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STREET ART, DE L'ILLICITE AU LICITE ? DU DÉLIT À L'ART ?

UNE
REDÉFINITION DES FRONTIÈRES...

Marie-Christine Sordino

Dalloz | « Revue de science criminelle et de droit pénal comparé »

2019/3 N° 3 | pages 599 à 612


ISSN 0035-1733
ISBN 978995519033
DOI 10.3917/rsc.1903.0599
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-de-science-criminelle-et-de-droit-penal-
compare-2019-3-page-599.htm
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VARIÉTÉS

Street art, de l’illicite au licite ?


Du délit à l’art ? Une redéfinition
des frontières…

Marie-Christine Sordino
Professeure à l’Université de Montpellier,
Directrice de l’Équipe de droit pénal de Montpellier (UMR 5815 UM/CNRS Dynamiques du droit)

599
Selon Banksy, « Un mur est une arme lui appartiennent pas. La plupart du
redoutable. C’est l’une des plus dan- temps, l’artiste souhaite que l’œuvre ait
gereuses avec laquelle vous pouvez vocation à être vue et appréciée par la
frapper quelqu’un ». population, librement. Il manifeste ainsi
l’expression d’une volonté de liberté
Le mur constitue justement l’un des sup- dirigée contre les systèmes économique
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ports favoris du street art. Le street art, et politique. Le sort du mur de Berlin © Dalloz | Téléchargé le 25/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.108)
même si l’histoire révèle qu’il existait est, à cet égard, l’un des symboles forts
des dessins et messages apposés sur d’une telle revendication, puisqu’un an
des murs en Grèce antique et dans après la réunification de l’Allemagne,
l’Empire romain, est un courant artis- les artistes ont envahi la partie inac-
tique né dans les années 1960-1970 aux cessible jusqu’alors pour en faire une
États-Unis, partant de la côte est jusqu’à véritable galerie à ciel ouvert protégée
la côte ouest, à la suite de l’apparition au titre des monuments historiques.
de la bombe aérosol. Jean-Michel Bas-
quiat graffait ainsi les rues de New York L’expression street art semble pou-
sous le pseudonyme SAMO, en insérant voir être rattachée aux travaux d’Allan
des couronnes accompagnées d’un « c » Schwartzman en 1985 1.
cerclé pour copyright.
Comment caractériser le street art ?
Cette forme d’expression est construite
autour du fait que l’artiste crée une Né de la rue, développé dans la rue, il
œuvre dans l’espace public, sur des véhicule, au-delà même du graffiti, une
supports, publics ou privés, qui ne manière de vivre. Ainsi, il s’accompagne

(1) A. Schwartzman, Street Art, New York, The Dial Press, 1985.

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Une redéfinition des frontières…

de codes relatifs à l’habillement, à une À titre d’exemple, à Montpellier, l’as-


certaine forme de musique et à un lan- sociation LineUP et le musée Fabre
gage qui lui est propre. S’il est né dans s’associent, afin de présenter des clés
la rue, il n’est pas, pour autant, un art de lecture pour comprendre en quoi
« populaire » 2 qui signifierait que tout l’Art urbain s’encre parfaitement dans
un chacun a accès à des œuvres dénuées l’Histoire des Arts 7.
de complexité et accessibles à tous. De
plus, les artistes pratiquant le street art Le street art trouverait ainsi sa place à
n’ont pas d’emblée été bien perçus côté de l’art « raisonnable » et « légi-
socialement, mais ont, au contraire, fait time »…
l’objet d’une réticence de la part d’une
partie de la population 3. Dans le même ordre d’idées, désor-
mais, les personnes qui gravitent dans
Il se traduit originellement au travers de le milieu de l’art n’évoquent plus direc-
quatre caractéristiques : la pratique est tement le street art, mais l’urban art ou
publique, éphémère, inaliénable et illé- art urbain contemporain 8. Cette modifi-
gale 4. L’illégalité est à rattacher à la trans- cation semble vouloir gommer la réfé-
gression, inhérente aux tags et graffitis. rence à la « rue » et ce qu’elle véhicule
de connotation péjorative, pour ne rete-
Mais ce dernier caractère semble s’at- nir que sa localisation au sein de la cité
ténuer, en tout cas, être en proie à des et appuyer davantage sur le fait que la
pratiques divergentes selon les artistes. pratique constituerait un art.
Ainsi, Miss. Tic préfère-t-elle désormais
obtenir l’accord préalable des proprié- Le déplacement s’opère, du graffiti illi-
taires des supports 5, traumatisée par une cite vers l’artification 9, de l’infraction
600 décision de justice qui l’avait condamnée pénale à l’art. Le street art qui s’appose
en 1999 pour dégradation alors qu’elle sur les murs de la cité serait donc tout
avait réalisé un pochoir sur lequel était autant une question de murs urbains
inscrit « Égérie et j’ai pleuré » : « j’évite de bétons que de frontières culturelles,
désormais la répression et la justice », permettant de définir et de ressentir ce
dit-elle, alors qu’elle se voit encore refu- qui est art et ce qui ne l’est pas.
ser quatre demandes sur cinq par des
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propriétaires « frileux » 6. Ainsi, la première réponse du droit au © Dalloz | Téléchargé le 25/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.108)
street art se manifeste, de manière clas-
Mais, de l’illégalité, réponse classique sique, par une affirmation de l’ordre
du droit en France à l’égard de com- public portée par la réponse pénale (I).
portements perpétrés en dehors d’un Une évolution peut-elle se produire en
cadre licite, la pratique du street art et, direction de réponses contemporaines
en conséquence, son régime au regard vers le licite, afin de mieux protéger
du droit, n’évoluent-ils pas vers une l’artiste urbain et son œuvre ? (II).
situation de licéité ?

(2) D. Guével, La juridicisation du street art : hymne de gloire ou requiem ?, in Droit(s) et street art, de la transgression
à l’artification, sous la dir. de G. Goffaux-Callebaut, D. Guével et J.-B. Seube, LGDJ, 2017, p. 7 à 27, spéc. p. 18.
(3) V. infra II.B
(4) C. Gré, Street art et droit d’auteur, À qui appartiennent les œuvres de la rue ?, L’Harmattan, coll. Pour com-
prendre, 2015, p. 9.
(5) C. Genin, Miss.Tic : Femme de l être, Les impressions nouvelles, coll. Réflexions faites, 2008.
(6) https://www.actualitte.com/article/bd-manga-comics/graffeuse-et-artiste-de-rue-miss-tic-femme-de-l-etre/47953,
C. Darfeuille, 31 mars 2014.
(7) https://actu.fr/loisirs-culture/art-urbain-des-cles-de-lecture-au-musee-fabre-avec-line-up_23436899.html, publié et
consulté le 28 avr. 2019 ; Droit(s) et street art, de la transgression à l’artification, sous la dir. de G. Goffaux-Calle-
baut, D. Guével et J-.B. Seube, LGDJ, 2017.
(8) J. Catz, Street art, Flammarion, coll. Le guide, sous la dir. E. Couturier, 2015, p. 144.
(9) N. Heinich et R. Shapiro (dir.), De l’artification. Enquêtes sur le passage à l’art, éd. de la Maison des sciences de
l’Homme, 2012.

