet amour de
l’âme, pour s’attacher à Pierre!... Mais dès le premier jour de l’arrivée de
son fiancé, des comparaisons s’étaient imposées à son esprit. Oui, dès le
premier jour, au moment où, dans la joie du retour, Pierre lui avait plaqué
sur les joues deux baisers sonores et où elle avait pensé au baiser tremblant
de Bernard à l’heure de la séparation, baiser craintif dont l’émotion l’avait
pénétrée toute et dont la sensation d’angoisse et de délice la poursuivait
encore, comme une tentation mauvaise.
Un si bon garçon, d’humeur si joyeuse, ce Pierre! Mais qu’il était
exubérant, qu’il parlait fort; sa voix bruyante, habituée à dominer le flot,
étourdissait... et Bernard avait la voix grave, un peu voilée et l’on se sentait
bercé par sa parole.
Sur la requête de Janik, Pierre avait raconté ses voyages, il les avait
racontés en homme qui n’est pas dépourvu de toute idée du pittoresque. Les
différents pays, leurs types humains, leurs rites religieux, leurs habitudes
sociales, l’avaient généralement frappé par leur côté original; il les décrivait
avec une sorte de verve naïve qui amusait tout le monde, mais... Là encore
il y avait un mais.
Des critiques modernes ont dit que les livres sont moins précieux par ce
qu’ils contiennent effectivement que par les échos qu’ils éveillent à l’esprit
et à l’âme du lecteur... Janik pensait qu’il en est des pays qu’on traverse
comme des livres qu’on lit, et que le son de la harpe que les mots ou les
sites font vibrer en nous, dépend moins du doigt qui les touche que de la
qualité de nos cordes intimes. Tous les voyageurs ne voient pas de même
parce qu’ils voient au travers de leur propre personnalité; Pierre avait vu
trop bien, trop objectivement dans ses voyages. A tort ou à raison,
mademoiselle de Thiaz se figura que, dans les mêmes pays, Bernard aurait
senti et pensé autrement. Ses souvenirs auraient eu peut-être des contours
moins précis et des couleurs moins vives, mais il aurait mieux saisi les
mystérieuses correspondances des choses et les mots qu’il aurait prononcés
auraient eu d’infinis prolongements dans l’esprit de ses auditeurs...
Cependant, Janik essayait de réagir, de rendre justice à son fiancé, de lui
faire partager sa vie intellectuelle...
Un moment qu’elle était seule avec lui, elle ouvrit les Stances et Poèmes
de Sully-Prudhomme, un poète qu’elle aimait, parce qu’il est doux, chaste
et profond. Dans la journée, en lisant le petit recueil, elle s’était dit
spontanément: «Bernard aurait compris comme moi ce passage...» et pour
se punir de cette pensée, elle s’était juré de lire le passage à Pierre.
Elle lisait bien, à mi-voix, mettant dans chaque mot beaucoup de
pensées. Pierre écouta. Quand elle se fut tue:
—C’est bien subtil, Janik, dit-il.
Un peu déconcertée, elle répondit:
—Vous n’aimez pas cette poésie?
Lui protesta:
—Si, si... c’est très joli... mais j’aime mieux Victor Hugo.
Janik admirait en Victor Hugo le plus merveilleux des artistes du Verbe,
un peintre prestigieux, un poète géant; mais ce nom sonore, jeté au milieu
du poème intime et pénétrant qu’elle savourait, lui fit l’effet de la note
magnifique d’un instrument de cuivre interrompant soudainement le concert
discret et un peu triste d’un violon. Ce qui la choqua, ce ne fut pas l’opinion
de Pierre, mais l’inopportunité de la comparaison qu’il avait faite.
Des mots superbement colorés, d’éblouissantes clartés ou de saisissantes
ténèbres, des lignes majestueuses, une grande voix, de grandes images bien
sonnantes, voilà ce qui pouvait charmer le marin... Mais il ignorait que
chaque poète peut avoir son heure. Quand la nature s’enveloppe dans la
mélancolie des soirs d’automne; quand on se laisse gagner par la langueur
des choses; quand, troublé par le spectacle écrasant des mondes, poussière
d’infini, qui sème d’or la nuit, on se sent inquiet, souffrant... est-ce Victor
Hugo qu’on lit?
Janik avait beau faire, jamais sa pensée et celle de Pierre ne se
rencontraient au même point, jamais leurs cœurs ne battaient à l’unisson.
Tout en Pierre la froissait: jusqu’aux paroles affectueuses qu’il lui débitait à
voix haute, et dont elle trouvait qu’il aurait dû faire un grand secret, puéril
et charmant. Si Bernard avait jamais une fiancée, quels mots doux et
mystérieux il inventerait pour elle!
