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Problèmes d’évolution

Virginie Ehrlacher et Frédéric Legoll

Mars 2020
Table des matières

1 Rappels 1
1.1 Espaces de Hilbert . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
1.1.1 Théorèmes fondamentaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
1.1.2 Bases hilbertiennes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
1.1.3 Orthogonal d’un sous-espace . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
1.2 Espaces de Sobolev . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
1.2.1 Définitions principales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
1.2.2 Trace . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
1.2.3 Inégalité de Poincaré . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
1.2.4 Injections de Sobolev . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
1.3 Convergence faible . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
1.3.1 Compacité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
1.3.2 Définition de la convergence faible . . . . . . . . . . . . . . . . 9
1.3.3 Propriétés de la convergence faible . . . . . . . . . . . . . . . 10
1.4 Problème de l’élasticité linéarisée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
1.4.1 Le modèle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
1.4.2 Inégalité de Korn . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
1.4.3 Problème aux limites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
1.4.4 Formulation variationnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
1.4.5 Interprétation des résultats . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20

2 Introduction à la théorie spectrale 21


2.1 Opérateurs linéaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
2.1.1 Domaine d’un opérateur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
2.1.2 Opérateurs bornés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
2.1.3 Inverse d’un opérateur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
2.1.4 Adjoint d’un opérateur borné . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
2.2 Théorie spectrale des opérateurs bornés . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
2.2.1 Théorie générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
2.2.2 Cas des opérateurs bornés autoadjoints . . . . . . . . . . . . . 36
2.2.3 Invariance par transformation unitaire . . . . . . . . . . . . . 39
2.3 Opérateurs compacts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40
2.3.1 Définition et premières propriétés . . . . . . . . . . . . . . . . 40

i
ii TABLE DES MATIÈRES

2.3.2 Le théorème de Rellich . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43


2.3.3 Théorie spectrale des opérateurs autoadjoints compacts . . . . 47
2.3.4 Opérateurs autoadjoints compacts définis positifs . . . . . . . 51

3 Equations aux dérivées partielles et problèmes aux valeurs propres 57


3.1 Motivation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57
3.2 Valeurs propres d’un problème elliptique . . . . . . . . . . . . . . . . 59
3.2.1 Problème variationnel abstrait . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
3.2.2 Première application : valeurs propres du laplacien . . . . . . 64
3.2.3 Seconde application : l’élasticité linéarisée . . . . . . . . . . . 66
3.3 Méthodes numériques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
3.3.1 Discrétisation du problème . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
3.3.2 Convergence et estimation d’erreur . . . . . . . . . . . . . . . 69
3.4 Algorithmes pour le calcul de valeurs et de vecteurs propres . . . . . 73
3.4.1 Méthode de la puissance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
3.4.2 Méthode de Lanczos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76

4 Introduction aux problèmes d’évolution 83


4.1 Exemples d’équations d’évolution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
4.2 Préliminaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86

5 Méthode des différences finies 89


5.1 Principe de la méthode des différences finies . . . . . . . . . . . . . . 89
5.2 Consistance et précision . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
5.3 Stabilité et analyse de Fourier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
5.3.1 Stabilité en norme L∞ . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
5.3.2 Stabilité en norme L2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
5.4 Convergence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102

6 Problèmes d’évolution paraboliques 105


6.1 Préliminaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
6.1.1 Lemme de Gronwall . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105
6.1.2 Rappels sur l’espace H −1 (Ω) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
6.2 Les espaces de Bochner . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108
6.2.1 Intégrale de Bochner . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108
6.2.2 Espaces dépendant du temps . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112
6.2.3 Théorème de Aubin-Lions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115
6.3 L’équation de la chaleur dans tout l’espace . . . . . . . . . . . . . . . 117
6.4 L’équation de la chaleur sur un ouvert borné Ω . . . . . . . . . . . . 120
6.4.1 Théorème d’existence de solutions faibles . . . . . . . . . . . . 120
6.4.2 Propriétés qualitatives des solutions faibles . . . . . . . . . . . 131
TABLE DES MATIÈRES iii

7 Autres problèmes d’évolution 137


7.1 L’équation de transport . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 137
7.2 L’équation des ondes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
7.2.1 L’équation des ondes 1D . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
7.2.2 L’équation des ondes dans un ouvert borné Ω . . . . . . . . . 142
7.2.2.1 Solutions faibles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142
7.2.2.2 Propriétés qualitatives des solutions faibles . . . . . . 150

8 Méthode des éléments finis pour les équations d’évolution 153


8.1 L’équation de la chaleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153
8.1.1 Semi-discrétisation en espace . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153
8.1.2 Discrétisation totale en espace-temps . . . . . . . . . . . . . . 157
8.2 L’équation des ondes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
8.2.1 Semi-discrétisation en espace . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
8.2.2 Discrétisation totale en espace-temps . . . . . . . . . . . . . . 162
iv TABLE DES MATIÈRES
Chapitre 1

Rappels

Ce chapitre a l’objectif de rappeler plusieurs notions élémentaires. Nous en pro-


fitons pour faire un certain nombre de remarques, illustrées par plusieurs exercices,
et montrant la spécificité de la dimension infinie par rapport à la dimension finie.
La dernière section de ce chapitre est consacrée à l’étude du problème de l’élastici-
té linéaire. De même que l’équation de Poisson, ce modèle servira de motivation et
d’illustration dans les chapitres suivants.
On rappelle tout d’abord la notation suivante pour un espace vectoriel normé E.
Définition 1.1. La boule unité fermée de E est
BE = {x ∈ E; kxkE ≤ 1}.

1.1 Espaces de Hilbert


Dans cette section, on se place dans un espace de Hilbert V . On rappelle que
pscalaire, qu’on note hx, yi, que la
V est donc un espace vectoriel muni d’un produit
norme induite par ce produit scalaire est kxk = hx, xi, et que V est complet pour
cette norme.

1.1.1 Théorèmes fondamentaux


On rappelle maintenant quelques théorèmes fondamentaux pour les espaces de
Hilbert.
Théorème 1.2 (Théorème de projection orthogonale). Soit V un espace de Hilbert
et K un sous-espace vectoriel fermé de V . Pour tout u ∈ V , il existe un unique
v = PK u ∈ K, appelé projection orthogonale de u sur K, tel que
kPK u − uk = inf kw − uk.
w∈K

De plus, PK u est caractérisé par


PK u ∈ K et ∀w ∈ K, hu − PK u, wi = 0. (1.1)

1
2 CHAPITRE 1. RAPPELS

Démonstration. Cf. le cours de première année [14].


On peut faire un peu mieux, et simplement supposer que K est un sous-ensemble
convexe et fermé de V .

Définition 1.3. Soit E un espace vectoriel et C un sous-ensemble de E. L’ensemble


C est convexe si, pour tout x et y dans C et tout λ ∈ [0, 1], on a λx + (1 − λ)y ∈ C.

Théorème 1.4 (Théorème de projection sur un convexe). Soit V un espace de


Hilbert et K un sous-ensemble fermé et convexe de V . Pour tout u ∈ V , il existe un
unique v = PK u ∈ K, appelé projection de u sur K, tel que

kPK u − uk = inf kw − uk.


w∈K

De plus, PK u est caractérisé par

PK u ∈ K et ∀w ∈ K, hu − PK u, w − PK ui ≤ 0. (1.2)

Démonstration. La preuve est très similaire à celle du théorème de projection or-


thogonale donnée dans [14].
Le théorème suivant permet d’identifier un espace de Hilbert V avec son dual
0
V = L(V, R) :

Théorème 1.5 (Théorème de Riesz). Soit V un espace de Hilbert. Etant donné


ϕ ∈ V 0 , il existe un unique u ∈ V tel que

∀w ∈ V, ϕ(w) = hu, wi.

De plus, on a kukV = kϕkV 0 . En d’autres termes, l’application de V 0 dans V qui à


ϕ associe u permet d’identifier l’espace de Hilbert V avec son dual.

Démonstration. Cf. le cours de première année [14].


La notion d’application bilinéaire coercive joue un rôle fondamental pour l’étude
des équations aux dérivées partielles.

Définition 1.6. Soit V un espace de Hilbert et soit a une forme bilinéaire sur V .
On dit que a est coercive sur V s’il existe un réel α > 0 tel que

∀u ∈ V, a(u, u) ≥ αkuk2 .

Théorème 1.7 (Théorème de Lax-Milgram). Soit V un espace de Hilbert et a une


forme bilinéaire sur V , symétrique, continue et coercive. Soit b une forme linéaire
continue sur V . Alors le problème

Chercher u ∈ V tel que
(1.3)
∀w ∈ V, a(u, w) = b(w)
1.1. ESPACES DE HILBERT 3

admet une unique solution. De plus, le problème (1.3) est équivalent au problème de
minimisation (
Chercher u ∈ V tel que
J(u) = inf J(w) (1.4)
w∈V

1
où la fonctionnelle d’énergie J(w) est définie par J(w) = a(w, w) − b(w).
2
Démonstration. Cf. les cours de première année [11, 14].

Remarque 1.8. On peut supprimer l’hypothèse de symétrie sur la forme bilinéaire


a. Alors le problème (1.3) admet encore une unique solution, mais il n’y a plus
d’équivalence de (1.3) avec un problème de minimisation du type (1.4).

1.1.2 Bases hilbertiennes


La notion de base hilbertienne généralise en dimension infinie la notion de base
orthonormée.

Définition 1.9. Soit V un espace de Hilbert. On appelle base hilbertienne de V une


suite (en )n≥1 d’éléments de V tels que
— pour tout n, ken k = 1 et pour tous m 6= n, hen , em i = 0.
— l’espace vectoriel engendré par la famille (en )n≥1 est dense dans V .

Proposition 1.10. Soit V un espace de Hilbert admettant une base hilbertienne


Pn )n≥1 . Soit u
(e P ∈ V et2 posons un = hu, en i pour tout n ≥ 1. Alors, les séries
n≥1 un en et n≥1 |un | sont convergentes dans V et R respectivement, et on a

X X
u= un en et kuk2 = |un |2 .
n≥1 n≥1

Démonstration. Cf. le cours de première année [14].

1.1.3 Orthogonal d’un sous-espace


Définition 1.11. Soit V un espace de Hilbert, et W ⊂ V un sous-espace vectoriel.
On note
W ⊥ = {v ∈ V ; ∀w ∈ W, hv, wi = 0} .

Lemme 1.12. Soit V un espace de Hilbert, et W ⊂ V un sous-espace vectoriel.


Alors W ⊥ est un sous-espace vectoriel fermé de V .

Démonstration. Soit (vn )n≥1 une suite d’éléments de W ⊥ qui converge vers v ∈ V .
Pour tout w ∈ W , et tout n ≥ 1, on a hvn , wi = 0. En passant à la limite, on obtient
donc hv, wi = 0 et par conséquent v ∈ W ⊥ .
4 CHAPITRE 1. RAPPELS

Lemme 1.13. Soit V un espace de Hilbert, et W ⊂ V un sous-espace vectoriel.


Alors ⊥
W⊥ = W.

Démonstration. Par définition,


⊥
W⊥ ∀w ∈ W ⊥ , hv, wi = 0 .

= v ∈V;
⊥ ⊥
On a immédiatement que W ⊂ W ⊥ . D’après le lemme 1.12, W ⊥ est fermé,
⊥ ⊥
donc W ⊂ W ⊥ . Soit maintenant x ∈ W ⊥ . Comme W est fermé, on peut
appliquer le théorème de projection orthogonale de V sur W et décomposer x selon

x = PW x + y, (1.5)
⊥
avec y ∈ (W )⊥ , et donc hy, PW xi = 0. On a aussi y ∈ W ⊥ , et comme x ∈ W ⊥ ,
ceci implique hx, yi = 0. Donc

0 = hx, yi − hPW x, yi = hx − PW x, yi = hy, yi,

ce qui conduit à y = 0. La relation (1.5) implique alors que x ∈ W . On a donc


⊥
montré que W ⊥ ⊂ W , ce qui termine la preuve.

Théorème 1.14. Si W est fermé dans V , et que W ⊥ = {0}, alors W = V tout


entier.

Démonstration. Soit x ∈ V . Comme W est fermé, on peut appliquer le théorème de


projection orthogonale et décomposer x selon

u = PW x + y. (1.6)

La caractérisation (1.1) donne hy, wi = 0 pour tout w ∈ W . Donc y ∈ W ⊥ , et par


conséquent y = 0. On déduit de (1.6) que x = PW x, soit x ∈ W . Par conséquent,
W =V.

1.2 Espaces de Sobolev


Les espaces de Sobolev jouent un rôle central dans l’étude des équations aux
dérivées partielles.

1.2.1 Définitions principales


Soit Ω un ouvert de Rd . On rappelle que, pour tout p ≥ 1, l’ensemble Lp (Ω) est
l’ensemble des fonctions dont la puissance p-ième est intégrable sur Ω.
1.2. ESPACES DE SOBOLEV 5

qu’un multi-indice α = (α1 , . . . , αd ) est un élément de Nd . Sa lon-


On rappelle P
gueur est |α| = di=1 αi et on adopte la notation suivante : pour toute distribution
u ∈ D0 (Ω),
∂ |α| u ∂ α1 +...+αd u
∂ α u = α1 = .
∂ x1 . . . ∂ α d xd ∂ α 1 x1 . . . ∂ α d xd

Définition 1.15. Pour k ≥ 1, l’espace de Sobolev H k (Ω) est l’ensemble des fonc-
tions f ∈ L2 (Ω) telles que les dérivées de f au sens des distributions, jusqu’à l’ordre
k, s’identifient à des fonctions de L2 (Ω). Autrement dit,

H k (Ω) = f ∈ L2 (Ω) telles que ∀α ∈ Nd , |α| ≤ k, ∂α f ∈ L2 (Ω) .




Comme l’espace L2 (Ω), les espaces H k (Ω) sont des espaces de Hilbert.

Théorème 1.16. Muni du produit scalaire


Z X Z
(f, g)H k = f (x) g(x) dx + ∂α f (x) ∂α g(x) dx,
Ω 1≤|α|≤k Ω

l’espace H k (Ω) est un espace de Hilbert. Sa norme est notée k · kH k (Ω) .

On rappelle maintenant un théorème de densité de l’ensemble des fonctions test.

Théorème 1.17. Pour tout ouvert Ω de Rd , l’ensemble D(Ω) est dense dans L2 (Ω)
pour la norme L2 (Ω).
De plus, pour tout k ≥ 1, l’ensemble D(Rd ) est dense dans H k (Rd ) pour la norme
H k (Rd ).
Pour tout k ≥ 1, si Ω ⊂ Rd avec Ω 6= Rd , alors D(Ω) n’est pas dense dans
k
H (Ω).

Définition 1.18. Pour k ≥ 1, on définit H0k (Ω) comme la fermeture de D(Ω) dans
H k (Ω) (pour la norme de H k (Ω)).

On donne maintenant un résultat propre à la dimension 1.

Théorème 1.19. Soit I un intervalle de R et u ∈ H 1 (I). Alors u s’identifie à une


fonction continue et, pour tout x et y dans I,
Z x
u(x) − u(y) = u0 (s)ds.
y

On souligne que ce théorème est faux en dimension plus grande.


6 CHAPITRE 1. RAPPELS

Démonstration. On esquisse ici la preuve, dont les détails sont laissés au lecteur.
Soit x0 ∈ I fixé. Pour u ∈ H 1 (I), on définit
Z x
w(x) = u0 (s)ds.
x0

Grâce à l’inégalité de Cauchy-Schwarz, cette définition a bien un sens, et on montre


que w est une fonction continue sur I. On calcule ensuite la dérivée de w au sens
des distributions, en utilisant le théorème de Fubini. On montre ainsi que w0 = u0
dans D0 (I). Par conséquent, w − u est une constante, et u s’identifie donc bien à une
fonction continue.

1.2.2 Trace
Pour une fonction définie dans un ouvert Ω, on souhaite définir sa valeur au bord
de Ω. Pour les fonctions u ∈ L2 (Ω), cette notion n’a pas de sens. Par contre, si u est
plus régulière, alors on peut définir rigoureusement cette notion.

Proposition 1.20. Soit Ω un ouvert borné et régulier. On peut définir une appli-
cation linéaire et continue
γ : H 1 (Ω) −→ L2 (∂Ω)
u 7→ γ(u),

et qui prolonge l’application trace pour les fonctions continues sur Ω : pour tout
u ∈ H 1 (Ω) ∩ C 0 (Ω), γ(u) = u|∂Ω .

L’application trace est continue de H 1 (Ω) dans L2 (∂Ω), ce qui signifie qu’il existe
une constante CΩ telle que

∀u ∈ H 1 (Ω), kγ(u)kL2 (∂Ω) ≤ CΩ kukH 1 (Ω) . (1.7)

Remarque 1.21. L’application trace n’est pas surjective sur L2 (∂Ω), mais sur un
espace plus petit, qui est H 1/2 (∂Ω). Elle est en fait continue de H 1 (Ω) vers H 1/2 (∂Ω),
si bien qu’il existe CΩ tel que

∀u ∈ H 1 (Ω), kγ(u)kH 1/2 (∂Ω) ≤ CΩ kukH 1 (Ω) .

Enfin, pour tout u ∈ H 1/2 (∂Ω), on a kukL2 (∂Ω) ≤ kukH 1/2 (∂Ω) .

L’espace H01 (Ω), défini comme la fermeture dans H 1 (Ω) de D(Ω), s’identifie à
l’espace des fonctions à trace nulle :

Proposition 1.22. Soit Ω un ouvert de Rd . On a

H01 (Ω) = u ∈ H 1 (Ω), γ(u) = 0 .



1.2. ESPACES DE SOBOLEV 7

1.2.3 Inégalité de Poincaré


On rappelle la notation suivante :
Définition 1.23. Soit Ω un ouvert de Rd . Pour une fonction u à valeur vectorielle
u = (u1 , . . . , ud ) ∈ L2 (Ω)d , on note
v
u d
uX
kukL2 (Ω) = t kui k2L2 (Ω) .
i=1

Proposition 1.24 (Inégalité de Poincaré). Soit Ω un ouvert borné de Rd . Alors il


existe une constante CΩ telle que
∀u ∈ H01 (Ω), kukL2 (Ω) ≤ CΩ k∇ukL2 (Ω) . (1.8)
Démonstration. Cette inégalité est démontrée dans les cours [11, 14]. L’exercice 2.70
en propose une autre démonstration. L’exercice 3.7 donne une caractérisation de la
meilleure constante CΩ en terme de valeur propre du laplacien.

1.2.4 Injections de Sobolev


On considère une fonction u ∈ H 1 (Ω). Bien sûr, u ∈ L2 (Ω). On peut se demander
si u n’est pas plus régulière que ceci, du fait que ∇u soit dans L2 (Ω). Le théorème
suivant répond à cette question.
Théorème 1.25. Soit Ω un ouvert régulier de Rd , et soit k un entier. On a les
injections continues suivantes :

— si d > 2k, alors H k (Ω) ⊂ Lp (Ω) avec 1/p∗ = 1/2 − k/d.
— si d = 2k, alors H k (Ω) ⊂ Lq (Ω) pour tout q ∈ [2, +∞[.
— si d < 2k, alors H k (Ω) ⊂ C 0 (Ω).
On rappelle maintenant l’inégalité de Hölder.
Lemme 1.26 (Inégalité de Hölder). Soient p et q deux réels compris (au sens large)
entre 1 et +∞, avec 1/p + 1/q = 1. Soient f ∈ Lp (Ω) et g ∈ Lq (Ω). Alors le produit
f g est dans L1 (Ω) et
kf gkL1 (Ω) ≤ kf kLp (Ω) kgkLq (Ω) .
On déduit de cette inégalité (le faire en exercice !) le résultat suivant :
Lemme 1.27. Soient p et q deux réels compris (au sens large) entre 1 et +∞, avec
p < q. Soit f ∈ Lp (Ω) ∩ Lq (Ω). Alors, pour tout r ∈ [p, q], on a f ∈ Lr (Ω), avec
kf kLr (Ω) ≤ kf kαLp (Ω) kf kL1−α
q (Ω) ,

où α est tel que 1/r = α/p + (1 − α)/q.


Ainsi, soit Ω un ouvert régulier de Rd , et soit k un entier, avec par exemple d > 2k.

On a vu que H k (Ω) ⊂ Lp (Ω) avec 1/p∗ = 1/2 − k/d. De plus, H k (Ω) ⊂ L2 (Ω).
Donc H k (Ω) ⊂ Lr (Ω) pour tout r ∈ [2, p∗ ].
8 CHAPITRE 1. RAPPELS

1.3 Convergence faible


On rappelle qu’une suite d’éléments (un )n≥0 d’un espace de Hilbert V converge
vers u ∈ V si limn kun − uk = 0. On introduit ici une notion de convergence plus
faible, la convergence faible. Pour éviter les confusions, on parlera alors de conver-
gence forte pour la convergence usuelle.
Avant d’introduire cette nouvelle notion, on rappelle ici quelques notions liées à
la compacité de sous-ensembles d’un espace vectoriel.

1.3.1 Compacité
On se place dans un espace vectoriel normé E. On rappelle la définition suivante :
Définition 1.28. Un sous-ensemble K ⊂ E est compact si, de toute suite (un )n≥0
d’éléments de K, on peut extraire une sous-suite convergente dans K.
Nous aurons besoin dans la suite de ce cours d’une notion plus fine que celle
d’ensemble compact, et que nous introduisons maintenant :
Définition 1.29. Un sous-ensemble K ⊂ E est relativement compact si, de toute
suite (un )n≥0 d’éléments de K, on peut extraire une sous-suite convergente dans E.
La différence avec la notion d’ensemble compact est donc que la limite de la suite
n’appartient pas nécessairement à K.
La preuve de la proposition suivante est laissée en exercice :
Proposition 1.30. Un sous-ensemble K ⊂ E est relativement compact si et seule-
ment si K est compact.

On rappelle que les sous-ensembles compacts de E sont nécessairement des en-


sembles fermés et bornés. La réciproque n’est vraie que dans le cas où E est un
espace de dimension finie. On a en effet le résultat suivant, caractéristique de la
dimension infinie :
Théorème 1.31. Soit V un espace de Hilbert de dimension infinie. Alors la boule
unité fermée de V n’est pas compacte.
Démonstration. Comme l’espace est de dimension infinie, on peut construire une
suite orthonormée infinie (en )n≥1 (en utilisant le procédé de Gram-Schmidt). Cette
suite appartient bien à la boule unité fermée. Par ailleurs, pour n 6= p, on a

ken − ep k2 = ken k2 + kep k2 − 2hen , ep i = 2. (1.9)

Supposons que la boule unité fermée est compacte. Alors on peut extraire de la suite
(en )n≥1 une sous-suite convergente, donc de Cauchy. Or ceci est contradictoire avec
(1.9).
1.3. CONVERGENCE FAIBLE 9

1.3.2 Définition de la convergence faible


Avant de donner la définition de la notion de convergence faible, nous avons
besoin de rappeler la définition de la limite inférieure d’une suite de réels.
Définition 1.32. Soit un une suite de réels. On définit sa limite inférieure par
 
lim inf un = lim inf uk .
n→∞ k≥n

La suite In = inf k≥n uk est une suite croissante de réels, qui admet donc bien une
limite (éventuellement infinie).
Le lemme suivant montre que la notion de limite inférieure généralise la notion
de limite.
Lemme 1.33. Soit un une suite de réels qui converge vers λ. Alors λ = lim inf un .
Dans le cas d’une suite quelconque, on a le résultat suivant :
Lemme 1.34. Soit un une suite de réels, et soit λ = lim inf un . On peut extraire de
un une sous-suite qui converge vers λ.
Démonstration. On suppose λ ∈ R (le cas λ = +∞ se traite de la même façon).
On pose In = inf k≥n uk : par définition, λ = limn In . Soit ε > 0 et N > 0. Il existe
n0 > N tel que λ ≥ In0 ≥ λ − ε. De plus, il existe k0 ≥ n0 tel que ε + inf k≥n0 uk ≥
uk0 ≥ inf k≥n0 uk . Donc on a ε + λ ≥ uk0 ≥ λ − ε, ce qui conclut la preuve.

On introduit maintenant la notion de convergence faible.


Définition 1.35. Soit V un espace de Hilbert. On dit qu’une suite un de V converge
faiblement vers u dans V si u ∈ V et
∀w ∈ V, lim hun , wi = hu, wi.
n→+∞

On note un * u.
Si V est de dimension finie, alors la convergence au sens faible est équivalente à
la convergence au sens fort. En dimension infinie, les deux notions sont différentes.
On a également la caractérisation équivalente suivante de la convergence faible.
Proposition 1.36. Soit V un espace de Hilbert, u ∈ V et (un )n∈N une suite
d’élements de V . Les deux propositions suivantes sont équivalentes :
(i) (un )n∈N converge faiblement vers u dans V ;
(ii) pour toute forme linéaire continue ϕ ∈ V 0 ,
ϕ(un ) −→ ϕ(u).
n→+∞

Démonstration. On montre que (ii) implique (i). Ceci découle du fait que, pour tout
w ∈ V , l’application ϕ : v ∈ V 7→ hv, wi ∈ R est une forme linéaire continue.
Montrons maintenant que (i) implique (ii). Ceci est une conséquence du théorème
de Riesz. En effet, pour tout ϕ ∈ V 0 , il existe w ∈ V tel que pour tout v ∈ V ,
ϕ(v) = hw, vi. D’où le résultat.
10 CHAPITRE 1. RAPPELS

1.3.3 Propriétés de la convergence faible


Nous commençons par énoncer les liens entre convergence faible et convergence
forte (au sens usuel).

Théorème 1.37. Soit un une suite de V .


— si un converge fortement vers u dans V , alors un converge faiblement vers u
dans V ;
— si un converge faiblement vers u dans V , alors la suite un est bornée dans V
et kuk ≤ lim inf n→∞ kun k.
— Si un converge vers u faiblement et wn converge vers w fortement, alors on
a limn→∞ hun , wn i = hu, wi.

Démonstration. La preuve de la première et de la troisième affirmation sont laissées


au lecteur (utiliser l’inégalité de Cauchy-Schwarz). Le fait qu’une suite qui converge
faiblement soit bornée est une propriété plus difficile à démontrer, et qui sera ici ad-
mise. Elle repose sur le théorème de Banach-Steinhaus (cf. par exemple [3, Théorème
II.1 et Proposition III.5]). On prouve maintenant l’inégalité dans la deuxième affir-
mation. Supposons que un converge faiblement vers u. L’inégalité de Cauchy-Schwarz
donne que  
u
, un ≤ kun k.
kuk
On passe à la limite inférieure et on utilise que le membre de gauche converge :
   
u u
lim , un = lim inf , un ≤ lim inf kun k,
n→∞ kuk n→∞ kuk n→∞

d’où le fait que kuk ≤ lim inf n→∞ kun k.

L’intérêt de la convergence faible réside dans la proposition suivante, que nous


admettrons.

Proposition 1.38. Soit V un espace de Hilbert. La boule unité de V est faiblement


compacte : de toute suite bornée de V , on peut extraire une sous-suite qui converge
faiblement dans V .

Dans un espace de Hilbert, pour montrer qu’une suite converge faiblement (à
extraction près), il suffit donc de montrer qu’elle est bornée.

La définition d’ensemble fermé pour la topologie faible est naturelle :

Définition 1.39. Soit V un espace de Hilbert, et C un sous-ensemble de V . On dit


que C est faiblement fermé si, pour toute suite d’éléments (un )n≥0 de C qui converge
faiblement vers u dans V , on a u ∈ C.
1.3. CONVERGENCE FAIBLE 11

Comme la convergence forte implique la convergence faible, un ensemble faible-


ment fermé (i.e. fermé pour la topologie faible) est fortement fermé (i.e. fermé pour
la topologie forte). La réciproque est fausse, sauf si l’ensemble est convexe, comme
le montre le résultat suivant :

Proposition 1.40. Soit V un espace de Hilbert, et C un sous-ensemble de V qui


soit convexe et fortement fermé. Alors C est faiblement fermé.

Démonstration. Soit un est une suite de points de C qui converge faiblement vers
u ∈ V . Comme C est convexe et fortement fermé dans V , on peut considérer la
projection de V sur C, qu’on note PC . D’après le théorème 1.4, on a

∀w ∈ C, hu − PC u, w − PC ui ≤ 0.

On écrit cette inégalité avec w = un et on passe à la limite n → +∞ en utilisant la


convergence faible de un vers u. Donc hu − PC u, u − PC ui ≤ 0, ce qui implique que
u = PC u et donc u ∈ C.

Proposition 1.41. Soit V un espace de Hilbert et J : V → R une fonction continue


(pour la topologie forte de V ) et convexe sur V . Pour toute suite un qui converge
faiblement dans V vers u, on a

J(u) ≤ lim inf J(un ).

Démonstration. Pour tout λ ∈ R, l’ensemble C(λ) = {u ∈ V ; J(u) ≤ λ} est convexe,


car J est convexe. Comme J est continue, cet ensemble est fortement fermé. On uti-
lise la proposition 1.40 : C(λ) est faiblement fermé.
Soit λ0 = lim inf J(un ). Le lemme 1.34 donne l’existence d’une sous-suite extraite
uϕ(n) telle que limn J(uϕ(n) ) = λ0 . Par conséquent, pour tout ε > 0, et pour tout
n ≥ n0 (ε), on a J(uϕ(n) ) ≤ ε + λ0 , et donc uϕ(n) ∈ C(ε + λ0 ). Par ailleurs, la suite
uϕ(n) converge faiblement vers u. Donc u ∈ C(ε + λ0 ), soit J(u) ≤ ε + λ0 , et ce pour
tout ε. Donc J(u) ≤ λ0 , ce qui conclut la preuve.

On a donc vu que les notions de topologie faible et de convexité sont reliées.

En guise d’application de ces notions aux espaces de Sobolev, nous donnons la


proposition suivante :

Proposition 1.42. De toute suite bornée de H01 (Ω), on peut extraire une-suite qui
converge faiblement vers u dans H 1 (Ω). De plus, u ∈ H01 (Ω).

Démonstration. La proposition 1.38 donne l’existence d’une sous-suite qui converge


faiblement vers u dans H 1 (Ω). L’espace H01 (Ω) est fermé dans H 1 (Ω) et convexe,
donc il est faiblement fermé en vertu de la proposition 1.40, et donc u ∈ H01 (Ω).
12 CHAPITRE 1. RAPPELS

1.4 Problème de l’élasticité linéarisée


Dans les cours de première année (cf. par exemple [11, 14]), on a étudié l’équation
de Poisson −∆u = f (avec u ∈ H01 (Ω) par exemple). Cette équation modélise par
exemple le déplacement vertical d’une membrane soumise à des forces verticales
f (x) et dont les bords sont maintenus fixes (d’où la condition aux limites u = 0
sur ∂Ω). L’équation de Poisson intervient aussi dans d’autres domaines, comme
l’électrostatique (u représente alors un potentiel électrostatique), la thermique (u
est alors la température locale dans un solide), . . .
Nous nous intéressons dans cette section au problème de l’élasticité linéaire, qui
est le modèle le plus simple apparaissant en mécanique des solides déformables. Une
différence essentielle avec l’équation de Poisson est que l’inconnue est une fonction
à valeur dans Rd , et non pas à valeur scalaire comme dans l’équation de Poisson.
Commençons par décrire plus précisément le modèle de l’élasticité linéarisée.

1.4.1 Le modèle
En mécanique, l’inconnue est le déplacement u(x) ∈ Rd d’un point matériel situé
en x dans la configuration de référence. Soit donc Ω un ouvert de Rd et u une
fonction définie sur Ω et à valeur dans Rd . Une quantité importante est le tenseur
des déformations, noté e(u) et défini par
1
∇u + (∇u)t .

e(u) = (1.10)
2
Donc e(u) est une matrice symétrique de taille d × d dont les coefficients sont
 
1 ∂ui ∂uj
eij (u) = + . (1.11)
2 ∂xj ∂xi
On s’intéresse à un solide déformable, et on fait l’hypothèse que les déplacements
u et les déformations e(u) sont petits. Cette hypothèse permet de linéariser les
équations générales décrivant un solide élastique. On s’intéresse de plus ici aux
équations stationnaires, c’est-à-dire indépendantes du temps, et qui décrivent l’équilibre
d’un solide (leurs versions instationnaires, qui décrivent au contraire la dynamique
du solide, seront étudiées plus loin, au chapitre 6).
En plus du tenseur des déformations, la modélisation fait intervenir le tenseur des
contraintes σ. Comme e(u), le tenseur σ est une fonction de Ω à valeur dans Rd×d . Le
tenseur des contraintes est relié au tenseur des déformations par la loi constitutive du
matériau, qui est ici linéaire. On s’intéresse à des matériaux homogènes et isotropes,
si bien que cette relation s’écrit
σ(u) = 2µe(u) + λ(tr e(u)) Id, (1.12)
où λ et µ sont les coefficients de Lamé du matériau, qui varient d’un matériau à un
autre, et où Id est la matrice identité de Rd×d . La relation (1.12) s’appelle loi de
Hooke.
1.4. PROBLÈME DE L’ÉLASTICITÉ LINÉARISÉE 13

Pour des raisons thermodynamiques que nous ne détaillons pas ici, les coefficients
de Lamé vérifient
µ > 0 et 2µ + dλ > 0, (1.13)
où d est la dimension de l’espace dans lequel on travaille (en général, d = 3). Le
tenseur e(u) étant symétrique, le tenseur σ(u) l’est aussi. On définit la divergence
d’un tenseur symétrique σ comme le vecteur de composante
d
X ∂σij
∀1 ≤ i ≤ d, (div σ)i = .
j=1
∂xj

On montre en mécanique que la relation d’équilibre pour un solide déformable soumis


à des forces de volume f (fonction de Ω dans Rd ) s’écrit

−div σ(u) = f. (1.14)

Nous préciserons le sens mathématique de (1.14) à la section 1.4.3 ci-dessous. Compte


tenu de la loi de Hooke (1.12), on s’intéresse donc à l’équation aux dérivées partielles
(d’inconnue u)
−div [2µe(u) + λ(tr e(u)) Id] = f.
On décrit enfin les conditions aux limites. Très souvent, la frontière ∂Ω du solide
peut être divisée en deux parties, ∂Ω = ∂ΩD ∪ ∂ΩN avec ∂ΩD ∩ ∂ΩN = ∅, telles que
— sur ∂ΩD , on impose le déplacement. Par exemple, le solide est encastré, et on
impose donc u = 0 sur ∂ΩD .
— sur le reste de la frontière ∂ΩN , on impose des forces de surface. Ces forces
peuvent être nulles, ce qui correspond à un bord libre. Mathématiquement,
cette condition aux limites s’écrit σ · n = g, où n est le vecteur normal
(sortant) au domaine, et g est la force surfacique imposée. En détaillant par
composante, on a donc
d
X
∀x ∈ ∂ΩN , ∀1 ≤ i ≤ d, σij (x)nj (x) = gi (x).
j=1

Le cas où ∂ΩN = ∅ est plus simple mathématiquement, mais moins réaliste du point
de vue physique. Il est en effet rare d’imposer le déplacement sur l’ensemble de la
frontière du solide.

On introduit ici quelques notations utiles pour la suite. On rappelle déjà la


définition (1.23) : pour une fonction à valeur vectorielle u = (u1 , . . . , ud ) ∈ L2 (Ω)d ,
où Ω un ouvert de Rd , on note
v
u d
uX
kukL2 (Ω) = t kui k2L2 (Ω) .
i=1
14 CHAPITRE 1. RAPPELS

Définition 1.43. Pour une fonction u à valeur matricielle u = (uij )1≤i,j≤d ∈


L2 (Ω)d×d , on note v
u d d
uX X
kukL2 (Ω) = t kuij k2 2 . L (Ω)
i=1 j=1

On rappelle aussi le produit scalaire pour les matrices d × d :

Définition 1.44. Soit A ∈ Rd×d et B ∈ Rd×d . On note


d X
X d
A·B = Aij Bij
i=1 j=1

le produit scalaire des deux matrices A et B.

1.4.2 Inégalité de Korn


L’inégalité de Poincaré joue un rôle fondamental dans l’étude mathématique de
l’équation de Poisson, −∆u = f , dans un ouvert Ω borné. Dans cette équation, u
est une fonction scalaire, représentant une température, un potentiel électrostatique,
. . . En mécanique, l’inconnue est une fonction à valeur vectorielle, et ce qui joue le
rôle de l’inégalité de Poincaré est l’inégalité de Korn. Avant d’énoncer cette inégalité,
nous donnons plusieurs lemmes qui permettent de mieux en saisir la portée.

Le lemme suivant permet de caractériser les déplacements u associés à un tenseur


de déformation nul.

Lemme 1.45. Soit Ω un ouvert connexe et borné de Rd , avec d = 2 ou d = 3. Soit


R l’ensemble des mouvements rigides de Ω définis par

R = {u(x) = b + M x, b ∈ Rd et M = −M t matrice antisymétrique}.

Soit u ∈ H 1 (Ω)d . Alors u ∈ R si et seulement si e(u) = 0.

Démonstration. Si u ∈ R, il est clair que e(u) = 0. Réciproquement, si e(u) = 0,


∂ui
alors, pour tout 1 ≤ i ≤ d, on a = 0. Comme Ω est connexe, on en déduit que
∂xi
ui (x) = fi (x1 , . . . , xi−1 , xi+1 , . . . , xd ),

où la fonction fi ne dépend pas de xi . On traite maintenant séparément le cas de la


dimension 2 et celui de la dimension 3.
Si d = 2, on a donc u1 = f1 (x2 ) et u2 = f2 (x1 ). Comme e12 (u) = 0, on a
f1 (x2 ) + f20 (x1 ) = 0, et donc il existe C tel que f10 (x2 ) = −f20 (x1 ) = C. Donc
0

u1 = f1 (x2 ) = Cx2 + b1 et u2 = f2 (x1 ) = −Cx1 + b2 ,


1.4. PROBLÈME DE L’ÉLASTICITÉ LINÉARISÉE 15

ce qui démontre le lemme.


Si d = 3, alors
u1 = f1 (x2 , x3 ), u2 = f2 (x1 , x3 ), u3 = f3 (x1 , x2 ).
∂ 2 f1
En dérivant par rapport à x2 la relation e12 (u) = 0, on obtient = 0, ce qui
∂x2 ∂x2
∂ 2 f1
donne f1 (x2 , x3 ) = x2 g(x3 ) + h(x3 ). En utilisant que = 0, on obtient qu’il
∂x3 ∂x3
existe a1 , b1 , c1 et d1 tels que
f1 (x2 , x3 ) = a1 x2 x3 + b1 x2 + c1 x3 + d1 .
Un raisonnement identique sur les autres composantes conduit à
f2 (x1 , x3 ) = a2 x1 x3 + b2 x1 + c2 x3 + d2 ,
f3 (x1 , x2 ) = a3 x1 x2 + b3 x1 + c3 x2 + d3 .
Les relations e12 (u) = 0, e13 (u) = 0 et e23 (u) = 0 conduisent respectivement aux
relations   
a1 + a2 = 0 a1 + a3 = 0 a2 + a3 = 0
, , .
b1 + b2 = 0 c 1 + b3 = 0 c2 + c3 = 0
On obtient alors a1 = a2 = a3 = 0 et donc u = b + M x avec
   
d1 0 b1 c 1
b =  d2  et M =  −b1 0 c2  .
d3 −c1 −c2 0
Ceci conclut la preuve du lemme.
Avant d’énoncer l’inégalité de Korn, commençons par deux inégalités simples :
Lemme 1.46. Soit Ω un ouvert de Rd . Pour tout u ∈ H 1 (Ω)d , on a
ke(u)kL2 (Ω) ≤ k∇ukL2 (Ω) , (1.15)
kdiv ukL2 (Ω) ≤ d k∇ukL2 (Ω) . (1.16)
Démonstration. Par définition,
X Z
ke(u)k2L2 (Ω) = e2ij (u)dx
1≤i,j≤d Ω
Z  2
1 X ∂ui ∂uj
= + dx
4 1≤i,j≤d Ω ∂xj ∂xi
Z " 2  2 #
1 X ∂ui ∂uj
≤ + dx
2 1≤i,j≤d Ω ∂xj ∂xi
X Z  ∂ui 2
≤ dx = k∇uk2L2 (Ω) ,
1≤i,j≤d Ω
∂xj
16 CHAPITRE 1. RAPPELS

où on a utilisé à la troisième ligne la relation (a + b)2 ≤ 2(a2 + b2 ). La preuve de la


seconde inégalité se fait de la même manière.
L’inégalité inverse de (1.15) est fausse, il suffit de prendre un mouvement rigidi-
fiant pour la mettre en défaut. Dans le cas de fonctions dans H01 (Ω)d , on a cependant
le résultat ci-dessous.
Lemme 1.47. Soit Ω un ouvert régulier de Rd . Pour toute fonction u ∈ H01 (Ω)d ,
on a √
k∇ukL2 (Ω) ≤ 2 ke(u)kL2 (Ω) . (1.17)
Démonstration. Soit u ∈ C0∞ (Ω)d . Suivant la définition 1.44 du produit scalaire de
deux matrices, on a
d X
X d Z Z
2 2
ke(u)kL2 (Ω) = eij (u) dx = e(u) · e(u)dx.
i=1 j=1 Ω Ω

Par définition de e(u), on a 2e(u) · e(u) = ∇u · ∇u + ∇u · (∇u)t . On se concentre


sur le deuxième terme :
Z d X d Z
t
X ∂ui ∂uj
∇u · (∇u) dx = dx
Ω i=1 j=1 Ω
∂xj ∂xi
d X d Z
X ∂ 2 ui
= − uj dx
i=1 j=1 Ω ∂x j ∂x i

d Z
X ∂(div u)
= − uj dx
j=1 Ω
∂xj
Z
= (div u)2 dx.

Par conséquent, pour tout u ∈ C0∞ (Ω)d , on a


Z
2ke(u)k2L2 (Ω) = k∇uk2L2 (Ω) + (div u)2 dx.

On conclut en utilisant la densité de C0∞ (Ω)d dans H01 (Ω)d .


Dans le lemme précédent, la fonction u est nulle au bord. On énonce maintenant
l’inégalité de Korn, qui généralise le lemme précédent à des fonctions non nulles au
bord. Le prix à payer est que l’ouvert Ω doit être borné. La démonstration de la
proposition ci-dessous est délicate, aussi nous l’admettrons.
Proposition 1.48 (Inégalité de Korn). Soit Ω un ouvert borné régulier de Rd . Il
existe une constante CΩ telle que, pour toute fonction u ∈ H 1 (Ω)d , on a
 
kuk2H 1 (Ω) ≤ CΩ kuk2L2 (Ω) + ke(u)k2L2 (Ω) . (1.18)
1.4. PROBLÈME DE L’ÉLASTICITÉ LINÉARISÉE 17

Cette inégalité est loin d’être triviale. En effet, au même titre que (1.17), le
membre de gauche fait apparaitre toutes les dérivées partielles de u, alors que e(u)
ne fait intervenir que des combinaisons linéaires de ces dérivées partielles.
Une conséquence importante de l’inégalité de Korn, et dont nous aurons besoin
dans l’étude de l’élasticité linéaire, est la proposition suivante.

Proposition 1.49. Soit Ω un ouvert connexe, borné et régulier de Rd , avec d = 2


ou d = 3. Soit Γ0 ⊂ ∂Ω un sous-ensemble de la frontière de Ω de mesure superficielle
non nulle, et soit
V = u ∈ H 1 (Ω)d , u = 0 sur Γ0 .


Il existe une constante CΩ telle que, pour toute fonction u ∈ V , on a

kukH 1 (Ω) ≤ CΩ ke(u)kL2 (Ω) . (1.19)

Supposons d = 2 : alors ∂Ω est un ensemble de “dimension” 1. L’hypothèse que


Γ0 est de mesure superficielle non nulle implique que Γ0 n’est pas réduit à un point.
De même, si d = 3, alors Γ0 , comme objet bidimensionnel, n’est pas de mesure nulle.
En particulier, Γ0 n’est pas réduit à une droite.

Démonstration. On montre d’abord que, si u ∈ V et e(u) = 0, alors u = 0. Si u ∈ V


et e(u) = 0, alors le lemme 1.45 indique que u(x) = b + M x, où M est une matrice
antisymétrique. On a de plus u = 0 sur Γ0 .
Si d = 2 et si M 6= 0, alors l’équation u(x) = b + M x = 0 a une unique solution,
ce qui est contradictoire avec le fait que Γ0 ne soit pas réduit à un point. Donc
M = 0, ce qui implique u = 0.
Si d = 3, et si M 6= 0, alors l’ensemble des solutions de l’équation u(x) =
b + M x = 0 est au plus une droite, ce qui à nouveau est contradictoire avec les
hypothèses. Donc u = 0.
On prouve maintenant (1.19) par contradiction. Si (1.19) est faux, alors, pour
tout n, il existe un ∈ V telle que kun kH 1 (Ω) ≥ nke(un )kL2 (Ω) . On peut choisir un tel
que kun kH 1 (Ω) = 1, et on a donc

1
≥ ke(un )kL2 (Ω) . (1.20)
n
Comme un est borné dans H 1 (Ω)d , au vu du corollaire 2.69, on peut extraire une
sous-suite uϕ(n) qui converge fortement vers u dans L2 (Ω)d et faiblement vers u dans
H 1 (Ω)d . On écrit l’inégalité de Korn (1.18) pour uϕ(n) − uϕ(p) :
 
2 2 2
kuϕ(n) − uϕ(p) kH 1 (Ω) ≤ CΩ kuϕ(n) − uϕ(p) kL2 (Ω) + ke(uϕ(n) − uϕ(p) )kL2 (Ω) .

Le premier terme du membre de droite peut être rendu petit pour n et p grands
car uϕ(n) converge fortement dans L2 (Ω)d . Il en est de même pour le second terme
18 CHAPITRE 1. RAPPELS

grâce à (1.20). Donc la suite uϕ(n) est de Cauchy dans H 1 (Ω)d , et elle converge donc
fortement vers u dans H 1 (Ω)d . Comme V est fermé dans H 1 (Ω)d , on a u ∈ V .
Avec (1.15), on voit donc que e(uϕ(n) ) converge fortement dans L2 (Ω)d×d vers
e(u), ce qui, avec la majoration (1.20), implique que e(u) = 0.
Donc la fonction u est telle que u ∈ V et e(u) = 0. La première partie de la preuve
montre donc que u = 0. Ceci est contradictoire avec le fait que kuϕ(n) kH 1 (Ω) = 1 et
que uϕ(n) converge fortement dans H 1 (Ω)d vers u.

1.4.3 Problème aux limites


Nous reprenons maintenant le modèle présenté dans la section 1.4.1. On suppose
que
Ω est un ouvert connexe, borné et régulier de Rd , avec d = 2 ou d = 3, (1.21)
∂ΩD est un sous-ensemble de ∂Ω de mesure surfacique non nulle, (1.22)
f ∈ L2 (Ω)d et g est la trace sur ∂ΩN d’une fonction de H 1 (Ω)d . (1.23)
Soit
V = u ∈ H 1 (Ω)d , u = 0 sur ∂ΩD .

(1.24)
On cherche u ∈ V tel que
−div [2µe(u) + λ(tr e(u)) Id] = f dans D0 (Ω)d ,

(1.25)
σ(u) · n = g sur ∂ΩN ,
où σ(u) est relié à u par la loi de Hooke (1.12). On ne précise pour l’instant pas le
sens mathématique exact de la condition aux limites sur ∂ΩN . Notons simplement
que, puisque g est la trace d’une fonction de H 1 (Ω)d , on a par la remarque 1.21 que
g ∈ H 1/2 (∂Ω)d ⊂ L2 (∂Ω)d .

1.4.4 Formulation variationnelle


On réalise maintenant la formulation variationnelle de (1.25). Soit v ∈ V . For-
mellement 1 , on multiple chaque composante de l’équation aux dérivées partielles
(1.14) (qui est la première ligne de (1.25)) par vi , on somme sur les composantes et
on intègre : pour tout v ∈ V ,
Z X Z ∂σij (u) XZ Z
∂vi X
f ·v =− vi = σij (u) − σij (u)vi nj . (1.26)
Ω i,j Ω ∂x j i,j Ω ∂x j i,j ∂Ω

En utilisant les conditions aux limites, on a


XZ XZ Z
σij (u)vi nj = σij (u)vi nj = g · v.
i,j ∂Ω i,j ∂ΩN ∂ΩN

1. Remarquer que, si u ∈ V ⊂ H 1 (Ω)d , la quantité div σ(u) n’est pas une fonction, mais
simplement une distribution.
1.4. PROBLÈME DE L’ÉLASTICITÉ LINÉARISÉE 19

La symétrie de σ(u) permet d’écrire

XZ ∂vi 1X
Z
∂vi 1X
Z
∂vj
σij (u) = σij (u) + σij (u)
i,j Ω ∂xj 2 i,j Ω ∂xj 2 i,j Ω ∂xi
XZ
= σij (u)eij (v)
i,j Ω
XZ XZ
= λ tr e(u) δij eij (v) + 2µ eij (u)eij (v)
i,j Ω i,j Ω
Z Z
= λ tr e(u) tr e(v) + 2µ e(u) · e(v).
Ω Ω

De plus, tr e(u) = div u. La relation (1.26) se récrit donc


Z Z Z Z
∀v ∈ V, λ div u div v + 2µ e(u) · e(v) = f ·v+ g · v. (1.27)
Ω Ω Ω ∂ΩN

Il est donc naturel d’introduire les formes a et b définies par


Z Z
∀u ∈ V, ∀v ∈ V, a(u, v) = λ div u div v + 2µ e(u) · e(v), (1.28)
Z Ω Z Ω

∀v ∈ V, b(v) = f ·v+ g · v. (1.29)


Ω ∂ΩN

La formulation variationnelle associée au problème aux limites (1.25) est donc

Chercher u ∈ V tel que ∀v ∈ V, a(u, v) = b(v). (1.30)

On montre maintenant que ce problème variationnel est bien posé.

