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La Théorie Des Nombres

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Robin Wilson

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Robin Wilson

La théorie
desnombres
La théorie des nombres est la branche des mathématiques qui
s’intéresse aux propriétés des nombres entiers, notamment
des nombres premiers. Il s’agit d’un sujet ancien, qui remonte
à l’époque de la Grèce antique, et qui est étudié depuis de
nombreuses années pour sa beauté et son élégance intrin-
sèques. Plusieurs de ses défis sont si faciles à énoncer que
tout le monde peut les comprendre, et pourtant personne n’a
jamais été capable de les résoudre.
Récemment, la théorie des nombres a acquis une grande impor-
tance pratique dans le domaine de la cryptographie, où la sécurité
des cartes de crédit, mais aussi des nations dépend d’un résultat
concernant les nombres premiers qui remonte au xviiie siècle. Ces
dernières années ont été marquées par d’autres développements
spectaculaires, comme la publication par Andrew Wiles de la preuve
du « dernier théorème de Fermat », 350 ans après son énoncé.
Robin Wilson présente dans ce livre les principaux domaines de la
théorie classique des nombres et leurs applications concrètes. En
s’appuyant sur les travaux de plusieurs des plus grands mathéma-
ticiens, tels qu’Euclide, Fermat, Euler et Gauss, il montre l’évolution
des problèmes les plus intéressants et créatifs de cette discipline.
Robin Wilson est professeur émérite de mathématiques pures à
l’Open University, professeur émérite de géométrie au Gresham
College de Londres et ancien membre du Keble College de
l’Université d’Oxford. Ancien président de la British Society for
the History of Mathematics, il a écrit
et édité plus de 40 livres sur le sujet.
ISBN : 978-2-7598-3048-0

www.edpsciences.org
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La théorie
desnombres
Robin Wilson

La théorie
desnombres

Traduit de l’anglais par Alan Rodney


ChronoSciences
Collection destinée à un large public qui invite le lecteur à découvrir de façon
très complète mais de manière abordable un sujet ou une thématique précise.

« Dans la même collection »


L’Intelligence artificielle, M. A. Boden, 2021
La Théorie quantique, J. Polkinghorne, 2021
Les Marées, D. G. Bowers et E. M. Roberts, 2021
L’Anthropocène, E. C. Ellis, 2021
L’Odorat, M. Cobb, 2021
Le Changement climatique, M. Maslin, 2022
Les Énergies renouvelables, N. Jelley, 2022
L’écologie, J. Ghazoul, 2022
Le temps, Jenann Ismael, 2022
La physique, Sidney Perkowitz, 2022

Number Theory: A Very Short Introduction was originally published


in English in 2019. This translation is published by arrangement
with Oxford University Press.
© Robin Wilson 2020.
© Pour la traduction française, EDP sciences, 2023.

Composition et mise en page : Desk (www.desk53.com.fr)

Imprimé en France

Papier : 978-2-7598-3048-0
E-book : 978-2-7598-3049-7

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés,


réservés pour tous pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des
alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions
strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une
utilisation collective », et d’autre part, que les analyses et les courtes citations
dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation intégrale,
ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit
ou ayants cause est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation
ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une
contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du code pénal.
 
Table des matières

1. Qu’est-ce que la théorie desnombres ? ..................... 7


2. La multiplication etladivision ................................................ 21
3. Les mathématiques en« prime-time »........................ 46
4. Congruences, horloges etcalendriers ........................... 69
5. Encore des triangles etdescarrés ..................................... 90
6. Des cartes àlacryptographie.................................................. 109
7. Conjectures et théorèmes .......................................................... 125
8. Comment gagner unmillion de dollars ? ................... 145
9. En fin de compte................................................................................... 157
Lectures supplémentaires .................................................................. 168
Index .......................................................................................................................... 171

5
1
Qu’est-ce que la théorie
desnombres ?