Et puis aussi, et puis surtout Janik n’aimait pas Pierre, et elle aimait
Bernard. Elle aimait Bernard et, si elle avait bien cherché au fond de son
cœur le pourquoi de cet amour, elle n’y aurait trouvé que le mot exquis de
Montaigne: «Je l’aimais, parce que c’était lui, parce que c’était moi!»
Parfois, cependant, elle se prenait à mépriser Pierre de ce qu’il ne voyait
pas se dresser un obstacle entre elle et lui, de ce qu’il ne comprenait pas
qu’il y avait autre chose qu’une timidité de jeune fille, dans la pâleur qui
envahissait son front, dans le frisson qui glaçait son être, quand il lui baisait
la main—la seule caresse qu’il se permît. Elle se disait qu’après tout, elle
était libre encore, que rien d’irrévocable ne lui interdisait d’aimer Nohel,
d’être aimée de lui... Puis, elle avait un mouvement de remords, elle
plaignait ce pauvre Pierre, si tranquille, si confiant, si fidèle; elle s’en
voulait de ses injustices, et elle pleurait.
... Mais elle ne dormait plus, elle mangeait à peine, et elle s’émaciait de
plus en plus, les yeux trop grands, la taille trop longue, les mains si fluettes
qu’au moindre geste sa bague lui glissait du doigt.
—Et il ne voit rien! Comment ne voit-il rien!... s’écriait-elle quelquefois.
En cela, elle méconnaissait l’affection de Pierre Le Jariel. Il voyait... il
voyait si bien qu’il n’avait pas encore osé demander qu’on fixât la date du
mariage. Souvent, à la dérobée, il regardait mademoiselle de Thiaz avec une
sollicitude inquiète.
—Qu’a-t-elle, qu’a-t-elle? s’était-il répété cent fois. Sous ce front blanc,
qu’y a-t-il que ces yeux ne me permettent pas de lire? Pourquoi nos
pensées, nos paroles se heurtent-elles toujours?
Ce soir-là, il remarqua l’absence de Janik; au bout d’un instant, il laissa
le docteur et mademoiselle de Kérigan à leur causerie, et rejoignit la jeune
fille sur la terrasse.
Elle avait appuyé sa tête fatiguée contre le treillage garni de plantes
grimpantes, et ses yeux, noyés d’une tristesse vague, se fixaient sur quelque
chose de très lointain que personne ne pouvait voir.
Pierre la contempla ainsi, sans qu’elle eût le moindre soupçon de sa
présence. Enfin il dit:
—Janik...
Et elle tressaillit, s’attendant peut-être à une autre voix.
—Ah! c’est vous, Pierre...
—Ma pauvre Janik... vous êtes si pâle!... Est-ce que vous souffrez?
—Mais non... répliqua-t-elle, tentant de sourire...
—Janik, si vous aviez quelque chagrin, vous me le diriez, n’est-ce pas?
Le ton de Pierre était très amical, il avait en observant mademoiselle de
Thiaz de bons yeux de chien fidèle. Elle s’attendrit:
—Oui, Pierre, je vous le dirais... mais je suis très contente, je n’ai rien...
Elle se faisait horreur, car enfin, de cœur et de pensée, elle avait trahi
Pierre. Mais avait-elle le droit de répondre à ce pauvre garçon qui lui
témoignait une si indulgente tendresse: «Je ne vous aime pas, je n’aurai
jamais le courage d’être à vous...»
Ah! ne savoir à qui demander conseil, ne pouvoir confier ce qu’elle
éprouvait, ce qui lui torturait l’esprit, ni à mademoiselle Armelle, qui était
incapable de la comprendre, ni au docteur, qui était l’oncle de Pierre...
Pourquoi ne devinait-il pas ce que Janik faisait tout au monde pour lui
cacher, le docteur?

M. Le Jariel devinait bien le secret de Janik, insensiblement il avait


pénétré les douleurs et les luttes qui minaient sourdement sa petite amie,
mais il ne savait pas à quel parti s’arrêter.
Un après-midi, Pierre, qui avait déjeuné au château, entra de meilleure
heure que de coutume dans le cabinet de son oncle.
—Janik a très mal à la tête, dit-il. Elle est montée dans sa chambre... Je
la trouve vraiment mal disposée ces jours-ci.
Le docteur ne répondit pas, il examinait avec une grande attention les
dessins de son parquet. Pierre continua:
—C’est une étrange fille... Il y a des jours où... je ne sais comment te
dire, mais... je me sens si loin, si loin d’elle.
—Voyons, mon petit,—dit alors M. Le Jariel en relevant brusquement la
tête pour regarder son neveu,—sois franc avec moi, aimes-tu Jeanne de
Thiaz?
