Euthyme-Les Bogomiles

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Les Bogomiles

Exposé sur l’hérésie des Bogomiles, écrite par le moine Euthyme de


Zigabène

(p. 89) On a établi1 que l’hérésie des Massaliens était la source boueuse
et la racine mauvaise de l’impiété des Bogomiles, qui est en train de se
répandre. C’est de là en effet que, comme transportés par canaux
nauséabonds, se sont écoulées cette hérésie et beaucoup d’autres, ayant
beaucoup en commun, mais différant par des (aspects) encore plus
nombreux. Parmi les gens pieux, l’un a vilipendé par écrit le courant qu’il a
rencontré en son temps, l’autre un autre. Ils se sont accrus dans les époques
qui ont suivi. Ce n’est que depuis peu que nous enregistrons ce courant des
Bogomiles qui s’est étendu le plus loin, de nos jours et s’est partout
disséminé ; il ne diffère pas sur de nombreux points de ceux qui ont été
vilipendés avant nous, mais il s’en sépare sur des dogmes innombrables,
étant donné qu’il est et qu’il se manifeste plus révolutionnaire en de
nombreuses aberrations. D’où, simplement le fait de la raconter est une
souillure de la langue, de l’ouïe et de la pensée. Mais puisque les didascales
doivent imiter le médecin, en donnant un enseignement non seulement sur
les plantes utiles, mais également sur celles qui sont nocives et mortelles,
afin que l’on recoure aux unes, mais que, ayant appris à les reconnaître, on
évite les autres. Il se pourrait donc bien que ce ne soit pas inopportun de
traiter de cette hérésie, qui comporte des points communs avec beaucoup
d’autres, qui l’emporte sur toutes par l’extrême degré du blasphème.
Jusqu’à présent, sous une belle apparence de piété, (p. 90) elle était cachée
et, à cause de cela, difficile à déceler, non seulement pour une vue
ordinaire, mais également pour ceux qui sont doués d’une vue plus aiguë et
qui voient avec plus de subtilité que le grand nombre. Le très divin et très
grand, parmi les empereurs, Alexis l’a pourchassée et l’a attrapée de
manière merveilleuse et par un bel engin.
Il a fait en effet venir le chef des didascales de l’hérésie – il était
médecin de la maison de l’empereur, un homme pernicieux au plus haut
point et habile à recouvrir ce qui est mauvais sous une imagerie de ce qui
est bon, trésor d’impiété, abîme de bassesse, source inépuisable de
filouterie, mer difficile à franchir ! – et d’abord il l’a reçu avec honneur, l’a
jugé digne d’occuper un siège à côté de lui, lui a répondu par des propos
amènes, a entretenu une relation pleine de charme, a été, dans l’échange,
d’une grâce pleine de douceur, a répondu de manière subtile à l’homme qui
s’imaginait faire de lui un disciple. Il n’a pas eu de peine à tromper celui
qui en avait trompé beaucoup pour leur perdition ; par l’acuité de son esprit