Considérons les questions suivantes :


En quelles années le mois de février compte-t-il cinq dimanches ?
Qu’y a-t-il de particulier dans le nombre     ?
Combien de triangles rectangles dont les côtés sont des nombres
entiers ont un côté de longueur  ?
Certains de ces nombres : , ,  ,  , … sont-ils des
carrés parfaits ?
J’ai des œufs. Lorsqu’ils sont disposés en rangées de , il en reste
. En rangées de , il en reste . En rangées de , il en reste .
Combien d’œufs ai-je en tout ?
Peut-on construire un polygone régulier de  côtés si la mesure
est interdite ?
Combien de mélanges de cartes sont nécessaires pour rétablir
l’ordre dans un paquet qui comprend deux jokers ?
Si je peux acheter des perdrix pour  centimes pièce, des pigeons
pour  centimes pièce et  moineaux pour un centime et si je
dépense  centimes pour acheter  oiseaux, combien d’oiseaux
de chaque espèce dois-je acheter ?

7
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Comment les nombres premiers permettent-ils de sécuriser nos


cartes de crédit ?
Qu’est-ce que l’hypothèse de Riemann, et comment puis-je gagner
un million de dollars ?
Comme vous allez le découvrir, ce sont toutes des ques-
tions qui relèvent de la théorie des nombres, la branche des
mathématiques qui s’intéresse principalement aux nombres
entiers naturels, soit les nombres avec lesquels on compte, ,
, , … et nous aborderons toutes ces questions par la suite.
Les nombres premiers, les « briques constitutives » de notre
système de numération, revêtiront ici une importance par-
ticulière : il s’agit de nombres tels que ,  et  , dont
les seuls facteurs sont eux-mêmes et , contrairement à ,
qui est  × , et à , qui est  × . Une grande partie
de ce livre est consacrée à l’exploration de leurs propriétés.
La théorie des nombres est un sujet ancien et remonte à plus de
deux millénaires, chez les Grecs anciens. Le mot grec a’ riqmòς
(arithmos) signifie « nombre », et pour les Pythagoriciens du
e siècle avant notre ère, « arithmétique » désignait à l’origine
le calcul avec des nombres entiers et, par extension, ce que
nous appelons aujourd’hui la théorie des nombres – en fait,
jusqu’à assez récemment, le sujet était parfois appelé « l’arith-
métique supérieure ». Trois siècles plus tard, Euclide d’Alexan-
drie aborda l’arithmétique et la théorie des nombres dans les
Livres VII, VIII et IX de son célèbre ouvrage, Les Éléments, et
sut démontrer en particulier que la liste des nombres premiers
est sans fin. Ensuite, probablement vers l’an  de notre ère,
Diophante, un autre habitant d’Alexandrie, écrivit un texte
devenu un « classique » appelé Arithmetica qui contenait de
nombreuses questions ayant des solutions en nombres entiers.
Après les Grecs, la théorie des nombres a suscité peu d’intérêt
pendant plus d’un millier d’années, jusqu’aux percées nova-
trices du juriste et mathématicien français du e siècle,

8
 Qu’est-ce Que la théorie desnombres ? 

Pierre de Fermat – qui donne son nom au « dernier théorème


de Fermat », l’un des défis les plus célèbres de la théorie des
nombres. Les travaux de Fermat ont été poursuivis par le
polymathe suisse du  e siècle Leonhard Euler, qui résolut
plusieurs problèmes que Fermat n’avait pas réussi à résoudre,
ainsi que par Joseph-Louis Lagrange à Berlin et Adrien-Marie
Legendre à Paris. En , le prodige allemand Carl Friedrich
Gauss construisit à la main une liste de tous les nombres
premiers jusqu’à trois millions, alors qu’il n’avait que  ans,
et a rédigea peu de temps après un texte révolutionnaire inti-
tulé Disquisitiones Arithmeticae (Investigations sur l’arithmé-
tique) publié en , qui révolutionna le sujet. Parfois décrit
comme le « Prince des mathématiques », Gauss affirmait :
Les mathématiques sont la reine des sciences et la théorie
des nombres est la reine des mathématiques.
Les noms de ces pionniers réapparaîtront tout au long de
cet ouvrage (cf.la Figure ).
Plus récemment, le champ d’application du sujet s’est consi-
dérablement élargi pour inclure de nombreux autres sujets,
dont plusieurs sont présentés dans ce livre. En particulier,
certains développements spectaculaires ont eu lieu, comme
la preuve par Andrew Wiles du dernier théorème de Fermat
(qui était resté sans preuve formelle pendant plus de  ans)
et de nouveaux résultats passionnants sur la façon dont les
nombres premiers sont distribués.
La théorie des nombres a longtemps été considérée comme
l’un des plus « beaux » domaines des mathématiques, doté
d’un grand charme et d’une grande élégance : les nombres
premiers existent même dans la Nature, comme nous le
verrons. C’est également l’un des sujets les plus fascinants,
dans la mesure où plusieurs de ses défis sont si faciles à
énoncer que tout le monde peut les comprendre. Et pourtant,
malgré les vaillantes tentatives de nombreuses personnes