—Oui, je l’aime beaucoup et...
—Un mot de trop, interrompit le docteur. «J’aime», cela dit tout. Il n’est
pas d’adverbe qui ne diminue cette parole-là...
—Eh bien! mon oncle, j’aime Jeanne de Thiaz... Mon père et
mademoiselle Armelle me l’ont de tout temps destinée, il me semble avoir
grandi avec l’idée qu’elle serait un jour la compagne et l’amie de toute ma
vie. Quand j’étais au loin, mon cœur faisait d’elle la personnification même
du pays et de la famille; je songeais d’une même pensée à la France, à elle
et à toi... Je l’admire infiniment, bien que souvent elle me surprenne un
peu... Elle est très bonne et très droite, je sens qu’aucune femme plus
qu’elle ne mérite d’être la joie et la fierté d’un honnête homme... Et c’est
par elle que je veux être heureux et fier. Peut-on appeler ce sentiment-là de
l’amour? Je crois que oui.
—Eh bien! moi, mon petit, je crois que non, conclut le docteur... Ah!
quelle folie, ces mariages qu’on arrange comme le vôtre, ces serments
qu’on échange sans en concevoir la gravité... quitte à apprendre plus tard ce
que c’est qu’un véritable amour, et à l’apprendre avec des sanglots!...
Quelle folie! Voilà deux petits amis qui s’aimaient bien, on a voulu en faire
deux amants... on les a crus heureux en vertu de je ne sais quelle chimère,
puis on les a séparés pendant quatre ans... comme si l’absence était bonne
conseillère.
Pierre ouvrit la bouche pour protester.
—Mais, malheureux, Janik ne t’aime pas et tu n’aimes pas Janik!
continua M. Le Jariel. Non, tu ne l’aimes pas... Et tu l’avoues toi-même
quand tu cherches à expliquer ton amour. Elle est pour toi une femme que tu
crois digne d’un honnête homme, elle n’est pas la femme, la seule, l’unique
femme à laquelle ton cœur puisse se donner. Tu parles trop
raisonnablement, je te dis... On est un peu fou quand on aime! Et elle,
voyons, est-ce qu’elle t’aime, elle?
Pierre eut un geste découragé.
—Non, fit-il très bas.
Et il ajouta:
—Mon oncle... il me semble, je... ne crois-tu pas qu’elle ait un chagrin?
Le docteur hésita avant de dire:
—Si, je le crois, mon ami...
Le jeune homme regarda attentivement son oncle, puis, tout à coup, il
éclata:
—Ah! ce monsieur de Nohel, n’est-ce pas?... J’en étais sûr.
—Je l’ignore, mon pauvre enfant, répondit le docteur. Cela se peut...
mais Janik est une noble fille; si elle en aime un autre que toi, elle ne l’a dit
à personne... Si tu veux connaître son secret, c’est à elle qu’il faut le
demander.
Pierre semblait un peu étourdi par cette conviction qui subitement avait
éclairé son esprit.
—Quel homme est-ce donc que ce Bernard! s’écria-t-il avec une certaine
rage.
—Un très brave garçon, mon petit, soyons justes... Moi, je l’aime
beaucoup, pour ma part... Un cerveau mal équilibré... oui, c’est possible...
mais on ne les compte plus, par le temps qui court... Très sincèrement, sans
la moindre arrière-pensée, Janik lui a fait de la morale, et, que veux-tu, elle
est délicieuse, Janik!... Monsieur de Nohel n’était pas plus aveugle que toi,
et il ne la savait pas fiancée... Mademoiselle Armelle aime les longues et
mystérieuses promesses, voilà où cela mène... Quand Bernard a appris votre
engagement, il est parti; était-il trop tard pour le repos de Janik? c’est ce
que je ne puis te dire. J’en suis réduit moi-même aux hypothèses... Sois
patient, sois doux avec cette pauvre enfant... Le temps est un grand maître;
peut-être oubliera-t-elle.
Pierre secoua la tête:
—Non! elle n’oubliera pas, et mon bonheur est empoisonné... Ah! ce
Bernard! Un Parisien, un romancier, un fou!... Elle sont toutes les mêmes,
va!... Moi je ne suis qu’un pauvre gars bien naïf qui l’aimais à ma manière,
—oh! sans grande passion, sans grands mots, mais sincèrement tout de
même... Je l’aimais parce qu’elle est jolie, franche et bonne... Et il faut que
cet homme... Pourquoi l’aime-t-il, lui? Parce qu’elle est trop intelligente,
trop délicate, un peu mystérieuse... Parce qu’elle ne ressemble pas aux
femmes qu’il a déjà aimées, parce que...
—Mon pauvre petit, cet homme aime Janik; il ne l’aime pas parce
qu’elle est ceci ou cela, il l’aime et ça suffit...