1
E. Fick a composé en plus petits caractères les correspondances exactes avec le texte des
Panoplia dogmatica du même Euthème de Zigabène, publiés par Migne (Graeca Patristica, vol. 130,
1289-1322). Je n’ai pas jugé nécessaire de le faire.
et une habileté pleine de naturel, il a réussi à remonter à la trace jusqu’à la
malignité profondément enfouie dans ce vieillard plein de pourriture à
recracher : il l’a exploré dans ses moindres recoins, il l’a deviné tout entier.
Dès lors, après avoir fait sortir de l’obscurité de son cœur, comme d’une
tanière les bêtes sauvages de toutes sortes et diversement rusées, (après
avoir, donc, fait sortir) par le piège de l’hypocrisie, ses dogmes aux visages
changeants, infects et empoisonnés, après avoir emberlificoté de belle
manière ce vieux raisonneur de vieillard, ce mal antique, ce prince de
l’impiété, il nous a ordonné de transmettre tout cela par écrit et de
promener en cortège triomphal les mystères ridicules de ladite hérésie, afin
que tous reconnaissent que ce sont d’interminables bavardages les appâts
du diable, pièges d’une âme débile, atelier richement outillé de la perdition.
Telle est l’action de bon sens que notre empereur très pieux a réussie,
digne d’être célébré par des chants épiques ; ce lui était un divertissement
de sa sagesse, lui qui a mis en pleine lumière, avec quelle prestesse,
l’expert en toutes sortes de roueries, le vantard en toutes choses, le vieillard
aux pensées puériles, le vieillard ayant des esclaves pour mignons ; il a
dressé avec la masse de ses tromperies un trophée, plus haut et plus
étonnant que les nombreux autres trophées qui l’ont illustré, dans la mesure
où, si auparavant il combattait contre des peuples, c’est maintenant contre
le serpent, l’apostat, la grande intelligence, l’Assyrien, l’ennemi commun
de tous (qu’il a combattu2). Quant à moi, en vérité, admirant pour le reste sa
supériorité dans tous les domaines, l’acuité de son intelligence, la sûreté de
sa mémoire, l’agrément de ses discours, un plus grand agrément encore
dans ses manières, (p. 91) la promptitude de son jugement, sa prudence
pour se tenir sur ses gardes, combien il est craint de ses ennemis, désirable
pour ses amis et ceux qui lui sont soumis, prêt à accomplir de grandes
œuvres, capable de préserver ses succès, désireux de faire le bien, lent à
châtier, ami de la vérité, ennemi du mensonge, pour le dire d’une formule,
reposoir de toute vertu, ce qui me frappe de stupeur plus que tout cela,
c’est (de constater) de quelle façon aucun des sages innombrables et aucun
des prêtres et personne de tout le catalogue de ceux qui passent leur vie
dans les raisonnements n’a eu la capacité, après tant d’années, d’aboutir à
un résultat. Lui seul y a réussi en peu de jours et a fait la preuve qu’une
ferveur, inspirée et soutenue par la grâce d’en haut venue le toucher et
s’attacher à lui, peut de grandes choses.
Afin que notre exposé (logos) progresse sans incohérence, il nous faut
reprendre des explications de plus haut, à partir de ce qu’ils appellent les
études des origines et la théologie – ce que nous appelons les bavardages
insanes et l’athéologie – qu’ils transmettent à ceux à qui poussent les
premières plumes3 dans l’apprentissage de leur superstition après les leçons
préparatoires de leur catéchèse, gardant pour la fin les dogmes les plus
2
Entendre que l’empereur Alexis (Comnène) a combattu le diable, en digne émule de l’archange
Michel. Sous Assyrien, il faut sans doute entendre « le Parthe ».
3
La métaphore est un souvenir platonicien : aux premiers moments d’une montée vers la
connaissance et la révélation du beau, identiquement le bien suprême, l’âme s’échauffe et il lui pousse des
ailes.
exécrables et les mettant en réserve pour les plus parfaits initiés en impiété
en tant que révélation mystique. Puisque beaucoup de ces choses n’ont pas
d’assise ferme, sont embrouillées, contradictoires les unes aux autres, il
faut mettre cela sur le compte de la stupidité des hérésiarques, tant il est
clair qu’ils tiennent des raisonnements contradictoires et que, dès le
prélude, ils s’embarrassent dans leurs ailes. Telle est la méchanceté : elle
fait la guerre à la vertu et se fait la guerre à elle-même, se transperçant de
tous côtés de ses propres flèches !
Leur fable raconte (« ils mythologisent ») que le Dieu bon et Père de
milliers de milliers et de myriades de myriades d’anges, a créé un second
de lui-même ayant pour fonction d’administrer tout le domaine (= le
monde) ; c’est ainsi qu’il a eu Samael, enveloppé de la même forme et du
même vêtement que lui, assis à sa droite sur un trône ; il lui est attribué un
honneur (une dignité et compétence) qui vient juste après le sien. Samael
s’en est laissé enivrer et entraîner au geste inconsidéré de comploter une
révolte et, ayant saisi l’occasion favorable, de soumettre à une épreuve
toutes les puissances du service divin, au cas où elles accepteraient,
soulagées du poids de ce service, de l’escorter et de se soulever avec lui
contre le Père. Pour preuve de cette fantaisie, capable d’inspirer la
confiance, ils détournent, dans l’Évangile de Luc, la fable de l’intendant de
l’injustice, celui qui diminue les dettes des débiteurs. Car l’intendant, c’est
Samael, à propos de qui a été écrite une telle parabole. Ensuite, donc, ayant
appâté les anges dont il a été parlé en les soulageant (p. 92) d’un service
divin trop astreignant et en usant d’autres promesses pompeuses – il leur a
dit : « Je placerai mon trône sur les nuages et je serai semblable au Très
Haut » - ils l’ont suivi dans sa révolte et ont participé au complot. Lorsque
Dieu s’en est aperçu, il les a rejetés des hauteurs tous ensemble.
Samael était dans l’embarras : il ne pouvait siéger sur les eaux. Car la
terre, disent-ils, était invisible ; c’est qu’elle n’était pas prête. Comme il
était encore vêtu de la forme et du vêtement divins et qu’il possédait, par
charisme, la capacité de créer, il a convoqué les puissances, a insufflé en
elles de l’audace et leur a dit : « Puisque Dieu a créé le ciel et la terre – car,
disent-ils, au commencement, c’est Dieu qui a créé le ciel et la terre – en
tant que second Dieu, je ferai un second ciel et, en suivant, tout ce qui va
avec lui. » Et il a dit : « Que soit le firmament. » Et il fut. « Que soit ceci et
encore ceci. » Et il fait être toutes choses. Il a orné le second ciel, repoussé
l’eau de la face de la terre, qu’il a disposée dans les lieux qu’il a jugé bon, à
la façon dont le livre de la cosmogénèse le raconte, il l’a embellie, lui a
accordé le charme de la grâce juvénile : alors il se l’est attribuée pour
demeure pour lui-même et les puissances qui s’étaient révoltées avec lui.
Ensuite il a façonné le corps d’Adam en mélangeant de l’eau avec de la
terre, il l’a mis debout ; une moisissure s’est écoulée sur le pied droit et se
déversant jusqu’au sol en passant par le grand orteil, a coulé en forme
d’hélice et pris la figure d’un serpent. Ayant rassemblé le souffle qu’il avait
en lui, Samael a insufflé la vie dans le corps qu’il avait façonné ; son
propre souffle, à cause de son absence de densité (« à cause de sa
porosité »), s’est écoulé de la même façon sur le pied droit et, se déversant
autour du grand orteil, a pris en tombant sur le sol la forme hélicoïdale
d’une giclure. Recevant aussitôt la vie et coupée du doigt, elle s’est
transformée en serpent et a rampé. L’intelligence 4 et la réflexion se fixent
en lui, étant donné que le souffle que Samael lui avait insufflé s’était
installé dans son âme, ce que voyant et ayant reconnu qu’il se dépensait en
vains efforts, notre démiurge d’un nouveau genre a dépêché une ambassade
auprès du bon Père et l’a prié de lui envoyer un souffle ; il lui promettait
que l’homme serait leur créature commune s’il lui insufflait la vie ; sa
descendance emplirait les lieux des cieux vidés des anges qui avaient été
rejetés. Dieu, comme il est bon, a envoyé un souffle et a insufflé dans la
créature façonnée par Samael un souffle de vie et l’homme aussitôt s’est
transformé en une âme vivante, faisant briller le corps, l’illuminant de
nombreuses grâces. Ainsi a-t-il été fait d’Ève également ; comme les
mêmes lumières l’enveloppaient d’éclairs, Samael en est devenu envieux, il
a changé de disposition à son égard, est poussé à comploter contre sa
propre créature, à se glisser dans les entrailles du serpent, à tromper Ève, à
s’unir à elle, à l’engrosser, afin que, prenant les devants sur la semence
adamesque, il en devienne le maître, pour qu’il la corrompe autant qu’il le
pouvait (p. 93) et qu’elle refuse de croître et de se multiplier. Les douleurs
de l’enfantement n’ont pas tardé ; de son union avec Samael, Ève a mis au
monde Caïn et une sœur jumelle, de même trempe, que l’on a nommée
Calmène. Par jalousie, Adam s’est uni à Ève et elle a mis au monde Abel,
que Caïn aussitôt a tué, introduisant de cette façon le meurtre dans la vie.
Voilà pourquoi l’apôtre Jean, lui aussi, dit que Caïn était fils du Mauvais.
Comme Samael a été corrompu en raison de ses rapports lubriques avec
Ève, par l’intermédiaire du serpent, sa forme et son appareil divins lui ont
aussitôt été enlevés ; il a perdu son « charisme de démiurge », selon
l’expression employée, et son titre de Dieu. Car jusqu’alors, lui aussi était
appelé Dieu. Dépouillé de tout cela, il est devenu ténébreux et d’une figure
repoussante. Le Dieu bon, qui jusqu’alors avait contenu sa colère, l’a laissé
tomber, lui qui avait été un maître et seigneur du monde : il a été précipité
du haut de sa propre création.
C’est ainsi qu’il a eu en sa possession (le monde d’en bas) et qu’il a
exercé sa souveraineté sur toutes choses. Comme les hommes subissaient
un joug amer et étaient voués à une perdition brutale, à peine quelques-uns
sont revenus vers le Père et se sont élevés jusqu’aux rangs des anges. Le
Père a compris trop tard qu’il avait été emberlificoté et, ayant reconnu qu’il
subissait une injustice du fait que, ayant donné la part la plus précieuse de
l’homme et ayant eu l’intervention décisive dans son partage, il n’en
recueillait qu’une infime portion, en même temps, saisi de pitié en voyant
que l’âme, issue de son propre souffle, subissait de si rudes épreuves et un
tel asservissement, il a résolu de repousser l’adversaire et à la cinq-mille-
cinq centième année, il a exprimé hors de son cœur un Logos, c’est-à-dire
4
Texte grec inintelligible : Διὰ νοὺτο γὰρ ; je propose de lire : διανοητὸν γὰρ, « capable
d’intelligence ».
son fils, Dieu lui aussi. « Car mon cœur a émis un Logos bon », dit-il. Et il
lui a enseigné ses propres œuvres (‘exploits’ : werga). « Car, dit-il, je récite
(je rapporte : legō) au roi5 mes œuvres. » Voilà pourquoi, dans les
Évangiles, il dit : « Si je n’accomplis pas les œuvres de mon Père, ne me
faites pas confiance ». Ils soutiennent mordicus que ce Logos et Fils, c’est
l’archange Michel. Et on lui donne le nom, disent-ils, d’« Ange du Grand
Conseil ». Il est appelé « Archange » en ce qu’il est de nature plus divine
que tous les autres anges, « Jé-sus » en ce qu’il « guérit » (Ja-tai) toute
maladie et toute faiblesse, « Christ » parce qu’il a été oint en sa chair. Il est
descendu d’en haut (du premier ciel) et il s’est glissé dans l’oreille droite de
la Vierge6 où il s’est enveloppé d’une chair apparemment d’une matière
semblable au corps de l’homme, en vérité immatérielle et d’un éclat divin ;
il est aussitôt sorti (de l’oreille) ; par où il était venu, la Vierge n’en a
identifié ni l’entrée, ni la sortie ; simplement, elle l’a trouvé, enveloppé de
langes, couché dans une caverne. Puis il a rempli ses fonctions corporelles,
a exécuté et enseigné ce que les Évangiles ont composé. En revanche, ce
n’est qu’en apparence qu’il a été exposé aux souffrances humaines, (p. 94)
qu’il a été crucifié, qu’il est mort ; c’est une illusion qui a fait croire qu’il
est ressuscité afin d’en finir avec la scène (du monde comme théâtre), de
mettre à nu le drame et, ayant rejeté le masque, de tenir l’apostat, de
l’attacher d’un lien épais et pesant, de l’enfermer dans le tartare. La
terminaison du nom (de Samael), ēl, étant donné que c’était une
terminaison angélique, lui a été enlevée ; comme il ne s’appelait pas
seulement Samael, mais aussi Satanael, il en a résulté Satan. Ensuite,
lorsqu’il (le Logos) a achevé l’office qui lui avait été remis entre les mains,
il a accouru vers le Père et s’est assis à sa droite, sur le trône dont Satanael
avait été rejeté, puis, il est retourné d’où il était parti, s’est reposé à
nouveau dans le Père, dans le sein duquel, au commencement, il était
enfermé. Lorsque, dans le monde, il donnait son enseignement à ses
disciples, il leur a donné son esprit saint, c’est-à-dire l’enseignement
évangélique, selon lequel le fils est le Logos du Père, l’Esprit le Logos du
fils. Ô l’insane doctrine dénuée de tout bon sens ! Et maintenant le Père se
trouve posséder trois visages de facture différente, au milieu, celui de la
forme humaine, celle à l’image et ressemblance de laquelle l’homme a été
façonné7. De chaque côté de la tête du Père resplendit un rayon, à sa droite,
le Fils, à sa gauche, l’Esprit. C’est ainsi que le Père, transformé, a été
affublé de trois visages en un second temps. Dans un premier temps, il
n’avait qu’un seul visage. Comme cela a été démontré auparavant, Satanael
avait lui aussi la même forme (du visage). Voilà pourquoi, en façonnant
l’homme, il a dit : « Faisons l’homme à notre image et ressemblance ».
