Neuronne Sciences
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2024 16:35
Foi et Raison
URI : https://id.erudit.org/iderudit/401022ar
DOI : https://doi.org/10.7202/401022ar
Éditeur(s)
Faculté de philosophie, Université Laval
ISSN
0023-9054 (imprimé)
1703-8804 (numérique)
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SCIENCE ET FOI :
POUR UN NOUVEAU DIALOGUE*
RÉSUMÉ : Depuis Galilée, la situation a bien changé dans les rapports entre la science et la foi.
En science, l'époque du scientisme est terminée ; on reconnaît mieux les approches complé-
mentaires de la vérité. Quant à l'Église, Vatican II affirme clairement l'autonomie de la cul-
ture, particulièrement celle des sciences. Les nouvelles avancées de la science présentent ce-
pendant de nouveaux défis, qui doivent être relevés dans un nouveau dialogue où science et foi
reconnaissent la différence et la complémentarité de leur point de vue.
SUMMARY : Since Galileo, the situation has changed in the relationship between science and
faith. The time of scienticism has passed : scientists acknowledge the complementarity of dif-
ferent ways to the truth. As for the Church, Vatican II holds to the autonomy of culture, espe-
cially of sciences. However, new discoveries in sciences raise up new challenges which should
be addressed in a new dialogue, where science and faith acknowledge the difference and the
complementarity of their own standpoint.
L a science et la foi : ne devons-nous pas choisir l'une ou l'autre, voire l'une con-
tre l'autre ? « Certes, répond un célèbre Prix Nobel, Jacques Monod, car la
science est affaire de connaissance, et la foi affaire de goût. » À l'inverse, et le para-
doxe ne manque pas de piquant, c'est Voltaire qui nous rassure : « une fausse science
fait des athées ; une vraie science prosterne l'homme devant la divinité1 ». Pour Max
Planck, fondateur de la théorie des quanta : « non seulement religion et science ne
* Conférence publique de Son Eminence le Cardinal Paul Poupard, Président du Conseil Pontifical de la
Culture, à l'Université Laval de Québec, le 19 mars 1996. Ce texte, destiné au Laval théologique et philo-
sophique, a été publié depuis par L'Osservatore romano (hebdomadaire en langue française), n° 19, 7 mai
1996, p. 9-10.
1. VOLTAIRE, Dialogues, XXIV, 10.
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contraintes, l'homme de science est porté, quelle que soit sa discipline, par la recher-
che, par l'exigence de vérité. « La science pure est un bien, digne d'être aimé, car elle
est une connaissance et donc une perfection de l'homme dans son intelligence4. » Elle
se définit par ses rapports avec la vérité. Toute science cherche à atteindre la vérité
dans un domaine qui lui est propre. Chaque processus cognitif comporte une option
personnelle pour la vérité.
Quant à l'objet, dans leurs recherches toujours plus affinées et toujours plus pré-
cises, les scientifiques le reconnaissent : les questions ultimes sur le monde et sur
l'homme touchent en définitive à la sphère du sacré, du religieux ; la recherche sur
ce qu'est le monde rejoint l'interrogation sur ce que signifie le monde. Ces évolutions
— progressives et significatives — touchent à la fois le scientifique et le croyant, la
science et la foi. Toutes deux en sont remodelées et le dialogue transformé.
Il existe un constant devoir de recherche. « Les dieux n'ont pas tout dévoilé aux
mortels dès l'origine, pour qu'ils trouvent peu à peu en cherchant le meilleur », disait
déjà Xénophane5. « La science pose des questions, mais n'apporte pas toutes les ré-
ponses » (Paul VI). Cette charge de scruter le monde et ses lois, le savant l'assume
avec enthousiasme. Il pose des questions, mais pas toutes les questions, car son do-
maine n'embrasse pas l'universel. Homme d'expériences, de pensée et de réflexion,
le scientifique progresse dans ses découvertes et ses interrogations, qui s'alimentent
réciproquement et rencontrent nécessairement les affirmations de la foi.
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en Dieu, mais en même temps une bonne part d'entre eux vont chercher les sources
de sens et de vie morale dans leur propre expérience intérieure.