—Et Janik, reprit le jeune homme en s’exaltant, Janik en qui je croyais
comme en Dieu!
—Et tu avais, parbleu, bien raison de croire en elle... puisqu’elle a laissé
partir Bernard, puisqu’elle ne t’a pas rendu la petite bague qu’elle porte au
doigt... ce qu’elle avait bien le droit de faire après tout!...
Pierre haussa les épaules.
—Voyons, mon ami, dit le docteur, tu as beaucoup voyagé de par le
monde... tu n’es pas toujours resté sur ton bateau... Est-ce que tu pourrais
me jurer que, pendant ces trois dernières années, tu n’as jamais oublié
Janik... mais là jamais?
Il eut un mouvement de dédain avec un vague sourire.
—Et après? repartit-il... Est-ce que c’est la même chose? Est-ce que j’ai
laissé mon cœur là-bas?

XI
Pierre Le Jariel avait la tête en feu. Il était blessé dans son amour-propre
d’abord, et un peu aussi dans son cœur.
Il lui semblait que quelque chose s’était brisé dans sa vie—oh! non pas
peut-être un lien essentiel, mais une habitude très douce. Était-il possible
qu’un autre lui prît cette Janik charmante qui, de tout temps, lui avait été
promise, cette petite femme de son enfance, dont il avait prononcé le nom
comme un nom de sainte, aux jours de tempête?
Oui, il l’aimait d’une affection toute paisible... parfois elle lui paraissait
trop frêle, trop pâle, trop blonde; elle ne réalisait pas pour lui le type de la
beauté féminine, elle l’impatientait aussi avec ses idées qu’il comprenait
mal... Mais enfin, elle était sa fiancée, elle lui avait juré d’être un jour sa
femme, l’abandonnerait-il à ce romancier, renoncerait-il à tous les projets
d’avenir qu’il avait édifiés?
Non, cent fois non!
Il se montrait irrité, troublé et, disons-le, dérangé dans sa quiétude
coutumière. Le soir, après dîner, sous le prétexte de chercher des nouvelles
de mademoiselle de Thiaz, il se rendit au château. Il ne savait pas
exactement ce qu’il allait dire ou faire, mais il aurait donné dix ans de sa vie
pour s’expliquer clairement avec Janik, et l’accabler de son ressentiment.
La nuit était très belle. Il trouva la jeune fille dans le jardin avec
mademoiselle de Kérigan et sa lectrice. Elle était moins pâle que dans la
journée, cependant on voyait que son esprit s’était envolé bien loin de la
conversation que soutenaient les deux vieilles filles.
Le neveu du docteur s’y mêla un instant, mais, bientôt, il se rapprocha de
Janik, assise un peu à l’écart, et lui demanda si son mal de tête avait
entièrement disparu.
—A peu près, dit-elle avec un sourire absent.
—Alors, voudriez-vous faire un tour de jardin avec moi?
La voix de Pierre était froide; mademoiselle de Thiaz le regarda avec
surprise, mais elle se leva docilement et posa sa main sur le bras qu’il lui
offrait.
Ils s’enfoncèrent dans les allées, marchant sans parler, absorbés tous
deux, et Pierre dit, doucement, cette fois:
—Je ne puis jamais vous voir sans témoin, Janik, nous ne causons que de
banalités, je ne vous connais pas, vous ne me connaissez guère... Ce soir, il
me fallait absolument vous ouvrir mon cœur... Vous m’inquiétez.
—Encore cette idée!
—Ce n’est pas seulement une idée qui me préoccupe, Janik, c’est votre
visage livide, c’est le dépérissement dans lequel vous êtes tombée et qui
n’est pas naturel... c’est... je ne sais quoi de vous qui m’échappe sans
cesse... Je sens un mur de glace entre nous, et je ne peux plus supporter cet
état de choses... Vous n’êtes plus la même, vous êtes malheureuse, je le
sais... et je viens vous demander ce qui vous attriste ainsi... Je veux le
savoir, j’en ai le droit.
Son ton, amical d’abord, s’était transformé peu à peu, devenant très rude.
Suffoquée par cette colère subite, Janik quitta son bras.
—Mon Dieu, qu’avez-vous, Pierre? balbutia-t-elle. Est-ce que je me suis
plainte, est-ce que je vous ai fâché?
—C’est moi qui me plains...
Prise soudain du tremblement nerveux qui, depuis quelque temps, la
secouait toute à la moindre émotion, mademoiselle de Thiaz se laissa
tomber sur un banc, dans le rond-point où, d’un commun accord, ils
s’étaient arrêtés.
