Canada C. Baker
Canada C. Baker
Canada C. Baker
2020 à 17:04
Juridiction
INSTANCE : Cour suprême du Canada (Cour féd.) (C.S. Can.)
Numéro de dossier
25823
Décideur(s)
Juges L'Heureux-Dubé, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci, Bastarache et Binnie
Date(s) de la décision
DÉCISION : 1999-07-09
Référence(s)
AZ-99111041
J.E. 99-1412
[1999] 2 R.C.S. 817
Indexation
IMMIGRATION ET CITOYENNETÉ — immigrant — résident permanent — expulsion — mère
d'enfants de citoyenneté canadienne — convention internationale relative aux droits de l'enfant
— pouvoir discrétionnaire — équité procédurale — décision d'ordre humanitaire — motivation de
la décision — impartialité — certification d'une question à soumettre à la Cour d'appel
ADMINISTRATIF (DROIT) — contrôle judiciaire — norme de contrôle — décision raisonnable
simpliciter — agent d'immigration — décision d'ordre humanitaire
ADMINISTRATIF (DROIT) — contrôle judiciaire — contrôle du pouvoir discrétionnaire — agent
d'immigration — mère d'enfants de citoyenneté canadienne — expulsion — convention
internationale relative aux droits de l'enfant — équité procédurale — décision d'ordre humanitaire
ADMINISTRATIF (DROIT) — contrôle judiciaire — cas d'application — immigration — agent
d'immigration — décision d'ordre humanitaire — intérêt des enfants — pouvoir discrétionnaire
INTERNATIONAL (DROIT) — convention internationale — convention internationale relative aux
droits de l'enfant — immigration — pouvoir discrétionnaire
Interprétation
LÉGISLATION :
Résumé
Pourvoi à l'encontre d'un arrêt de la Cour d'appel fédérale ayant rejeté l'appel d'un jugement qui
avait rejeté une demande de contrôle judiciaire. Accueilli.
Une mesure d'expulsion a été prise contre l'appelante, mère d'enfants à charge nés au Canada.
Elle a alors demandé d'être dispensée de faire sa demande de résidence permanente de
l'extérieur du Canada, pour des raisons d'ordre humanitaire, conformément à l'article 114 (2) de
la Loi sur l'immigration. Sa demande était appuyée de lettres exprimant des inquiétudes quant à
la possibilité d'obtenir un traitement médical dans son pays d'origine et quant à l'effet de son
départ éventuel sur ses enfants nés au Canada. Un agent d'immigration supérieur a répondu par
lettre qu'il n'y avait pas suffisamment de raisons humanitaires pour justifier de traiter sa
demande au Canada. Cette lettre ne donnait pas les motifs de la décision. L'avocat de
l'appelante a cependant demandé et reçu les notes de l'agent investigateur, que l'agent
supérieur d'immigration avait utilisées pour rendre sa décision. La Section de première instance
de la Cour fédérale a rejeté une demande de contrôle judiciaire mais a certifié la question
suivante en application de l'article 83 (1) de la Loi: «Vu que la Loi sur l'immigration n'incorpore
pas expressément le langage des obligations internationales du Canada en ce qui concerne la
Convention internationale relative aux droits de l'enfant, les autorités d'immigration fédérales
doivent-elles considérer l'intérêt supérieur de l'enfant né au Canada comme une considération
primordiale dans l'examen du cas d'un requérant sous le régime de l'article 114 (2) de la Loi sur
l'immigration?» La Cour d'appel a limité son examen à cette question et a conclu qu'il n'était pas
nécessaire d'accorder la primauté à l'intérêt supérieur des enfants dans l'appréciation d'une telle
demande. Un sursis à la mesure d'expulsion de l'appelante prononcée après la décision de
l'agent d'immigration, a été ordonné jusqu'à l'issue du présent pourvoi.
DÉCISION
Mme la juge L'Heureux-Dubé, à l'opinion de laquelle souscrivent les juges Gonthier, McLachlin,
Bastarache et Binnie: L'article 83 (1) de la Loi sur l'immigration n'exige pas que la Cour d'appel
traite seulement la question certifiée. Lorsqu'une question a été certifiée, la Cour d'appel peut
examiner tous les aspects de l'appel qui relèvent de sa compétence.