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Street art, de l’illicite au licite ? Du délit à l’art ? VARIÉTÉS
Une redéfinition des frontières…

I-La réponse pénale classique


Plusieurs modes d’expression coexistent A – Le street art : une notion
sous le vocable street art. Il est difficile complexe
de les recenser de manière exhaustive.

Le graffiti est une peinture, une ins- Il n’est pas aisé de donner une définition
cription sur un support, le plus souvent unique du street art. Sa complexité est,
mural. Mais le graffiti ne constitue pas notamment, le fruit des finalités plu-
l’unique modalité d’expression de l’art rielles des pratiques (1). Mais, au-delà
urbain. de leurs différences, les pratiques pré-
sentent, de manière apparemment sur-
D’autres pratiques sont recensées. Le prenante, un caractère d’universalité (2).
tag est une signature de son auteur,
marquant une territorialité et une iden-
tité. La fresque est une peinture murale, 1 – Les finalités plurielles des
parfois très élaborée. Le pochoir est pratiques
une technique utilisant une matrice de
carton ou de métal, pour reproduire des
dessins sur les murs. Ces différentes Le street art connaît en son sein des ten-
pratiques adoptent une approche, soit dances, qui, sous une unité d’apparence,
plutôt axée sur le lettrage, soit fondée recèlent en réalité des finalités plurielles.
sur un souhait figuratif. Elles peuvent
également être réalisées en parallèle Ainsi, un premier courant, certainement
par un même auteur. le plus ancien, se place délibérément
dans une optique de contestation poli- 601
Ce caractère protéiforme de l’art urbain tique et sociale d’un régime 11 et veut,
met à mal les certitudes du droit, en fai- par le moyen de l’art urbain, interroger
sant bouger les lignes et les frontières la société et faire passer des messages,
qui le rendent prévisible et rassurent les souvent radicaux 12, parfois porteurs d’in-
justiciables. terrogations plus communautaristes 13.
Les tenants de ce courant prônent
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Les actes accomplis par les auteurs l’émergence de nouvelles valeurs. Pour © Dalloz | Téléchargé le 25/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.108)
de street art ne sont pas par essence ce faire, ils n’hésitent pas à agir dans
illicites. Ils ne le deviennent que s’ils une illégalité revendiquée, qui est leur
prennent place dans certaines condi- arme de propagande et ne souhaitent pas
tions, lorsqu’ils révèlent une volonté et du tout entrer dans une forme de licéité
un mode d’action vandales, légitimant la attachée, notamment, au marché de l’art.
réponse du droit pénal 10.
Un second courant, plus récent, sou-
La réponse pénale originelle du droit haite parvenir à intégrer le marché de
est donc rendue plus ardue car la notion l’art, pour des raisons commerciales
de street art est complexe et contient ou artistiques. Le graffeur souhaite, par
des pratiques qui ne sont pas nécessai- exemple, que ses œuvres soient recon-
rement répréhensibles (A). C’est ainsi nues en tant que telles ou les utilise
qu’une répression pénale adaptée a dû afin de promouvoir une marque, dans un
être construite (B). cadre contractuel et marchand. Dans ces

(10) V. infra II. A. 2°) la répercussion sur la question de la protection de l’œuvre en tant qu’œuvre de l’esprit.
(11) C. Genin, Le street art : de nouveaux principes ?, Cahiers de Narratologie [Online], 29, 2015, http://journals.ope-
nedition.org/narratologie/7396.
(12) C’est le cas, notamment, de mouvements anarchistes et/ou révolutionnaires.
(13) X. Crettiez et P. Piazza, Murs rebelles, Iconographie nationaliste contestataire, Karthala, 2014.

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Une redéfinition des frontières…

situations, une fois que l’artiste pénètre à un sniper qui vise son cœur et, ensuite,
le marché de l’art et utilise les vecteurs deux enfants (Beach boys) qui rêvent de
qu’il peut procurer, le caractère rebelle trouer le mur pour aller sur un paysage
ou revendicatif du graffiti a tendance à idyllique de plage ensoleillée.
s’atténuer, voire à disparaître, pour ser-
vir une autre ambition.
B – Une répression pénale
adaptée
2 – L’universalité des pratiques

Le street art est un mouvement univer- Construire une réponse pénale pou-
sel, qui touche tous les continents et vant être adaptée aux pratiques illicites
tous les milieux. En ce sens, il modifie de street art n’est pas une démarche
la perception des frontières terrestres, aisée 14. Car, il importe d’articuler le droit
physiques et juridiques. Il transcende pénal spécial et la prise en compte des
ces frontières par une communauté spécificités desdites pratiques au titre
de méthodes d’actions, qu’il s’agisse, de l’œuvre d’art. Aussi, les fondements
notamment, de pochoirs, de dessins, de des qualifications pénales (1) doivent-ils
détournements d’images, de graffitis, être précisés, avant de s’interroger sur la
de tags, de messages. Originellement possibilité de créer une exception artis-
d’ailleurs, il porte la marque de l’appar- tique propre au domaine du street art (2).
tenance à un territoire donné, au sein
d’une rue ou de la cité.
1 – Les fondements des qualifi-
Dans le monde entier, lorsque cela est cations pénales
602 possible, les graffeurs se sont empa-
rés des murs, véritables frontières de
béton construites par certains régimes Le tag, le graffiti et le pochoir tombent,
politiques. Le cas le plus symbolique de manière classique, sous le coup
correspond à la suite de la chute du d’une qualification pénale d’atteintes
mur de Berlin en 1989. L’East Side Gal- aux biens, lorsqu’ils sont apposés sans
lery est un morceau du mur de Berlin le consentement du propriétaire du
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mesurant 1.3 km, qui sert de support à support, car ils portent atteinte à la © Dalloz | Téléchargé le 25/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.108)
une exposition de fresques et graffitis propriété d’autrui, qu’il s’agisse d’une
d’art en plein air et accessible à tous. personne privée ou d’un acteur public,
Cette exposition contient une centaine une commune par exemple.
de peintures réalisées et signées par
des artistes du monde entier. Le droit de propriété, en France, est, en
effet, fortement protégé. C’est la raison
Les premières œuvres ont été réalisées pour laquelle l’origine illicite du graffiti
en 1990, soit environ une année après la marque, de manière classique et natu-
réunification, sur le côté est, jusqu’alors relle, le sceau de la répression de l’État
inaccessible. qui se doit d’intervenir 15.

C’est également le cas de Banksy qui a Apposer un graffiti sur un mur ou tout
réalisé plusieurs œuvres sur le mur de autre support qui n’appartient pas à l’au-
la séparation en Cisjordanie en 2005, du teur constitue, avant tout, une infraction de
côté palestinien, avec, tout d’abord, une « destruction, […] dégradation ou […] dété-
colombe portant un gilet pare-balle face rioration d’un bien appartenant à autrui ».