—Je vous assure que vous avez tort, Pierre, que mon affection pour vous
n’a pas changé... que je ne suis pas malade... que je ne souffre pas...
En disant cela, elle pensait: «Peut-être qu’à force de souffrir, je
mourrai... alors tout sera bien.»
Et Pierre en eut comme l’intuition.
L’instant d’avant, il avait été sur le point de s’écrier: «Vous m’avez
trompé, vous aimez Bernard de Nohel!...» Et l’idée de ce coup de théâtre
l’avait exalté d’une joie méchante.
Maintenant, il avait honte de sa cruauté.
Dans une de ces visions rapides dont les cerveaux les mieux équilibrés
ne sont pas maîtres, il crut assister une seconde fois à une scène lointaine. Il
revécut l’heure où sa mère était morte. Comme il était blême ce pauvre
visage agonisant! Comme déjà, elle semblait venir d’un autre monde, cette
voix à peine perceptible!... Debout près du lit, Janik se tenait silencieuse
avec des yeux tristes, un peu effrayés du grand mystère; alors, sur un signe
de la mourante, Pierre avait pris la main de sa fiancée et la voix faible, la
voix d’au-delà, avait murmuré: «Je te confie son bonheur; tu en es
responsable, songes-y bien!...»
—Oui, mère, je te le jure...
A cette époque-là, le bonheur de Janik, c’était une idée si simple, une
idée que Pierre séparait si peu de celle de son bonheur à lui! Mais tout
s’était bouleversé... Et il avait juré que Janik serait heureuse.
Mademoiselle de Thiaz se taisait, le regard morne. Enfin elle dit:
—Si nous rentrions, Pierre...
Elle semblait épuisée, elle parlait de retourner au château, avec un air de
ne plus avoir la force de se lever... Saisi d’une profonde pitié, ému d’une
tendresse toute protectrice qui lui revenait des jours d’autrefois où il disait
«petite sœur», Pierre s’assit auprès de la jeune fille.
—Janik, supplia-t-il, voulez-vous me pardonner? J’ai été injuste, j’ai été
méchant, mais c’est fini, je vous le promets... seulement, ayez confiance en
moi.
Il lui avait pris les mains, il la contemplait avec ses yeux fidèles et
indulgents des bons jours.
—Mon Dieu, que puis-je vous dire?... Pierre, ne me torturez pas ainsi,
gémit-elle.
Et, très énervée, elle se mit à pleurer.
—Janik, je vous jure que je ne songe en ce moment qu’à vous, à votre
bonheur... Il y a bien des jours que je vous observe... oui, je sais, vous ne
vous en doutiez pas... mais, j’ai compris beaucoup de choses... d’abord j’ai
compris que vous ne m’aimez pas, Janik?
—Pierre!
—Oui, oui... entendons-nous bien, je suis toujours dans votre cœur le
petit Pierre fraternel avec lequel vous faisiez de si beaux jeux... mais votre
fiancé, oh! non!
Elle ne répondit pas, il reprit:
—J’ai compris cela, et puis encore autre chose... Il y avait une si grande
douleur dans vos yeux!... Janik! ma pauvre petite Janik, ajouta-t-il avec une
sorte de précaution tendre, j’ai compris que vous en aimiez un autre.
Elle jeta un cri étouffé; tout son corps eut un mouvement éperdu;
brusquement, elle cacha son visage dans ses mains.
—Ma pauvre enfant, murmura Pierre en retenant contre son épaule cette
tête qui vacillait, il faut bien que je vous parle ainsi... Écoutez-moi... quand
j’ai eu la certitude qu’un autre, plus heureux que moi, s’était fait aimer, ma
tristesse a été grande et je me suis senti très fâché contre vous, mais
maintenant, ma colère est passée, je ne vous en veux plus, plus du tout... Je
n’étais pas l’homme qui pouvait vous plaire, il y a longtemps que je le sais.
Janik sanglotait.
—Ma petite, ma petite, fit Pierre avec la même douceur, ne pleurez pas...
Cela vaut mieux ainsi, je le sens si bien, moi!... Je ne vous aurais pas rendue
heureuse, je n’aurais pas été heureux... Oui, cela vaut mieux, bien mieux...
C’était un peu difficile à dire... c’est dit maintenant, voilà.
—Oh! Pierre, vous êtes trop bon pour moi... je ne le mérite pas... vous
avez dû me mépriser un moment!... Et pourtant, ce n’est pas de ma faute,
Pierre... Si vous pouviez comprendre... je ne savais pas que... qu’il
m’aimait. Je ne voulais pas, je ne savais pas l’aimer...
