4.la Formation Des Mots. Le-Petit-Bon-Usage-De-La-Langue-Franaise-Grammaire (1) - 119-158
4.la Formation Des Mots. Le-Petit-Bon-Usage-De-La-Langue-Franaise-Grammaire (1) - 119-158
4.la Formation Des Mots. Le-Petit-Bon-Usage-De-La-Langue-Franaise-Grammaire (1) - 119-158
1. Principaux préfixes
Préfixes d’origine latine
bien- bienfaisant
Remarque
Il y a deux préfixes anti-. L’un vient du latin anti, variante de ante (« avant »
dans le sens temporel ou locatif) : antédiluvien, antichambre. L’autre, plus
fréquent, vient du grec et a deux acceptions principales (« contre, opposé à
qqch » et « le contraire, l’opposé de ») qui peuvent traduire différentes
nuances de sens. Associé à un nom, le préfixe peut signifier « qui permet de
lutter contre » comme dans antichar, antirides, antidouleur (devant voyelle,
le -i peut tomber antalgique) ou « qui est l’opposé de » comme antihéros.
Associé à un adjectif, il peut signifier
« qui s’oppose à un système d’idées » : antibolchévique,
antieuropéen ;
« qui combat la maladie » : antibactérien, anticancéreux ;
« qui supprime les effets ou protège de » : antiatomique, antidérapant.
Il peut aussi fonctionner de manière plus générale comme un morphème
négatif :
Il faut reconnaître que les parents sont l’instance la plus anti-
érotique du monde. (AMÉLIE NOTHOMB, Barbe bleue, 2012)
Comme les mots, les préfixes sont des unités de sens qui peuvent être
polysémiques.
2. Principaux suffixes
Comme les préfixes, beaucoup de suffixes sont également
polysémiques. Ils peuvent apporter différentes nuances de sens aux
bases auxquelles ils sont attachés. Les sens présentés dans les
deux tableaux qui suivent constituent un large éventail qui n’est
cependant pas exhaustif. Comme on le voit, certains suffixes
(comme -in) peuvent être utilisés pour former des substantifs
(tambourin) aussi bien que des adjectifs (enfantin). L’ajout d’un suffixe
peut entrainer un changement de genre : le fer, la ferraille. Certains
ajoutent une connotation péjorative (-aille, -ard, -asse) : poiscaille,
fêtard, tignasse.
“
J’ai grommelé à son intention une ribambelle fleurie de mots
en -asse. (VÉRONIQUE PINGAULT, Les maisons aussi ont leur
jardin secret, 2015)
”
Principaux suffixes formateurs de substantifs
SUFFIXE
SENS EXEMPLES
S
SUFFIX
SENS EXEMPLES
ES
”
Certains verbes en -er sont formés au moyen d’un suffixe complexe,
qui leur fait exprimer une nuance diminutive, péjorative ou
fréquentative :
SUFF SUFF
EXEMPLE EXEMPLE
IXE IXE
4. La conversion
La conversion (aussi appelée dérivation impropre), sans changer
la forme des mots, les fait passer d’une catégorie grammaticale à
une autre.
a) Peuvent devenir noms :
1° des adjectifs : un malade, le beau, l’humanitaire ;
2° des infinitifs : le sourire, le savoir, un aller ;
3° des participes présents ou passés : un trafiquant, un raccourci,
une issue.
”
Remarque
En les faisant précéder de l’article, on peut donner à des pronoms, à des
impératifs, à des mots invariables, le caractère de noms : le moi, un rendez-
vous, le bien, les devants, de grands bravos.
a) Définition
On forme des mots nouveaux en combinant entre eux deux ou
plusieurs mots français : chou-fleur, sourd-muet, portemanteau, pomme
de terre, super-héros. Cette combinaison peut résulter d’une
composition à partir de deux mots indépendants (homme-grenouille,
porte-serviette) ou du figement d’une locution : homme de paille, pain
d’épice, plante verte, etc. Quand les éléments qui entrent dans la
composition ne sont plus interprétés dans l’usage, il est fréquent
qu’ils soient agglutinés : gendarme, monsieur, passeport, vinaigre.