Purement et simplement, c’était la sienne et celle du Père.
Voilà ce que le produit éventé d’un mauvais vieillissement, leur grand
didascale et initiateur de leurs apôtres, l’artefact que le Mauvais oppose à
5
Dans le contexte, le roi c’est Dieu, le Père : le Fils, en tant que Logos, est compris comme celui
qui, par ses œuvres, met à nouveau le monde en relation (= λέγει) avec Dieu.
6
En tant que Logos, l’oreille est évidemment son lieu le plus approprié !
7
Γεγονέναι : mot à mot : « a été fait devenir ».
la vérité, l’instrument de la compagnie du diable, le trésor de Satan, l’outil
de toute impiété a raconté et expliqué, lui donnant le nom de condensé de
leur hérésie impure. Afin que soient bien visibles, pour beaucoup, parce
que rassemblés, les objets de croyance de ces gens dénués d’intelligence, il
y a lieu d’en saisir, sous forme de résumé, dans l’ordre où il les a transmis,
les plus significatifs, des « perles » comme il les appelait, les tenant pour
révélations mystiques, interdites et inexplicables aux profanes, (p. 95) alors
que ce sont choses de loin plus viles et plus abjectes que le sable, la
poussière, la cendre et la pourriture, pour le dire d’un mot, alors que ce sont
choses répugnantes, à recracher. Car cet enseignement, bizarre, est d’une
amertume à faire vomir ; c’est réellement une vomissure bourbeuse.
1. Ils expliquent que le Père supracéleste est trimorphe, comme cela a été
montré plus haut et qu’il a une face changeante. A ce sujet, ils expliquent
encore qu’il a lui-même engendré le Fils, que le Fils a engendré le Saint-
Esprit. Ce dernier a engendré Judas et les apôtres. À l’appui (de ce qu’ils
affirment), ils rapportent une parole évangélique : « Abraham, disent-ils, a
engendré Isaac, Isaac a engendré Jacob, Jacob a engendré Judas et ses
frères. Voilà ce qu’ils osent soutenir de toutes leurs forces qu’il est écrit au
sujet de la Sainte Trinité.
2. Ils expliquent que le Fils et le Saint-Esprit sont retournés dans le Père,
là d’où, primitivement, ils sont venus, qu’ils s’y sont dissous, καὶ
τριπρόσωπον αὐτὸν ἀπὸ τοῦ, εφ’ ἔτους ἄχρι καὶ τριακοντατριῶ ἐτῶν
χρηματίσαντα, et que Dieu après avoir agi revêtu de trois faces depuis
l’année de l’origine (de la naissance du Christ) jusqu’à trente-trois ans, il
est redevenu à une seule face, sans substance corporelle, mais avec une
forme humaine. Hélas ! Quelle inintelligence ! Ou plutôt : quel immense
éclat de rire !
3. Ils expliquent que le fils est le Logos du Père, que l’Esprit Saint est le
Logos du Fils. Et pour tenir des propos aussi monstrueux et proférer des
blasphèmes sans queue ni tête, ils ne se cachent pas.
4. Ils expliquent que Samael est le Fils du Père, ayant précédé le Fils et
Logos. Et qu’il était plus fort, puisque son aîné. Issus du même père, ils
sont donc frères. Ô qui, en parlant, saurait les frapper du coup que leur
mérite leur folie ?
5. Ils expliquent que le Fils et Logos a pris position contre la première
armée de Samael et qu’il lui a pris les premiers produits de ses
enfantements et son trône.
6. Ils expliquent que l’homme est propriété commune de Dieu et du
démon. Que son corps a été façonné par le démon, que son âme a été
insufflée en lui par Dieu. Voilà pourquoi une partie des hommes est
familière avec Dieu, une autre avec le démon. (p. 96)
7. Ils expliquent que le serpent, et c’est le seul de tous les animaux, qui
sont privés de raison, possède et l’intelligence et le Logos, même si ce n’est
pas de façon achevée ; il est dit par l’Écriture « sensé », parce que l’âme
insufflée par Samael et qui s’est écoulée à travers Adam jusqu’à lui, a
trouvé un appui et un lieu où habiter.
8. Ils expliquent que Caïn est la semence de Samael, qui a partagé la
couche d’Ève par l’intermédiaire du serpent. Qu’Abel est la semence
d’Adam. Et, comme cela a été montré plus haut, ils produisent l’apôtre
comme témoin (de ce qu’ils disent). Il ne leur vient pas à l’esprit qu’il l’a
dit inspiré par le Mauvais et parce qu’il avait appris sa méchanceté de lui.
Souvent, en effet, le disciple est appelé « enfant » et le didascale à son tour
« Père ».
9. Ils expliquent qu’il n’y a eu ni Fils ni Saint-Esprit ἄχρι τοῦ ἐφ’ ἔτους,
jusqu’à l’année de la naissance du Christ.
10. Ils expliquent que le Fils s’est incarné, mais dans une chair
immatérielle, appropriée à Dieu, n’ayant besoin d’aucune nourriture. « Car,
dit-il, ma nourriture, c’est que je fasse la volonté de mon Père. » À partir de
là, ils élaborent une croyance fantaisiste et ils affirment que c’est là toute
l’économie de l’humanisation du sauveur.
11. Ils expliquent que les démons habitent dans tous les sanctuaires, par
un tirage au sort analogue à celui qui leur a attribué leur rang et leur
puissance. Que Satan a obtenu depuis longtemps pour son propre lot le
fameux temple de Jérusalem, qu’après sa destruction, il s’est approprié,
dans ce royaume, la demeure prééminente, dont la renommée est partout
répandue, de la Sagesse de Dieu (Sainte Sophie). Car, disent-ils, le Très
Haut n’habite pas dans des temples faits de mains d’hommes, il a le ciel
pour demeure. Mais en vérité : « Ma maison, dit-il, sera appelée maison de
prière. » Et : « Ne faites pas, dit-il, de la maison de mon père une maison
de commerce » ; il le dit à propos du temple de Jérusalem, fait de mains
d’hommes. On trouvera des exemples innombrables dans l’écriture divine
(allant dans ce sens).
12. Ils bafouent la hiérurgie (l’œuvre de l’alliance) mystique et
redoutable, le sacrifice (p. 97) de ceux qui habitent dans les temples
(églises) en les appelant des démons. Ô lèvres abjectes ! Ô langue encore
plus abjecte ! Et en témoignage, ils avancent la parole du prophète
Isaïe : « ceux qui préparent une table (un autel) pour le hasard et qui
remplissent pour le démon (une coupe de) mixture » ; il leur échappe que la
formule se rapporte aux célébrants du culte des idoles, les tordus !
13. Ils appellent « pain de la communion » la prière du « Notre Père ».
Car le pain, disent-ils, c’est « celui qui est au-dessus » (le « sur-être », epi-
ōn). De même la coupe de la communion, c’est ce qui est dit « alliance »
dans l’Évangile. « Ceci, disait-il, est la coupe de la nouvelle alliance. » La
transformation de ces deux (substances), c’est un repas mystique. Si on leur
rétorque : « Et comment donc Notre Père est-il rompu et partagé en tant
que corps du maître, comment (est-il possible) que ‘maintenant le fils de
l’homme soit glorifié’ etc., en tant que sang du sauveur, qui a été versé
pour nous », ils admettent qu’ils ne le savent pas8.
8
En adressant à l’autre une question à laquelle il est impossible de répondre, le chrétien
orthodoxe, Euthyme, le moine, empêche de prêter attention à sa propre doctrine, que l’on appelle le
« mysterium magnum », tout simplement parce qu’elle est non moins inexplicable que la doctrine
« hérétique ». Une doctrine dogmatique (cela a été le cas non seulement des orthodoxies chrétiennes, du
catholicisme notamment, mais également des doctrine marxistes, par exemple, ou des doctrinaires de la
14. Ils bafouent les icônes augustes, en expliquant que ce sont des idoles
des païens, de l’argent et de l’or, faites de mains d’hommes. Ils
méconnaissent qu’une idole n’est pas une icône et que les prototypes des
idoles païennes ne sont pas des originaux ; ils sont mensongers9. Car ils
affirmaient avec force que leurs dieux ne sont pas des dieux, mais des
démons se revêtant mensongèrement de la divinité. Les prototypes de nos
icônes existent réellement et véritablement ; ce qu’ils appellent « idoles de
choses abjectes », ce sont des « icônes des choses saintes » (dignes d’être
vénérées).
15. Ils expliquent qu’il est écrit dans leurs évangiles la parole du
Seigneur expliquant : « Respectez les êtres démoniques, non pas pour que
vous en tiriez quelque profit, mais pour qu’ils ne vous nuisent pas. »
Ensuite, en guise d’interprétation, ils disent qu’il convient de respecter les
êtres démoniques qui habitent dans les temples faits de mains d’hommes en
se prosternant devant eux et en leur rendant un culte par la
transsubstantiation des sacrifices qui leur sont offerts et par l’adoration des
icônes matérielles, qui portent une figure en hommage à eux, afin d’éviter
qu’irrités ils ne détruisent ceux qui ne le font pas, étant donné que grande
et invincible est leur puissance de destruction : contre elle ni le Christ, ni le
Saint-Esprit en collaboration avec lui ne sont efficaces, parce que le Père
les épargne encore et ne les dépouille pas de leur force ; il leur a accordé la
souveraineté sur tout le cosmos jusqu’à l’achèvement (des temps). Et en
effet, lorsque le Fils a été envoyé dans le monde, il a demandé la totale
destruction des démons mais il ne l’a pas obtenue à cause de la bonté de
son Père.
Y aurait-il absurdité plus absurde que celle-là ?
16. Ils expliquent qu’est aussi écrit ce commandement (p. 98) :
« Cherchez à être sauvés en adoptant les manières 10 (des chrétiens). »
C’est-à-dire en imitant, par ruse et tromperie, la foi de ceux qui exercent
sur vous des contraintes. Voilà à quoi invite la formule : « Tout ce qu’ils
vous disent de faire, faites-le », évidemment, hypocritement, mais, en
vérité, « n’agissez pas selon leurs œuvres ». Considère, disent-ils, que le
Seigneur parlait à ses disciples dans un langage transparent, en paraboles
aux incroyants, afin que les incroyants, voyant ce qui de l’hypocrisie
transparaît (l’allégorie de la parabole), ne voient pas ce qui est caché dans
vos cœurs et, écoutant, n’entendent pas ; parabole est pour eux un nom
pour hypocrisie et tromperie. Ils encouragent à dire la vérité, mais, en
faisant cela, il leur échappe qu’ils enseignent à mentir.
révolution française, etc.) engendre nécessairement des doctrines déviantes, dites hérétiques, dont la
fausseté seule atteste la vérité de la doctrine dominante.
9
Il faut probablement comprendre que la figuration des dieux païens (Apollon, Artémis,
Aphrodite, Vénus, etc.) ne reposent sur aucun type primitif du dieu lui-même, tandis qu’une icône, repose
sur deux « types » directement issus de leur modèle, le visage que Jésus-Christ lui-même a imprimé de
ses mains et la figure de la Vierge à l’enfant que Luc a peint, en présence de la Vierge, évidemment.
Autrement dit, une idole c’est une illusion de premier degré, une icône une illusion de second degré.
10
Le texte porte seulement : « τρόπῳ σώθητε. » Le paragraphe traite de la légitimité d’adopter une
comportement hypocrite. Je suppose donc que τρόπος est ici employé au sens de « tour que l’on donne à
ses comportements » dans les rapports aux autres, avec intention délibérée de tromper.
17. Ils rejettent tous les livres de la Loi mosaïque ainsi que ce qui est
rapporté en eux de Dieu et de tous les justes qui lui ont été agréables, en
vérité même de toutes les écritures ultérieures qu’ils ont inspirées,
expliquant que les livres de Moïses ont été composés sous l’inspiration de
Satan. Ils n’en acceptent et n’en respectent que sept dont ils récitent par
cœur l’intitulé, je veux dire Les Psaumes, Les onze prophètes, L’évangile
selon Matthieu, L’évangile selon Marc, L’évangile selon Luc, L’évangile
selon Jean, et en septième, le livre des Actes suivi des Lettres (Épîtres) et
de l’Apocalypse, de Jean le théologue. La sagesse, disent-ils, s’est bâti une
maison qu’elle a appuyée sur sept colonnes (piliers). Ils interprètent
mensongèrement comme une « maison » leur abominable assemblage,
comme « sept piliers » leur décompte artificiel des livres.
18. Ils expliquent que Moïse, égaré par Satanael, est retourné en Egypte,
qu’il y a trompé le peuple des Judéens, qu’il l’en a fait sortir, qu’il a
accompli des prodiges et des signes (miracles) grâce à la force (« énergie »)
de Satanael, qu’il est monté au sommet du Sinaï et qu’il y a reçu la loi sous
la conduite de Satanael, qu’il a fait périr un nombre incalculable
(d’hommes) à l’appui de Satanael, que l’apôtre témoigne de cela : « La
puissance du péché, c’est la Loi. » Et ailleurs : « À partir du moment où le
commandement est venu, le péché a reçu la vie », sans compter les
nombreux autres (témoignages).
19. Ils expliquent que les anges déchus, lorsqu’ils ont entendu que
Samael avait promis au Père de remplir les lieux qu’ils occupaient dans le
ciel avec les individus issus de l’espèce humaine, ont regardé les filles des
hommes avec lubricité et les ont prises pour femmes afin que leurs
semences montent au ciel pour occuper les lieux de leur père. « Les fils de
Dieu, disent-ils, découvrant que les filles des hommes étaient belles en
effet, les prirent pour femmes. » (p. 99) Ils donnent le nom de « fils de
Dieu » (aux anges déchus) et à ceux qui ont été engendrés (par Samael ?).
De l’union (de ces anges avec les filles des hommes) sont nés les géants,
qui se sont soulevés contre Samael et ont fait du tapage parmi les hommes
pour qu’ils se révoltent contre Samael. Samael, furieux, a provoqué contre
eux un déluge, il les a détruits et toute chair avec eux. Seul Noé, qui n’avait
pas acquis pour lui une fille, avait ignoré la révolte contre Samael et avait
continué à célébrer son culte ; son culte étant agréable à Samael 11, ce
dernier a mis à sa disposition une arche et tout ce qui allait avec elle, il l’a
sauvé lui seul en compagnie de ce qui était dans l’arche.
20. Ils expliquent que tous (les êtres humains) depuis Adam jusqu’au
Christ ont péri, les uns à cause de leurs péchés, les autres pour s’être
complu au Dieu dont il est question dans les livres mosaïques. Ce Dieu,