Elle pleurait encore. Pierre essayait de l’apaiser. Il lui dit avec une gaieté
affectueuse:
—Ma vraie fiancée à moi, c’est la mer; vous auriez pu être jalouse
d’elle... Avez-vous lu Pêcheur d’Islande? Peut-être qu’un jour elle m’aurait
pris comme le mari de la pauvre Gaud... Tandis que vous resterez toujours
ma petite sœur... elle ne s’en plaindra pas.
Il parlait si simplement que, peu à peu, dans le cœur de Janik descendait
l’impression réconfortante que Pierre n’avait pas beaucoup de chagrin, qu’il
jugeait très sainement, qu’il avait raison, que pour tous deux «c’était mieux
ainsi...»
Elle n’avait plus qu’une pensée, qu’un rêve!
—Lui, Bernard, mon Bernard, m’aime-t-il?
Et elle ne sut jamais que cette minute où, faible et brisée, elle s’était
appuyée sur Pierre, cherchant en lui un soutien, un espoir, avait été la seule
où le pauvre garçon l’eût aimée d’amour...
—Eh bien! mon oncle, nous le lui donnerons son Nohel.
Le docteur avait pris à deux mains la tête de son neveu et l’avait
vigoureusement embrassée.
—Tiens, tu es un brave enfant, toi!
Et ils avaient causé, plus calmes. Le cœur de Pierre saignait bien un peu;
la douleur de Janik lui avait révélé ce que son amour pouvait être, mais il
était content de lui-même, presque fier.
—Oui, nous le lui donnerons son Nohel, dit-il encore, et j’irai le
chercher... afin qu’il sache bien, lui aussi, que c’est moi qui veux leur
bonheur et que... que, par le cœur du moins, j’étais digne d’elle.
Pierre se tut un instant, puis il émit cette idée qui lui venait: Bernard
pouvait avoir oublié Janik, ne l’aimer plus?
M. Le Jariel hocha la tête.
—Si c’est un dernier espoir qui t’inspire cette hypothèse, mon petit, ne
t’en berce pas... J’ai reçu tout à l’heure une lettre de monsieur de Nohel... Il
n’y prononce pas le nom de Janik, mais ce sont bien les pages les plus
désespérées que Jacques Chépart ait jamais écrites.
—Allons, tant mieux! soupira Pierre... Hier, quand nous nous sommes
séparés, elle m’a dit: «Peut-être qu’il m’oublie, lui, pendant que vous
pensez tant à moi, mon pauvre Pierre!...» Elle ne m’avait jamais parlé si
gentiment. C’est étonnant comme la meilleure des femmes a encore des
mots cruels, mon oncle!

XII
Dans le grand cabinet de travail, riche et sombre avec ses vitraux
gothiques, son plafond aux caissons curieusement travaillés, ses murs
tendus d’étoffes anciennes, ses meubles de bois noir et son tapis épais où les
pas bruissaient à peine, Bernard était seul.
Il écrivait sur un bureau très large. En face de lui, dans un vase japonais,
d’énormes chrysanthèmes s’échevelaient, étranges par leur forme et leur
couleur... à l’un des angles de la pièce, le visage fier et le col ajouré d’un
seigneur du temps de Louis XIII sortaient du clair-obscur d’une toile, posée
sur un chevalet; les socles de marbre ou d’ébène portaient des groupes de
bronze qui dessinaient dans la pénombre leurs lignes pures ou tourmentées;
les consoles étaient couvertes de potiches, de statuettes, d’aiguières...
Plusieurs tableaux d’écoles et de temps différents, mais tous beaux, des
buveurs de Téniers, une luxuriante copie du Tintoret, un profil pâle
d’Henner, un Corot tout ensoleillé où glissaient des nymphes, puis, des
aquarelles, des gravures, des pochades modernes, occupaient la partie des
panneaux que ne cachaient pas les bibliothèques; des éditions de luxe, des
albums, des revues en masse s’accumulaient sur les tables... Dans ce cadre
somptueux et artistique où se devinaient à la fois la science d’un luxe
raffiné, et une vie intellectuelle très intense, Bernard de Nohel était à sa
vraie place. En entrant, Pierre en eut l’intuition soudaine et, pour la
première fois, il mesura réellement l’abîme qui existait entre Jeanne de
Thiaz et lui, le marin tout d’une pièce, à peine dégrossi par des études
techniques.
Bernard s’était levé. Sa silhouette mince et aristocratique se mouvait à
l’aise au milieu des sobres élégances qui l’entouraient. Son visage fin, un
peu pâle, terminé par une barbe châtain taillée en pointe, lui donnait une
vague ressemblance avec le grand seigneur Louis XIII du chevalet; dans ses
yeux bleu d’acier, aux profondeurs inquiétantes, tout un drame moral aurait
pu se déchiffrer.