L'obligation d'équité procédurale est souple et variable et repose sur une appréciation du
contexte de la loi et des droits visés. Les droits de participation qui en font partie visent à
garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d'une procédure équitable et
ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal, institutionnel et social, comprenant
la possibilité donnée aux personnes visées de présenter leur point de vue et des éléments de
preuve qui seront dûment pris en considération par le décideur. Plusieurs facteurs sont
pertinents pour déterminer le contenu de l'obligation d'équité procédurale: 1) la nature de la
décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; 2) la nature du régime législatif et les
termes de la loi régissant l'organisme; 3) l'importance de la décision pour les personnes visées;
4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; 5) les choix de procédure que
L'obligation d'équité procédurale s'applique aux décisions d'ordre humanitaire. En l'espèce, il n'y
avait pas d'attente légitime ayant une incidence sur la nature de l'obligation d'équité procédurale.
Compte tenu des autres facteurs, bien que certains indiquent des exigences plus strictes en
vertu de l'obligation d'équité, d'autres indiquent des exigences moins strictes et plus éloignées du
modèle judiciaire. L'obligation d'équité dans ces circonstances est plus que minimale, et le
demandeur et les personnes dont les intérêts sont profondément touchés par la décision doivent
avoir une possibilité valable de présenter les divers types de preuves qui se rapportent à leur
affaire et de les voir évalués de façon complète et équitable. Néanmoins, compte tenu de tous
ces facteurs, le fait qu'il n'y ait pas eu d'audience ni d'avis d'audience ne constituait pas un
manquement à l'obligation d'équité procédurale. La possibilité de produire une documentation
écrite complète était suffisante.
L'équité procédurale exige également que les décisions soient rendues par un décideur impartial,
sans crainte raisonnable de partialité. Cette obligation s'applique à tous les agents d'immigration
qui jouent un rôle significatif dans la prise de décision. Parce qu'elles visent nécessairement des
personnes de provenances diverses, issues de cultures, de races et de continents différents, les
décisions en matière d'immigration exigent de ceux qui les rendent sensibilité et compréhension.
Elles exigent la reconnaissance de la diversité, la compréhension des autres et l'ouverture
d'esprit à la différence. Les déclarations contenues dans les notes de l'agent d'immigration
donnent l'impression qu'il peut avoir tiré des conclusions en se fondant non pas sur la preuve
dont il disposait, mais sur le fait que l'appelante était une mère célibataire ayant plusieurs
enfants, et était atteinte de troubles psychiatriques. En l'espèce, un membre raisonnable et bien
informé de la communauté conclurait que l'agent n'a pas traité cette affaire avec l'impartialité
requise dans une décision rendue par un agent d'immigration. Les notes donnent donc lieu à une
crainte raisonnable de partialité.
La notion de pouvoir discrétionnaire s'applique dans les cas où le droit ne dicte pas une décision
précise, ou quand le décideur se trouve devant un choix d'options à l'intérieur de limites
imposées par la loi. Le droit administratif a traditionnellement abordé le contrôle judiciaire des
décisions discrétionnaires séparément de décisions sur l'interprétation de règles de droit. Le
contrôle des éléments de fond d'une décision discrétionnaire est mieux envisagée selon la
démarche pragmatique et fonctionnelle définie par la jurisprudence de notre Cour, compte tenu
Le libellé de la législation révèle l'intention du Parlement de faire en sorte que la décision soit
fondée sur des raisons d'ordre humanitaire. L'exercice raisonnable du pouvoir conféré par
l'article exige que soit prêtée une attention minutieuse aux intérêts et aux besoins des enfants
puisque les droits des enfants, et la considération de leurs intérêts, sont des valeurs
humanitaires centrales dans la société canadienne. Une indication de ces valeurs se trouve dans
les objectifs de la Loi, dans les instruments internationaux, et dans les lignes directrices régissant
les décisions d'ordre humanitaire publiées par le ministre. Étant donné que les motifs de la
décision n'indiquent pas qu'elle a été rendue d'une manière réceptive, attentive ou sensible à
l'intérêt des enfants de l'appelante, ni que leur intérêt a été considéré comme un facteur
décisionnel important, elle constituait un exercice déraisonnable du pouvoir conféré par la loi. En
outre, les motifs de la décision n'accordent pas suffisamment d'importance ou de poids aux
difficultés qu'un retour de l'appelante dans son pays d'origine pouvait lui susciter.
M. le juge Iacobucci, à l'opinion duquel souscrit le juge Cory: Les motifs de la juge
L'Heureux-Dubé et le dispositif qu'elle propose sont acceptés sauf pour ce qui concerne la
question de l'effet du droit international sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au
ministre par l'article 114 (2) de la Loi. La question certifiée devrait recevoir une réponse
négative. Le principe qu'une convention internationale ratifiée par le pouvoir exécutif n'a aucun
effet en droit canadien tant qu'elle n'est pas incorporée dans le droit interne ne peut pas survivre
intact après l'adoption d'un principe de droit qui autorise le recours dans le processus
d'interprétation des lois, aux dispositions d'une convention qui n'a pas été intégrée dans la
législation.