c’est Samael. Seuls ont obtenu leur salut ceux dont l’évangile de Matthieu
et de Luc rapportent la généalogie. C’est pourquoi les évangélistes font
mémoire d’eux comme de justes.
21. Seuls sont saints, disent-ils, ceux qui sont inscrits dans les
généalogies, comme cela a été dit, ainsi que les onze prophètes, les apôtres,
11
En grec, οὗ τῇ λατρείᾳ τοῦ Σαμαηλ ἀρεσκόμενον ὑποθέσθαι... est du charabia, que l’on corrige
en supprimant un relatif aberrant et en substituant τούτου à τοῦ, d’où tout simplement τῇ λατρείᾳ τούτου
Σαμαηλ ἀρεσκόμενον ὑποθέσθαι…
les martyrs, tous ceux qui ont été égorgés (sacrifiés) parce qu’ils ont refusé
de se prosterner devant les idoles. Ils déboutent de la légitimité de leur
prétention (au salut) les chefs des prêtres (évêques) et en même temps tous
les Pères (de l’Église), en tant qu’idolâtres, puisqu’ils se prosternent dans
les icônes. Et ils excluent de l’héritage des chrétiens tous les pieux
empereurs, ils n’appellent orthodoxes et fidèles que ceux qui ont combattu
les icônes, et surtout le Copronyme (‘dont le nom est fumier’ : l’empereur
iconoclaste Constantin V).
22. A ce didascale trois fois maudit on pose la question : « Comment se
fait-il que les possédés des démons courent sus à la croix et aboient contre
elle ? » Il a répondu que la croix est traitée le plus amicalement par les
démons qui habitent (dans les possédés) en tant qu’elle est leur œuvre. Ce
sont eux qui autrefois l’ont préparée pour que le Christ y soit élevé pour
être enlevé. Souvent, il (le Copronyme) l’a insultée hypocritement et il s’est
enfui volontairement, afin que les hommes qui le voyaient l’honorent
encore plus en tant qu’ennemi des démons et leur persécuteur.
23. On lui pose une autre question : « Comment se fait-il que les reliques
des hiérarques parvenus à la sainteté et celles des Pères bienheureux
produisent des miracles ? » Séparant ses lèvres impures, il vomit une
explication pleine de bassesse : « Partagent leur lot les démons dont ils
étaient les didascales de leur vivant ; ce sont eux qui, restant auprès de leur
tombeau (p. 100) et tenant leurs âmes en leur pouvoir, font des miracles en
leur présence, afin de tromper les sots et de les persuader d’honorer les
impurs comme des saints. Car les démons peuvent (réaliser) tout ce qu’ils
veulent, puisqu’ils en ont reçu d’en haut la capacité jusqu’au terme des sept
éons (âges) ».
24. Ils expliquent qu’ils sont les seuls, eux les Bogomiles, à provoquer la
fuite des démons comme par le décochement d’une flèche ; en chacun de
tous les autres (êtres humains) habite un démon qui lui enseigne ce qui est
vil et le pousse à accomplir des œuvres infâmes ; il habite à son tour dans
l’âme de chaque mort, reste dans le tombeau et attend la résurrection afin
qu’elle subisse son châtiment avec lui et qu’elle en soit pleinement
solidaire.
25. Ils expliquent que ceux qui partagent leur foi, tous ceux en qui habite
celui qui, pour eux, est l’Esprit Saint, tous portent Dieu en leur sein (tous
sont des « mères de Dieu »), que tous portent le nom de « theotokos », que
tous ont porté le Logos de Dieu et l’engendrent par l’enseignement qu’ils
donnent à d’autres, que donc la première qui a porté Dieu en son sein (la
première theotokos) n’a rien de plus qu’eux.
26. Ils expliquent que les gens de leur espèce ne meurent pas, mais qu’ils
changent de lieu, comme dans le rêve : alors ils se dépouillent de
l’enveloppe de boue et de chair qui est la nôtre, ils revêtent l’équipement
incorruptible et divin du Christ, ils participent alors à son corps et à sa
forme, ils émigrent, accompagnés du cortège des anges et des apôtres, vers
le royaume du Père tandis que le corps dont ils se sont dépouillés se dissout
en cendre et en poussière pour ne plus jamais se relever (ressusciter).
27. Ils ne donnent le nom de prière qu’à celle qui a été transmise dans les
Évangiles, c’est-à-dire au Notre Père. Et c’est cette seule prière qu’ils
récitent, le jour sept fois, la nuit cinq fois. Chaque fois qu’ils se mettent
debout pour la prière, ils la répètent, les uns dix fois en faisant des
génuflexions, les autres quinze fois, d’autres encore soit plus soit moins. Ils
n’accordent aucune valeur aux autres prières ; ils les appellent « radotage »
et ils les ramènent inconsidérément aux « radotages » (‘battologies’),
comme les nomment les Évangiles, des prières païennes.
28. Notre baptême, expliquent-ils, est celui de Jean, c’est un baptême qui
s’achève au rite initiatique de l’eau, leur baptême est le baptême du Christ,
à ce qu’ils admettent, dont l’initiation est conduite par l’Esprit et qui
s’achève à l’Esprit. C’est pourquoi, celui qui les rejoint, ils le rebaptisent.
D’abord ils fixent pour eux le moment de leur admission sous forme de
confession, de prière pure et fervente, ensuite posant l’Évangile sur leur
tête, ils lisent la formule « Au commencement était le Logos », ils appellent
celui qui est pour eux le Saint-Esprit et chantent comme une incantation le
« Notre Père ». Après un tel baptême, à nouveau ils fixent par tirage au sort
un autre moment pour entrer dans le détail de leur initiation, pour donner
plus de force en eux à leur manière de se gouverner et donner à leur prière
plus grand efficacité de maudire, ensuite ils leur demandent de jurer (p.
101) qu’ils ont respecté (tout ce qui leur a été enseigné) et qu’ils ont lutté
avec zèle (pour les respecter). Les hommes et les femmes qui jurent en
même temps que lui le conduisent ensuite jusqu’à cet achèvement de
l’initiation qui fait l’objet de tant de bavardages : ils placent debout le
malheureux sujet de l’épreuve en l’orientant vers le soleil levant, de
nouveau ils posent sur la tête abjecte de l’individu l’Évangile ; les hommes
et les femmes qui se trouvent à côté de lui tendent leurs mains pures sur lui
et chantent l’incantation sacrilège de son initiation. Voilà de quelle façon
ils finissent et achèvent une initiation, ou plutôt, achèvent tout simplement
et précipitent dans la mer, en guise d’ordalie, l’individu, digne de toucher le
fond et d’être anéanti.
29. Ils prennent les vêtements des moines et adoptent leur attitude en
guise d’appât ; ils camouflent le loup sous une peau d’agneau, afin que,
reçus sans méfiance parce qu’ils tiennent des raisonnements excellents, ils
puissent cracher leur venin et mélanger leur appât destructeur au vin mêlé
de miel : de mœurs, ils sont enclins à faire le mal, ils sont vils et bas.
30. Au début, ils instruisent simplement leurs recrues, les engageant à
croire au Père, au Fils et au Saint-Esprit, à reconnaître que le Christ s’est
fait chair et a donné aux saints apôtres l’Évangile sacré (ἱερόν12) ; ils les
invitent à respecter les commandements des évangiles, à prier, à jeûner, à
s’abstenir de toute impureté, à ne pas s’enrichir, à endurer les souffrances, à
rester humbles, à être véridiques, à s’aimer les uns les autres, en un mot ils
les catéchisent avec tout ce qu’il y a de mieux ; usant de la caresse d’un
enseignement utile, ils se comportent en chasseurs qui peu à peu,
insidieusement, conduisent à la destruction. Lorsque le moment devient
favorable, à côté du bon grain de blé ils sèment l’ivraie. Et lorsqu’ils ont
réussi à rendre dociles et obéissants les malheureux soumis à l’épreuve de
l’initiation et qu’ils les ont pris à l’intérieur de leurs filets, alors, mais alors
seulement, ils leur font boire le cycéon 13 de leur perdition : ils blasphèment
ouvertement et ils font d’eux les mystes du diable.
31. Ils expliquent que, souvent, non seulement en images illusoires du
rêve, mais en songe véridique ils voient le Père comme un vieillard portant
la barbe, le fils comme un jeune homme mettant la barbe, l’Esprit comme
un eunuque glabre : les démons n’ont aucune peine à échanger ces figures.
« Car, disent-ils, ce sont les ténèbres et la lumière s’en sépare
graduellement ».
12
Je pense que τὸ ἱερὸν Εὐαγγέλιον signifie plutôt : « l’Evangile qui sert de base à la (nouvelle)
alliance ». Est hieron ce qui « agence », « rend solidaire » les parties d’un tout.
13
Breuvage ayant des pouvoirs de guérison, évoqué une première fois dans l’Iliade.
32. Toutes les semaines, à ce qu’ils proclament, ils jeûnent le deuxième,
le quatrième et le jour de la parascève (le vendredi), et cela jusqu’à la
neuvième heure. Chaque fois que quelqu’un les invite à sa table, ils
oublient aussitôt ce qu’ils ont proclamé, et ils mangent autant que des
éléphants. À l’appui de cela, il est évident qu’ils ne répriment la débauche
qu’en parole, qu’ils s’autorisent toute licence, même si, en parole, ils
répriment la débauche, prétendant qu’ils ne sont ni charnels ni corporels.
(p. 102)
33. Pour tromper les plus simples, ils mettent en avant, comme un
paravent, la foi dans le Père, le Fils, le Saint-Esprit, mais ces trois
appellations, ils les affectent au Père à qui ils supposent un visage humain,
comme cela a été montré plus haut, d’où, du côté de chacune des tempes,
jaillit un rayon, celui du fils d’un côté, celui de l’Esprit, de l’autre. C’est de
cette façon que leur foi se dégrade en foi en un Dieu tératomorphe
(d’aspect monstrueux) et qui réellement n’existe pas. Le Dieu qui est Dieu
en vérité s’étant éloigné d’eux, il ne leur reste à se prosterner véritablement
que devant les démons.
34. Lorsque, par quelque formule de l’écriture des sept Livres, ils sont
forcés dans leur retranchement et qu’ils sont acculés à (reconnaître) la
vérité, ils recourent aussitôt à l’allégorie, essayant d’échapper à la preuve
(qui les réfute).
35. Quoiqu’ils rejettent tous les livres de la Loi mosaïque, souvent ils en
extraient des formules qu’ils utilisent pour leur défense.
36. Ils disent que dans les images des rêves, les démons eux-mêmes,
sous des apparences corporelles, outragent les corps des hommes, soient
qu’ils leur fassent subir des actes licencieux, soit qu’ils en subissent eux-
mêmes.
Au sujet des paroles des évangiles.
37. Ils mésinterprètent tous les sept livres dont il a été parlé plus haut, en
distordant leurs paroles (formules) et en les détournant de leur véritable
visée, les mettant au service de leurs croyances. Et tout ce qui, dans ces
livres, est dit des pécheurs, des impies et des idolâtres, ils l’appliquent à
nous, les croyants. Tout ce qui plaît à Dieu, ils le tirent de leur côté, et avec
un grand aplomb, ils expliquent qu’ils sont les élus, les justes, les héritiers
de Dieu.
38. Ce serait une longue tâche, réclamant beaucoup de temps, clairement
un vain effort et une fatigue n’aboutissant à rien d’utile que d’écrire sur
l’exégèse de chaque livre qu’ils offrent comme guide de lecture, et qui en
est bien plutôt une déviation et une altération de ce qui a été mis en place.
Les lecteurs auront à peine avancé dans leur lecture (p. 103) qu’aussitôt ils
seront éreintés par des blasphèmes d’une totale absurdité et, comme les
passagers d’un navire, saisis de vertige et près de s’évanouir, ils rejetteront
aussitôt leurs traités, cracheront sur eux et s’en détourneront. Et ainsi ils
dilapideront le temps que nous aurons perdu. Afin que nous ne donnions
pas l’impression de nous forger une défense et de tenter de fuir l’effort
qu’il faudrait fournir pour cela, il suffira d’interpréter, à l’encontre de leur
folie, quelques formules de l’Évangile de Matthieu pour que, loin de les
distordre, nous montrions, à son goût le tonneau, à son cours la source, à
ses franges le tissu.
39. À leur synagogue (au lieu de leur rassemblement), ils donnent le nom
de Bethléem. Car y est né le Christ, c’est-à-dire le Logos de Dieu, celui qui
proclame la vérité de la foi. Notre Église, ils l’imaginent sous la figure
d’Hérode ; comme lui, elle tente de supprimer le Logos de la vérité,
engendré parmi eux. Puis ils se nomment « Mages », et en cela seulement
ils disent vrai. Ils sont en réalité ensorceleurs, nuisibles, sacrilèges.
40. Ils appellent encore autrement notre Église, Jérusalem ; ils nomment
étoile, la loi de Moïse. Car c’est elle qui a conduit à la foi dont nous
sommes les médiateurs. Ensuite ils ont appris des archiprêtres, des autres
scribes et des Pharisiens que le Christ était né à l’endroit qui a été mis en
évidence (plus haut), à Bethléem. Leurs premiers didascales sont en effet
issus de nos rangs.
41. Ils racontent qu’il y avait une veuve, du nom de Rachel ; elle avait
deux filles encore en bas âge. Lorsqu’Hérode fit rassembler les enfants
mâles, supposant que c’était pour les honorer et qu’elle en recevrait une
récompense, elle a changé ses filles en garçons et les a conduits (à Hérode),
les présentant comme ses fils. Lorsqu’ils furent tués, comme les autres,
parce qu’ils étaient des garçons, les autres mères pleurèrent tout
simplement, mais Rachel fut inconsolable, parce qu’elle s’était empressée
de combiner une ruse, mais c’est elle qui en avait été victime et elle avait
perdu pour rien ses filles. Ils font de cela un récit allégorique : ils disent
que Rachel, c’est le Père supracéleste, ses enfants l’âme d’Adam et celle du
Christ, (p. 104) exterminées par Hérode, c’est-à-dire, évidemment, par le
Seigneur Souverain du cosmos ; le Père est inconsolable ce que ces (âmes)
lui aient été enlevées.
42. « Jean lui-même, disent-ils, avait une tunique en poils de chameau ;
une ceinture de cuir ceignait ses reins. Il se nourrissait de sauterelles et de
miel sauvage. » C’est ce que dit l’Évangile. Il faut examiner ce qu’ils en
expliquent, ces fous enragés, frappés de la foudre et délirants.
43. Les poils de chameau, ce sont, disent-ils, les commandements de la
loi mosaïque. Et cette loi est impure comme le chameau, en ce qu’elle