Pierre vit que cet homme avait souffert, mais il ne comprit pas qu’il avait
lutté et qu’un vent d’orage avait passé sur lui, brûlant et impétueux.
Oppressé par l’isolement, las de creuser l’éternelle comparaison: du «ce qui
est», avec le «ce qui aurait pu être», vingt fois Bernard avait été sur le point
de reprendre la sinistre boîte, dans la crédence où elle dormait, ou de se
jeter aveuglément dans son ancienne vie, pour oublier l’autre...
S’il avait résisté, il sentait que le combat n’était pas fini... et il se
demandait si sa défaite n’était pas au bout.
Pierre s’avança, un peu ému lui aussi, de ce qu’il avait à dire.
—Monsieur, commença-t-il, vous ne me connaissez que comme je vous
connais, de nom... Je suis Pierre Le Jariel.
—Je ne sais à quoi je dois l’honneur de votre visite, monsieur,—répondit
Bernard avec une courtoisie parfaite bien qu’un peu froide, en indiquant un
siège au jeune homme,—mais je connais en effet votre nom qui est celui
d’un homme que j’estime infiniment et je suis à votre disposition, quoi que
vous veniez me dire.
Le neveu du docteur se recueillit un instant.
—Monsieur de Nohel, fit-il enfin, nous nous trouvons à l’égard l’un de
l’autre, dans une situation singulière. Et il faudrait, je le sais, pour sauver
d’une sorte de ridicule la démarche que je tente aujourd’hui auprès de vous,
un tact et une habileté de mots que je ne possède pas... Je ne suis qu’un
marin, un homme très simple, un peu rude; prenez-moi donc tel que je suis,
avec mes brusqueries et mes maladresses, en appréciant mes intentions, non
mes moyens.
Bernard s’inclina sans répondre, toujours très calme, n’appréhendant que
ce qui pourrait sortir de pénible pour Janik, de cet entretien dont il ne
prévoyait pas l’issue. Pierre continua:
—Mademoiselle de Thiaz est souffrante...
Si maître de lui qu’il crût être, Nohel ne put retenir une exclamation... La
tête lui tourna, une phrase instinctive, gauche, disant tout ce qu’il voulait
taire, lui échappa:
—Elle est malade, elle est gravement malade, n’est-ce pas?... Je le
sentais...
«Allons, il l’aime bien, pensa Pierre», et il eut un sourire quelque peu
mélancolique.
—Mademoiselle de Thiaz n’est pas gravement malade, monsieur de
Nohel, dit-il..., elle n’est que très faible, très nerveuse, très triste... toutes
choses dont on peut guérir heureusement... Mais, tenez, si vous voulez
m’entendre, oubliez que j’aie jamais été pour Janik autre chose qu’un frère
—cela vous sera d’autant plus facile que, ce qui a changé il y a quatre ans
entre elle et moi, c’est beaucoup plus le nom que nous nous donnions, que
le sentiment qui nous unissait... Cette affection fraternelle très profonde,
toute dévouée chez moi, m’a fait comprendre—sans que mademoiselle de
Thiaz ait proféré une plainte—que ma petite amie souffrait et que si... si elle
n’aimait pas le fiancé que lui avait choisi sa tante, c’était que son cœur en
avait choisi un autre... Voilà pourquoi je suis ici.
—Je vous jure, fit Bernard, que jamais rien ne m’a autorisé à croire que
mademoiselle de Thiaz m’honorât d’un autre sentiment que celui d’une
grande pitié.
—J’en suis convaincu, monsieur... Mais avec l’ami d’enfance qui était
redevenu son frère d’adoption, mademoiselle de Thiaz n’était pas tenue aux
mêmes réserves... Ce que je vous demande maintenant, c’est la réponse
d’un honnête homme à un honnête homme, et je m’adresse à toute votre
loyauté, et à tout ce que mon oncle Le Jariel a deviné en vous de bon et de
généreux: vous aimez Jeanne de Thiaz, votre cri d’angoisse me l’a dit;
l’aimez-vous bien profondément, croyez-vous sincèrement pouvoir la
rendre heureuse?
—Si je l’aime, si je la rendrais heureuse!... Ah! monsieur, je ne sais
comment vous dire, comment...
Une ivresse folle, une reconnaissance exaltée, se lisaient dans les yeux
de Bernard.
Pierre répéta:
—Croyez-vous pouvoir la rendre heureuse?
Alors Bernard eut une seconde d’hésitation. Avant de répondre, il
s’interrogeait lui-même.
Pierre avait demandé une parole grave à un homme, et non pas un banal
serment d’amoureux à un enfant.
Enfin, Nohel dit, très fermement, en regardant le marin dont la
physionomie ouverte lui inspirait une irrésistible confiance:
—Oui, je crois, je sens qu’elle serait heureuse avec moi...