(14) M. Peisse, La répression des graffitis, Administrer 1991, no 224, p. 46.


(15) Crim. 11 mars 1992, no 91-84175 ; 21 oct. 2015, no 15-81032.

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Cette infraction, qui peut être qualifiée à leur résultat. La destruction vise le
de délit ou de contravention en fonction cas où le bien est très endommagé et
du résultat produit, repose sur une plu- n’existe plus en tant que tel.
ralité d’actes.
La dégradation est entendue dans le
L’infraction générale de destruction, sens d’un bien rendu inapte à sa fonc-
dégradation ou détérioration de bien tion. La détérioration emporte le fait de
appartenant à autrui est prévue à l’ar- diminuer la valeur du bien ou son utilité
ticle 322-1 alinéa 1 du Code pénal. Elle pour le propriétaire 17.
a vocation à s’appliquer lorsque le résul-
tat consiste en un dommage qui n’est Quant à l’alinéa 2 du même texte, il
pas considéré comme léger. En effet, incrimine spécifiquement et de manière
si le dommage est léger, il sera fait autonome le graffiti illicite, comme « le
application de l’article R.635-1 du Code fait de tracer des inscriptions, des signes
pénal qui sanctionne ce comportement ou des dessins, sans autorisation préa-
de l’amende prévue pour les contraven- lable, sur les façades, les véhicules, les
tions de la 5e classe. voies publiques ou le mobilier urbain ».
Il est donc important que le graffiti soit
Toutefois, la loi no 2002-1138 du 9 sep- apposé sur un bien prévu dans une liste
tembre 2002 a introduit en droit fran- de biens limitativement énumérés, ce
çais une qualification correctionnelle qui est plus précis que l’alinéa 1 du
spéciale à l’alinéa 2 de l’article 322-1 texte qui prévoit que le bien appartient à
du Code pénal, réservée aux graffitis autrui (personne privée ou collectivité).
(au sens large, incluant les différentes
pratiques de dessins ou d’inscriptions), L’artiste pourra être sanctionné sur
lorsqu’ils sont réalisés sur des supports d’autres fondements s’il porte atteinte à 603
particuliers, énumérés par le texte, dans des biens apparaissant comme des sym-
le cas où le dommage produit est léger. boles de la Nation ou de la paix publique.
Il en est de même pour la dégradation
On peut relever que, sous l’empire du d’aéronefs. C’est ainsi que le graffeur
Code pénal ancien, l’article R.38.2° Azyle courait le risque d’être condamné
incriminait également, sous une qua- pour le tag d’un avion Concorde en 2001,
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lification contraventionnelle, le tag et sur le fondement de l’ancien article © Dalloz | Téléchargé le 25/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.108)
le graffiti, en punissant « ceux qui, L.282-1 du Code de l’aviation civile.
sans autorisation de l’administration,
auront, par quelque procédé que ce L’auteur du graffiti s’expose également
soit, effectué des inscriptions, tracé des à être poursuivi sur le fondement de
signes ou dessins sur un bien meuble qualifications plus générales, comme
ou immeuble du domaine de l’État, des celles de menaces, si le contenu du
collectivités territoriales, ou sur un bien message porté sur le support peut être
se trouvant sur ce domaine soit en vue analysé ainsi 18.
de permettre l’exécution d’un service
public, soit parce qu’il est mis à la dis- Le graffiti est décrit dans l’article 322-1
position du public » 16. alinéa 2 du Code pénal comme un acte
consistant à tracer des inscriptions,
Sur le fondement de l’article 322-1 du signes et dessins. Ces éléments sont
Code pénal, les actes visés sont classés interprétés dans un sens large, impli-
par ordre de gravité décroissante quant quant toutes sortes de manières de

(16) J. Fontanau, La question du tag en droit pénal, Dr pénal 1992. Chron. 36.
(17) P. Conte, Droit pénal spécial, LexisNexis, 2003, no 644 ; H. Matsopoulou et A. Lepage, Droit pénal spécial, PUF,
éd. Thémis, 2015, no 945.
(18) Crim. 31 mars 2016, Dr pénal 2016, no 6, 90, Comm. P. Conte.

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« tracer ». Les dessins au sens strict du Code pénal alors que le tag litigieux
sont visés, de même que l’utilisation de consistait en un graffiti dessiné sur le
bombes aérosols ou de pochoirs. mur d’une école par un étudiant en arts
plastiques 22. Le jugement s’est borné
Les deux alinéas de l’article 322-1 du à évoquer le caractère « conséquent »
Code pénal désignent des comporte- des tags sans aucune autre précision.
ments intentionnels. Pourtant, il aurait été utile de fixer les
critères empêchant de considérer le
Dès lors, pour pouvoir choisir une qua- dommage comme léger, tels que l’am-
lification contraventionnelle ou correc- pleur de la surface couverte par les
tionnelle, il convient de se référer au inscriptions ou le caractère indélébile de
dommage provoqué par le graffiti. S’il la peinture utilisée par exemple.
est léger, la qualification fondée sur l’ar-
ticle 322-1 alinéa 2 du Code pénal sera Si la qualification retenue est fondée sur
préférée. Ainsi, dès lors que le dessin l’article 322-1 alinéa 2 du Code pénal,
peut être nettoyé et que la substance du une peine de 3 750 euros d’amende
support n’est pas altérée, le dommage et une peine de travail d’intérêt géné-
est considéré comme léger 19. ral 23 sont prévues par le texte. Si la
peine d’amende ne soulève que peu
Dans le cas où il ne serait pas possible d’interrogations pour une incrimination
de prouver que le graffiti a été tracé ou délictuelle, la peine de travail d’intérêt
tracé mais sur un bien qui n’est pas énu- général prévue dans ce texte à titre de
méré par la disposition, la qualification peine principale s’ajoutant à la peine
contraventionnelle de l’article R.635-1 d’amende, questionne le droit pénal 24.
du Code pénal pourra être choisie.
604 Sur le plan de l’opportunité, la prévision
Dans le cas où le dommage n’est pas d’une telle peine peut être très intéres-
considéré comme léger, c’est l’alinéa 1 sante car elle frappe là où l’auteur est
de l’article 322-1 du Code pénal qui directement concerné, en lui deman-
trouvera à s’appliquer. Il s’agira de la dant, par exemple, de nettoyer ses ins-
situation dans laquelle le dessin est criptions. Cependant, le travail d’intérêt
indélébile et ne peut être enlevé sans général nécessite le consentement de
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altérer la substance du support 20. l’intéressé, ce qui peut ne pas convenir © Dalloz | Téléchargé le 25/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.108)
à l’auteur des graffitis qui ne souhai-
Si le graffiti n’engendre le plus souvent teraient pas devoir ôter ses propres
qu’une simple détérioration du bien, l’ap- œuvres du support !
préciation de l’importance du dommage
commandant la qualification pénale Mais, sur le terrain du droit, l’article 131-8
appartient aux pouvoirs d’appréciation du Code pénal pose que « lorsqu’un délit
des juges du fond, sous le contrôle est puni d’une peine d’emprisonnement,
de la Cour de cassation 21. Ainsi, alors la juridiction peut prescrire, à la place
qu’une qualification spéciale doit primer de l’emprisonnement, que le condamné
sur une qualification générale, les juges accomplira, pour une durée de vingt à
du fond ont-ils opté pour le fondement quatre cents heures, un travail d’intérêt
plus général de l’article 322-1 alinéa 1 général ». Le travail d’intérêt général