ordonne à ceux qui lui sont soumis de manger de la viande, de se marier, de
prêter serment, de sacrifier, de tuer, et tant d’autres choses analogues. Ils
appellent « ceinture de cuir » l’évangile hieron (de l’alliance), en ce qu’il
est écrit sur des peaux de mouton. Et ensuite, « sauterelles », ce sont les
préceptes de la loi mosaïque, en ce qu’ils ne portent pas des jugements
droits et qu’ils ne distinguent pas ce qu’il y a de mieux. Le « miel
sauvage », c’est le divin évangile, qui, à ceux qui lui font bon accueil,
apparaît comme un miel. « Car tes paroles sont une douceur pour ma
gorge », est-il dit. Il est sauvage pour ceux qui le refusent à cause de la
rugosité de la porte étroite qui conduit à lui et parce que la voie en est
tourmentée. Le précurseur se trouve entre la loi ancienne et la loi nouvelle,
il participe des deux, d’abord de l’ancienne, ensuite de la nouvelle.
44. « Les Pharisiens et les Sadducéens qui vont au baptême de Jean »,
c’est nous les croyants fidèles. Quelle impudence ! Ensuite, par insulte, ils
nous appellent « engeance ‘d’échidnés’, c’est-à-dire ‘semence du serpent »,
de celui qui a couché avec Ève, comme cela a été montré plus haut. Et ils
exhortent à ne pas faire montre de mauvaise humeur, car c’est Jean-
Baptiste lui-même qui les a interpellés de cette façon, et il ne mentait pas.
45. Ils expliquent que les sandales (hypodēmata) du Christ, ce sont les
exemples (hypodeigmata) des miracles qu’il a montrés à ses disciples et
aux foules. Si Jean n’a pas pu porter (les sandales), c’est que lui-même
n’avait pas le pouvoir de montrer (p. 105) de tels signes (miracles). La pelle
à vanner du Christ, c’est le Logos évangélique, en tant qu’il est « vanné
et craché » (πτύον : van ; πτύω : cracher) par sa bouche. Et l’aire, ce sont
les chrétiens, en tant que tous différents. Les uns sont orthodoxes, les autres
hétérodoxes. Le grain de blé, c’est leur foi, en tant qu’elle est pure et
nourricière ; la paille, notre foi (à nous chrétiens) en tant qu’elle ne sert à
rien et bien bonne pour le feu.
Quelle oreille pieuse supporterait de tels blasphèmes ! Mon âme est
pleine de ces absurdités, mes sens s’agitent à la façon d’un prophète. Et je
veux couper court au discours, ne pas aller plus loin, ne donner ni à la
lumière ni à la mémoire ce qui ne mérite que les ténèbres et l’oubli. (Mais)
il faut encore un peu se faire violence et endurer jusqu’à un certain point
encore la glossalgie14 de ces discours interminables, déviants, dégoûtants.
46. Ils expliquent que le second ciel est une haute montagne sur laquelle
le diable a fait monter le Christ et d’où il a vu tous les royaumes du monde.
Et ils disent que le diable ne serait pas monté sur elle, s’il (le Christ ?)
n’avait reconnu que cette montagne était son œuvre. Et il n’aurait pas dit
que tous les royaumes lui étaient remis à lui-même, si cette souveraineté ne
lui avait été concédée dans la mesure où les mondes sont sa création,
comme nous l’avons mis en évidence dans l’archéologie mythique de ces
ensorceleurs.
47. « Et, dit-on, Jésus quitta Nazareth et alla s’installer à
Capharnaüm. » « Nazareth », c’est nous, disent-ils, « Capharnaüm », ce
sont eux (les orthodoxes). Et donc maintenant le Christ habite parmi eux,
ayant quitté notre synagogue (communauté) depuis longtemps.
48. Ils soutiennent mordicus que le Christ a proclamé les béatitudes
uniquement sur les croyants et fidèles qui sont de leur côté, c’est-à-dire sur
les Bogomiles. Car ce sont eux les mendiants de l’esprit, ceux qui sont en
deuil, ceux qui ont faim et soif de justice, etc. Ce sont eux qui sont appelés
« sel de la terre » et « lumière du monde » et eux que concerne tout ce que
le Christ a dit des apôtres. (p. 106)
49. « Pas un seul iota, disent-ils, ou une seule extrémité d’un trait de la
loi ne passera tant que tout ne sera pas advenu. » Le iota, pensent-ils, c’est
le décalogue de la loi, l’extrémité du trait, c’est leur loi. Car si l’on redresse
un trait posé à l’horizontale (à l’extrémité de la hampe d’une lettre), on
obtient un iota. En conséquence, selon leur interprétation, le décalogue de
la loi ne passera pas mais sera préservé par les Hébreux tant que la terre et
le ciel n’auront pas passé. Car, disent-ils, ils (les Hébreux ? Les
14
Glossalgie : « langue-algie » ; cf. « névralgie ». En vocabulaire médical « névralgie de la
langue ». Ici, par métonymie : des discours produits par un organe malade.
Bogomiles ?) ne sont pas venus dissoudre la loi de Moïse, mais remplir le
ciel qui avait été vidé, il y a bien longtemps, des anges qui l’habitaient, et
remplir les rangs des puissances déchues.
50. « Si votre justice, disent-ils, ne surabonde pas (et ne dépasse pas)
celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le royaume des
cieux. » C’est nous qu’ils traitent de scribes et de pharisiens en ce que nous
pratiquons l’éducation des lettres et que nous en sommes fiers. Leur justice
surabonde et dépasse la nôtre, expliquent-ils, en ce que leur enseignement
est plus vrai et que leur conduite de la vie quotidienne est en tout point plus
pure (que la nôtre), puisqu’ils s’abstiennent des viandes, du mariage et de
(tous comportements) de la sorte.
51. « Sois bienveillant, dit-on, pour ton adversaire en justice. » Ils
expliquent que l’adversaire de l’homme en justice, c’est le diable et, selon
leur interprétation, digne d’un esprit dérangé, il y a tout lieu de lui être
bienveillant et de lui adresser un culte en se prosternant devant lui, comme
nous l’avons transmis plus haut, de peur que, ayant fait trébucher et fait
tomber ceux qui ne croient pas en lui, il ne livre au juge, à Dieu, au jour du
jugement, ceux qui auront à rendre compte de leur chute.
52. Puisque (l’affirmation) que « quiconque déliera sa femme, sauf cas
de prostitution (débauche) » – ainsi de suite de cette formule – est en
contradiction avec (leur) dogme de ne pas épouser une femme, ils affirment
que cela fait partie des choses interdites à la connaissance, inexplicables et
qui ne seront connues que de ceux qui seront dépouillés de leur corps. Ils
appuient l’interdit du mariage en invoquant l’argument de ce que le
Seigneur a dit : « Dans la résurrection, ni les hommes n’épouseront, (p.
107) ni les femmes ne seront épousées ». Inconsidérément, ils pensent que
la résurrection ce sera (la même chose) que la conversion et (le retour) des
anges à leur (primitive) gouvernance.
53. « Tu ne jureras pas non plus par Jérusalem, car c’est la ville du grand
roi. » Or ils expliquent que le grand roi, c’est le diable, en tant qu’il est le
souverain du monde.
– Seigneur, aie pitié de nous qui exposons les blasphèmes de ces gens-
là !
54. « Vous avez entendu, dit-on, qu’il a été dit : « Œil pour œil et dent
pour dent. » Les yeux, disent-ils, ce sont les deux lois, la loi mosaïque et
l’Évangile. Les dents, ce sont les deux voies, la voie large et la voie étroite.
Car le Christ est venu donner loi contre loi, l’Évangile en remplacement de
la loi mosaïque, et voie contre voie, la voie étroite en remplacement de la
voie large.
Ô la largeur de la grossièreté des rustres !
55. « Toi, dit-on, quand tu pries va dans ton cellier. » Ils expliquent que
le cellier, c’est l’intelligence (l’esprit humain). Et, en partant de cette
formule, ils enseignent que personne d’entre eux (ne doit) prier dans les
églises bien qu’ils aient clairement entendu le prophète David incliner à
louer Dieu dans les églises.
56. « Considérez, dit-on, les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne
moissonnent », etc. Ils pensent que les oiseaux du ciel, ce sont les moines
qui pratiquent leur ascèse sur des colonnes, eux qui, menant une vie oisive,
sont nourris pour rien par le Père supracéleste. Ils s’appellent eux-mêmes
« lys des champs », en ce qu’ils sont blancs par la pureté de leur âme et en
ce que leurs vertus parfument leur souffle. Salomon lui-même ne peut s’en
revêtir, car l’enveloppe de son âme est souillée.
57. « Ne donnez pas, dit-on, les choses sacrées aux chiens et ne jetez pas
vos perles aux pieds des cochons. » Ils expliquent que ce qui est sacré
(saint), c’est leur foi plus simple (que la nôtre), que les perles, ce sont les
objets de croyance relevant d’un plus grand mystère et d’une plus haute
initiation… ceux de leur imposture ! Les chiens, ce sont aussi des cochons.
(p. 108)
Ô l’outrage dépassant la mesure de tout outrage ! (Ils traitent) notre piété
d’idolâtrie ! C’est que je frissonne d’horreur à l’idée de dire le reste de leur
doctrine secrète ! Ensuite, ils ajoutent que celui qui vient à eux, ils
l’accueillent comme chien et cochon. Et en premier lieu, ils font disparaître
leur souillure par le jeûne et la prière. Ensuite ils le baptisent comme nous
l’avons transmis. Ensuite, rendus de cette façon lumineux, grâce à des
progrès et des avancées qui se font petit à petit, ils nourrissent en douceur
leur foi des choses sacrées (saintes) et de perles.
58. « Gardez-vous, dit-on, des faux prophètes. » Ils mettent les faux
prophètes en rapport – ô cette absurdité ! – avec Basile, royal15 en
dogmatique, avec l’astre de la théologie, Grégoire et avec Jean « langue
d’or », en prétendant que leurs dogmes leur sont propres. Je tais le reste de
leurs propos avinés, dont ils invectivent ces saints plus que d’autres, de ces
propos qui méritent la foudre et le feu du ciel et le gouffre et qui appellent
toutes sortes de châtiments !
59. « Beaucoup, dit-on, me demanderont ce jour-là : ‘Seigneur !
Seigneur ! N’avons-nous pas prophétisé en ton nom ? N’avons-nous pas
expulsé les démons en ton nom ?’ Et moi je leur parlerai en conformité
(avec ce qu’ils sont) : ‘Jamais je ne vous ai connus. Éloignez-vous de moi,
vous les fauteurs de troubles’. » Selon leur interprétation de ces paroles de
l’Évangile, ils disent que ces gens-là, ce sont nos saints hiérarques et nos
Pères divins – tous ceux qui ont été jugés dignes de la grâce prophétique,
qui ont chassé les démons et ont accompli plein d’autres choses
miraculeuses ! Car les démons qui habitent en eux accomplissent tous les
prodiges pour frapper de stupeur ceux qui sont les plus dépourvus
d’intelligence.
Chien enragé, sous tes lèvres, il y a le venin de l’aspic !
60. Ils se donnent le nom d’homme sensé à eux-mêmes, qui bâtissent
leur demeure sur le rocher de la prière du Notre Père ; ils nous appellent
« mâle sans vigueur » nous qui bâtissons notre demeure sur le sable des
15
Euthyme joue sur le nom du Père de l’Eglise, Basile de Césarée en Cappadoce, actif entre le
concile de Nicée (325) et celui de Constantinople (381), théologien de l’incarnation et de la Trinité (de
l’homoousia, l’essence une de Dieu, Père, Fils et Esprit). Grégoire est sans doute le frère de Basile,
Grégoire évêque de Nysse.
autres prières. Beaucoup, qui sont faibles et qui manquent de discernement,
croient la même chose que ces insensés qui manquent de discernement. (p.
109)
61. « Et, dit-on, un scribe s’approcha et lui dit : « Maître, je serai ton
compagnon et j’irai à ta suite où que tu ailles. » Et Jésus lui dit : « Les
renards ont une tanière et les oiseaux du ciel un lieu où se reposer. Le fils
de l’homme n’a nul endroit où s’étendre et appuyer sa tête. » Ils mettent un
scribe en rapport avec tout ce qui concerne l’écriture et ils s’encouragent
les uns les autres à ne pas accepter un spécialiste de l’écriture comme
disciple, à l’imitation, selon ce qu’ils vont répétant, du Christ qui a
repoussé le scribe. Ils pensent que les renards ce sont les ascètes enfermés
dans des cabanes étroites comme une tanière. Comme cela a été dit plus
haut, les oiseaux du ciel, ce sont les « colonnistes » (les colonisateurs –
oikistai - des colonnes -kiones). Auprès de qui le Christ ne vient jamais
habiter, car ils ne méritent pas qu’ils résident parmi eux.
C’est réellement un tombeau ouvert que le gosier des grands sacrilèges :
il laisse échapper une grande puanteur et un poison corrodant qui se
déverse d’une bouche ennemie de Dieu.
62. Les deux possédés du démon qui sortent des tombeaux, ils les
mettent en rapport, l’un avec l’ordre des clercs (des prêtres), l’autre avec
celui des moines. Car ils passent leur temps dans des temples faits de mains
d’hommes, et ce sont des tombeaux thésaurisant les os des cadavres.
C’est ainsi que les impurs maudits nomment les reliques des « purs »
(saints). En vérité, ce sont deux ordres (prêtres et moines) qui ne sont que
trop effroyables pour les Bogomiles. Il y a à disposition des hommes du
troupeau, des rustres à figure de goret, de quoi mener paître un troupeau de
nombreux gorets, qui viennent vers eux, qu’ils instruisent et ils sautent du
haut d’une falaise, et ils se noient dans la mer du péché.
63. Ils appellent « vin nouveau » leur propre enseignement, « vieilles
outres » ceux qui le refusent, « outres neuves » ceux qui l’acceptent et qui
s’en laissent remplir par eux.
64. Ils pensent que la femme victime d’hémorroïdes depuis douze ans,
c’est l’église de Jérusalem. Le sang qui s’écoule d’elle, (p. 110) c’est celui
des sacrifices versés au milieu des douze tribus d’Israël. Le Christ a fait
cesser le flux de son sang, en détruisant, en peu de temps, Jérusalem.
65. Écoutez donc une interprétation encore plus ridicule, et, à partir de
là, comprenez bien quelle est la stupidité de ceux qui débitent des contes
qui ne valent pas mieux que ceux des vieilles enivrées. Jésus qui leur parle
« en les rabrouant » (en-ebrimēsato), selon leur interprétation, c’est Jésus
« mâchant (en-ebrōmatisen) pour eux du logos ».