 9
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

pendant des centaines d’années, ils n’ont jamais été réso-


lus. Mais le sujet a également acquis récemment une grande
importance pratique dans le domaine de la cryptographie.
En effet, de manière assez surprenante, de nombreuses
informations secrètes, y compris la sécurité de vos cartes
de crédit, dépendent d’un résultat de la théorie des nombres
qui remonte au e siècle.

Fig. 1  De gauche à droite et de haut en bas : Euclide, Pierre de Fermat,


Leonhard Euler et Carl Friedrich Gauss.

 10 
 Qu’est-ce Que la théorie desnombres ? 

Dans ce chapitre, je vais établir les bases de nos explorations


ultérieures, en vous présentant plusieurs types de nombres
que vous rencontrerez par la suite et en vous posant plusieurs
questions à leur sujet. Certaines de ces questions sont faciles
à résoudre, tandis que d’autres sont plus difficiles mais sont
résolues dans les chapitres suivants, et quelques-unes sont
des problèmes notoires pour lesquels aucune réponse n’a
encore été trouvée. Pour l’instant, je ne révélerai pas quelles
questions entrent dans quelle catégorie, car vous souhaiterez
peut-être y réfléchir d’abord. Leurs réponses (lorsqu’elles
sont connues) sont résumées à la fin de ce livre, au chapitre .

LES NOMBRES ENTIERS


Ce livre traite des nombres usuels de numération ou
nombres entiers positifs (, , , , , …), des nombres entiers
négatifs (…, – , – , – , – ) et du nombre  (cf.la Figure ).

entiers négatifs entiers positifs

… –4 –3 –2 –1 0 1 2 3 4 5 …

Fig. 2  Les nombres entiers.

On peut également séparer la série des nombres entiers en


deux parties, les nombres pairs
…, – , – , – , , , , , , …
et les nombres impairs
…, – , – , – , , , , , …
Tout nombre pair est le double d’un autre nombre entier,
c’est-à-dire qu’il a la forme n, où n est un nombre entier :
par exemple,
 =  × , où n = .

 11 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

De même, tout nombre impair est égal à un de plus que


deux fois un autre nombre entier, c’est-à-dire qu’il a la forme
n + , où n est un nombre entier,
 = ( × ) + , où à nouveau n = .
Les multiples d’un nombre entier n donné sont les nombres qui
ne laissent aucun reste lorsqu’ils sont divisés par n : par exemple,
les multiples positifs de  sont , , , , , …
Ces nombres se terminent tous par , et, inversement, tous
les nombres qui se terminent par  (comme ) sont des
multiples de . De même,
les multiples positifs de  sont , , , , , …
Ces nombres se terminent tous par  ou  et, inversement,
tous les nombres qui se terminent par  ou  (comme  et
) sont des multiples de .
Les multiples de  sont les nombres pairs, c’est-à-dire les
nombres qui se terminent par , , ,  ou . Mais que pou-
vons-nous dire des multiples d’autres nombres ? Par exemple :
Comment pouvons-nous reconnaître si un nombre donné, par
exemple   , est un multiple de  ? ou de  ? ou de  ?
ou de  ?
Je répondrai à ces questions au Chapitre , où nous explo-
rerons les multiples plus en détail.
Dans la théorie des nombres, le mot « nombre » pris au singulier
se réfère le plus souvent à un nombre entier positif et nous sui-
vrons cette convention sauf indication contraire.

LES CARRÉS ET LES CUBES


Les Pythagoriciens semblent avoir été particulièrement
intéressés par les nombres carrés parfaits, qu’ils représen-
taient géométriquement par des motifs carrés de points,
comme dans la Figure .

 12 
 Qu’est-ce Que la théorie desnombres ? 

Fig. 3  Les quatre premiers nombres carrés non nuls.