(19) Crim. 25 juin 1963, Bull. no 225 ; 23 févr. 1972, Bull. no 74.
(20) Crim. 22 juin 1994, Comm. 254, obs. M. Véron.
(21) Crim. 1er juin 1994, Dr pénal 1994, Comm. 254, M. Véron ; Crim., 23 juin 1999, Bull. crim. no 154.
(22) TGI Besançon, 12 sept. 2005, n° 05005669, AJ pénal 2005. 369, obs. A. Paulin.
(23) Ainsi que des peines complémentaires prévues à l’art. 322-15 du C. pén. ; des circonstances aggravantes sont
déclinées aux art. 322-2 et 322-3 du C. pén.
(24) X. Pin, Le travail d’intérêt général, peine principale de référence. L’innovation en vaut-elle la peine ?, D. 2003,
Point de vue, p. 75 s. ; F. Le Gunehec, Les tigs contre les tags, JCP 2002. 1881 ; J.-F. Seuvic, RSC 2002, obs. 858.

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Une redéfinition des frontières…

apparaît donc comme une peine alterna- être légitimé car il ne heurte pas la
tive à l’emprisonnement. Or, l’incrimina- justice matérielle, au-delà de la justice
tion de l’article 322-1 alinéa 2 du Code proprement légale.
pénal ne prévoit pas en l’espèce de peine
d’emprisonnement. Il s’agit d’une véritable On peut remarquer que le droit de la
dérogation textuelle, tenant à la spécificité propriété intellectuelle connaît ce type
de la répression de ces pratiques contro- d’exception, notamment au travers de
versées dans le but d’adapter la réponse l’exception de parodie, prévue par l’ar-
du droit pénal. ticle L122-5. 4° du Code de la Propriété
Intellectuelle qui dispose que lorsque
l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne
2 – L’existence d’une exception peut interdire, sous réserve que soient
artistique ? indiqués clairement le nom de l’auteur
et la source, « la parodie, le pastiche
et la caricature, compte tenu des lois
Le droit pénal sanctionne une atteinte à du genre ». Si ce texte n’existait pas,
l’ordre public, car il exprime les valeurs celui qui parodie se heurterait au droit
protégées par la société. En consé- pénal s’il ne demandait pas à l’auteur
quence, un graffiti exercé sur un mode de l’œuvre parodiée son autorisation.
de vandalisme et de rébellion sur un Toutefois, afin de prévoir une limite de
support pour lequel le propriétaire n’a nature à protéger les droits de l’auteur,
pas donné d’autorisation doit être péna- l’article L122-5. 4° du Code de la Pro-
lement sanctionné. Le texte de l’article priété Intellectuelle, ajoute qu’une telle
322-1 alinéa 2 du Code pénal prévoit exception ne doit pas « porter atteinte à
d’ailleurs expressément que le com- l’exploitation normale de l’œuvre ni cau-
portement doit avoir pris place « sans ser un préjudice injustifié aux intérêts 605
autorisation préalable ». L’autorisation légitimes de l’auteur ». Ainsi, est assuré
préalable constituera donc un fait justi- un équilibre entre la liberté d’expression
ficatif de l’infraction. et le droit d’auteur.

Le droit pénal ne reconnaît pas aux Si l’exception artistique soulevée par


mobiles la force d’écarter la norme le graffeur devait voir le jour en pre-
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pénale. Or, dans le cas du street art, il nant exemple sur l’exception de parodie, © Dalloz | Téléchargé le 25/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.108)
s’agirait d’un mobile de l’auteur, expri- il demeure une différence importante.
mant une volonté aux finalités artis- L’exception de parodie est consacrée
tiques. Son œuvre participe d’une forme par la loi, alors que l’exception artistique
d’expression. Certains auteurs ont alors devrait être soumise à l’appréciation
proposé l’idée de créer une « exception du juge, en l’absence de consécration
artistique » qui pourrait être appliquée législative. Le juge pénal relève parfois,
par les juges du fond, en charge de l’in- dans des domaines pluriels, l’existence
terprétation. Le régime de cette irres- de faits justificatifs prétoriens. Il en est
ponsabilité pénale ou de cette atténua- ainsi de l’intérêt du groupe dans le cas
tion de responsabilité reposerait sur un du délit d’abus de biens sociaux commis
fait justificatif lié à l’exercice de l’activité à l’intérieur d’un groupe de sociétés
artistique 25. ou de la production, par le salarié, de
documents soustraits à son employeur,
Ce fait justificatif correspondrait à dès lors qu’ils sont strictement néces-
l’idée selon laquelle le graffiti pourrait saires à l’exercice de sa défense dans le

(25) G. Goffaux-Callebaut, Street art : à la croisée des droits, Juris art etc. 2015, no 22, p. 33 ; A. Montas, Le graffiti, figure
de la délinquance artistique : le Street Art à l’épreuve du droit pénal, in Droit(s) et Street Art, De la transgression
à l’artification, sous la dir. de G. Goffaux-Callebaut, D. Guével et J.-B. Seube, LGDJ, 2017, p. 43 s., spéc. p. 45.

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VARIÉTÉS Street art, de l’illicite au licite ? Du délit à l’art ?
Une redéfinition des frontières…

cadre d’un litige prud’homal 26. Mais il pénales apportées au street art, qu’une
les interprète strictement, de manière à telle exception, bien qu’intellectuelle-
bien délimiter leur domaine. Il n’est pas ment séduisante, ne trouve les faveurs
certain, en l’état actuel des réponses du juge.

II-Les réponses contemporaines vers le licite ?


