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Titrisation Un Outil Pertinent de

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Policy Brief March 2015

PB-15/13

La technique de la titrisation : un outil pertinent de


financement des industries minières ?
Par Yves Jégourel

Résumé
La stratégie d’intégration verticale des producteurs miniers nécessite de trouver les conditions de son financement. De
nombreux schémas sont pour cela envisageables et la technique de la titrisation, bien que largement stigmatisée depuis
la crise financière de 2008, doit être considérée. Plusieurs conditions doivent cependant être réunies et il est peu pro-
bable que la titrisation hors-bilan s’affirme, sous sa forme actuelle, comme un des modes importants de financement
des capacités de production de ce secteur. Quelle que soit la portée d’une telle affirmation, une chose apparait cepen-
dant certaine : un accès régulier aux marchés financiers demeure une des conditions sine qua non de la performance
économique à long terme des groupes miniers.

A l’image du Maroc, du Gabon ou de l’Indonésie, de la technique de la titrisation ne peut être oubliée. Apparue
nombreux pays producteurs de matières premières se sont au début des années quatre-vingt sur le marché américain,
engagés dans une mutation industrielle majeure visant à la titrisation d’actifs hors-bilan (off-balance-sheet) offre
réduire la part relative de l’activité d’extraction au profit en effet des perspectives intéressantes. Deux types de
de celle visant à transformer le minerai. L’ambition est produits doivent ici être distingués : les asset backed se-
grande et de nombreuses conditions doivent être réunies curities (ABS) lorsque les créances faisaint l’objet de
pour qu’une telle stratégie réussisse. Au sein de celles-ci, cette titrisation sont homogènes et les collaterized debt
la capacité à attirer les investisseurs, notamment interna- obligations (CDO) dans le cas contraire. Si les ABS les
tionaux, est essentielle afin de répondre aux importants plus connus portent sur des créances hypothécaires, qu’il
besoins de financement qu’une telle évolution implique. s’agisse d’immobilier résidentiel (Residential mortage
De l’endettement par émission obligataire au financement backed securities-RMBS) ou commercial (Commercial
bancaire en passant par la création de joint-ventures, les mortgage backed securities –CMBS), tout actif offrant
stratégies pour y parvenir sont multiples. Dans ce con- des flux de revenus stables peut faire l’objet d’une titrisa-
texte et bien qu’elle fut largement mise en cause lors la tion.
crise des subprimes de 2007 et la crise financière de 2008,
1 La titrisation bilancielle (« on balance sheet ») correspond quant à elle aux
« covered bonds ».

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OCP Policy Center Policy Brief

Encadré 1 : Le mécanisme de la titrisation hors-bilan

Dans un tel mode de financement, un pays, une banque ou une entreprise (l’originateur ou cédant) cède à un véhi-
cule juridique ad hoc, ou special purpose vehicle (SPV), des créances et les droits/obligations qui s’y rattachent en
échange d’un paiement comptant. Pour financer une telle transaction, des titres sont émis sur les marchés moné-
taires par le SPV puisque celui-ci, créé dans le seul but de réaliser cette opération de titrisation, ne dispose pas de
ressources propres. L’investisseur qui détient de tels titres bénéficie alors d’un rendement gagé sur les flux finan-
ciers de la créance, souvent plus élevé qu’un titre de dette traditionnel, mais porte tout ou partie du risque de dé-
faut. Le cédant dispose quant à lui d’un financement a priori moins coûteux qu’une émission obligataire et dont un
des avantages est de ne pas peser sur le niveau d’endettement.

Schéma 1: Le fonctionnement simplifié d’une opération de titrisation

Dans le cas des asset-backed securities (ABS), les titres émis portent de manière homogène le risque de crédit des
débiteurs. Dans le cas plus complexe d’une collaterized debt obligation (CDO), les créances cédées sont générale-
ment moins nombreuses mais d’un montant plus important et les titres sont émis par tranche représentative de ni-
veaux de risque différents, selon un principe de subordination. De façon schématique, la tranche dite « equity »
supporte les premiers risques de pertes et les tranches intermédiaires dites « mezzanine » ne sont exposées à un
risque financier que lorsque l’intégralité de la tranche equity est consommée. La tranche senior est la moins risquée
et bénéficie traditionnellement du rating AAA. Le rendement proposé pour chacune de ces tranches est naturelle-
ment proportionnel au risque encouru.