Pour certains, « la belle époque du scientisme serait terminée », tant le domaine
de l'inconnu paraît s'accroître au fur et à mesure des découvertes et de l'avancée des
connaissances. Et le sage Montaigne revient : « Une vraie science est une ignorance
qui se sait. » Je dirais plutôt pour ma part que le scientisme évolue des sciences
exactes où il était dominant, aux sciences humaines où il le devient. La culture scien-
tifico-technique diffusée par les mass médias conduit à un réductionnisme cosmique
et anthropologique, considéré inadéquat par les savants eux-mêmes. Une meilleure
prise de conscience de la singularité de chaque épistémologie permettrait une plus
juste critique des connaissances. L'interdisciplinarité aide à appréhender les limites
de chaque discipline, dont aucune ne peut prétendre au tout.
Par ailleurs, une plus grande lucidité de la science sur l'insuffisance du détermi-
nisme déductif, le caractère formellement incomplet des instruments logiques et ma-
thématiques, les exigences d'unification rencontrées dans la physique théorique, la
découverte de la syntonie extraordinaire entre la structure du cosmos et la vie, la per-
sistance de l'admiration devant l'intelligibilité de l'univers, ouvrent le savoir scienti-
fique à d'autres formes de connaissance. Accepter les limites des personnes et des
compétences entraîne plus loin : « les sciences positives ne nous suffisent pas, car
elles ne se suffisent pas », disait le philosophe Maurice Blondel. Il existe d'autres
formes de connaissance que la science empirique, et diverses approches de la vérité :
la philosophie, la métaphysique, la logique, l'éthique, la théologie, l'esthétique, etc.
« Ils seraient de mauvais explorateurs ceux qui, ne voyant que de la mer, penseraient
qu'il n'existe pas de terre 6 », car «l'inattendu doit toujours être attendu par la
science7 ». Foi et science appartiennent à deux ordres de connaissance différents, qui
ne sont ni interchangeables, ni superposables. La distinction des ordres de connais-
sance et leur autonomie, déjà reconnues par le Concile Vatican I, ont été réaffirmées
plus explicitement encore à Vatican II. La raison ne peut pas tout appréhender par
elle-même. Limitée, elle progresse par le travail interdisciplinaire d'une pluralité de
sciences particulières. Chaque discipline s'appuie sur des postulats, des présupposés
épistémologiques, et ne peut saisir l'unité du monde qu'à l'intérieur de modes partiels
de connaissance : ces tentatives limitées ne peuvent saisir l'unité complexe de la vé-
rité que dans la différenciation, c'est-à-dire dans un ensemble organique qui demeure
ouvert. Le mathématicien Henri Poincaré en était bien conscient : « on fait une
science avec des faits, comme on fait une maison avec des pierres, mais une accu-
mulation de faits ne fait pas plus une science qu'un tas de pierres n'est une maison ».
Il faut un principe unificateur.
Toute activité scientifique est une activité de la personne humaine fondée sur la
recherche de la vérité, en définitive soutenue par une secrète nostalgie, un profond
appel au plus intime de l'être, enraciné dans le cœur : la nostalgie de Dieu. « L'âme
du savant est aujourd'hui inquiète lorsqu'elle se trouve aux frontières de l'inconnu et
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tant qu'il n'était pas confirmé par des preuves irréfutables. C'était pourtant là une
exigence de la méthode expérimentale dont il était le génial inventeur. La preuve
qu'il avançait du mouvement de la terre par les marées sera ruinée par les arguments
de Newton, et celle des vents alizés dépassée par les preuves optiques et mécaniques,
mais ce sera 150 ans plus tard. À l'inverse, Galilée avait raison sur l'interprétation
des textes bibliques : science et foi ne peuvent se contredire. Si les Écritures ne peu-
vent mentir, il faut découvrir leur vrai sens. Tout le problème était là : s'interroger sur
les critères d'interprétation de l'Écriture, ce que la plupart des théologiens alors n'ont
pas su faire. « Paradoxalement, Galilée, croyant sincère, s'est montré plus perspicace
sur ce point que ses adversaires théologiens11. »
De son côté, le Cardinal Bellarmin, esprit ouvert et éclairé, soulevait deux vraies
questions : 1) Galilée avançait-il de véritables preuves de la véracité de la théorie co-
pernicienne ? Il répondait : non ! Et il avait raison. 2) La théorie de Galilée était-elle
compatible avec la Sainte Ecriture ? Il ajoutait avec grande sagesse et prudence, dans
sa Lettre du 12 avril 1615 à Foscarini, que j'ai éditée : «[...] devant une vraie dé-
monstration scientifique des hypothèses nouvelles, il vaudrait mieux dire que nous ne
comprenons pas les Écritures, plutôt que dire que serait faux ce qui est démontré12 ».