Si le trait d’union permet de marquer la différence entre certains
composés et un groupe syntaxique libre équivalent (il progresse sans
gêne vs un sans-gêne), il n’est pas en soi un critère suffisant de
reconnaissance des mots composés, car l’usage de celui-ci n’est
pas uniforme : on écrivait traditionnellement malappris, mais mal-
1
aimé (avec trait d’union ou soudure ) ; eau-de-vie, mais eau de rose
(avec ou sans trait d’union). Il faut donc chercher d’autres critères
pour définir les mots composés. (› Trait d’union)
Certains composés se caractérisent par des traits
morphosyntaxiques inhabituels. Par exemple, chaise longue se
caractérise par la postposition de l’adjectif qui serait devant le nom
dans un syntagme libre une longue chaise ; rouge-gorge (en plus du
trait d’union) se caractérise par l’antéposition de l’adjectif de couleur
et par le genre masculin qui renvoie à la catégorie oiseau, à laquelle
ressortit le composé, plutôt qu’au nom gorge.
La notion de figement permet de rendre compte de l’existence des
locutions dans la langue. Ces unités figées sont perçues comme un
seul mot (une unité lexicale) et mémorisées telles quelles, même si
elles se composent de plusieurs mots séparés par des blancs. Selon
la nature des mots simples avec lesquels ces unités composées
peuvent commuter, on parlera de locution nominale, locution
adjectivale, locution verbale, etc. Plusieurs critères (qui ne sont pas
toujours présents simultanément) permettent d’identifier le figement.
1° Critère référentiel : on peut identifier le référent unique qui est
globalement désigné par les locutions pomme de terre, fort en thème
ou galop d’essai et remplacer celles-ci par un mot simple
équivalent : légume, érudit, test.
2° Critère syntaxique : certaines locutions se démarquent des
règles ordinaires de la syntaxe (accord, concordance des temps,
etc.) :
”
Elles peuvent également empêcher certaines transformations
telles que : la passivation (Max a fait fortune vs *La fortune a été faite
par Max), la nominalisation (ville haute vs *la hauteur de la ville), ou
l’adjonction d’un adverbe (boite noire vs *boite très noire).
3° Critère sémantique : le sens global de la locution n’est pas
toujours équivalent à la somme des parties dont elle se
compose : cordon-bleu (« fin cuisinier »), table ronde (« réunion où
les intervenants sont placés sur pied d’égalité »), boite noire
(« enregistreur des données de vol »). Ce critère est très
variable : par exemple, plante verte est plus facilement
compréhensible sur le plan littéral (on parle de transparence
sémantique) que boite noire dont le sens ne peut pas être
deviné.
Le phénomène du figement est dit gradable, car il y a des
séquences très figées qui refusent tout changement et d’autres qui
s’accommodent de certaines adaptations en fonction du contexte :
insertion de mots (avoir vraiment peur), accord du verbe (elle a fait
fortune), etc.
Remarques
1. Quand l’expression verbale inclut d’autres éléments que le verbe lui-
même, on parle d’expression verbale figée (› Phrase figée) :
Il est temps d’arrêter les frais. (MARC BRESSANT, La citerne, 2009)
Les choses sont claires, il n’y a pas à chercher midi à quatorze
heures. (JEAN GIONO, Le hussard sur le toit, 1951)
Lucile aimait naviguer à contre-courant, mettre les pieds dans le
plat, se savait sous surveillance. (DELPHINE DE VIGAN, Rien ne
s’oppose à la nuit, 2011)
2. Le défigement consiste à détourner une expression figée en remplaçant
certains éléments normalement obligatoires ou en modifiant une structure
syntaxique normalement fixe :
Clara rosissante qui a mis les petits plats dans les
gigantesques. (DANIEL PENNAC, La petite marchande de prose,
1989) (Au lieu de mettre les petits plats dans les grands.)
a) Définition
On forme des mots nouveaux en combinant entre eux des formants
grecs ou latins qui n’existent pas de manière autonome en français
(composition savante) ou en associant ceux-ci à un mot français
(composition hybride) :
grec + grec : phil-anthrope, baro-mètre, bio-graphie ;
grec + latin : stétho-scope, auto-mobile ;
français + grec : herbi-vore, cocaïno-mane ;
Ces compositions n’ont pas toujours eu lieu en français. La
formation peut être antérieure à un emprunt : baromètre a été formé
en anglais avant d’être emprunté en français ; philanthrope et
biographie existaient déjà en grec et sont donc des emprunts
savants. À l’inverse, herbivore (apparu en 1748) et philatélie (apparu
en 1864) sont des compositions françaises.