© Sa Majesté la Reine du chef du Canada, 1999. Reproduit avec la permission du ministre des
Travaux publics et Services gouvernementaux Canada.
Législation
CITÉE :
Charte canadienne des droits et libertés (L.R.C. 1985, app. II, no 44, annexe B, partie I)
Immigration (Loi sur l'), (L.R.C. 1985, c. I-2), art. 3 c), 9 (1), 70 (5), 82.1 (1), 83 (1), 114 (2)
Immigration de 1978 (Règlement sur l'), DORS/78-172 du 24-02-1978, (1978) 112 Gaz. Can.
II 757, art. 2.1
Droits de l'enfant (Convention relative aux), [1992] R.T.C. no 3 et 1577 R.T.N.U. 3, art. 3, 9,
12
Droits de l'enfant (Déclaration des), Rés. A.G. 1386 (XIV), 14 N.U. GAOR, Supp. (No 16) 19,
Doc. A/4354 N.U. (1959), préambule
Jurisprudence
ANNOTÉE :
Applique (6)
Paragr. 63: Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc. (C.S. Can.,
1997-03-20), SOQUIJ AZ-97111037, J.E. 97-632, [1997] 1 R.C.S. 748, REJB 1997-00386,
144 D.L.R. (4th) 1, 1997 CanLII 385, 209 N.R. 20, 50 Admin. L.R. (2d) 199, 71 C.P.R. (3d)
417, L.P.J. 97-0205
Paragr. 21: Knight c. Indian Head School Division No. 19 (C.S. Can., 1990-03-29), SOQUIJ
AZ-90111028, J.E. 90-602, D.T.E. 90T-475, [1990] 1 R.C.S. 653, [1990] 3 W.W.R. 289,
[1990] S.C.J. No. 26 (Q.L.), 106 N.R. 17, 1990 CanLII 138, 21 C.L.L.C. 12,078, 30 C.C.E.L.
237, 43 Admin. L.R. 157, 69 D.L.R. (4th) 489, 83 Sask. R. 81
Paragr. 57: Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (C.S.
Can., 1998-06-04), SOQUIJ AZ-98111064, J.E. 98-1298, [1998] 1 R.C.S. 1222, [1998] 1
R.C.S. 982, REJB 1998-06632, 11 Admin. L.R. (3d) 1, 11 Admin. L.R. (3d) 130, 160 D.L.R.
(4th) 193, 1998 CanLII 778, 226 N.R. 201, 43 Imm. L.R. (2d) 117, L.P.J. 98-0512
Paragr. 25: R. v. Higher Education Funding Council, (1993), [1994] 1 All E.R. 651
Paragr. 12: Ramoutar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (C.F.,
1993-06-09), SOQUIJ AZ-93112084, [1993] 3 C.F. 370, 21 Imm. L.R. (2d) 203, 65 F.T.R. 32
Paragr. 52: U.E.S., local 298 c. Bibeault* (C.S. Can., 1988-12-22), SOQUIJ AZ-89111021,
J.E. 89-141, D.T.E. 89T-38, [1988] 2 R.C.S. 1048, 1988 CanLII 30, 20 C.L.L.C. 12,372, 24
Q.A.C. 244, 35 Admin. L.R. 153, 95 N.R. 161
Explique en minorité (1)
Paragr. 80: Capital Cities Communications Inc. c. Conseil de la radio-télévision canadienne
(C.S. Can., 1977-11-30), SOQUIJ AZ-78111095, [1978] 2 R.C.S. 141, 18 N.R. 181, 36
C.P.R. (2d) 1, 81 D.L.R. (3d) 609
Distingue (1)
Paragr. 77: Young c. Young (C.S. Can., 1993-10-21), SOQUIJ AZ-93111122, J.E. 93-1766,
[1993] 4 R.C.S. 3, [1993] R.D.F. 703 (rés.), EYB 1993-67111, [1993] 8 W.W.R. 513, 108
D.L.R. (4th) 193, 160 N.R. 1, 18 C.R.R. (2d) 41, 1993 CanLII 34, 34 B.C.A.C. 161, 49 R.F.L.
CITÉE :
Doctrine
CITÉE :
Brown, Donald J.M. and Evans, John M., Judicial Review of Administrative Action in Canada,
volume 2, Toronto, Canvasback Publishing, loose-leaf, paragr. 14:2541, 7:4200, 7:4410
Canada, Emploi et Immigration, Guide de l'immigration: examen et application de la loi,