Puis, dans un élan presque indépendant de sa volonté, il ajouta:
—Vous êtes infiniment meilleur que moi, monsieur... Voulez-vous me
donner la main.
. . . . . . . . . .
—Bernard et Janik s’aimaient! Comme ils gardaient bien leur secret!...
Et Pierre qui se sacrifie, c’est superbe! Marions ces enfants, docteur: quel
joli roman!
Telles ont été les conclusions de l’incorrigible Armelle.
Maintenant, Bernard attend dans le salon jonquille. Il a vu mademoiselle
de Kérigan, il a vu M. Le Jariel, et Janik va venir.
Elle va venir et il se le figure à peine. Son bonheur l’étonne comme
quelque chose de trop anormal pour être vrai. L’émotion a décomposé son
visage; les yeux pleins d’extase, il la voit s’avancer vers lui, elle, la petite
mère-grand.
Elle chancelle, brisée par une joie trop forte, un peu pâle dans sa robe
rose, souriante, avec des larmes au bord des paupières...
Et Bernard la regarde toujours, sans faire un pas au-devant d’elle.
Comme autrefois, dans la chambre de la tourelle, il croit à une vision...
Quand elle fut tout près de lui seulement, il prit les deux mains qu’elle
lui tendait et les enferma dans les siennes qui brûlaient.
—Bernard... dit-elle très bas, la voix douce.
—Janik... ah! si vous saviez ce que j’ai souffert!
—Je le sais.
La voix étranglée, il murmura:
—Non, vous ne savez pas, mon ange... vous ne savez pas ce que je suis
quand vous n’êtes plus là, ce que j’aurais été surtout, s’il m’avait fallu vous
perdre... Vous êtes la pureté même... moi je ne suis qu’un homme, très
faible et très malheureux... Janik, je ne veux rien vous cacher... souvent,
pendant ces six semaines de déchirements, je me suis senti redevenir l’être
misérable que j’ai déjà été; voulez-vous me pardonner, voulez-vous me
laisser encore votre petite main compatissante. Malgré mes fautes passées,
malgré ces dernières défaillances, voulez-vous être ma femme?
—Oui, Bernard.
Alors, avec une sorte de respect attendri, Bernard attira la jeune fille
contre sa poitrine où elle s’appuya, tendre et confiante.
—Janik, ma Janik, dit-il de cette voix basse et infiniment pénétrante
qu’il avait quelquefois, vous n’avez pas peur de toute une existence avec ce
Jacques Chépart, que vous avez connu si lâche? Vous voulez bien croire à
son amour, accepter sa vie qu’il vous donne et qu’il rendra digne de vous;
fermer ainsi vos chers yeux et, sans crainte, vous abandonner à lui, pour
toujours? Vous voulez bien, dites?... Regardez-moi.
—Oui, Bernard, dit-elle encore.
Et, levant sur Nohel ses grands yeux lumineux où brillait tant d’amour
qu’il en fut ébloui, elle reprit de sa voix aimante:
—Je veux être votre femme, je veux vous rendre heureux, être heureuse
en vous et par vous... Je n’ai pas peur de Jacques Chépart, je le connais, il
sera mon orgueil et ma joie! Et, puisque vous m’aimez, puisque je vous
aime, je n’ai pas peur de la vie: j’ai foi en vous, j’ai foi en Dieu!
Un long moment Bernard la contempla avec un désir de s’agenouiller
devant elle.
—Oh! ma chérie, répondit-il, vous avez raison d’avoir confiance, car je
vous aime de toutes les forces de mon âme et mon amour est plus pur et
meilleur que moi!... Vous avez raison de croire au bonheur, car je vous
porterai dans mes bras, à travers la vie, et jamais vos petits pieds
n’effleureront les épines... Vous avez raison aussi de ne plus craindre
Jacques Chépart, car vous en ferez un autre homme. Vous saurez le
comprendre et le soutenir, il travaillera pour vous; il veut que vous soyez
fière de l’appeler votre mari!
Et doucement, il entraîna la jeune fille sur la terrasse où ils avaient
échangé tant de paroles cruelles.
On avait ouvert les fenêtres du château, pour y faire entrer le soleil qui
brillait d’un air de fête... Soudain, Bernard aperçut, dans la tourelle, le
portrait de l’aïeule, qu’un rayon nimbait d’or. Alors il lui envoya un regard
de gratitude et, pressant ses lèvres sur le front de sa fiancée, il murmura:
—Petite mère-grand! c’est toi qui me la donnes, «ma conscience en robe
rose!» Et je l’aimerai tant, je serai pour lui plaire si bon, si «sage», que ses
yeux et les tiens me souriront toujours... Merci, merci, petite mère-grand!...

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