Grâce à l’inégalité de trace (1.7), la forme b est continue sur V . Avec (1.15) et
(1.16), la forme a est continue sur V . Pour pouvoir appliquer le théorème de Lax-
Milgram, il reste à montrer que a est coercive sur V , et c’est ici qu’on a besoin de
l’inégalité de Korn. On a
Z Z
2
a(u, u) = λ (div u) + 2µ e(u) · e(u).
Ω Ω

Pour minorer a(u, u), on décompose la matrice e(u) en sa partie diagonale et hors
diagonale, suivant

1
e1 (u) = (tr e(u)) Id, e2 (u) = e(u) − e1 (u).
d
20 CHAPITRE 1. RAPPELS

Par construction, tr e1 (u) = tr e(u), donc tr e2 (u) = 0, et par conséquent e2 (u)·Id =


tr e2 (u) = 0. Donc
e(u) · e(u) = e1 (u) · e1 (u) + e2 (u) · e2 (u) + 2e1 (u) · e2 (u)
= e1 (u) · e1 (u) + e2 (u) · e2 (u)
1
= (tr e(u))2 + e2 (u) · e2 (u)
d
1
= (div u)2 + e2 (u) · e2 (u).
d
Soit ν = min(2µ, 2µ + dλ). Les hypothèses (1.13) donnent ν > 0. On a
 
2 2µ
2µe(u) · e(u) + λ(div u) = + λ (div u)2 + 2µe2 (u) · e2 (u)
d
 
1 2
≥ ν (div u) + e2 (u) · e2 (u)
d
≥ ν e(u) · e(u).
On en déduit donc que
Z
a(u, u) ≥ ν e(u) · e(u) = νke(u)k2L2 (Ω) .

Avec les hypothèses (1.21) et (1.22), on peut appliquer la proposition 1.49 (conséquence
de l’inégalité de Korn) pour minorer ke(u)kL2 (Ω) , et on obtient donc :
∃C > 0, ∀u ∈ V, a(u, u) ≥ Ckuk2H 1 (Ω) , (1.31)
ce qui donne la coercivité de a sur V . On a donc le résultat suivant :
Théorème 1.50. On fait les hypothèses (1.21), (1.22) et (1.23). Soit V défini par
(1.24), soit a la forme bilinéaire définie sur V par (1.28) et soit b la forme linéaire
définie sur V par (1.29). Le problème de chercher u ∈ V tel que
∀v ∈ V, a(u, v) = b(v)
admet une unique solution. De plus, cette solution est dans H 2 (Ω)d .
Démonstration. La seule affirmation non démontrée est la régularité de la solution
(le théorème de Lax-Milgram donne simplement u ∈ H 1 (Ω)d ). Remarquons que g ∈
L2 (∂ΩN )d suffit pour donner un sens à la forme linéaire b et permet déjà d’appliquer
le théorème de Lax-Milgram. La régularité supplémentaire de g induit la régularité
supplémentaire de u. Nous l’admettrons ici.

1.4.5 Interprétation des résultats


On fait ici le lien entre la formulation variationnelle (1.27) et le problème aux
limites (1.25). Soit u l’unique solution de (1.27). Comme u ∈ H 2 (Ω)d , on a ∇u ∈
H 1 (Ω)d×d , et donc on peut définir la trace de ∇u sur ∂ΩN . On vérifie donc que u est
solution de (1.25), la condition aux limites sur ∂ΩN prenant le sens d’une équation
sur la trace de ∇u.
Chapitre 2

Introduction à la théorie spectrale

Nous présentons dans ce chapitre les fondements de la théorie spectrale des


opérateurs (définis en Section 2.1). Cette théorie est particulièrement utile et im-
portante pour l’étude des équations aux dérivées partielles. En effet, un des buts
premiers de l’étude d’un opérateur est la détermination de son spectre (Section 2.2),
qui est la généralisation en dimension infinie de l’ensemble des valeurs propres d’une
matrice. Dans les cas les plus simples, notamment pour les opérateurs dits compacts
(Section 2.3), on peut déterminer complètement de manière qualitative le spectre
d’un opérateur, et ensuite l’approcher numériquement. Ceci permet de résoudre des
problèmes aux valeurs propres définis par une équation aux dérivées partielles (voir
le Chapitre 3), ainsi que des problèmes d’évolution en mécanique, physique, etc,
comme l’équation de la chaleur, l’équation des ondes, ou l’équation de Schrödinger
(voir le Chapitre 6).
Nous verrons des applications concrètes de cette théorie dans le Chapitre 3.

2.1 Opérateurs linéaires


2.1.1 Domaine d’un opérateur
Définition 2.1. Soient E et F deux espaces de Banach. Un opérateur linéaire est
une application linéaire A d’un sous-espace vectoriel de E (noté D(A), et appelé
domaine de A) à valeurs dans F .
Autrement dit, un opérateur linéaire est une application A : D(A) ⊂ E → F
vérifiant

∀(x, y) ∈ D(A) × D(A), A(x + y) = Ax + Ay, ∀λ ∈ C, A(λx) = λAx.

On a bien sûr A(0) = 0. Le domaine de l’opérateur est inclus dans l’ensemble des
éléments de E pour lesquels Ax a un sens en tant qu’élément de F :
n o
D(A) ⊂ x ∈ E Ax ∈ F .

21
22 CHAPITRE 2. INTRODUCTION À LA THÉORIE SPECTRALE

Se donner un opérateur linéaire, c’est se donner à la fois son domaine et son action
sur les éléments de ce domaine.
Sauf mention du contraire, on supposera toujours dans ce cours que le domaine
D(A) est dense dans E, i.e. que tout élément x ∈ E peut être approché par une
suite (xn )n≥1 d’éléments de D(A) tels que kx − xn kE → 0 lorsque n → +∞.

Exemple 2.2 (Laplacien). Si E = F = L2 (Rd ), on peut définir l’opérateur A = −∆


de domaine D(A) = H2 (Rd ). On pourrait toutefois considérer un opérateur B = −∆
de domaine plus petit, par exemple restreint aux fonctions C ∞ et à support compact :
D(B) = Cc∞ (Rd ).

On verra par la suite (cf. la Remarque 2.25) qu’il est important de définir à la
fois l’action de l’opérateur (ici, appliquer −∆) et son domaine (sur quel ensemble
de fonctions il agit). Deux opérateurs ayant la même action sont a priori différents
si leurs domaines sont différents.
On ne peut pas toujours comparer les domaines de deux opérateurs en terme
d’inclusion, mais lorsque cela est possible, on parle d’extension.

Définition 2.3 (Extension d’un opérateur). On dit qu’un opérateur A2 est une
extension de l’opérateur A1 , et on note A1 ⊂ A2 , si D(A1 ) ⊂ D(A2 ) et A1 x = A2 x
pour tout x ∈ D(A1 ).

2.1.2 Opérateurs bornés


Définition 2.4. On dit qu’un opérateur A est borné si

kAxkF
kAk = sup = sup kAxkF < +∞. (2.1)
x∈D(A)\{0} kxkE kxkE ≤1

Dans le cas où D(A) = E (le domaine de l’opérateur est égal à l’espace tout
entier), la définition ci-dessus est équivalente à la définition d’application linéaire
continue vue en cours de première année. On rappelle la caractérisation suivante
des applications linéaires continues de E dans F , lorsque E et F sont deux espaces
vectoriels normés.

Proposition 2.5. Soit A une application linéaire de E dans F , où E et F sont


deux espaces vectoriels normés. Les 3 propositions suivantes sont équivalentes :
— A est continue.
— A est continue en 0.
— il existe une constante c ≥ 0 telle que

∀u ∈ E, kAukF ≤ ckukE .

Démonstration. Cf. le cours de première année [14].


2.1. OPÉRATEURS LINÉAIRES 23

Remarque 2.6 (Extension d’un opérateur borné). Si D(A) est dense dans E et
kAxkF
sup < +∞,
x∈D(A)\{0} kxkE

alors on peut étendre de manière unique l’opérateur A de domaine D(A) à un


opérateur borné sur tout l’espace E. Il suffit pour cela que F soit un espace de
Banach, E étant un espace vectoriel normé. Un opérateur borné défini sur l’espace
E tout entier est exactement une application linéaire continue de E dans F .
Comme précisé ci-dessus, on supposera toujours dans ce cours (sauf mention du
contraire) que D(A) est dense dans E. Par conséquent, et sauf mention du contraire,
on supposera toujours qu’un opérateur borné est défini sur l’espace E tout entier. Il
s’agira donc d’une application linéaire continue.
L’intérêt de la notion d’opérateur borné est qu’il existe des opérateurs non bornés,
comme le montre l’Exemple 2.7 et l’Exercice 2.8.
Exemple 2.7 (Laplacien). Les opérateurs A et B définis dans l’Exemple 2.2 ne
sont pas des opérateurs bornés de E dans E. Il suffit de considérer la suite fn (x) =
nd/2 χ(nx) avec χ ∈ D(Rd ). On a alors
k∆fn kL2 k∆χkL2
= n2 −→ +∞
kfn kL2 kχkL2
lorsque n → +∞.
Exercice 2.8. On considère les espaces de fonctions C 0 ([0, 1]) et C 1 ([0, 1]), qu’on
munit de la norme
kf k = sup |f (t)|.
t∈[0,1]

L’application
A : C 1 ([0, 1]) −→ C 0 ([0, 1])
f 7−→ f 0
est linéaire. Montrer qu’elle n’est pas continue.
Remarque 2.9. On a cependant le résultat positif suivant. Soient E et F deux
espaces de Banach, et A une application linéaire de E dans F qui est fermée, c’est-
à-dire telle que l’ensemble ∪u∈E [u, Au] est fermé dans E × F . Alors A est continue
(cf. par exemple [3, Théorème II.21 p. 31]).
Définition 2.10. On note L(E, F ) l’espace vectoriel des opérateurs bornés de E
dans F . L’application k · k définie par
kAxkF
∀A ∈ L(E, F ), kAk := sup = sup kAxkF , (2.2)
x∈E\{0} kxkE x∈E, kxkE =1

est une norme sur cet espace.


24 CHAPITRE 2. INTRODUCTION À LA THÉORIE SPECTRALE

Le seul point éventuellement délicat est de montrer l’inégalité triangulaire kA +


Bk ≤ kAk + kBk. Pour ce faire, on fixe f ∈ E \ {0} et on écrit
 
k(A + B)f kF ≤ kAf kF + kBf kF ≤ kAk + kBk kf kE .

Ceci montre que


k(A + B)f kF
≤ kAk + kBk,
kf kE
d’où le résultat en prenant le supremum sur f ∈ E \ {0}.
Exercice 2.11. Soient E, F et G trois espaces de Banach, et A ∈ L(E, F ) et
B ∈ L(F, G). Montrer que BA ∈ L(E, G) et kBAk ≤ kAk kBk.
Un cas particulier important est lorsque l’espace d’arrivée est R.
Définition 2.12. L’ensemble L(E, R) des applications linéaires continues de E dans
R est appelé espace dual de E et est noté E 0 . Un élément de E 0 est appelé forme
linéaire continue et son action sur un élément u ∈ E est notée à l’aide du crochet
de dualité :
hA, uiE 0 ,E = Au ∈ R.
L’espace E 0 est équipé de la norme
|Au|
kAkE 0 = sup .
u∈E,u6=0 kukE

Donnons quelques exemples d’opérateurs bornés.


Exemple 2.13 (Opérateurs de shift). On considère E = F = `p (N, C) (pour 1 ≤
p ≤ +∞ fixé), où
( +∞
)
X
`p (N, C) = (x1 , x2 , . . . , xn , . . . ) ∈ CN |xi |p < +∞ , 1 ≤ p < +∞,
n=1

et  

` (N, C) = (x1 , x2 , . . . , xn , . . . ) ∈ C N
sup |xi | < +∞ .
i∈N

On définit les opérateurs de shift à droite et de shift à gauche, de domaine `p (N, C),
par
τd (x1 , x2 , . . . , xn , . . . ) = (0, x1 , x2 , . . . , xn , . . . ) (2.3)
et
τg (x1 , x2 , . . . , xn , . . . ) = (x2 , x3 , . . . , xn , . . . ). (2.4)
Ces deux opérateurs sont des opérateurs bornés. Il est immédiat que kτd xk = kxk
pour tout x ∈ `p (N, C) et donc kτd k = 1. Pour τg , on note tout d’abord que kτg xk ≤
kxk, avec égalité par exemple pour x = (0, 1, 0, . . . ), ce qui donne kτg k = 1.
2.1. OPÉRATEURS LINÉAIRES 25

Exercice 2.14 (Opérateur de convolution). Soit E = F = L2 (Rd ) et k ∈ L1 (Rd ).


Montrer que l’opérateur T : E → E d’action T f = k ? f est bien défini et est borné
avec kT k ≤ kkkL1 .
Exercice 2.15 (Opérateur intégral). On considère E = L1 ([0, 1], R), F = C 0 ([0, 1], R),
et k ∈ C 0 ([0, 1]2 , R). On rappelle que la norme sur l’espace de Banach F est kgkF =
supx∈[0,1] |g(x)|. On considère l’opérateur K défini par
Z 1
Kf (x) = k(x, y)f (y) dy.
0

Vérifier que Kf ∈ F lorsque f ∈ E puis que K ∈ L(E, F ).


Exemple 2.16 (Opérateur de multiplication). Soit E = F = L2 (Rd ). Pour une
fonction V ∈ L∞ (Rd , C) donnée, on définit l’opérateur A sur E par

Aϕ = V ϕ.

On constate que, pour tout ϕ ∈ E, on a Aϕ ∈ F . Le domaine de A est donc


F = L2 (Rd ). On vérifie de plus que kAϕkF ≤ kV kL∞ kϕkE , donc A est borné.
Pour une fonction mesurable V qui n’est pas bornée, il faudrait restreindre le
domaine de l’opérateur aux fonctions ϕ ∈ L2 (Rd ) telles que
Z
|V ϕ|2 < +∞.
Rd

Il n’est toutefois pas clair que l’on obtiendrait ainsi un sous-ensemble dense de
L2 (Rd ). C’est toutefois le cas si V ∈ L2loc (Rd ) car alors D(Rd ) ⊂ D(A), et D(Rd ) est
dense dans L2 (Rd ).
Exercice 2.17. Montrer que si, dans l’Exemple 2.16, la fonction V est continue et
bornée, alors kAk = sup |V (x)|.
x∈Rd

Concluons cette section par un résultat important.


Proposition 2.18. Si F est un espace de Banach et E un espace normé, alors
L(E, F ) est un espace de Banach.
Démonstration. Considérons une suite de Cauchy (An )n≥0 de L(E, F ) pour la norme
donnée par (2.1). Alors, pour tout ε > 0, il existe Nε ∈ N tel que

kAn − Am k ≤ ε (2.5)

si n, m ≥ Nε . En particulier, la suite (kAn k)n≥0 est bornée, et il existe C > 0 tel que
0 ≤ kAn k ≤ C < +∞ pour tout n ∈ N. Pour x ∈ E donné, on a

kAn x − Am xkF ≤ εkxkE (2.6)


26 CHAPITRE 2. INTRODUCTION À LA THÉORIE SPECTRALE

si n, m ≥ Nε . La suite (An x)n≥0 est ainsi une suite de Cauchy dans l’espace de
Banach F , et admet donc une limite ax ∈ F . On peut construire un opérateur limite
A en posant Ax = ax . On vérifie facilement que A est linéaire (par unicité de la
limite). Par ailleurs, en passant à la limite m → +∞ dans (2.6), on obtient

kAn x − AxkF ≤ εkxkE ,

et donc, pour n ≥ Nε ,

kAxkF ≤ kAx − An xkF + kAn xkF ≤ (ε + C)kxkE .

Ainsi, A est dans L(E, F ) et on peut passer à la limite dans (2.5) (ou prendre le
supremum sur les x ∈ E avec kxkE ≤ 1) et obtenir que, pour tout ε > 0, il existe
Nε ∈ N tel que
kAn − Ak ≤ ε
pour tout n ≥ Nε . Ceci montre bien que An → A dans L(E, F ).

Finissons cette section en prouvant le résultat suivant :

Proposition 2.19. Soient V et W deux espaces de Hilbert et A ∈ L(V, W ) un


opérateur borné de V dans W . Soit (un )n∈N une suite d’éléments de V qui converge
faiblement vers un élément u ∈ V . Alors la suite (Aun )n∈N converge faiblement vers
Au dans W .

Démonstration. Soit w ∈ W . Soit ϕ : v ∈ V 7→ hAv, wiW . Comme A ∈ L(V, W ), on


vérifie facilement que ϕ ∈ V 0 . D’après la caractérisation équivalente de la conver-
gence faible donnée par la Proposition 1.36, on a alors ϕ(un ) −→ ϕ(u), ce qui se
n→+∞
réécrit
hAun , wiW −→ hAu, wiW .
n→+∞

Cette convergence a lieu pour tout w ∈ W , ce qui implique bien que la suite (Aun )n∈N
converge faiblement vers Au dans W .

2.1.3 Inverse d’un opérateur


Définition 2.20. Pour un opérateur A de domaine D(A), on définit son image
  n o
Ran(A) = A D(A) = y ∈ F ∃x ∈ D(A), y = Ax ,

et son noyau n o
Ker(A) = x ∈ D(A) Ax = 0 .

On dit que A est injectif si Ker(A) = {0}, et que A est surjectif si Ran(A) = F .
L’opérateur est bijectif s’il est à la fois injectif et surjectif.
2.1. OPÉRATEURS LINÉAIRES 27

En dimension finie, on a le résultat classique suivant :


Proposition 2.21. Soit E un espace vectoriel de dimension finie et A une appli-
cation linéaire de E dans E. Alors A est continue, et de plus les 3 propositions
suivantes sont équivalentes :
— A est injective sur E.
— A est surjective sur E.
— A est bijective de E dans E.
Comme le montre l’exercice suivant, la situation en dimension infinie est plus
complexe : une application linéaire continue peut être injective sans être surjective.
Exemple 2.22. L’opérateur de shift à droite (2.3) est injectif, mais pas surjectif
car (1, 0, . . . ) 6∈ Ran(τd ). L’opérateur de shift à gauche (2.4) est surjectif, mais pas
injectif.
Si A est injectif, on peut définir l’opérateur inverse, de domaine D(A−1 ) =
Ran(A) ⊂ F , à valeurs dans D(A) ⊂ E, par

x = A−1 y ⇐⇒ y = Ax.

Il n’y a aucune raison a priori que l’inverse soit borné. Ceci motive la définition
suivante.
Définition 2.23 (Opérateur inversible). On dit qu’un opérateur A de domaine D(A)
est inversible si A : D(A) ⊂ E → F est bijectif et a un inverse A−1 : F → D(A) ⊂
E borné (comme opérateur de F dans E).
Notons qu’on ne demande pas que A soit lui-même borné.
Enonçons une propriété qui nous sera utile par la suite, et qui permet de conclure
à l’inversibilité d’un opérateur linéaire borné dès qu’il est bijectif (la preuve, omise,
repose sur le lemme de Baire, voir par exemple [15]).
Proposition 2.24. Si A ∈ L(E, F ) et A est une bijection de E vers F , alors
A−1 ∈ L(F, E).
Soit A un opérateur inversible (qu’on suppose non borné) : il est donc bijectif de
D(A) sur F et son inverse B est borné. Donc B ∈ L(F, E). Cependant, B n’est pas
nécessairement une bijection de F vers E (c’est seulement une bijection de F vers
D(A)). Si B est une bijection de F vers E, alors on peut appliquer la proposition
ci-dessus à B, ce qui donne le fait que A ∈ L(E, F ).
A titre d’exemple, on peut prendre E = H10 (Ω) pour un ouvert Ω ⊂ Rd borné,
F = L2 (Ω), et l’opérateur A défini sur D(A) = H2 (Rd ) ∩ E par Au = −∆u. On a
déjà vu qu’un tel opérateur n’est pas borné (cf. l’exemple 2.7). L’opérateur A est
bijectif de D(A) sur F , et son inverse est borné : pour tout g ∈ L2 (Ω), la solution
u ∈ D(A) de −∆u = g satisfait kukE ≤ CkgkF . L’opérateur B est bijectif de F sur
D(A) qui est un sous-espace strict de E. En particulier, B n’est pas surjectif sur E.
28 CHAPITRE 2. INTRODUCTION À LA THÉORIE SPECTRALE

Remarque 2.25 (De l’importance du domaine). Considérons l’espace de Banach


des fonctions continues E = F = C0 ([0, 1], R), muni de la norme

kf k = sup |f (t)|.
t∈[0,1]

On peut définir un opérateur AM de domaine “maximal” D(AM ) = C1 ([0, 1], R) par


df
AM f = .
dt
On peut également en définir plusieurs restrictions, qui ont la même action de
dérivation, mais ont des domaines plus petits, en fonction des conditions de bord
que l’on souhaite imposer (ou qui sont imposées par la physique du problème) :
— l’opérateur Ak (pour k ∈ R), de domaine
n o
D(Ak ) = f ∈ C1 ([0, 1], R) f (0) = kf (1) ,

avec les cas particuliers


n o
D(A0 ) = f ∈ C1 ([0, 1], R) f (0) = 0

et n o
1
D(A∞ ) = f ∈ C ([0, 1], R) f (1) = 0 ;
n o
1
— l’opérateur A00 de domaine D(A00 ) = f ∈ C ([0, 1], R) f (0) = f (1) = 0 ;
— l’opérateur Am de domaine “minimal” D(Am ) = D(]0, 1[, R).
On a bien sûr Am ⊂ A00 ⊂ Ak ⊂ AM pour tout k ∈ R ∪ {+∞}. Ces différents
opérateurs, bien qu’ayant la même action, ont des comportements très différents en
ce qui concerne leur injectivité ou leur surjectivité. Ainsi,
— AM n’est pas injectif car toutes les fonctions f + c pour f ∈ D(AM ) fixé et
c ∈ R quelconque ont la même image ;
— Ak est inversible si et seulement si k 6= 1, et
Z t Z 1  Z t Z 1
−1 1 k
Ak f : t 7→ f +k f = f+ f.
1−k 0 t 0 1−k 0

On vérifie en particulier que A−1 (0) = kA−1


k f k f (1) ; Z 1 
— A00 est inversible sur D(A−1
00 )
0
= f ∈ C ([0, 1], R) f = 0 et A−100 f :
Z t 0

t 7→ f (et en particulier A−1


00 f ∈ D(A00 )). Notons en effet que si g ∈
0 Z 1
D(A00 ), on a g 0 = g(1)−g(0) = 0, ce qui motive la définition de D(A−1
00 ) =
0
Ran(A00 ) ;
— finalement, Am n’est inversible que sur D(]0, 1[, R) ∩ D(A−1
00 ).
2.1. OPÉRATEURS LINÉAIRES 29

2.1.4 Adjoint d’un opérateur borné


Définition 2.26 (Adjoint d’un opérateur borné). Soit H un espace de Hilbert,
muni d’un produit scalaire (complexe) noté h·, ·i, et T ∈ L(H). L’adjoint de T est
l’opérateur T ∗ défini par
∀u ∈ H, ∀v ∈ H, hT ∗ u, vi = hu, T vi.
On dit que T est auto-adjoint si T ∗ = T .
Exemple 2.27. On vérifie facilement que l’adjoint sur `2 (N, C) de l’opérateur τd
de shift à droite (2.3) est l’opérateur τg de shift à gauche (2.4) (et réciproquement).
Exercice 2.28. Soit V ∈ L∞ ([a, b], R). Vérifier que l’opérateur T : L2 ([a, b]) →
L2 ([a, b]) défini par T f (x) = V (x) f (x) est autoadjoint.
Exercice 2.29 (Opérateurs de Hilbert-Schmidt). Soit H = L2 (Rd , C) et K ∈
L2 (R2d , C). On considère l’opérateur intégral K
b : H → H défini par
Z
Kf
b (x) = K(x, y)f (y) dy.
Rd

On dit que K est le noyau de K. b ∈ L(H) et que


b Montrer que K
Z Z 1/2
b ≤ kKkL2 = 2
K |K(x, y)| dx dy .
Rd Rd

b ∗ est un opérateur intégral de noyau K(y, x).


Montrer également que K
On pourra vérifier en exercice la propriété suivante (voir [8, Section 4.2]).
Proposition 2.30. Si T ∈ L(H) alors T ∗ ∈ L(H), kT ∗ k = kT k et T ∗∗ = T . Si T1
et T2 sont dans L(H), alors (T1 T2 )∗ = T2∗ T1∗ .
Le résultat suivant sera utile dans la suite :
Proposition 2.31. Soit T ∈ L(H) et λ ∈ C. Alors
 ⊥
Ran(λ − T ) = Ker λ − T ∗ .

(2.7)

Démonstration. Par définition, on a, pour tout x et y dans H, que


h(λ − T )x, yi = hx, (λ − T ∗ )yi.
Soit xe ∈ Ran(λ − T ) et y ∈ Ker(λ − T ∗ ). Il existe x tel que x
e = (λ − T )x et
 ⊥
∗ ∗
ainsi he
x, yi = hx, (λ − T )yi = 0. Ceci montre que Ker(λ − T ) ⊂ Ran(λ − T ) .
 ⊥
On montre l’inclusion inverse. Soit y ∈ Ran(λ − T ) . Pour tout x ∈ H, on a
hy, (λ − T )xi = 0 = h(λ − T ∗ )y, xi. Ceci étant vrai pour tout x ∈ H, on obtient
 ⊥
(λ − T ∗ )y = 0 et donc l’inclusion contraire Ran(λ − T ) ⊂ Ker(λ − T ∗ ).
30 CHAPITRE 2. INTRODUCTION À LA THÉORIE SPECTRALE

2.2 Théorie spectrale des opérateurs bornés


On va à présent étudier de plus près l’inversibilité d’opérateurs bornés d’un
espace de Banach E dans lui-même. De telles considérations sont particulièrement
intéressantes lorsqu’il s’agit de résoudre une équation du type

(λ Id − A)u = f

avec u, f ∈ E et λ ∈ C. En effet, si l’inverse de l’opérateur λ Id − A est bien défini,


alors u = (λ Id − A)−1 f est l’unique solution de cette équation.

2.2.1 Théorie générale


On peut définir aisément l’inverse d’un opérateur Id − A lorsque A est de norme
suffisamment petite par le biais d’une série infinie. Plus précisément, la notion per-
tinente est le rayon spectral.
Lemme 2.32 (Rayon spectral). Soit A ∈ L(E). Alors la limite suivante existe :

r(A) = lim kAn k1/n = inf kAn k1/n ,


n→+∞ n≥1

et est appelée rayon spectral. On a en particulier r(A) ≤ kAk.


On peut avoir r(A) < kAk. Le cas le plus frappant est celui des opérateurs
nilpotents, c’est-à-dire tels qu’il existe N ∈ N tel que AN = 0. Dans ce cas, r(A) = 0.
Par exemple, l’opérateur borné sur E = R2 dont la représentation matricielle dans
la base canonique est  
0 1
0 0
est tel que kAk = 1 mais A2 = 0 et donc r(A) = 0.
Démonstration. On suit la preuve de [9, Section I.4.2]. Pour n, m ∈ N, on a claire-
ment
kAn+m k ≤ kAn k kAm k, kAn k ≤ kAkn , (2.8)
avec la convention A0 = Id. Ces inégalités proviennent de l’inégalité générale kABk ≤
kAk kBk pour A, B ∈ L(E) (voir Exercice 2.11). Notons

an = ln kAn k.

Alors an /n ≤ ln kAk. Il s’agit de montrer que la suite (an /n)n≥1 converge.


Les inégalités (2.8) montrent que an+m ≤ an +am . Pour m ∈ N∗ donné, considérons
la division euclidienne de n par m : n = qm + r avec q, r ∈ N et r < m. On montre
alors que an ≤ qam + ar et ainsi
an q 1
≤ am + ar .
n n n
2.2. THÉORIE SPECTRALE DES OPÉRATEURS BORNÉS 31

Lorsque n → +∞, q/n → 1/m alors que les valeurs de r sont limitées à 0, . . . , m − 1.
Ainsi,
1
sup ar −→ 0
r=0,...,m−1 n

lorsque n → +∞, et donc


an am
lim sup ≤ .
n→+∞ n m
Comme m est arbitraire, on en déduit que
an am
lim sup ≤ inf .
n→+∞ n m≥1 m

Par ailleurs, on a trivialement


an am
lim inf ≥ inf ,
n→+∞ n m≥1 m

et on en déduit donc
an am an
lim sup ≤ inf ≤ lim inf .
n→+∞ n m≥1 m n→+∞ n

Les inégalités ci-dessus sont finalement des égalités, ce qui montre que la suite
(an /n)n≥1 est bien convergente, et qu’elle converge vers inf (am /m).
m≥1

Exercice 2.33. Soient τd et τg les opérateurs de shift définis par (2.3) et (2.4).
Montrer que r(τd ) = r(τg ) = 1.
Le lemme suivant, simple, va nous être utile dans la suite :
X
Lemme 2.34. Soit A ∈ L(E) et soit z ∈ C. La série z n An est convergente dans
n
L(E) si et seulement si |z| < 1/r(A).
Démonstration. Comme E est un Banach, l’espace L(E) est un espace de Banach
(cf. la Proposition 2.18). D’après le coursXde première année [14], on sait que,
X si la
n n
série est normalement convergente, i.e. si |z| kA kE < ∞, alors la série z n An
n n
est convergente dans L(E).
Supposons |z| < 1/r(A). Soit ε > 0. Par définition du rayon spectral, il existe
Nε tel que, pour tout n > Nε , on a kAn k1/n ≤ r(A) + ε, donc |z|n kAn kE ≤
|z|n (r(A)+ε)n
tel que |z| (r(A)+ε) < 1.
X . Grace à l’hypothèse sur z, on peut trouver ε X
n n
La série |z| kA kE est donc convergente, donc la série z n An est convergente
n n
dans L(E). X
Supposons maintenant que la série z n An est convergente dans L(E). Ceci
n
implique que z n An converge vers 0 dans L(E) : lim |z|n kAn kE = 0. Or r(A) =
n
1/n
inf kAn kE . On a donc (|z|r(A)) ≤ |z| kA kE , et donc lim (|z|r(A))n = 0. Ceci
n n n
n n
implique que |z|r(A) < 1, d’où |z| < 1/r(A).
32 CHAPITRE 2. INTRODUCTION À LA THÉORIE SPECTRALE

On peut à présent définir l’inverse de l’opérateur Id − A lorsque A a un rayon


spectral strictement plus petit que 1.
Lemme 2.35 (Série de Neumann). Soit A ∈ L(E) tel que r(A) < 1. Alors l’opérateur
Id − A a un inverse borné (Id − A)−1 ∈ L(E) et
+∞
X
−1
(Id − A) = An . (2.9)
n=0

Démonstration. Le lemme 2.34 montre que, pour tout z tel que |z| < 1/r(A), la
+∞
X
série z n An converge dans L(E). C’est donc en particulier le cas pour z = 1, ce
n=0
qui indique que la série du membre de droite de (2.9) est une série convergente dans
L(E).
On écrit ensuite que, pour tout N , on a
N
X
(Id − A) An = Id − AN +1 . (2.10)
n=0

On passe à la limite N → ∞. Le membre de gauche converge vers (Id − A) +∞ n


P
n=0 A .
Pour étudier le membre de droite, on utilise le fait que kAN k1/N → r(A) < 1. Il
existe donc ε > 0 et Nε tel que, pour tout n > Nε , on a kAN k1/N ≤ 1 − ε, si bien
que kAN k ≤ (1 − ε)N , et donc limN →∞ kAN k = 0.POn peut maintenant passer à la
limite N → ∞ dans (2.10), ce qui donne (Id − A) ∞ n
n=0 A = Id, et donc le résultat
escompté.
Théorème-Définition 2.36. Soit E un espace de Banach et T ∈ L(E). D’après
la proposition 2.24, λ − T est inversible si et seulement si λ − T est bijectif.
1. On appelle ensemble résolvant de T l’ensemble
n o
ρ(T ) = λ ∈ C, λ − T inversible .

L’ensemble résolvant ρ(T ) est un ouvert de C.


2. Pour λ ∈ ρ(T ), on note R(λ) = (λ − T )−1 . La famille d’opérateurs linéaires
bornés (R(λ))λ∈ρ(T ) est appelée la résolvante de T . La fonction λ 7→ R(λ)
est analytique de ρ(T ) dans L(E) et on a, pour tout (λ, µ) ∈ ρ(T ) × ρ(T ),
l’identité de la résolvante
R(λ) − R(µ) = (µ − λ)R(λ)R(µ).

3. On appelle spectre de T l’ensemble


n o
σ(T ) = C \ ρ(T ) = λ ∈ C, λ − T non inversible .

L’ensemble σ(T ) est un compact de C.


2.2. THÉORIE SPECTRALE DES OPÉRATEURS BORNÉS 33

4. On a
σ(T ) ⊂ D(0, r(T )),
où D(0, r(T )) est le disque fermé centré en 0 et de rayon r(T ). On a aussi
que
σ(T ) ∩ C(0, r(T )) 6= ∅
où C(0, r(T )) est le cercle de centre 0 et de rayon r(T ). En particulier le
spectre d’un opérateur borné n’est jamais vide.
5. L’ensemble σ(T ) se décompose en l’union disjointe

σ(T ) = σp (T ) ∪ σr (T ) ∪ σc (T ),

avec n o
σp (T ) = λ ∈ C, λ − T non injectif ,
n o
σr (T ) = λ ∈ C, λ − T injectif et (λ − T )E 6= E ,
et
n o
σc (T ) = λ ∈ C, λ − T injectif et (λ − T )E 6= (λ − T )E = E .

L’ensemble σp (T ) est appelé le spectre ponctuel de T , σc (T ) le spectre continu


de T , σr (T ) le spectre résiduel de T .

Notons que les trois types de spectre définis ci-dessus ont été classés par ordre
croissant de défaut d’inversibilité :
— pour le spectre ponctuel, on a un défaut d’injectivité ;
— pour le spectre résiduel, on a un défaut majeur de surjectivité : même en
prenant l’adhérence de l’image de E, on ne retrouve pas E ;
— pour le spectre continu, l’inverse est bien défini sur un domaine dense, mais
n’est pas borné. Montrons ceci par l’absurde.
L’opérateur linéaire λ − T est bijectif de E sur (λ − T )E. On introduit son
inverse B : (λ − T )E → E, qui est défini sur un sous-ensemble dense de
E. Supposons B borné. On peut alors l’étendre par continuité comme un
opérateur de E sur E. Soit y ∈ E et u = By (qui existe car B est maintenant
défini sur tout E). Montrons que y = (λ − T )u :
— Si y ∈ (λ − T )E, c’est évident.
— Sinon, on sait qu’il existe une suite yn ∈ (λ − T )E telle que yn → y.
Puisque yn ∈ (λ − T )E, il existe un ∈ E tel que yn = (λ − T )un , et
donc un = Byn . La suite yn est convergente, donc de Cauchy. Puisque
B est borné, on voit que un est aussi de Cauchy, donc convergente. Par
définition, on a u = By = limn un . On peut donc passer à la limite
dans l’égalité yn = (λ − T )un (puisque λ − T est continu), ce qui donne
y = (λ − T )u.
34 CHAPITRE 2. INTRODUCTION À LA THÉORIE SPECTRALE

On vient donc de démontrer que, pour tout y ∈ E, il existe u ∈ E tel que


y = (λ−T )u, ce qui donne (λ−T )E = E. On obtient donc une contradiction.
Démonstration. Soit λ ∈ C tel que |λ| > r(T ). On écrit
 
T
λ − T = λ Id −
λ
et r(T /λ) = r(T )/|λ| < 1. En utilisant le lemme 2.35, on voit que λ−T est inversible,
donc λ ∈ ρ(T ). Il en découle que
σ(T ) ⊂ D(0, r(T )).
Soit maintenant µ ∈ ρ(T ). On écrit
 
λ − T = µ − T + (λ − µ)Id = (µ − T ) Id + (λ − µ)(µ − T )−1 . (2.11)

Donc, si |λ−µ| r (µ−T )−1 < 1, alors λ−T est inversible (en vertu du lemme 2.35).


On en déduit que ρ(T ) est un ouvert de C.


Comme σ(T ) = C \ ρ(T ), on obtient que σ(T ) est un fermé de C. Comme σ(T )
est borné, c’est un compact de C.
La relation (2.11) montre que R(λ) est analytique dans ρ(T ).
En multipliant les deux membres de l’égalité
(λ − T ) = (µ − T ) + (λ − µ)Id
à gauche par R(λ) et à droite par R(µ), on obtient l’identité de la résolvante.
Supposons que σ(T ) ∩ C(0, r(T )) = ∅. Comme σ(T ) est compact, il existe ε ∈
]0, r(T )[ tel que
C \ D(0, r(T ) − ε) ⊂ ρ(T ).
Comme R(λ) est analytique sur ρ(T ), il en résulte que f (z) = R(1/z) est analytique
sur D(0, (r(T ) − ε)−1 ). Or, un calcul explicite montre que le développement en série
entière de f (z) en 0 est donné par
X
f (z) = z znT n.
n∈N

Sur l’ensemble C = {z ∈ C; 1/r(T ) < |z| < 1/(r(T ) − ε)}, on obtient donc que f (z)
est analytique, alors que la série est divergente, d’après le lemme 2.34. On obtient
donc une contradiction.
Remarque 2.37. Notons que σp (T ) est l’ensemble des valeurs propres de T , i.e.
l’ensemble des λ ∈ C tels qu’il existe u ∈ E \ {0} tel que
T u = λu.
En dimension finie, un opérateur linéaire injectif est bijectif. Ainsi,
σ(T ) = σp (T )
est simplement l’ensemble des valeurs propres de T dans ce cas.
2.2. THÉORIE SPECTRALE DES OPÉRATEURS BORNÉS 35

Prouvons ici le lemme suivant qui sera utile par la suite.


Lemme 2.38. Soit T ∈ L(E). Soit (λk )k≥1 une suite de σp (T ) de valeurs propres
toutes distinctes, et soit (uk )k≥1 une suite de vecteurs propres associés. Alors les
vecteurs (uk )k≥1 sont linéairement indépendants.
Démonstration. On procède par récurrence. On suppose que les vecteurs u1 , . . . , un
sont indépendants. Si, au rang n + 1,
Pl’hypothèse de récurrence n’est pas vraie, alors
n
il existe (αk )1≤k≤n tels que un+1 = k=1 αk uk . Alors
n
X n
X
T un+1 = αk λk uk = λn+1 un+1 = λn+1 αk uk .
k=1 k=1

Par hypothèse de récurrence, la famille (u1 , . . . , un ) est libre, donc λn+1 αk = αk λk


pour tout 1 ≤ k ≤ n. Les valeurs propres étant distinctes deux à deux, on a ainsi
αk = 0, ce qui donne un+1 = 0, ce qui est contradictoire. On a donc démontré
l’hypothèse de récurrence au rang n + 1.
Remarque 2.39 (Autre décomposition du spectre). Dans certains cas, il est plus
commode de décomposer σ(T ) sous la forme σ(T ) = σd (T ) ∪ σess (T ), où σd (T ) ⊂
σp (T ) est le spectre discret, qui est composé des valeurs propres isolées de multipli-
cité finie :
n o
σd (T ) = λ ∈ C 0 < dim(Ker(λ−T )) < +∞, ∃ε > 0, ]λ−ε, λ+ε[ ∩ σ(T ) = {λ} .

Donnons à présent quelques exemples de spectre résiduel et continu, afin de


donner un début d’intuition sur ces notions.
Exercice 2.40 (Spectre résiduel). On considère l’opérateur de shift à droite τd dans
`2 (N, C) défini par (2.3).
1. Vérifier que σp (τd ) = ∅ et que λ − τd est injectif pour tout λ ∈ C.
2. Montrer que 0 ∈ σr (τd ).
Montrer que {λ ∈ C, |λ| < 1} ⊂ σr (τd ). Indication : considérer xλ =
3. 
2
1, λ, λ , . . . et vérifier que xλ ∈ (Ran(λ − τd ))⊥ .

Exercice 2.41 (Spectre continu). Soit a < b deux réels, E = L2 ([a, b], C) et T ∈
L(E) défini par
T f (x) = x f (x).
Montrer que σ(T ) = σc (T ) = [a, b], en suivant les étapes ci-dessous :
1. Montrer que σ(T ) ⊂ [a, b].
2. Montrer que σ(T ) = [a, b] (en supposant qu’il existe λ ∈ [a, b] tel que λ − T
soit inversible, et en considérant ϕ ∈ C∞ ([a, b], C) valant 1 au voisinage de
λ).
36 CHAPITRE 2. INTRODUCTION À LA THÉORIE SPECTRALE

3. Montrer que σ(T ) = σc (T ). Pour cela, établir d’abord que σp (T ) = ∅, puis


prouver que Ran(λ − T ) = E pour tout λ ∈ [a, b]. Pour ce dernier point, pour
f ∈ E donnée, considérer la suite (ϕn )n≥1 de E définie par

 f (x) 1

si |x − λ| ≥ et x ∈ [a, b],
ϕn (x) = λ−x n
0 sinon.

Exercice 2.42. Le schéma de preuve ci-dessus montre qu’on peut en fait étendre
l’argument à des opérateurs plus généraux, définis sur E = L2 (Rd , C), de domaine
 Z 
2 2
D(T ) = f ∈ E (1 + |V (x)| )|f (x)| dx < +∞ ,
Rd

pour V ∈ L∞
loc (R, R), et d’action

T f (x) = V (x) f (x).

Ainsi, pour une fonction V continue, on montrera que σ(T ) = [min V, max V ], et
que σ(T ) = σc (T ) si V −1 ({λ}) est un ensemble au plus dénombrable sans point d’ac-
cumulation pour tout λ ∈ R. Notons en revanche que si on considère une fonction
V ∈ C∞ (R), valant c ∈ R dans un voisinage ] − η, η[ de l’origine, alors c ∈ σp (T ).

2.2.2 Cas des opérateurs bornés autoadjoints


Les opérateurs bornés auto-adjoints ont des propriétés intéressantes, qui se tra-
duisent sur leur spectre.

Proposition 2.43. Soit H un espace de Hilbert et T ∈ L(H). Si T est auto-adjoint,


on a
σ(T ) ⊂ R.
De plus, r(T ) = kT k, σ(T ) ⊂ [−kT k, kT k] et l’une au moins des deux extrémités
du segment est dans σ(T ). Enfin, σr (T ) = ∅ et les vecteurs propres associés à des
éléments différents de σp (T ) sont orthogonaux.

Démonstration. Pour prouver ce résultat, nous allons établir plusieurs résultats in-
termédiaires.
— Commençons par montrer que si λ ∈ C est tel que α = |Im(λ)| = 6 0, alors
λ − T est inversible.
Montrons tout d’abord que l’opérateur λ − T est injectif. En effet, pour tout
x ∈ H, on a

h(λ − T )x, xi = −hT x, xi + Re(λ) hx, xi − i Im(λ) hx, xi.


2.2. THÉORIE SPECTRALE DES OPÉRATEURS BORNÉS 37

On voit que hT x, xi = hx, T xi = hT ∗ x, xi = hT x, xi. Donc hT x, xi est réel. Il


en résulte que
|h(λ − T )x, xi| ≥ αkxk2 . (2.12)
On en déduit par l’inégalité de Cauchy-Schwarz que
k(λ − T )xk ≥ αkxk. (2.13)
Cette inégalité implique que l’opérateur λ − T est injectif.
Montrons ensuite que l’opérateur λ − T est surjectif. Soit V = Ran(λ − T ).
Nous allons montrer que V = H. Pour cela, montrons tout d’abord que V
est fermé dans H. Soit wn = (λ − T )vn une suite dans V qui converge vers
w ∈ H. En utilisant (2.13), on obtient
kwp − wq k ≥ αkvp − vq k.
La suite (wn )n≥0 est de Cauchy, donc la suite (vn )n≥0 aussi. Elle converge
donc vers un certain v ∈ H. Par continuité de l’application T ,
wn = (λ − T )vn −→ (λ − T )v
dans H. Donc w = (λ−T )v, ce qui prouve que w ∈ V . Donc V est fermé dans
H. Montrons enfin que V est dense. Une technique standard pour montrer
cela est de prouver que V ⊥ = {0} (ce qui donne, grace au lemme 1.13, que
V = (V ⊥ )⊥ = H). Soit donc w ∈ V ⊥ . Pour tout v ∈ H, on a alors
h(λ − T )v, wi = 0.
En particulier, pour v = w,
h(λ − T )w, wi = 0.
En utilisant (2.12), on obtient w = 0, ce qui montre que V ⊥ = {0} d’où la
densité de V dans H. Comme V est dense dans H et fermé dans H, on en
déduit que V = H, et donc la surjectivité de λ − T .
Comme l’opérateur λ − T ∈ L(H) est bijectif, il est inversible (cf. la propo-
sition 2.24). Noter également que l’inégalité (2.13) donne la borne suivante
sur la résolvante :
1
k(λ − T )−1 k ≤ .
|Im(λ)|
On a donc démontré que σ(T ) ⊂ R.
— Le théorème 2.36 implique alors que
σ(T ) ⊂ D(0, r(T )) ∩ R = [−r(T ), r(T )]
et que
σ(T ) ∩ C(0, r(T )) = σ(T ) ∩ C(0, r(T )) ∩ R = σ(T ) ∩ {−r(T ), r(T )} =
6 ∅.
38 CHAPITRE 2. INTRODUCTION À LA THÉORIE SPECTRALE

— Nous allons maintenant prouver que r(T ) = kT k. Tout d’abord, notons que
kT ∗ T k ≤ kT k kT ∗ k = kT k2 . Par ailleurs, comme |hx, T ∗ T xi| ≤ kT ∗ T k kxk2 ,
on a
!2
kT ∗ T k ≥ sup |hx, T ∗ T xi| = sup kT xk2 = sup kT xk = kT k2 ,
kxk=1 kxk=1 kxk=1

ce qui montre que kT 2 k = kT ∗ T k = kT k2 . Par récurrence, on a ensuite


p p
kT 2 k = kT k2 . Pour n ∈ N quelconque, on considère p tel que n ≤ 2p et on
écrit
p p p p
kT k2 = kT 2 k ≤ kT n k kT 2 −n k ≤ kT n k kT k2 −n .
Ceci montre que kT kn ≤ kT n k. L’inégalité contraire étant par ailleurs tou-
jours satisfaite, on en déduit que kT kn = kT n k, et donc kT n k1/n = kT k pour
tout n ≥ 1. On a donc finalement r(T ) = limn→∞ kT n k1/n = kT k.
— Montrons maintenant que σr (T ) = ∅. Pour ce faire, on considère λ ∈ σ(T ) ⊂
R tel que Ker(λ − T ) = {0}. On a vu (cf. la proposition 2.31) que
 ⊥
Ran(λ − T ) = Ker(λ − T ∗ ).
 ⊥
Dans le cas présent, ceci implique que Ran(λ − T ) = Ker(λ − T ) = {0},
ce qui implique (cf. le lemme 1.13) que signifie que Ran(λ − T ) = H et donc
λ∈ / σr (T ).
— Enfin, soient u et v deux vecteurs propres associés respectivement à deux
éléments λ 6= µ de σp (T ). Alors,

λhu, vi = hT u, vi = hu, T vi = µhu, vi.

Ceci montre que hu, vi = 0.