La transgression est nécessaire pour 1 – Le conflit de valeurs entre
devenir une œuvre artistique de street la protection de la propriété et
art. Certains auteurs urbains rejettent en la protection du droit d’auteur
ce sens l’idée d’entrer dans le marché de
l’art dont ils refusent les règles de fonc-
tionnement. Une illustration peut en être Le conflit entre la répression de l’at-
fournie par l’autodestruction de l’œuvre teinte au droit de propriété et la protec-
de Banksy, Girl with ballon, en octobre tion de l’œuvre est prégnant. Il s’agit de
2018, après sa vente chez Sothebys à deux objectifs distincts, qui protègent
1,2 million d’euros, pour dénoncer la des valeurs différentes.
marchandisation de l’art. Ironiquement,
l’œuvre a été baptisée, postérieurement Lorsque l’affaire est jugée par les juri-
à cet incident, Love is in the bin et adju- dictions pénales, le droit pénal, pro-
gée à plus de 2 millions d’euros. tecteur de l’ordre public, affirme son
autorité et fait prévaloir l’application
Ce caractère de transgression apparaît de la norme pénale. Il en est ainsi,
606 dans certains cas comme un préalable notamment, dans l’affaire du graffeur
à l’entrée du graffiti dans le monde de Azyle. Azyle tague à plusieurs reprises
l’art 27. Ceci traduit toute l’ambiguïté de des rames de métro de la RATP. Arrêté
son sort juridique. Mais, alors, comment en flagrant délit, il est condamné par
protéger cette œuvre ? la cour d’appel de Paris à huit mois
d’emprisonnement avec sursis sur le
Deux voies peuvent être empruntées : vers fondement de l’article 322-1 du Code
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la protection du droit d’auteur (A) ou vers pénal et au paiement de la somme de © Dalloz | Téléchargé le 25/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.108)
un « droit des territoires » repensé (B). 140 000 euros en réparation du pré-
judice matériel subi par la RATP. Il se
pourvoit alors en cassation, en se fon-
A – Vers la protection du droit dant sur la liberté d’expression et sur
d’auteur la protection de ses œuvres au regard
du droit d’auteur. Le 11 juillet 2017, la
Chambre criminelle de la Cour de cas-
Le souhait de protéger le droit d’auteur sation rejette le pourvoi 28.
peut se heurter à la protection de la pro-
priété, créant ainsi un conflit de valeurs S’il s’agit d’un propriétaire privé, il
que le juge devra trancher (1). Si le conflit conviendra qu’un accord soit conclu
ne se pose pas, l’œuvre est-elle proté- en amont. Dans le cas d’un support
geable en tant qu’œuvre de l’esprit ? (2). appartenant à une collectivité publique,

(26) V. not., M.-C. Sordino, Précisions sur le domaine du fait justificatif fondé sur l’exercice des droits de la défense
au profit du salarié, Dr pénal 2010. Étude 6 et Crim., 9 juin 2009, Bull. no 118 ; Crim. 16 juin 2011, no 10-85.079,
D. actu. 6 juill. 2011, obs. B. Ines.
(27) P.-E. Weill, La consécration du graffiti par le marché de l’art contemporain. Les stratégies complémentaires des
intermédiaires, in Les stratèges de la célébrité. Intermédiaires et consécration dans les univers artistiques, éd. des
archives contemporaines, 2014, W. Lizé, D. Naudier, S. Sofio (dir), p. 16.
(28) No 08-84.989, 10-80.810, 16-83.588.

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Street art, de l’illicite au licite ? Du délit à l’art ? VARIÉTÉS
Une redéfinition des frontières…

une commande sécuriserait l’auteur. En 2 – Le street art, protégeable


l’absence d’autorisation du propriétaire en tant qu’œuvre de l’esprit ?
du support, le juge pénal arbitre donc le
plus souvent en faveur de la protection
de la propriété 29. En droit positif, il existe un principe
de liberté de création. Ses fondements
Le droit des biens est, lui aussi, protec- sont constitués par la loi no 2016-
teur du propriétaire du support, puisque 925 du 7 juillet 2016 posant dans son
si l’œuvre est posée sur un immeuble, article 1er que « la création artistique
elle devient la propriété du propriétaire de est libre », l’article 10 de la CESDH et
l’immeuble 30. Et la situation est encore l’article 11 de la Déclaration des Droits
plus complexe si l’œuvre est apposée sur de l’Homme et du Citoyen de 1789, qui
un meuble, puisqu’en théorie, l’article 565 consacrent la liberté d’expression.
du Code civil pourrait s’appliquer, bien
que la jurisprudence ne soit pas favorable La CEDH rappelle également l’importance
à ce que cette disposition englobe les politique et culturelle de la création, en
œuvres de l’esprit 31. En conséquence, les mettant l’accent sur le fait que « ceux qui
droits de l’artiste sont peu protégés par le créent, interprètent, diffusent ou exposent
droit des biens au détriment de ceux du une œuvre d’art contribuent à l’échange
propriétaire du support. d’idées et d’opinions indispensables à une
société démocratique » 33.
Les droits du propriétaire sur le sup-
port duquel un graffiti est posé sont Au regard de l’article L 112-1 du Code
protégés en cas de trouble anormal de la propriété intellectuelle, une œuvre
lors de la reproduction de l’œuvre 32. est protégeable si elle est « originale »
Mais il convient de démontrer l’exis- et « empreinte de la personnalité de 607
tence de ce trouble, ce qui peut ne pas son auteur », « quels qu’en soient le
être aisé pour une œuvre éphémère, genre, la forme d’expression, le mérite
dans le cas du street art. Dans un ou la destination ». Le TGI de Paris a
arrêt en date du 27 septembre 2006, la ainsi considéré le 14 novembre 2007 34
cour d’appel de Paris déboute la SNCF que les mosaïques d’Invader pouvaient
qui s’était fondée sur le trouble anor- être protégées par le droit d’auteur, en
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mal afin de demander l’interdiction de raison de leur originalité : « il en est © Dalloz | Téléchargé le 25/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.108)
la publication de photographies, par ainsi de la transposition sous forme de
des revues spécialisées, de certains carreaux de piscine des pixels du jeu
de ses wagons tagués, au motif que vidéo préexistant, cette formalisation
« les wagons reproduits ne le sont que portant l’empreinte de sa personnalité et
de façon accessoire, c’est-à-dire en il importe peu que d’autres artistes aient
tant que support d’œuvre éphémère ; pu transposer dans d’autres matériaux
les graffitis qui eux sont reproduits de des créatures pixélisées extraites de jeux
façon principale ». vidéo. De même la nature des supports

(29) Crim. 20 juin 2018, no 17-86.402.


(30) F. Zénati et T. Revet, Les biens, PUF, 3e éd., 2008, no 142.
(31) Paris, 13 janv. 1993, D. 1993, info. Rap. p. 90 ; certains auteurs y sont, cependant, favorables, Y. Gauthier, L’ac-
cession mobilière en matière d’œuvre de l’esprit, vers une nouvelle querelle des Proculiens et des Sabiniens, D.,
1988. Chron. 152.
(32) Paris, 27 sept. 2006, no 04/2251.
(33) CEDH 24 mai 1988, Müller c/ Suisse ; V. également CEDH 25 janv. 2007, pour la protection des caricaturistes ; CE
19 juill. 2011, n° 343430, Ligue des droits de l’homme, pour qui le délit d’outrage au drapeau tricolore ne peut
refreiner les actions qui « feraient œuvre de création artistique ».Lebon ; AJDA 2011. 1525 ; ibid. 2136, note J.
Lasserre Capdeville ; D. 2011. 2320, note C. Salcedo ; ibid. 2823, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, S. Mirabail et
T. Potaszkin ; Légipresse 2011. 591 et les obs. ; RFDA 2012. 455, chron. H. Labayle, F. Sudre, X. Dupré de Boulois
et L. Milano.
(34) TGI Paris, civ. 3e, 14 nov. 2007, no de RG : 06/12982.

