À Quoi Sert La Critique Architecturale
À Quoi Sert La Critique Architecturale
À Quoi Sert La Critique Architecturale
couverture
Pourquoi s’intéresser à la critique architecturale ? Tout d’abord parce que, dans la presse
professionnelle, elle participe de manière active à la structuration des valeurs partagées dans
le milieu de l’architecture et de la ville ainsi qu’à leur diffusion. Ensuite, parce que ces
processus de reconnaissance et de légitimation se trouvent encore amplifiés lorsque,
s’adressant à un plus large public, à l’occasion de la remise d’un grand prix ou de débats liés
aux grands travaux, elle focalise l’attention vers le segment le plus symbolique de la
production du cadre bâti. Mais peut-être est-ce avant tout parce qu’au delà de l’identification
de ces édifices singuliers, elle peut aussi prendre la forme d’un outil didactique visant
l’acculturation aux problématiques architecturales, pour une meilleure compréhension de la
ville contemporaine. Pourtant, au regard de ces enjeux, les motifs mobilisés par la critique
semblent souvent incertains et mouvants, pouvant allier subjectivisme esthétique, analyse
technique ou encore, pêle-mêle, arguments politiques, économiques, sociaux et
environnementaux.
Issu d’un séminaire organisé en 1999 à l’École d’architecture de Nantes, cet ouvrage collectif
vise à mieux saisir les mécanismes de la critique architecturale, en identifiant les différentes
pratiques qu’elle recouvre, selon les auteurs, les destinataires et les objets qu’elle vise.
Architectes, historiens et sociologues y explorent les définitions, le cadre problématique et les
ancrages disciplinaires de la critique architecturale telle qu’elle s’exerce ou pourrait s’exercer.
Ces témoignages dessinent une première cartographie de la critique, distinguant une vocation
didactique orientée vers un large public et un versant plus spécialisé alimentant les débats
doctrinaux au sein des milieux professionnels. La seconde partie « Diffusion et appropriation
de la critique » explore des modes d’exercice plus diversifiés mais non moins efficients qui
ont émergé depuis la fin du XVIIIe siècle. À la pratique « populaire », centrée sur l’intérêt
spectaculaire d’une architecture au fort potentiel symbolique, pourrait se rattacher aujourd’hui
l’attribution des grands prix et autres logiques de distinctions, dont on évoque le flou des
critères. Cette critique journalistique ne façonne pas seulement les légitimités
professionnelles, elle sert aussi les identités territoriales, dans un contexte de compétition
accrue entre villes. Moins médiatique, la critique « profane » exercée à l’encontre des projets
en cours dans les rapports ou commissions se révèle particulièrement influente sur les
paysages urbains. Elle s’incarne aujourd’hui par la pratique « au quotidien » des agents
territoriaux lors des jugements de concours publics ou lors de l’attribution des permis de
construire. L’un des articles en dénonce l’indigence conceptuelle : quand, dominée par
l’application des règlements et la recherche d’une certaine conformité avec l’existant, elle
conduit, en l’absence de référents plus stimulants, à un appauvrissement et à une banalisation
du bâti. Nettement plus féconde apparaît la critique « professionnelle » exercée par et pour les
architectes lors du processus de conception, comparant et discutant la pertinence de
différentes esquisses au regard du contexte ou du programme. Ce mode de critique est à
l’origine de l’enseignement moderne de l’architecture, des « concours d’émulation » de
l’École des beaux-arts jusqu’à l’échange argumenté entre étudiant et enseignant tel qu’on le
connaît aujourd’hui. Mais hors des processus de reconnaissance, de censure ou
d’apprentissage peuvent également s’inventer des modes d’évaluation plus indépendants,
notamment dans le cadre universitaire. Reste par exemple à imaginer le protocole d’une
critique « ordinaire » et « interdisciplinaire » qui explorerait les qualités d’une production plus
courante que celle habituellement mise au débat dans les médias, au prisme de critères à la
fois plus explicites et plus diversifiés, dépassant les logiques de consécration auxquelles la
presse reste inféodée.