Derrière le schéma usuel d’une opération de titrisation ces créances peuvent résulter soit d’un acte déjà interve-
peuvent se cacher des procédures plus diverses. nu, soit d’un acte à intervenir, que le montant ou la date
L’opération de titrisation peut, en premier lieu, ne porter d’exigibilité soient ou non encore déterminés. La « titrisa-
que sur le transfert d’un risque et non d’un actif au sens tion de revenus futurs » peut ainsi porter sur des crédits
strict : l’émission régulière par l’industrie de la réassu- commerciaux, des revenus locatifs (crédits-bails, loyers)
rance de « cat bonds » qui transfèrent aux investisseurs le ou… des royalties à l’image du chanteur David Bowie qui
risque de survenance d’une catastrophe naturelle en titrisa ses droits d’auteurs en 1997. Le principe en est
échange de coupons a priori attractifs en est un exemple. simple et proche d’une opération de titrisation classique :
Dans le cas de la tritrisation d’actifs, il n’est en second échanger une richesse future liée à la perception de ces
lieu pas légalement nécessaire que la(s) créance(s) soit revenus contre un financement immédiat. Rappelons en-
née(s) pour qu’une opération de titrisation soit mise en fin que cette technique n’est pas propre aux établisse-
œuvre. Au Maroc par exemple, l’approbation du projet ments de crédit ou, plus largement au secteur privé, et
d'amendement de la loi n° 33-06 relative à la titrisation de nombre d’administrations publiques ont eu recours à cette
créances, ouvrant cette activité à des actifs plus variés, technique. Le financement récent, de 380 millions d’euros
témoigne de cette réalité. L’article 16 précise ainsi que 2
OCP Policy Center Global Morocco
Policy Brief

d’un projet de construction autoroutière en Inde repose en latine pratiquèrent en effet assez largement cette tech-
partie sur la titrisation des revenus de péage comme le fit nique. La compagnie Qatar General Petroleum en est un
la province de Hong-Kong en 2004. La titrisation des exemple : elle a pu notamment lancer en 2003 un pro-
recettes fiscales fut également largement utilisée dans les gramme de titrisation de ses recettes commerciales de gaz
années 1990/2000, notamment par les provinces des pays naturel liquéfié afin de financer l’expansion de ses capa-
d’Amérique du sud. cités de production en gaz pour un montant de de 1,2 mil-
liards de dollars, dont 1/3 par titrisation. Des programmes
Les revenus tirés de l’exploitation des matières premières similaires ont également été mis en œuvre au Brésil et au
furent également l’objet de programmes de titrisation, Venezuela par les compagnies publiques pétrolières
pour le gaz et le pétrole en particulier. Les entreprises Petrobras et PDVSA au début des années 2000.
sous contrôle étatique des pays du Golfe et d’Amérique

Encadré 2 : La titrisation de revenus futurs dans le secteur des matières premières

Dans un tel financement, les recettes commerciales futures sont cédées à un SPV qui émet des titres pour financer
cette acquisition. Un swap de matières premières peut alors être utilisé afin de convertir en prix fixes des revenus
commerciaux dépendants des prix au comptant des matières premières considérées, et ainsi offrir un rendement
stable aux investisseurs ayant acheté les titres émis. Sous un schéma anglo-saxon, la présence d’un « trustee » as-
sure la protection des investisseurs en garantissant notamment que la documentation juridique de la transaction est
conforme.

Schéma 2 : Le fonctionnement simplifié d'une opération de titrisation de revenus commerciaux

Alors que la crise financière avait largement jeté ments financiers utilisés à l’étranger, dont la titrisation,
l’opprobre sur ce mode de financement, un retour en pour financer l’urbanisation du pays.
grâce s’observe depuis quelques mois. Deux exemples en
témoignent. En annonçant, le 4 septembre 2014, que la Le secteur des matières premières n’est pas exclu de cette
Banque centrale européenne allait s’engager dans un pro- dynamique et plusieurs opérations de titrisation de finan-
gramme de rachats de produits titrisés, le président Mario cements des activités de négoce de matières premières
Draghi a ainsi clairement donné le signal aux marchés et ont récemment eu lieu. BNP Paribas a ainsi émis en août
au secteur bancaire que la titrisation est redevenue un 2013 des obligations adossées à des financements tran-
outil pertinent de financement des économies euro- sactionnels de matières premières pour un montant de
péennes. En 2013, c’est Zhou Xiaochuan, gouverneur de plus de 132 millions de dollars. Signe que ce renouveau
la Banque centrale chinoise qui déclarait lors d’une ses- n’est pas propre au secteur bancaire, l’entreprise de né-
sion annuelle de la Conférence consultative politique du goce Trafigura a quant à elle lancé un vaste programme
peuple chinois vouloir considérer l’ensemble des instru-
3
OCP Policy Center Agriculture and Food Security
Policy Brief