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VARIÉTÉS Street art, de l’illicite au licite ? Du délit à l’art ?
Une redéfinition des frontières…

urbains desdits carreaux de piscines La protection de l’œuvre confère à l’ar-


scellés dans les murs, et le choix de tiste les droits patrimoniaux et moraux.
leurs emplacements portent l’empreinte Les droits patrimoniaux lui donnent la
de la personnalité de leur auteur ». possibilité d’exploiter son œuvre et d’en
tirer un revenu, les droits moraux lui
L’article L111-3 du Code de la propriété permettent de fixer les modalités de
intellectuelle ajoute que « la propriété présentation et de conservation de son
incorporelle (…) est indépendante de la œuvre 38. Les artistes urbains sont de
propriété de l’objet matériel ». Est ainsi plus en plus nombreux à souhaiter faire
affirmée l’indépendance des propriétés valoir leurs droits. Cette tendance est
matérielle et intellectuelle de l’œuvre 35. attestée depuis une vingtaine d’années
par le nombre croissant d’inscriptions à
Dès lors, le fait, pour l’artiste urbain, l’ADAGP, la société des auteurs dans les
d’apposer son œuvre sur un support arts graphiques et plastiques.
dont il n’est pas propriétaire, n’empêche
pas a priori l’existence d’un droit d’au- Si la protection du droit d’auteur est
teur, incorporel, indépendant du droit de ouverte à l’artiste urbain, sous condition,
propriété sur l’objet matériel servant de l’exercice de ce droit se heurte, toute-
support à l’œuvre. Le caractère illicite fois à des difficultés. La cour d’appel
de la réalisation de l’œuvre ne fait pas de Paris a ainsi qualifié des graffitis
nécessairement obstacle à la protection, d’œuvre « éphémère », reconnaissant
bien que cet élément ait pu être discuté l’existence d’un droit moral, nécessaire-
à la suite d’un arrêt de la Cour de cas- ment adapté 39.
sation en date du 28 septembre 1999 36.
L’œuvre de street art est illicite car elle De surcroît, nombreux sont ceux qui
608 est apposée sans autorisation. Cepen- s’intéressent désormais aux œuvres de
dant, son contenu ne l’est pas néces- street art dont certaines ont acquis une
sairement. S’il l’est, en diffusant des grande valeur. Participant d’un effet de
menaces ou des propos portant atteinte mode et d’aubaine, ils n’hésitent pas à
à l’autorité de personnes dépositaires les dérober, sans l’accord de l’auteur.
de l’autorité publique, la protection du Le Stealing Art Project a ainsi été lancé
droit d’auteur doit être exclue. Mais, si par des sociétés affirmant restaurer
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le contenu n’est pas illicite, pourquoi l’œuvre de Banksy pour des pochoirs © Dalloz | Téléchargé le 25/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.108)
exclure le droit d’auteur ? londoniens en 2013 et 2014, provoquant
la colère de l’auteur.
Ceci conduit à distinguer entre une illi-
céité interne tenant au contenu ou aux Dans ce cas, le comportement est péna-
conditions externes dans lesquelles lement répréhensible sur le fondement
l’œuvre est réalisée 37. du vol, qui constitue la soustraction

(35) V. l’arrêt Buffet (Civ. 1re, 6 juill. 1965, Gaz. Pal. 1965. 2, 126) qui concerne une œuvre de Bernard Buffet apposée
sur un réfrigérateur vendu aux enchères. Postérieurement, lorsque l’acquéreur met en vente la seule porte de ce
meuble, la Cour de cassation considère qu’il s’agit d’une violation de l’intégrité de l’œuvre, car « le droit moral,
qui appartient à l’auteur d’une œuvre artistique donne à celui-ci la faculté de veiller, après sa divulgation au
public, à ce que son œuvre ne soit pas dénaturée ou mutilée lorsque […] l’œuvre d’art litigieuse acquise en tant
que telle constituait une unité dans les sujets choisis et dans la manière dont ils avaient été traités et que, par
le découpage des panneaux de réfrigérateur, l’acquéreur l’avait mutilé ».
(36) Crim. 28 sept. 1999, CCE 2000, Comm. 4, obs. C. Caron ; TGI Paris, 13 oct. 2000, CCE 2002, Comm. 126, obs. C. Caron.
(37) N. Blanc, Art subversif et droit d’auteur, in Droit(s) et Street Art, De la transgression à l’artification, LGDJ, 2017,
sous la dir. de G. Goffaux-Callebaut, D. Guével et J.-B. Seube, p. 61 s., spéc.p.66.
(38) Le graffeur doit prendre garde à ne pas porter atteinte aux droits d’un autre artiste s’il crée son œuvre à partir
d’une autre œuvre, sous peine de tomber sous le coup de la contrefaçon, TGI Paris, 3e ch., 2e section, 16 nov.
2005, no 05/17967, ce qui a entraîné une condamnation à 6 000,00 euros de dommages et intérêts dans le cas
de l’intégration d’une photographie protégée.
(39) Paris, 11e ch., 27 sept. 2006, n° 04/22251, SNCF c/ Graff it! Production (Sté), D. 2006. 2693.

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Street art, de l’illicite au licite ? Du délit à l’art ? VARIÉTÉS
Une redéfinition des frontières…