Est-ce que je n’ai pas l’air, moi-même, de divaguer lorsque j’examine les
produits de gens qui divaguent ? J’en ai honte, croyez-moi et tout ce que je
fais entendre là, je le fais involontairement. Voilà pourquoi j’ai
délibérément négligé la masse de leur production et je n’ai recopié que des
formules disséminées çà et là. Ces quelques rares (témoignages) suffiront,
pour ceux qui tomberont sur eux, à leur permettre de connaître aussi le
reste de ce qu’ils disent être un art de la terre cuite. Nous avons dégagé une
mer, gueule large ouverte, d’impiété, réclamant plusieurs journées de
traversée ; nous ne nous sommes pas beaucoup éloignés de la terre et je
m’aperçois que vous avez le mal de mer, ou plutôt, j’ai subi ce mal avant
vous et il me semble préférable, ayant relâché la voile du discours et ayant
fait machine arrière, d’aborder au port du silence. Et cela me semble
devenu davantage préférable du fait que se tait la langue vile et bavarde et
que sont muettes les lèvres dégoûtantes de celui qui a conduit l’initiation à
ce bavardage sacrilège, après que notre empereur magnanime et très grand
ami des hommes l’a fait comparaître il y a peu, a soulevé le masque du
drame et en a éprouvé la qualité : de tous les côtés, il a établi que le bruit
que faisait le bronze en est sourd et faux. (Le coupable) promettait un
changement, mais il vient tout juste, comme un chien, de retourner à ses
propres vomissures. (L’empereur) l’ayant soumis à un examen et ayant
reçu le vote de tous les (juges) ecclésiastiques en fonction en même temps
que des citoyens (« politiques »), il l’a condamné à subir le châtiment du
feu. Et désormais le voici en allé par le feu. Voilà les viles funérailles que
l’impiété lui a rapportées. Qui donc, sachant égaler le thrène aux
souffrances, pleurerait sur lui (p. 111) selon ce qu’il mérite, ayant appris
pendant quinze ans quels étaient les dogmes de l’imposture qu’il avait
enseignés pendant cinquante-deux ans, lui qui a poussé des milliers de
disciples dans le barathre (la décharge) de la perdition, et qui, finalement,
les a quittés en état d’impureté, définitivement privé de la vie des deux
côtés, ayant obtenu en plénitude le feu de ce monde-ci et de l’autre monde,
à travers celui qui a été éteint ayant émigré vers le feu qui ne s’éteint pas.
Toutefois, il n’y a pas lieu de désespérer au sujet de ceux qui restent. La
tête du serpent est désormais écrabouillée. Les principales de ses parties et
ses membres sont attrapés et rassemblés, les autres le seront, d’autres
encore sont dénoncés en chaque (région). Et nous nourrissons le ferme
espoir que pas même la queue n’échappera à la recherche empressée du
plus fidèle allié de Dieu, l’empereur : il met tout son soin à trouver ; il
réfléchit avec une grande (contention de l’esprit) pour tous les prendre dans
son filet et faire en sorte que les moissons de la piété apparaissent
débarrassées de toute ivraie.
Lettre de Germain, patriarche de Constantinople,
Aux habitants de la ville
Contre les Bogomiles