Un nombre carré (ou carré parfait) a la forme n = n × n, où n


est un nombre entier : par exemple,  est un nombre carré
parce que  = ² ou (– )², et  est un carré parce que
 = ². Tous les nombres carrés non nuls sont des entiers
positifs, les dix premiers étant
² = , ² = , ² = , ² = , ² = , ² = ,
² = , ² = , ² = , et ² = .
Ces nombres carrés se terminent tous par , , , ,  ou ,
et nous pouvons donc nous demander :
Y a-t-il des nombres carrés qui se terminent par , ,  ou  ?
Nous remarquons également que chacun de ces nombres
carrés est
soit un multiple de  : par exemple,  =  × ,
soit un de plus qu’un multiple de  : par exemple,
 = ( × ) + ,
Nous pouvons nous demander si cela est toujours vrai :
Tous les carrés doivent-ils être de la forme n ou n + , où n est
un nombre entier ?
Les Pythagoriciens auraient également observé des résultats
tels que
 +  +  +  =  et  +  +  +  +  +  +  = .
Comme  et  sont tous deux des nombres carrés, on peut
se demander :
La somme des premiers nombres impairs, , , , , … sera-t-elle
toujours être un nombre carré ?

 13 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Que se passe-t-il si nous ajoutons deux nombres carrés


ensemble ? Le nombre  = ² + ² peut être écrit comme
la somme de deux nombres carrés, tout comme le nombre
 = ² + ². Mais les nombres ,  et  ne peuvent pas
être écrits de cette façon, et nous pouvons nous demander :
Quels nombres peuvent être écrits comme la somme de deux
nombres carrés ?
Cependant, les nombres  = ² + ² + ² et  = ² + ² + ²
peuvent s’écrire comme la somme de trois nombres carrés,
et le nombre  = ² + ² + ² + ² peut s’écrire comme la
somme de quatre nombres carrés, et nous pouvons poser
des questions telles que :
Le nombre   peut-il être écrit comme la somme de deux
nombres carrés ? ou de trois nombres carrés ? ou de quatre
nombres carrés ?
Les nombres carrés apparaissent également dans la géomé-
trie des triangles rectangles.
En application du théorème de Pythagore, les longueurs
a, b, c des côtés d’un triangle rectangle satisfont l’équation
a² + b² = c² (cf. la Figure ) : par exemple,
² + ² = ² et ² + ² = ²,
et nous pourrions nous demander :
Quels autres triangles rectangles ont des côtés de longueur en
nombres entiers ?

5 c
3 a

4 b
Fig. 4  Les triangles rectangles.

 14 
 Qu’est-ce Que la théorie desnombres ? 

Intéressons-nous maintenant aux cubes.


Un nombre cube (ou cube parfait) a la forme n = n × n × n, où
n est un nombre entier : par exemple,  et –  sont des
cubes car  =  et –  = (– ). Les cubes peuvent être
positifs, négatifs ou nuls, et les dix premiers cubes positifs
sont les suivants
 = ,  = ,  = ,  = ,  = ,
 = ,   = ,  = ,  = ,
  =  .
Chacun de ces cubes est
soit un multiple de  : par exemple,  =  × ,
soit un de plus qu’un multiple de  : par exemple,
 = ( × ) + ,
soit huit de plus qu’un multiple de  : par exemple,
 = ( × ) + ,
et on peut se demander :
Tous les nombres cubes doivent-ils être de la forme n, n + ,
ou n + , où n est un nombre entier ?
Un lien inattendu entre les carrés et les cubes est le suivant
 +  +   +   =  = 
 +   +   +  +   =  = ,
et on peut se demander :
La somme des quelques premiers cubes , , , … doit-elle
toujours être un nombre carré ?
Nous avons vu plus haut que la somme de deux nombres
carrés peut être un autre nombre carré : par exemple,
² + ² = ². Nous pouvons nous demander s’il existe une
affirmation similaire pour les nombres cubes :
Existe-t-il des entiers a, b, c pour lesquels a + b = c ?

 15 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Tout comme nous pouvons écrire les nombres comme la


somme de nombres carrés, nous pouvons également les
écrire comme la somme de nombres cubes, par exemple :
 =  +  +  +  +  +  =   +  +  +  +  +  .
Nous pouvons donc nous demander :
Tous les nombres peuvent-ils être écrits comme la somme de six
cubes ?
Je répondrai à ces questions dans les Chapitres  et  où
nous explorerons plus en détail les nombres carrés et cubes.