frauduleuse de la chose d’autrui et celui constaté que les gouzous étaient utilisés
qui achète cette œuvre pourrait être sur de nombreux supports, alors même
poursuivi en qualité de receleur. qu’il n’avait pas donné son accord. Il a
donc déposé le dessin à l’INPI et apprécie
Le vol est caractérisé car, même si la réponse en fonction de la qualité de
l’artiste laisse sa mosaïque ou sa celui qui s’est comporté ainsi. S’il s’agit
fresque sur le mur d’un propriétaire d’un commerçant local ou relativement
privé ou public, ledit propriétaire n’a modeste, il préfèrera négocier avec lui,
aucune volonté de l’abandonner à la alors que s’il est confronté à un grand
cupidité d’autres personnes mais d’en groupe ou une puissante entreprise, il
faire profiter le public dans la rue et ce n’hésite pas à les menacer de porter
n’est donc pas une res derelictae 40. Une plainte. Il a ainsi gagné un procès en 2004
affaire pittoresque a ainsi pris place à contre un fabriquant chinois de textile.
Paris en 2017. Des personnes avaient
dérobé en août 2017 des mosaïques En 2016, aux États-Unis, l’artiste Rime
d’Invader en se faisant passer pour des a assigné la marque de luxe Moschino,
employés de la ville de Paris. Elles ont qui avait copié et reproduit un de ses
été poursuivies pour vol aggravé et recel graffitis sans son autorisation, afin de
et la mairie de Paris a également porté fabriquer une ligne de vêtements, sur
plainte du chef d’usurpation de fonction. le fondement de la violation du droit
d’auteur. Le créateur a soulevé l’argu-
Le placement de l’œuvre dérobée dans ment selon lequel les artistes de rue ne
un circuit de trafic d’œuvres d’art expo- pourraient pas faire valoir leur copyright
serait celui qui commet les faits à l’in- car les œuvres, réalisées dans l’espace
fraction de blanchiment et les qualités public, seraient illégales. L’affaire a
d’auteur, de coauteur et de complice été réglée à l’amiable aux termes d’un 609
pourraient être retenues à l’encontre de accord confidentiel.
ceux qui facilitent la revente.
En droit français, la situation semble
Si l’œuvre arrachée est revendue, le plus complexe, mais pourrait donner
contrat est nul au regard du droit civil, lieu à des évolutions. Une plainte dépo-
car en vertu de l’article 1598 du Code sée du chef de contrefaçon peut, en effet,
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civil, les conventions ne peuvent porter se heurter à la jurisprudence de la Cour © Dalloz | Téléchargé le 25/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.108)
que sur des choses qui sont dans le de cassation qui se réfère à la liberté
commerce juridique. Une chose issue d’expression consacrée à l’article 10
d’un vol, ayant une origine illicite, ne § 2 de la CESDH pour rejeter l’action en
peut être considérée comme étant dans contrefaçon, en imposant un juste équi-
le commerce juridique 41. libre entre le droit d’auteur de l’artiste
et la liberté d’expression, solution déjà
L’auteur urbain peut également se heur- affirmée par la Cour Européenne des
ter à la reproduction de son dessin ou Droits de l’Homme 42. L’artiste Franck
de sa figurine caractéristique sans son Slama, dénommé Invader, a perdu, le
autorisation. Ainsi, Jace, créateur des 22 mars 2016, le procès en contrefaçon
gouzous, connait-il bien cette situation. qu’il avait intenté à deux personnes qui
Depuis de nombreuses années, il a avaient essayé de desceller l’une de ses

(40) Crim. 10 mai 2005, JCP 2005, II, 10162, note M. Daury-Fauveau.
(41) Com. 24 sept. 2003, Bull. civ. IV, no 147.
(42) Civ. 1re, 15 mai 2015, CCE 2015, Comm. 55 C. Caron ; CEDH, 5e section, 10 janv. 2013, n° 36769/08, Ashby Donald
c/ France, AJDA 2013. 1794, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2013. 172, obs. C. Manara ; ibid. 2487, obs. J. Larrieu,
C. Le Stanc et P. Tréfigny ; ibid. 2014. 2078, obs. P. Sirinelli ; Légipresse 2013. 221, Étude F. Marchadier ; RTD com.
2013. 274, obs. F. Pollaud-Dulian ; CCE 2013, Comm. 39 C. Caron ; plus généralement sur cette question, G. Gof-
faux-Callebaut, Street art et marché de l’art, in Droit(s) et Street Art, De la transgression à l’artification, LGDJ,
2017, sous la dir. de G. Goffaux-Callebaut, D. Guével et J.-B. Seube, p. 149 s.

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VARIÉTÉS Street art, de l’illicite au licite ? Du délit à l’art ?
Une redéfinition des frontières…

mosaïques. Les prévenus avaient été intellectuelle et au droit civil. S’ajoute


surpris munis d’une échelle et de divers également une autre difficulté, qui tient
outils, dans le IIIe arrondissement de au fait que ces artistes réalisent des
Paris, en train d’arracher des carreaux œuvres en France, mais également à
des mosaïques. Ils ont fait l’objet d’un l’étranger, ce qui rend l’application des
rappel à la loi des chefs de dégradation règles de droit encore plus complexes
de bien privé et de vol. en raison des différences de législation.

Mais l’artiste a déposé plainte pour


contrefaçon, car il faisait valoir qu’ils B – Vers un « droit des
avaient arraché son œuvre dans le but de territoires » repensé
la diffuser sur les réseaux sociaux et leur
a demandé 18 000 euros de dommages
et intérêts et la publication d’un commu- Le graffiti, le tag et le pochoir sont pré-
niqué judiciaire. Les juges ont relaxé les sents au cœur des territoires urbains.
prévenus car leur comportement ne cor- Afin de permettre une évolution et ne pas
respondait pas aux éléments constitutifs penser une réponse du droit qu’au regard
du délit de contrefaçon. Selon le tribu- de la répression, un mouvement des pou-
nal, il « n’est nullement établi que les voirs publics tend vers la promotion d’un
prévenus avaient une quelconque inten- projet urbain, social et global (1). Une
tion de diffuser cette œuvre, l’affirma- autre analyse va encore plus loin et se
tion selon laquelle ils avaient l’intention demande si le street art ne constituerait
de "la revendre comme des tableaux de pas en réalité un bien commun (2).
chevalet" n’étant étayée par aucun élé-
ment de la procédure, les deux préve-
610 nus ayant déclaré de manière constante 1 – La promotion d’un projet
qu’ils souhaitaient la garder pour eux ». urbain, social et global
L’élément décisif en l’espèce semble
reposer sur l’absence de démonstration
par l’artiste de l’intention des prévenus La politique de la ville connaît un essor
d’exploiter l’œuvre. S’il y était parvenu, en France depuis les années 1980, à
son action aurait-elle pu prospérer ? La la suite d’émeutes urbaines survenues
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décision semble le suggérer. dans la banlieue de Lyon 43. L’étude de la © Dalloz | Téléchargé le 25/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.108)
sociologie des cités et de la délinquance
Si une action de nature pénale s’avère urbaine pouvant y être associée est
complexe pour l’artiste urbain, une devenue une préoccupation importante,
action en responsabilité civile sur le susceptible d’engendrer des effets sur
fondement des articles 1240 et s. du les communes du pays tout entier. Aux
Code civil ou sur le fondement de l’en- États-Unis, l’École de Chicago avait déjà,
richissement injustifié de l’article 1303 dès le début du xxe siècle, mis l’accent
du Code civil pourrait être envisagée, sur les liens entre l’écologie de la ville
à condition de respecter les strictes et l’existence éventuelle de formes de
conditions posées par ces textes, ce qui délinquance.
n’est pas du tout évident au regard du
contexte du street art. Lorsque des graffitis ont commencé à
poindre sur les murs des cités en France
On le voit, la situation juridique de l’ar- dans les années 1980 et 1990, des habi-
tiste urbain est délicate, y compris en tants n’ont pas apprécié cette idée de
ayant recours au droit de la propriété transgression sur les espaces de leurs

(43) B. Schwartz, L’insertion professionnelle et sociale des jeunes, rapport au Premier ministre, Doc. fr., 1981 ; G. Bon-
nemaison, Face à la délinquance : prévention, répression, solidarité, rapport au Premier ministre, Doc. fr., 1981 ;
H. Dubedout, Ensemble : refaire la ville, rapport au Premier ministre, Doc. fr., 1983.