Remarque 2.44. On fait ici le lien entre le spectre résiduel d’un opérateur et le
spectre ponctuel de son adjoint.
La relation (2.7) montre de manière générale que, pour un opérateur borné
T ∈ L(E), si λ ∈ σr (T ), alors λ ∈ σp (T ∗ ). Bien sûr, dans le cas des opérateurs
autoadjoints, on a T ∗ = T et donc λ ∈ σr (T ) ∩ σp (T ) = ∅ par définition des
différentes parties du spectre. Ceci montre bien que σr (T ) = ∅ pour des opérateurs
autoadjoints.
Par ailleurs, on peut montrer que, si λ ∈ σp (T ), alors λ ∈ σp (T ∗ ) ∪ σr (T ∗ ).
Exercice 2.45. Donner un exemple d’opérateur borné tel que λ ∈ σp (T ∗ ) lorsque
λ ∈ σp (T ), et un exemple d’opérateur borné tel que λ ∈ σr (T ∗ ) lorsque λ ∈ σp (T ).
Exercice 2.46. Soit V un espace de Hilbert et soit T ∈ L(V ) un opérateur borné
auto-adjoint. On suppose que hT u, ui = 0 pour tout u ∈ V . Montrer qu’alors T = 0.
2.2. THÉORIE SPECTRALE DES OPÉRATEURS BORNÉS 39

2.2.3 Invariance par transformation unitaire


Dans certains cas, il est plus facile d’étudier le spectre d’un opérateur U T U −1
que le spectre de l’opérateur T directement. Les deux opérateurs ci-dessus ont le
même spectre sous certaines conditions sur la transformation U .
Définition 2.47. Soit H un espace de Hilbert. Un opérateur U ∈ L(H) est une
isométrie si kU xkH = kxkH pour tout x ∈ H, ou, de manière équivalente, si
hU x, U yi = hx, yi pour tout x et y dans H.
L’équivalence est obtenue en développant la quantité kU x + λU yk2H .
Notons qu’une isométrie est telle que U ∗ U = Id, et est également une appli-
cation injective. Par exemple, l’opérateur de shift à droite (2.3) est une isométrie.
Cependant, une isométrie n’est pas nécessairement une bijection, ce qui motive la
définition suivante.
Définition 2.48. Soit H un espace de Hilbert. Un opérateur U ∈ L(H) est unitaire
si U est une isométrie et Ran(U ) = H.
Un opérateur unitaire est donc borné, et injectif et surjectif donc bijectif. Ceci
implique que U −1 existe et est borné (cf. la proposition 2.24), et donc un opérateur
unitaire est inversible. On a par ailleurs U −1 = U ∗ .
Exemple 2.49. La transformée de Fourier est une transformation unitaire de L2 (Rd )
si on la normalise correctement. En effet, définissons U : L1 (Rd ) → L∞ (Rd ) par
 d/2 Z
1
U f (k) = f (k) =
b f (x) e−ik·x dx.
2π R d

Il est possible (mais pas évident !) d’étendre la notion de transformée de Fourier


à des fonctions plus générales, et en particulier à des fonctions dans L2 (Rd ). La
construction de U f pour f ∈ L2 (Rd ) montre que kU f kL2 = kf kL2 (c’est la formule
de Parseval). Ceci donne que U est borné, et que U est une isométrie. On peut de
plus montrer que U est surjectif sur L2 (Rd ). Donc U est unitaire.
Exercice 2.50. Montrer que, pour tout η > 0, l’opérateur Uη : L2 (Rd ) → L2 (Rd )
défini par Uη f (x) = η d/2 f (ηx) est une isométrie. Est-il unitaire ?
Exercice 2.51. Montrer que, pour tout a ∈ Rn , l’opérateur de translation τa :
L2 (Rd ) → L2 (Rd ) défini par τa f (x) = f (x − a) est un opérateur unitaire.
Proposition 2.52. Soit H un espace de Hilbert, T un opérateur borné et U un
opérateur unitaire. On considère l’opérateur (borné)
TU = U T U −1 = U T U ∗ .
Alors σ(TU ) = σ(T ). Si T est autoadjoint, alors TU l’est aussi.
La preuve de cette proposition est très simple, et repose sur le fait que si λ ∈ ρ(T ),
alors (λ − TU )−1 = U (λ − T )−1 U −1 , ce qui montre que λ ∈ ρ(TU ). On montre de
même l’implication contraire.
40 CHAPITRE 2. INTRODUCTION À LA THÉORIE SPECTRALE

2.3 Opérateurs compacts


2.3.1 Définition et premières propriétés
Définition 2.53. Soient E et F deux espaces de Banach et T un opérateur linéaire
de E dans F . On dit que l’opérateur T est compact si, pour tout B ⊂ E,

B borné dans E ⇒ T (B) relativement compact dans F.

On note K(E, F ) l’ensemble des opérateurs compacts de E dans F .


Ainsi, un opérateur compact transforme une suite bornée en une suite conver-
gente (à extraction près).
Proposition 2.54. Tout opérateur linéaire compact est continu, i.e. K(E, F ) ⊂
L(E, F ).
Démonstration. Soit E et F deux espaces de Banach et T un opérateur linéaire
compact de E dans F . Soit B 1 = {x ∈ E, kxk ≤ 1} la boule unité fermée de E.
L’ensemble B 1 étant borné, son image par T est relativement compacte donc bornée :
il existe une constante C telle que

∀x ∈ B 1 , kT xkF ≤ C.

On en déduit que
 
x
∀x ∈ E \ {0}, kT xkF = kxkE T ≤ CkxkE .
kxkE F

L’opérateur linéaire T est donc continu.


Nous avons la caractérisation équivalente suivante des opérateurs compacts dans
le cas où les espaces E et F sont des opérateurs de Hilbert.
Proposition 2.55. Soit E et F deux espaces de Hilbert. Soit T ∈ L(E, F ). Alors
les deux propositions suivantes sont équivalentes :
(i) T ∈ K(E, F ) ;
(ii) Pour toute suite (un )n∈N qui converge faiblement vers u dans E, on peut
extraire une sous-suite de la suite (T un )n∈N qui converge fortement vers T u
dans F .
Démonstration. On démontre l’implication (i) ⇒ (ii). Soit T ∈ K(E, F ). Soit (un )n∈N
une suite d’éléments de E qui converge faiblement vers un élément u ∈ E. On utilise
la Proposition 2.19 : comme T est un opérateur continu, la suite (T un )n∈N converge
faiblement vers T u dans F . Par ailleurs, la suite (un )n∈N est bornée, et T est com-
pact, donc on peut extraire une sous-suite de (T un )n∈N qui converge fortement vers
un élément w ∈ F . Comme la convergence forte implique la convergence faible, par
unicité de la limite, on a nécessairement w = T u.
2.3. OPÉRATEURS COMPACTS 41

On prouve maintenant l’implication (ii) ⇒ (i). Soit T ∈ L(E, F ) qui vérifie la


propriété (ii). Montrons que T est compact. Soit B un sous-ensemble borné de E.
Montrons que T (B) est un ensemble relativement compact dans F . Soit (un )n∈N
une suite d’éléments de B. Comme B est borné, la suite (un )n∈N l’est aussi, et
on peut donc en extraire une sous-suite qui converge faiblement dans E vers un
élément u ∈ E. D’après la caractérisation (ii), il existe une extraction ϕ telle que la
suite (T uϕ(n) )n∈N converge fortement dans F vers T u. Ceci montre qu’il existe une
sous-suite de (T un )n∈N qui converge fortement dans F . L’ensemble T (B) est donc
relativement compact.

Exercice 2.56. Montrer que les opérateurs suivants sont compacts :


1. l’identité de E est compacte si et seulement si E est de dimension finie ;
2. si l’un des espaces E ou F est de dimension finie, alors tout opérateur linéaire
continu T de E dans F est compact (en particulier, si T ∈ L(E, F ) avec
Ran(T ) de dimension finie, alors T ∈ K(E, F )) ;
3. si T1 et T2 sont deux opérateurs linéaires compacts de E dans F , alors T1 +T2
est un opérateur compact ;
4. la restriction d’un opérateur compact T ∈ K(E, F ) à un sous-espace vectoriel
Ee de E est compacte.

Exercice 2.57. On considère l’opérateur de l’Exercice 2.15. Montrer que K ∈


K(E, F ) en admettant le résultat de compacité suivant, connu sous le nom de lemme
d’Ascoli :
Soit F un sous-ensemble borné de F = C 0 ([0, 1], R) tel que la propriété d’équicon-
tinuité suivante soit satisfaite : pour tout ε > 0, il existe δ > 0 tel que

|x − x0 | ≤ δ ⇒ ∀u ∈ F, |u(x) − u(x0 )| ≤ ε.

Alors F est relativement compact dans F .

Théorème 2.58. Soit E et F deux espaces de Banach. L’ensemble K(E, F ) est un


sous-espace vectoriel fermé de l’espace vectoriel L(E, F ).

Démonstration. Il est facile de montrer que K(E, F ) est un espace vectoriel. Grace
à la Proposition 2.54, on sait qu’il est inclus dans L(E, F ). Il reste à prouver que
c’est un sous-espace fermé de L(E, F ). Considérons pour cela une suite d’opérateurs
compacts (Tk )k∈N∗ qui converge dans L(E, F ) vers un opérateur T ∈ L(E, F ) et
montrons que T est compact. Soit B un borné de E, soit R > 0 un réel tel que
B ⊂ {x ∈ E, kxk ≤ R} et soit (un )n∈N une suite de T (B). Il faut montrer que on
peut extraire de (un )n∈N une sous-suite convergente (ceci prouvera que T (B) est
relativement compact et donc que T est compact).
Soit (wn )n∈N une suite d’éléments de B tels que pour tout n ∈ N, T (wn ) = un . On
va extraire de (un )n∈N une sous-suite convergente en utilisant un procédé diagonal.
42 CHAPITRE 2. INTRODUCTION À LA THÉORIE SPECTRALE

On pose {wn0 }n = {wn }n et on construit, par récurrence sur k, la suite {wnk }n , qui est
une sous-suite de (wnk−1 )n∈N telle que (Tk (wnk ))n∈N soit convergente. On utilise pour
cela le fait que Tk est un opérateur compact, et que {wnk−1 }n , suite extraite de (wn )n ,
est bornée. On définit maintenant la suite (vn )n∈N par vn = wnn . Pour tout k ∈ N∗ ,
(vn )n≥k est une sous-suite de (wnk )n∈N : la suite (Tk (vn ))n∈N est donc convergente.
On pose u en = T (vn ). La suite (eun )n∈N est une sous-suite de (un )n∈N . On va
montrer qu’elle est de Cauchy. Soit ε > 0 et k ∈ N∗ tel que
ε
kT − Tk kL(E,F ) ≤ .
3R
Soit ensuite N ≥ 0 tel que ∀q > p ≥ N ,
ε
kTk (vp ) − Tk (vq )kF ≤ .
3
Il vient que, pour tout q > p ≥ N ,

ke
up − u
eq k = kT (vp ) − T (vq )kF
≤ kT (vp ) − Tk (vp )kF + kTk (vp ) − Tk (vq )kF + kTk (vq ) − T (vq )kF
≤ kT − Tk kL(E,F ) (kvp kE + kvq kE ) + kTk (vp ) − Tk (vq )kF
≤ ε.

La suite (e
un )n∈N est donc de Cauchy. Ceci conclut la preuve.

Une des conséquences importantes de ce résultat est que, si T est la limite d’une
suite d’opérateurs (Tn )n≥0 de rang fini (i.e. tels que la dimension de Ran(Tn ) est
finie), au sens où
kTn − T k −→ 0
où la norme est définie en (2.1), alors l’opérateur limite T est compact. En général,
la réciproque est fausse : on ne peut pas approcher n’importe quel opérateur com-
pact par une suite d’opérateurs de rang fini. Cette réciproque est cependant vraie
si on considère K(E, F ) avec F un espace de Hilbert (cf. [3, Section VI.1] ou la
Remarque 2.73 pour le cas où E = F est un espace de Hilbert).

Proposition 2.59. Soient E, F et G trois espaces de Banach, et soient T1 ∈


L(E, F ) et T2 ∈ L(F, G).
Si T1 est compact, ou bien si T2 est compact, alors l’application T2 ◦ T1 est com-
pacte : T2 ◦ T1 ∈ K(E, G).

Démonstration. On suppose que T1 ∈ L(E, F ) et T2 ∈ K(F, G). Comme T1 est


continue, l’image par T1 de la boule unité de E, qu’on note T1 (BE ), est bornée.
Comme T2 est linéaire compacte, l’image par T2 d’un ensemble borné est relativement
compacte dans G. Donc T2 ◦ T1 (BE ) est relativement compacte dans G, et T2 ◦ T1
est une application compacte.
2.3. OPÉRATEURS COMPACTS 43

Supposons maintenant que T1 ∈ K(E, F ) et T2 ∈ L(F, G). Soit wn = T2 ◦ T1 (un )


une suite d’éléments de T2 ◦ T1 (BE ), avec un ∈ BE . On pose vn = T1 (un ) ∈ F .
Comme T1 est compacte, on peut extraire de vn une sous-suite convergente dans F ,
qu’on note vϕ(n) , avec limn→∞ vϕ(n) = v. Par conséquent, comme T2 est continue, on
a
lim wϕ(n) = lim T2 (vϕ(n) ) = T2 (v).
n→∞ n→∞

On peut donc extraire de toute suite de T2 ◦ T1 (BE ) une sous-suite convergente :


donc T2 ◦ T1 est une application compacte.
Concluons enfin avec quelques exercices d’application.

Exercice 2.60 (Opérateurs de Hilbert-Schmidt). Montrer que l’opérateur K


b de
l’Exercice 2.29 est compact.

Exercice 2.61. Soit V un espace de Hilbert de dimension infinie. Montrer que, si


A ∈ K(V, V ), alors A n’est pas bijectif.

Exercice 2.62. Soit u = (u i )i∈N ∈ R une suite à valeur réelle. On considère


N
2
P
l’ensemble `2 = {u ∈ R ; N
i≥0 u
P i < +∞} des suites de carré sommable, qu’on
munit du produit scalaire hu, vi = i≥0 ui vi .
Soit (ai )i≥0 une suite de réels bornés : |ai | ≤ C < +∞ pour tout i ≥ 0. On
définit l’application linéaire A sur `2 par Au = (ai ui )i≥0 . Montrer que Au ∈ `2 et
que A est continue. Montrer que A est compacte si et seulement si limi→+∞ ai = 0
(Indication : pour montrer que limi→+∞ ai = 0 implique A est compacte, on pourra
utiliser un principe d’extraction diagonale).

Proposition 2.63. Soit V un espace de Hilbert et A ∈ K(V, V ). Alors Ker(Id − A)


est de dimension finie.

Démonstration. Soit E1 = Ker(Id − A). Montrons que la boule unité fermée de


E1 est compacte. Soit v ∈ Ker(Id − A) avec kvk ≤ 1 : on a donc v = Av, donc
v ∈ A(BV ), et ainsi BE1 ⊂ A(BV ). Comme A est compacte, A(BV ) est relativement
compacte, et donc BE1 est relativement compact. Comme BE1 est fermée, on a donc
que BE1 est compacte. En application de la proposition 1.31, on a donc que E1 est
de dimension finie.

2.3.2 Le théorème de Rellich


Définition 2.64. Soient V et H deux espaces de Hilbert avec V ⊂ H. On note
respectivement h·, ·iV et h·, ·iH leur produit scalaire. On dit que l’injection V ⊂ H
est compacte si l’application
I : V −→ H
u 7−→ u
est continue et compacte, autrement dit :
44 CHAPITRE 2. INTRODUCTION À LA THÉORIE SPECTRALE

— il existe C tel que, pour tout u ∈ V , on a kukH ≤ C kukV ;


— de toute suite bornée de V (pour la norme k · kV ), on peut extraire une sous-
suite convergente dans H (pour la norme k · kH ).

On va à présent énoncer un résultat de compacité important (et très utile dans


l’étude des équations aux dérivées partielles).

Théorème 2.65. Soit Ω un ouvert borné de Rd . L’injection canonique de H10 (Ω)


dans L2 (Ω) est compacte.

Un des intérêts de ce résultat est que, si on arrive à obtenir une borne (en
norme H1 (Ω)) sur une suite de fonctions approchant la solution d’une équation
(par exemple, en montrant qu’une énergie est uniformément bornée), alors on peut
extraire de cette suite une sous-suite convergente (en norme L2 (Ω)). Cette limite est
alors un candidat naturel pour être une solution de l’équation.
Dans ce chapitre, ce résultat va nous permettre de montrer que les inverses de
certains opérateurs sont compacts, ce qui permettra de décrire complètement le
spectre de l’opérateur en question.

Démonstration. La preuve comprend trois étapes. p


— On commence par traiter le cas où Ω =]0, π[. On note ek (x) = 2/π sin(kx)
le k-ième mode de Fourier valant 0 au bord de Ω. On note que ek ∈ H10 (0, π),
kek kL2 = 1 et kek k2H1 = 1 + k 2 .
En utilisant la transformée de Fourier, on peut montrer (et ce sera admis ici)
qu’on peut caractériser les espaces L2 (0, π) et H10 (0, π) par
( +∞ +∞
)
X X
L2 (0, π) = u(x) = ck ek (x), |ck |2 < +∞
k=1 k=1

et ( )
+∞
X +∞
X
H10 (0, π) = u(x) = ck ek (x), (1 + k 2 )|ck |2 < +∞ .
k=1 k=1

De plus,

+∞
!1/2 +∞
!1/2
X X
kukL2 = |ck |2 , kukH1 = (1 + k 2 )|ck |2 .
k=1 k=1

On note que, pour montrer la complétude de la base des {ek }k≥1 dans L2 (0, π),
il suffit de prendre une fonction de L2 (0, π), de l’antisymétriser pour en faire
une fonction sur ] − π, π[, d’étendre la fonction à tout R en la périodisant, et
enfin de développer cette fonction sur la base des sinus et cosinus (en utilisant
la théorie des séries de Fourier).
2.3. OPÉRATEURS COMPACTS 45

Soit
I : H10 (0, π) −→ L2 (0, π)
u 7→ u
l’injection canonique de H10 (0, π) dans L2 (0, π). Pour tout N ∈ N∗ , soit IN
l’opérateur linéaire défini par
IN : H10 (0, π) −→ L2 (0, π)
+∞
X N
X
u= ck ek 7→ IN (u) = ck e k .
k=1 k=1

Montrons que la suite (IN )N ∈N∗ converge vers I dans L(H10 , L2 ). On calcule
k(I − IN )(u)k2L2
kI − IN k2L(H1 ,L2 ) = sup
0
u∈H10 (Ω), u6=0 kuk2H1
0
+∞
X
|ck |2
k=N +1
= sup +∞
(1+k2 )|ck |2 <+∞
P
(ck )k∈N∗ 6=0, X
(1 + k 2 )|ck |2
k=1
+∞
X
|ck |2
k=N +1
≤ sup +∞
(1+k2 )|ck |2 <+∞
P
(ck )k∈N∗ 6=0, X
(1 + k 2 )|ck |2
k=N +1
1
≤ −→ 0.
1 + (N + 1)2 N →+∞
Par ailleurs, pour tout N ∈ N∗ , l’opérateur IN est de rang fini (égal à N ).
C’est donc un opérateur compact. Il en résulte que I est limite dans L(H10 , L2 )
d’opérateurs compacts. C’est donc lui-même un opérateur compact d’après
le Théorème 2.58.
— Pour Ω =]0, π[d , on montre de la même manière que l’injection canonique de
H10 (Ω) dans L2 (Ω) est compacte. Il suffit de développer les fonctions u ∈ H10 (Ω)
dans la base tensorielle de Fourier :
+∞
X
u(x1 , x2 , · · · , xd ) = ck1 k2 ···kd sin(k1 x1 ) sin(k2 x2 ) · · · sin(kd xd ).
k1 ,k2 ,··· ,kd =1

— Enfin, si Ω est un ouvert borné quelconque de Rd , on peut se ramener par


homothétie et translation au cas où Ω ⊂ ω =]0, π[d . Il suffit alors de remarquer
que l’injection IΩ de H10 (Ω) dans L2 (Ω) peut se décomposer en
p Iω r
IΩ : H10 (Ω) −→ H10 (ω) ,→ L2 (ω) −→ L2 (Ω)
46 CHAPITRE 2. INTRODUCTION À LA THÉORIE SPECTRALE

où p désigne l’opérateur linéaire qui transforme une fonction de H10 (Ω) en une
fonction de H10 (ω) en la prolongeant par 0 dans ω \ Ω, Iω est l’injection cano-
nique de H10 (ω) dans L2 (ω) et r est l’opérateur de restriction qui à u ∈ L2 (ω)
associe la fonction u|Ω (qui est dans L2 (Ω)). Comme p et r sont des opérateurs
continus et Iω est un opérateur compact, il en résulte (cf. la proposition 2.59)
que IΩ est lui-même un opérateur compact.
Ceci conclut la preuve.
Remarque 2.66 (Injection compacte de H1 (Ω) dans L2 (Ω)). Une modification de la
preuve ci-dessus permet de montrer facilement que l’injection de HQ1 (Ω) dans L2 (Ω)
est compacte lorsque le domaine Ω est un parallélépipède Ω = di=1 ]ai , bi [. Pour
des domaines généraux, la question est plus difficile. Ce qui pose problème dans
la preuve ci-dessus, c’est de montrer que l’opérateur d’extension (celui qui à une
fonction f ∈ H1 (Ω) associe une fonction fe ∈ H1 (ω) où ω est un cube contenant Ω
et fe Ω = f ) est bien défini et est borné. De tels résultats existent pour des domaines
bornés réguliers, voir par exemple [6, Théorème 7.1.7] et [3, Théorème IX.7] et les
résultats ci-dessous.
On a le résultat suivant :
Théorème 2.67 (de Rellich-Kondrachov). Soit Ω ouvert régulier borné de Rd . On
a les injections compactes :
— si d > 2, alors H 1 (Ω) ⊂ Lq (Ω) pour tout q ∈ [1, p∗ [, avec 1/p∗ = 1/2 − 1/d.
— si d = 2, alors H 1 (Ω) ⊂ Lq (Ω) pour tout q ∈ [1, +∞[.
— si d = 1, alors H 1 (Ω) ⊂ C 0 (Ω).
On en déduit en particulier le résultat suivant.
Corollaire 2.68. Soit Ω un ouvert régulier borné de Rd . Alors l’injection H 1 (Ω) ⊂
L2 (Ω) est compacte.
Donc, si Ω est un ouvert régulier borné, alors, de toute suite bornée de H 1 (Ω),
on peut extraire une sous-suite convergente dans L2 (Ω).
Démontration du Corollaire 2.68. Si d ≥ 2, le résultat découle directement du
théorème de Rellich-Kondrachov. Si d = 1, on remarque que l’injection I : H 1 (Ω) ,→
L2 (Ω) est la composition de deux injections
I1 : H 1 (Ω) ,→ C 0 (Ω) et I2 : C 0 (Ω) ,→ L2 (Ω).
L’injection I1 est compacte d’après le théorème de Rellich-Kondrachov, et l’injection
I2 est continue. L’injection I = I1 ◦ I2 est donc compacte.
Le corollaire suivant est alors une conséquence immédiate de la Proposition 2.55.
Corollaire 2.69. Soit Ω un ouvert régulier borné de Rd . Soit un une suite bornée
de H 1 (Ω). On peut extraire de la suite un une sous-suite qui converge faiblement
vers u dans H 1 (Ω) et qui converge fortement vers u dans L2 (Ω).
Exercice 2.70. En utilisant le corollaire ci-dessus, démontrer l’inégalité de Poin-
caré (1.8) par un raisonnement par l’absurde.
2.3. OPÉRATEURS COMPACTS 47

2.3.3 Théorie spectrale des opérateurs autoadjoints com-


pacts
Les opérateurs autoadjoints compacts ont une structure spectrale très parti-
culière, qui ressemble beaucoup à celle des opérateurs linéaires en dimension finie.

Théorème 2.71 (Diagonalisation des opérateurs auto-adjoints compacts). Soit H


un espace de Hilbert séparable de dimension infinie et T ∈ L(H) un opérateur auto-
adjoint compact. Alors il existe une suite (µn ) de réels non nuls, finie ou tendant
vers 0, et une base hilbertienne (en ) ∪ (fn ) de H, telles que
1. σ(T ) = (µn ) ∪ {0},
2. T en = µn en (et donc µn ∈ σp (T )),
3. (fn ) est une base de Ker(T ).
En outre, pour tout λ ∈ σ(T )\{0}, l’espace propre Eλ = Ker(λ−T ) est de dimension
finie.

On note qu’on a toujours 0 ∈ σ(T ). En effet :


— soit T n’est pas injectif, et alors 0 ∈ σp (T ) ;
— soit T n’est pas surjectif, et alors 0 ∈ σr (T ) ∪ σc (T ) (en effet, si T est injectif
et surjectif, alors il est bijectif, ce qui n’est pas possible en vertu de l’exer-
cice 2.61) ; d’après la Proposition 2.43, on a que σr (T ) = ∅, donc 0 ∈ σc (T ).

Remarque 2.72. La preuve ci-dessous montre que plusieurs cas (et uniquement
ceux-là) peuvent se présenter :
1. on peut avoir σ(T ) = σp (T ), avec les cas suivants :
(a) ou bien σ(T ) = σp (T ) = {0}, auquel cas T = 0. Dans ce cas, la base (fn )
engendre tout l’espace, et la base (en ) est vide ;
(b) ou bien σ(T ) = σp (T ) = {µn }n∈{1,...,N } ∪ {0}, c’est-à-dire que T est de
rang fini (et bien sur T n’est pas injectif ). Dans ce cas, la base (en ) est
de cardinal fini N , et la base (fn ) est de cardinal infini ;
(c) ou bien σ(T ) = σp (T ) = {µn }n≥0 ∪ {0}, auquel cas T est non injectif. La
base (en ) est de cardinal infini, alors que la base (fn ) peut être de cardinal
fini ou infini en fonction de la dégénerescence de la valeur propre 0 ;
2. si σp (T ) ( σ(T ), alors σ(T ) est l’union disjointe de σp (T ) et de {0}. Dans ce
cas, T est injectif (car 0 ∈/ σp (T )) et on a σp (T ) = {µn }n≥0 et σc (T ) = {0}
(en effet, {0} = σ(T ) \ σp (T ) = σc (T ) ∪ σr (T ) et σr (T ) = ∅ d’après la
Proposition 2.43).

Démonstration. Nous décomposons cette (longue) preuve en plusieurs étapes.


48 CHAPITRE 2. INTRODUCTION À LA THÉORIE SPECTRALE

1. Montrons pour commencer que


σ(T ) ⊂ σp (T ) ∪ {0} . (2.14)
On rappelle que σ(T ) ⊂ R par la Proposition 2.43. Pour montrer (2.14),
considérons λ ∈ R \ {0} tel que λ ∈ / σp (T ). Il s’agit de montrer que λ ∈/ σ(T ).
Comme λ ∈ / σp (T ), (λ − T ) est injectif. Etudions alors la surjectivité en nous
intéressant à V = Ran(λ−T ), et plus particulièrement, montrons que V = H,
ce qui donnera le résultat escompté.
(a) On montre que V est fermé.
En effet, soit une suite (wn )n∈N d’éléments de V qui converge vers w dans
H. Soit (vn )n∈N l’unique suite d’éléments de H définie par wn = (λ − T )vn
pour tout n ∈ N. On a alors
1
vn =[wn + T vn ].
λ
Montrons d’abord que la suite (vn ) admet une sous-suite bornée. Par l’ab-
surde, supposons que kvn k −→ +∞. En utilisant le fait que wn converge,
on aurait dans ce cas
vn vn wn
λ −T = −→ 0.
kvn k kvn k kvn k
En utilisant la compacité de l’opérateur T , on extrait de (vn ) une sous-
suite (vnk ) telle que
vnk
T −→ u ∈ H.
kvnk k
D’où
vnk 1
−→ z = u
kvnk k λ
et z vérifie (λ − T )z = 0. Il en résulte que z = 0 puisque λ − T est injectif.
C’est impossible car z est la limite forte d’une suite de points de la sphère
unité de H.
La suite (vn )n∈N admet donc une sous-suite bornée. L’opérateur T étant
compact, (vn ) admet une sous-suite (vnk ) bornée telle qu’on ait
T vnk −→ w0 ∈ H.
En utilisant à nouveau que wn converge, il en résulte que
1
vnk −→ v = [w + w0 ] ∈ H,
λ
ce qui indique que la suite (vn )n∈N admet une sous-suite convergente.
Comme T est continu, on a finalement
w = lim wnk = lim (λ − T )vnk = (λ − T )v ∈ V,
k→+∞ k→+∞

ce qui montre bien que V est fermé.


2.3. OPÉRATEURS COMPACTS 49

(b) On montre que V est dense.


En effet, soit w ∈ V ⊥ . Alors h(λ − T )v, wi = 0 pour tout v ∈ H. Comme
T est auto-adjoint et λ est réel, on en déduit que hv, (λ − T )wi = 0 pour
tout v ∈ H. Ceci implique que (λ − T )w = 0, et donc w = 0 puisque
(λ − T ) est injectif. Donc V ⊥ = {0}, et en utilisant le lemme 1.13, on en
déduit que V = (V ⊥ )⊥ = H.
Ceci conclut la preuve de (2.14).
2. Montrons que σp (T ) est ou bien une suite finie, ou bien une suite infinie qui
converge vers 0.
Dans le cas contraire, on pourrait extraire de σp (T ) une suite (λn )n∈N de réels
non nuls tous distincts qui converge vers un réel µ 6= 0. Soit en ∈ Ker(λn − T )
tel que ken k = 1. On a, pour tout n ∈ N,
1
en = T en .
λn
La suite (en )n∈N étant bornée et T étant compact, on peut extraire une sous-
suite (T enk ) qui converge dans H vers un certain u, d’où
1
enk −→ u.
µ
Or la suite (en ) est orthonormale par la Proposition 2.43, ce qui montre que
la suite (enk ) n’est pas de Cauchy, donc ne peut pas converger. On a obtenu
une contradiction, ce qui donne le résultat annoncé. En particulier, σp (T ) est
dénombrable.
3. A tout élément λn ∈ σp (T ) tel que λn 6= 0, on associe En = Ker(λn − T ).
Montrons que les espaces En sont de dimension finie.
Soit en effet Tn = T |En . Il est clair que Tn = λn IdEn (avec λn 6= 0) et que Tn
est compact de En dans En (car c’est la restriction d’un opérateur compact
à l’ensemble En = Ker(λn − T )). L’opérateur Tn est donc compact et bijectif
de En dans En . L’exercice 2.61 indique alors que En est de dimension finie.
4. Les espaces En sont deux à deux orthogonaux (par la Proposition 2.43) et
sont orthogonaux à F = Ker(T ).
Pour le second point, on procède comme dans la preuve de la Proposition 2.43.
En effet, soit λn ∈ σp (T ) avec λn 6= 0, u ∈ En et v ∈ F . Alors
λn hu, vi = hT u, vi = hu, T vi = 0,
d’où hu, vi = 0 puisque λn 6= 0. Donc F ⊂ E ⊥ .
M
5. Soit enfin E = En . Montrons que H = E ⊕ F , où les sommes directes
n
sont des sommes orthogonales dans les deux cas (selon le point précédent).
50 CHAPITRE 2. INTRODUCTION À LA THÉORIE SPECTRALE

(a) Remarquons tout d’abord que E est stable par T . En effet, soit x ∈ E.
On peut écrire
X X
x= xn , xn ∈ En , kxn k2 < +∞.
n n
P
Comme par ailleurs (λn ) est finie ou tend vers 0, la série n λn xn converge
dans H. On a donc
X X
Tx = λ n xn , λn xn ∈ En , kλn xn k2 < +∞,
n n

ce qui montre que T x ∈ E.


(b) Par ailleurs, E ⊥ est aussi stable par T . En effet, si w ∈ E ⊥ , alors hT w, vi =
hw, T vi = 0 pour tout v ∈ E (on a utilisé que T v ∈ E). Ceci montre que
T w ∈ E ⊥.
(c) Définissons maintenant Te, la restriction de T à l’ensemble fermé E ⊥ :

Te : E ⊥ → E ⊥
v 7→ T v.

L’opérateur Te est auto-adjoint et compact. En vertu de (2.14), on a


σ(Te) ⊂ σp (Te)∪{0}. Supposons que σp (Te) 6⊂ {0}. Il existe alors λ ∈ σp (Te)
avec λ 6= 0, et il existe donc v ∈ E ⊥ \ {0} tel que

Tev = λv,

d’où aussi T v = λv. Donc λ ∈ σp (T ). Ceci signifie cependant que λ = λn


et que v ∈ En pour un certain n. D’où

v ∈ En ∩ E ⊥ = {0} ,

ce qui contredit l’hypothèse v 6= 0. Donc σp (Te) ⊂ {0}.


Il en résulte que σ(Te) ⊂ {0}, et comme le spectre n’est jamais vide, on
obtient
σ(Te) = {0} .
D’après la proposition 2.43, la relation ci-dessus implique que kTek = 0 et
donc que Te = 0. Ainsi, E ⊥ ⊂ Ker(T ) = F .
(d) On a H = E ⊕ E ⊥ et on a vu ci-dessus que F ⊂ E ⊥ . On vient de montrer
que E ⊥ ⊂ Ker(T ) = F . Donc F = E ⊥ , ce qui donne bien que H = E ⊕ F .
6. La base (en ) et la suite (µn ) sont construites de la manière suivante. Notons
nk la dimension de Ek . On prend µ1 = µ2 = · · · = µn1 = λ1 et (e1 , · · · , en1 )
une base orthonormale de E1 . Puis on pose µn1 +1 = · · · = µn1 +n2 = λ2 et
(en1 +1 , · · · , en1 +n2 ) une base orthonormale de E2 . On procède de même pour
tous les espaces En .
2.3. OPÉRATEURS COMPACTS 51

Ceci conclut la preuve.


Remarque 2.73. Soit H est un espace de Hilbert. La preuve précédente montre
qu’on peut écrire tout opérateur autoadjoint de K(H) (donc compact) comme une
limite d’opérateurs de rang fini (voir [3]). En effet, comme (en ) ∪ (fn ) forme une
base hilbertienne de H, on peut écrire tout u ∈ H sous la forme
+∞
X
u= un ,
n=1

et l’application T est diagonale dans cette base :


+∞
X
Tu = λn un , (2.15)
n=1

avec λn → 0 lorsque n → +∞ (éventuellement, il est possible que λn = 0 à partir


d’un certain rang). Définissant les opérateurs de rang fini TN par
N
X
TN u = λn u n ,
n=1

on voit facilement que kT − TN k ≤ sup |λm | −→ 0 lorsque N → +∞.


m≥N

Remarque 2.74 (Calcul fonctionnel). Notons également que la décomposition (2.15)


permet de définir des opérateurs f (T ) par la formule
+∞
X
f (T )u = f (λn )un .
n=1

Ceci généralise les opérations faites sur les matrices symétriques réelles.

2.3.4 Opérateurs autoadjoints compacts définis positifs


Dans la suite du cours, nous aurons besoin en particulier d’appliquer le théorème
de décomposition spectrale à des opérateurs autoajoints compacts définis positifs.
Donnons-en tout d’abord la définition.
Définition 2.75. Soit V un espace de Hilbert, et soit A un opérateur borné de V
dans V . On dit que A est défini positif si
∀u ∈ V \ {0}, hAu, ui > 0.
Remarque 2.76. Soit V un espace de Hilbert, et soit A un opérateur borné de V
dans V . On lui associe la forme bilinéaire a définie par
a(u, w) = hAu, wi.
En dimension finie, A est défini positif si et seulement si a est coercive. En dimension
infinie, ce n’est plus le cas, comme le montre l’exercice 2.77 ci-dessous.
52 CHAPITRE 2. INTRODUCTION À LA THÉORIE SPECTRALE

Exercice 2.77. Soit Ω un ouvert borné de Rd . On se place dans l’espace de Hilbert


L2 (Ω). Pour tout f ∈ L2 (Ω), le problème

Chercher u ∈ H01 (Ω) tel que
(2.16)
−∆u = f dans D0 (Ω)

admet une unique solution. On considère l’opérateur

A : L2 (Ω) −→ L2 (Ω)
f 7−→ u solution du problème (2.16).

Montrer que A est un opérateur borné et que A est défini positif. Pour montrer que la
forme bilinéaire associée a n’est pas coercive, on pourra supposer que Ω est la boule
ouverte de centre 0 et de rayon 1, et considérer les fonctions fn (x) = nd/2 χ(nx), où
χ est une fonction fixée de D(Ω).
Le théorème ci-dessous est alors un corollaire du Theorème 2.71 (on est dans le
dernier cas évoqué dans la Remarque 2.72).
Théorème 2.78. Soit V un espace de Hilbert de dimension infinie, et A un opérateur
borné, défini positif, auto-adjoint et compact de V dans V . Alors les valeurs propres
de A forment une suite (λk )k≥1 de réels strictement positifs qui tend vers 0, et il
existe une base hilbertienne (uk )k≥1 de V formée de vecteurs propres de A, avec

∀k ≥ 1, Auk = λk uk .

De plus, le sous-espace propre associé à chaque valeur propre est de dimension finie.
On remarque que le théorème ci-dessus ne caractérise que le spectre ponctuel de
l’opérateur, alors que le Theorème 2.71 caractérise tout le spectre.
Remarque 2.79. Comme (uk )k≥1 forme une base hilbertienne de V , on peut appli-
quer la proposition 1.10 et on a donc les relations suivantes pour tout w ∈ V :
X X
w= hw, uk iuk et kwk2 = |hw, uk i|2 .
k≥1 k≥1

Exercice 2.80. On reprend les notations et hypothèses du théorème 2.78. Montrer


que, pour w ∈ V , l’équation Au = w admet une unique solution u ∈ V si et
seulement si w vérifie
X |hw, uk i|2
2
< +∞.
k≥1
λk

Exercice 2.81. Soit V = L2 (0, 1) et A l’application linéaire de V dans V définie par


(Af )(x) = (x2 + 1)f (x). Vérifier que A est continue, définie positive, auto-adjointe,
mais pas compacte. Montrer que A n’a pas de valeurs propres. Montrer que A − λId
est inversible si et seulement si λ ∈/ [1, 2].
2.3. OPÉRATEURS COMPACTS 53

Nous présentons ici une démonstration directe du théorème 2.78. Dans ce but,
nous aurons besoin des deux lemmes suivants.
Lemme 2.82. Soit V un espace de Hilbert (non réduit au seul vecteur nul) et A
une application linéaire continue auto-adjointe compacte de V dans V . On définit
hAu, ui hAu, ui
m= inf et M = sup .
u∈V \{0} hu, ui u∈V \{0} hu, ui

Alors kAkL(V ) = max(|m|, |M |) et soit m, soit M , est valeur propre de A.


Lemme 2.83. Soit V un espace de Hilbert et A une application linéaire continue
compacte de V dans V . Pour tout réel δ > 0, il n’existe au plus qu’un nombre fini
de valeurs propres de A en dehors de l’intervalle ] − δ, δ[.
Démontration du lemme 2.82. On voit que |hAu, ui| ≤ kAkL(V ) kuk2 , par conséquent
max(|m|, |M |) ≤ kAkL(V ) . Comme A est auto-adjoint, on a, pour tout u et w dans
V , que
4hAu, wi = hA(u + w), u + wi − hA(u − w), u − wi
≤ M ku + wk2 − mku − wk2
max(|m|, |M |) ku + wk2 + ku − wk2


2 max(|m|, |M |) kuk2 + kwk2 .


Si Au 6= 0, on peut choisir w = Au/kAuk dans l’inégalité précédente, et on obtient
2kAuk ≤ max(|m|, |M |) kuk2 + 1 .


Cette dernière inégalité reste vraie si Au = 0. On prend maintenant le supremum sur


les u ∈ V , kuk = 1, ce qui donne 2kAkL(V ) ≤ 2 max(|m|, |M |). En combinant cette
inégalité avec l’inégalité inverse obtenue ci-dessus, on obtient que max(|m|, |M |) =
kAkL(V ) .
On montre maintenant la deuxième partie du lemme. Si m = M = 0, alors, pour
tout u ∈ V , on a hAu, ui = 0. En utilisant l’exercice 2.46, on obtient que A = 0,
ce qui termine la preuve du lemme. On suppose maintenant que soit m, soit M , est
non nul, et donc max(|m|, |M |) > 0. Par définition, on a M ≥ m. Si M ≤ |m|, alors
on est dans un des deux cas suivants :
— soit 0 ≥ M ≥ m : on change alors A en −A ce qui permet de revenir au cas
M ≥ m > 0.
— soit M ≥ 0 ≥ m et M ≤ |m| : on change alors A en −A ce qui permet de
revenir au cas M ≥ |m| ≥ 0.
Sans perte de généralité, on peut donc supposer que M ≥ |m| et M > 0. Montrons
que M est valeur propre de A. En utilisant la première partie du lemme et la
définition de M , on a
hAu, ui
kAkL(V ) = M = sup .
u∈V \{0} hu, ui
54 CHAPITRE 2. INTRODUCTION À LA THÉORIE SPECTRALE

Soit un ∈ V une suite maximisante, avec kun k = 1. On a donc limn→+∞ hAun , un i =


M . Comme un est bornée et A est compacte, on peut extraire de Aun une sous-suite
convergente : limn→+∞ Auϕ(n) = v. On a aussi

hAun , un i ≤ kAun k kun k ≤ kAkL(V ) kun k2 = kAkL(V ) = M.

Or limn→+∞ hAun , un i = M , ce qui donne que limn→+∞ kAun k kun k = M . Comme


kun k = 1, on en déduit que limn→+∞ kAun k = M . Sachant que Aun converge à
extraction près vers v, on obtient que kvk = M .
On voit aussi que

kAun − M un k2 = kAun k2 + M 2 − 2M hAun , un i →n→+∞ 0,

ce qui implique limn→∞ Aun −M un = 0. Or lim Auϕ(n) = v, donc lim M uϕ(n) = v.


n→+∞ n→+∞
Comme A est continue, on a lim M Auϕ(n) = Av, et par unicité de la limite, on
n→+∞
déduit que M v = Av, avec v 6= 0. Donc M est bien valeur propre de A.

Démontration du lemme 2.83. On procède par contradiction, et on suppose donc


qu’il existe une suite infinie de valeurs propres (λk )k≥1 distinctes telles que |λk | ≥ δ.
Soient (uk )k≥1 les vecteurs propres associés, et Ek le sous-espace vectoriel engendré
par u1 , . . . , uk .
Grâce au lemme 2.38, les vecteurs propres (uk )k≥1 sont linéairement indépendants,
et donc Ek−1 est strictement inclus dans Ek . Donc il existe wk de norme 1, avec
wk ∈ Ek et wk orthogonal à Ek−1 . Comme λk est isolé de 0, on voit que la suite
de vecteurs wk /λk est bornée. L’application A étant compacte, on en déduit que, à
extraction près, la suite Awk /λk converge. Par ailleurs, pour j < k, on voit que
1 1 1 1
Awk − Awj = (Awk − λk wk ) + wk − Awj
λk λj λk λj
wk 1
= (A − λk Id) + wk − Awj .
λk λj
Or, pour tout w ∈ Ek , on a (A − λk Id) w ∈ Ek−1 . Par conséquent, les vecteurs
wk 1
(A − λk Id) et Awj sont dans Ek−1 , tandis que wk est orthogonal à Ek−1 . Donc
λk λj
2 2
1 1 wk 1
Awk − Awj = (A − λk Id) − Awj + kwk k2
λk λj λk λj
≥ kwk k2 = 1.

Ceci est contradictoire avec le fait que la suite Awk /λk converge à extraction près.

Démontration du théorème 2.78. Le lemme 2.82 montre que l’ensemble des valeurs
propres n’est pas vide, tandis que le lemme 2.83 montre que cet ensemble est soit fini,
2.3. OPÉRATEURS COMPACTS 55

soit infini dénombrable avec 0 comme seul point d’accumulation. On note (λk )k≥1
les valeurs propres de A et Vk = Ker(A − λk Id) les sous-espaces vectoriels propres
associés. Comme A est défini positif, on voit que les valeurs propres sont toutes
strictement positives.
1
Comme λk 6= 0, l’application A est compacte, et la proposition 2.63 montre
λk
1
que Vk = Ker( A − Id) est de dimension finie.
λk
Les sous-espaces propres sont orthogonaux deux à deux. En effet, si vk ∈ Vk et
vj ∈ Vj avec k 6= j, alors, comme A est auto-adjoint,

hAvj , vk i = λj hvj , vk i = hvj , Avk i = λk hvj , vk i.

On déduit de λk 6= λj que hvj , vk i = 0.


Soit ( )
K
X
W = v ∈ V ; ∃K ≥ 1 tel que v = vk , v k ∈ V k
k=1

l’espace vectoriel engendré par les (vk )k≥1 . Montrons que W est dense dans V . Il
est clair que W est stable par A, c’est-à-dire A(W ) ⊂ W . L’application A étant
auto-adjointe, ceci implique que W ⊥ est lui-aussi stable par A. On considère alors
la restriction A0 de A à W ⊥ , qui est encore une application linéaire continue auto-
adjointe compacte. Si W ⊥ 6= {0}, on peut appliquer le lemme 2.82, et donc A0 a
une valeur propre λ. Soit u le vecteur propre associé : u ∈ W ⊥ et Au = λu. Donc
λ est une valeur propre de A, et par conséquent u ∈ W . Donc u ∈ W ∩ W ⊥ , ce
qui est contradictoire avec le fait que u 6= 0. Donc W ⊥ = {0}. Par conséquent,
V = {0}⊥ = (W ⊥ )⊥ = W (on a utilisé le lemme 1.13 pour obtenir la dernière
égalité), ce qui montre que W est dense dans V .
On construit maintenant une base hilbertienne de V . Pour cela, on considère dans
chacun des Vk (qui sont de dimension finie) une base orthonormée. Les réunions de
ces bases forme une base hilbertienne de V , car les Vk sont orthogonaux deux à deux
et W est dense dans V .
Comme V est de dimension infinie et que les Vk sont de dimension finie, on
obtient aussi que A possède un nombre infini dénombrable de valeurs propres.
56 CHAPITRE 2. INTRODUCTION À LA THÉORIE SPECTRALE
Chapitre 3

Equations aux dérivées partielles


et problèmes aux valeurs propres

3.1 Motivation
Ce chapitre est une introduction à l’étude mathématique et numérique des phéno-
mènes vibratoires. Ces phénomènes ont une grande importance pour de nombreuses
sciences de l’ingénieur : génie civil, acoustique (des instruments de musique mais
aussi des véhicules), détection de fissure dans des matériaux (par contrôle non des-
tructif), . . .
D’un point de vue mathématique, il s’agit d’étudier les valeurs propres et vecteurs
propres d’équations aux dérivées partielles. Illustrons notre propos sur un exemple
concret. On considère une membrane élastique homogène et isotrope, dont le bord
est maintenu fixe, initialement au repos, et on cherche à étudier sa réponse à une
excitation dépendant du temps.
Lorsqu’on néglige les forces de gravitation devant les forces de tension superfi-
cielle, et qu’on se place dans le cadre de l’élasticité linéaire, le système vérifié par le
déplacement vertical u(t, x) d’un point de la membrane situé au repos à la position
x ∈ Ω s’écrit :

1 ∂ 2u

(t, x) − ∆u(t, x) = f (t, x) dans R+∗ × Ω,


c 2 ∂t2



u(t, x) = 0 sur R+∗ × ∂Ω,

(3.1)

 u(0, x) = 0 sur Ω,
 ∂u (0, x) = 0


sur Ω,

∂t
p
où c = S/ρ, S désignant la tension superficielle et ρ la masse surfacique de la mem-
brane. On reconnaı̂t dans l’EDP du système (3.1) une équation d’onde de célérité c
comportant un terme source f .
L’analogue discret (en espace) de ce problème est le système dynamique d’incon-

57
58CHAPITRE 3. EQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES ET PROBLÈMES AUX VALEURS PRO

nue U (t) ∈ RN suivant :


 2
 M d U (t) + AU (t) = B(t),

dt2 (3.2)
 U (0) = dU (0) = 0,

dt
où M et A sont deux matrices de taille N ×N et B(t) est un vecteur de RN dépendant
du temps.
Nous verrons plus loin dans le cours qu’on peut effectivement passer du sys-
tème (3.1) au système (3.2) par une formulation variationnelle de (3.1), qui est en-
suite approximée par une méthode de Galerkin (par exemple une méthode d’éléments
finis ; cf. la section 8.2.1).
Supposons ici pour simplifier que M est la matrice identité, et que A est une
matrice symétrique. Une méthode classique pour résoudre (3.2) est de diagonaliser
la matrice A, ce qui consiste à chercher les couples (λk , Uk )1≤k≤N de valeurs propres
et de vecteurs propres de A, qui vérifient donc

∀k, AUk = λk Uk . (3.3)

Puisque A est symétrique, ses vecteurs propres forment une base orthonormée de
RN . On cherche alors une solution de (3.2) comme une combinaison linéaire sur ces
vecteurs propres :
XN
U (t) = αk (t)Uk avec αk (t) ∈ R.
k=1

En insérant cette décomposition dans (3.2), on trouve que les αk vérifient

d2 α k
+ λk αk (t) = bk (t) (3.4)
dt2
avec bk (t) = hB(t), Uk i. On est donc ramené à la résolution d’une équation différentielle
ordinaire scalaire.
L’argument clé qui a permis de ramener le système (3.2), posé en dimension
N éventuellement grande, à la résolution des N équations scalaires indépendantes
(3.4), est la diagonalisation de la matrice A et la recherche d’une solution comme
combinaison linéaire de vecteurs propres. Essayons maintenant d’utiliser la même
stratégie pour résoudre le problème (3.1). L’analogue de la matrice A, qui associe
au vecteur U le vecteur A U , est l’opérateur −∆, qui à la distribution u associe la
distribution −∆u. Il est donc naturel d’essayer de chercher des fonctions uk , définies
sur Ω, et des réels λk , tels que

−∆uk = λk uk dans Ω. (3.5)

Ce problème aux valeurs propres est l’équivalent en dimension infinie du problème


(3.3). En fait, cette équation aux valeurs propres apparaı̂t aussi naturellement si on
3.2. VALEURS PROPRES D’UN PROBLÈME ELLIPTIQUE 59

s’intéresse à l’équation sans second membre associée à (3.1), et qu’on en cherche


une solution sous la forme u(t, x) = ϕ(t)v(x). Oublions les conditions initiales : les
fonctions ϕ et v doivent alors vérifier
( 1
ϕ00 (t)v(x) − ϕ(t)∆v(x) = 0 pour tout t > 0, x ∈ Ω,
c2 (3.6)
v(x) = 0 sur ∂Ω.

Formellement, on a donc

ϕ00 (t) ∆v
∀t > 0, ∀x ∈ Ω, = = −λ,
ϕ(t) v

où λ ∈ R est une constante, et donc la fonction v(x) est un vecteur propre du
laplacien avec conditions de Dirichlet nulles au bord (on retrouve la relation (3.5)),
tandis que ϕ suit l’équation suivante, similaire à (3.4) :

ϕ00 (t) + λϕ(t) = 0.

