Tiers 0040-7356 1987 Num 28 111 4512

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Tiers-Monde

Implications culturelles de la communication en Afrique


Frank O. Ugboajah

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Ugboajah Frank O. Implications culturelles de la communication en Afrique. In: Tiers-Monde, tome 28, n°111, 1987. Transferts
des technologies de communication et développement. pp. 595-600;

doi : https://doi.org/10.3406/tiers.1987.4512

https://www.persee.fr/doc/tiers_0040-7356_1987_num_28_111_4512

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IMPLICATIONS CULTURELLES
DE LA COMMUNICATION EN AFRIQUE

par Frank Ugboajah*

INTRODUCTION

L'élaboration de toute politique de la communication doit prendre en


considération avant tout l'impact de la culture, bien que la planification économique
en Afrique ne prête guère attention aux facteurs culturels. Mais comment nier
qu'il est impossible de répondre à de profondes questions économiques sans
tenir compte de la composante culturelle? La culture est une force subtile qui
détermine l'acceptation ou le rejet de la politique de développement économique
imposée aux populations rurales. Il faut découvrir ou rétablir le lien entre
l'économie et la culture afin d'éviter les incessantes erreurs dans le domaine de
la planification économique et du développement social. Kipkorir (1980) déplore
« l'idéologie politique adoptée par le Kenya » depuis des années. Il constate que la
culture occidentale est constamment régénérée à partir d'une base locale solide et
a trouvé « un climat des plus favorables à son développement ». Au Kenya,
le progrès est synonyme de l'abandon de la culture matérielle africaine au profit
de la culture occidentale. « Ainsi, on entend parler de politiciens Massai qui
exhortent les gens de leur tribu à renoncer à leur shuka et leur ornementation
d'ocre rouge pour s'habiller en "jeans". »
Cees Hamelink (1983) dénonce le danger d'invasion culturelle, c'est-à-dire,
le danger de permettre à une culture étrangère de dominer les systèmes d'un
autre pays, en particulier ceux de la communication et de la consommation.
Cette domination, fait-il remarquer, compromet la faculté d'adaptation du pays.
Le Kenya est une fois de plus cité comme exemple d'un pays africain sérieusement
handicapé par sa « politique de la porte ouverte ». Prenons le cas des réserves
d'animaux sauvages qui sont un élément clé de l'industrie du tourisme au Kenya.
Norman Miller observe, dans le numéro de mai/juin 1983 de Swara, que «
l'engouement pour les animaux sauvages » au Kenya provoque un « conflit culturel ».
Les valeurs rurales du Kenya entrent en conflit avec un système de valeurs
occidentales lesquelles sont « étrangères, non pertinentes et contraires à la morale
prédominant chez la plupart des fermiers africains ». Il souligne que « l'ensemble

* Professeur au département de communication de masse, Université de Lagos, Nigeria.


Revue Tiers Monde, t. XXVIII, n° 111, Juillet-Septembre 1987
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du mouvement de conservation des sites au Kenya est fortement influencé par