Telle est la conclusion paradoxale de la Commission d'études interdisciplinaire,
que j'ai eu le privilège de présenter à Jean-Paul II : Galilée avait raison dans son in-
tuition cosmologique, mais était incapable d'en fournir les preuves irrécusables au
plan scientifique ; Bellarmin avait raison dans son intuition méthodologique, mais les
juges du Saint-Office furent incapables de dissocier la foi d'une cosmologie millé-
naire qui s'avérait erronée, et de revoir leur interprétation des passages bibliques ap-
paremment opposés aux nouvelles théories coperniciennes.
Bellarmin représentait une méthodologie authentiquement scientifique, et res-
pectait avant la lettre une autonomie qui ne soit pas une dichotomie. Et Galilée pré-
sentait dans sa Lettre à Christine de Lorraine, que j'ai aussi éditée, comme un petit
traité d'herméneutique biblique. « Si l'Écriture ne peut errer, écrit-il à Benedetto Cas-
telli, certains de ses interprètes et commentateurs le peuvent et de plusieurs fa-
çons13. »
L'extrapolation n'est pas scientifique. Dans la lecture de la Bible comme dans
celle du réel, il convient de ne pas se tromper de domaines, de ne pas confondre les
compétences. Le Cardinal César Baronius avait raison : « le Saint Esprit nous ap-
prend comment aller au ciel et non pas comment va le ciel ». Bien avant Bellarmin,
saint Augustin en était convaincu : « S'il arrive que l'autorité des Saintes Écritures
soit en opposition avec une raison certaine, cela veut dire que celui qui interprète
l'Écriture ne la comprend pas correctement14. » Voilà qui était clair, et Bellarmin ne
pensait pas autre chose que Galilée à cet égard. Malheureusement, ses juges ont
11. JEAN-PAUL II, dans P. POUPARD, Après Galilée. Science et foi : nouveau dialogue, Desclée de Brouwer,
1994, p. 192.
12. P. POUPARD, op. cit., p. 10 et 38-40.
13. Ibid., p. 102.
14. SAINT AUGUSTIN, Epistula, 143 ; PL, 33, 588.
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transposé indûment dans le domaine de la doctrine de la foi une question de fait rele-
vant de l'investigation scientifique. Il était important de reconnaître ces torts, avec la
mesure disciplinaire imméritée entraînée par cette erreur de jugement. Et je sais gré
au Pape Jean-Paul II de l'avoir publiquement et solennellement reconnu à ma de-
mande15.
L'Église — c'est le paradoxe de notre modernité déjà ébréchée en postmodernité
— défend la valeur de la science. Avec Jean-Paul II (10 novembre 1979), elle lance
un appel à tous les savants à faire « progresser toujours et plus intensément les scien-
ces, sans leur demander rien de plus, parce qu'en ce noble labeur consiste la mission
de servir la vérité ». L'Église se réjouit des progrès obtenus. Elle reconnaît les vertus
des savants, « non seulement les exploits de leur intelligence, mais aussi leur mérite
professionnel, leur honnêteté intellectuelle, leur objectivité, leur recherche du vrai,
leur autodiscipline, leur coopération en équipe, leur engagement à servir l'homme,
leur respect devant les mystères de l'univers16 ». C'est à la science qu'il faut attribuer
ce que le Concile dit de certains aspects de la culture moderne : « Les conditions
nouvelles affectent la vie religieuse elle-même [...]. L'essor de l'esprit critique la pu-
rifie d'une conception magique du monde et de survivances superstitieuses, et exige
une adhésion de plus en plus personnelle et active à la foi ; nombreux sont ainsi ceux
qui parviennent à un sens plus vivant de Dieu17. »
L'Eglise ne prétend pas régenter la science. «La vérité scientifique n'a de
comptes à rendre qu'à elle-même, et à la vérité suprême qui est Dieu » (Jean-Paul II,
10 novembre 1979). « De même que la religion exige la liberté religieuse, de même
la science revendique légitimement la liberté de recherche. » Paradoxalement, au-
jourd'hui, sur la scène du monde, la pièce de théâtre classique se joue à fronts renver-
sés : ce sont des scientifiques qui doutent d'eux-mêmes, et des hommes d'Église qui
affirment la valeur de la science et de la raison, au service de l'homme, dans une
quête de sens, ce nouvel humanisme de la civilisation de l'amour, chère à Paul VI.