Supposons λ > 0 (nous montrerons √ au théorème


√ 3.3 ci-dessous que c’est effective-
ment le cas). Alors ϕ(t) = a cos( λt) + b sin( λt), et la fonction
√ √
u(t, x) = av(x) cos( λt) + bv(x) sin( λt) (3.7)

est solution de l’EDP apparaissant dans (3.1) avec f = 0. La fonction u s’interprète


comme un mode propre de vibration de la membrane. La signification mécanique
de λ se comprend sur la relation (3.7) : il s’agit du carré des pulsations propres de
vibration.
La discussion ci-dessus permet donc de comprendre l’importance des valeurs
propres et des vecteurs propres du laplacien, et de la signification du point de vue
vibratoire de ces quantités.

La suite de ce chapitre est organisée ainsi. Les théorèmes abstraits qui ont été
présentés au Chapitre 2 sont utilisés dans la section 3.2 pour étudier les modes
propres du laplacien et de l’élasticité linéarisée. En pratique, on ne peut calculer
qu’une approximation numérique des valeurs et vecteurs propres, et l’analyse d’er-
reur est discutée dans la section 3.3. Enfin, la mise en oeuvre numérique d’une
méthode de discrétisation aboutit au bout du compte à un problème d’algèbre
linéaire, qui consiste à diagonaliser une matrice. Quelques algorithmes pour la résolu-
tion d’un tel problème seront discutés dans la section 3.4.

3.2 Valeurs propres d’un problème elliptique


Pour commencer cette section, on se place dans un cadre assez général, qu’on
pourra ensuite appliquer à différents modèles. Nous suivons en fait la même démarche
60CHAPITRE 3. EQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES ET PROBLÈMES AUX VALEURS PRO

que dans les cours d’Analyse de première année [11, 14], dans lequel on a tout d’abord
démontré, dans un cadre assez général, le théorème de Lax-Milgram, qu’on a ensuite
appliqué à différentes équations. Nous appliquerons le résultat abstrait démontré à
la section 3.2.1 dans les sections 3.2.2 (pour l’étude des valeurs propres du laplacien)
et 3.2.3 (pour l’étude des modes propres de l’élasticité linéaire).

3.2.1 Problème variationnel abstrait


On se donne un espace de Hilbert V et une forme bilinéaire a(·, ·) sur V , qui est
symétrique, continue et coercive. On se donne aussi un autre espace de Hilbert H,
tel que

V ⊂ H avec injection compacte au sens de la définition 2.64,
V dense dans H.

Pour ne pas confondre les produits scalaires sur H et sur V , nous les noterons
respectivement h·, ·iH et h·, ·iV . Les normes associées sont notées k · kH et k · kV . Les
hypothèses sur la forme a donnent donc l’existence de M > 0 et α > 0 tels que

∀u ∈ V, ∀w ∈ V, |a(u, w)| ≤ M kukV kwkV ,


∀u ∈ V, a(u, u) ≥ αkuk2V .

Le problème qui nous intéresse ici est : trouver λ ∈ R et u ∈ V \ {0} tels que

∀w ∈ V, a(u, w) = λhu, wiH . (3.8)

On dira alors que λ est valeur propre de la forme bilinéaire a (ou du probème
variationnel (3.8)), et que u est le vecteur propre associé.
On donne dès à présent un cas typique d’application du cadre abstrait développé
ici. Soit Ω un ouvert borné de Rd . On pose V = H01 (Ω), H = L2 (Ω), et
Z
a(u, v) = ∇u · ∇v.

Nous montrerons à la section 3.2.2 que les hypothèses faites ci-dessus sont vérifiées,
et que résoudre (3.8) est alors équivalent à chercher λ ∈ R et u ∈ H01 (Ω), u 6= 0, tels
que
−∆u = λu dans Ω.
Ainsi, λ et u seront valeur propre et vecteur propre du laplacien dans Ω avec condi-
tions aux limites de Dirichlet.

Théorème 3.1. Soient V et H deux espaces de Hilbert de dimension infinie. On


suppose V ⊂ H avec injection compacte et V dense dans H. Soit a(·, ·) une forme
bilinéaire symétrique, continue et coercive sur V . Alors les valeurs propres de (3.8)
3.2. VALEURS PROPRES D’UN PROBLÈME ELLIPTIQUE 61

forment une suite croissante (λk )k≥1 de réels strictement positifs qui tend vers l’in-
fini, et il existe une base hilbertienne de H de vecteurs propres associés, c’est-à-dire :

uk ∈ V et ∀w ∈ V, a(uk , w) = λk huk , wiH . (3.9)



De plus, uk / λk est une base hilbertienne de V pour le produit scalaire a(·, ·).

Démonstration. L’injection V ⊂ H étant continue, on sait qu’il existe C > 0 tel que

∀w ∈ V, kwkH ≤ CkwkV . (3.10)

Pour f ∈ H, on considère le problème variationnel



Chercher u ∈ V tel que
(3.11)
∀w ∈ V, a(u, w) = hf, wiH .

Grâce au théorème de Lax-Milgram, ce problème admet une unique solution u ∈ V .


On définit les applications linéaires

A : H −→ V
f 7−→ u unique solution de (3.11),

et
A : H −→ H
f 7−→ Af.
Comme a est coercive sur V , on a, pour u solution de (3.11),

αkuk2V ≤ a(u, u) = hf, uiH ≤ kf kH kukH .

En utilisant (3.10), on obtient


C
kAf kV = kukV ≤ kf kH .
α
Donc A est linéaire continue de H dans V . En utilisant à nouveau (3.10), on obtient
que A est linéaire continue de H dans H.

Montrons que A est définie positive, auto-adjointe et compacte sur H.


Comme A est la composition de A ∈ L(H, V ) et de l’injection de V dans H, qui
est compacte, on a que A est compacte. Soient maintenant f et g dans H. On a

hf, AgiH = hf, AgiH = a(Af, Ag) = a(Ag, Af ) = hg, Af iH = hg, Af iH ,

et donc A est auto-adjointe sur H. On montre enfin que A est définie positive sur
H. En prenant g = f dans l’égalité précédente, on voit que, pour tout f ∈ H,

hf, Af iH = a(Af, Af ) ≥ αkAf k2V ≥ 0.


62CHAPITRE 3. EQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES ET PROBLÈMES AUX VALEURS PRO

Supposons que hf, Af iH = 0. Alors l’inégalité ci-dessus donne que Af = 0. Par


définition, on a
∀w ∈ V, a(Af, w) = hf, wiH .
On déduit de Af = 0 que hf, wiH = 0 pour tout w ∈ V . Or V est dense dans H,
donc ceci implique que hf, wiH = 0 pour tout w ∈ H, et par conséquent f = 0.
Finalement, pour tout f ∈ H, f 6= 0, on a hf, Af iH > 0 et donc A est définie
positive sur H.
On peut donc appliquer le théorème 2.78. Il existe donc une base hilbertienne
de H formée des vecteurs propres uk de A, associés aux valeurs propres (µk )k≥1 , qui
forme une suite décroissante vers 0 :

∀k ≥ 1, Auk = µk uk .

Comme µk > 0 et Auk ∈ V , on voit que uk ∈ V . On montre maintenant que les uk


sont vecteurs propres de la forme bilinéaire a. Par définition de A, on a

∀w ∈ V, a(Auk , w) = huk , wiH = µk a(uk , w),

et donc, en posant
1
λk = ,
µk
on obtient (3.9). Montrons que les vk définis par
uk
vk = √
λk
forment une base hilbertienne de V pour le produit scalaire a(·, ·). On a vk ∈ V et
l’espace vectoriel engendré par les vk est dense dans H, donc dense dans V . Enfin,
les vecteurs vk sont orthogonaux deux à deux, car
!
uk up
a(vk , vp ) = a √ , p
λk λp
1
= p a(uk , up )
λk λp

λk
= p huk , up iH = δkp .
λp

Ceci conclut la preuve du théorème.


On donne maintenant une caractérisation très utile des valeurs propres du pro-
blème (3.8), appelé principe du min-max ou de Courant-Fisher. Nous introduisons
le quotient de Rayleigh défini, pour chaque v ∈ V \ {0}, par
a(v, v)
R(v) = . (3.12)
kvk2H
3.2. VALEURS PROPRES D’UN PROBLÈME ELLIPTIQUE 63

Proposition 3.2. Soient V et H deux espaces de Hilbert de dimension infinie. On


suppose V ⊂ H avec injection compacte et V dense dans H. Soit a(·, ·) une forme
bilinéaire symétrique, continue et coercive sur V . Pour k ≥ 0, on note Ek l’ensemble
des sous-espaces vectoriels de dimension k de V . On note (λk )k≥1 la suite croissante
des valeurs propres du problème variationnel (3.8). Alors, pour tout k ≥ 1, la k-ième
valeur propre est donnée par
   
λk = min max R(v) = max min R(v) . (3.13)
W ∈Ek v∈W \{0} W ∈Ek−1 v∈W ⊥ \{0}

En particulier, la première valeur propre vérifie


λ1 = min R(v), (3.14)
v∈V \{0}

et tout point de minimum dans (3.14) est un vecteur propre associé à λ1 .


Démonstration. Soit uk une base hilbertienne de H formée des vecteurs propres de
(3.8). On commence par caractériser H et V . On a
( )
X X
H= v= αk uk tel que αk2 < +∞ .
k≥1 k≥1

En effet, soit v ∈ H : comme ukPest une base hilbertienne de H, en utilisant la


proposition 1.10, on a bien v = k≥1 αk uk avec αk = hv, uk iH . La série k≥1 αk2
P
2
est PK à kvkH . Réciproquement, soit une suite αk telle que
P bien2 convergente car égale
k≥1 αk < +∞. La suite k=1 αk uk est bien dans H, et elle est de Cauchy, donc
elle converge vers un élément de H.
On montre maintenant que
( )
X X
V = v= αk uk tel que λk αk2 < +∞ .
k≥1 k≥1

Soit v ∈ V : les vk = uk / λk forment une base hilbertienne de V pour a(·, ·), donc
on peut décomposer v suivant ces vk selon
X X
v= αk vk avec a(v, v) = αk2 .
k≥1 k≥1

= k≥1 λk βk2 < +∞.
P P
Posant βk = αk / λk , on obtient P v = k≥1 βk uk avec
P a(v, v)
Réciproquement, supposons v = k≥1 αk uk avec k≥1 λk αk2 < +∞. Alors la suite
PK
k=1 αk uk est une suite d’éléments de V qui est de Cauchy pour la norme induite
par a(·, ·). Donc cette suite converge vers un élément de V .
P
Soit maintenant v ∈ V \ {0}. Alors on écrit v = k≥1 αk uk et le quotient de
Rayleigh s’écrit
2
P
k≥1 λk αk
R(v) = P 2
.
k≥1 αk
64CHAPITRE 3. EQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES ET PROBLÈMES AUX VALEURS PRO

L’égalité (3.14) est donc claire. Soit u un point de minimum : R(u) = λ1 . Soit v ∈ V
quelconque. La fonction f (t) = R(u + tv) est minimale en t = 0, donc f 0 (0) = 0. Or

a(u, v)kuk2H − hu, viH a(u, u)


f 0 (0) = 2 .
kuk4H

Comme f 0 (0) = 0 et a(u, u) = λ1 kuk2H , on obtient a(u, v) = λ1 hu, viH pour tout
v ∈ V , et donc u est vecteur propre associé à la valeur propre λ1 .

On démontre maintenant (3.13). Soit Wk l’espace vectoriel engendré par (u1 , . . . , uk ),


Pk 2
j=1 λj αj
qui est de dimension k. Soit v ∈ Wk : on a R(v) = Pk 2
donc
j=1 αj
 
λk = max R(v) ≥ min max R(v) . (3.15)
v∈Wk ,v6=0 W ∈Ek v∈W \{0}

2
P
⊥ j≥k λj αj
De même, pour v ∈ Wk−1 , on a R(v) = P 2
et donc
j≥k αj
 
λk = min R(v) ≤ max min R(v) .
⊥ ,v6=0
v∈Wk−1 W ∈Ek−1 v∈W ⊥ \{0}

Soit maintenant W un sous-espace vectoriel de V de dimension k. On a V = Wk−1 ⊕


⊥ ⊥ ⊥
Wk−1 , donc W = (W ∩Wk−1 )⊕(W ∩Wk−1 ). Si W ∩Wk−1 = {0}, alors W = W ∩Wk−1 ,
ce qui n’est pas possible car W est de dimension k et W ∩ Wk−1 est de dimension

inférieure ou égale à k − 1. Donc (W ∩ Wk−1 ) \ {0} =
6 ∅. On a

max R(v) ≥ max R(v)


v∈W \{0} ⊥ )\{0}
v∈(W ∩Wk−1

≥ min R(v)
⊥ )\{0}
v∈(W ∩Wk−1

≥ min R(v) = λk .
⊥ \{0}
v∈Wk−1

Par conséquent,  
min max R(v) ≥ λk .
W ∈Ek v∈W \{0}

En rassemblant cette inégalité avec (3.15), on obtient la première égalité de (3.13).


La seconde égalité de (3.13) s’obtient de manière analogue, en considérant W ∈ Ek−1
et en s’appuyant sur le fait que W ⊥ ∩ Wk n’est pas réduit à {0}.

3.2.2 Première application : valeurs propres du laplacien


Dans cette section, nous mettons en oeuvre le théorème 3.1, démontré dans un
cadre abstrait, pour étudier les valeurs propres du laplacien.
3.2. VALEURS PROPRES D’UN PROBLÈME ELLIPTIQUE 65

Théorème 3.3. Soit Ω un ouvert borné régulier de classe C 1 de Rd . Il existe une


suite croissante (λk )k≥1 de réels strictement positifs qui tend vers l’infini, et il existe
une base hilbertienne de L2 (Ω), notée (uk )k≥1 , telle que chaque uk appartient à H01 (Ω)
et vérifie
−∆uk = λk uk dans D0 (Ω),

(3.16)
uk = 0 sur ∂Ω.
Les (λk )k≥1 et les (uk )k≥1 sont appelés les valeurs propres et vecteurs propres du
laplacien avec conditions aux limites de Dirichlet sur l’ouvert Ω.
Démonstration. On va appliquer le théorème 3.1, avec les choix V = H01 (Ω) (muni
du produit scalaire (·, ·)H 1 ), H = L2 (Ω) (muni du produit scalaire (·, ·)L2 ), et
Z
a(u, v) = ∇u · ∇v.

Comme C0∞ (Ω) est dense dans L2 (Ω) et inclus dans H01 (Ω), on a bien que V est
dense dans H. Comme Ω est borné, on peut appliquer le théorème de Rellich 2.67,
et l’injection V ⊂ H est bien compacte. La forme a est bien bilinéaire, symétrique,
continue et coercive sur V (ce dernier point résulte directement de l’inégalité de
Poincaré (1.8)). Par conséquent, il existe une suite croissante (λk )k≥1 de réels positifs
et une base hilbertienne (uk )k≥1 de L2 (Ω) tels que uk ∈ H01 (Ω) et
Z Z
1
∀v ∈ H0 (Ω), ∇uk · ∇v = λk uk v.
Ω Ω

On obtient alors (3.16) par une simple intégration par partie.


Remarque 3.4. Supposons que Ω soit de classe C ∞ . Alors les uk solutions de
(3.16) sont bien plus réguliers que H01 (Ω). On voit en effet que −∆uk = λk uk avec
λk uk de régularité H 1 . Donc ∆uk ∈ H 1 (Ω). Comme Ω est très régulier, ceci impose
que uk ∈ H 3 (Ω), et donc ∆uk ∈ H 3 (Ω), ce qui donne uk ∈ H 5 (Ω), . . . On obtient
finalement que uk ∈ C ∞ (Ω).
Remarque 3.5. L’hypothèse que Ω est borné est fondamentale. Sans cette hy-
pothèse, le théorème de Rellich est faux, et le théorème 3.3 est lui aussi faux.
Exercice 3.6. On se place en dimension 1 et on considère Ω =]0, 1[. Calculer
explicitement toutes les valeurs propres et les fonctions propres duP laplacien avec
conditions aux limites de Dirichlet (3.16). En
P déduire que la série k≥1 ak sin(kπx)
converge dans L2 (0, 1) si et seulement siP k≥1 a2k < +∞, et que la même série
converge dans H 1 (0, 1) si et seulement si k≥1 k 2 a2k < +∞.
En utilisant le principe de Courant-Fisher, on pourra résoudre l’exercice suivant.
Exercice 3.7. On reprend les notations et hypothèses du théorème 3.3. Trouver une
relation entre la plus petite constante CΩ possible dans l’inégalité de Poincaré (1.8)
et la première valeur propre λ1 de (3.16).
66CHAPITRE 3. EQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES ET PROBLÈMES AUX VALEURS PRO

On donne enfin un résultat qualitatif très important à propos de la première


valeur propre.

Théorème 3.8 (de Krein-Rutman). On reprend les notations et hypothèses du


théorème 3.3. On suppose que l’ouvert Ω est connexe. Alors la première valeur propre
λ1 est simple (le sous-espace vectoriel associé est de dimension 1), et le premier vec-
teur propre peut être choisi positif presque partout dans Ω.

Remarque 3.9. Ce théorème est spécifique aux équations scalaires, c’est-à-dire


pour lesquelles l’inconnue u est à valeurs dans R. Dans le cas vectoriel, comme par
exemple dans le cas de l’élasticité traitée dans la section 3.2.3, le résultat est faux.

3.2.3 Seconde application : l’élasticité linéarisée


On s’intéresse maintenant au problème de l’élasticité linéarisée, et on va à nou-
veau utiliser le théorème 3.1 pour montrer l’existence de modes propres. On reprend
les notations de la section 1.4. Pour éviter de confondre le coefficient de Lamé λ
avec les valeurs propres, ces dernières sont notées `k .

Théorème 3.10. Soit Ω un ouvert connexe borné régulier de classe C 1 de Rd , avec


d = 2 ou d = 3. Il existe une suite croissante (`k )k≥1 de réels strictement positifs qui
tend vers l’infini, et il existe une base hilbertienne de L2 (Ω)d , notée (uk )k≥1 , telle
que chaque uk appartient à H01 (Ω)d et vérifie

−div (2µe(uk ) + λ(tr e(uk )) Id) = `k uk dans D0 (Ω)d ,



(3.17)
uk = 0 sur ∂Ω.

Démonstration. On applique le théorème 3.1, avec les choix V = H01 (Ω)d , H =


L2 (Ω)d , et Z Z
a(u, v) = λ div u div v + 2µ e(u) · e(v).
Ω Ω

La preuve suit les mêmes étapes que la preuve du théorème 3.3. Le seul point délicat
est la coercivité de la forme bilinéaire a, qui a été démontrée à la section 1.4.4 (cf.
l’inégalité (1.31)).

La quantité `k s’interprète comme le carré des pulsations propres de vibration,


tandis que les fonctions uk sont les modes propres de vibration du solide.

3.3 Méthodes numériques


Dans la section 3.2.1, nous nous sommes intéressés à la résolution du problème
aux valeurs propres (3.8). Nous expliquons maintenant comment discrétiser ce pro-
blème pour aboutir à une méthode numérique permettant de calculer une approxi-
mation des valeurs propres (et éventuellement des vecteurs propres) de (3.8).
3.3. MÉTHODES NUMÉRIQUES 67

3.3.1 Discrétisation du problème


On réalise une approximation interne du problème (3.8). Soit donc Vh ⊂ V un
sous-espace de dimension finie de V . Typiquement, Vh est un espace d’éléments
finis, tandis que H est l’espace L2 (Ω). Le problème discrétisé est : trouver λh ∈ R
et uh ∈ Vh \ {0} tels que

∀wh ∈ Vh , a(uh , wh ) = λh huh , wh iH . (3.18)

Théorème 3.11. On reprend les hypothèses du théorème 3.1 : soient V et H deux


espaces de Hilbert de dimension infinie. On suppose V ⊂ H avec injection compacte
et V dense dans H. Soit a(·, ·) une forme bilinéaire symétrique, continue et coercive
sur V , et soit Vh ⊂ V un sous-espace de dimension finie J.
Alors les valeurs propres de (3.18) forment une suite croissante finie

0 < λ1,h ≤ . . . ≤ λJ,h ,

et il existe une base de Vh , orthonormale dans H, de vecteurs propres associés, c’est-


à-dire : pour tout m, 1 ≤ m ≤ J,

um,h ∈ Vh et ∀wh ∈ Vh , a(um,h , wh ) = λm,h hum,h , wh iH . (3.19)

Pour démontrer ce théorème, nous aurons besoin du résultat d’algèbre linéaire


suivant :

Proposition 3.12 (Factorisation de Cholesky). Soit A une matrice réelle symétrique


définie positive. Il existe une unique matrice réelle B, triangulaire inférieure, telle
que tous ses éléments diagonaux soient positifs, et qui vérifie

A = BB t .

Démonstration. Plutôt que de démontrer ce théorème en suivant le schéma de preuve


du théorème 3.1, on suit ici une preuve plus algébrique. Soit (ϕj )1≤j≤J une base de
Vh (ce sont par exemple les fonctions de base d’une méthode d’éléments finis). On
cherche uh solution de (3.18) sous la forme
J
X
uh (x) = Uj ϕj (x).
j=1

On introduit les matrices de masse Mh et de rigidité Kh définies par, pour tout i et


j, 1 ≤ i, j ≤ J,
(Mh )ij = hϕi , ϕj iH , (Kh )ij = a(ϕi , ϕj ).
Alors le problème (3.18) se récrit : trouver λh ∈ R et U ∈ RJ , U 6= 0, tels que

Kh U = λh Mh U. (3.20)
68CHAPITRE 3. EQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES ET PROBLÈMES AUX VALEURS PRO

La terminologie matrice de masse et de rigidité est liée à la mécanique des solides.


La matrice de rigidité Kh est la même que celle apparaissant dans la résolution par
approximation interne du problème variationnel a(u, w) = hf, wiH . Les matrices Mh
et Kh sont symétriques définies positives.
Pour résoudre le problème (3.20), on commence par calculer la factorisation de
Cholesky de Mh , c’est-à-dire calculer la matrice Qh telle que Mh = Qh Qth .
Une fois ceci fait, le problème (3.20) revient au problème classique

K̃h Ũ = λh Ũ , (3.21)

avec Ũ = Qth U et K̃h = Q−1 t −1


h Kh (Qh ) . On note que la matrice K̃h est symétrique et
positive. Si ξ est tel que ξ t K̃h ξ = 0, alors, puisque Kh est symétrique définie positive,
on a (Qth )−1 ξ = 0, donc ξ = 0. La matrice K̃h est donc symétrique définie positive.
Pour le problème (3.21), on dispose d’algorithmes de calculs de valeurs propres
et de vecteurs propres, dont certains seront décrits à la section 3.4.
On note (λm , Ũm ) les éléments propres de K̃h : K̃h Ũm = λm Ũm . On définit Um =
(Qth )−1 Ũm et on a donc Kh Um = λm Mh Um .
Soit Um et Un associés à des valeurs propres distinctes : λm 6= λn . Alors, en
utilisant la symétrie de Kh , on a

λm Unt Mh Um = Unt Kh Um = (Unt Kh Um )t = Um


t t
Kh Un = λn Um Mh Un .
t
Puisque λm 6= λn , ceci implique que Um Mh Un = 0. Les vecteurs propres solution de
(3.20) sont donc orthogonaux pour Mh (et donc pour Kh ).
Pour éviter d’avoir à calculer la factorisation de Cholesky de Mh , on peut utiliser
une formule de quadrature pour évaluer hϕi , ϕj iH qui rende la matrice de masse
diagonale. Un tel procédé est appelé condensation de masse (ou mass lumping) et
est souvent utilisé en pratique, par exemple dans l’esprit de l’exercice suivant.
Exercice 3.13. On suppose que Ω est un ouvert borné de Rd ,
Z
1 2
V = H0 (Ω), H = L (Ω), a(u, v) = ∇u · ∇v.

On étudie donc −∆u = λu dans H01 (Ω). On suppose qu’on utilise une méthode
d’éléments finis P1 sur un maillage formé de triangles (en 2D) ou de tetraèdres (en
3D) de sommets (ai )1≤i≤d+1 . On utilise la formule de quadrature
Z d+1
Volume(K) X
ψ(x)dx ≈ ψ(ai ), (3.22)
K d+1 i=1

où K est un triangle (ou un tétraèdre) du maillage. Ceci revient donc à choisir pour
noeud d’intégration les sommets de K, qu’on affecte tous du même poids.
Vérifier que la formule de quadrature (3.22) conduit effectivement à une matrice
de masse Mh diagonale.
3.3. MÉTHODES NUMÉRIQUES 69

3.3.2 Convergence et estimation d’erreur


Nous estimons ici la différence entre les valeurs propres du problème continu
(3.8) et les valeurs propres du problème (3.19) (identique à (3.18)), qui est son ap-
proximation discrète. Cette estimation est fondée sur la caractérisation suivante des
valeurs propres (λm,h )1≤m≤J du problème discrétisé (3.19), analogue en dimension
finie du principe de Courant-Fisher (cf. la proposition 3.2) :
 
λm,h = min max R(v) , (3.23)
W ∈Em,h v∈W \{0}

où Em,h est l’ensemble des sous-espaces vectoriels de dimension m de Vh , et R(v)


est le quotient de Rayleigh défini par (cf. (3.12))

a(v, v)
R(v) = .
kvk2H

La comparaison de (3.13) et de (3.23) donne déjà que, pour 1 ≤ m ≤ J,

λm ≤ λm,h .

Pour obtenir une majoration de λm,h , on introduit l’opérateur de projection Πh ∈


L(V, Vh ) défini, pour tout u ∈ V , par

∀wh ∈ Vh , a(Πh u, wh ) = a(u, wh ). (3.24)

Soient (um )m≥1 les vecteurs propres de (3.8), et soit Wm le sous-espace vectoriel de
V engendré par (u1 , . . . , um ), qui est de dimension m.

Lemme 3.14. Pour tout 1 ≤ m ≤ J, on pose

σm,h = inf kΠh vkH .


v∈Wm ,kvkH =1

Si σm,h > 0, on a
λm
λm,h ≤ 2
.
σm,h

Démonstration. On utilise le principe de Courant-Fisher (caractérisation (3.23))


avec le choix Wm,h = Vect {Πh u1 , . . . , Πh um }. On a bien Wm,h ⊂ Vh et dim Wm,h ≤
m. Montrons que Wm,h est de dimension m. Si ce n’est pas le cas, alors il existe
(αi )1≤i≤m non tous nuls tels que
m m
!
X X
0= αi Πh ui = Πh αi ui ,
i=1 i=1
70CHAPITRE 3. EQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES ET PROBLÈMES AUX VALEURS PRO

ce qui contredit l’hypothèse σm,h > 0. Donc dim Wm,h = m et (3.23) implique que
a(Πh v, Πh v)
λm,h ≤ max R(v) = max .
v∈Wm,h \{0} v∈Wm ,kvkH =1 kΠh vk2H
Pour tout v ∈ V , on a

a(v, v) = a (Πh v, Πh v) + a (v − Πh v, v − Πh v) + 2a (v − Πh v, Πh v) .

Par définition de Πh v, le dernier terme est nul. Par coercivité de a, le second terme
est positif. Donc a(v, v) ≥ a (Πh v, Πh v) et donc
a(v, v)
λm,h ≤ max .
v∈Wm ,kvkH =1 kΠh vk2H
Pm Pm 2
Pour v ∈ Wm tel que kvkH = 1, on a v = i=1 αi ui avec i=1 αi = 1, donc
a(v, v) ≤ λm , d’où
1 λm
λm,h ≤ λm max 2
= 2 .
v∈Wm ,kvkH =1 kΠh vkH σm,h

Ceci conclut la preuve.


On a donc l’estimation
2
λm ≤ λm,h ≤ λm /(σm,h ). (3.25)

On voit donc que la différence entre λm,h et λm est reliée aux propriétés d’approxi-
mation de V par Vh . Plus Vh est “proche” de V , plus on s’attend à ce que la solution
Πh u ∈ Vh du problème (3.24) soit proche de u, donc en particulier que kΠh ukH soit
proche de kukH . Ceci implique alors que σm,h est proche de 1 (puisqu’on minimise
kΠh vkH sur des vecteurs v de norme 1). On remarque donc que, pour aller plus loin
dans l’estimation de λm,h , il n’est plus nécessaire de faire appel à la spécificité du
problème (c’est un problème aux valeurs propres). Disposer de propriétés d’approxi-
mation de V par Vh suffit.
Mentionnons enfin que ces propriétés d’approximation sont souvent reliées à
l’existence d’une application rh de V dans Vh telle que, pour tout v ∈ V , on a
limh→0 kv − rh (v)kV = 0. Dans le cas d’une approximation par éléments finis P1 ,
l’application rh est par exemple l’interpolation de v sur les noeuds du maillage.

Précisons tout ceci dans un cas particulier. On revient à la définition (3.24) de


l’opérateur Πh . En utilisant le fait que la forme bilinéaire a est coercive et continue,
on a, pour tout u ∈ V ,

αku − Πh uk2V ≤ a(u − Πh u, u − Πh u)


≤ a(u − Πh u, u − Πh u + wh )
≤ M ku − Πh ukV ku − Πh u + wh kV
3.3. MÉTHODES NUMÉRIQUES 71

pour tout wh ∈ Vh . Donc


M
ku − Πh ukV ≤ inf ku − wh kV . (3.26)
α wh ∈Vh
On suppose maintenant que V = H01 (Ω) pour un ouvert Ω borné de Rn , et que
Vh est le sous-espace de V correspondant à la méthode des éléments finis Pk , avec
k + 1 > n/2. On considère alors l’interpolée rh v d’une fonction v. C’est un résultat
classique [1] que cette application rh est bien définie sur H k+1 (Ω) et qu’il existe une
constante C vérifiant

∀v ∈ H k+1 (Ω), kv − rh vkH 1 (Ω) ≤ Chk kvkH k+1 (Ω) . (3.27)

Supposons maintenant que Wm , l’espace vectoriel engendré par les m premiers vec-
teurs propres de la forme bilinéaire a, soit inclus dans H k+1 (Ω). Alors, il existe Cm
tel que, pour tout v ∈ Wm de norme 1, on a

kv − rh vkH 1 (Ω) ≤ Cm hk . (3.28)

Détaillons ceci. On peut toujours supposer que les m premiers vecteurs propres de
a, notés uj , 1 ≤ j ≤ m, sont orthogonaux deux à deux pour le produit scalaire
de H 1 , et sont de norme 1 : kuj kH 1 = 1. On a supposé que Wm ⊂ H k+1 (Ω), donc
uj ∈ H k+1 (Ω) vérifie la majoration (3.27). En posant C m = C sup1≤j≤m kuj kH k+1 (Ω) ,
on a donc
∀j, 1 ≤ j ≤ m, kuj − rh uj kH 1 (Ω) ≤ C m hk . (3.29)
Soit maintenant v ∈ Wm , avec kvkH 1 = 1. On décompose v sur la base des uj :
m
X X
v= αj uj avec kvk2H 1 = αj2 = 1.
j=1 j

La dernière relation implique que |αj | ≤ 1 pour tout j. On calcule maintenant

X X
kv − rh vkH 1 (Ω) = αj (uj − rh uj ) ≤ |αj | kuj − rh uj kH 1 (Ω) .
j H 1 (Ω) j

En utilisant |αj | ≤ 1 et la majoration (3.29), on arrive à


m
X
kv − rh vkH 1 (Ω) ≤ C m hk = Cm hk ,
j=1

ce qui est exactement (3.28).


En rassemblant (3.26) et (3.28), on a donc, pour tout v ∈ Wm de norme 1, que
M
kv − Πh vkH 1 (Ω) ≤ Cm hk ,
α
72CHAPITRE 3. EQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES ET PROBLÈMES AUX VALEURS PRO

soit kΠh vkH 1 (Ω) ≥ 1 − C̃m hk . Ceci implique σm,h ≥ 1 − C̃m hk . L’estimation (3.25)
donne donc, pour une constante Cm , l’encadrement λm ≤ λm,h ≤ λm (1 + Cm hk ), soit

0 ≤ λm,h − λm ≤ Cm hk . (3.30)

Nous finissons cette section en énonçant un résultat précis de convergence pour les
valeurs propres et les vecteurs propres du laplacien, définis par (3.16), approximés
par une méthode d’éléments finis triangulaires Pk . Un tel résultat se généralise à
d’autres problèmes et d’autres types d’éléments finis.

Théorème 3.15. Soit Ω un ouvert borné et régulier de Rd . Soit (Th )h≥0 une suite
de maillages triangulaires réguliers de Ω. Soit V0h le sous-espace de H01 (Ω) défini
par la méthode des éléments finis Pk , de dimension J.
Soient (λm , um )m≥1 les valeurs propres et vecteurs propres du problème (3.16),
et soit (λm,h )1≤m≤J les valeurs propres de l’approximation variationnelle (3.18) cor-
respondante sur l’espace de dimension finie V0h . Pour tout m ≥ 1 fixé, on a

lim |λm − λm,h | = 0.


h→0

Il existe une famille de vecteurs propres (um,h )1≤m≤J de (3.18) dans V0h telle que, si
λm est valeur propre simple, alors

lim kum − um,h kH 1 (Ω) = 0.


h→0

Si le sous-espace engendré par (u1 , . . . , um ) est inclus dans H k+1 (Ω) avec k+1 > d/2,
alors il existe Cm indépendant de h tel que

|λm − λm,h | ≤ Cm h2k . (3.31)

Si λm est valeur propre simple, alors

kum − um,h kH 1 (Ω) ≤ Cm hk . (3.32)

Il est important à ce stade de faire plusieurs remarques :


— la constante Cm dans (3.31) et (3.32) tend vers +∞ lorsque m tend vers
+∞. Donc, à h fixé, les plus grandes valeurs propres discrètes (par exemple,
λJ,h ) ne sont pas nécessairement une bonne approximation des valeurs propres
exactes. Pour avoir une bonne approximation de λJ , il peut donc être néces-
saire de travailler avec un espace d’approximation V0h de dimension bien plus
grande que J.
— la convergence des vecteurs propres ne peut s’obtenir que si la valeur propre
est simple. Si λm est multiple, alors il se peut que la suite um,h ne converge
pas, mais admette plusieurs points d’accumulation, qui sont des combinaisons
linéaires de vecteurs propres associés à λm .
3.4. ALGORITHMES POUR LE CALCUL DE VALEURS ET DE VECTEURS PROPRES73

— l’ordre de convergence des valeurs propres est le double de celui pour les
vecteurs propres 1 . On retrouvera ce phénomène (lié au caractère auto-adjoint
de l’opérateur) dans les algorithmes de calcul des valeurs propres et vecteurs
propres d’une matrice (cf. par exemple la proposition 3.17).

3.4 Algorithmes pour le calcul de valeurs et de


vecteurs propres
Les valeurs propres d’une matrice sont les racines de son polynôme caractéristique
P (λ) = det(A − λId). Cependant, il n’existe pas de méthodes directes (c’est-à-dire
qui donnent le résultat en un nombre fini d’opérations) pour calculer les racines
d’un polynôme quelconque, dès que son ordre est supérieur ou égal à 5. De plus,
tout polynôme est le polynôme caractéristique d’une matrice, donc le calcul des
valeurs propres d’une matrice est un problème aussi difficile que celui du calcul des
racines d’un polynôme quelconque.
Calculer les valeurs propres d’une matrice est en fait un problème beaucoup
plus difficile que la résolution d’un système linéaire. Il n’existe que des méthodes
itératives. Nous nous concentrons dans cette section sur le cas des matrices réelles
symétriques, pour lesquelles le problème est plus simple.

Nous mentionnons ici trois méthodes typiques pour une matrice symétrique :
— la méthode de la puissance, analysée dans la section 3.4.1. C’est la méthode
la plus simple, mais elle ne permet (au mieux) que de calculer les valeurs
propres de plus grande et de plus petite valeur absolue.
— la méthode de Given-Householder, qui permet de calculer une ou plusieurs
valeurs propres de rang quelconque sans avoir à calculer toutes les valeurs
propres. Cette méthode est en fait la concaténation de deux algorithmes, l’al-
gorithme de Householder qui permet de transformer une matrice symétrique
en une matrice tridiagonale de mêmes valeurs propres, et l’algorithme de Gi-
vens qui permet le calcul des valeurs propres d’une matrice tridiagonale. Nous
n’en dirons pas plus et renvoyons à la bibliographie pour plus de détails.
— la méthode de Lanczos, analysée dans la section 3.4.2. Comme l’algorithme
de gradient conjugué, cette méthode fait appel aux espaces de Krylov. Nous
en décrirons ci-dessous l’esprit. Cette méthode est à la base de nombreux
développements récents qui conduisent aux méthodes les plus efficaces pour
de grandes matrices creuses.

1. On voit aussi que l’estimation (3.30) sur les valeurs propres n’est pas optimale, si la forme
bilinéaire a correspond au laplacien.
74CHAPITRE 3. EQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES ET PROBLÈMES AUX VALEURS PRO

3.4.1 Méthode de la puissance


Il s’agit de la méthode la plus simple pour calculer la valeur propre de plus grande
(ou de plus petite) valeur absolue. Une limitation de la méthode est que cette valeur
propre doit être simple.

Algorithme 3.16 (Méthode de la puissance). Soit A une matrice symétrique réelle


d’ordre n, et ε une précision souhaitée.
1. Initialisation : soit x0 ∈ Rn avec kx0 k = 1.
2. Itération : pour k ≥ 1,
(a) on calcule yk = Axk−1 .
(b) on pose xk = yk /kyk k.
(c) test de convergence : si kxk − xk−1 k ≤ ε, on s’arrête.

La proposition suivante indique sous quelles conditions et à quelle vitesse cet


algorithme converge.

Proposition 3.17. On suppose que A est une matrice réelle symétrique de taille
n, de valeurs propres (λ1 , . . . , λn ) rangées par ordre de valeur absolue croissante, et
que λn est positive et simple : |λ1 | ≤ . . . ≤ |λn−1 | < λn . Soit (e1 , . . . , en ) une base de
vecteurs propres orthonormés. On suppose que x0 n’est pas orthogonal à en . Alors
la méthode de la puissance converge, au sens où

lim kyk k = λn , lim xk = x∞ avec x∞ = ±en .


k→+∞ k→+∞

La convergence est géométrique, avec une vitesse proportionnelle à |λn−1 |/|λn | :


2k k
λn−1 λn−1
|kyk k − λn | ≤ C , kxk − x∞ k ≤ C .
λn λn

Remarque 3.18. Comme on l’a remarqué dans le théorème 3.15, la convergence


de la valeur propre se fait à un ordre deux fois plus grand que la convergence du
vecteur propre.

Démonstration.
Pn On décompose le vecteur initial sur les vecteurs propres de A :
x0 = P i=1 i i avec βn 6= 0 par hypothèse. Le vecteur xk est proportionnel à
β e ,
A x0 = ni=1 βi λki ei et de norme 1, donc
k

n−1
X
βn en + βi (λi /λn )k ei
i=1
xk = !1/2 . (3.33)
n−1
X
βn2 + βi2 (λi /λn )2k
i=1
3.4. ALGORITHMES DE DIAGONALISATION 75

Comme |λi | < λn , on voit que xk converge vers x∞ = signe (βn )en . On déduit de
(3.33) que
n−1
X
βn λn en + βi (λi /λn )k λi ei
i=1
yk+1 = !1/2 ,
n−1
X
βn2 + βi2 (λi /λn )2k
i=1

ce qui donne la convergence de kyk+1 k vers λn au rythme |λn−1 /λn |2k .

On est souvent intéressé par le calcul des valeurs propres petites. L’algorithme
suivant, très inspiré de la méthode de la puissance, permet de calculer la valeur
propre de valeur absolue la plus petite.

Algorithme 3.19 (Méthode de la puissance inverse). Soit A une matrice symétrique


réelle inversible d’ordre n, et ε une précision souhaitée.
1. Initialisation : soit x0 ∈ Rn avec kx0 k = 1.
2. Itération : pour k ≥ 1,
(a) résoudre Ayk = xk−1 .
(b) on pose xk = yk /kyk k.
(c) test de convergence : si kxk − xk−1 k ≤ ε, on s’arrête.

La proposition suivante indique sous quelles conditions et à quelle vitesse cet


algorithme converge.

Proposition 3.20. On suppose que A est une matrice réelle symétrique inversible
de taille n, de valeurs propres (λ1 , . . . , λn ) rangées par ordre de valeur absolue crois-
sante, et que λ1 est positive et simple : 0 < λ1 < |λ2 | ≤ . . . ≤ |λn |. Soit (e1 , . . . , en )
une base de vecteurs propres orthonormés. On suppose que x0 n’est pas orthogonal
à e1 . Alors la méthode de la puissance inverse converge, au sens où

1
lim = λ1 , lim xk = x∞ avec x∞ = ±e1 .
k→+∞ kyk k k→+∞

La convergence est géométrique, avec une vitesse proportionnelle à |λ1 |/|λ2 | :


2k k
−1 λ1 λ1
kyk k − λ1 ≤C , kxk − x∞ k ≤ C .
λ2 λ2

Démonstration. La preuve de cette proposition est similaire à celle de la proposition


3.17.
76CHAPITRE 3. EQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES ET PROBLÈMES AUX VALEURS PRO

3.4.2 Méthode de Lanczos


Cette méthode utilise la notion d’espace de Krylov, qui apparait aussi dans l’al-
gorithme de gradient conjugué, et qu’on rappelle ci-dessous. Comme nous l’avons
précisé ci-dessus, cette méthode (et ses généralisations) est très efficace pour les ma-
trices de grande taille. On donne ici l’esprit de la méthode plutôt qu’une description
précise d’une implémentation numérique efficace.
Dans toute la suite, A est une matrice symétrique réelle d’ordre n, r0 6= 0 est un
vecteur de Rn donné, et Kk est l’espace de Krylov associé :

6 0 un vecteur de Rn donné. Pour tout k ≥ 1,


Théorème-Définition 3.21. Soit r0 =
l’espace de Krylov Kk associé est

Kk = Vect r0 , Ar0 , . . . , Ak r0 .


Il existe un entier k0 ≤ n − 1, appelé dimension critique de Krylov, tel que :


— si k ≤ k0 , alors la famille (r0 , . . . , Ak r0 ) est libre et dim Kk = k + 1 ;
— si k > k0 , alors Kk = Kk0 .

L’algorithme de Lanczos consiste à construire une suite de vecteurs vj par la


formule de récurrence
v̂j
∀j ≥ 2, v̂j = Avj−1 − hAvj−1 , vj−1 ivj−1 − kv̂j−1 kvj−2 et vj = , (3.34)
kv̂j k

avec les initialisations v0 = 0 et v1 = r0 /kr0 k. On montrera ci-dessous que, tant que


j ≤ k0 + 1, on a v̂j 6= 0 et donc vj est bien défini, tandis que v̂k0 +2 = 0. La relation
entre les vj et les espaces de Krylov sera explicitée dans le lemme ci-dessous.
Pour tout entier k ≤ k0 + 1, on définit la matrice Vk de taille n × k dont les
colonnes sont les vecteurs v1 , . . . , vk , ainsi que la matrice symétrique tridiagonale de
taille k × k définie par

(Tk )i,i = hAvi , vi i, (Tk )i,i+1 = (Tk )i+1,i = kv̂i+1 k, (Tk )i,j = 0 sinon.

Lemme 3.22. Pour tout j ≤ k0 + 1, on a v̂j 6= 0 et donc vj est bien défini, tandis
que v̂k0 +2 = 0.
Pour 1 ≤ k ≤ 1 + k0 , la famille (v1 , . . . , vk ) coı̈ncide avec la base orthonormée
de l’espace de Krylov Kk−1 construite par le procédé de Gram-Schmidt appliqué à la
famille (r0 , . . . , Ak−1 r0 ).
Soit ek le k-ième vecteur de la base canonique de Rk , et Idk la matrice identité
de taille k × k. Alors, pour 1 ≤ k ≤ 1 + k0 , on a

AVk = Vk Tk + v̂k+1 etk (3.35)

et
Vkt AVk = Tk et Vkt Vk = Idk . (3.36)
3.4. ALGORITHMES DE DIAGONALISATION 77

Démonstration. On introduit la suite de vecteurs wj définie par w0 = 0, w1 =


r0 /kr0 k et, pour j ≥ 2,
j−1
X ŵj
ŵj = Awj−1 − hAwj−1 , wi iwi et wj = . (3.37)
i=1
kŵj k

On montrera ci-dessous que wj = vj . On montre par récurrence que les vecteurs wj


(tant qu’ils existent) sont orthonormés. Supposons que ce soit vrai jusqu’au rang
j − 1 : pour tout p, q ≤ j − 1, on suppose que hwq , wp i = δqp . On prouve maintenant
l’hypothèse de récurrence au rang j. Soit p ≤ j − 1 : alors
j−1
X
hŵj , wp i = hAwj−1 , wp i − hAwj−1 , wi ihwi , wp i
i=1
= hAwj−1 , wp i − hAwj−1 , wp i = 0,

donc hwj , wp i = δpj pour tout p ≤ j, ce qui donne l’hypothèse de récurrence au rang
j.

Par récurrence, on montre aussi que wj ∈ Kj−1 , tant que les vecteurs wj existent.

Supposons maintenant que l’algorithme stoppe à l’indice j (c’est-à-dire que j est


le premier indice tel que ŵj = 0), avec j ≤ k0 + 1. Alors
j−1
X
Awj−1 = hAwj−1 , wi iwi . (3.38)
i=1
Pi−1
Or wi ∈ Ki−1 pour tout i ≤ j − 1, donc on a wi = p=0 βip Ap r0 . On insère cette
décomposition dans (3.38), ce qui donne
j−2 j−1 i−1
X p
X X
βj−1 Ap+1 r0 = hAwj−1 , wi i βip Ap r0 ,
p=0 i=1 p=0

soit, en isolant le terme de plus haut degré à gauche,


j−1 i−1 j−3
j−2 j−1
X X X
βj−1 A r0 = hAwj−1 , wi i βip Ap r0 − p
βj−1 Ap+1 r0 .
i=1 p=0 p=0

Le vecteur du membre de droite est dans Kj−2 . Comme j − 1 ≤ k0 , la famille


j−2
(r0 , . . . , Aj−1 r0 ) est libre, donc Aj−1 r0 ∈
/ Kj−2 . Donc βj−1 = 0. Par conséquent, la
décomposition de wj−1 s’écrit
j−3
X
wj−1 = βip Ap r0 ∈ Kj−3 .
p=0
78CHAPITRE 3. EQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES ET PROBLÈMES AUX VALEURS PRO

Donc la famille (w1 , . . . , wj−1 ) est une famille de j − 1 vecteurs orthogonaux deux
à deux et qui appartiennent tous à Kj−3 , qui est de dimension j − 2. Ceci est
contradictoire : donc l’algorithme stoppe à un indice j > k0 + 1.
Supposons maintenant que ŵk0 +2 6= 0. Alors la famille (w1 , . . . , wk0 +2 ) est une
famille de k0 + 2 vecteurs orthogonaux deux à deux et qui appartiennent tous à
Kk0 +1 = Kk0 , qui est de dimension k0 + 1. Ceci est à nouveau contradictoire. Donc
l’algorithme stoppe exactement à l’indice k0 + 2.
Pour tout j ≤ k0 + 1, la famille (w1 , . . . , wj ) est une famille de j vecteurs ortho-
normés et qui appartiennent tous à Kj−1 , qui est de dimension j : donc cette famille
constitue une base orthonormée de Kj−1 , qui coı̈ncide avec la base orthonormée
construite par le procédé de Gram-Schmidt appliqué à la famille (r0 , . . . , Aj−1 r0 ).

On montre maintenant que wj = vj pour tout j ≤ k0 + 1. Comme A est


symétrique, on a
hAwp , wj−1 i = hwp , Awj−1 i
j−1
X
= hwp , ŵj i + hAwj−1 , wi ihwp , wi i.
i=1

Supposons j ≤ p − 1 : alors, pour les i tels que 1 ≤ i ≤ j − 1, on a i ≤ p − 2 < p et


hwp , wi i = 0. Donc, pour j ≤ p − 1, on a hAwp , wj−1 i = 0. On voit aussi que
hAwp , wp−1 i = hwp , ŵp i = kŵp k.
Donc la récurrence (3.37) définissant ŵj se récrit
ŵj = Awj−1 − hAwj−1 , wj−1 iwj−1 − hAwj−1 , wj−2 iwj−2
= Awj−1 − hAwj−1 , wj−1 iwj−1 − kŵj−1 kwj−2 ,
ce qui est exactement la récurrence (3.34). Par conséquent, on a bien wj = vj pour
tout j ≤ k0 + 1.
On montre maintenant (3.35). La colonne p de la matrice AVk est exactement,
pour 1 ≤ p ≤ k, égale à
Colp (AVk ) = Avp = v̂p+1 + hAvp , vp ivp + kv̂p kvp−1 .
Un simple calcul montre que les colonnes de Vk Tk sont
∀p, 2 ≤ p ≤ k − 1, Colp (Vk Tk ) = v̂p+1 + hAvp , vp ivp + kv̂p kvp−1 ,
Col1 (Vk Tk ) = v̂2 + hAv1 , v1 iv1 ,
Colk (Vk Tk ) = hAvk , vk ivk + kv̂k kvk−1 .
Enfin, la colonne p de v̂k+1 etk est nulle si p < k, tandis que la colonne k vaut
exactement v̂k+1 . On a donc bien la relation (3.35).
Les vecteurs vk étant orthogonaux deux à deux et de norme 1, on a Vkt Vk = Idk .
On multiplie enfin à gauche la relation (3.35) par Vkt : du fait que v̂k+1 est orthogonal
aux vj pour j ≤ k, on a Vkt v̂k+1 = 0 et on obtient finalement la relation (3.36).
3.4. ALGORITHMES DE DIAGONALISATION 79

Nous comparons maintenant les valeurs propres de A et celle de la matrice Tk0 +1 .