les Blancs ».
L'utilisation de la langue pour la diffusion de l'occidentalisation a été exposée
on ne peut plus explicitement dans une information intitulée « La France se
propose de défendre sa langue », parue dans le journal Daily Nation de Nairobi
le 23 août 1985. Mme Georgina Dufoix, porte-parole du gouvernement français,
déclarait que la France prendrait « des mesures spéciales pour renforcer
l'utilisation du français en Afrique... La France coopérera avec les gouvernements
africains pour former des professeurs de langue, élaborer des émissions de
télévision locale en langue française et promouvoir la création littéraire en
Français, en vertu d'un programme patronné par le ministère de la Coopération ».
Mme Dufoix a déclaré qu'il fallait « soutenir » la langue française. « Une
campagne politique spéciale » doit accompagner ces mesures parce qu'en Afrique,
comme en Europe, l'anglais gagne sur le français. « Les séries télévisées
américaines telles que "Dallas" et "Dynastie" posent des problèmes particulièrement
sérieux »*.
La langue et la culture sont inséparables, pourtant nous « jouons » avec
elle, comme le montre l'illustration ci-dessus. L'Afrique a sa propre culture,
sa ou ses propre(s) langue(s) qu'il faudrait respecter et dépolitiser. Une langue
n'a de sens que dans son contexte et la culture est l'un des aspects les plus
importants du contexte dans lequel la langue est parlée. Accepter d'apprendre
une langue étrangère (comme les Français semblent l'exiger des Africains)
signifie donc aussi accepter d'apprendre quelque chose de la culture où elle est
parlée. Tout comme la langue est la clé d'une culture étrangère, la culture
est la clé de la langue.
Le fait qu'il ne peut exister de planification en dehors de la culture en
Afrique a été reconnu par « la Charte culturelle pour l'Afrique ». Cette charte
a été adoptée par les chefs d'Etats et de Gouvernements au cours de la 13e session
ordinaire de l'Organisation de l'Unité africaine (oua) à Port-Louis, île Maurice,
en juillet 1976. La charte déclare : « Sous la domination coloniale, les pays
africains se sont trouvés dans une situation politique, économique, sociale et
culturelle qui a abouti à la dépersonnalisation d'une partie de la population
africaine, a falsifié son histoire, a systématiquement dénigré et combattu les
valeurs africaines et tenté de remplacer progressivement et officiellement sa
langue par celle du colonisateur. »
Dans le même esprit que la charte ci-dessus, une conférence
intergouvernementale sur la politique culturelle en Afrique, conjointement organisée par I'oua
et l'Unesco un an auparavant, observait :
« L'Afrique a subi un énorme morcellement géographique. (A cela) se
conjuguait une rupture dans le temps : le colonialisme cherchait à rompre

1 . En Afrique, sur une population de plus de 520 millions, il y a 1 10 millions de francophones.


On ne possède pas de chiffres exacts pour les anglophones mais les estimations atteignent
un maximum de 250 millions. Le français est l'unique langue officielle de 12 pays africains,
tous anciennes colonies françaises ou belges, et la seconde langue officielle dans 8 autres pays.
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les liens de l'Africain avec son passé, sa culture. En conséquence, les écoles
traditionnelles ont été fermées, les lieux ou objets de culte détruits et une
campagne a été menée contre les enseignants indigènes. Dans le vide culturel
ainsi créé, les Africains devaient être formés — quoique de façon très
limitée — dans une nouvelle langue et à de nouveaux modes de pensée;
l'éducation coloniale était d'abord et surtout un moyen de conquête, de
soumission et d'aliénation. »

Le cinéaste nigérian connu Ola Balogun (1975) a fait remarquer à juste


titre le vide des préambules ci-dessus. Il observe : « II ne suffit pas de faire de
vagues discours sur une entité mystérieuse et mal définie dite "culture" pour
faire croire à une approche cohérente de la culture dans les pays africains.
Le rôle de la communication est crucial dans une perspective culturelle car
elle est la clé du succès de l'application d'une politique culturelle de masse dans
le contexte africain d'aujourd'hui. »

LEADERSHIP

La Déclaration de Yaounde sur la politique de communication pour l'Afrique


tient compte des remarques de Balogun en affirmant :
« Les Africains, comme tous les autres peuples, ont hérité du passé
des modes de pensée et de vie sociale incontestablement originaux — tout
un héritage de savoir et de sagesse d'une valeur inestimable. Les formes de
communication traditionnelles et interpersonnelles ont toujours été de
puissants instruments de transmission du savoir et de l'héritage des valeurs
accumulées au sein de la société. Elles ont joué un rôle essentiel dans la
lutte pour briser le joug et unifier les composantes historiques de son identité.
La multiplicité des langues et les facettes nombreuses des cultures africaines,
loin d'être cause de division et de conflit, devraient — une fois considérées
comme parties intégrantes d'une politique de communication rationnelle —
constituer une source d'enrichissement mutuel et un indice de la force de
l'Afrique de demain. »

Sur le front de la communication, il faut admettre que l'Afrique vit dans


l'environnement mouvant de l'ère de l'électronique où l'information et la
communication sont devenues des ressources clés pour la survie. L'Afrique ne peut se
permettre de rester isolée même si c'était possible. Nous vivons à l'âge de la puce
électronique où la majorité des emplois consistent à fournir des services ou à
travailler avec des mots plutôt qu'à faire des choses avec ses mains. Pourtant,
malgré l'imminence de la venue en Afrique de l'ère de l'information, malgré
l'adoption et l'adaptation des moyens de communication de masse, la radio
en particulier, dans le cadre du développement, les masses rurales restent
affectivement attachées aux modes de vie traditionnels.
A l'appel du crieur du chef dans les rues et les places, les villageois
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continuent à se précipiter pour écouter ce qu'ils ne pourraient ignorer qu'à leurs