Du même aux habitants de Constantinople et contre les Bogomiles

« Il est inévitable que se produisent des scandales, mais malheur à cet


homme par qui le scandale arrive. »
Ceci, c’est un Logos du Christ, la vérité elle-même, lui qui a été le
démiurge du monde et qui, avant l’établissement du monde, a vu à
l’avance, de ses yeux voyant toutes choses, ce qui contribuerait au plein
accomplissement du monde. À l’avance il ne dit pas cela simplement, mais
afin de réveiller les plus indolents des hommes, dénués de malice, et les
inciter à la vigilance et pour une mise en garde, de ne pas se laisser séduire
facilement par les hommes qui créent des scandales et contribuent à
l’activité diabolique. Et ce n’est pas seulement lui-même, l’enfant exerçant
dès l’origine le commandement avec le père sans commencement, celui
qui, pour le salut de notre espèce, s’est fait chair sans que cela affecte (sa
divinité), né de la très sainte Mère de Dieu et qui s’est mêlé aux hommes,
mais aussi Paul, la bouche pure, aux paroles pleines de douceur, du Christ,
fait entendre la même chose que le maître : ayant compris, grâce à une
inspiration divine, que croîtrait, en ces derniers temps, l’ivraie de l’impiété
bogomile, l’a transmis par écrit, l’assurant à l’avance, à l’appui de secours
prophylactiques, les membres de l’Église du Christ, afin que ne les domine
pas cette épidémie destructrice et corruptrice des âmes, qui conduit en
cortège vers le feu éternel ceux qui en souffrent. Il écrit à Timothée sur
cela, en le formulant de cette façon (1 Tim. 4, 1-4) : « L’esprit le rapporte
verbalement : ‘dans les temps ultimes certains apostasieront leur foi,
accordant leur attention aux esprits de l’imposture et aux enseignements
des démons, séduits par de faux raisonnements, cautérisant leur propre
conscience, empêchant de se marier, de s’abstenir des nourritures, ce que
Dieu a créé pour que les fidèles et ceux qui ont reconnu la vérité les
prennent avec action de grâce. Car toute créature de Dieu est bonne et rien
ne doit être rejeté qui est pris avec action de grâce. » Par ces paroles,
l’apôtre a montré, à l’avance, en toute évidence et en pleine lumière, la
proclamation du diable instillée aujourd’hui dans les fils de la perdition, les
Bogomiles impurs et dégoûtants, proclamation que l’apôtre dit être un
enseignement du diable et une apostasie de la foi pour le Christ, comme
vous l’avez entendu plus haut. Que c’est bien à propos de cette hérésie
qu’il a parlé à l’avance, cela est clair à partir des signes de reconnaissance,
c’est-à-dire à partir du fait qu’ils enseignent à s’abstenir des nourritures et
du fait qu’ils destituent le mariage selon la loi avec une femme. De qui est
cet enseignement si ce n’est celui de ceux dont il a été maintes fois
démontré, les Massaliens ou Bogomiles, porteurs et inspirés des démons.
Ce sont eux qui accusent l’impureté de toute nourriture, même s’ils
entendent que Paul parle au sujet de ces nourritures que Dieu a créées pour
être prises par ceux qui ont la foi, ce sont eux qui remuent une langue futile
et blasphèment, affirmant que ces nourritures ont été créées par le diable,
eux qui injurient le vin à cause de ceux qui s’enivrent, alors qu’il serait plus
utile qu’ils injurient ceux qui s’enivrent. Car ce n’est pas le vin qui les a
forcés à l’ingurgiter et s’en rassasier plus que de raison. Car celui qui le
boit avec mesure s’emplit de bonne humeur et trouve, par lui, la santé du
corps. Personne ne blâmera le fer à cause du poignard du brigand, évitant
délibérément de considérer ce qu’il a d’utile dans les travaux agricoles et
dans tous les autres travaux et occupations, dans lesquels l’usage du fer est
nécessaire, utile pour se procurer des ressources vitales, en vue desquelles
il a aussi été procuré par Dieu. Les plus luxurieux des hommes font aussi
ouvertement obstacle au mariage, comme le savent ceux qui sont initiés
aux mystères des ténèbres ; en cela aussi, ils s’opposent à l’Évangile du
Christ et aux enseignements des apôtres. Or le Christ, par sa présence, a
sanctifié le mariage de Cana et il a célébré les prémices du mariage par des
miracles en tout point conformes à Dieu. Et pour instruire le peuple qu’un
homme ne doit pas répudier sa femme sauf cas d’adultère, voici quelle était
sa sentence : « Ceux que Dieu a unis, que l’être humain ne les sépare pas. »
Et le grand apôtre, faisant entendre des paroles en harmonie avec celles de
son didascale et maître, le Christ, dit : « Le mariage et une couche que rien
ne souille sont choses précieuses. Dieu condamne les débauchés et les
adultères… ». De même, il consent à ce que même les jeunes veuves
prennent pour compagnon un deuxième mari, craignant l’indiscipline de la
jeunesse.
Les suppôts du diable, en réalité les Bogomiles, ne s’opposent pas
seulement par ces deux principaux chefs (d’accusation) à l’enseignement
du Christ, mais encore par d’autres innombrables : le jour ne me suffira pas
pour les compter jusqu’au bout. C’est délibérément que je néglige de les
mentionner, de peur que, agitant les eaux du canal des blasphèmes
bogomiles, je ne répande partout parmi le peuple orthodoxe une puanteur
incommensurable. Car personne depuis l’âge des hérétiques infects n’a
élargi son cœur pour accueillir le diable et n’a accommodé sa bouche à sa
dimension pour faire entendre des blasphèmes et les plus impies des
balivernes, autant que les Massaliens, dont il a souvent été démontré qu’ils
sont d’authentiques serviteurs du culte des démons, eux qui se sont
dépouillés de la tunique du Christ pour revêtir celle du diable et qui, dans
tout ce qu’ils enseignent, le font pour honorer et glorifier leur père, le
diable ; alors qu’il est une créature ingrate et qu’il a raidi sa nuque contre
son créateur, ils en font le créateur de toutes créatures visibles et le
choisissent pour leur roi. Il arrive même qu’ils le nomment fils de Dieu et
frère du Christ, n’y ayant rien compris à ce que disent les évangiles : le
Christ, y explique-t-on, est fils seul né de Dieu (« monogène »), comme
l’affirme l’évangéliste : « Le fils seul né de Dieu, celui qui est dans le sein
du Père », a expliqué cela. Or un fils unique n’a pas de frère ! Ô ta
patience, Christ roi ! Ô la longanimité dont tu fais preuve envers les
blasphèmes et les outrages des Bogomiles. Et toi, tu as déchiré les tendons
du diable, par la puissance de ta divinité, tu l’as placé sous les pieds de tes
fidèles et tu leur as donné le pouvoir de marcher sur ce serpent tortueux et
sur les scorpions des puissances qui apportent la mort (que donne) le
diable. Les Bogomiles athées blasphèment en disant qu’il est d’une
puissance égale à la tienne et de même essence. On rapporte donc que, pour
l’honneur dont ils l’honorent, le diable, qu’ils ont élu comme leur roi, les
accueille dans son propre héritage. Car là où est leur roi, son armée
l’accompagnera absolument. Et ils se regrouperont dans les ténèbres avec
le prince de leurs ténèbres et ils seront envoyés dans le Tartare à cause des
nombreuses âmes qu’ils ont vouées à leur perdition et qu’ils perdent chaque
jour. Et il aurait été beau pour eux de ne pas naître, étant donné que, en
l’absence de toute persécution, tortures et châtiments, ils ont nié une foi
remontant aux origines et transmises de père en fils. S’il en un qui, entraîné
par cette hérésie et pris dans les filets diaboliques, veut se convertir et se
tourner du côté de la vérité, s’il veut à nouveau être sauvé, pris de haine
pour le prince des ténèbres après s’être dégagé de l’emprise de
l’imposture, s’il veut se mettre en rapport* avec celui qui affirme : « Je
suis la lumière du monde et celui qui me suit n’errera pas dans les
ténèbres », c’est-à-dire l’égarement diabolique, mais il aura la lumière de la
vie, un tel individu doit prononcer un anathème sur l’Église et dire tout cela
clairement en présence d’un nombreux auditoire de chrétiens.
S’il en est un qui attribue au prince des ténèbres la création de ce monde-
ci, visible, et l’autorité sur lui, s’il soutient mordicus que le monde a été
organisé par un maître dégoûtant du désordre, qu’il soit anathème. Même si
dans les évangiles, il est rapporté qu’il est le prince du monde, non pas de
la création, mais des volontés humaines et de la résolution de ceux qui
accomplissent les œuvres mauvaises de celui-là et les occupations du
péché. Car le péché, dit-il, a régné depuis Adam jusqu’à Moïse. Le père du
péché, et son roi, c’est le diable. Comme donc tous les hommes autrefois
dans le monde se pervertirent, à la fois se corrompirent et se laissèrent
asservir par plaisir de pécher pour le père du péché, c’est dans cette mesure
(logon) que le diable a été nommé prince du monde.
S’il est quelqu’un pour dire que Dieu n’a créé que les âmes des hommes,
que les corps, c’est le diable, si, pour le façonnage de l’homme, il associe
Dieu et le diable, refusant d’entendre ce que le grand Paul explique : « Est-
il quelque participation de la lumière aux ténèbres ou quelque accord du
Christ avec Bélial ? », et s’il n’admet pas que Dieu n’est pas plus le
créateur et le façonneur des âmes que des corps, selon l’enseignement de
l’écriture divine, qu’il soit anathème !
S’il en est un qui disqualifie l’ancienne écriture, dont Dieu a été le
donateur (nomodote), Moïse le rédacteur (nomothète) et s’il l’outrage et s’il
blasphème (en en faisant) une transmission du diable, qu’en raison de cela
il se trouve infidèle au Christ, qui explique : « Si vous faites confiance à
Moïse, vous me feriez confiance à moi (aussi). Car c’est à mon sujet qu’il a
écrit » et qu’il n’admet pas non plus (la validité de l’enseignement de)
l’apôtre Paul, qui explique : « La loi est sainte, le commandement est saint,
juste et bon », qu’il soit anathème. Car, nous, nous savons d’un savoir
certain que c’est un seul et même Dieu qui, dans les anciennes écritures et
dans la nouvelle écriture, parle, même s’il a adapté ses instructions aux
circonstances et aux coutumes des hommes. Et en effet, une mère aussi
nourrit son enfant avec une nourriture, différente de celle dont elle nourrit
son garçon à l’acmé de sa croissance ; en cela, elle ne se contredit pas, mais
elle fait ce qui est adapté et proportionné à l’âge et à la capacité de son
enfant. Ainsi Dieu, en agissant ainsi, a agi à la perfection, en ordonnant
autrefois ce qui était approprié et en harmonie avec l’immaturité judaïque
et l’étourderie du peuple d’alors, plus tard en transmettant à des hommes
(« mâles ») pleinement maîtres de leurs esprits ce qui est achevé et le
mieux adapté à leur nature. Pour les hommes, la loi a agi en pédagogue du
Christ, comme le dit Paul, la bouche par qui parlait le Christ, et le Christ
lui-même, en remontant à Moïse et à tous les prophètes, interpréta et
expliqua à ceux qui entouraient Clopas16 ce qui le concernait.
S’il en est un qui agite une langue blasphématoire pour dénigrer la croix,
donatrice de vie et digne objet d’adoration et l’appelle un gibet, qu’il soit
anathème. Car, nous-mêmes, nous reconnaissons que la croix est
l’instrument de notre salut et médiatrice de la vie éternelle à laquelle elle
nous introduit. Car si le Christ n’avait pas été crucifié, le diable n’aurait pas
été défait et foulé sous les pieds des hommes. Si le Christ n’avait pas été
crucifié, les hommes ne seraient pas devenus citoyens du ciel et membres
des chœurs des saints anges, selon ce que le Christ, lui-même, notre vrai
Dieu, le dit avec force dans les évangiles : « C’est maintenant le jugement
du monde », expliquant : « Maintenant le prince de ce monde sera rejeté
au-dehors, et quand je serai élevé dans les hauteurs, j’attirerai tout le
monde à moi ». Car la croix, c’est aussi la gloire du Christ. C’est à propos
de la crucifixion qu’il disait à son Père intime : « Père, glorifie ton fils, afin
que ton fils te glorifie. » Et c’est à cause du très saint sang du Christ, qui
s’est écoulé du flanc de Dieu, vers sur la croix, c’est à cause de la chair très
pure, donnée pour support à Dieu, formant une unité avec sa divinité (τῆς
ἐν αὐτῷ ἁπλωθείσης) que notre prosternation devant elle, en tant qu’elle un
bois saint, est pleinement sanctifiée et est bénie ; enfin comme, depuis
longtemps, nous avons été rejetés des délices du paradis à cause (du bois
de) l’arbre, réciproquement nous sommes reconduits dans le paradis par
l’arbre de la croix. Et cela est également évident à partir du fait que le
Christ, pendu au bois de la croix, a ouvert le paradis à un brigand. C’est
pourquoi, nous qui avons reçu les bienfaits de la croix et qui avons trouvé