Notons que ces deux matrices ne sont pas en général de même taille. On note λ1 <
λ2 < . . . < λm les valeurs propres distinctes de la matrice A qui est de taille n × n
(donc 1 ≤ m ≤ n), et soient Pi les matrices de projection orthogonale sur les sous-
espaces propres correspondants de A. Par construction,
m
X m
X
A= λi Pi , Idn = Pi , Pi Pj = 0 si i 6= j, Pi2 = Pi pour tout i.
i=1 i=1

Lemme 3.23. Les valeurs propres de Tk0 +1 sont aussi valeurs propres de A.
Réciproquement, si on suppose que Pi r0 6= 0 pour tout i, alors toutes les valeurs
propres de A sont aussi valeurs propres de Tk0 +1 et k0 + 1 = m. Les valeurs propres
de Tk0 +1 sont simples.
Dans le cas où Pi r0 6= 0 pour tout i, la récurrence de Lanczos permet donc de
construire une matrice Tk0 +1 qui est tridiagonale et dont les valeurs propres sont
exactement les valeurs de A. On pourrait alors penser calculer les valeurs propres
de A de la façon suivante :
— on applique la récurrence de Lanczos jusqu’à l’ordre k0 + 1, ce qui permet de
construire la matrice Tk0 +1 .
— on calcule les valeurs propres de la matrice Tk0 +1 . Le problème sur Tk0 +1
est plus simple que le problème initial sur A, car Tk0 +1 est tridiagonale et il
existe des algorithmes pour le calcul des valeurs propres qui sont spécifiques
aux matrices tridiagonales, comme l’algorithme de Givens.
— comme (dans les bons cas) Tk0 +1 a exactement les mêmes valeurs propres que
A, on a ainsi calculé les valeurs propres de A.
Une telle approche n’est cependant pas la meilleure façon d’exploiter la récurrence de
Lanczos, à cause d’instabilités numériques liées à des erreurs d’arrondi. Une bonne
façon d’exploiter la récurrence de Lanczos sera donnée par le lemme 3.24 ci-dessous.
On démontre maintenant le lemme 3.23.

Démontration du lemme 3.23. Soit λ valeur propre de Tk0 +1 , et soit y 6= 0 un


vecteur propre associé : Tk0 +1 y = λy. Comme v̂k0 +2 = 0, on déduit de (3.35) que
AVk0 +1 = Vk0 +1 Tk0 +1 , et donc que
AVk0 +1 y = λVk0 +1 y.
Si Vk0 +1 y = 0, alors les colonnes de Vk0 +1 sont liées (puisque y 6= 0), ce qui est
contradictoire avec le fait que la famille (v1 , . . . , vk0 +1 ) forme une base orthonormée
de Kk0 . Donc Vk0 +1 y 6= 0, et λ est valeur propre de A.
Réciproquement, on suppose que Pi r0 6= 0 pour tout 1 ≤ i ≤ m. Supposons la
famille (P1 r0 , . . . , Pm r0 ) liée : alors, par exemple, il existe α1 , . . . , αm−1 tels que
m−1
X
Pm r0 = αi Pi r0 .
i=1
80CHAPITRE 3. EQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES ET PROBLÈMES AUX VALEURS PRO

Comme Pm Pi = 0 pour tout i < m, on obtient 0 = Pm2 r0 = Pm r0 , ce qui est


contradictoire avec les hypothèses. Donc la famille (P1 r0 , . . . , Pm r0 ) est libre et Em =
Vect {P1 r0 , . . . , Pm r0 } est de dimension m.
Montrons que m = k0 + 1. On voit que Ak r0 = m k k
P
i=1 λi Pi r0 donc A r0 ∈ Em , et
par conséquent Kk ⊂ Em pour tout k. Donc k0 + 1 = dim Kk0 ≤ dim Em = m.
On montre l’inégalité inverse. La famille (P1 r0 , . . . , Pm r0 ) est libre. On se place
dans cette base. La famille (r0 , . . . , Am−1 r0 ) est représentée dans cette base par la
matrice  
1 λ1 λ21 . . . λm−1 1
M =  ... ... .. ..  ,

. . 
2 m−1
1 λm λm . . . λm
qui est une matrice de Van Der Monde inversible car les λj sont distincts deux à
deux. Donc la famille (r0 , . . . , Am−1 r0 ) est libre, ce qui implique m − 1 ≤ k0 . On a
donc bien m = k0 + 1 et Em = Kk0 .
Soit λi une valeur propre de A : le vecteur Pi r0 est vecteur propre associé. Or
Pi r0 ∈ Em = Kk0 , et les colonnes de Vk0 +1 forment une base orthonormée de Kk0 .
Donc il existe y 6= 0 tel que Vk0 +1 y = Pi r0 . La relation (3.36) donne

Tk0 +1 y = Vkt0 +1 AVk0 +1 y


= Vkt0 +1 APi r0
= λi Vkt0 +1 Pi r0
= λi Vkt0 +1 Vk0 +1 y = λi y,

donc λi est aussi valeur propre de Tk0 +1 . La matrice A possède m = k0 + 1 valeurs


propres distinctes, et toutes ces valeurs propres sont aussi valeurs propres de Tk0 +1 ,
qui est de dimension k0 + 1. Donc les valeurs propres de Tk0 +1 sont simples.

Comme nous l’avons précisé plus haut, la bonne façon d’exploiter la récurrence
de Lanczos n’est pas de calculer la matrice Tk0 +1 pour ensuite la diagonaliser. Il est
plus intéressant d’exploiter le lemme que nous donnons maintenant :

Lemme 3.24. Soit un entier k, 1 ≤ k ≤ k0 + 1. Soit λ valeur propre de Tk et soit


y ∈ Rk un vecteur propre associé. Alors il existe une valeur propre λi de la matrice
A telle que
√ |hek , yi|
|λ − λi | ≤ m kv̂k+1 k ,
kyk
où ek est le k-ième vecteur de la base canonique de Rk .

Ce lemme vient compléter la discussion qui fait suite au lemme 3.23. Une façon
efficace d’utiliser la récurrence de Lanczos est en effet la suivante : si la dernière
composante d’un vecteur propre de Tk est petite, i.e. |hek , yi|  kyk, alors la va-
leur propre correspondante est une bonne approximation d’une valeur propre de
A. Ainsi, le calcul (d’une approximation) des valeurs propres de A passe toujours
3.4. ALGORITHMES DE DIAGONALISATION 81

par la diagonalisation de la matrice Tk . Cependant, le lemme ci-dessus donne une


estimation d’erreur qu’il est possible d’évaluer en pratique.
Démonstration. Soit λ valeur propre de Tk et y vecteur propre associé : Tk y = λy.
La relation (3.35) donne

AVk y = λVk y + hy, ek iv̂k+1 .

En utilisant les projections Pi , on a donc


m
X
(λi − λ)Pi Vk y = hy, ek iv̂k+1 .
i=1

Soit εj = signe (λj − λ), on prend le produit scalaire de l’égalité ci-dessus avec
ε j Pj V k y :
εj (λj − λ)kPj Vk yk2 = hy, ek iεj hv̂k+1 , Pj Vk yi.
On somme sur les j, avec εj (λj − λ) = |λj − λ| ≥ mini |λi − λ| :
m
X m
X
2
min |λi − λ| kPj Vk yk ≤ hy, ek i εj hv̂k+1 , Pj Vk yi.
i
j=1 j=1

Pm
Or j=1 kPj Vk yk2 = kVk yk2 = kyk2 , donc

m
|hek , yi| X
min |λi − λ| ≤ εj hv̂k+1 , Pj Vk yi
i kyk2 j=1
m
|hek , yi| X
≤ kv̂k+1 k kPj Vk yk
kyk2 j=1
v
u m
|hek , yi| √ uX
≤ kv̂k+1 k mt kPj Vk yk2 .
kyk2 j=1

Pm
En utilisant à nouveau j=1 kPj Vk yk2 = kyk2 , on obtient le résultat annoncé.
82CHAPITRE 3. EQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES ET PROBLÈMES AUX VALEURS PRO
Chapitre 4

Introduction aux problèmes


d’évolution

Cette deuxième partie du cours constitue en une brève introduction à l’étude


mathématique et numérique d’équations aux dérivées partielles dépendant du temps.
En fait, nous étudierons surtout l’équation de la chaleur dans le cadre de ce cours
mais nous évoquerons brièvement d’autres types d’équations d’évolution. Nous ren-
voyons à [7, 1, 5, 13] pour une présentation plus détaillée.

4.1 Exemples d’équations d’évolution


Avant toute chose, commen cons par donner une liste de plusieurs équations
d’évolution courantes (arbitrairement sélectionnées !).
Bien sûr, pour que ce que nous écrivons ait un sens mathématique précis, il faudra
ajouter une (des) condition(s) initiales et préciser quel sens on donne aux dérivées.
Pour simplifier, le lecteur pourra supposer que les fonctions apparaissant dans les
équations suivantes sont suffisamment dérivables par rapport à toutes leurs variables.
Nous verrons plus loin que définir des solutions en un sens plus faible pourra être très
utile. C’est même indispensable lorsque l’on cherche à décrire certains phénomènes
physiques possédant des singularités.

Equation de transport linéaire


Il s’agit de l’équation
∂u
+ b · ∇u = f
∂t
qui décrit des phénomènes comme le transfert de chaleur, de masse, etc (u est la
densité). La fonction f est le terme source et b est la direction d’écoulement.
L’équation de Boltzmann (ou de Liouville/Vlasov si f = 0)
∂u
+ p · ∇x u + F · ∇p u = f
∂t
83
84 CHAPITRE 4. INTRODUCTION AUX PROBLÈMES D’ÉVOLUTION

décrit elle l’évolution de la distribution statistique u(t, x, p) des particules d’un fluide
dans l’espace des phases R3 ×R3 3 (x, p). La fonction F modélise les forces appliquées
à chaque particule et la fonction f décrit les collisions entre les particules.

Equation de la chaleur
L’équation de la chaleur est le prototype de toute une famille d’équations appelées
paraboliques :
∂u
− ∆u = f. (4.1)
∂t
Typiquement, u(t, x) représente la température au temps t et au point x ∈ Ω d’un
matériau homogène situé dans un domaine Ω ⊂ R3 . La fonction f s’interprète alors
comme une source de chaleur. Si Ω est borné, il faut ajouter des conditions aux
bords (de type Dirichlet ou Neumann par exemple).
En fait la même équation intervient dans de très nombreuses situations : par
exemple u peut aussi modéliser la diffusion d’une concentration dans le domaine
Ω, ou l’évolution du champ de pression d’un fluide s’écoulant en milieu poreux, ou
encore la loi d’un mouvement brownien dans Ω. Des généralisations de l’équation
(4.1) peuvent permettre de décrire des matériaux non homogènes ou en présence
d’un effet convectif. Elles peuvent devenir non linéaires (de type réaction-diffusion
par exemple) :
∂u
− ∆u = F (u). (4.2)
∂t
L’équation de la chaleur (4.1) est également la base de plusieurs problèmes de
frontières libres, comme le problème de l’obstacle parabolique
∂u
(
− ∆u = −1u>0 ,
∂t
u≥0

qui décrit un système composé de deux phases (par exemple un gla con plongé dans
de l’eau). Il y a ici deux inconnues : la solution, et le domaine dans lequel l’équation
est vérifiée. On appelle frontière libre le bord de l’ensemble {u = 0}, qui évolue
au cours du temps. Des modèles similaires interviennent en finance mathématique
(modèles de type Black-Scholes).

Equation des ondes


Il s’agit d’une équation du deuxième ordre en temps :

∂ 2u
− ∆u = f (4.3)
∂t2
qui est le prototype d’une famille d’équations appelées hyperboliques. Lorsqu’elle est
posée dans un domaine borné Ω ⊂ R2 , u peut représenter le déplacement vertical
4.1. EXEMPLES D’ÉQUATIONS D’ÉVOLUTION 85

d’une membrane élastique (des conditions de Dirichlet au bord de Ω signifient alors


que la membrane est attachée). De manière générale, c’est l’équation adaptée à
la description de phénomènes vibratoires comme la propagation d’ondes sonores,
lumineuses ou à la surface de l’eau. Elle intervient en acoustique, électromagnétisme,
dynamique des fluides...
Tout comme l’équation de la chaleur, l’équation des ondes (4.3) est bien sûr la
base de nombreux modèles plus complexes, comme par exemple l’équation des ondes
non linéaire
∂ 2u
− ∆u = F (u). (4.4)
∂t2

Equation de Schrödinger
L’équation de Schrödinger

∂u
−i − ∆u + V u = 0 (4.5)
∂t
ressemble beaucoup à l’équation de la chaleur (si V = 0) puisque c’est comme si
on avait remplacé t par it. Elle intervient abondamment en mécanique quantique R
pour la description de la matière à l’échelle microscopique. Si on suppose Ω |u(t =
0, x)|2 dx = 1, |u(t, x)|2 dx peut représenter la probabilité de présence au temps t
d’une particule quantique dans le vide (V = 0) ou en présence R d’un champ électrique
2
extérieur V . Grâce à la présence du complexe i, on aura Ω |u(t, x)| dx = 1 pour
tout t ∈ R.
Alors que les équations précédentes étaient posées dans l’espace physique (R2
ou R3 ...), l’équation de Schrödinger a la particularité d’être fréquemment étudiée
dans des espaces Rn avec n très grand. Par exemple si on désire décrire l’évolution
d’un système comportant N particules quantiques dans l’espace R3 , on aura u =
u(x1 , ..., xN ) où chaque xi ∈ R3 : |u(x1 , ..., xN )|2 représente alors la probabilité de
présence de trouver la particule numéro k en xk ∈ R3 . Ceci rend la description de
la matière à l’échelle microscopique très complexe et justifie la nécessité de trouver
des modèles valides à des échelles supérieures. La dérivation de tels modèles à partir
de l’échelle microscopique est alors d’un grand intérêt.

Autres équations
L’équation de Burgers
∂u ∂u ∂ 2u
+u =ν 2
∂t ∂x ∂x
apparaı̂t en mécanique des fluides ou en acoustique (elle peut modéliser la dynamique
d’un gaz par exemple). Lorsque ν = 0,

∂u ∂u
+u =0
∂t ∂x
86 CHAPITRE 4. INTRODUCTION AUX PROBLÈMES D’ÉVOLUTION

on obtient le prototype d’une équation pour laquelle il peut apparaı̂tre des discon-
tinuités (ondes de choc).
L’équation d’Airy
∂u ∂ 3 u
+ 3 =0
∂t ∂x
est elle-même la base de l’équation (non linéaire) de Korteweg-de Vries (KdV)

∂u ∂u ∂ 3 u
+u + =0
∂t ∂x ∂x3
qui est un modèle prototype pour la description d’ondes de type “solitons” comme
on peut parfois en observer à la surface de l’eau.
L’équation d’Euler-Bernoulli

∂u ∂ 4 u
+ 4 =0
∂t ∂x
peut quant à elle modéliser la torsion d’une poutre unidimensionnelle.

4.2 Préliminaires
On se pose généralement différentes questions lors de l’étude d’une équation
d’évolution.
La première est bien sûr l’existence et l’unicité de solutions dans un espace fonc-
tionnel bien choisi. Pour cela, il pourra être très utile de commencer par choisir des
espaces fonctionnels assez “gros”, c’est-à-dire contenant beaucoup plus de fonctions
que celles qui sont régulières par rapport à toutes leurs variables. On parle alors
de solutions faibles. Intuitivement, plus l’espace fonctionnel est grand et plus il sera
facile de démontrer l’existence de la solution. Mais, on peut aussi se demander quelle
est la régularité de la solution lorsque la condition initiale est elle-même régulière
ainsi que les autres paramètres de l’équation. On peut ainsi obtenir l’existence et
l’unicité de solutions régulières a posteriori, qu’on appelle des solutions fortes. L’uti-
lisation de solutions faibles peut donc être soit un intermédiaire utile pour démontrer
l’existence de solutions plus régulières, soit une nécessité lors de l’étude d’équations
pour lesquelles on se s’attend pas à ce que la solution soit ou reste régulière au cours
du temps.
Le fait qu’il existe une unique solution à un modèle mathématique n’implique pas
automatiquement que le modèle considéré soit un “bon” modèle. Une autre question
importante est celle de la dépendance de la solution en fonction des conditions ini-
tiales et des divers paramètres apparaissant dans l’équation. D’une part on peut se
demander comment la solution varie (dans l’espace fonctionnel choisi) si on change
un peu ces paramètres et reste robuste par rapport à de légers changements de ces
paramètres. C’est une question d’apparence anodine mais qui est fondamentale
4.2. PRÉLIMINAIRES 87

lorsque l’on envisage d’utiliser des méthodes de simulation pour pouvoir approcher
numériquement les solutions de telles équations. Le mathématicien Jacques Hada-
mard a donné une définition de ce qu’est un “bon” modèle, en parlant de problème
bien posé. En notant f les données du modèles (le second membre, les données
initiales, le domaine, etc.), u la solution recherchée, et A l’opérateur qui agit sur u,
supposons que le problème considéré soit de trouver u solution d’un problème du
type
A(u) = f. (4.6)

Définition 4.1. On dit que le problème (4.6) est bien posé si pour toute donnée f il
admet une solution u unique, et si cette solution u dépend continûment de la donnée
f.

La troisième condition, la moins évidente, est pourtant cruciale dans une pers-
pective d’approximation numérique. En effet, faire un calcul numérique d’une solu-
tion approchée de (4.6) revient à perturber les données (qui de continues deviennent
discrètes) et à résoudre (4.6) pour ces données perturbées. Si de petites perturbations
des données conduisent à de grandes perturbations de la solution, il n’y a aucune
chance pour que la simulation numérique soit proche de la réalité (ou du moins de
la solution exacte). Par conséquent, cette dépendance continue de la solution par
rapport aux données est une condition absolument nécessaire pour envisager des
simulations numériques précises.
Une question reliée à la question ci-dessus est alors le choix d’un schéma numérique
pour approcher les solutions de l’équation dont on peut prouver qu’elle converge en
un certain sens vers la solution lorsque les paramètres de discrétisation tendent dans
une certaine limite (par exemple un pas de temps ou un pas de maillage aura voca-
tion à tendre vers 0), et de quantifier l’erreur faite par rapport à la solution exacte
de l’équation par rapport aux paramètres de la discrétisation.
Enfin, on peut chercher ensuite à décrire un peu plus précisément le compor-
tement de la solution au cours du temps, en particulier en relation avec des mo-
tivations physiques (signe de la solution, vitesse de propagation, comportement en
temps grand, etc). Le comportement qualitatif peut alors être très différent suivant
le type d’équation considérée.
Dans le cadre de ce cours, nous aborderons brièvement quelques-unes de ces
questions sur quelques exemples types d’équations d’évolution. Nous étudierons tout
particulièrement l’équation de la chaleur.
Nous avons pris le partie dans ce polycopié de commencer par vous présenter tout
d’abord une méthode numérique, qui est une des plus anciennes et des plus simples
méthodes pour approcher numériquement les solutions de problèmes d’évolution, à
savoir la méthode des différences finies. La présentation de cette méthode fera l’objet
du Chapitre 5.
88 CHAPITRE 4. INTRODUCTION AUX PROBLÈMES D’ÉVOLUTION

Dans le Chapitre 6, nous montrerons les propriétés mathématiques théoriques


des solutions de l’équation de la chaleur. Le chapitre 7 sera consacré à l’étude
mathématique d’autres types de problèmes, à savoir l’équation de transport et
l’équation des ondes. Les notions de théorie spectrale que vous avez vues lors de
la première partie du cours seront tout particulièrement utiles pour ces deux cha-
pitres.
Enfin, le Chapitre 8 sera consacré à l’étude d’une autre méthode numérique
utilisée pour discrétiser les problèmes d’évolution, à savoir la méthode des éléments
finis.
Chapitre 5

Méthode des différences finies

A part dans quelques cas très particuliers, il est impossible de calculer explicite-
ment les solutions des différents modèles présentés ci-dessus. Il est donc nécessaire
d’avoir recours au calcul numérique pour estimer qualitativement et quantitative-
ment ces solutions. Le principe de toutes les méthodes de résolution numérique
des équations aux dérivées partielles est d’obtenir des valeurs numériques discrètes
(c’est-à-dire en nombre fini) qui approchent (en un sens convenable à préciser) la
solution exacte.
Il existe de nombreuses méthodes d’approximation numérique des solutions d’équations
aux dérivées partielles. Nous présentons dans ce chapitre une des plus anciennes et
des plus simples, appelée méthode des différences finies (nous verrons plus loin une
autre méthode, dite méthode des éléments finis).
Nous nous contenterons ici d’illustrer la méthode des différences finies sur le
cas de l’équation de la chaleur, mais il faut savoir que celle-ci est utilisé pour de
nombreux autres problèmes.

5.1 Principe de la méthode des différences finies


Nous nous contentons ici de présenter la méthode en dimension 1 pour simplifier
l’exposé. Nous considérons l’équation de la chaleur dans le domaine borné Ω =
(0, 1) ⊂ R :
∂t u(t, x) − D∂xx u(t, x) = 0, pour (x, t) ∈ (0, 1) × R∗+ ,

(5.1)
u(0, x) = u0 (x), pour x ∈ (0, 1),
avec une condition initiale u0 : (0, 1) → R régulière (C ∞ ([0, 1]) par exemple) et un
coefficient de diffusion D > 0.
Nous considèrerons deux types de conditions aux bords pour ce problème : soit
des conditions aux bords de Dirichlet homogènes, i.e.

u(t, 0) = u(t, 1) = 0, pour t ∈ R∗+ ; (5.2)

89
90 CHAPITRE 5. MÉTHODE DES DIFFÉRENCES FINIES

soit des conditions aux bords périodiques, i.e.

u(t, 0) = u(t, 1), pour t ∈ R∗+ . (5.3)

Nous supposerons dans toute la suite du chapitre qu’il existe bien une et une seule
solution u(t, x) à ce problème, et que celle-ci est une fonction régulière en temps et en
espace. Nous verrons dans le chapitre suivant les résultats qui permettent d’affirmer
que tel est bien le cas.
Pour définir un schéma numérique basé sur une méthode de différences finies,
il est nécessaire d’introduire les différentes discrétisations du problème, à savoir la
discrétisation en espace et la discrétisation en temps.
Commençons par la discrétisation en espace. Soit N ∈ N∗ et soit ∆x := N1+1 un
pas d’espace. On définit un maillage régulier de l’intervalle [0, 1] comme suit :

∀0 ≤ j ≤ N + 1, xj := j∆x,

de telle sorte que

x0 = 0 < x1 < x2 < · · · < xN < xN +1 = 1.

Considérons maintenant la discrétisation en espace. On introduit un pas de temps


∆t > 0 et on définit
∀n ∈ N, tn := n∆t.
Le but d’une méthode de différences finies est d’approcher les valeurs de la fonc-
tion u prises au temps tn et au point xj par des quantités unj qui seront calculées
par un schéma numérique. Autrement dit,

u(tn , xj ) ≈ unj ,∀0 ≤ j ≤ N + 1, ∀n ∈ N,

où il reste à déterminer les valeurs unj 0≤j≤N +1,n∈N .




Différents schémas numériques de différences finies correspondent à différentes


manières de calculer les quantités approchées unj 0≤j≤N +1,n∈N . Nous en présentons
ici quelques-uns.
Les valeurs de (u0j )0≤j≤N +1 sont fixées par la condition initiale. Celle-ci est
discrétisée comme suit :

∀0 ≤ j ≤ N + 1, u0j := u0 (xj ).

Comme mentionné ci-dessus, les conditions aux limites de (5.1) peuvent être
de plusieurs types, mais leur choix n’intervient pas dans la définition des schémas.
Les conditions limites de Dirichlet homogènes (5.2) se discrétisent de la manière
suivante :
∀n ∈ N∗ , un0 = unN +1 = 0.
5.1. PRINCIPE DE LA MÉTHODE DES DIFFÉRENCES FINIES 91

Dans le cas de conditions limites périodiques (5.3), on impose les relations suivantes :

∀n ∈ N∗ , un0 = unN +1 .

Il nous reste à discrétiser l’équation aux dérivées partielles (5.1) en tant que
telle. Le principe d’une méthode de différences finies est de remplacer les dérivées
intervenant dans l’équation considérée par des différences finies en utilisant des
formules de Taylor dans lesquelles on néglige les restes. Par exemple, on approche
la dérivée seconde en espace (le laplacien en dimension 1) par la formule suivante :
−unj−1 + 2unj − unj+1
−∂xx u(tn , xj ) ≈ . (5.4)
(∆x)2
En effet, la formule (5.4) vient de la formule de Taylor suivante :

−u(tn , xj − ∆x) + 2u(tn , xj ) − u(tn , xj − ∆x) = −(∆x)2 ∂xx u(tn , xj )


(∆x)4 ∂ 4 u 6

− (tn , xj ) + O (∆x) .
12 ∂x4

Si ∆x est petit, la formule (5.4) est une “bonne” approximation (elle est naturelle,
mais pas unique). La formule (5.4) est dit centrée car elle est symmétrique en j.
Remarque 5.1. La formule (5.4) nécessite de définir les valeurs de unj pour j ≤ 0
ou j ≥ N +1. Dans le cas de conditions aux bords de Dirichlet homogènes, on impose

unj = 0 pour tout j ≤ 0 ou j ≥ N + 1.

Dans le cas de conditions limites périodiques, on impose

unj = unN +1+j pour j ≤ 0 et unj = unj−(N +1) pour j ≥ N + 1.

Il ne nous reste plus qu’à appprocher la dérivée en temps ∂t u intervenant dans


l’équation. Plusieurs choix sont possibles, et en fonction de ce choix, on obtient
différents schémas numériques ayant des propriétés mathématiques différentes. Exa-
minons ici trois choix naturels possibles.
— Une première possibilité est de considérer une approximation aux différences
finies par la formule centrée
un+1
j − ujn−1
∂t u(tn , xj ) ≈
2∆t
ce qui aboutit à un schéma complètement symmétrique par rapport à n et j
(appelé schéma centré ou schéma de Richardson) :

un+1
j − ujn−1 −unj−1 + 2unj − unj+1
+D = 0.
2∆t (∆x)2
92 CHAPITRE 5. MÉTHODE DES DIFFÉRENCES FINIES

Aussi “naturel” et évident soit-il, ce schéma est incapable de calculer


des solutions approchées de l’équation de la chaleur (5.1) (voir TP !).
Pour l’instant, indiquons simplement que la difficulté provient du caractère
centré de la différence finie qui approche la dérivée en temps. Dans le reste
du chapitre, nous nous concentrerons essentiellement sur l’analyse des deux
autres méthodes décentrées mentionnées ci-dessous.
— Un deuxième choix consiste à utiliser un schéma de différences finies décentré
amont(on remonte le temps ; on parle aussi de schéma d’Euler rétrograde)

unj − ujn−1
∂t u(tn , xj ) ≈
∆t
qui conduit au schéma

unj − un−1
j −unj−1 + 2unj − unj+1
+D = 0. (5.5)
∆t (∆x)2

— Un troisième choix consiste à utiliser un schéma de différences finies décentré


aval(on avance dans le temps ; on parle aussi de schéma d’Euler progressif)

un+1
j − unj
∂t u(tn , xj ) ≈
∆t
qui conduit au schéma

un+1
j − unj −unj−1 + 2unj − unj+1
+D = 0. (5.6)
∆t (∆x)2

Notez que, quitte à décaler de 1 l’indice en temps n, le schéma (5.6) est


équivalent au schéma

unj − un−1
j −un−1 n−1
j−1 + 2uj − un−1
j+1
+D = 0. (5.7)
∆t (∆x)2

Les schémas numériques de différences finies peuvent se réécrire de manière


équivalente en termes de systèmes matriciels. Détaillons ces systèmes linéaires dans
le cas de conditions aux bords de Dirichlet homogènes et de conditions aux bords
périodiques.
Dans le cas de conditions aux bords de Dirichlet homogènes, comme un0 = unN +1 =
0 pour tout n ∈ N, il suffit de connaı̂tre la formule qui relie les valeurs du vecteur
U n := (unj )1≤j≤N ∈ RN aux valeurs du vecteur U n−1 := (ujn−1 )1≤j≤N ∈ RN . Dans ce
cas, le schéma (5.7) se réécrit de manière équivalente

U n − U n−1
+ ADir U n−1 = 0, (5.8)
∆t
5.1. PRINCIPE DE LA MÉTHODE DES DIFFÉRENCES FINIES 93

et le schéma (5.5) se réécrit de manière équivalente


U n − U n−1
+ ADir U n = 0, (5.9)
∆t
avec ADir ∈ RN ×N la matrice définie par
 2 −1 
(∆x)2 ∆x2
0 ··· ··· 0 0
 −12 2 −1
0 ··· ··· 0 
 ∆x (∆x)2 ∆x2 
−1 2 −1
 0
 ∆x2 (∆x)2 ∆x2
0 ··· 0 


ADir := D  . .. .. .. .. 
 .. . . . . .

−1 2 −1
 0
 ··· 0 ∆x2 (∆x)2 ∆x2
0 

−1 2 −1
 0 ··· ··· 0
 
∆x2 (∆x)2 ∆x2 
−1 2
0 0 ··· ··· 0 ∆x2 (∆x)2

Dans le cas de conditions limites périodiques, comme un0 = unN +1 pour tout n ∈ N,
il suffit de connaı̂tre la formule qui relie les valeurs du vecteur U n := (unj )1≤j≤N +1 ∈
RN +1 aux valeurs du vecteur U n−1 := (un−1 j )1≤j≤N +1 ∈ RN +1 . Dans ce cas, le schéma
(5.7) se réécrit de manière équivalente
U n − U n−1
+ APer U n−1 = 0, (5.10)
∆t
et le schéma (5.5) se réécrit de manière équivalente
U n − U n−1
+ APer U n = 0, (5.11)
∆t
avec APer ∈ R(N +1)×(N +1) la matrice définie par
 2 −1 −1 
(∆x)2 ∆x2
0 ··· ··· 0 ∆x2
 −12 2 −1
0 ··· ··· 0 
 ∆x (∆x)2 ∆x2 
−1 2 −1
 0
 ∆x2 (∆x)2 ∆x2
0 ··· 0 

APer := D 
 . ... ... ... .. 
 .. . .

−1 2 −1
 0
 ··· 0 ∆x2 (∆x)2 ∆x2
0 

−1 2 −1
 0 ··· ··· 0
 
∆x2 (∆x)2 ∆x2 
−1 −1 2
∆x2
0 ··· ··· 0 ∆x2 (∆x)2

Le schéma (5.5) est appelé schéma d’Euler implicite et le schéma (5.7) est ap-
pelé schéma d’Euler explicite. Cette dénomination vient de la remarque suivante :
la formule (5.7) (ou de manière équivalente les formules 5.8 et (5.10)) donne une
expression explicite des valeurs de (unj )0≤j≤N +1 en fonction des valeurs précédentes
de (un−1
j )0≤j≤N +1 (ou de manière équivalente du vecteur U n en fonction du vecteur
n−1
U ). En effet, pour le schéma d’Euler explicite, on a alors
U n = U n−1 − ∆tAU n−1 = (I − ∆tA)U n−1 ,
94 CHAPITRE 5. MÉTHODE DES DIFFÉRENCES FINIES

avec A = ADir ou A = APer en fonction du type de conditions aux limites considérées


et I la matrice identité.
A contrario, la formule (5.5) (ou de manière équivalente les formules 5.9 et (5.11))
indique qu’il est nécessaire de résoudre un système d’équations linéaires pour calculer
les valeurs (unj )0≤j≤N −1 en fonction des valeurs précédentes (ujn−1 )0≤j≤N +1 . En effet,
pour le schéma d’Euler implicite, on a alors

U n = (I + ∆tA)−1 U n−1 .

Il existe également beaucoup d’autres schémas ! Un des buts de l’analyse numérique


va être de comparer et de sélectionner les meilleurs schémas suivant des critères de
précision, de coût ou de robustesse.
Remarque 5.2. S’il y a un second membre f (t, x) dans l’équation de la chaleur
(5.1), c’est-à-dire si l’équation aux dérivées partielles à résoudre s’écrit

∂t u(t, x) − ∂xx u(t, x) = f (t, x),

alors les schémas se modifient en remplaçant 0 au second membre par une ap-
proximation de f (t, x) au point (tn , xj ). Par exemple, si on choisit l’approximation
f (tn , xj ), le schéma explicite (5.6) devient

un+1
j − unj −unj−1 + 2unj − unj+1
+D = f (tn , xj ),
∆t (∆x)2
ou de manière équivalente
unj − un−1
j −un−1 n−1
j−1 + 2uj
n−1
− uj+1
+D = f (tn−1 , xj ),
∆t (∆x)2
Dans le cas de conditions aux limites de Dirichlet, en notant F n−1 := (f (tn−1 , xj ))1≤j≤N ,
on obtient alors l’expression du vecteur U n en fonction du vecteur U n−1 comme suit
U n − U n−1
+ ADir U n−1 = F n−1 .
∆t
Exercice 5.3. Ecrire l’expression de U n en fonction du vecteur U n−1 et du vecteur
F n := (f (tn , xj ))1≤j≤N dans le cas d’un problème de la chaleur avec second membre
et d’un schéma d’Euler implicite avec conditions limites de Dirichlet homogènes.

5.2 Consistance et précision


Bien sûr les formules des schémas présentées ci-dessus ne sont pas choisies au
hasard : elles résultent d’une approximation de l’équation par développement de
Taylor comme nous l’avons expliqué plus haut. Pour formaliser cette approxima-
tion de l’équation aux dérivées partielles par des différences finies, on introduit la
5.2. CONSISTANCE ET PRÉCISION 95

notion de consistance et de précision. Bien que pour l’instant nous ne considérons


que l’équation de la chaleur (5.1), nous allons donner une définition de consistance
valable pour n’importe quelle équations aux dérivées partielles que nous notons

F (u) = 0.

Remarquons que F (u) est une notation pour une fonction de u et de ses dérivées
partielles en tout point (t, x). De manière générale, un schéma aux différences finies
est défini, pour tous les indices possibles n, j par la formule
n+m

F∆t,∆x {uj+k }m− ≤m≤m+ ,k− ≤k≤k+ = 0 (5.12)

où les entiers m− , m+ , k − , k + définissent ce qu’on appelle la largeur du stencil du


schéma. On appelle schéma à deux niveaux un schéma tel que m− = −1 et m+ = 0
(ou tel que m− = 0 et m+ = 1).
Exemple 5.4. Pour le schéma d’Euler explicite (5.7), m− = −1, m+ = 0, k − = −1,
k + = +1 et
unj − un−1
j
n−1
−uj−1 + 2un−1
j − un−1
j+1
F∆t,∆x {un+m

j+k }m− ≤m≤m+ ,k− ≤k≤k+ = +D 2
.
∆t (∆x)
Le schéma d’Euler explicite est donc un schéma à deux niveaux.
n+m
Exercice 5.5. Ecrire la valeur de m− , m+ , k − , k + et de F∆t,∆x {uj+k

}m− ≤m≤m+ ,k− ≤k≤k+
pour le schéma d’Euler implicite (5.5). Est-ce un schéma à deux niveaux ?
Définition 5.6. Un schéma aux différences finies (5.12) est dit consistant avec
l’équation aux dérivées partielles F (u) = 0, si, pour toute solution u(t, x) suffisam-
ment régulière de cette équation, l’erreur de troncature du schéma, définie par

F∆t,∆x ({u (t + m∆t, x + k∆x)}m− ≤m≤m+ ,k− ≤k≤k+ ) , (5.13)

tend vers 0, uniformément par rapport à (t, x) ∈ R+ × Ω, lorsque ∆t et ∆x tendent


vers 0 indépendamment. De plus, on dit que le schéma est précis à l’ordre p en
espace et à l’ordre q en temps si l’erreur de troncature (5.13) tend vers 0 comme
O ((∆x)p + (∆t)q ) lorsque ∆t et ∆x tendent vers 0.
Remarque 5.7. Il faut prendre garde dans la formule (5.12) à une petite ambiguı̈té
quant à la définition du schéma. En effet, on peut toujours multiplier n’importe
quelle formule par une puissance suffisamment élevée de ∆t et ∆x de manière à
ce que l’erreur de troncature tende vers 0. Cela rendrait consistant n’importe quel
schéma ! Pour éviter cet inconvénient, on supposera toujours que la formule
n+m

F∆t,∆x {uj+k }m− ≤m≤m+ ,k− ≤k≤k+ = 0

a été écrite de telle manière que, pour une fonction régulière u(t, x) qui n’est pas une
solution de l’équation F (u) = 0, la limite de l’erreur de troncature n’est pas nulle.
96 CHAPITRE 5. MÉTHODE DES DIFFÉRENCES FINIES

Concrètement, on calcule l’erreur de troncature d’un schéma en remplaçant


un+m
j+k dans la formule (5.12) par u(t + m∆t, x + k∆x). Comme application de la
Définition 5.6, nous allons montrer le lemme suivant.
Lemme 5.8. Le schéma explicite (5.7) est consistant, précis à l’ordre 1 en temps
et 2 en espace pour l’équation de la chaleur (5.1). De plus, si on choisit de garder
∆t 1
constant le rapport D ∆x 2 = 6 , alors ce schéma est précis à l’ordre 2 en temps et 4

en espace.
Démonstration. Soit v(t, x) une fonction de classe C 6 . Par développement de Taylor
autour du point (t, x), on calcule l’erreur de troncature du schéma (5.7)
v(t + ∆t, x) − v(t, x)
∆t
−v(t, x − ∆x) + 2v(t, x) − v(t, x + ∆x)
+D
(∆x)2
= (∂t v(t, x) − D∂xx v(t, x))
∆t (∆x)2
+ ∂tt v(t, x) − D ∂xxxx v(t, x)
2 12
+ O (∆t)2 + (∆x)4 .


Si v est une solution de l’équation de la chaleur (5.1), on obtient ainsi aisément


la consistance ainsi que la précision à l’ordre 1 en temps et 2 en espace. Si on
∆t 1 2
suppose de plus que D (∆x) 2 = 6 , alors les termes en ∆t et en (∆x) se simplifient
2
car ∂tt v = D∂txx v = D ∂xxxx v.
Exercice 5.9. Montrer que le schéma implicite (5.5) est consistant, précis à l’ordre
1 en temps et 2 en espace.

5.3 Stabilité et analyse de Fourier


Pour simplifier les idées, nous supposons dans cette section (sauf mention du
contraire) que des conditions aux bords de Dirichlet homogènes sont imposées. Mais
les notions présentées ci-dessous s’étendent bien évidemment sans difficulté à tous
types ed conditions aux limites.
Pour tout U := (uj )1≤j≤N ∈ RN , nous définissons pour tout 1 ≤ p < +∞ la
norme : !1/p
XN
kU kp := ∆x|uj |p , (5.14)
j=1
et
kU k∞ := max |uj |.
1≤j≤N

Nous introduisons ici la notion de schéma stable pour une certaine norme.
5.3. STABILITÉ ET ANALYSE DE FOURIER 97

Définition 5.10. Soit 1 ≤ p ≤ +∞. Un schéma aux différences est dit incondition-
nellement stable pour la norme Lp s’il existe une constante K > 0 indépendante de
∆t et de ∆x (lorsque ces valeurs tendent vers 0) telle que

kU n kp ≤ KkU 0 k pour tout n ∈ N, (5.15)

quelle que soit la donnée initiale U 0 . Si (5.15) n’a lieu que pour des pas ∆t et ∆x
astreints à certaines inégalités, on dit que le schéma est conditionnellement stable.
Remarque 5.11. Puisque toutes les normes sont équivalentes dans RN , le lecteur
trop rapide pourrait croire que la stabilité par rapport à une norme implique la sta-
bilité par rapport à toutes les normes. Malheureusement, il n’en est rien et il existe
des schémas qui sont stables par rapport à une norme mais qui ne le sont pas par
rapport à une autre. En effet, le point crucial de la Définition 5.10 est que la majo-
ration est uniforme par raport à ∆x alors même que les normes définies par (5.14)
dépendent de ∆x.
Définition 5.12. Un schéma aux différences finies est dit linéaire si la formule
F∆t,∆x ({un+m n+m
j+k }) = 0 qui le définit est linéaire par rapport à ses arguments uj+k .

La stabilité d’un schéma linéaire à deux niveaux est très facile à interpréter. En
effet, par linéarité tout schéma linéaire à deux niveaux peut s’écrire sous la forme
condensée
U n = M U n−1 (5.16)
où M est un opérateur linéaire (une matrice, dite d’itération) de RN dans RN . Par
exemple, pour le schéma explicite (5.7), la matrice M vaut
 
1 − 2c c 0 ··· ··· 0 0

 c 1 − 2c c 0 ··· ··· 0 
 0
 c 1 − 2c c 0 · · · 0 

M = (I − ∆tADir ) = 
 .. .. .. .. ..  .
. . . . . 
 
 0
 · · · 0 c 1 − 2c c 0 

 0 ··· ··· 0 c 1 − 2c c 
0 0 ··· ··· 0 c −2c
∆t
avec c = D (∆x)2.

Exercice 5.13. Ecrire la matrice M d’itération du schéma (5.5) en fonction de


ADir et ∆t.
A l’aide de cette matrice d’itération, on a

U n = M nU 0

et par conséquent la stabilité du schéma est équivalente à

kAn U 0 kp ≤ KkU 0 kp , ∀n ∈ N, ∀U 0 ∈ RN .
98 CHAPITRE 5. MÉTHODE DES DIFFÉRENCES FINIES

On introduit la norme matricielle subordonnée :


kP U kp
∀P ∈ RN ×N , kP kLp := sup .
U ∈RN , U 6=0 kU kp

La stabilité du schéma en norme Lp est alors équivalente à

kM n kLp ≤ K, ∀n ∈ N.

Deux notions de stabilité sont particulièrement importantes pour l’analyse de


schémas numériques aux différences finies pour l’équation de la chaleur : la stabilité
en norme L∞ et la stabilité en norme L2 . Nous détaillons les techniques de preuve
usuelles pour ces deux types de stabilité dans les sections suivantes.

5.3.1 Stabilité en norme L∞


La stabilité en norme L∞ est très liée au principe du maximum discret dont nous
donnons la définition ci-dessous.

Définition 5.14. Un schéma aux différences finies vérifie le principe du maximum


discret si pour tout n ∈ N et pour tout 1 ≤ j ≤ N on a
   
0 n 0
min 0, min uj ≤ uj ≤ max 0, max uj
0≤j≤N +1 0≤j≤N +1

quelle que soit la donnée initiale U 0 .

Remarque 5.15. Dans le Définition 5.14, les inégalités tiennent compte non seule-
ment du minimum et du maximum de U 0 mais aussi de 0 qui est la valeur imposée
au bord par les conditions de Dirichlet. Cela est nécessaire si la donnée initiale U 0
ne vérifie pas les conditions aux limites de Dirichlet (nous verrons dans un prochain
chapitre que cela peut effectivement être le cas), et inutile dans le cas contraire.

Le principe du maximum discret permet de démontrer le résultat suivant.

Lemme 5.16. Le schéma explicite (5.7) est stable en norme L∞ si et seulement si


la condition
2D∆t ≤ (∆x)2 (5.17)
est satisfaite. On appelle la condition (5.17) la condition de Courant-Friedrich-Lewy
ou condition CFL.

Pour la petite histoire, la condition de stabilité (5.17) fut découverte en 1928


(avant l’apparition des premiers ordinateurs !). C’est une des remarques les plus
profondes de l’analyse numérique.
5.3. STABILITÉ ET ANALYSE DE FOURIER 99

Démonstration. Le schéma d’Euler explicite peut se réécrire sous la forme


 
∆t n−1 ∆t ∆t n−1
n
uj = D uj−1 + 1 − 2D ujn−1 + D u . (5.18)
(∆x) 2 (∆x) 2 (∆x)2 j+1

Si la condition CFL est vérifiée, alors (5.18) montre que unj est une combinaison
convexe des valeurs au temps précédent un−1 n−1
j−1 , uj , un−1
j+1 . En effet, tous les coeffi-
cients dans le membre de droite de (5.18) sont positifs et leur somme vaut 1. En
particulier si la donnée initiale U 0 est bornée par deux constants m et M telles que

m ≤ u0j ≤ M, ∀0 ≤ j ≤ N + 1,

alors une récurrence facile montre que les mêmes inégalités restent vraies pour tous
les temps ultérieurs

min(0, m) ≤ unj ≤ max(0, M ), ∀0 ≤ j ≤ N + 1,

en prenant en compte les conditions aux limites de Dirichlet. Le schéma (5.7) vérifie
donc le principe du maximum discret et est donc stable en norme L∞ .
Supposons maintenant au contraire que la condition CFL ne soit pas vérifiée,
c’est-à-dire que
2D∆t > (∆x)2 .
Alors pour certaines données initiales, le schéma n’est pas stable (il peut être stable
pour certaines conditions initiales exceptionnelles, par exemple pour U 0 = 0 !). Pre-
nons la donnée initiale définie par

u0j = (−1)j , ∀0 ≤ j ≤ N + 1,

qui est bien uniformément bornée.


Une récurrence facile montre alors que pour tout 0 ≤ j ≤ N + 1,

unj ≤ 0 si n + j est impair et unj ≥ 0 si n + j est pair.

En conséquence, en utilisant (5.18), pour tout n ∈ N∗ , on obtient que

∆t
|unj | ≥ D un−1 n−1

j−1 + uj+1 ,
(∆x)2

et une récurrence facile montre alors que


n
∆t
|unj | ≥ 2D .
(∆x)2

On obtient donc que |unj | −→n→+∞ +∞ et le shéma n’est donc pas stable en norme
L∞ .
100 CHAPITRE 5. MÉTHODE DES DIFFÉRENCES FINIES

Exercice 5.17. Montrer que le schéma implicite (5.5) est stable en norme L∞ quels
que soient les pas de temps ∆t et d’espace ∆x. On dit que le schéma d’Euler implicite
est inconditionnellement stable en norme L∞ .
Indication : On supposera que la condition initiale U 0 est telle qu’il existe deux
constantes m ≤ 0 ≤ M telles que

m ≤ u0j ≤ M, ∀1 ≤ j ≤ N,

et on cherchera à prouver (par récurrence) que pour tout n ∈ N∗ ,

m ≤ unj ≤ M, ∀1 ≤ j ≤ N,

et ceci sans condition sur ∆t et ∆x.

5.3.2 Stabilité en norme L2


De nombreux schémas vérifient le principe du maximum discret mais sont néanmoins
de “bons” schémas. Pour ceux-là, il faut vérifier la stabilité dans une autre norme
que la norme L∞ . La norme L2 se prête très bien à l’étude de la stabilité grâce à
l’outil très puissant de l’analyse de Fourier que nous présentons maintenant. Pour
ce faire, nous supposons désormais que les conditions aux limites pour l’équation de
la chaleur sont des conditions aux limites de périodicité. Rappelons que dans ce cas,
à chaque itération n ∈ N∗ du schéma numérique, nous devons déterminer le vecteur
U n := (uj )1≤j≤N +1 ∈ RN +1 .
A chaque vecteur U n := (unj )1≤j≤N +1 , on associe une fonction définie sur R,
constante par morceaux, périodique de période 1 et définie sur [0, 1] par

un (x) = unj si xj−1/2 ≤ x < xj+1/2 ,

avec xj+1/2 = (j + 1/2)∆x pour 0 ≤ j ≤ N , x−1/2 = 0 et xN +1+1/2 = 1. Ainsi


définie, la fonction un (x) est périodique de période 1 et appartient à L2 (0, 1). Or,
d’après l’analyse de Fourier, on peut écrire une telle fonction un (x) en utilisant sa
décomposition en séries de Fourier :
X
un (x) = bn (k)e2iπkx ,
u
k∈Z

avec Z 1
u n
b (k) = un (x)e−2iπkx dx.
0

On a de plus la formule de Plancherel


Z 1 X
|un (x)|2 dx = un (k)|2 .
|b
0 k∈Z
5.3. STABILITÉ ET ANALYSE DE FOURIER 101

Rappelons qu’une propriété (importante pour la suite) de la transformée de Fourier


des fonctions périodiques est la suivante : si on note v n (x) := un (x + ∆x), alors
vbn (k) = u
bn (k)e2iπk∆x .
Expliquons maintenant la méthode sur l’exemple du schéma explicite (5.7). Avec
les notations introduites ci-dessus, on peut réécrire ce schéma, pour 0 ≤ x ≤ 1,

un (x) − un−1 (x) −un−1 (x − ∆x) + 2un−1 (x) − un−1 (x + ∆x)


+D = 0.
∆t (∆x)2

Par application de la transformée de Fourier, il vient


 
n ∆t 2iπk∆x 2iπk∆x
 n−1
b (k) = 1 − D
u −e +2−e u
b (k).
(∆x)2

Autrement dit,
bn (k) = M (k)b
u un−1 (k) = M (k)n u
b0 (k),
avec
∆t ∆t
M (k) := 1 − 2D (1 − cos(2πk∆x)) = 1 − 4D (sin(πk∆x))2 .
(∆x)2 (∆x)2

bn (k) est borné lorsque n tend vers l’infini si et


Pour k ∈ Z, le coefficient de Fourier u
seulement si le facteur d’amplification vérifie |M (k)| ≤ 1, c’est-à-dire

∆t
4D 2
(sin(πk∆x))2 ≤ 2,
(∆x)

soit
2D∆t (sin(πk∆x))2 ≤ (∆x)2 . (5.19)
Si la condition CFL (5.17) , i.e. 2D∆t ≤ (∆x)2 est satisfaite, alors l’inégalité (5.19)
est vraie quel que soit le mode de Fourier k ∈ Z, et par la formule de Plancherel, on
en déduit
Z 1 X X Z 1
n 2 n 2 n 2 0 2
kU k2 = |u (x)| dx = |b
u (k)| ≤ |b
u (k)| = |u0 (x)|2 dx = kU 0 k22 ,
0 k∈Z k∈Z 0

ce qui n’est rien d’autre que la stabilité L2 du schéma explicite. Si la condition


CFL n’est pas satisfaite, le schéma est instable. En effet, il suffit de choisir ∆x
(éventuellement suffisammenet petit) et k0 (suffisamment grand) et une donnée ini-
tiale ayant une seule composante de Fourier non nulle u b0 (k) 6= 0 avec πk0 ∆x ≈ π/2
(modulo π) de telle manière que |M (k0 )| > 1. On a donc démontré le lemme suivant :

Lemme 5.18. Le schéma explicite (5.7) est stable en norme L2 si et seulement si


la condition CFL 2D∆t ≤ (∆x)2 est satisfaite.
102 CHAPITRE 5. MÉTHODE DES DIFFÉRENCES FINIES

Exercice 5.19. Montrer que, pour des conditions aux limites périodiques, le schéma
implicite (5.5) est stable en norme L2 .