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Street art, de l’illicite au licite ? Du délit à l’art ? VARIÉTÉS
Une redéfinition des frontières…

quartiers, imposée par des artistes de cificités culturelles et sociales 46. Après
rue. En quelque sorte, ils se sont sentis quelques années de recul, les résidents
dépossédés de ces espaces, qui étaient se sont habitués à ces œuvres apposées
ainsi réappropriés par les graffeurs vou- sur les façades de leurs immeubles. La
lant marquer leur territoire. volonté transgressive et vandale origi-
nelle tend désormais à laisser la place
Certains résidents ont suivi le mou- à une volonté de s’exprimer, en vertu de
vement avec curiosité, d’autres ont la liberté d’expression 47. Dans le cadre
estimé que le fait de laisser de tels d’un projet urbain, social et global, des
agissements se produire sans réac- maires encouragent les habitants à se
tion de la part de la communauté et réapproprier les éléments urbains. Ils
de la collectivité territoriale était le commandent des œuvres dans le respect
signe d’une impuissance mais égale- des règles du droit de l’urbanisme, pro-
ment d’une indifférence générale à leur meuvent des street artistes et organisent
égard. En conséquence, les imperfec- des parcours touristiques sur le street
tions de l’environnement urbain peuvent art (dans le 20e arrondissement de Paris
générer auprès des habitants la sensa- notamment). Une volonté d’intégrer l’art
tion que la règle de droit n’existe pas au cœur de la cité et de l’environne-
dans leur quartier. Et si aucune norme ment est perceptible, afin de rendre l’art
juridique ne vient assurer un minimum accessible au plus grand nombre 48.
d’ordre, des comportements de vanda-
lisme apparaissent et se multiplient. Ce
sentiment d’abandon des citoyens et de 2 – Le street art, un bien
leurs quartiers par les pouvoirs publics commun ?
se doublait à cette époque d’une volonté
du politique de ne pas nécessairement 611
remettre en l’état les supports tagués, Une analyse contemporaine propose de
en raison du coût important que cela modifier le statut juridique du street art.
représente pour la collectivité.
Compte tenu de son rôle social et cultu-
Ceci constitue la base de la théorie de la rel, certains auteurs suggèrent de le
fenêtre brisée 44, qui a remporté un grand considérer comme un bien commun 49.
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succès dans les années 1990, mais qui, © Dalloz | Téléchargé le 25/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.108)
désormais, est parfois estimée insuffi- Un bien commun est destiné à l’usage de
sante ou à nuancer 45. C’est qu’en réalité tous les citoyens, le « propriétaire » étant
il convient d’adopter un raisonnement alors conçu comme un dépositaire 50. Le
plus subtil, en fonction des sensibilités « propriétaire » de l’œuvre deviendrait
propres aux habitants et de leurs spé- celui qui est tenu de la conserver et de

(44) Q. Wilson et G. Kelling, Broken Windows, The Atlantic Monthly, 1982, march 249, 29-38 ; B. Harcourt et J. Lud-
wig, Broken Windows : New Evidence from New York City and a Five-City Social Experiment, The University of
Chicago Law Review, Vol. 73, no. 1, Symposium : Homo Economicus, Homo Myopicus, and the Law and Economics
of Consumer Choice, 2006, p. 271-320.
(45) B. Harcourt, Illusion of order : the false promise of broken windows policing, Harvard University Press, 2001.
(46) A. Barker et A. Crawford, Peur du crime et insécurité, Déviance et société, 2011, p. 59.
(47) C. Copain, Street art et le droit français : entre réprobation et bienveillance, Les cahiers de droit, Vol. 58, no 1-2,
mars-juin 2017, p. 281.
(48) J.-E. Muller, L’art et le non art, Aimery Somogy, 1970, p. 142.
(49) G. M. Riccio et F. Pezza, deux spécialistes italiens de la propriété intellectuelle ; V. également en France, F.G. Tre-
bulle, La propriété à l’épreuve du patrimoine commun : le renouveau du domaine universel, Études P. Malinvaud,
2007, Litec, p. 619 ; D. Bollier, La renaissance des communs. Pour une société de coopération et de partage, éd.
Charles Léopold Mayer, 2014, p. 75 s. ; A. Chaigneau, Des droits individuels sur des biens d’intérêts collectifs, à la
recherche du commun, Revue internationale de droit économique, 2014, p. 335 ; J. Rochfeld, Penser autrement la
propriété : la propriété s’oppose-t-elle aux « communs » ?, Revue internationale de droit économique, 2014, p. 351.
(50) J.-B. Seube, Street art et droit des biens, in Droit(s) et Street Art, De la transgression à l’artification, LGDJ, 2017,
sous la dir. de G. Goffaux-Callebaut, D. Guével et J.-B. Seube, p. 53 s., spéc. p. 60.

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VARIÉTÉS Street art, de l’illicite au licite ? Du délit à l’art ?
Une redéfinition des frontières…

l’entretenir, engageant même sa res- collectivités territoriales, du droit des


ponsabilité civile s’il en modifie la des- contrats, du droit pénal, afin de propo-
tination. Une telle évolution impliquerait ser une approche globale qui dépasse
toutefois de modifier la notion même les frontières des différentes branches
de propriété, et de la concevoir davan- du droit. Face à cet enchevêtrement de
tage comme une forme d’intendance que règles, il importe cependant de confé-
comme une possession. Se poserait éga- rer aux artistes urbains un espace de
lement la question de savoir si le sort création fondé sur le droit à la liberté
des œuvres dépendrait au cas par cas d’expression 51. Il ne serait pas souhai-
d’une autorité administrative. C’est la table que cet espace soit annihilé par un
raison pour laquelle il est illusoire de excès de norme juridique. À notre avis, il
penser que cette analyse puisse prospé- convient de ne pas supprimer la spécifi-
rer en France pour l’instant, au regard de cité du street art : trop vouloir le juridici-
l’analyse classique de la puissance de la ser risquerait d’entraîner sa disparition.
propriété privée et des mentalités. Il ne faut pas oublier que, pour le street
art, comme cela existait également pour
En conclusion, il ressort de notre ques- les formes d’art contemporain, la trans-
tionnement, qu’au-delà d’une approche gression est partie inhérente de sa qua-
nécessairement casuistique pour l’ins- lification en œuvre d’art. L’accession à
tant, plusieurs disciplines juridiques l’artification procède justement de ce
pourraient être convoquées autour du caractère transgressif. Dès lors, jusque
street art, qu’il s’agisse du droit des dans un souhait de juridicisation pour l’en-
biens, du droit de la propriété intellec- cadrer, le street art continue d’interroger
tuelle, du droit de l’urbanisme et des les limites du droit et ses frontières…

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(51) S. Tesson, Graffitis : les murs n’ont pas d’oreille, mais une mémoire, in Aphorismes sous la lune et autres pensées
sauvages, éd. des Équateurs, coll. Parallèles, 2008 : cette réflexion souligne la mémoire humaine que repré-
sentent les œuvres figurant sur les murs et façades au sein des cités.

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