« La théologie implique la comparaison continuelle de la vérité que Dieu nous a ré-
vélée avec la connaissance fournie par la recherche scientifique » (Jean-Paul II).
Cette confrontation, reconnaissons-le, n'est pas toujours facile, tant les problèmes
sont complexes et la formation des deux partenaires souvent insuffisante.
1. Quatre défis
Des points de tension demeurent. Le contraire serait étonnant, car science et foi
sont « deux modes différents et complémentaires d'accéder à la connaissance, desti-
nés inexorablement à s'affronter18 ». L'homme est affronté à trois humiliations : bio-
15. P. POUPARD, op. cit., p. 96 et 104.
16. JEAN-PAUL II, à l'Académie Pontificale des Sciences, 28 octobre 1986.
17. Gaudium et spes, n° 7.
18. PAUL VI, à l'Académie Pontificale des Sciences, 5 avril 1964.
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logique, selon Darwin, il ne serait qu'un animal issu du monde animal ; cosmologi-
que, depuis Copernic, il n'est plus le centre du cosmos ; psychologique, avec Freud, il
croit perdre sa maîtrise intérieure sous le jeu des pulsions. Devant cette triple humi-
liation anthropologique, la bioéthique constitue le terrain privilégié pour un nouveau
dialogue entre l'Église et la science, devant trois représentations gravement réductri-
ces de l'homme, qui ne serait qu'un animal sans finalité, un complexe génétique sans
liberté, un cerveau sans pensée empreinte de spiritualité.
Le premier défi vient de la paléontologie. L'histoire nous montre les médecins
anatomistes qui dissèquent des cadavres et pratiquent la vivisection à des fins scienti-
fiques. Elle nous présente aussi un Descartes dualiste. Mais, dans l'un et l'autre cas,
l'anthropologie chrétienne n'est en rien entamée. Depuis lors, le transformisme pré-
sente l'homme comme un simple avatar du règne animal. Les créations successives
du zoologiste Georges Cuvier demeuraient dans une perspective de création ; l'hom-
me venait en dernier lieu, au sommet du processus, comme son couronnement. Mais,
au XVIIIe siècle, Buffon entrevoit la filiation générale des espèces, scientifiquement
argumentée avec Maupertuis, Lamarque et surtout Darwin. La théorie transformiste
propose la thèse d'une longue évolution — maturation de la vie, de la glaise initiale
jusqu'à l'homme. Et à cet égard, la réaction spontanée d'une lady un peu précieuse
est significative : « Descendre du singe ? Espérons que ce n'est pas vrai ! Et si ça
l'est, prions pour que la chose ne s'ébruite pas. »
Le darwinisme, devenu entre-temps le néo-darwinisme, triomphe dans les années
1930-1960, pour être battu en brèche de nos jours, car il n'explique pas tout en ma-
tière d'évolution. Si l'évolution ne fait plus question, ses mécanismes sont beaucoup
plus complexes que ne le pensait Darwin. La sélection naturelle est loin d'être
l'unique facteur de la genèse des espèces, et elle ne peut être le moteur de l'évolution.
Malgré de dérisoires affirmations : l'homme, fruit du hasard, tiré à une quelconque
loterie, résultat d'un bricolage cosmique, « numéro sorti au jeu de Monte-Carlo19 »,
reconnaissons-le, l'énigme demeure de ce qui se cache derrière ce hasard, mais ne
relève plus de la science. Demeure l'énigme de la pensée, car nos capacités mentales
ne sont pas le seul résultat d'une adaptation évolutive. Plutôt que d'adaptation, il
vaudrait mieux parler d'adaptabilité pour l'homme. L'intelligence advient, non
comme un effet de l'évolution, mais comme un facteur de celle-ci.