risques et périls. Rien ne peut mieux pousser les gens à l'accomplissement de
tâches communales que le roulement des tambours et la fanfare des cors. Bien des
chansons contribuent plus que toute autre chose à perpétuer « l'esprit de corps »2
transmis de génération en génération qui continue à unir les gens et les faire
« agir de concert ». Chansons, appels et danses restent aussi puissants et
mobilisateurs qu'au temps, pas très lointain, où le nationalisme était le mot de passe
de l'identité africaine émergeant de la servitude.
Les structures traditionnelles de communication (Ugboajah 1972, 1983, 1985)
comportent des facteurs pouvant fortement motiver le changement d'attitude
à l'égard du développement : proximité psychologique et géographique,
interpersonnalisation, transactionalisation, instrumentation, légitimité et crédibilité,
attrait populaire. Ces facteurs abondent dans toutes les zones rurales et semi-
urbaines en Afrique. Au Soudan, par exemple, ils se traduisent par les symboles
visuels suivants : couleurs; langage des tambours; crieurs des villes et des
villages; troupes de théâtre, de mime et de danse; conteurs; chauffeurs de camion
itinérants; poètes et chanteurs; chefs et leaders traditionnels; sages-femmes
traditionnelles (daya); barbiers de village; coiffeurs traditionnels (mashata);
religieux et prédicateurs (imam); vendeuses traditionnelles (dailallia); sorciers-
guérisseurs (koujour-faki); tribunaux des chefs; marchés; cortèges de mariage;
processions funèbres; mosquées et églises; vaudou (zar); festivals; écoles
coraniques (khalwa); fêtes religieuses (ramadan, korban, baïram); écoles
chrétiennes; cliniques.
Au Nigeria, comme dans la plupart des pays du Tiers Monde, la
communication est si bien intégrée dans la culture et centrée sur l'individu qu'il serait
vain de ne l'analyser qu'en termes de porteurs et d'opérateurs. La
communication joue un rôle très important dans la cohésion et la stabilité des populations
rurales et il s'agit d'une communication à caractère entièrement culturel et presque
totalement oral.
Ce n'est que lorsqu'elle remplit les fonctions d'ouverture de dialogue,
d'échange d'expériences, de participation au changement de la qualité de la vie
que l'on peut qualifier la communication de culturelle, qu'elle se présente ou
pas sous des formes strictement culturelles.

INGÉNIERIE CULTURELLE

La culture c'est l'indépendance, c'est l'image de soi-même. De nombreuses


études sur le lieu du contrôle de la personnalité ont conclu que la perception
(l'image) qu'ont les individus des forces qui régissent leur existence joue un
rôle majeur dans le comportement relatif à la communication. Plus précisément,
si l'on a le sentiment que des forces externes contrôlent sa vie, on tend à éviter

2. En français dans le texte.


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l'information et à chercher à la contrôler intérieurement. Média officiel n'égale