Comme on le voit, tantôt les éléments composants sont soudés,
tantôt ils sont reliés entre eux par le trait d’union, tantôt encore ils
restent graphiquement indépendants. Face à cette hésitation de
l’usage, on recommande la soudure dans les cas suivants
(› Recommandations pour les mots nouveaux) :
composés formés de contr(e)- et entr(e)- : entretemps,
contrexemple ;
composés formés d’extra-, infra-, ultra- : extraterritorial,
infrapaginal, ultracompliqué (la soudure est cependant évitée dans
les cas où un problème de prononciation surviendrait : intra-
utérin) ;
composés formés d’éléments savants (hydro-, baro-, socio-,
philo-) : hydrologie, bathyscaphe, barotraumatisme, sociopathe, etc.
les onomatopées et mots d’origine étrangère : froufrou, tictac,
weekend, etc.
Remarque
Dans de rares cas, l’ordre des éléments entrant dans la composition est
interchangeable et modifie le sens du mot. Ainsi, on oppose cruciverbiste
(« amateur de mots croisés ») et verbicruciste (« personne qui conçoit les
mots croisés »), mot de création plus récente.
FORMA
SENS EXEMPLES
NTS
SUFFIXE
SENS EXEMPLES
S
Remarque
De manière plaisante, des dénominations de collections sont formées à partir
de formants grecs et latins : puxisardinophilie (« collection de boites de
sardines », du grec puxi « boite »), lécithiophilie (« collection de flacons de
parfum », du lat. lecythus « lécythe, fiole »), digiconsuériphilie (« collection
de dés à coudre », du lat. digitus « doigt » et consuere « coudre »).
”
3. Composition à partir de mots
abrégés
De nombreuses compositions sont également réalisées à partir de
mots abrégés dont la forme pourrait se confondre avec un formant
grec ou latin ou un autre affixe. On parle alors de fractomorphèmes
pour désigner ces formes. Par exemple, dans téléfilm et téléréalité,
télé- est une abréviation de télévision et non le formant grec télé-
(« loin ») que l’on retrouve dans les mots téléobjectif, télécopieur,
télévision. De même, l’élément cyber- (tiré de cybernétique) est utilisé
dans une variété de composés évoquant les réseaux informatiques :
cyberespace, cyberattaque, cyberterroriste, etc. Dans bioingénieur ou
biodégradation on retrouve bien le sens du mot grec bios qui a servi à
construire biologie ou biologique (désignant de manière générale la
vie en tant que phénomène organique), alors que dans bioplanète
(nom de magasins spécialisés dans la vente de produits issus de
l’agriculture biologique), il s’agit d’une composition à partir du mot
autonome bio (adjectif ou substantif), abrègement de biologique
dans le sens « issu de l’agriculture biologique ».
“ Sauf qu’elle est soprano à l’Opéra de Cologne, pas
chanteuse dans des émissions de téléréalité. (MICHEL BUSSI,
Le temps est assassin, 2016)
”
3. Autres procédés de formation
a) Onomatopées
Les onomatopées sont des mots imitatifs qui reproduisent
approximativement certains sons ou certains bruits : cocorico,
glouglou, tictac, froufrou.