Le second défi vient de la génétique. Quelle merveille que ce génome humain ! Il
contient quelque 3,5 milliards de bases, c'est-à-dire, en attribuant à chaque base une
lettre de l'alphabet, 700 000 pages de 5 000 caractères, soit; une pile de 33 mètres de
haut de revues ou mille Bibles ! Tout être vivant se forme à partir d'un programme
inscrit dès la fécondation dans ses chromosomes. À l'exception des vrais jumeaux,
chaque individu est le produit d'une combinaison absolument unique de gènes. C'est
la part d'inné, que l'homme ne saurait modifier. Des criminologues ont imaginé un
chromosome du crime ; on pressent sans peine le sens sous-entendu d'une telle vi-
sion : l'homme serait prisonnier, esclave de ses gènes. Adieu liberté ! Les comporte-
ments dépendraient purement de gènes déterminés. La sociobiologie, qui applique
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ces données à l'homme en société, étudie les rapports entre individus par le biais des
comportements sociaux. De même que la structure coopérative des fourmis est due à
un gène, il en irait de même pour l'altruisme. Mais est-il légitime de passer d'obser-
vations plausibles sur d'aimables hyménoptères, ou d'expériences sur les mœurs des
papillons, à l'homme ? Les guerres seraient-elles dues à des gènes de la conquête ou
à la malice des hommes ? L'aptitude à la culture est-elle génétiquement codée ? Qui
oserait le dire, en pensant au jeune Mozart et au sourd Beethoven ? Un même gène
intervient souvent dans l'expression de plusieurs caractères, et un même caractère est
régi par de nombreux gènes, que nous ne savons pas tous identifier. S'il est vrai que
des gènes ou des malformations génétiques comme le syndrome de Down, ou triso-
mie 21, identifié par le professeur Jérôme Lejeune, peuvent contrarier l'exercice
normal de certaines facultés, comment, en revanche, sans extrapolation indue, parler
de gènes de l'intelligence ?
Le troisième défi vient des neurobiologistes, qui prétendent expliquer l'homme et
la pensée par les réactions physico-chimiques du cerveau. Selon le principe
d'économie, qui exige de ne pas multiplier sans nécessité les causes d'un phénomène,
« la pensée c'est le cerveau20 ». Elle ne serait pas plus mystérieuse que la digestion, et
le Docteur Cabanis pourrait répéter sans sourire : « le cerveau produit la pensée,
comme le foie secrète la bile ». Triomphant avec les localisations cérébrales, comme
les Aires de Broca, le neurobiologiste utilise des techniques impressionnantes : plus
question de scalpel, ni même d'electroencephalogramme, renvoyés au musée de la
technique, mais de caméra à positrons, de tomodensitométrie, d'imagerie par réso-
nance magnétique nucléaire.
De telles recherches entrouvrent la possibilité de la fascinante « IA », l'intelli-
gence artificielle, désormais possible si ce n'est accessible, puisqu'on prétend avoir
matérialisé la pensée. Si « penser c'est calculer » (Hobbes), alors un ordinateur fera
l'affaire. Un ouvrage collectif récent, La Peau de l'âme, affirme sans ambages : « le
défi à réaliser est de transporter l'esprit humain dans une "machine à penser"21 ».
Pour le cybernéticien espagnol Luis Ruiz de Gopegui, « nous ne serions que des au-
tomates conscients22 ». Le raisonnement est simple : l'esprit est le cerveau, le cerveau
est un robot. Après être descendus du singe, nous voici promus au rang de machine
informatique, invités à rêver... au transfert de notre contenu cérébral sur un ordina-
teur, suite à une opération de désinsertion corporelle. Et, en plus, l'information sera
installée « sur un corps tout neuf et scintillant23 ». N'est-ce pas oublier que l'ordi-
nateur ne raisonne pas, et n'est qu'une « quincaillerie électronique » (René Thom).
Des opérations formelles d'ordre mathématique ne sont pas la pensée humaine : il
faut quelqu'un pour codifier les données au départ, et interpréter les résultats à
l'arrivée. Ce qu'étudient nos biologistes, ce sont les processus neurocérébraux qui
20. FEIGL, The Mental and the Physical, thèse, Minneapolis, 1967.
21. Michel SIMON, La Peau de l'âme, Paris, Cerf, 1994.
22. Luis Ruiz DE GOPEGUI, Cibernética de lo humano, Madrid, 1983.
23. MORAVEC, Robotica, Barcelone, 1986, p. 114-117.
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accompagnent la pensée. La pensée leur échappe, comme la vie aux alchimistes, cette
pensée qui explique la matière, inexplicable sans la pensée.