Remarque 5.20. Traduisons sous forme de “recette” la méthode de l’analyse de


Fourier pour prouver la stabilité L2 d’un schéma. En utilisant les notations ci-dessus,
on obtient une relation
bn (k) = M (k)b
u un−1 (k)
et on en déduit la valeur du coefficient d’amplification M (k). On appelle condition
de stabilité de von Neumann l’inégalité

|M (k)| ≤ 1, ∀k ∈ Z.

Si la condition de stabilité de von Neumann est satisfaite (avec éventuellement des


relations sur ∆t et ∆x), alors le schéma est stable pour la norme L2 , sinon il est
instable.

Remarque 5.21. On peut également montrer que le schéma explicite (5.7) avec
conditions limites de Dirichlet est stable en norme L2 si et seulement la condition
CFL 2D∆t ≤ (∆x)2 . La preuve est juste un peu plus pénible que dans le cas de
conditions de bords périodiques. De même, le schéma implicite (5.5) avec conditions
limites de Dirichlet est inconditionnellement stable en norme L2 .

5.4 Convergence
Nous avons maintenant tous les outils pour démontrer la convergence des schémas
de différences finies. Le principal résultat en ce sens est le Théorème de Lax qui
affirme que, pour un schéma linéaire à deux niveaux, consistance et stabilité implique
convergence.

Théorème 5.22 (Théorème de Lax). Soit u(t, x) la solution suffisamment régulière


de l’équation de la chaleur (5.1) (avec des conditions aux limites appropriées). Soit
unj la solution unmérique discrète obtenue par un schéma de différences finies avec la
donnée initiale u0j = u0 (xj ). On suppose que le schéma est linéaire, à deux niveaux,
consistant et stable pour une norme k · kp pour 1 ≤ p ≤ +∞. Alors, le schéma est
convergent au sens où
 
n
∀T > 0, lim sup ke kp = 0, (5.20)
∆t,∆x→0 tn ≤T

avec en le vecteur “erreur” défini par ses composantes enj = unj − u(tn , xj ).
De plus, si le schéma est précis à l’ordre q en espace et à l’ordre r en temps,
alors pour tout T > 0 il existe une constante CT > 0 telle que

sup ken kp ≤ CT ((∆x)q + (∆t)r ) . (5.21)


0≤tn ≤T
5.4. CONVERGENCE 103

Démonstration. Pour simplifier, on suppose que le schéma est discrétisé avec des
conditions aux limites de Dirichlet. La même démonstration est aussi valable pour
des conditions aux limites de périodicité. Un schéma linéaire à deux niveaux peut
s’écrire sous la forme condensée (5.16), i.e.

U n+1 = M U n , (5.22)

où M est la matrice d’itération (carrée de taille N ). Soit u la solution (supposée



e n := u
suffisamment régulière) de l’équation de la chaleur (5.1). On note U enj 1≤j≤N ∈
RN avec uenj := u(tn , xj ). Comme le schéma est consistant, il existe un vecteur n tel
que
Ue n+1 = M U e n + ∆tn , avec lim kn kp = 0, (5.23)
∆t,∆x→0
n
et la convergence de  est uniforme pour tous les temps 0 ≤ tn ≤ T . Si le schéma
est précis à l’ordre q en espace et à l’ordre r en temps, alors

kn kp ≤ C ((∆x)q + (∆t)r ) .

En posant enj = unj − u(tn , xj ), on obtient par soustraction de (5.23) à (5.22)

en+1 = M en − ∆tn ,

d’où par récurrence


n
X
en = M n e0 − ∆t M n−k k−1 . (5.24)
k=1

Or la stabilité du schéma veut dire que kU n kp = kM n U 0 kp ≤ KkU 0 kp pour toute


donnée initiale, c’est-à-dire que kM n kLp ≤ K où la constante K ne dépend pas de
n. D’autre part, e0 = 0, donc (5.24) donne
n
X
n
ke kp ≤ ∆t kM n−k kLp kk−1 kp ≤ ∆tnKC ((∆x)q + (∆t)r ) ,
k=1

ce qui donne l’inégalité (5.21) avec la constante CT = T KC. La démonstration de


(5.20) est similaire.

Remarque 5.23. Le Théorème de Lax est en fait valable pour toute équation aux
dérivées partielles linéaire. Il admet une réciproque au sens où un schéma linéaire
consistant à deux niveaux qui converge est nécessairement stable. Remarquer que la
vitesse de convergence dans (5.21) est exactement la précision du schéma. Enfin, il
est bon de noter que cette estimation (5.21) n’est valable que sur un intervalle borné
de temps [0, T ] mais qu’elle est indépendant du nombre de points de discrétisation
N.
104 CHAPITRE 5. MÉTHODE DES DIFFÉRENCES FINIES
Chapitre 6

Problèmes d’évolution
paraboliques

Ce chapitre est une brève introduction à l’étude mathématique et numérique


d’équations aux dérivées partielles dépendant du temps. Ici, nous étudierons surtout
l’équation de la chaleur. Nous renvoyons à [7, 1, 5, 13] pour une présentation plus
détaillée.

6.1 Préliminaires
6.1.1 Lemme de Gronwall
Avant de rappeler le lemme de Gronwall, nous donnons ici la définition d’une
fonction absolument continue à valeurs dans un espace de Banach.
Définition 6.1. Soit I ⊂ R un intervalle de R et soit X un espace de Banach.
On dit qu’une fonction continue u : I → X est une fonction absolument continue
si et seulement si pour tout  > 0, il existe δ > 0 tel que pour toute suite finie
(αn )n≤N , (βn )n≤N ⊂ I tels que
(αn , βn ) ∩ (αm , βm ) = ∅ ∀n 6= m
et X
|βn − αn | ≤ δ,
n∈N
alors X
ku(βn ) − u(αn )kX ≤ .
n∈N

Proposition 6.2. Une fonction f est absolument continue sur un intervalle compact
I = [a, b] ⊂ R si et seulement si il existe une fonction g ∈ L1 ([a, b]) telle que
Z x
∀x ∈ [a, b], f (x) − f (a) = g(t) dt.
a

105
106 CHAPITRE 6. PROBLÈMES D’ÉVOLUTION PARABOLIQUES

Remarque : Les fonctions absolument continues sont uniformément continues et


différentiables presque partout. Les fonctions Lipschitz sont absolument continues.
Le lemme suivant est très classique et très utile :
Lemme 6.3 (Gronwall). Soit T > 0. Soit η une fonction positive absolument conti-
nue sur [0, T ] et vérifiant :

η 0 (t) ≤ ϕ(t)η(t) + ψ(t)

pour tout t ∈ [0; T ], où ϕ et ψ sont des fonctions positives de L1 (0, T ). Alors
Rt
 Z t 
ϕ(s)ds
∀t ∈ [0; T ], η(t) ≤ e 0 η(0) + ψ(s)ds .
0

6.1.2 Rappels sur l’espace H −1 (Ω)


Définition 6.4. Soit Ω un ouvert de Rd . On note H −1 (Ω) l’espace vectoriel des
distributions T ∈ D0 (Ω) telles qu’il existe une constante C telle que

∀ϕ ∈ D(Ω), |hT, ϕiD0 ,D | ≤ CkϕkH 1 .

Remarque : Il est clair que L2 (Ω) ⊂ H −1 (Ω). En effet, si f ∈ L2 (Ω)


Z
∀ϕ ∈ D(Ω), |hf, ϕiD0 ,D | = f ϕ ≤ kf kL2 kϕkL2 ≤ kf kL2 kϕkH 1 .

Théorème 6.5. On peut identifier H −1 (Ω) au dual topologique de H01 (Ω).

Démonstration. Soit T ∈ H −1 (Ω). L’application linéaire

D(Ω) 3 ϕ 7→ hT, ϕiD0 ,D

est continue sur D(Ω) muni de la norme H 1 . Comme D(Ω) est dense dans H01 (Ω)
pour cette norme, cette application se prolonge (de manière unique) en une appli-
cation linéaire continue sur H01 (Ω), notée

H01 (Ω) 3 ϕ 7→ hT, ϕiH −1 ,H01

qui vérifie en particulier

∀ϕ ∈ D(Ω), hT, ϕiH −1 ,H01 = hT, ϕiD0 ,D .

On peut donc associer à tout T ∈ H −1 (Ω) un élément du dual topologique de H01 (Ω)
(i.e. de l’espace vectoriel des formes linéaires continues sur H01 (Ω)). On définit ainsi
 −1
H (Ω) −→ (H01 (Ω))0
α:
T 7→ hT, ·iH −1 ,H01 .
6.1. PRÉLIMINAIRES 107

Réciproquement, soit L ∈ (H01 (Ω))0 . Il existe une constante C telle que

∀ϕ ∈ H01 (Ω), |L(ϕ)| ≤ CkϕkH 1 .

Si on restreint L à D(Ω) ⊂ H01 (Ω), on obtient une forme linéaire sur D(Ω) qui vérifie

∀ϕ ∈ D(Ω), |L(ϕ)| ≤ CkϕkH 1 .

Il reste à vérifier que L est une distribution (c’est-à-dire qu’elle est continue sur D(Ω)
pour la topologie de D(Ω)). Soit donc K compact inclus dans Ω et ϕ ∈ DK (Ω). Il
vient
1/2
|L(ϕ)| ≤ CkϕkH 1 ≤ C kϕk2L2 + k∇ϕk2L2 .
p p
Or kϕkL2 ≤ |K| sup |ϕ| et k∇ϕkL2 ≤ |K| sup |∇ϕ|. Donc

|L(ϕ)| ≤ C 0 sup |∂ α ϕ|.


|α|≤1, x∈K

Donc L définit une distribution (d’ordre ≤ 1). On définit ainsi

(H01 (Ω))0 −→ H −1 (Ω)



β:
L 7→ L|D(Ω) .

On vérifie sans difficulté que α ◦ β = I(H01 (Ω))0 et que β ◦ α = IH −1 (Ω) .

Proposition 6.6. (Caractérisation des éléments de H −1 ). Soit Ω un ouvert de Rd .


Une distribution T appartient à H −1 (Ω) si et seulement si il existe, pour tout |α| ≤ 1
une fonction gα ∈ L2 (Ω) telle que
X
T = ∂ α gα .
|α|≤1

Démonstration. Il est clair que si T est de la forme


X
T = ∂ α gα
|α|≤1
108 CHAPITRE 6. PROBLÈMES D’ÉVOLUTION PARABOLIQUES

avec gα ∈ L2 (Ω), on a
X
∀ϕ ∈ D(Ω), |hT, ϕiD0 ,D | = |h ∂ α gα , ϕiD0 ,D |
|α|≤1
X
≤| (−1)|α| hgα , ∂ α ϕiD0 ,D |
|α|≤1
X
=| (−1)|α| hgα , ∂ α ϕiL2 |
|α|≤1
X
≤ kgα kL2 k∂ α ϕkL2
|α|≤1
 
X
≤ kgα kL2  kϕkH 1 .
|α|≤1

Donc T ∈ H −1 (Ω). La réciproque est plus délicate et admise ici.

Conséquences : on a les inclusions

D(Ω) ⊂ H01 (Ω) ⊂ L2 (Ω) ⊂ H −1 (Ω) ⊂ D0 (Ω)

et on a par ailleurs pour T ∈ L2 (Ω) et ϕ ∈ D(Ω),


Z
hT, ϕi = hT, ϕiH −1 ,H01 = hT, ϕiL2 = T ϕ.

L’espace L2 (Ω) est appelé l’“espace pivot” de ces dualités.

6.2 Les espaces de Bochner


6.2.1 Intégrale de Bochner
Dans cette section, nous introduisons la notion d’intégrale de Bochner, qui per-
met de généraliser la notion d’intégrale de Lebesgue, à des fonctions à valeurs dans
un espace de Banach.
Dans toute cette section, on considère a, b ∈ R ∪ {±∞} et X un espace de
Banach.

Définition 6.7. Une fonction f : [a, b] → X est dite mesurable si et seulement si


pour tout ensemble ouvert B ⊂ X, l’ensemble f −1 (B) est un ensemble borélien de
[a, b].
6.2. LES ESPACES DE BOCHNER 109

On voit aisément que cette définition est une extension directe de la notion
de mesurabilité pour des fonctions à valeurs scalaires (ou à valeurs dans Rn avec
n ∈ N∗ ). Le théorème suivant est également une extension directe d’un résultat que
vous connaissez bien pour des fonctions à valeurs scalaires.

Théorème 6.8. Soit (fn )n∈N une suite de fonctions mesurables définies sur [a, b]
à valeurs dans X. Si (fn )n∈N converge simplement (dans X) vers une fonction f :
[a, b] → X, alors f est une fonction mesurable.

Comme pour l’intégrale de Lebesgue, nous allons définir l’intégrale de Bochner


comme la limite d’intégrales d’une suite de fonctions étagées. Dans notre cas, on
appellera une fonction étagée toute fonction s : [a, b] → X telle qu’il existe M ∈ N∗ ,
u1 , · · · , uM ∈ X et B1 , · · · , BM des sous-ensembles boréliens de [a, b] de mesure de
Lebesgue finie tels que
M
X
∀t ∈ [a, b], s(t) = um χBm (t),
m=1

où χB : [a, b] → {0, 1} désigne la fonction caractéristique du sous-ensemble B ⊂


[a, b].
Pour une telle fonction, on peut définir son intégrale de Bochner comme l’élément
de X suivant :
Z XM
s(t) dt = um λ(Bm ) ∈ X,
[a,b] m=1

où λ désigne la mesure de Lebesgue sur l’intervalle [a, b].

Exercice 6.9. Montrer que si s : [a, b] → X est une fonction étagée, alors
Z Z
s(t) dt ≤ ks(t)kX dt.
[a,b] X [a,b]

Pour définir l’intégrale de Lebesgue, nous utilisions dans le cas scalaire le résultat
crucial suivant : toute fonction mesurable (à valeurs scalaires) peut être vue comme
la limite simple d’une suite de fonctions étagées. Il se trouve que ce résultat n’est pas
toujours valide dans le cas d’espaces de Banach généraux, ce qui justifie la définition
suivante :

Définition 6.10. On dit qu’une fonction f : [a, b] → X est Lebesgue-mesurable s’il


existe une suite de fonctions étagées (sn )n∈N qui converge simplement vers f presque
partout sur [a, b] (au sens de la mesure de Lebesgue).

Exercice 6.11. Montrer que si une suite (fn )n∈N de fonctions Lebesgue-mesurables
converge simplement presque partout vers une fonction f , alors f est une fonction
Lebesgue-mesurable.
110 CHAPITRE 6. PROBLÈMES D’ÉVOLUTION PARABOLIQUES

Les notions de mesurabilité et de Lebesgue-mesurabilité ne sont pas équivalentes


en général. La Lebesgue-mesurabilité implique la mesurabilité comme l’indique la
proposition suivante.
Proposition 6.12. Soit une fonction f : [a, b] → X Lebesgue-mesurable. Alors f
est mesurable.
La réciproque est fausse en général. Elle est cependant vraie dans le cas où
l’espace X est un espace séparable au sens de la définition suivante.
Définition 6.13. Un espace de Banach X est dit séparable s’il existe un sous-
ensemble dense de X au plus dénombrable.
Exercice 6.14. Un espace de Hilbert séparable (i.e. muni d’une base hilbertienne)
est un espace de Banach séparable au sens de la Définition 6.13.
En pratique, tous les espaces de Banach que vous connaissez (espaces de Lebesgue
L , de Sobolev H k ...) sont des espaces séparables. Si X est un espace de Banach
p

séparable, on a alors le résultat suivant :


Théorème 6.15. Soit X un espace de Banach séparable. Alors, pour toute fonction
f : [a, b] → X mesurable, il existe une suite (sn )n∈N de fonctions étagées définies sur
[a, b] à valeurs dans X telle que (sn )n∈N converge simplement vers f presque partout
(au sens de la mesure de Lebesgue) sur [a, b].
Autrement dit, si X est un espace de Banach séparable, toute fonction f : [a, b] →
X est mesurable si et seulement si elle est Lebesgue-mesurable.
Pour pouvoir définir l’intégrale de Bochner, nous avons besoin de définir la notion
de fonction intégrable dans notre contexte. C’est le but de la définition suivante.
Définition 6.16. Une fonction f : [a, b] → X est dite intégrable si et seulement si
il existe une suite (sn )n∈N de fonctions étagées telles que
(i) (s
Zn )n∈N converge simplement vers f presque partout sur [a, b] ;
(ii) kf − sn kX −→ 0.
[a,b] n→+∞

Le théorème suivant énonce une formulation équivalente de la notion d’intégrabilité,


qui vous sera probablement plus familière.
Théorème 6.17 (Critère d’intégrabilité de Bochner). Une fonction f : [a, b] → X
est intégrable si et seulement si
Z
kf (t)kX dt < +∞.
[a,b]

Nous sommes armés à présent pour pouvoir définir l’intégrale de Bochner d’une
fonction intégrable.
6.2. LES ESPACES DE BOCHNER 111

Théorème-Définition 6.18. Soit f : [a, b] → X une fonction intégrable et (sn )n∈N


une suite de fonctions étagées vérifiant les propriétés (i) et (ii) de la Définition 6.16.
Alors, l’intégrale de Bochner de f sur [a, b] est définie par
Z Z
f = lim sn .
[a,b] n→+∞ [a,b]

On a de plus la propriété suivante :


Z Z
f ≤ kf kX . (6.1)
[a,b] X [a,b]

Une propriété très importante de l’intégrale de Bochner est donnée dans la pro-
position suivante.

Proposition 6.19. Soit Y un espace de Banach et T : X → Y une application


linéaire continue. Si f : [a, b] → X est intégrable, alors T (f ) : [a, b] → Y est
intégrable et Z  Z
T f = T (f ).
[a,b] [a,b]

Exercice 6.20. Soit H un espace de Hilbert, v ∈ H et f : [a, b] → H une fonction


intégrable. Montrer que
Z  Z
f (t) dt, v = hf (t), viH dt.
[a,b] H [a,b]

Le théorème de convergence dominée de Lebesgueque est toujours valide pour


l’intégrale de Bochner. Plus précisément, on a le résultat suivant.

Théorème 6.21 (Théorème de convergence dominée de Lebesgue pour l’intégrale


de Bochner). Soit (fn )n∈N une suite de fonctions définies sur [a, b] et à valeurs dans
X, et f : [a, b] → X telles que
— fn (t) −→n→+∞ f (t) dans X pour presque tout t ∈ [a, b] ;
— Il existe une fonction g ∈ L1 ([a, b], R) telle que pour tout n ∈ N, kfn (t)kX ≤
g(t) pour presque tout t ∈ [a; b].
Alors, f est intégrable et
Z
kfn (t) − f (t)kX dt −→ 0,
[a,b]

ce qui implique que


Z Z
fn (t) dt −→ f (t) dt dans X.
[a,b] n→+∞ [a,b]
112 CHAPITRE 6. PROBLÈMES D’ÉVOLUTION PARABOLIQUES

Exercice 6.22. Démontrer le théorème 6.21 en utilisant le Théorème de Conver-


gence Dominée de Lebesgue pour les fonctions à valeurs réelles. On commencera
tout d’abord par montrer que [a, b] 3 t 7→ kf (t)kX est une fonction intégrable sur
[a, b].
Une extension immédiate des notions vues dans cette section permet de définir les
fonctions f : [a, b] × [c, d] → X intégrables sur [a, b] × [c, d] à valeurs dans un espace
de Banach X ainsi que leur intégrale de Bochner. Pour de telles fonctions, il existe
également un théorème de Fubini pour des fonctions intégrables pour l’intégrale de
Bochner, similaire à celui que vous connaissez pour l’intégrale de Lebesgue. Plus
précisément, on a
Théorème 6.23 (Fubini).
Exercice 6.24. Une extension immédiate permet de définir les fonctions f : [a, b] ×
[c, d] → X intégrables sur [a, b] × [c, d] ainsi que leur intégrale de Bochner. Montrer
que le théorème de Fubini est toujours valide dans ce contexte.
Nous terminons cette section par un dernier théorème, très utile, qui s’appelle le
théorème de différentiabilité de Lebesgue.
Théorème 6.25. Soit X un espace de Banach
Démonstration. Commençons par prouver le résultat dans le cas où X = R, i.e.
dans le cas

6.2.2 Espaces dépendant du temps


Dans cette section, nous introduisons plusieurs espaces fonctionnels adaptés à
l’étude des équations d’évolution, et qui seront à la base de la définition des solutions
faibles.
Le contenu de ce chapitre peut être trouvé en détails dans [7, Section 5.9.2 et
Appendice E.5].
L’idée générale est de séparer la variable temporelle en voyant u(t, x) non pas
comme une fonction des deux variables t et x, mais plutôt comme une fonction de
t à valeurs dans un espace de fonctions de la variable x :

u : t 7→ {x 7→ u(t, x)}.

Soit X un espace de Banach et I un intervalle de R. Nous noterons C k (I, X),


k ≥ 0, l’espace des fonctions k fois continuement dérivables sur I à valeurs dans
X. De même on peut définir l’espace Lp (I, X) contenant les fonctions u : I → X
(définies presque partout et mesurables en un sens approprié, voir l’appendice E.5
de [7]) telles que la fonction t 7→ ||u(t)||X appartient à l’espace usuel Lp (I, R) :
Z
||u(t)||pX dt < ∞.
I
6.2. LES ESPACES DE BOCHNER 113

Tous ces espaces sont eux-mêmes des espaces de Banach lorsqu’ils sont munis des
normes associées :
k
X
||u||C k (I,X) = supt∈I u(m) (t) X ,
m=0
Z 1/p
||u||Lp (I,X) = ||u(t)||pX dt , 1 ≤ p < ∞,
I

||u||L∞ (I,X) = supt∈I ||u(t)||X .


De façon similaire, on dit que u ∈ L1loc (I, X) si u ∈ L1 ([a; b], X) pour tout [a; b] ⊂ I,
a, b ∈ R. Notons que si X est un espace de Hilbert, alors L2 (I, X) est aussi un espace
de Hilbert muni du produit scalaire
Z
hu, viL2 (I,X) = hu(t), v(t)iX dt.
I

Nous utiliserons souvent des espaces du type L2 (I, H0p (Ω)) ou L2 (I, H −r (Ω)). Ce
sont tous des espaces de Hilbert.
Si u ∈ Lp (I, H k (Ω)) pour un ouvert régulier Ω ⊂ Rd avec p ≥ 1 et k ≥ 1, alors
on peut évidemment définir ∇u par

∇u : t 7→ {x 7→ ∇x u(t, x)}.

Bien sûr dans ce cas ∇u ∈ Lp (I, (H k−1 (Ω))d ).


Nous aurons besoin dans la suite de définir la notion de dérivée faible temporelle
pour des fonctions appartenant à de tels espaces. Cette notion est donnée dans le
Théorème-Définition 6.26.

Théorème-Définition 6.26 (Dérivée faible temporelle). Soit I un intervalle ouvert


de R, X un espace de Banach. On dit que v ∈ L1loc (I, X) est la dérivée faible de
u ∈ L1loc (I, X) (et on note v = u0 ) si et seulement si
Z Z

∀ϕ ∈ Cc (I, R), ϕ(t)v(t)dt = − ϕ0 (t)u(t)dt dans X. (6.2)
I I

1
ExerciceR6.27. Montrer que R si X est un espace de Hilbert et si w1 , w2 ∈∞Lloc (I, X)
vérifient I w1 (t)ϕ(t) dt = I w2 (t) ϕ(t) dt pour toute fonction ϕ ∈ Cc (I), alors
nécessairement u(t) = w(t) pour presque tout t ∈ I. En déduire que la dérivée
faible de u définie par (6.2) est définie de manière unique.

Le résultat de l’Exercice 6.27 reste valable pour un espace de Banach X général.

Remarque 6.28. La dérivée faible est juste la dérivée au sens des distributions,
mais pour la distribution u à valeurs vectorielles, c’est-à-dire dans l’espace X.
114 CHAPITRE 6. PROBLÈMES D’ÉVOLUTION PARABOLIQUES

Nous avons le lemme suivant, qui se montre de manière analogue que dans le cas
de fonctions à valeurs scalaires.

Lemme 6.29. Soit u ∈ L1loc (I, X) telle que u0 (t) = 0 pour tout t ∈ I. Alors, il existe
u0 ∈ X tel que u(t) = u0 pour presque tout t ∈ I.

Preuve : Soit η ∈ Cc∞ (I) telle que I η = 1 et soit a ∈ I. Pour toute fonction
R

ϕ ∈ Cc∞ (I), on a
ϕ(t) = Aη(t) + ψ 0 (t),
R Rt
où A = I ϕ(t) dt et ψ(t) = a [ϕ(s) − Aη(s)] ds. On a alors
Z Z Z
u(t)ϕ(t) dt = A u(t)η(t) dt + u(t)ψ 0 (t) dt,
I
Z I  ZI Z 
0
= ϕ(t) dt u0 − u (t)ψ(t) dt = u0 ϕ(t) dt ,
I I I

R
où u0 := I Aη(t)u(t) dt. En utilisant des arguments similaires à ceux de l’Exer-
cice 6.27, ceci implique bien que u(t) = u0 pour presque tout t ∈ I. ♦
La dérivée faible possède des propriétés intéressantes qui nous seront utiles par
la suite, que nous donnons dans la Proposition 6.30.

Proposition 6.30. Soit X un espace de Banach. Soit u ∈ L1loc (]a, b[, X) tel que
u0 ∈ L1loc (]a, b[, X). Alors,
Z t
u(t) − u(s) = u0 (τ ) dτ, pour presque tout t, s ∈ I. (6.3)
s

Rt
Preuve : Montrons d’abord qu’il existe u0 ∈ X tel que u(t) − s u0 (τ ) dτ = u0
Rt
pour presque tout t ∈ I. Notons v(t) := s u0 (τ ) dτ pour tout t ∈ I. Montrons tout
d’abord que
v 0 (t) = u0 (t).

Soit ϕ ∈ Cc∞ (I, R) et soit c, d ∈]a, b[ tel que [c, d] ⊂]a, b[ et {s} ∪ Suppϕ ⊂ [c, d].
Z Z Z t 
0 0 0
v (t)ϕ(t) dt = − ϕ (t) u (τ ) dτ dt.
]c,d[ ]a,b[ s

La fonction (t, τ ) ∈ [c, d] × [c, d] 7→ ϕ0 (t)u0 (τ ) est une fonction intégrable sur [c, d] ×
6.2. LES ESPACES DE BOCHNER 115

[c, d]. On peut donc appliquer le théorème de Fubini (voir Exercice 6.24) pour obtenir
Z Z t  Z d Z d  Z s Z τ 
0 0 0 0 0 0
− ϕ (t) u (τ ) dτ dt = − ϕ (t)u (τ ) dt dτ + ϕ (t)u (τ ) dt dτ
]c,d[ s s τ c c
Z d Z s
= ϕ(τ )u0 (τ ) dτ + ϕ(τ )u0 (τ ) dτ
Zs c

= ϕ0 (τ )u0 (τ ) dτ.
[c,d]

Cette dernière égalité prouve bien que u0 (t) = v 0 (t) pour tout t ∈]a, b[. Donc il existe
u0 ∈ X tel que Z t
u(t) = u0 + u0 (τ ) dτ. (6.4)
s
Il nous reste à prouver que u0 = u(s). En utilisant le théorème de convergence do-
minée, on peut montrer aisément que la fonction v est continue (voir Exercice 6.22).
Ceci implique, en utilisant la formule (6.4) que la fonction u est continue. De plus,
toujours en utilisant le théorème de convergence dominée, on montre que v(t) −→ 0,
t→s
ce qui montre que nécessairement u0 = u(s). ♦

Exercice 6.31. Soit X un espace de Banach. Soit u ∈ L1loc (]a, b[, X) tel que u0 ∈
L1loc (]a, b[, X). Montrer que
u(t + h) − u(t)
lim = u0 (t) dans X, pour presque tout t ∈ I, (6.5)
h→0 h

6.2.3 Théorème de Aubin-Lions


S’il n’est pas très difficile de définir ce qu’est une solution faible pour une équation
aux dérivées partielles (linéaire), il n’est en revanche a priori pas du tout évident
de donner un sens précis aux conditions initiales : que peut bien vouloir dire u(t =
0) = u0 si u n’est définie que presque partout en t ?
Voici maintenant un résultat fournissant une meilleure régularité pour u lorsque
l’on sait dans quel espace fontionnel vit u0 , et qui va être crucial dans la suite pour
définir correctement les conditions initiales. Ceci est à comparer avec les injections
de Sobolev usuelles en dimension un.
On considère un espace de Hilbert H séparable que l’on identifie avec son dual,
et un autre espace de Hilbert V tel que V ,→ H (injection continue), avec V dense
dans H. On a donc
V ,→ H = H 0 ,→ V 0 .
L’espace H est alors l’espace pivot dans les inclusions ci-dessus.
Exemple : L’exemple que l’on utilisera le plus dans ce cours est celui où V =
H01 (Ω), H = L2 (Ω) et V 0 = H −1 (Ω).
116 CHAPITRE 6. PROBLÈMES D’ÉVOLUTION PARABOLIQUES

Théorème 6.32 (Théorème de Aubin-Lions). Soient a, b ∈ R. Si u ∈ L2 (]a; b[, V )


est tel que u0 ∈ L2 (]a; b[, V 0 ), alors on a :
1. u ∈ C 0 ([a; b], H) ;
 
2. supt∈[a;b] ||u(t)||H ≤ C ||u||L2 (]a;b[,V ) + ||u0 ||L2 (]a;b[,V 0 ) pour une constante C ne
dépendant pas de u ;
3. Soient u, v ∈ L2 (]a; b[, V ) tels que u0 , v 0 ∈ L2 (]a; b[, V 0 ). Alors la fonction
t 7→ hu(t), v(t)iH est absolument continue et on a

d 0 0
hu(t), v(t)iH = V 0 hu (t), v(t)iV + V 0 hv (t), u(t)iV .
dt
Nous donnerons la preuve uniquement dans le cas où V = H = V 0 . La preuve
dans le cas général est plus longue : nous renvoyons par exemple à [5, Chap. XVIII
§ 1] pour le cas général ou à [7] pour le cas où V = H01 (Ω) et H = L2 (Ω).
Preuve : [Théorème 6.32]
L’idée lorsque V = H est d’utiliser la formule (6.3). D’après la Proposition 6.30,
on a Z t
u(t) − u(s) = u0 (τ ) dτ,
s

pour presque tout s, t ∈]a, b[.


Notons que l’intégrale du terme à droite a un sens puisque u0 ∈ L2 (]a; b[, H)
par hypothèse et que 1[s,t] ∈ L2 (]a; b[). Les points 1. et 2. du théorème sont des
conséquences faciles de la formule 6.3. En effet, on a par l’inégalité de Cauchy-
Schwarz
||u(t) − u(s)||H ≤ |t − s|1/2 ||u0 ||L2 (]a;b[,H)
qui démontre la continuité (en fait t 7→ u(t) est même Hölder). En utilisant l’inégalité
triangulaire et en intégrant par rapport à s, on trouve aussi

(b − a) ||u(t)||H ≤ (b − a)1/2 ||u||L2 (]a;b[,H) + (b − a)3/2 ||u0 ||L2 (]a;b[,H)

donc
sup ||u(t)||H ≤ (b − a)−1/2 ||u||L2 (]a;b[,H) + (b − a)1/2 ||u0 ||L2 (]a;b[,H) .
t∈[a;b]

Remarque 6.33. Si u ∈ L2 (]a; b[, V ), alors on a également u ∈ L2 (]a; b[, V 0 ) car


V ,→ V 0 . L’hypothèse du théorème signifie simplement que u est différentiable dans
V 0 (au sens de la définition 6.26 avec X = V 0 ), et que sa dérivée u0 appartient en
plus à L2 (]a; b[, V 0 ).

Remarque 6.34. Introduisons l’espace fonctionnel (de Banach)

W (]a; b[, V, V 0 ) := {u ∈ L2 (]a; b[, V ) | u0 ∈ L2 (]a; b[, V 0 )}.


6.3. L’ÉQUATION DE LA CHALEUR DANS TOUT L’ESPACE 117

Alors les points 1. et 2. du Théorème 6.32 signifient que l’on a une injection continue

W (]a; b[, V, V 0 ) ,→ C 0 ([a; b], H)

où C 0 ([a; b], H) est muni de la norme uniforme ||·||L∞ ([a;b],H) .


Ceci est très important car cela permet en particulier de donner un sens à u(a)
et u(b) dans H, donc aux conditions aux limites.

Remarque 6.35. En prenant u = v dans 3., on trouve que

1d
||u(t)||2H = V 0 hu
0
(t), u(t)iV .
2 dt
De même on trouve que si v ∈ V , alors t 7→ hu(t), viV est absolument continue et
on a
0 d
V 0 hu (t), viV = hu(t), viH .
dt
Remarque 6.36. Dans la pratique, nous utiliserons souvent le théorème précédent
avec
V = H01 (Ω) ⊂ H = L2 (Ω) ⊂ V 0 = H −1 (Ω)
où Ω est un ouvert borné de Rn (ou Ω = Rn ). Le choix de V = H01 (Ω) correspond
aux conditions au bord de Dirichlet.
On obtient donc que si u ∈ L2 (]0; T [, H01 (Ω)) est tel que u0 ∈ L2 (]0; T [, H −1 (Ω)),
alors u ∈ C 0 ([0; T ], L2 (Ω)), donc u(0) et u(T ) ont un sens dans L2 (Ω).

Nous étudions dans le reste de ce chapitre avec plus de détails l’équation de la


chaleur, qui est l’exemple prototype par excellence d’une équation parabolique.
Nous commencerons par le cas simple de tout l’espace avant de traiter celui d’un
domaine borné. Nous n’aborderons pas le cas d’un domaine non borné différent de
Rn dont l’approche classique est basée sur la théorie des semi-groupes et le théorème
de Hille-Yosida.

6.3 L’équation de la chaleur dans tout l’espace


Commençons par chercher une solution particulière G(t, x) régulière (pour t > 0)
de l’équation de la chaleur

G − ∆G = 0.
∂t
Pour cela, on utilise la tranformée de Fourier définie par
Z
−n/2
f (k) = (2π)
b f (x)e−ik·x dx.
Rn
118 CHAPITRE 6. PROBLÈMES D’ÉVOLUTION PARABOLIQUES

On trouve donc que G


b doit résoudre l’équation suivante

∂ b
G(t, k) + |k|2 G(t,
b k) = 0, (6.6)
∂t
c’est-à-dire
b k) = Ce−t|k|2 .
G(t,

Remarquons que G n’est bien définie que lorsque t > 0. Si t = 0, G b = C donc


G est égal à une constante multipliée par la distribution δ. Si t < 0, G b n’est pas
0
dans S et on ne peut pas définir G. On voit donc apparaı̂tre dès maintenant une
propriété importante de l’équation de la chaleur : la non-réversibilité. La solution
ne sera définie que pour les temps futurs, c’est-à-dire t ≥ 0 si la condition initiale
est donnée en t = 0.
Revenant dans les variables d’espace et choisissant la constante C de façon
adéquate, on obtient une solution de l’équation de la chaleur :
−|x|2
G(t, x) = (4πt)−n/2 e 4t

avec Z
∀t > 0, G(t, x)dx = 1.

Comme on a G(t, ·) → δ quand t → 0 au sens des distributions, on dit que G est la


solution fondamentale de l’équation de la chaleur, c’est-à-dire formellement celle de


(
G − ∆G = 0, t > 0
∂t (6.7)
G(0) = δ.

Remarque 6.37. Une autre façon de trouver la fonction G est de remarquer que si
u(t, x) est une solution de l’équation de la chaleur, alors u(λ2 t, λx) l’est également. Il
est donc naturel de chercher une fonction solution sous la forme u(t, x) = v(|x|2 /t).
On tombe alors sur la même fonction G.

On peut maintenant utiliser la fonction G pour construire une solution de l’équation


de la chaleur avec condition initiale g. En fait on remarque que (6.6) reste vérifiée
si on multiplie G
b par une fonction ne dépendant que de k, ce qui revient à faire une
convolution dans l’espace de départ. On introduit donc pour x ∈ Rn et t > 0
Z Z
−|x−y|2
−n/2
u(t)(x) = (G(t, ·) ∗ g)(x) = G(t, x − y)g(y)dy = (4πt) e 4t g(y)dy.
Rn Rn
(6.8)
1 n p n
Comme G(t, ·) ∈ L (R ) pour tout t > 0, on déduit que si g ∈ L (R ), alors
u(t) ∈ Lp (Rn ) pour tout t > 0.
6.3. L’ÉQUATION DE LA CHALEUR DANS TOUT L’ESPACE 119

Théorème 6.38 (Solution de l’équation de la chaleur dans Rn ). Soit g ∈ L2 (Rn ).


Le problème

(
u − ∆u = 0, t > 0
∂t (6.9)
u(0) = g,
a une solution unique u ∈ C 0 ([0; ∞), L2 (Rn )) ∩ C 1 ((0; ∞), H 2 (Rn )), donnée par la
formule (6.8).
Preuve : Il est clair que la définition (6.8) fournit une solution

u ∈ C 0 ([0; ∞), L2 (Rn )) ∩ C 1 ((0; ∞), H 2 (Rn ))

de l’équation (6.9), le vérifier en exercice.


Si maintenant v ∈ C 0 ([0; ∞), L2 (Rn )) ∩ C 1 ((0; ∞), H 2 (Rn )) résout (6.9) avec
g ≡ 0, on peut prendre le produit scalaire avec la fonction x 7→ v(t, x) ∈ L2 (Rn ) et
on intègre sur [0; t0 ] avec t0 ≤ T . On obtient
Z t0 Z
2 1
||v(t0 , ·)||L2 (Rn ) + dt dx|∇v(t, x)|2 = ||v(0, ·)||2L2 (Rn ) = 0
0 Rn 2
qui démontre l’unicité. ♦

Proposition 6.39. Si g ∈ L2 (Rn ), la solution (6.8) de (6.9) est dans C ∞ ((0; ∞) ×


Rn ).
Preuve : Il s’agit juste de remarquer que G est de classe C ∞ sur (0; ∞) × Rn et
que toutes ses dérivées sont dans C 0 ((0; ∞), L2 (Rn )), puis d’appliquer les résultats
classiques de régularité d’intégrales dépendant d’un paramètre. ♦
Ainsi, bien que nous ayons seulement supposé g ∈ L2 (Rn ), on obtient que la
solution u(t, x) est de classe C ∞ par rapport à x pour tout t > 0. On dit que
l’équation de la chaleur a un effet régularisant.
De même, notons que si g ≥ 0 alors u(t, x) > 0 pour tout x ∈ Rn et t > 0,
puisque G > 0. Même si g s’annule par endroits au temps initial, la solution sera
strictement positive sur tout l’espace quand t > 0. On parle de propagation à vitesse
infinie.
Ces propriétés de l’équation de la chaleur sont très spécifiques aux équations de
type parabolique et ne seront plus vraies pour l’équation des ondes, par exemple.
Démontrer ces propriétés dans le cas d’un ouvert borné nous prendra un peu plus
de temps mais tout restera vrai.
Remarque 6.40. Introduisons l’opérateur agissant sur L2 (Rn ) défini par U (t)g =
G(t, ·) ∗ g. C’est en fait juste l’opérateur de multiplication par G(t,
b k) en Fourier (à
une constante multiplicative près). Il est facile de montrer que c’est un semi-groupe,
c’est-à-dire qu’il vérifie les propriétés suivantes :

U (0) = I, U (t)U (s) = U (t + s)


120 CHAPITRE 6. PROBLÈMES D’ÉVOLUTION PARABOLIQUES

et la solution de l’équation de la chaleur avec condition initiale g s’écrit justement


U (t)g. En fait on a “formellement” (on peut donner un sens mathématique précis)
U (t) = et∆ .

Exercice 6.41 (Principe du maximum). On suppose que g ∈ L2 (Rn ) ∩ L∞ (Rn ).


Montrer que la solution u donnée par (6.8) est dans L∞ ((0; ∞), L∞ (Rn )) et que

sup ||u(t)||L∞ (Rn ) ≤ ||g||L∞ (Rn ) .


t>0

Exercice 6.42 (Comportement asymptotique). Montrer que

∀t > 0, lim u(t, x) = 0,


|x|→∞

∀x ∈ Rn , lim u(t, x) = 0.
t→∞

Exercice 6.43 (Équation de la chaleur dans tout l’espace avec second membre).
Soient g ∈ L2 (Rn ) et f ∈ C 1 ([0; ∞), L2 (Rn )). Montrer que le problème


(
u − ∆u = f, t > 0
∂t (6.10)
u(0) = g,

admet une solution unique u ∈ C 0 ([0; ∞), L2 (Rn )) ∩ C 1 ((0; ∞), L2 (Rn )), donnée par
la formule de Duhamel
Z t
u(t) = U (t)g + U (t − s)f (s) ds. (6.11)
0

6.4 L’équation de la chaleur sur un ouvert borné



Pour étudier l’équation de la chaleur sur un ouvert borné, on ne peut utiliser la
transformée de Fourier comme nous l’avons fait dans tout l’espace.
Considérons un ouvert borné Ω ⊂ Rn et un réel T > 0. On désire résoudre



 u − ∆u = f, dans (0; T ) × Ω
∂t (6.12)
u =0 (conditions au bord de Dirichlet)
 |(0;T )×∂Ω

u(0, x) = g(x).

6.4.1 Théorème d’existence de solutions faibles


On considère g ∈ L2 (Ω) et f ∈ L2 (]0; T [, L2 (Ω)).
6.4. L’ÉQUATION DE LA CHALEUR SUR UN OUVERT BORNÉ Ω 121

Définition 6.44 (Solutions faibles). Soit u ∈ L2 (]0; T [, H01 (Ω)) telle que u0 ∈
L2 (]0; T [, H −1 (Ω)). On dit que u est une solution faible de (6.12) si on a
Z Z
0
(C1) H −1 (Ω) hu , viH 1 (Ω) + ∇u(t) · ∇v = f (t)v pour tout v ∈ H01 (Ω) et presque
0
Ω Ω
partout en t ∈]0; T [.
(C2) u(0) = g.

Rappelons que d’après le Théorème 6.32, on a u ∈ C 0 ([0; T ], L2 (Ω)) qui permet


de donner un sens à (C2). Rappelons aussi que pour tout v ∈ H01 (Ω),

d 0
hu, viL2 (Ω) = H −1 (Ω) hu , viH 1 (Ω) .
dt 0

Dans (C1), la fonction v ne dépend pas du temps.


Le but de cette section est principalement de démontrer le résultat suivant :

Théorème 6.45 (Existence et unicité de solutions faibles). Soit Ω ⊂ Rn un ouvert


régulier. On suppose que g ∈ L2 (Ω) et f ∈ L2 (]0; T [, L2 (Ω)). Alors le problème
(6.12) admet une unique solution faible u. De plus, il existe une constante C > 0
qui ne dépend que de Ω, indépendante de f et g, telle que
 
max ||u(t)||L2 (Ω) +||u||L2 (]0;T [,H 1 (Ω)) +||u0 ||L2 (]0;T [,H −1 (Ω)) ≤ C ||f ||L2 (]0;T [,L2 (Ω)) + ||g||L2 (Ω) .
0≤t≤T 0

(6.13)

Remarque 6.46. L’estimée (6.13) montre que le problème de la chaleur est bien
posé au sens de Hadamard. En effet, soit f1 , f2 ∈ L2 (]0; T [, L2 (Ω)), g1 , g2 ∈ L2 (Ω)
et notons u1 , u2 les solutions de l’équation de la chaleur associées respectivement à
(f1 , g1 ) et (f2 , g2 ). Par linéarité de l’équation de la chaleur, la fonction u1 − u2 est
alors solution de l’équation de la chaleur associée aux données (f1 − f2 , g1 − g2 ).
L’estimée (6.13) montre alors que

max ||u1 (t) − u2 (t)||L2 (Ω) + ||u1 − u2 ||L2 (]0;T [,H 1 (Ω)) + ||u01 − u02 ||L2 (]0;T [,H −1 (Ω))
0≤t≤T 0
 
≤ C ||f1 − f2 ||L2 (]0;T [,L2 (Ω)) + ||g1 − g2 ||L2 (Ω) .

Autrement dit, la solution u de l’équation de la chaleur varie continûment par rapport


aux données de l’équation, à savoir f et g.

Il existe deux méthodes de preuve de ce théorème, que nous allons voir dans ce
cours. La première méthode présentée est appelée méthode par approximation de
Galerkin. Cette méthode est utile car elle est à l’origine de la méthode d’approxi-
mation numérique la plus couramment utilisée pour discrétiser ce type d’équations
paraboliques, à savoir la méthode des éléments finis. La deuxième méthode, dite
122 CHAPITRE 6. PROBLÈMES D’ÉVOLUTION PARABOLIQUES

méthode spectrale, utilise la décomposition de la solution sur les fonctions propres


de l’opérateur Laplacien. Cette dernière permet de prouver très facilement des pro-
priétés qualitatives fines sur le comportement de la solution, qui ne pourraient pas
être facilement accessibles via une méthode d’approximation de Galerkin.
C’est pour cette raison, nous vous présentons ces deux approches dans le détail
dans le cadre de ce cours.
Preuve :
Dans cette méthode, on va chercher à approcher une solution faible par des
solutions de problèmes approchés définis dans des espaces de dimension finie (ap-
proximations de Galerkin).

Étape 1 : Approximations de Galerkin.


Considérons une famille de fonctions (wk )k≥1 ⊂ H01 (Ω), telle que
— (wk )k≥1 est une base orthogonale de H01 (Ω) ;
— (wk )k≥1 est une base orthonormée de L2 (Ω).
Par exemple, on peut prendre les fonctions propres du Laplacien avec conditions de
Dirichlet au bord de Ω, qui vérifient −∆wk = λk wk où SpH01 (Ω) (−∆) = {λk }. Voir le
théorème 3.3.
On pose alors
Vm := Vect(w1 , ..., wm )
et on cherche une solution um ∈ C 0 ([0; T ], Vm ) faible dans Vm , c’est-à-dire vérifiant
Z
0
(i)m hum (t), wk iL2 + ∇um (t) · ∇wk = hf (t), wk iL2 pour tout k = 1...m et presque

partout en t ∈ [0; T ] ;
(ii)m hum (0), wk iL2 (Ω) = hg, wk iL2 (Ω) pour tout k = 1...m.
Si on écrit
m
X
um (t, x) = dm
k (t)wk (x),
k=1

alors (i)m et (ii)m équivalent à


d m 2
(i)0m dk (t) + dm
k (t) ||∇wk ||L2 (Ω) = hf (t), wk iL2 (Ω) , ∀k = 1...m, p.p. t ∈ [0; T ] ;
dt
0
(ii)m dmk (0) = hg, wk iL2 (Ω) , ∀k = 1...m.

Il s’agit d’un système (diagonal) d’équations différentielles ordinaires, dont on


admettra qu’il admet une unique solution absolument continue (dm m
k (t))k=1 , définie
sur tout [0; T ]. La preuve découle d’une extension du théorème de Cauchy-Lipschitz
que vous connaissez.

Exercice 6.47. Prouver ce résultat dans le cas où f ∈ C 1 ([0, T ]; L2 (Ω)).


6.4. L’ÉQUATION DE LA CHALEUR SUR UN OUVERT BORNÉ Ω 123

Étape 2 : estimées d’énergie.