16
C’est le nom que la tradition prête à l’un des deux disciples d’Emmaüs. « Ceux qui entouraient
Cléophas », ce sont donc les voyageurs présents dans l’auberge. On n’a pas été en peine de trouver, pour
ce disciple, une alliance avec l’entourage du Christ (avec Anne, la mère de Marie !).
en elle la jouissance de tous les biens éternels, par nécessité, nous devons
honorer la croix, grâce à laquelle nous aussi serons sauvés. Le diable et
tous ceux qui vénèrent le diable haïssent, avec raison, la croix, qui défait
les liens de leur être et l’anéantit. Et que Paul, lorsqu’il parle ainsi, te
convainque : « L’argument (logos) de la croix, pour ceux qui vont à leur
perdition, est folie, pour nous, qui recevons notre salut, elle est puissance
de Dieu. » Et ailleurs : « Prenez garde aux chiens. Prenez garde aux
mauvais ouvriers, à ceux qui vont et viennent alors qu’ils n’ont reçu aucun
ordre de mission (ἀτάκτως), ceux dont j’allais vous répétant, et maintenant
je vous le dis en vous en conjurant par mes pleurs, que ce sont des ennemis
de la croix du Christ : leur fin, ce sera la destruction ». Ceux donc qui
blasphèment contre la croix précieuse, donatrice de vie, en tant qu’ils
prononcent leur jugement en faveur du diable, lui qui a été broyé et mis à
mort par la croix, qu’il soit anathème.
S’il en est un qui, en ce qui concerne les très saints mystères donateurs
de vie, que notre maître et Dieu, Jésus Christ, a transmis à ses disciples et
apôtres, consacrés avec eux, dans les instants qui ont précédé le moment où
il allait au-devant de sa propre passion, (les a transmis) en bénissant et en
sanctifiant le pain, disant à ses propres disciples : « Prenez, mangez. Ceci
est mon corps rompu en votre faveur pour la rémission des péchés », de
même, ayant béni et sanctifié la coupe, disant ensuite aux mêmes disciples :
« Buvez-en tous ; ceci est mon sang, celui de la nouvelle alliance, versé
pour vous et pour beaucoup en rémission des péchés », si donc il en est un
qui qualifie ces divins mystères de nourriture et de boisson communes et
qui enseigne à les consommer comme des nourritures purement et
simplement périssables, qu’il soit anathème. Car nous-mêmes, nous
proclamons le Christ vrai Dieu et mettons en lui notre foi, nous ajoutons foi
à l’authenticité des paroles (qui lui sont attribuées), nous lui faisons
confiance lorsqu’il (met en rapport nourriture et vie éternelle) en disant :
« Si vous ne mangez la chair du fils de l’homme et si vous ne buvez son
sang, vous ne détenez pas en vous une vie éternelle ». Et ailleurs il dit :
« De quel désir j’ai désiré manger cette pâque avant que je ne souffre ! » Le
divin apôtre, interprétant quelle est cette pâque, s’écriait (et disait)
clairement : « Notre Pâque fut sacrifiée pour nous en tant que Christ ». Et
ailleurs, le Christ dans l’Évangile : « Et le pain que, moi, je vous donnerai,
l’est ma chair, que, moi, je donnerai pour la vie du monde. » Il n’a pas dit :
« Le pain que, moi, je vous donnerai, est mon logos (une métaphore de
moi-même) » comme l’interprètent les Bogomiles, qui combattent contre le
Christ, mais c’est « ce pain-ci » auquel il a donné le nom de « sa propre
chair ». En effet, après que le fils unique du Christ ( !) nous eut tant aimés
au point de se vêtir de notre propre chair et d’endurer la croix et une mort
injurieuse pour notre salut – c’est que, après trois jours de tombeau,
destruction de son propre temple par la souffrance, il devait se réveiller et
retourner vers les cieux en un seul corps (charnel et divin) – il jugea bon, à
cause de son infinie philanthropie et sa bonté pour nous, de sanctifier ceux
qui croyaient en lui, non par la seule présence en tous lieux de sa divinité,
mais aussi par la présence corporelle en vue de la sanctification de ceux qui
participent à son corps, support de Dieu. Car c’est le même qui est Dieu et
homme. C’est pourquoi l’Esprit très saint et tout-puissant sanctifiant le pain
et la coupe posés côte à côte sur cette table sainte et mystique et les
transformant dans le corps et le sang du Christ, nous qui participons à l’un
et à l’autre par la foi, nous détenons le Christ en permanence parmi nous, et
nous faisons uns avec sa divinité et avec son corps, sanctifiant âmes et
corps, et à partir de là, faisant jaillir une lumière immatérielle et intelligible,
il pourchasse au loin les démons fuligineux et ténébreux, et il progresse, et
nous fait progresser, jusqu’à l’instant de notre exode et nous verrons, dans
cette lumière, avec une plus grande évidence la lumière. S’il en est donc un
qui fait entendre un blasphème contre ces mystères très saints et donateurs
de vie et s’il ne croit pas que dit la vérité celui qui prononce la formule
rituelle (legonta) sur le pain et la coupe rendus sacrés, en affirmant : « ceci
est mon corps et cela mon sang », qu’il soit anathème.
Que ceux qui appellent les saintes et vénérées icônes des idoles ne se
différenciant en rien des figures des démons – sont proprement appelées
par les écritures des idoles les figures des démons – qu’ils soient
anathème ! Car nous, ayant appris de la part de nos saints-Pères théophores
la valeur de l’icône, qui remonte jusqu’à un prototype, nous les honorons et
les saluons, et ce n’est pas la matière que nous honorons, ni les couleurs,
mais la forme qui en est obtenue, recueillant en elle jusqu’à la sainte forme
du nom qu’elle atteste**. Or les diaboliques et infects Bogomiles, qui nous
diabolisent me répondirent que nous prosternions devant de la chaux, des
couleurs, des types et du bois. Et pourquoi donc eux-mêmes se prosternent-
ils devant l’Évangile, comme ils le rapportent, et pourquoi le vénèrent-ils ?
N’a-t-il pas, lui aussi, de la peau, du bois, de l’encre et des lettres
enluminées de couleurs différentes. Eh bien, ils diront, « Nous n’honorons
pas le bois, les peaux, l’encre, mais les divines sentences du Christ, mises
par écrit ». De notre part, ils entendront l’équivalent, que nous non plus
nous n’honorons pas les couleurs et le reste de la matière, mais les icônes
qu’elles contribuent à former, de même que ceux qui se prosternent devant
les évangiles n’honorent pas la matière, mais les sentences du Christ. De la
même façon que des discours ne peuvent pas être écrits sans encre et sans
parchemin. Et en ce qui concerne les icônes vénérées, nous ne vénérons pas
la chaux vive, les couleurs, la matière (le bois), mais la forme du Christ et
de tous les saints qu’elles permettent d’obtenir. Si nous adorions de la
chaux vive, des couleurs, et, purement et simplement, des formes prises au
hasard, le bavardage des Bogomiles aurait quelque fondement (logon,
« raison »). Or donc c’est une chose attestée (ιστορηται) que le Christ a été
étendu sur la croix nu (απλωνω ?) ; que des juifs se sont présentés (à lui)
pour lui donner à boire du vinaigre mêlé de bile, pour percer le flanc du
Christ ; que Pilate siégeait sur un trône, des gardes porteurs de lance à ses
côtés. Et nous-mêmes, négligeant Pilate assis sur son trône en habit
magnifique, conspuant les juifs qui se moquent, nous adorons et saluons
celui qui est suspendu à la croix et dont ils se moquent. Il y a ici des
couleurs, et il y en a là, ici des formes et là aussi. Pourquoi donc haïssons-
nous les unes, saluons-nous les autres ? Parce que nous reconnaissons
parfaitement bien que, ce dont les prototypes (les modèles) sont saints,
leurs icônes sont saintes, ce dont les prototypes (les modèles) sont abjects,
leurs cônes le sont aussi. Dis-moi donc, Bogomile, à partir de quoi la forme
et l’aspect d’un homme seront-ils le plus purement caractérisés (gravés)
** ? À partir de l’icône peinte d’après sa vue ou à partir de la silhouette de
son corps ? Absolument, à partir de l’icône qui s’appuie sur la vue
(ιστορημενη). Car en elle sont aussi attestées (ιστορουνται) les parties
indivisiblement unies au corps. À partir d’une ombre, rien de tel ne
transparaît, pas même un nom n’est inscrit par l’ombre d’un homme faisant
obstacle au soleil. Et pourtant l’ombre de Pierre a guéri toute sorte de
maladies et a relevé des cadavres, selon ce qui est écrit dans les Actes des
apôtres. S’il en est donc un qui a honoré et salué l’ombre de Pierre qui a
accompli de tant de miracles, est-ce qu’il aurait été compté au nombre de
ceux qui agissent mal et se serait-il attiré une accusation d’impiété ?
Absolument pas ! Et pourtant, il s’est trouvé qu’il a donné un baiser à la
terre en même temps qu’à l’ombre. S’il en est un qui, alors que le Christ
encore allait et venait, eût baisé ses traces, impressions dans la terre de ses
très saints pieds, est-ce qu’il eût paru avoir trébuché et avoir agi
inconvenablement ? Quel être ayant du jugement, sain d’esprit, assuré dans
sa réflexion, dirait jamais cela ? Ainsi, celui qui honore et salue l’icône du
Christ par amour du Christ élève jusqu’à lui sa vénération et l’estime qu’il
lui accorde. Que les bouches abjectes de ces hérétiques qui combattent le
Christ soient donc bâillonnées ! En vérité, ils haïssent le Christ et donc son
icône, ce que beaucoup des individus portant le mauvais œil et dont l’âme
est pleine de ressentiment font manifestement : lorsqu’ils rencontrent les
gens qu’ils haïssent en bloc, souvent ils détournent d’eux leur vue, ne
voulant même pas voir leur ombre.

Il y a beaucoup d’autres chefs d’accusation contre l’hérésie bogomile qui


mériteraient d’être anathématisés. C’est une hydre polycéphale que cette
hérésie et il n’y a rien à trouver de sain ni de correct dans tous leurs
discours. À cause de leur puanteur, il y a tout lieu de l’éviter au même titre
qu’un bourbier nauséabond et de les saisir pour s’en débarrasser d’une
seule formule qui résume tout : « S’il en est un qui n’admet pas la validité
des sept synodes, saints et catholiques, de nos Pères théophores et inspirés,
qui n’honore pas et n’accueille pas favorablement ce qui a été admis pour
vrai par eux et qui a été inscrits dans le canon, mais bien plutôt l’outrage et
entreprend de le renverser, qu’il soit anathème. »
Que soit donc mis en rapport (legesthō) avec ce premier anathème
l’anathématisation suivante : « S’il en est qui, seulement du bout des lèvres,
anathématise l’hérésie bogomile, la préserve au fond de son cœur, l’honore
et la salue, en public respecte hypocritement l’orthodoxie, en cachette
vénère les mystères obscurs des Bogomiles et s’en fait le héraut, celui-là
puisse-t-il avoir pour héritage le feu éternel en compagnie du traître Judas.
Quiconque, accusé d’une telle hérésie bogomile et revenu à résipiscence,
demande pardon et indulgence, doit, en présence de l’Assemblée d’une
église lire de manière audible les anathèmes qui ont été écrits : ainsi sera-t-
il admis au nombre des fidèles et sera-t-il intégré dans leurs rangs.
Notre clémence (metriotēs) vous recommande donc dans le Seigneur de
transmettre à toutes les églises à destination de tous les chrétiens
orthodoxes de Constantinople, le présent écrit de la main de notre clémence
(modération) et d’ajouter ce commandement de notre part : que dans toutes
les assemblées dominicales et festives cet écrit soit lu pour
l’affermissement du peuple orthodoxe et afin d’égailler de la satanique
hérésie des bogomiles. Je me le représente clairement, en effet, partout
cette hérésie rampe et mord comme une vipère ; elle enlève (détruit) le
troupeau du Christ et, à la façon d’un chancre, elle dévore le corps de
l’Église et s’en nourrit ; c’est que déjà est proche la parousie de l’antéchrist
et les bogomiles le précèdent en estafettes qui le proclament comme le roi
et le créateur de ce monde. Et prenez garde que vous ne soyez égarés. Voici
le temps de l’épreuve qui fera apparaître, en ces jours-là, ceux qui ont aimé
le Christ fidèlement et véritablement. Bienheureux celui qui ne succombera
pas et ne sera pas entraîné dans ce courant boueux vers la perdition. Ô toi,
peuple très fidèle au Christ et absolument orthodoxe, sois protégé par la
grâce très sainte de l’Esprit et dirigé vers l’accomplissement des
commandements du Christ, afin que vous participiez à sa royauté et que
vous obteniez les biens éternels par les intercessions des saints et de Marie,
la très sainte Notre Dame, qui, sans perdre sa virginité, a porté Dieu en son
sein (mère de Dieu). Amen.

Textes édités par Gerhard Ficker, Johann Ambrosius Barth, Leipzig,


1908, sous le titre : Die Phundagiagiten, ein Beitrag zur Ketzergeschichte
des byzantinischen Mittelalters.

Bibliographie (Universalis), Marie-Madeleine DAVY

D. ANGELOV « Der bogomilismus auf dem Gebiete des byzantinischen


Reiches, Ursprung, Wesen und Geschichte », in L’Oriente cristiano nella
storia della civiltà, Act. Congr. Int. Accad. dei Lincei, Rome, 1964.
Livres et légendes bogomiles, Maisonneuve et Larose, Paris, 1976
B. PRIMOV, Les Bougres Histoire du pape Bogomile et de ses adeptes,
Payot, Paris, 1975.
H.C. PUECH A. VAILLANT dir., « Le Traité conte les bogomiles des
Cosmas le Prêtre », in Trav. Inst. Ét. Slaves, Paris, 1945
Antonio Rigo, "Il processo del bogomilo Basilio (1099ca); una
reconsiderazione", Orientalia Christiana Periodica 58, 1992, p. 185-211

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