de titrisation de ses créances commerciales en 2004 et a capitaux requis pour mettre en œuvre une mine ou une
pu, en 2012, lever près de 430 millions de dollars auprès usine de transformation, il est dès lors probable que
d’investisseurs européens et américains. Les nouvelles d’autres sources de financement doivent être trouvées. Il
contraintes réglementaires de Bâle III, pesant sur la importe également que les actifs titrisés soient assez li-
commodity trade finance comme sur l’ensemble des acti- quides et qu’ils bénéficient –idéalement– d’un marché
vités de financement, explique cette externalisation du financier permettant non seulement de les valoriser en
risque de financement2. Du côté des entreprises produc- temps continu, mais également de mettre en œuvre des
trices, peu d’opérations semblent avoir vu le jour récem- solutions de hedging assurant une meilleure stabilité des
ment, mais il ne fait guère de doutes que celles-ci émer- flux de revenus pour l’investisseur. La relative prévisibi-
geront de nouveau lorsque les conditions macroécono- lité des facteurs d’offre et de demande est un élément
miques mondiales s’amélioreront. tout aussi crucial pour l’investisseur. Les matières pre-
mières minérales n’ont pas toutes ces caractéristiques et
« Les émissions obligataires récentes de il n’est de ce point de vue pas surprenant que le recours à
la titrisation soit bien plus fréquent dans le secteur pétro-
grands groupes africains témoignent certes
lier que pour d’autres commodities. La finance n’est ce-
de l’intérêt des investisseurs pour des entre- pendant pas un monde figé, bien au contraire, et il pas
prises offrant une stratégie industrielle cohé- impossible que d’autres modes de financement titrisés
rente et pleinement identifiée, mais elle dé- voient le jour, à l’image des covered bonds, pour assurer
le besoin de financement des industries minières, si celui-
montre surtout qu’un accès régulier aux mar- ci venait à se renforcer. La qualité et la stabilité de
chés financiers est une des conditions sine l’environnement légal et réglementaire des activités de
qua non de leurs performances économiques financement et d’investissement sont en cela essentielles
à long terme. » pour que ces industries, mais également tous les entre-
prises ou secteurs de croissance d’un pays, puissent trou-
ver les moyens financiers de se développer. Les émis-
Qu’en sera-t-il pour le secteur minier ? A l’image de ce
sions obligataires récentes de grands groupes africains
que fit la République Démocratique du Congo, le Zim-
témoignent certes de l’intérêt des investisseurs pour des
babwe a obtenu de la Chine un financement de 2 mil-
entreprises offrant une stratégie industrielle cohérente et
liards de dollars en août 2014, gagé sur les revenus mi-
pleinement identifiée, mais elle démontre surtout qu’un
niers futurs, notamment les diamants, pour l’extension de
accès régulier aux marchés financiers est une des condi-
ses centrales électriques et le développement d’une mine.
tions sine qua non de leurs performances économiques à
Proche d’une titrisation « on-balance sheet », cette opéra-
long terme. Dans un univers fortement concurrentiel, la
tion atteste certes que l’intérêt pour ce mode de finance-
capacité de la bourse de Casablanca à gagner en profon-
ment demeure intact, mais également des exigences fi-
deur et de « Casa finance city » à innover pour s’affirmer
nancières accrues des créanciers internationaux lorsque le
comme une place financière internationale doit désormais
contexte économique et politique est difficile. Il n’est
être l’objet de toutes les attentions.
ainsi pas certain que la titrisation hors-bilan s’affirme,
sous sa forme actuelle, comme un des modes importants
de financement des capacités de production dans le sec-
teur minier. Outre les questions liées à la stabilité poli-
tique et à la protection juridique des investisseurs, plu-
sieurs éléments fondamentaux doivent être pris en
compte pour qu’une telle technique puisse s’appliquer.
L’effet de taille est le premier d’entre eux. La réduction
du risque porté par l’investisseur impose souvent une sur-
collatéralisation de 3 à 5 pour 1, signifiant que pour 1
euro emprunté sur les marchés, 3 à 5 euros d’actifs phy-
siques doivent être gagés. Compte-tenu de l’ampleur des

2 Policy Brief
Pour une analyse plus détaillée sur ce sujet, voir les Policy Briefs suivants :
OCP Policy Center Policy Brief n°15/02, «Les mutations du marché des ma-
tières premières - Partie 1: réglementation prudentielle et désengagement du
secteur bancaire» et OCP Policy Center Policy Brief n°15/05, « Les mutations
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du marché des matières premières - Partie 2 : quel rôle pour les entreprises de
négoce international ?
OCP
OCPPolicy
PolicyCenter
Center Policy Brief

About the author About OCP Policy Center

Dr Yves Jégourel is associate professor in finance at the OCP Policy Center is a Moroccan policy-oriented Think
University of Bordeaux (France), affiliate professor at Tank whose mission is to contribute to knowledge shar-
Toulouse Business School and a Senior Fellow at OCP ing and to enrich reflection on key economic and interna-
Policy Center. Y. Jégourel conducts research in commod- tional relations issues, considered as essential to the eco-
ity economics and financial risk management. His most nomic and social development of Morocco, and more
recent research examines the link between the volatility broadly to the African continent. For this purpose, the
of the futures market, exchange rate uncertainty and the Think Tank relies on independent research, a network of
export of cereals. He is also the head of a master program partners and leading research associates, in the spirit of
focused on banking, finance and international trad- an open exchange and debate platform.
ing both at the University of Bordeaux and at Vietnam
National University (Hanoi, Vietnam).

Dr. Jégourel has authored several books in the field of


finance, including a work studying financial derivatives.
He holds a BA from Middlesex University and a MsC
and a PhD from the University of Bordeaux, and is a
former auditor with the Institute of Higher National De-
fence Studies (IHEDN).

The views expressed in this publication are the views of the author.

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