On désire maintenant passer à la limite quand m → ∞. Pour cela, nous com-
mençons par démontrer le lemme suivant.
Lemme 6.48 (Estimées d’énergie). Il existe une constante C qui ne dépend que de
Ω et T > 0 telle que pour tout m ≥ 1,

max ||um (t)||L2 (Ω) + ||um ||L2 (]0;T [,H 1 (Ω)) + ||u0m ||L2 (]0;T [,H −1 (Ω))
0≤t≤T 0
 
≤ C ||f ||L2 (]0;T [,L2 (Ω)) + ||g||L2 (Ω) . (6.14)

Remarque 6.49. Il est clair que les solutions dépendent linéairement de g et f :


si um,1 et um,2 sont des solutions faibles associées aux problèmes avec respective-
ment (f1 , g1 ) et (f2 , g2 ), alors um,1 + um,2 est solution du problème associé au couple
(f1 + f2 , g1 + g2 ). On parle de principe de superposition. Une fois que nous aurons
démontré l’unicité de la solution, on obtient donc une application linéaire qui à tout
(f, g) associe la solution um . Alors la formule (6.22) signifie que cette application
linéaire est continue dans les bons espaces fonctionnels.
Preuve : (du Lemme 6.48). Par linéarité, on peut prendre w = um dans (i)m . On
obtient : Z
0
hum , um iL2 + |∇um (t)|2 = hf (t), um (t)iL2 . (6.15)

On a
1 2 2

hf (t), um (t)iL2 ≤ ||f (t)||L2 (Ω) + ||um (t)||L2 (Ω)
2
donc,
Z
1 
hu0m , um iL2 + |∇um (t)|2 ≤ ||f (t)||2L2 (Ω) + ||um (t)||2L2 (Ω) . (6.16)
Ω 2
En posant η(t) = ||um (t)||2L2 (Ω) , on obtient
1 1
η 0 (t) ≤ η(t) + ||f (t)||2L2 (Ω) .
2 2
D’après le lemme de Gronwall, on déduit
1 t
 Z 
2 t/2 2 2
||um (t)||L2 (Ω) ≤ e ||g||L2 (Ω) + ||f (s)||L2 (Ω) ds
2 0
 
T /2 2 1 2
≤ e ||g||L2 (Ω) + ||f ||L2 (]0;T [,L2 (Ω)) .
2
Ceci fournit bien l’estimée sur max0≤t≤T ||um (t)||L2 (Ω) . Intégrons maintenant l’inégalité
(6.24) sur [0; T ]. Nous obtenons
1
||um (T )||2L2 (Ω) +||um ||2L2 (]0;T [,H 1 (Ω)) ≤ ||g||2L2 (Ω) + ||f ||2L2 (]0;T [,L2 (Ω)) +T max ||um (t)||L2 (Ω) .
0 2 0≤t≤T
124 CHAPITRE 6. PROBLÈMES D’ÉVOLUTION PARABOLIQUES

On déduit alors l’estimée sur ||um ||L2 (]0;T [,H 1 (Ω)) en utilisant ce que nous avons déjà
0
démontré pour majorer le dernier terme ci-dessus.
On estime maintenant ||u0m ||L2 (]0;T [,H −1 (Ω)) par dualité. On considère une fonction
fixée v ∈ H01 (Ω), telle que ||v||H 1 (Ω) ≤ 1. On peut alors écrire v = v 1 +v 2 avec v 1 ∈ Vm
0
et v 2 ∈ Vm⊥ = Vect(wk , k ≥ m + 1). Bien sûr ||v 1 ||H 1 (Ω) ≤ 1. On a alors
0

0
H −1 (Ω) hum , viH 1 (Ω) = L2 (Ω) u0m , v 1 L2 (Ω)
0
Z
1
= f (t), v L2
− ∇um (t) · ∇v 1 .

Ceci démontre que

||u0m ||H −1 (Ω) ≤ ||f (t)||L2 (Ω) + ||∇um ||L2 (Ω) .

On obtient alors l’estimée voulue en passant au carré, en intégrant sur [0; T ] et en


utilisant les résultats précédents. ♦

Étape 3 : existence.
Nous pouvons maintenant démontrer l’existence d’au moins une solution en pas-
sant à la limite faible.
Comme um et u0m sont des suites bornées, respectivement dans les espaces de Hil-
bert L2 (]0; T [, H01 (Ω)) et L2 (]0; T [, H −1 (Ω)), on peut extraire des sous-suites uϕ(m) et
u0ϕ(m) telles que uϕ(m) * u dans L2 (]0; T [, H01 (Ω)) et u0ϕ(m) * v dans L2 (]0; T [, H −1 (Ω)).
Il est facile de voir que v = u0 , donc que u ∈ C 0 ([0; T ], L2 (Ω)).
Soit maintenant une fonction test de la forme
M
X
v(t) = dk (t)wk , (6.17)
k=1

avec dk (t) des fonctions régulières de t. Comme v(t) ∈ Vm pour tout m ≥ M et tout
t ∈ [0; T ], on a d’après (6.23)
Z T Z T Z Z T
hu0m (t), v(t)iL2 dt + ∇um (t) · ∇v(t)dt = hf (t), v(t)iL2 dt.
0 0 Ω 0

Par convergence faible pour la sous-suite uϕ(m) , on a donc


Z T Z T Z Z T
0
hu (t), v(t)iL2 dt + ∇u(t) · ∇v(t)dt = hf (t), v(t)iL2 dt
0 0 Ω 0

pour tout v(t) de la forme (6.17) ci-dessus, donc pour tout v ∈ L2 (]0; T [, H01 (Ω)) par
densité. Ainsi, u est une solution faible de l’équation.
6.4. L’ÉQUATION DE LA CHALEUR SUR UN OUVERT BORNÉ Ω 125

Il reste à vérifier que u(0) = g. Soit pour cela une fonction v de la forme (6.17)
qui est régulière et satisfait de plus v(T ) ≡ 0. En intégrant l’égalité ci-dessus par
parties, on obtient
Z T Z TZ Z T
0
− hu(t), v (t)iL2 dt + ∇u(t) · ∇v(t)dt = hf (t), v(t)iL2 dt + hu(0), v(0)i.
0 0 Ω 0

En intégrant par parties l’équation pour um , on trouve de même :


Z T Z TZ Z T
0
− hum (t), v (t)iL2 dt + ∇um (t) · ∇v(t)dt = hf (t), v(t)iL2 dt + hg, v(0)i.
0 0 Ω 0

Par passage à la limite faible, on trouve donc

hu(0), v(0)i = hg, v(0)i,

c’est-à-dire u(0) = g puisque v(0) était quelconque.



Preuve : [Preuve 2 : Décomposition sur les fonctions propres du Laplacien] On
utilise la méthode de décomposition sur les fonctions propres du Laplacien.

Étape 1 : forme de la solution.


Soit u ∈ L2 (]0; T [, H01 (Ω)) telle que u0 ∈ L2 (]0; T [, H −1 (Ω)), une solution faible
de (6.12). D’après le Théorème 6.32, on a u ∈ C 0 ([0; T ], L2 (Ω)).
Considérons maintenant la famille (wk )k≥1 ⊂ H01 (Ω) des fonctions propres du
Laplacien avec conditions de Dirichlet au bord de Ω :

−∆wk = λk wk

où les λk sont les valeurs propres du Laplacien de Dirichlet, voir le Théorème
3.3. Rappelons que l’on a hwk , w` i = δk` et h∇wk , ∇w` i = λk δk` . Comme u ∈
C 0 ([0; T ], L2 (Ω)), on peut écrire pour tout t
X
u(t) = αk (t)wk
k≥1

où chaque αk (t) = hu(t), wk iL2 (Ω) est une fonction absolument continue sur [0; T ]
d’après le Théorème 6.32. En choisissant v = wk dans (C1), on obtient que chaque
αk est une solution du problème
 0
αk (t) + λk αk (t) = βk (t) dans ]0; T [
αk (0) = αk0

où
βk (t) = hf (t), wk i, αk0 = hg, wk i.
126 CHAPITRE 6. PROBLÈMES D’ÉVOLUTION PARABOLIQUES

Il s’agit pour chaque k d’une équation différentielle ordinaire dont l’unique solution
est Z t
0 −λk t
αk (t) = αk e + βk (s)e−λk (t−s) ds, t > 0.
0
Ainsi, on trouve que u doit vérifier
X Z tX
−λk t
u(t) = e hg, wk iwk + e−λk (t−s) hf (s), wk iwk (6.18)
k≥1 0 k≥1

si cette formule a un sens. L’unicité est donc automatique si nous pouvons montrer
que cette formule a un sens dans les espaces fonctionnels adaptés. Introduisons
l’opérateur X
U (t) = e−λk t |wk ihwk | (6.19)
k≥1

où la notation |wk ihwk | désigne le projecteur orthogonal dans L2 (Ω) sur Vect(wk ).
Comme −∆ ≥ 0, on obtient que λk ≥ 0 pour tout k, donc que pour chaque t > 0
U (t) définit un opérateur auto-adjoint borné tel que
0 ≤ U (t) ≤ 1. (6.20)
La formule (6.18) s’écrit alors
Z t
u(t) = U (t)g + U (t − s)f (s) ds, (6.21)
0

expression à rapprocher de (6.11). Si nous pouvons montrer que cette formule fournit
bien une fonction u ∈ L2 (]0; T [, H01 (Ω)) telle que u0 ∈ L2 (]0; T [, H −1 (Ω)), nous
aurons démontré à la fois l’existence et l’unicité.

Étape 2 : propriétés du propagateur U (t).


Nous démontrons ici certaines propriétés utiles de l’opérateur U (t). Nous no-
terons B(X, Y ) l’espace de Banach des opérateurs auto-adjoints bornés entre les
espaces de Hilbert X et Y , muni de la norme usuelle
||U ||X→Y = sup ||U x||Y .
x∈X, ||x||X =1

Remarquons que
U ∈ L∞ ([0; T ], B(L2 (Ω), L2 (Ω)))
d’après (6.20).
Prouvons maintenant le
Lemme 6.50. On a
U ∈ B(L2 (Ω), L2 ([0, T [; H01 (Ω)))
et
U 0 ∈ B(L2 (Ω), L2 (]0, T [, H −1 (Ω))).
6.4. L’ÉQUATION DE LA CHALEUR SUR UN OUVERT BORNÉ Ω 127

Preuve : Commençons par estimer ||U (t)||L2 (Ω)→H 1 (Ω) . Pour cela, nous prenons une
0
fonction ψ ∈ L2 (Ω) et calculons
||U (t)ψ||2H 1 (Ω) = ||∇U (t)ψ||2L2 (Ω)
0
X
= e−2tλk λk hwk , ψi2
k≥1

d’après la formule de Parseval. Ainsi en utilisant le théorème de Fubini pour les


fonctions positives, on a
Z X
2
||U (t)ψ||L2 (]0,T [,H 1 (Ω) = e−2tλk λk hwk , ψi2
0
]0,T [ k≥1
XZ
= e−2tλk λk dthwk , ψi2
k≥1 ]0,T [
X1
1 − e−T λk hwk , ψi2

=
k≥1
2
1 X
≤ 1 − e−T λ1 hwk , ψi2
2 k≥1
1
1 − e−T λ1 kψk2L2 (Ω) .

=
2
On a donc bien que U ∈ B(L2 (Ω); L2 (]0; T [, H01 (Ω))).
Ensuite, on remarque que
X
U 0 (t) = λk e−λk t |wk ihwk | = (−∆)U (t) = U (t)(−∆).
k≥1

On a donc pour tout (ϕ, ψ) ∈ L2 (Ω) × H01 (Ω), et pour presque tout t ∈]0, T [,
0
H −1 (Ω) hU (t)ϕ, ψiH 1 (Ω) = H −1 (Ω) h(−∆)U (t)ϕ, ψiH 1 (Ω)
0 0

= L2 (Ω) h∇U (t)ϕ, ∇ψiL2 (Ω)


≤ ||ψ||H 1 (Ω) ||U (t)ϕ||H 1 (Ω) .
0 0

Ainsi,
||U 0 (t)ϕ||H −1 (Ω) ≤ ||U (t)ϕ||H 1 (Ω)
0

et
||U 0 (t)ϕ||L2 (]0,T [,H −1 (Ω)) ≤ ||U (t)ϕ||L2 (]0,T [,H 1 (Ω)) ||U (t)||L2 (Ω)→L2 (]0,T [,H 1 (Ω)) ||ϕ||L2 (Ω) .
0 0

En conséquence, on obtient que


||U 0 (t)||L2 (Ω)→L2 (]0,T [,H −1 (Ω)) ≤ ||U (t)||L2 (Ω)→L2 (]0,T [,H 1 (Ω)) .
0


128 CHAPITRE 6. PROBLÈMES D’ÉVOLUTION PARABOLIQUES

Étape 3 : conclusion.
Montrons maintenant que (6.21) fournit bien une fonction de L2 (]0; T [, H01 (Ω))
telle que u0 ∈ L2 (]0; T [, H −1 (Ω)) en utilisant le Lemme 6.50. Posons
Z t
u1 (t) = U (t)g et u2 (t) = U (t − s)f (s) ds.
0

D’après le Lemme 6.50, on a d’abord que u1 (t) ∈ L2 (]0, T [, H01 (Ω)). De plus, comme
u01 (t) = U 0 (t)g, on a, toujours d’après le Lemme 6.50, que u01 ∈ L2 (]0, T [, H −1 (Ω).
On a aussi
Z
2
||u2 (t)||L2 (]0,T [,H 1 (Ω)) = ku2 (t)k2H 1 (Ω) dt,
0 0
]0,T [
Z Z t
= k U (t − s)f (s) dsk2H 1 (Ω) dt,
0
]0,T [ 0
Z Z t
≤ kU (t − s)f (s)k2H 1 (Ω) dst dt,
0
]0,T [ 0
Z Z t
≤T kU (t − s)f (s)k2H 1 (Ω) dst dt,
0
]0,T [ 0
Z Z t
=T kU (t − s)f (s)k2H 1 (Ω) dt ds,
0
]0,T [ 0
Z Z t
=T kU (t0 )f (s)k2H 1 (Ω) dt0 ds,
0
]0,T [ 0
Z Z 
0 0
=T kU (t )f (s)k2H 1 (Ω) dt ds,
0
]0,T [ ]0,T [
Z
=T kU (·)f (s)k2L2 (]0,T [,H 1 (Ω)) dt0 ds,
0
]0,T [
Z
≤T kU k2L2 (Ω)→L2 (]0,T [,H 1 (Ω)) kf (s)k2L2 (Ω) ds,
0
]0,T [

= T kU k2L2 (Ω)→L2 (]0,T [,H 1 (Ω)) kf k2L2 (]0,T [,L2 (Ω)) .


0

Ceci montre bien que u2 ∈ L2 (]0, T [, H01 (Ω)).


Finalement, on a
Z t
0
u2 (t) = f (t) + U 0 (t − s)f (s) ds.
0

Or f ∈ L2 (]0; T [, L2 (Ω)) ⊂ L2 (]0; T [, H −1 (Ω)) et le second terme est traité comme


ci-dessus et on obtient bien que u02 ∈ L2 (]0, T [, H −1 (Ω)).
6.4. L’ÉQUATION DE LA CHALEUR SUR UN OUVERT BORNÉ Ω 129

Ainsi on obtient en particulier que u appartient à C 0 ([0; T ], L2 (Ω)). Notons que


u satisfait par construction la formulation faible (i) pour v = wk pour tout k ≥ 1,
donc pour tout v ∈ H01 (Ω). Il faut encore vérifier que l’on a bien

lim ||u(t) − g||L2 (Ω) = 0.


t→0

Notons d’abord que


Z t Z t
U (t − s)f (s) ds ≤ ||U (t − s)||L2 (Ω)→L2 (Ω) ||f (s)||L2 (Ω)
0 L2 (Ω) 0

≤ t ||f ||L2 (]0;T [,L2 (Ω))

où nous avons utilisé que ||U (t)||L2 (Ω)→L2 (Ω) ≤ 1 et l’inégalité de Cauchy-Schwarz.
Ceci démontre que le dernier terme de (6.21) tend vers 0 dans L2 (Ω) quand t → 0.
Ainsi, nous devons juste prouver le
Lemme 6.51. Soit g ∈ L2 (Ω). Alors on a

lim ||U (t)g − g||L2 (Ω) = 0.


t→0

Preuve : On a, comme (wk )k≥1 est une base orthonormée de L2 (Ω),


X
U (t)g − g = (e−λk t − 1)hg, wk iwk
k≥1

donc X
||U (t)g − g||2L2 (Ω) = (e−λk t − 1)2 hg, wk i2
k≥1

qui tend vers 0 par convergence dominée (ou en coupant la série en deux). ♦
Ceci termine la preuve du Théorème 6.45. ♦

Remarque 6.52. Si f ∈ L2 (]0; T [, L2 (Ω)) pour tout T > 0, alors on obtient une
unique solution définie pour tout t > 0, mais les estimées sur cette solution dépendent
du temps final considéré.
Voici maintenant un résultat fournissant la régularité par rapport aux conditions
initiales :
Théorème 6.53 (Régularité par rapport aux conditions initiales). Il existe une
constante C (dépendant de T et Ω) telle que pour tous g ∈ L2 (Ω) et f ∈ L2 (]0; T [, L2 (Ω)),
l’unique solution u de (6.12) vérifie :

max ||u(t)||L2 (Ω) + ||u||L2 (]0;T [,H 1 (Ω)) + ||u0 ||L2 (]0;T [,H −1 (Ω))
0≤t≤T 0
 
≤ C ||f ||L2 (]0;T [,L2 (Ω)) + ||g||L2 (Ω) . (6.22)
130 CHAPITRE 6. PROBLÈMES D’ÉVOLUTION PARABOLIQUES

Preuve : On peut prendre v = u dans la formulation faible (C1). On obtient, pour


presque tout t > 0,
Z
0
H −1 (Ω) hu , uiH 1 (Ω) + |∇u(t)|2 = hf (t), u(t)iL2 (Ω) . (6.23)
0

On a
1 2 2

hf (t), u(t)iL2 (Ω) ≤ ||f (t)||L2 (Ω) + ||u(t)||L2 (Ω)
2
donc,
Z
1 
H −1 (Ω)
0
hu , uiH 1 (Ω) + |∇u(t)|2 ≤ ||f (t)||2L2 (Ω) + ||u(t)||2L2 (Ω) . (6.24)
0
Ω 2

En posant η(t) = ||u(t)||2L2 (Ω) et en utilisant le Théorème 6.32, on obtient

η 0 (t) ≤ η(t) + ||f (t)||2L2 (Ω) .

D’après le lemme de Gronwall, on déduit


 Z t 
2 t 2 2
||u(t)||L2 (Ω) ≤ e ||g||L2 (Ω) + ||f (s)||L2 (Ω) ds
0

donc  
max ||u(t)||L2 (Ω) ≤ eT ||g||2L2 (Ω) + ||f ||2L2 (]0;T [,L2 (Ω)) .
0≤t≤T

D’après l’inégalité (6.24), on a aussi, en intégrant sur [0; T ],


1 1 T
||u||2L2 (]0;T [,H 1 (Ω)) ≤ ||g||2L2 (Ω) + ||f ||2L2 (]0;T [,L2 (Ω)) + max ||u(t)||2L2 (Ω) .
0 2 2 2 0≤t≤T
On déduit alors l’estimée sur ||u||L2 (]0;T [,H 1 (Ω)) en utilisant ce que nous avons déjà
0
démontré pour majorer le dernier terme ci-dessus.
On estime maintenant ||u0 ||L2 (]0;T [,H −1 (Ω)) par dualité. Soit une fonction fixée v ∈
H01 (Ω), telle que ||v||H 1 (Ω) ≤ 1. On a alors par définition des solutions faibles
0

Z
0
H −1 (Ω) hu , viH 1 (Ω) = hf (t), viL2 − ∇u(t) · ∇v. (6.25)
0

Ceci démontre que

||u0 (t)||H −1 (Ω) ≤ ||f (t)||L2 (Ω) + ||∇u(t)||L2 (Ω) .

On obtient alors l’estimée voulue en passant au carré, en intégrant sur [0; T ] et en


utilisant les résultats précédents. ♦

Exercice 6.54. (Un théorème général)


6.4. L’ÉQUATION DE LA CHALEUR SUR UN OUVERT BORNÉ Ω 131

1. En s’inspirant de l’une des deux démonstrations du Théorème 6.45, démontrer


le résultat général suivant :
Théorème 6.55. Soient H et V deux espaces de Hilbert tels que V ,→ H
avec injection compacte et V est dense dans H. Soit a(·, ·) une forme bi-
linéaire symétrique continue et coercive dans V . Soit un temps final T > 0,
une condition initiale g ∈ H et un terme source f ∈ L2 (]0; T [, H). Il existe
une unique solution faible u ∈ L2 (]0; T [, V ) telle que u0 ∈ L2 (]0; T [, V 0 ) au
problème
 d
dt
hu(t), viH + a(u(t), v) = hf (t), viH ∀v ∈ V, t ∈]0; T [
u(0) = g.
De plus il existe une constante C telle que
||u||L2 (]0;T [,V ) + ||u||C 0 ([0;T ],H) ≤ C(||f ||L2 (]0;T [,H) + ||g||H ).

2. (Équation de la chaleur en milieu inhomogène). Soit Ω ⊂ Rn un ouvert


borné régulier et A une fonction définie sur Ω à valeurs dans les matrices
symétriques réelles définies positives de taille n, telle que
αIn ≤ A(x) ≤ βIn
p.p. x ∈ Ω, où α, β > 0 et In est l’identité de Rn . En déduire l’existence d’une
unique solution faible au problème
 ∂
 ∂t u(t, x) − div(A(x)∇u(t, x)) = f, (t, x) ∈]0; T [×Ω,
u(t, x) = 0, (t, x) ∈]0; T [×∂Ω
u(0, x) = g(x),

où g ∈ L2 (Ω) et f ∈ L2 (]0; T [, L2 (Ω)).


Exercice 6.56. Soit u l’unique solution faible de (6.12). On suppose f ∈ L2 ((0, T )×
Ω) et g ∈ H01 (Ω). Montrer alors que solution u ∈ L∞ ((0, T ), H01 (Ω))∩H 1 ((0, T ), L2 (Ω))
et satisfait l’estimée d’énergie : ∀t ∈ [0, T ],
Z Z tZ Z Z T
2 2 2
|∇u| (t) + |∂t u| ≤ |∇g| + kf k2L2 (Ω) .
Ω 0 Ω Ω 0

En déduire que u ∈ L2 ((0, T ), H 2 (Ω)).

6.4.2 Propriétés qualitatives des solutions faibles


Théorème 6.57 (Comportement asymptotique). Soit Ω un ouvert borné régulier,
g ∈ L2 (Ω) et u ∈ C 0 ([0; T ], L2 (Ω)) l’unique solution faible obtenue avec le Théorème
6.45, avec f ≡ 0. Alors on a :
lim ||u(t)||L2 (Ω) = 0.
t→+∞
132 CHAPITRE 6. PROBLÈMES D’ÉVOLUTION PARABOLIQUES

Preuve : D’après l’inégalité de Poincaré (cf. la Proposition 1.24 et l’Exercice 3.7),


on sait que la première valeur propre du Laplacien sur Ω avec conditions de Dirichlet
est strictement positive. On a donc −∆ ≥  > 0 au sens des formes quadratiques, ce
qui signifie aussi que λk ≥  > 0 où les λk sont les valeurs propres introduites dans
la preuve du Théorème 6.45. Ceci démontre en particulier que 0 ≤ U (t) ≤ e−t et
donc que
||U (t)||L2 (Ω)→L2 (Ω) ≤ e−t .
Or si f ≡ 0, on a u(t) = U (t)g d’après (6.21), donc

||u(t)||L2 (Ω) ≤ e−t ||g||L2 (Ω) →t→+∞ 0.

Exercice 6.58. Montrer que si f ∈ L2 (Ω) ne dépend pas du temps, l’unique solution
faible obtenue par le Théorème 6.45 vérifie

lim ||u(t) − v||L2 (Ω) = 0


t→+∞

où v est l’unique solution de l’équation de Laplace

−∆v = f

dans H01 (Ω).

Examinons maintenant la régularité de la solution lorsque les données initiales


sont plus ou moins régulières.

Théorème 6.59 (Effet régularisant avec f ≡ 0). On suppose que Ω est un ouvert
borné de Rn , de classe C ∞ . Soit g ∈ L2 (Ω) une condition initiale et u l’unique
solution faible obtenue par le Théorème 6.45. Alors pour tout 0 <  < T , on a

u ∈ C ∞ ([; T ] × Ω).

Preuve : La preuve est plus difficile que dans le cas de l’espace tout entier et nous
ne donnons que les idées générales. Fixons 0 <  < T . Nous voulons montrer que
(t, x) 7→ (U (t)g)(x) est une fonction régulière par rapport au couple (t, x) lorsque
g ∈ L2 (Ω). L’idée est de prouver que pour tous ` ≥ 0 et m ≥ 0, il existe une
constante C`,m telle que

∂t` (−∆)m U (t)g L2 (];T [,L2 (Ω))


≤ C`,m ||g||L2 (Ω) . (6.26)

Ceci signifie par régularité elliptique que

u = U (t)g ∈ H r (]; T [×Ω)


6.4. L’ÉQUATION DE LA CHALEUR SUR UN OUVERT BORNÉ Ω 133

pour tout r ≥ 0. D’après les injections de Sobolev, on obtient bien que u ∈


C ∞ ([; T ] × Ω).
Pour démontrer (6.26), on peut par densité prendre g ∈ Vect(w1 , ..., wm ) et se
rendre compte suivant un argument précédent que

∂t` (−∆)m U (t)g L2 (Ω) ≤ sup λ`+m e−λk t ||g||L2 (Ω) .



k
k≥1

On obtient bien (6.26) avec

C`,m := (T − )1/2 sup x`+m e−x .


x>0

Obtenir la régularité jusqu’à t = 0 ou avec un terme source f 6= 0 est plus


difficile. Schématiquement, on peut démontrer

g f u
2m+1 dk dk
H (Ω) dtk
f ∈ L (]0; T [, H 2m−2k (Ω))
2
dtk
u ∈ L (]0; T [, H 2m+2−2k (Ω))
2

k = 0, ..., m k = 0, ..., m + 1

mais il faut ajouter des conditions de compatibilité. Par exemple la dérivée u0 vérifie
aussi l’équation de la chaleur mais avec condition initiale u0 (0) = ∆g + f (0, ·). Pour
pouvoir utiliser les résultats précédents, il faut donc que cette fonction soit au moins
dans L2 (Ω), ce qui impose des conditions sur f et g. Voir par exemple [7] pour plus
de détails.
Nous nous contenterons du résultat partiel suivant :

Théorème 6.60 (Régularité). On suppose que Ω est un ouvert de bord C ∞ et que


g ∈ C0∞ (Ω), f ∈ C ∞ ([0; T ], C0∞ (Ω)). Alors

u ∈ C ∞ ([0; T ] × Ω).

Preuve : Comme précédemment, on démontre que ∂t` (−∆)m u ∈ L2 (]0; T [×Ω)


pour tous `, m ≥ 0. On utilise la propriété fondamentale vue plus haut

U 0 (t) = (−∆)U (t) = U (t)(−∆).

Ainsi Z t
m m
(−∆) u = U (t)(−∆) g + U (t − s)(−∆)m f (s)ds.
0

Or (−∆) g ∈ L (Ω) et (−∆) f ∈ L (]0; T [, L2 (Ω)) par hypothèse. Donc toute


m 2 m 2

l’étude précédente implique que

(−∆)m u ∈ L2 (]0; T [, H01 (Ω)) ∩ C 0 ([0; T ], L2 (Ω)), ∂t (−∆)m u ∈ L2 (]0; T [, H −1 (Ω))


134 CHAPITRE 6. PROBLÈMES D’ÉVOLUTION PARABOLIQUES

pour tout m ≥ 1. Rappelons que ∂t u = ∆u + f donc

∂t (−∆)m−1 u = −(−∆)m u + (−∆)m−1 f

au moins au sens des distributions. Or (−∆)m u ∈ C 0 ([0; T ]; L2 (Ω)) et bien sûr


(−∆)m−1 f ∈ C 0 ([0; T ]; L2 (Ω)) donc finalement

∂t (−∆)m−1 u ∈ C 0 ([0; T ]; L2 (Ω))

pour tout m ≥ 1.
Ensuite on a

∂t2 (−∆)m−1 u = −∂t (−∆)m u + ∂t (−∆)m−1 f

au moins au sens des distributions, donc

∂t2 (−∆)m−1 u ∈ C 0 ([0; T ], L2 (Ω)).

La démonstration suit en itérant l’argument précédent. ♦

Théorème 6.61 (Principe du maximum faible). Soient Ω un ouvert borné de Rn ,


T > 0, g ∈ L2 (Ω), f ∈ L2 (]0; T [, L2 (Ω)), et u l’unique solution faible obtenue grâce
au Théorème 6.45. Si f ≥ 0 presque partout dans [0; T ] × Ω et g ≥ 0 presque partout
dans Ω, alors u ≥ 0 presque partout dans [0; T ] × Ω.
Preuve : Nous commençons par démontrer ce résultat en supposant que f et
g sont respectivement dans C ∞ ([0; T ], C0∞ (Ω)) et C0∞ (Ω) et que f (t) > 0 sur Ω.
D’après le théorème précédent, u est très régulière (en fait on a seulement besoin
que u soit de classe C 2 par rapport à (t, x)).
Soit (t0 , x0 ) ∈ [0; T ]×Ω un point où u atteint son minimum. Si t0 = 0 ou x0 ∈ ∂Ω,
on a clairement u(t0 , x0 ) = 0 par positivité de g et la condition de Dirichlet au bord.
On peut donc supposer que x0 ∈ Ω et t0 ∈]0; T ]. Supposons pour commencer que
t0 < T . Alors comme le minimum de u est atteint dans l’ouvert ]0; T [×Ω, on a

∂t u(t0 , x0 ) = 0 et ∇u(t0 , x0 ) = 0.

Comme il s’agit d’un minimum, la Hessienne de u est nécessairement positive en


(t0 , x0 ), donc on obtient

−∆u(t0 , x0 ) = −tr (Hess(u)(t0 , x0 )) ≤ 0.

Or d’après l’équation,
−∆u(t0 , x0 ) = f (t0 , x0 ) > 0
donc c’est absurde.
Si maintenant le minimum est atteint en (T, x0 ), on a seulement

u(T, x0 ) ≤ 0
∂t
6.4. L’ÉQUATION DE LA CHALEUR SUR UN OUVERT BORNÉ Ω 135

mais on a toujours
−∆u(t0 , x0 ) = −tr (Hess(u)(t0 , x0 )) ≤ 0
car x 7→ u(T, x) admet un minimum local en x0 dans l’ouvert Ω. L’équation donne
alors

0 < f (T, x0 ) = u(T, x0 ) − ∆u(T, x0 ) ≤ 0
∂t
qui est aussi absurde. Nous avons prouvé que soit t0 = 0, soit x0 ∈ ∂Ω. On a donc
bien min[0;T ]×Ω u(t, x) = 0.
Nous venons donc de démontrer que si f et g sont des fonctions régulières stricte-
ment positives sur Ω, alors u ≥ 0. Le cas général s’obtient par densité des fonctions
régulières positives dans L2 (Ω) et L2 (]0; T [, L2 (Ω)), et en utilisant la continuité de
u par rapport aux données f et g, prouvée au Théorème 6.53. ♦

Remarque 6.62. Dans le cas où g ∈ H 1/2 (Ω), il existe une autre preuve de ce
résultat qu’il est utile de connaı̂tre, et dont on donne ici les grandes idées sans
rentrer dans les détails. On prend v = u− dans la formulation variationnelle (C1)
et on obtient donc (on admet que l’on peut prendre v = u− comme fonction test,
même si u− , qui est bien une fonction de H01 (Ω) pour presque tout temps, dépend
du temps)
Z Z Z
∂u − −
u + ∇u · ∇u = f u− .
Ω ∂t Ω Ω

On en déduit :
Z Z
1d − 2
|u | + |∇u− |2 ≤ 0,
2 dt Ω Ω

|u−
R 2
et donc, comme Ω 0 | = 0, pour tout t ≥ 0,
Z Z tZ
1 − 2
|u | + |∇u− |2 ≤ 0.
2 Ω 0 Ω

Ceci permet de conclure que u− = 0 et donc u ≥ 0 presque partout.


Pour être tout à fait rigoureux et justifier l’égalité Ω ∂t u− = 12 dtd Ω |u− |2 , on
R ∂u R

peut utiliser la méthode des troncatures de Stampacchia. On renvoie à [3, Théorème


X.3]. Ainsi, si u et v désignent deux solutions de l’équation de la chaleur, avec même
second membre f et mêmes conditions aux limites g, et si les conditions initiales
satisfont u0 ≤ v0 alors u ≤ v.
Remarque 6.63. Le fait que u reste ≥ 0 lorsque les données sont ≥ 0 est important
physiquement, par exemple si u représente une température.
Voici maintenant un résultat plus précis quand f ≡ 0 et qui traduit l’existence
d’une propagation à vitesse infinie : même si la condition initiale s’annule à l’intérieur
de Ω, la solution u vérifie u(t, x) > 0 pour tout t > 0 et x ∈ Ω.
136 CHAPITRE 6. PROBLÈMES D’ÉVOLUTION PARABOLIQUES

Théorème 6.64 (Propagation à vitesse infinie). Soit Ω un ouvert borné régulier de


Rn , un temps final T > 0 et une fonction g ∈ L2 (Ω) telle que g 6= 0 et g ≥ 0 presque
partout. Alors la solution u obtenue par le Théorème 6.45 avec f ≡ 0 vérifie

u(t, x) > 0 ∀x ∈ Ω

pour tout temps t > 0.

La démonstration, complexe, repose sur une inégalité de type Harnack parabo-


lique, ou une formule de la moyenne parabolique. Voir [7] pour plus de détails.
Chapitre 7

Autres problèmes d’évolution

Ce chapitre est une brève introduction à l’étude mathématique d’autres types


d’équations aux dérivées partielles dépendant du temps, à savoir l’équation de trans-
port et l’équation des ondes. Nous renvoyons à [7, 1, 5, 13] pour une présentation
plus détaillée.

7.1 L’équation de transport


Nous commençons par une étude rapide de l’équation de transport dans tout
l’espace Rn

u + b · ∇x u = 0 (7.1)
∂t
où b est un vecteur fixe de Rn (indépendant de x et t). Supposons tout d’abord que
u est une fonction régulière. On remarque alors que (7.1) signifie qu’une certaine
dérivée de u s’annule. Soit (t, x) ∈ R × Rn fixé. Introduisons la fonction auxilliaire
z(s) = u(t+s, x+sb). Alors (7.1) signifie que z 0 (s) = 0, donc que s 7→ u(t+s, x+sb)
est une fonction constante sur tout R. Ainsi, pour chaque point (t, x) ∈ R × Rn , u
est constante sur la droite de direction (1, b) ∈ Rn+1 passant par (t, x). La fonction
régulière u est donc connue partout pourvu que l’on connaisse u sur au moins un
point de chacune de ces droites (c’est la méthode des caractéristiques).
Considérons alors le problème avec condition initiale (régulière) g ∈ C 1 (Rn ) :


(
u(t, x) + b · ∇x u(t, x) = 0, (t, x) ∈ (0, ∞) × Rn ,
∂t (7.2)
u(0, x) = g(x), x ∈ Rn .

Les arguments précédents montrent que la fonction u définie sur [0, ∞) × Rn par

u(t, x) := g(x − bt) (7.3)

est l’unique solution de (7.2) dans C 1 ([0, ∞) × Rn ). Notons que la formule (7.3)
décrit une onde progressive avançant dans la direction b à la vitesse ||b||Rn .

137
138 CHAPITRE 7. AUTRES PROBLÈMES D’ÉVOLUTION

Maintenant si g n’est pas une fonction C 1 , on ne peut bien sûr chercher une so-
lution C 1 à (7.2). Pourtant la définition (7.3) a toujours un sens avec des hypothèses
très faibles sur g et on peut décider arbitrairement que ceci définit une solution faible
de (7.2). Par exemple si g ∈ Lp (Rn ), on aura u ∈ C 0 ([0, ∞), Lp (Rn )).

Remarque 7.1. Introduisons l’opérateur de translation τb (t) défini par

(τb (t)f ) (x) = f (x − bt).

Pour tout t ≥ 0 fixé, τb (t) est un opérateur borné de W m,p (Rn ) dans lui même
pour tous m ≥ 0, p ≥ 1. Notons que la famille (τb (t))t≥0 vérifie les deux propriétés
importantes
τb (0) = Id
τb (t + s) = τb (t)τb (s).
On parle de semi-groupe. Si g ∈ H k (Rn ), la “solution faible” (7.3) s’écrit alors
u(t) = τb (t)g ∈ C 0 ([0, ∞), H k (Rn )). Toutes les équations d’évolution linéaires d’ordre
un en temps et sans second membre vont s’écrire sous cette forme pour un semi-
groupe bien choisi.

Reste à savoir en quel sens une telle solution résout (7.2). Voici un résultat
facile dont le but principal est d’habituer le lecteur à la manipulation des espaces
introduits à la section précédente.

Proposition 7.2. Si g ∈ H 1 (Rn ), l’expression (7.3) fournit une fonction u qui


satisfait

u ∈ C 0 ([0, ∞), H 1 (Rn )) ∩ C 1 ([0, ∞), L2 (Rn )), ∇u ∈ C 0 ([0, ∞), L2 (Rn )), (7.4)

et l’égalité
u0 + b · ∇u = 0 (7.5)
a lieu dans C 0 ([0, ∞), L2 (Rn )).
D’autre part, on a
lim ||u(t, ·) − g||H 1 (Rn ) = 0 (7.6)
t→0

qui donne un sens à la condition initiale u(0, x) = g(x).


Enfin, la solution (7.3) est l’unique fonction satisfaisant (7.4), (7.5) et (7.6).

Preuve : Soit g ∈ H 1 (Rn ) et u = {t 7→ τb (t)g}. Il est clair que u ∈ C 0 ([0; ∞), H 1 (Rn )).
Définissons alors v := {t 7→ −b · τb (t)∇g} qui est une fonction de C 0 ([0; ∞), L2 (Rn ))
car ∇g ∈ L2 (Rn ). Notons que v = −b · ∇u. Il suffit de montrer que u0 = v. On utilise
la définition (??) : soit w ∈ Cc∞ (Rn ) et ϕ ∈ Cc∞ ([0; ∞)) deux fonctions test fixées.
On a Z ∞  Z ∞
v(t)ϕ(t)dt, w = hv(t), wiL2 ϕ(t)dt.
0 L2 0
7.1. L’ÉQUATION DE TRANSPORT 139

Comme w est régulière, on a


d d
hv(t), wiL2 = hg, τb (−t)viL2 = hτb (t)g, viL2
dt dt
(pour le voir, faire une intégration par partie). On obtient donc
Z ∞  Z ∞ 
0
v(t)ϕ(t)dt, w =− u(t)ϕ (t)dt, w
0 L2 0 L2

pour tout w ∈ Cc∞ (Rn ), d’où l’égalité


Z ∞ Z ∞
v(t)ϕ(t)dt = − u(t)ϕ0 (t)dt
0 0

dans L2 (Rn ), par densité.


Pour l’unicité, il suffit de montrer que si u satisfait (7.4), (7.5) et (7.6) avec g = 0,
alors nécessairement u = 0. On utilise une technique d’énergie : on prend le produit
scalaire L2 de (7.5) contre u(t) ∈ L2 (Rn ) à t fixé (tout a un sens d’après (7.4)). On
obtient pour presque tout t
1d
||u(t)||2L2 (Rn ) = hu0 (t), u(t)iL2 (Rn ) = 0
2 dt
R
car pour toute fonction ϕ ∈ H 1 (Rn ), ϕ∇ϕ = 0 et où nous avons utilisé le résultat
du Théorème 6.32. Ainsi ||u(t)||L2 est constant et il s’annule par (7.6) avec g = 0,
c’est-à-dire u ≡ 0. ♦

Problème non homogène


Regardons rapidement l’équation de transport non homogène

(
u(t, x) + b · ∇x u(t, x) = f (t, x), (t, x) ∈ (0, ∞) × Rn ,
∂t (7.7)
u(0, x) = g(x), x ∈ Rn .
On suppose comme précédemment que f et g sont de classe C 1 . En posant comme
avant z(s) = u(t + s, x + sb), on trouve que
z 0 (s) = f (t + s, x + sb)
et donc que
Z 0 Z t
0
u(t, x) − g(x − tb) = z (s)ds = f (s, x + (s − t)b)ds,
−t 0

c’est-à-dire Z t
u(t, x) = g(x − tb) + f (s, x + (s − t)b)ds
0
résout (7.7) dans C 1 ([0, ∞) × Rn ). Nous utiliserons plus tard cette formule pour
l’étude de l’équation des ondes.
140 CHAPITRE 7. AUTRES PROBLÈMES D’ÉVOLUTION

7.2 L’équation des ondes


7.2.1 L’équation des ondes 1D
Nous commençons par le cas simple de l’équation des ondes posée sur tout R :
 2
∂ ∂2
 2 u(t, x) − c2 2 u(t, x) = 0, (t, x) ∈]0; ∞[×R

∂t ∂x (7.8)

 ∂ u(0, x) = u0 (x),

∂t
u(0, x) = u1 (x),
Nous supposons pour commencer que u0 et u1 sont des fonctions suffisamment
régulières. On a :
∂2 2
  
2 ∂ ∂ ∂ ∂ ∂
−c = −c +c
∂t2 ∂x2 ∂t ∂x ∂t ∂x
donc une solution de l’équation aux dérivées partielles s’écrit (comparer avec l’équation
de transport)
u(t, x) = f (x − ct) + g(x + ct).
La fonction (t, x) 7→ f (x − ct) représente une onde progressive avançant à la vitesse
c vers la droite, alors que (t, x) 7→ g(x + ct) est une onde progressive avançant à la
vitesse c vers la gauche. On calcule
u(0, x) = u0 (x) = f (x) + g(x)
et

u(0, x) = u1 (x) = −cf 0 (x) + cg 0 (x).
∂t
On trouve donc la formule de d’Alembert :
1 x+ct
Z
1
u(t, x) = (u0 (x − ct) + u0 (x + ct)) + u1 (s) ds. (7.9)
2 2c x−ct
Cette formule a un sens dès que u0 et u1 sont dans L1loc , u étant alors solution
de l’équation des ondes au sens des distributions. Pour donner un sens précis aux
conditions aux limites, on peut démontrer un équivalent de la Proposition 7.2 :
Proposition 7.3. Si u0 ∈ H 1 (R) et u1 ∈ L2 (R), alors la formule (7.9) fournit une
solution
u ∈ C 0 (R, H 1 (R)) ∩ C 1 (R, L2 (R)) ∩ C 2 (R, H −1 (R)) (7.10)
de l’équation des ondes
∂2 2 ∂
2
u−c u=0 (7.11)
∂t2 ∂x2
où cette égalité a lieu dans C 0 (R, H −1 (R)) et telle que
lim ||u(t) − u0 ||H 1 (R) = 0, lim ||u0 (t) − u0 ||L2 (R) = 0 (7.12)
t→0 t→0

C’est l’unique solution vérifiant (7.10), (7.11) et (7.12).


7.2. L’ÉQUATION DES ONDES 141

Preuve : La faire en exercice ! ♦


Sur le cas de l’équation 1D, on voit déjà de grandes différences de comportement
par rapport à l’équation de la chaleur. Par exemple, si

Supp(u0 ) ∪ Supp(u1 ) ⊆ [a; b],

alors on aura pour t > 0

Supp(u(t, ·)) ⊆ [a − ct; b + ct].

Ainsi, la propagation a lieu à la vitesse c, il n’y a pas de propagation à vitesse infinie


comme pour l’équation de la chaleur.
De même, on voit qu’il n’y a aucun gain ou aucune perte de régularité de la
solution comme c’est le cas pour l’équation de la chaleur (effet régularisant) ou
l’équation de Burgers (apparition de singularités). Par exemple si u1 ≡ 0 et u0 ∈
H 1 (R), alors u(t, ·) ∈ H 1 (R) pour tout t > 0, tout comme pour l’équation de
transport.
Notons que si on prend u0 ≡ 0 et u1 = −1 ϕ(x/), alors on trouve formellement
que
u(t, x) →→0 G(t, x)
où
1
G(t, x) = 1[−ct;ct] (x)
2c
est donc la solution (formelle) sur R2 , du problème
 2
∂ ∂2
 2 G − c2 2 G = 0,

∂t ∂x (7.13)
 G(0,
 0 ·) = 0,
G (0, ·) = δ.

On peut alors remarquer que la solution générale (7.9) s’écrit

1 x+ct
Z
1
u(t, x) = (u0 (x − ct) + u0 (x + ct)) + u1 (s) ds
2 2c x−ct
d 1 x+ct 1 x+ct
 Z  Z
= u0 (s) ds + u1 (s) ds
dt 2c x−ct 2c x−ct
Z  Z
d
= G(t, x − y)u0 (y) dy + G(t, x − y)u1 (y) dy.
dt R R

La solution de l’équation des ondes dans tout Rn avec n > 1 s’écrit de façon similaire
avec une fonction G adaptée voir l’exercice 7.4.
142 CHAPITRE 7. AUTRES PROBLÈMES D’ÉVOLUTION

Exercice 7.4. (L’équation des ondes dans Rn ). On suppose que g et h sont régulières,
et que f ≡ 0. Montrer que la solution de l’équation des ondes sans second membre
sur tout Rn avec conditions initiales u(0) = u0 et u0 (0) = u1 s’écrit
d
u(t) = G(t)u0 + G(t)u1
dt
où
ψ(x − y)
Z
1
(G(t)ψ)(x) = 1B(0;t) (y) p dy si n = 2, (7.14)
2π R2 t2 − |y|2
Z
1
(G(t)ψ)(x) = ψ(x − y) dσ(y) si n = 3, (7.15)
4πt S(0;t)
où B(0; t) est la boule ouverte de centre 0 et de rayon t et S(0; t) est la sphère de
centre 0 et de rayon t, dσ(y) est la mesure surfacique de cette sphère.
Vérifier que la solution se propage à vitesse finie : si Supp(u0 ) ∪ Supp(u1 ) ⊂
B(0, r), alors
Supp(u(t, ·)) ⊂ B(0, r + t).
Si n est pair quelconque, G(t) s’obtient par une formule similaire à (7.14) tandis
que si n est impair quelconque, G(t) s’obtient par une formule similaire à (7.15),
voir [7].

7.2.2 L’équation des ondes dans un ouvert borné Ω


Tout comme pour l’équation de la chaleur, nous étudions maintenant l’équation
des ondes dans un ouvert borné Ω ⊂ Rn , avec des conditions de Dirichlet au bord
et terme source f :
 2


 u(t, x) − ∆u(t, x) = f (t, x), (t, x) ∈]0; T [×Ω,
 ∂t2

u(t, x) = 0 si x ∈ ∂Ω, (7.16)



 ∂u(0, x) = g(x),
∂t
u(0, x) = h(x),
Cette fois, nous avons pris c = 1 pour simplifier.

7.2.2.1 Solutions faibles


Comme pour l’équation de la chaleur, nous commençons par introduire une no-
tion de solution faible. On considère f ∈ L2 (]0; T [, L2 (Ω)), g ∈ H01 (Ω) et h ∈ L2 (Ω).
Définition 7.5 (Solutions faibles). Soit u ∈ L2 (]0; T [, H01 (Ω)) telle que u0 ∈ L2 (]0; T [, L2 (Ω))
et u00 ∈ L2 (]0; T [, H −1 (Ω)). On dit que u est une solution faible de (7.16) si on a
Z Z
00
(O1) H −1 (Ω) hu (t), viH 1 (Ω) + ∇u(t) · ∇v = f (t)v pour tout v ∈ H01 (Ω) et
0
Ω Ω
presque tout en t ∈]0; T [.
7.2. L’ÉQUATION DES ONDES 143

(O2) u(0) = g.
(O3) u0 (0) = h.

Rappelons que d’après le Théorème 6.32, on a u ∈ C 0 ([0; T ], L2 (Ω)) et u0 ∈


C ([0; T ], H −1 (Ω)) qui permet de donner un sens à (O2) et (O3).
0

Le but de cette section est principalement de démontrer le résultat suivant :

Théorème 7.6 (Existence et unicité de solutions faibles). Soit Ω ⊂ Rn un ouvert


borné régulier. On suppose que f ∈ L2 (]0; T [, L2 (Ω)), g ∈ H01 (Ω) et h ∈ L2 (Ω). Alors
le problème (7.16) admet une unique solution faible u.
De plus, on a

u ∈ L∞ (]0; T [, H01 (Ω)), u0 ∈ L∞ (]0; T [, L2 (Ω))

et
 
sup ||u(t)||H 1 (Ω) + ||u0 (t)||L2 (Ω) + ||u00 ||L2 (]0;T [,H −1 (Ω))
0
0≤t≤T
 
≤ C ||f ||L2 (]0;T [,L2 (Ω)) + ||g||H 1 (Ω) + ||h||L2 (Ω) (7.17)
0

pour une constante C indépendante de u.