En définitive, la biologie moderne ne peut atteindre à Y unité foncière de l'être
humain, à son intégrité personnelle complexe, qui allie subjectivité et corporéité.
Science de la vie, elle n'est pas science du vécu. Elle aborde l'homme du dehors, non
du dedans, cette instance psychique irréductible, qui ne se laisse pas expliquer
comme le fruit émergent d'une évolution purement matérielle. Elle est d'un autre or-
dre. « L'homme passe infiniment l'homme » (Pascal). Il y a beaucoup plus en lui que
ce que nous y découvrons grâce aux sciences biologiques, psychologiques, sociologi-
ques. Comme le suggérait Blondel, il faut aller « des sciences de la vie à la science de
la vie ». Science et vie prennent alors une profondeur de sens qui transcende la ma-
tière, le reflet d'un Soi absolu, et l'appel à une Vie au-delà de toute autre vie.
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24. Voir Victor WEISSKOPF, La Signification de la pensée d'Einstein, Pontificia Academia Scientiarum, Édi-
tions Vaticanes, 1980, p. 31.
25. Thierry MAGNIN, La scienza e l'ipotesi di Dio, San Paolo, Cinisello Balsamo, 1994.
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pre. J'aime à cet égard citer saint Thomas : « il ne faut jamais, par des preuves insuf-
fisantes, rendre le dogme ridicule aux yeux des non-croyants26 ».
1. Fondements philosophiques
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rappeler la science à l'intérieur de ses limites, mais plutôt de montrer quels sont ses
vrais fondements.
2. Le rationnel et le raisonnable
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CONCLUSION :
TRANSCENDANCE DE LA PERSONNE
ET SYNTHÈSE DE SAGESSE
En conclusion, je voudrais proposer deux critères pour ce dialogue que nous ve-
nons d'évoquer entre science et foi : reconnaître la transcendance de la personne ; re-
chercher la vérité dans la pluralité des divers ordres de connaissance, qui convergent
dans une synthèse harmonieuse unique, fondée sur l'homme en quête de vérité et
d'amour.
Tout d'abord, la cause de l'homme est servie lorsque la science s'allie à la cons-
cience. « Sens sans conscience n'est que ruine de l'âme. » L'homme de science aide
vraiment l'humanité, s'il conserve le « sens de la transcendance de l'homme » sur le
monde, « et de Dieu » sur l'homme36. L'homme doit apparaître toujours davantage
pour ce qu'il est : une fin et non un moyen ; un sujet et non un objet. Et dans son in-
tégralité <¥homofaber et homo sapiens, homo ludens et homo oeconomicus, l'homme
est aussi et toujours, l'homme est d'abord et surtout homo religiosus.
Et il existe une vérité objective, à laquelle foi et science doivent tendre dans un
dialogue interdisciplinaire persévérant. L'acceptation du réel tel qu'il se présente, et
non tel qu'un chacun pourrait l'imaginer, entraîne un goût de la recherche et de la
formation personnelle. Savoir reconnaître les limites de sa discipline est fondamental,
c'est déjà les dépasser, et ne pas se laisser enfermer par elles. La diversité des ordres
de connaissance appelle une synthèse des connaissances où ils convergent dans une
intégration des savoirs. Toute spécialisation ne s'équilibre que dans une réflexion at-
tentive à relever ses articulations avec les autres, dans une culture harmonique, aux
vues amples, non fragmentées. La vraie culture est humanisme, elle est sagesse. Elle
se construit autour de l'homme, en quête de vérité et d'amour. Elle requiert une for-
mation appropriée en philosophie et en théologie, comme en chaque discipline scien-
tifique. Chaque chrétien devrait être, permettez-moi l'expression, un professionnel du
christianisme, apte à « rendre compte de l'Espérance qui l'habite » (saint Pierre).
« La rencontre entre la science et la foi pose des problèmes que les croyants peuvent
résoudre en se servant de leur raison. Mais cela suppose qu'il s'agisse de croyants
36. JEAN-PAUL II, Discours à Hiroshima. Rencontre avec les savants, 25 février 1982.
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