pas média culturel. Un média est culturel lorsqu'il véhicule une communication/
information pertinente qui satisfait les besoins de l'audience et n'entraîne pas
le rejet.
En dépit du poids du colonialisme et du néo-impérialisme, du manque de
sincérité des dirigeants, de la stratégie du transnationalisme et de l'impérialisme
culturel, on a récemment vu certains pays africains insuffler des symboles dans
leur développement politique. Quelques-uns des nouveaux Etats africains — Ghana,
Guinée, Mali, Bénin, Burkina Faso, Zimbabwe, Zambie, Malawi, Tanzanie,
Zaïre et Togo — ont, par exemple, tiré leur nom actuel du glorieux passé de
l'Afrique. Certains d'entre eux ont également mené avec succès des campagnes
visant à substituer des noms africains aux prénoms et noms de famille
étrangers. Les modes vestimentaires font également preuve d'une renaissance
culturelle. La régénération culturelle est plus prononcée en Afrique occidentale où
la continuité culturelle est beaucoup plus forte. Les Africains n'ont pas subi
dans cette région la présence d'une population dominante de colons non
africains. Ils n'ont pas eu à se conformer aux canons de la petite classe dirigeante
européenne en matière de vêtements ou d'étiquette, comme c'était le cas en
Afrique orientale et australe. L'impérialisme des médias risque cependant de
neutraliser ces acquis.
Une adaptation continue des organisations purement culturelles ou
traditionnelles se produit dans d'importants secteurs de la vie urbaine. Dans son
étude sur la communauté politique suburbaine de l'agglomération de Lagos,
Sandra Barnes (1977) a constaté que l'évolution la plus importante est la
propagation au niveau de la base d'une culture politique purement africaine.
Mettre l'accent sur les structures de communication traditionnelles (médias
oraux) ne signifie pas chercher à retarder ou refuser l'entrée de l'Afrique dans
le « club électronique ». Il s'agit de souligner l'importance des médias oraux
en tant qu'influence harmonisante sur l'élaboration d'une politique de
communication conséquente et de tenter d'adopter une perspective culturelle en matière
de politique de l'information et de planification du développement national.
Le rôle primordial de la variable culturelle a été maintes fois souligné de
différentes façons. Dans l'introduction à un guide œcuménique, Christian
Communication Directory, Africa, on explique que le titre Guide des communications
chrétiennes a été choisi de préférence à celui de Guide des médias chrétiens
parce qu'en Afrique les moyens de communication traditionnels (médias oraux),
qui remontent à des centaines d'années, sont tout aussi importants que les
médias modernes. « Les Eglises en sont de plus en plus conscientes et
reconnaissent que la communication chrétienne ne concerne pas seulement les moyens
et techniques modernes de communication de masse mais aussi la dimension
de communication de la culture et de la société locales » (Exchange, vol. XII,
n° 36, décembre 1983).
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CONCLUSION

L'africanisation marquée de la politique se manifeste aussi par le nombre


croissant de personnages traditionnels qui adaptent leur rôle de chef ou de
protecteur au marché urbain moderne. Ces chefs aident la population à
satisfaire ses besoins personnels et politiques. Il existe aussi un certain nombre de
réseaux et d'organisations invisibles ou secondaires, tels que les associations
de propriétaires terriens, les sociétés secrètes, les associations de guérisseurs,
les associations de quartier, les sectes religieuses et les comités de règlement
des litiges. Ces structures peuvent être considérées comme la transposition
d'aspects fonctionnels du processus politique appartenant au cadre culturel de
la communauté rurale. Du point de vue de la culture et du développement,
il est important de savoir dans quelle mesure ces organismes sont
complémentaires des institutions gouvernementales au lieu de s'y substituer. Mais il
existe une preuve subtile et incontestable de l'adaptation des anciens modèles
politiques aux nouvelles circonstances. Ainsi par exemple, en Afrique
occidentale, au Nigeria en particulier, les hommes d'affaires, le personnel des médias,
les fonctionnaires de l'Etat et des organisations internationales, ou les religieux
considèrent que de se voir conférer le titre de chef est un moyen d'accroître
leur influence et leur crédibilité, d'être mieux acceptés socialement et d'améliorer
leur image politique. C'est là une manifestation évidente d'ingénierie culturelle
en matière de développement.
Une politique de communication africaine qui négligerait les variables
ci-dessus ou ne réussirait pas à en tenir compte et à les exploiter, ne pourrait
qu'être vouée à l'échec.

RÉFÉRENCES

Ola Balogun, Cultural Perspectives in the Mass Media : The Case for an Appropriate Utilizatio
of Mass Media in the African Cultural Context, paper presented at the West African Regional
Conference on Mass Communication Research, University of Lagos, March 3rd - 5th, 1975.
Sandra T. Barnes, Political Transition in Urban Africa, The Annals, 432 (July 1977).
Cees J. Hamelink, Cultural Autonomy in Global Communications, New York, Longman Inc.
(1983).
B. E. Kipkorir, Towards A Cultural Policy for Kenya : Some Views, Paper n°. 131 (January 29th,
1980), Institute of African Studies, University of Nairobi, Kenya.
Frank Okwu Ugboajah, « Oramedia » in Africa, in Frank Okwu Ugboajah (éd.), Mass
Communication, Culture and Society in West Africa, London, Hans Zell (1985).
Frank Okwu Ugboajah, « Oramedia » or Traditional Media as Effective Communication Options
for Rural Development in Africa, Communicatio Socialis Yearbook, vol. II (1982-1983).
Frank Okwu Ugboajah, Traditional-Urban Media Model : Stocktaking for African
Development, Gazette, vol. 18, n° 2 (1972).

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