Remarque 7.7. Bien noter que nous avons pris g ∈ H01 (Ω) alors qu’ a priori on
pourrait donner un sens à une solution faible avec seulement g ∈ L2 (Ω), puisque
u ∈ C 0 ([0; T ], L2 (Ω)). Toutefois, contrairement à l’équation de la chaleur, il n’y a
pas d’effet régularisant avec l’équation des ondes. Pour avoir u ∈ L2 (]0; T [, H01 (Ω))
on est donc obligé de supposer g ∈ H01 (Ω). De même, on doit prendre h ∈ L2 (Ω).

Remarque 7.8. On peut en fait montrer que u ∈ C 0 ([0; T ], H01 (Ω)) et u0 ∈ C 0 ([0; T ], L2 (Ω)).
Nous verrons cela plus tard, au Corollaire 7.16.

Preuve : Pour l’équation de la chaleur nous avons donné la preuve par décomposition
sur les modes propres du Laplacien et proposé la méthode de Galerkin en exercice.
Nous faisons l’inverse cette fois.

Étape 1 : approximations de Galerkin.


Considérons la famille des fonctions propres du Laplacien (wk )k≥1 ⊂ H01 (Ω),
introduite dans la preuve pour l’équation de la chaleur. Rappelons que
— (wk )k≥1 est une base orthogonale de H01 (Ω) ;
— (wk )k≥1 est une base orthonormée de L2 (Ω).
On pose alors
Vm := vect(w1 , ..., wm )
et on cherche une solution um ∈ C 2 ([0; T ], Vm ) faible dans Vm , c’est-à-dire vérifiant
144 CHAPITRE 7. AUTRES PROBLÈMES D’ÉVOLUTION
Z
(O1)m hu00m , wk i + ∇um (t) · ∇wk = hf (t), wk iL2 pour tout k = 1...m et presque

partout en t ∈ [0; T ] ;
(O2)m hum (0), wk i = hg, wk i pour tout k = 1...m.
(O3)m hu0m (0), wk i = hh, wk i pour tout k = 1...m.
On pourrait a priori prendre une base quelconque de H01 (Ω) (c’est en quelque
sorte ce que nous ferons à la section ??). Mais les expressions seront plus simples en
choisissant la base des fonctions propres du Laplacien. Si on écrit
m
X
um (t, x) = dm
k (t)wk (x),
k=1

d2
alors (O1)m et (O2)m équivalent à (nous utilisons que hu00m , wi = dt2
hum , wi d’après
le Théorème 6.32)
d2 m 2
(O1)0m 2
dk (t) + dm
k (t) ||∇wk ||L2 = hf (t), wk iL2 , ∀k = 1...m, p.p. t ∈ [0; T ] ;
dt
0
(O2)m dm
k (0) = hg, wk i, ∀k = 1...m.

(O3)0m d m
d (0)
dt k
= hh, wk i, ∀k = 1...m.
Il s’agit d’un système d’équations différentielles ordinaires du second ordre, qui
admet une unique solution (dm m
k (t))k=1 , définie sur tout [0; T ]. Bien noter cependant
que l’on a seulement t 7→ hf (t), wk iL2 ∈ L2 (]0; T [), donc l’unique solution dm k (t)
2 1
est en fait elle-même seulement dans H (]0; T [) ,→ C ([0; T ]). On obtient donc
que um ∈ C 1 ([0; T ], H 2 (Ω) ∩ H01 (Ω)), u0m ∈ C 0 ([0; T ], H 2 (Ω) ∩ H01 (Ω)) et u00m ∈
L2 (]0; T [, H 2 (Ω) ∩ H01 (Ω)) puisque les wk sont au moins dans H 2 (Ω) (elles sont bien
plus régulières si Ω est lui même très régulier).

Étape 2 : estimées d’énergie.


On désire maintenant passer à la limite quand m → ∞. Pour cela, nous com-
mençons par démontrer le lemme suivant.
Lemme 7.9 (Estimées d’énergie). Il existe une constante C qui ne dépend que de
Ω et T > 0 telle que pour tout m ≥ 1,
 
max ||um (t)||H 1 (Ω) + ||u0m (t)||L2 (Ω) + ||u00m (t)||L2 (]0;T [,H −1 (Ω))
0≤t≤T 0
 
≤ C ||f ||L2 (]0;T [,L2 (Ω)) + ||g||H 1 (Ω) + ||h||L2 (Ω) . (7.18)
0

Preuve : Par linéarité dans (O1)m , on obtient presque partout en t ∈]0; T [


Z
00 0
hum , um iL2 (Ω) + ∇um · ∇u0m = hf (t), u0m iL2 (Ω) .

7.2. L’ÉQUATION DES ONDES 145

Notons que comme um est une somme finie de wk ’s, on a que u00m , u0m ∈ L2 (]0; T [, H01 (Ω)).
L’équation précédente équivaut à
 Z 
1d 0 2 1 2

||um ||L2 (Ω) + |∇um | = hf (t), u0m iL2 (Ω) ≤
2
||f (t)||2L2 (Ω) + ||u0m ||L2 (Ω) .
2 dt Ω 2
(7.19)

Remarque 7.10. Si f ≡ 0, on trouve que l’énergie est conservée au cours du temps :


2
∀t ∈ [0, T ], ||u0m (t)||L2 (Ω) + ||∇um (t)||2L2 (Ω) = ||hm ||2L2 (Ω) + ||∇gm ||2L2 (Ω)

où gm = m
P Pm
k=1 hwk , giwk et hm = k=1 hwk , hiwk . Ceci donne donc automatique-
ment une borne sur um dans L∞ (]0; T [, H01 (Ω)) et sur u0m dans L∞ (]0; T [, L2 (Ω)),
à condition bien sûr que les termes de droite soient eux-mêmes bornés, c’est-à-dire
que g ∈ H01 (Ω) et h ∈ L2 (Ω).

Revenons maintenant à (7.19) et posons


Z
2
η(t) = ||u0m ||L2 (Ω) + |∇um |2

de sorte que
η 0 (t) ≤ ||f (t)||2L2 (Ω) + η(t).
D’après le Lemme de Gronwall, on obtient donc
Z
2
η(t) = ||u0m (t)||L2 (Ω) + |∇um (t)|2

 Z Z t 
t 0 2 2 2
≤ e ||um (0)||L2 (Ω) + |∇um (0)| + ||f (s)||L2 (Ω) . (7.20)
Ω 0

Or on a
m
X m
X
2
||u0m (0)||L2 (Ω) = (dm
k )0
(0)2
= hh, wk i2 ≤ ||h||2L2 (Ω)
k=1 k=1

où nous avons utilisé que les wk forment une base orthonormée de L2 (Ω). De même
Z m
X Z m
X Z
2 m 2 2 m 2
|∇um (0)| = (dk (0)) |∇wk | = (dk (0)) λk ≤ |∇g|2 .
Ω k=1 Ω k=1 Ω

Ainsi on obtient l’estimée


 
2
max ||u0m (t)||L2 (Ω) + ||um (t)||2H 1 (Ω)
t∈[0;T ] 0
 
≤ eT ||g||2H 1 (Ω) + ||h||2L2 (Ω) + ||f ||2L2 (]0;T [,L2 (Ω)) . (7.21)
0
146 CHAPITRE 7. AUTRES PROBLÈMES D’ÉVOLUTION

Pour obtenir l’estimée sur u00m , nous raisonnons par dualité et considérons une
fonction fixe v ∈ H01 (Ω). Nous pouvons écrire v = v1 +v2 avec v1 ∈ Vm et v2 ∈ (Vm )⊥ .
Comme u00m (t) ∈ Vm ⊆ L2 (Ω) pour p.p. t ∈]0; T [, on a
00
H −1 (Ω) hum , viH 1 (Ω) = hu00m , viL2 (Ω) = hu00m , v1 iL2 (Ω) .
0

On peut alors utiliser (O1)m pour obtenir


Z
00
H −1 (Ω) hum , viH 1 (Ω) = hf (t), v1 i − ∇um · ∇v1
0

donc  
|H −1 (Ω) hu00m , viH 1 (Ω) | ≤ C ||f (t)||L2 (Ω) + ||um (t)||H 1 (Ω) ||v1 ||H 1 (Ω) .
0 0 0

Ceci montre que

||u00m (t)||H −1 (Ω) ≤ C ||f (t)||L2 (Ω) + ||um (t)||H 1 (Ω) .


0

Pour en déduire l’estimée sur ||u00m ||L2 (]0;T [,H −1 (Ω)) , on utilise que f ∈ L2 (]0; T [, L2 (Ω))
et (7.21). ♦

Étape 3 : existence d’une solution faible.


D’après le Lemme 7.9, nous savons que (um ) est bornée dans L2 (]0; T [, H01 (Ω)) ∩
L∞ (]0; T [, H01 (Ω)), que (u0m ) est bornée dans L2 (]0; T [, L2 (Ω)) ∩ L∞ (]0; T [, L2 (Ω))
et que (u00m ) est bornée dans L2 (]0; T [, H −1 (Ω)). Il existe donc une fonction u ∈
L2 (]0; T [, H01 (Ω)) telle que u0 ∈ L2 (]0; T [, L2 (Ω)) et u00 ∈ L2 (]0; T [, H −1 (Ω)) et une
sous-suite de (um ) (que nous noterons encore um pour simplifier), telle que

 um * u faiblement dans L2 (]0; T [, H01 (Ω)),
u0 * u0 faiblement dans L2 (]0; T [, L2 (Ω)),
 m
u00m * u00 faiblement dans L2 (]0; T [, H −1 (Ω)).
On a aussi convergence faible-∗ dans les espaces L∞ correspondants pour um et
u0m mais nous n’utiliseront pas cette information. Par contre on a bien sûr u ∈
L∞ (]0; T [, H01 (Ω)) et u0 ∈ L∞ (]0; T [, L2 (Ω)). On a aussi d’après le Théorème 6.32

u ∈ C 0 ([0; T ], L2 (Ω)), u0 ∈ C 0 ([0; T ], H −1 (Ω)).

Soit maintenant m0 fixé et v ∈ L2 (]0; T [, Vm0 ). On a d’après (O1)m pour m ≥ m0


et après intégration par rapport à t
Z T Z TZ Z T
00
H −1 (Ω) hum (t), v(t)iH 1 (Ω) dt + ∇um (t) · ∇v(t)dt = hf (t), v(t)iL2 (Ω) dt
0
0 0 Ω 0

qui s’écrit aussi


00
L2 (]0;T [,H −1 (Ω)) hum , viL2 (]0;T [,H 1 (Ω)) + hum , viL2 (]0;T [,H 1 (Ω)) = hf, viL2 (]0;T [,L2 (Ω)) .
0 0
7.2. L’ÉQUATION DES ONDES 147

On peut alors passer à la limite faible pour obtenir


00
L2 (]0;T [,H −1 (Ω)) hu , viL2 (]0;T [,H 1 (Ω)) + hu, viL2 (]0;T [,H 1 (Ω)) = hf, viL2 (]0;T [,L2 (Ω)) , (7.22)
0 0

ceci pour tout v ∈ L2 (]0; T [, Vm0 ) avec m0 quelconque. Comme ces fonctions sont
denses dans L2 (]0; T [, H01 (Ω)), on déduit bien que u vérifie (i).
Il reste à vérifier que u vérifie (O2) et (O3). Considérons une fonction régulière
quelconque v ∈ C ∞ ([0; T ], Vm0 ), telle que v(T ) = v 0 (T ) ≡ 0. En intégrant (7.22) par
parties, on obtient
Z T Z T Z Z T
00
hv (t), u(t)iL2 (Ω) dt + ∇u(t) · ∇v(t)dt = hf (t), v(t)iL2 (Ω) dt
0 0 Ω 0
− hu(0), v 0 (0)i + hu0 (0), v(0)i. (7.23)

Or (O1)m donne de la même façon


Z T Z T Z Z T
00
hv (t), um (t)iL2 (Ω) dt + ∇um (t) · ∇v(t)dt = hf (t), v(t)iL2 (Ω) dt
0 0 Ω 0
− hum (0), v 0 (0)i + hu0m (0), v(0)i. (7.24)

Passant à la limite faible et utilisant que um (0) → g dans H01 (Ω) et que u0m (0) → h
dans L2 (Ω) par construction, nous trouvons finalement :
Z T Z T Z Z T
00
hv (t), u(t)iL2 (Ω) dt + ∇u(t) · ∇v(t)dt = hf (t), v(t)iL2 (Ω) dt
0 0 Ω 0
− hg, v 0 (0)i + hh, v(0)i. (7.25)

Ainsi u(0) = g et u0 (0) = h car v(0), v 0 (0) et m0 sont arbitraires. Ceci termine la
démonstration de l’existence d’une solution faible.

Étape 4 : unicité de la solution faible.


Nous devons montrer que si f = g = h = 0 et u est une solution faible, alors
nécessairement u ≡ 0. La preuve serait une facile adaptation de celle du Lemme 7.9
si nous savions que u0 ∈ L2 (]0; T [, H01 (Ω)) comme c’est le cas pour u0m . Comme nous
n’avons pas cette information, elle est un peu plus difficile.
Fixons un t0 ∈]0; T [ et introduisons la primitive temporelle v de −u qui s’annule
en t0 : Z t0
v(t) = u(s) ds.
t

Clairement v 0 = −u ∈ L2 (]0; T [, H01 (Ω)) ∩ C 0 ([0; T ], L2 (Ω)) et


Z t0
∇v = ∇u(s) ds, ∇v ∈ L2 (]0; T [, L2 (Ω)) ∩ C 0 ([0; T ], H −1 (Ω)).
t
148 CHAPITRE 7. AUTRES PROBLÈMES D’ÉVOLUTION

Notons que
v(t0 ) = 0 et ∇v(t0 ) = 0.
On applique maintenant (O1) et on intègre sur ]0; t0 [ :
Z t0 Z t0 Z
00
H −1 (Ω) hu (s), v(s)iH 1 (Ω) ds + ∇u(s) · ∇v(s) ds = 0.
0
0 0 Ω

Une intégration par parties avec u0 (0) = 0 et v(t0 ) = 0 fournit


Z t0 Z t0 Z
0 0
− H −1 (Ω) hu (s), v (s)iH 1 (Ω) ds + ∇u(s) · ∇v(s) ds = 0
0
0 0 Ω

donc puisque v 0 = −u
Z t0 Z t0
0
H −1 (Ω) hu (s), u(s)iH 1 (Ω) ds − hv 0 (s), v(s)iH 1 (Ω) ds = 0.
0 0
0 0

Or
0 1 d
H −1 (Ω) hu (s), u(s)iH 1 (Ω) = hu(s), u(s)iL2 (Ω)
0 2 ds
1 d
hv 0 (s), v(s)iH 1 (Ω) =
hv(s), v(s)iH 1 (Ω)
2 ds 0 0

donc on trouve finalement puique u(0) = 0 et v(t0 ) = 0

||u(t0 )||2L2 (Ω) + ||v(0)||2H 1 (Ω) = 0.


0

Comme t0 était quelconque, on a bien

u≡0

et la solution faible obtenue est unique.

Étape 5 : preuve de (7.17).


L’inégalité (7.17) est obtenue par passage à la limite dans (7.18). ♦

Exercice 7.11. (Formules explicites pour la décomposition sur les modes propres
du Laplacien). Considérons une solution faible u de l’équation des ondes sur Ω. On
décompose u sous la forme X
u(t) = αk (t)wk
k≥1

et on pose βk (t) = hf (t), wk i.


1. Trouver l’équation différentielle ordinaire vérifiée par αk et écrire la forme
de la solution pour tout k.
7.2. L’ÉQUATION DES ONDES 149

2. En déduire que u doit s’écrire sous la forme


Z t
0
u(t) = V (t)g + V (t)h + V (t − s)f (s) ds (7.26)
0

où √
X sin( λk t)
V (t) = √ |wk ihwk |.
k≥1
λk

3. Montrer que

||V (t)||L2 (Ω)→L2 (Ω) ≤ Ct ||V 0 (t)||L2 (Ω)→L2 (Ω) ≤ C,

||V (t)||L2 (Ω)→H 1 (Ω) ≤ C, ||V 0 (t)||H 1 (Ω)→H 1 (Ω) ≤ C.


0 0 0

00
Vérifier que V (t) = ∆V (t) = V (t)∆ et en déduire que

||V 00 (t)||H 1 (Ω)→L2 (Ω) ≤ C.


0

4. Montrer que la formule (7.26) fournit une fonction telle que u ∈ L∞ (]0; T [, H01 (Ω)),
u0 ∈ L∞ (]0; T [, L2 (Ω)) et u00 ∈ L2 (]0; T [, L2 (Ω)), qui est l’unique solution
faible de l’équation des ondes sur Ω.

Exercice 7.12. (Un théorème général)


1. En s’inspirant de l’une des deux démonstrations du Théorème 7.6, démontrer
le résultat général suivant :
Théorème 7.13. Soit H et V deux espaces de Hilbert tel que V ,→ H avec
injection compacte et V est dense dans H. Soit a(·, ·) une forme bilinéaire
symétrique continue et coercive dans V . Soit un temps final T > 0, une
condition initiale (g, h) ∈ V × H et un terme source f ∈ L2 (]0; T [, H). Il
existe une unique solution faible u ∈ L2 (]0; T [, V ) telle que u0 ∈ L2 (]0; T [, H)
et u00 ∈ L2 (]0; T [, V 0 ) au problème
 d2
dt2
hu(t), viH + a(u(t), v) = hf (t), viH ∀v ∈ V, t ∈]0; T [
u(0) = g, u0 (0) = h.

De plus il existe une constante C telle que

||u||L∞ ([0;T ],V ) + ||u0 ||L∞ ([0;T ],H) + ||u00 ||L2 (]0;T [,V 0 ) ≤ C(||f ||L2 (]0;T [,H) + ||g||V + ||h||H ).

2. (Équation des ondes en milieu inhomogène). Soit Ω ⊂ Rn un ouvert borné


régulier et A une fonction définie sur Ω à valeurs dans les matrices symétriques
réelles définies positives de taille n, telle que

αIn ≤ A(x) ≤ βIn


150 CHAPITRE 7. AUTRES PROBLÈMES D’ÉVOLUTION

p.p. x ∈ Ω, où α, β > 0 et In est l’identité de Rn . En déduire l’existence d’une


unique solution faible au problème
 ∂2
 ∂t2 u(t, x) − div(A(x)∇u(t, x)) = f, (t, x) ∈]0; T [×Ω,
u(t, x) = 0, (t, x) ∈]0; T [×∂Ω

u(0, x) = g(x), ∂t u(0, x) = h(x),

où g ∈ H 1 (Ω), h ∈ L2 (Ω) et f ∈ L2 (]0; T [, L2 (Ω)).

7.2.2.2 Propriétés qualitatives des solutions faibles


Comme l’étude du cas 1D nous l’a montré, il n’y a pas de régularisation ou de
propagation à vitesse infinie avec l’équation des ondes.

Théorème 7.14 (Réversibilité en temps). Soit Ω ⊂ Rn un ouvert borné régulier.


On suppose que f ∈ L2 (]0; T [, L2 (Ω)), g ∈ H01 (Ω) et h ∈ L2 (Ω). Alors l’équation des
ondes rétrograde en temps
 2


 u(t, x) − ∆u(t, x) = f (t, x), (t, x) ∈]0; T [×Ω,
 ∂t2

u(t, x) = 0 si x ∈ ∂Ω, (7.27)
 u(T, x) = g(x),




∂t
u(T, x) = h(x),

admet une unique solution faible ũ ∈ L∞ (]0; T [, H01 (Ω)) avec ũ0 ∈ L∞ (]0; T [, L2 (Ω)).
De plus si u est la solution de l’équation des ondes usuelle telle que u(T ) = g et
u0 (T ) = h, alors on a u = ũ.

Preuve : On fait le changement de variable v(t) = ũ(T − t) pour se ramener à


l’équation des ondes usuelle et obtenir l’existence et l’unicité d’une solution faible.
L’équation ne change pas grâce à la dérivée d’ordre deux en temps. ♦
Si les données sont plus régulières, on peut montrer que la solution est elle même
plus régulière. En résumé :

g h f u
m+1 m dk dk ∞
H (Ω) H (Ω) dtk
f ∈ L (]0; T [, H m−k (Ω))
2
dtk
u ∈ L (]0; T [, H m+1−k (Ω))
k = 0, ..., m k = 0, ..., m + 1

mais il faut des conditions de compatibilité pour que ceci soit vrai, voir par exemple
[7]. Nous énonçons un résultat beaucoup plus simple, similaire au Théorème 6.60.

Théorème 7.15 (Régularité). On suppose que Ω est un ouvert borné de bord C ∞


et que g, h ∈ C0∞ (Ω), f ∈ C ∞ ([0; T ], C0∞ (Ω)). Alors

u ∈ C ∞ ([0; T ] × Ω).
7.2. L’ÉQUATION DES ONDES 151

Preuve : À faire en exercice ! ♦


Comme annoncé précédemment, nous pouvons maintenant montrer que la solu-
tion faible est en fait plus régulière que prévue par rapport au temps.
Théorème 7.16 (Conservation de l’énergie). On se place sous les hypothèses du
Théorème 7.6. Alors la solution u de l’équation vérifie
u ∈ C 0 ([0; T ], H01 (Ω)), u0 ∈ C 0 ([0; T ], L2 (Ω)),
et satisfait l’égalité
!
Z 2 Z
∂ 2
h(x)2 + |∇g(x)|2 dx

u(t, x) + |∇u(t, x)| dx =
Ω ∂t Ω
Z tZ
+2 f (s, x)u0 (s, x)dx ds (7.28)
0 Ω

pour tout t ∈]0; T [. En particulier si f ≡ 0, on a la conservation de l’énergie :


!
Z 2 Z
∂ 2
h(x)2 + |∇g(x)|2 dx

u(t, x) + |∇u(t, x)| dx = (7.29)
Ω ∂t Ω

pour tout t ∈]0; T [.


Preuve : Nous raisonnons une fois de plus par densité. Considérons des suites
gn , hn et fn régulières telles que
lim ||gn − g||H 1 (Ω) = lim ||hn − h||L2 (Ω) = lim ||fn − f ||L2 (]0;T [,L2 (Ω)) = 0.
n→∞ 0 n→∞ n→∞

Comme la solution correspondante un est régulière (on a seulement besoin de u0 ∈


L2 (]0; T [, H01 (Ω))), il est facile de démontrer (7.28) en suivant la méthode de preuve
utilisée pour um , cf (7.19).
En fait on a même en appliquant (7.17) à un − um

||u0n − u0m ||L∞ (]0;T [,L2 (Ω)) + ||un − um ||L∞ (]0;T [,H 1 (Ω))
0
 
2 2
≤ C ||hn − hm ||L2 (Ω) + ||gn − gm ||H 1 (Ω) + + ||fn − fm ||L2 (]0;T [,L2 (Ω)) . (7.30)
0

On en déduit que un → u et u0n → u0 respectivement dans L∞ (]0; T [, H01 (Ω)) et


L∞ (]0; T [, L2 (Ω)). Or pour tout n, un ∈ C 0 ([0; T ], H01 (Ω)) et u0n ∈ C 0 ([0; T ], L2 (Ω)).
Donc u ∈ C 0 ([0; T ], H01 (Ω)) et u0 ∈ C 0 ([0; T ], L2 (Ω)) comme limites uniformes de
fonctions continues. On obtient alors l’égalité par passage à la limite. ♦
Si f ≡ 0 et g, h ont un support compact K ⊂ Ω, on peut montrer que l’unique
solution faible u coı̈ncide avec la solution définie sur tout l’espace Rn , et que la
propagation a lieu à vitesse finie (cf Exercice 7.4) tant que cette solution ne touche
pas le bord, donc sur un intervalle de temps [0; ]. Mais dès que la solution touche
le bord, les deux solutions diffèrent à cause des conditions de Dirichlet sur ∂Ω.
152 CHAPITRE 7. AUTRES PROBLÈMES D’ÉVOLUTION
Chapitre 8

Méthode des éléments finis pour


les équations d’évolution

On présente ici le principe de la méthode des éléments finis pour les équations
d’évolution. Nous nous concentrons ici sur deux types d’équations à savoir l’équation
de la chaleur et l’équation des ondes.

8.1 L’équation de la chaleur


8.1.1 Semi-discrétisation en espace
Nous commençons par seulement discrétiser en espace la formulation variation-
nelle de l’équation de la chaleur (6.12). Pour cela, nous considérons une suite d’es-
paces de dimension finie Vh , h → 0, avec Vh ⊂ H01 (Ω). On suppose qu’il existe une
application linéaire rh : H k (Ω) → Vh telle que
lim ||1 − rh ||H k (Ω)∩H 1 (Ω)→H 1 (Ω) = 0 (8.1)
h→0 0 0

où k est assez grand.


L’exemple typique est celui de l’approximation par des éléments finis. Soit Ω un
ouvert borné connexe polyédrique de Rn . Rappelons qu’une suite (Th ) est une suite
de maillages triangulaires réguliers de Ω si pour chaque h, Th = (Ki ) où les Ki sont
des tétraèdres formant un pavage de Ω. L’intersection de deux tétraèdres Ki et Kj
est soit vide, soit un tétraèdre de dimension m ≤ n − 1 dont tous les sommets sont
aussi des sommets de Ki et Kj . De plus on a
max diam(Ki ) = h
i

∀i, diam(Ki ) ≤ C max r


Br ⊆Ki

c’est-à-dire que chaque Ki est de volume d’ordre hn (il ne peut pas être aplati ou
s’aplatir quand h → 0). Introduisons alors l’espace d’approximation
k
:= u ∈ C 0 (Ω) | u|∂Ω = 0, u|Ki est un polynôme de degré k .

V0h

153
154CHAPITRE 8. MÉTHODE DES ÉLÉMENTS FINIS POUR LES ÉQUATIONS D’ÉVOLUTION

Pour chaque tel maillage, on peut définir une suite de points (ai )pi=1 ∈ Ω appelés
k
noeuds (p = dim Vh ) et des fonctions ϕi ∈ V0h ⊂ H01 (Ω) telles que ϕi (aj ) = δij . Pour
toute fonction régulière v on pose alors
p
X
rh v(x) = v(ai )ϕi (x).
i=1

Le résultat suivant est classique [1] :

Proposition 8.1. Soit (Th ) une suite de maillages réguliers comme ci-dessus. On
suppose que k + 1 > n/2. Alors pour tout v ∈ H k+1 (Ω), l’interpolée rh v est bien
définie et satisfait :

||v − rh v||H 1 (Ω) ≤ Chk ||v||H k+1 (Ω)∩H 1 (Ω) .


0 0

La propriété (8.1) est donc vraie pour une suite de maillages triangulaires réguliers,
puisque la proposition ci-dessus signifie que

||1 − rh ||H k+1 (Ω)→H 1 (Ω) ≤ Chk

dès que k + 1 > n/2.


Un autre exemple est celui d’une approximation de Galerkin (moins utilisée dans
la pratique) où on pose simplement

Vh = Vect(w1 , ..., wm ), h = 1/m

où (wk ) est une base orthonormée de L2 (Ω) bien choisie (par exemple les fonctions
propres du Laplacien comme nous l’avons fait dans les preuves précédentes). On
peut alors poser simplement rh = le projecteur orthogonal sur Vh pour le produit
scalaire de H01 (Ω).

Exercice 8.2. Vérifier que la propriété (8.1) est bien vérifiée pour k assez grand,
si on prend Vh = Vect(w1 , ..., wm ), h = 1/m où les wk sont les fonctions propres du
Laplacien.

La semi-discrétisation en espace consiste à résoudre le problème variationnel


suivant
 d R
dt
huh (t), vh iL2 (Ω) + Ω ∇uh (t) · ∇vh = hf (t), vh iL2 (Ω) ∀vh ∈ Vh
uh (0) = gh ,

où gh ∈ Vh est telle que gh → g dans L2 (Ω). Soit (v1 , ..., vm ) une base orthonormée
de Vh . Si on écrit
Xm
uh (t) = αkh (t)vk ,
k=1
8.1. L’ÉQUATION DE LA CHALEUR 155

on trouve que les αkh doivent vérifier


 Pm d h Pm h
k=1 dt α k (t)(S h )k,` + k=1 αk (t)(Kh )k,` = hf (t), vk iL2 (Ω) k = 1, ..., m
k
αh (0) = hgh , vk i,

où Z
(Sh )k,` := hvk , v` iL2 (Ω) , (Kh )k,` := ∇vk · ∇v` .

Ce système d’équations différentielles ordinaires s’écrit sous la forme matricielle

Sh dtd αh (t) + Kh αh (t) = bh (t)



(8.2)
α(0) = ah
en posant
     
α1h (t) hgh , v1 iL2 (Ω) hf (t), v1 iL2 (Ω)
αh =  ...  , ah =  ..
, bh =  ..
.
     
. .
h
αm (t) hgh , vm iL2 (Ω) hf (t), vm iL2 (Ω)

L’existence et l’unicité ainsi qu’une formule explicite s’obtiennent par diagonalisation


simultanée des matrices Sh et Kh . En pratique, on résout numériquement (8.2) par
une discrétisation temporelle, comme pour tout système d’équations différentielles
ordinaires.
On peut alors démontrer le résultat suivant :
Théorème 8.3. Soient f ∈ L2 (]0; T [, L2 (Ω)), g ∈ L2 (Ω) et u ∈ L2 (]0; T [, H01 (Ω)) ∩
C 0 ([0; T ], L2 (Ω)) l’unique solution faible de l’équation de la chaleur. Soit uh l’unique
solution variationnelle dans Vh . On suppose que la suite Vh satisfait (8.1) et que
limh→0 ||gh − g||L2 (Ω) = 0. Alors on a

lim ||uh − u||L2 (]0;T [,H 1 (Ω)) = lim sup ||uh (t) − u(t)||L2 (Ω) = 0.
h→0 0 h→0 t∈[0;T ]

Preuve : Soit  > 0 et f˜ ∈ C0∞ (]0; T [×Ω), g̃ ∈ C0∞ (Ω) tels que

f − f˜ ≤ , ||g − g̃||L2 (Ω) ≤ .


L2 (]0;T [,L2 (Ω))

D’après la continuité par rapport aux données (cf le Théorème 6.53 pour le problème
sur tout H01 (Ω) et une généralisation évidente sur Vh ), on a

||u − ũ||L∞ (]0;T [,L2 (Ω)) + ||uh − ũh ||L∞ (]0;T [,L2 (Ω)) ≤ C

où ũ et ũh sont les solutions faibles associées à g̃ et f˜. Il suffit donc de prouver le
théorème pour ũ et ũh . Pour simplifier les notations, nous supposerons f˜ = f ∈
C0∞ (]0; T [×Ω) et g̃ = g ∈ C0∞ (Ω) de sorte que u ∈ C ∞ ([0; T ] × Ω) d’après le
Théorème 6.60.
156CHAPITRE 8. MÉTHODE DES ÉLÉMENTS FINIS POUR LES ÉQUATIONS D’ÉVOLUTION

On a pour tout vh ∈ Vh
Z
0
hu (t) − u0h (t), vh iL2 (Ω) + ∇(u(t) − uh (t)) · ∇vh = 0.

Soit maintenant πh le projecteur orthogonal sur Vh , pour le produit scalaire hv, wiH 1 (Ω) =
R 0
k 1 1

∇v · ∇w. On a donc pour tout v ∈ H (Ω) ∩ H 0 (Ω) ⊆ V ⊂ H 0 (Ω), avec k assez
grand,

||(1 − πh )v||L2 (Ω) ≤ C ||(1 − πh )v||H 1 (Ω) ≤ C ||(1 − rh )v||H 1 (Ω)


0 0

≤ C ||1 − rh ||H k (Ω)→H 1 (Ω) ||v||H k (Ω) (8.3)


0

d’après l’inégalité de Poincaré et l’hypothèse (8.1). Nous avons aussi utilisé que

∀vh ∈ Vh , ||v − πh v||H 1 (Ω) ≤ ||v − vh ||H 1 (Ω)


0 0

d’après la caractérisation de la projection orthogonale, donc en particulier que

||v − πh v||H 1 (Ω) ≤ ||v − rh v||H 1 (Ω) .


0 0

On a pour tout vh ∈ Vh
Z
0
hπh u (t) − u0h (t), vh iL2 (Ω) + ∇(πh u(t) − uh (t)) · ∇vh = h(πh − 1)u0 (t), vh iL2 (Ω)

puisque Z
∀vh ∈ Vh , ∇(πh − 1)u(t) · ∇vh = 0

par définition de πh . Prenons maintenant vh = πh u − uh ∈ Vh . On trouve


Z
1d
||πh u(t) − uh (t)||2L2 (Ω) + ∇(πh u(t) − uh (t)) · ∇(πh u(t) − uh (t))
2 dt Ω
1 1 2
≤ ||πh u(t) − uh (t)||2L2 (Ω) + ||(πh − 1)u0 (t)||L2 (Ω) . (8.4)
2 2
D’après l’inégalité de Gronwall, on déduit que
 Z t 
2
||πh u(t) − uh (t)||2L2 (Ω) t 2
≤ e ||πh g − gh ||L2 (Ω) + 0
||(πh − 1)u (s)||L2 (Ω) ds
0

≤ C ||πh g − g||2L2 (Ω) + ||g − gh ||2L2 (Ω)
Z t 
0 2
+ ||(πh − 1)u (s)||L2 (Ω) ds
0
8.1. L’ÉQUATION DE LA CHALEUR 157

Comme g est régulière, g ∈ H k (Ω) et de même u0 (s) ∈ H k (Ω) d’après le Théorème


6.60 uniformément par rapport à s, donc

||πh u(t) − uh (t)||2L2 (Ω) ≤ C ||g − gh ||2L2 (Ω)


 Z t 
2
+ C ||1 − rh ||2H k (Ω)→H 1 (Ω) ||g||2H k (Ω) + 0
||u (s)||H k (Ω) ds .
0

En utilisant (8.1), on trouve que

lim max ||πh u(t) − uh (t)||L2 (Ω) = 0


h→0 t∈[0;T ]

quand h → 0, et donc que

lim max ||u(t) − uh (t)||L2 (Ω) = 0


h→0 t∈[0;T ]

puisque
lim ||πh u(t) − u(t)||L2 (Ω) = 0
h→0

d’après (8.3), u étant régulière. De même on trouve d’après (8.4)

lim max ||u(t) − uh (t)||H 1 (Ω) = 0


h→0 t∈[0;T ] 0

donc en particulier que

lim ||u − uh ||L2 (]0;T [,H 1 (Ω)) = 0.


h→0 0

Ceci termine la preuve du théorème. ♦

8.1.2 Discrétisation totale en espace-temps


Après avoir discrétisé le problème par rapport à la variable spatiale, il nous
faut maintenant discrétiser en temps le système d’équations différentielles ordinaires
(8.2). Pour simplifier, nous supprimons la référence à la variable h décrivant la taille
du maillage.
Nous considérons une grille uniforme en temps de pas de temps ∆t = T /n, et
nous posons tn = n∆t. Notons an l’approximation de α(tn ) calculée par un schéma.
Pour calculer numériquement des solutions approchées de (8.2), la méthode la plus
simple et la plus utilisée est celle du θ-schéma :
an+1 − an
S + K(θan+1 + (1 − θ)an ) = θb(tn+1 ) + (1 − θ)b(tn )
∆t
qui peut se réécrire sous la forme

(S + θ∆tK)an+1 = (S − (1 − θ)∆tK)an + ∆t(θb(tn+1 ) + (1 − θ)b(tn )). (8.5)


158CHAPITRE 8. MÉTHODE DES ÉLÉMENTS FINIS POUR LES ÉQUATIONS D’ÉVOLUTION

Lorsque θ = 0, on trouve le schéma d’Euler explicite, lorsque θ = 1, il s’agit du


schéma d’Euler implicite, alors que si θ = 1/2, on parle de schéma de Crank-
Nicholson ou du point milieu.
Dans la formule précédente, on suppose pour simplifier que f est assez régulière,
de sorte que b(tn ) ait un sens (sinon b n’est a priori seulement définie presque
partout). Si f n’est pas régulière, il faut remplacer b(tn ) par une moyenne de b(t)
sur un intervalle autour de tn .
Notons que comme la matrice S n’est en général pas diagonale, il est souvent
nécessaire de résoudre un système linéaire à chaque étape même pour le schéma
explicite. Bien sûr, on peut utiliser des schémas ne rentrant pas dans la classe (8.5).
Une propriété importante des schémas est leur ordre. Le lecteur vérifiera en
exercice que le θ-schéma est toujours d’ordre un, sauf quand θ = 1/2 où il est
d’ordre 2.
La solution exacte du système d’équations différentielles (8.2) est une fonction
α ∈ C 0 ([0; T ], Rm ) donc bornée sur [0; T ] (ceci est vrai même quand b(t) n’est que
dans L2 (]0; T [)). Une propriété importante d’un schéma est sa stabilité. Nous dirons
qu’un schéma est stable si ||a|| possède la même propriété et reste uniformément
bornée si on augmente le nombre de points de discrétisation.
Définition 8.4 (Stabilité). Un schéma est dit stable si on a

sup hSan , an i ≤ C
n

pour une constante C ne dépendant pas de ∆t (mais qui peut dépendre des données
α(0) et b(t) et de T ).
On a choisi la norme associée à la matrice de masse S (que l’on suppose inversible)
car c’est celle qui correspond à la norme de L2 (Ω). Mais bien sûr toutes les normes
sont équivalentes en dimension finie.
Lemme 8.5 (Stabilité des θ-schémas pour l’équation de la chaleur). Si 1/2 ≤ θ ≤ 1,
le θ-schéma est inconditionnellement stable. Si 0 ≤ θ < 1/2 il est stable sous la
condition
2
max λi ∆t ≤ (8.6)
1 − 2θ
où les λi sont les valeurs propres de S −1/2 KS −1/2 .
Preuve : On peut choisir de travailler une base orthonormée pour le produit
scalaire associé à S et qui est orthogonale pour celui associé à K. Dans cette base,
le θ-schéma s’écrit

(I + θ∆tD)ãn+1 = (I − (1 − θ)∆tD)ãn + ∆tb̃n

où b̃n contient les coordonnées de (θb(tn+1 ) + (1 − θ)b(tn )) dans la nouvelle base et

D = diag(λi )
8.2. L’ÉQUATION DES ONDES 159

contient les valeurs propres de K pour le produit scalaire de S, c’est-à-dire celles de


S −1/2 KS −1/2 . Donc on obtient
ãn+1 = D̃an + (I + θ∆tD)−1 ∆tb̃n (8.7)
   
1 − (1 − θ)∆tλi ∆tλi
D̃ = diag = diag 1 − .
1 + θ∆tλi 1 + θ∆tλi
La condition de stabilité pour un système sous la forme (8.7) est alors que D̃ ≤ 1,
c’est-à-dire
∆tλi
−1 ≤ 1 − ≤1
1 + θ∆tλi
pour tout i. Comme tous les λi ≥ 0, ceci se réduit à
∆tλi
≤2
1 + θ∆tλi
C’est-à-dire
∀i = 1...m, (1 − 2θ)∆tλi ≤ 2.

Il reste à démontrer la convergence du schéma vers la solution de l’équation de
la chaleur.
Théorème 8.6 (Convergence). Soit Ω un ouvert régulier, T > 0 un temps final. On
suppose que g ∈ L2 (Ω) et f ∈ L2 (]0; T [, L2 (Ω)) sont suffisamment régulières et on
note u l’unique solution faible de l’équation de la chaleur. On suppose aussi que Vh
satisfait (8.1) et que limh→0 ||gh − g||L2 (Ω) = 0. On note unh la solution de l’équation
de la chaleur totalement discrétisée par un θ-schéma avec θ ∈ [0; 1], en supposant la
condition de stabilité du Lemme 8.5 vérifiée. Alors on a
lim max ||unh − u(tn )||L2 (Ω) = 0.
∆t→0, 0≤tn =n∆t≤T
h→0

Pour la preuve et des estimées explicites, voir [13].

8.2 L’équation des ondes


8.2.1 Semi-discrétisation en espace
Comme pour l’équation de la chaleur, on peut discrétiser l’équation des ondes
seulement en espace. On introduit comme à la section 8.1.1 un espace Vh approchant
H01 (Ω) et on suppose que (8.1) est satisfaite.
On considère l’approximation variationnelle suivante : trouver uh vérifiant
 d2 R
dt2
huh , vh i + Ω ∇uh · ∇vh = hf (t), vh i ∀vh ∈ Vh , t ∈]0; T [
uh (0) = gh , ∂t∂
uh (0) = gh0 .
160CHAPITRE 8. MÉTHODE DES ÉLÉMENTS FINIS POUR LES ÉQUATIONS D’ÉVOLUTION

où
lim ||gh − g||H 1 (Ω) = 0, lim ||gh0 − g 0 ||L2 (Ω) = 0.
h→0 0 h→0

Soit (v1 , ..., vm ) une base orthonormée de Vh . Si on écrit


m
X
uh (t) = αkh (t)vk ,
k=1

on trouve que les αkh doivent vérifier


d2 h
 Pm Pm h
k=1 dt 2 α k (t)(Sh ) k,` + k=1 αk (t)(Kh )k,` = hf (t), vk iL2 (Ω) k = 1, ..., m
αhk (0) = hgh , vk i, dt αhk (0) = hgh0 , vk i,
d

où Z
(Sh )k,` := hvk , v` iL2 (Ω) , (Kh )k,` := ∇vk · ∇v` .

Ce système d’équations différentielles ordinaires s’écrit sous la forme matricielle
 2
Sh dtd 2 αh (t) + Kh αh (t) = bh (t)
(8.8)
α(0) = ah , α0 (0) = Ah

en posant    
α1h (t) hgh , v1 iL2 (Ω)
αh =  ...  , ah =  ..
,
   
.
h
αm (t) hgh , vm iL2 (Ω)
 0   
hgh , v1 iL2 (Ω) hf (t), v1 iL2 (Ω)
Ah =  ..  h  ..
, b =  .
 
. .
hgh , vm iL2 (Ω) hf (t), vm iL2 (Ω)
L’existence et l’unicité ainsi qu’une formule explicite s’obtiennent par diagonalisation
simultanée des matrices Sh et Kh . En pratique, on résout numériquement (8.8) par
une discrétisation temporelle, comme pour tout système d’équations différentielles
ordinaires.

Remarque 8.7. Quand f ≡ 0 (donc bh ≡ 0), l’équation semi-discrétisée en espace


(8.8) décrit un système Hamiltonien. En effet, on peut la réécrire

q 0 (t) = ∂H

∂p
(q(t), p(t))
0 ∂H
p (t) = − ∂q (q(t), p(t))
avec
1 1
H(q, p) = (Sh )−1/2 Kh (Sh )−1/2 q, q Rn
+ ||p||2Rn
2 2
où q(t) = (Sh )1/2 αh (t) et p(t) = q 0 (t).
8.2. L’ÉQUATION DES ONDES 161

On peut maintenant démontrer un résultat similaire au Théorème 8.3.


Théorème 8.8. Soient f ∈ L2 (]0; T [, L2 (Ω)), g ∈ H01 (Ω), g 0 ∈ L2 (Ω) et u ∈
L2 (]0; T [, H01 (Ω)) ∩ C 0 ([0; T ], L2 (Ω)) l’unique solution faible de l’équation des ondes
sur Ω. Soit uh l’unique solution variationnelle dans Vh définie ci-dessus. On suppose
que la suite Vh satisfait (8.1) et que

lim ||gh − g||H 1 (Ω) = 0, lim ||gh0 − g 0 ||L2 (Ω) = 0.


h→0 0 h→0

Alors on a

lim sup ||uh − u||H 1 (Ω) = lim sup ||u0h − u0 ||L2 (Ω) = 0.
h→0 t∈[0;T ] 0 h→0 t∈[0;T ]

Preuve : La démonstration suit celle du Théorème 8.3 : on commence par se


ramener au cas où f , g et g 0 sont régulières grâce à la continuité par rapport aux
données.
On introduit ensuite, comme précédemment, le projecteur orthogonal πh sur Vh
pour le produit scalaire de H01 (Ω). On a alors
00
H −1 (Ω) hu (t) − u00h (t), vh iH 1 (Ω) + hu − uh , vh iH 1 (Ω) = 0
0 0

pour presque tout t ∈]0; T [ et tout v ∈ Vh . On prend alors vh = πh u0 − u0h ∈


L2 (]0; T [, H01 (Ω)) car u est très régulière et πh : H k (Ω) → H01 (Ω) pour k assez grand
d’après (8.1). On obtient
00
H −1 (Ω) hu (t) − u00h (t), πh u0 − u0h iH 1 (Ω) + hπh u − uh , πh u0 − u0h iH 1 (Ω) = 0
0 0

c’est-à-dire
1d  2

||πh u0 (t) − u0h (t)||L2 (Ω) + ||πh u(t) − uh (t)||2H 1 (Ω)
2 dt 0

= h(πh − 1)u00 (t), πh u0 − u0h iL2 (Ω) (8.9)

car u est très régulière donc (1 − πh )u00 (t) ∈ L2 (]0; T [, H01 (Ω)) d’après (8.1).
Le lemme de Gronwall nous donne
2
||πh u0 (t) − u0h (t)||L2 (Ω) + ||πh u(t) − uh (t)||2H 1 (Ω)
0
 Z t 
t 0 0 2 2 00 2
≤ e ||πh g − gh ||L2 (Ω) + ||πh g − gh ||H 1 (Ω) + ||(πh − 1)u (t)||L2 (Ω)
0
0
 
2
≤ C ||g 0 − gh0 ||L2 (Ω) + ||g − gh ||2H 1 (Ω)
0
 
2 2
+ C ||1 − πh ||2H k (Ω)→H 1 (Ω) ||g 0 ||H k (Ω) + ||g||2H k (Ω) + ||u00 ||L2 (]0;T [,H k (Ω))
0

qui permet de conclure. ♦


162CHAPITRE 8. MÉTHODE DES ÉLÉMENTS FINIS POUR LES ÉQUATIONS D’ÉVOLUTION

8.2.2 Discrétisation totale en espace-temps


Il faut discrétiser le système d’équations différentielles ordinaires (8.8). Pour
simplifier, nous supprimons la référence à la variable h décrivant la taille du maillage.
Nous considérons une grille uniforme en temps de pas de temps ∆t = T /n, et
posons comme précédemment tn = n∆t. Nous notons aussi an l’approximation de
α(tn ) calculée par le schéma considéré.
Pour 0 ≤ θ ≤ 1/2, on peut considérer comme avant le θ-schéma

an+1 − 2an + an+1


S 2
+K(θan+1 +(1−2θ)an +θan−1 ) = θb(tn+1 )+(1−2θ)b(tn )+θb(tn−1 )
∆t
avec les conditions initiales

a0 = α(0) et a1 = α0 (0).

Un schéma plus fréquemment utilisé est celui de Newmark :

an+1 − 2an + an+1


S 2
+ K(θan+1 + (1/2 + δ − 2θ)an + (1/2 − δ + θ)an−1 )
∆t
= θb(tn+1 ) + (1/2 + δ − 2θ)b(tn ) + (1/2 − δ + θ)b(tn−1 )

qui généralise les θ-schémas obtenus en prenant δ = 1/2.

Lemme 8.9 (Stabilité du schéma de Newmark pour l’équation des ondes). Si δ <
1/2, le schéma de Newmark est toujours instable. Si δ ≥ 1/2, le schéma est stable
si
δ ≤ 2θ ≤ 1
ou si
2
0 ≤ 2θ < δ et max λi (∆t)2 <
i δ − 2θ
où les λi sont les valeurs propres de S −1/2 KS −1/2 .

Preuve : Comme précédemment, on se place dans une base orthonormée pour


S et orthogonale pour K, et on note b̃n le vecteur contenant les coordonnées de
θb(tn+1 ) + (1/2 + δ − 2θ)b(tn ) + (1/2 − δ + θ)b(tn−1 ) dans cette base. On introduit
aussi les matrices
2 2
!
2−λi (∆t) (1/2+δ−2θ) 1+λi (∆t) (1/2−δ+θ)
Ai = 1+θλi (∆t)2 1+θλi (∆t)2 .
1 0

On voit alors facilement que le schéma de Newmark s’écrit

(∆t)2
 n+1   n   n 
ãi ãi b̃i
n = Ai n−1 +
ãi ãi 1 + θλi (∆t) 2 0
8.2. L’ÉQUATION DES ONDES 163

où ãn contient les coordonnées de an dans la base considérée. Le schéma est donc
stable quand Sp(Ai ) ⊂ [−1; 1] pour tout i. Vérifier en exercice que l’on tombe bien
sur les conditions données dans l’énoncé. ♦
Comme pour l’équation de la chaleur, on peut étudier la convergence des schémas
que nous venons de présenter. Nous renvoyons à [13] pour plus de détails.

Théorème 8.10 (Convergence). Soit Ω un ouvert régulier, T > 0 un temps final.


On suppose que g ∈ H01 (Ω), g 0 ∈ L2 (Ω) et f ∈ L2 (]0; T [, L2 (Ω)) sont suffisamment
régulières et on note u l’unique solution faible de l’équation des ondes. On suppose
aussi que Vh satisfait (8.1) et que limh→0 ||gh − g||H 1 (Ω) = limh→0 ||gh0 − g 0 ||L2 (Ω) = 0.
0
On note unh la solution de l’équation des ondes totalement discrétisée par un schéma
de Newmark, en supposant les conditions de stabilité du Lemme 8.9 vérifiées. Alors
on a
lim max ||unh − u(tn )||L2 (Ω) = 0.
∆t→0, 0≤tn =n∆t≤T
h→0
164CHAPITRE 8. MÉTHODE DES ÉLÉMENTS FINIS POUR LES ÉQUATIONS D’ÉVOLUTION
Bibliographie

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165

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