Remarque
Les onomatopées sont souvent formées par réduplication d’une même
syllabe. On notera qu’elles ne reproduisent jamais exactement les bruits ou
les cris dont elles voudraient donner une représentation phonétique. Le cri du
canard, par exemple, évoqué en France par couincouin, l’est en Italie par
qua-qua, en Allemagne par gack-gack (gick-gack, pack-pack, quack-
quack), en Angleterre par quack, au Danemark par rap-rap, en Hongrie par
hap-hap.
b) Sigles et acronymes
Les locuteurs résistent naturellement aux mots trop longs, et
souvent, les abrègent. Un premier mécanisme consiste à réduire
une expression à un sigle constitué de ses seules lettres initiales :
TVA (= taxe sur la valeur ajoutée), ULM (= ultra-léger motorisé), MDR
(= mort de rire), équivalent de l’anglais LOL (= laughing out loud),
RAS (= rien à signaler). Si ce sigle constitue un mot prononçable
comme un mot simple, on le qualifie d’acronyme : sida (= syndrome
d’immunodéficience acquise), OTAN (= Organisation du traité de
l’Atlantique Nord), LIFRAS (= Ligue francophone de recherches et
d’activités subaquatiques).
c) Abrègement
Un second mécanisme repose sur la suppression d’une partie du
mot : l’abrègement du mot peut porter sur les syllabes finales ou
initiales : auto(mobile), ciné(ma)(tographe), micro(phone),
métro(politain), (auto)bus. Le succès de certaines formes abrégées
peut être tel que le mot original tombe en désuétude ou ne subsiste
que dans des contextes littéraires :
”
Remarques
1. À l’origine LOL et MDR étaient exclusivement utilisés à l’écrit, dans les
échanges électroniques (SMS, courrier électronique, etc.) où ils servaient
de marquage énonciatif signifiant que l’on ne doit pas prendre au sérieux
ou que l’on trouve très drôle un passage que l’on vient de lire ou d’écrire.
L’usage s’est diversifié et l’on retrouve aujourd’hui ces deux formes
utilisées comme adjectifs (= hilare) ou substantifs (= éclat de rire) et même
à l’oral dans des expressions du type J’étais trop MDR. ou Hé, LOL,
hein ! Cette seconde expression assume la fonction originale : il s’agit
d’un commentaire signifiant que ce qui précède dans la discussion ne doit
pas être pris au sérieux. On remarquera que LOL et MDR ne sont pas
interchangeables dans ces expressions qui présentent un certain degré de
figement.
Je suis écrivain, ajoutais-je (wo shi zuodjia), et LOL des trois
filles qui s’esclaffaient de plus belle. (JEAN-PHILIPPE TOUSSAINT,
Made in China, 2017)
d) Analogie, contamination,
étymologie populaire, tautologie
Parmi les actions qui s’exercent dans le domaine de la formation des
mots et des expressions, il y a lieu de signaler encore : l’analogie, la
contamination, l’étymologie populaire et la tautologie.
L’analogie est une influence assimilatrice qu’un mot exerce sur un
autre au point de vue de la forme ou du sens ; ainsi bijou-t-ier a un t
d’après les dérivés comme pot-ier, cabaret-ier ; amerr-ir a deux r
devant le suffixe d’après atterr-ir (contrairement aux exemples
précédents, ici l’adaptation est purement graphique, elle ne s’entend
pas à l’oral).
La contamination est une sorte de croisement de deux mots ou
expressions d’où résulte un mot ou une expression où se retrouve
un aspect de chacun des éléments associés : ainsi le tour je me
souviens (aujourd’hui tout à fait commun) est issu de la
contamination de je me rappelle et il me souvient.
”
La tautologie est une expression pléonastique qui revient à dire
deux fois la même chose, généralement par répétition littérale : au
jour d’aujourd’hui.
Remarques
1. Un gallicisme est une construction propre et particulière à la langue
française (impossible à traduire littéralement dans une autre langue) : il ne
voit goutte ; je me porte bien, à la bonne heure (à ne pas confondre
avec l’autre sens de gallicisme : « emprunt fait au français pas une autre
langue »).
D’ailleurs même dans le même pays, chaque fois que
quelqu’un regarde les choses d’une façon un peu nouvelle, les
quatre quarts des gens ne voient goutte à ce qu’il leur montre.
(MARCEL PROUST, Le côté de Guermantes, 1920)
Ce petit chéri se porte bien, très belle flamme. (ALBERT COHEN,
Belle du Seigneur, 1998)