LES NOMBRES PARFAITS


Les facteurs, ou diviseurs, d’un nombre donné sont les
entiers positifs qui le divisent exactement, sans laisser de
reste : par exemple, les facteurs de  sont , ,  et . Un
facteur qui n’est pas égal au nombre lui-même est un facteur
propre : les facteurs propres de  sont ,  et .
Dans le livre IX de Les Éléments, Euclide aborde les nombres
parfaits, pensant comme d’autres qu’ils avaient une signi-
fication mystique ou religieuse. Un nombre parfait est un
nombre dont les facteurs propres s’additionnent et donnent
le nombre original. Par exemple,
 est parfait, car ses facteurs propres sont ,  et , qui
s’additionnent pour donner  ;
 est parfait, car ses facteurs propres sont , , ,  et
, ce qui donne .
Les quatre premiers nombres parfaits, déjà connus des Grecs
anciens, sont , ,  et  , et nous pouvons nous
demander :
Quel est, après  , le nombre parfait suivant ? et, plus géné-
ralement,

 16 
 Qu’est-ce Que la théorie desnombres ? 

Existe-t-il une formule permettant de produire des nombres


parfaits ?
Nous explorerons la question des nombres parfaits au Cha-
pitre .

LES NOMBRES PREMIERS


Comme vous l’avez vu précédemment, un nombre premier
est un nombre qui n’a d’autres facteurs que lui-même et  :
par exemple,  et  sont des nombres premiers, alors que
 =  ×  ne l’est pas. Les quinze premiers nombres pre-
miers sont
, , , , , , , , , , , , ,  et .
Un nombre qui n’est pas premier (comme ,  ou ) est
dit composé.
Le nombre  est considéré comme n’étant ni premier ni com-
posé. Nous expliquerons pourquoi au Chapitre , où nous
explorerons les nombres premiers plus en détail.
Les nombres premiers sont au cœur de la théorie des nombres
car ils sont les « briques de construction », ou « atomes », de
notre système de numération et de comptage, pris dans le
sens où chaque nombre supérieur à  peut être obtenu en
multipliant des nombres premiers ensemble : par exemple,
 =  ×  ×  ×  et  =  × .
Dans certains cas, nous pouvons répondre à des questions
difficiles sur les nombres en général en y répondant d’abord
pour le cas des nombres premiers, puis en combinant les
résultats.
Dans la liste ci-dessus, nous constatons que  et  semblent
être les seuls nombres premiers qui diffèrent de , mais que
plusieurs paires de nombres premiers diffèrent de  :  et ,
 et ,  et ,  et  en sont des exemples.

 17 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

De telles paires sont appelées nombres premiers jumeaux, et


des exemples plus importants incluent  et ,   et
 , et    et   . Sachant que la liste des
nombres premiers est infinie, nous pouvons également nous
demander :
La liste des nombres premiers jumeaux est-elle infinie ?
D’autre part, nous trouvons parfois de grands écarts entre
des nombres premiers successifs ; par exemple, les nombres
premiers  et  sont séparés par les cinq nombres compo-
sés , , ,  et , et les nombres premiers  et 
sont séparés par les treize nombres composés consécutifs
de  à . Mais quelle peut être l’ampleur de ces écarts ?
Par exemple :
Existe-t-il une chaîne de   nombres composés consécutifs ?
Une autre question se pose lorsque nous additionnons des
nombres premiers. En remarquant que
 =  + ,  =  + , et  =  +  ou  + ,
on peut se demander :
Tout nombre pair peut-il être écrit comme la somme de deux
nombres premiers ?
Plusieurs nombres premiers peuvent s’écrire comme la
somme de deux carrés : par exemple,
 =  + ,  =  + ,  =  + , et  =  + .
Mais certains autres nombres premiers, tels que ,  et ,
ne peuvent pas être écrits de cette façon, et nous pouvons
nous demander :
Quels nombres premiers peuvent être écrits comme la somme de
deux nombres carrés ?
Nous pouvons également remarquer que certains nombres pre-
miers sont inférieurs d’un à une puissance de  : par exemple,
 = ² – ,  =   – ,  =   –  et  =  – .

 18 
 Qu’est-ce Que la théorie desnombres ? 

Mais aucun des nombres suivants de ce type n’est premier :


 =   – ,  =  – ,  =  – ,  =  – ,
  =  – .
En remarquant que les exposants (, ,  et ) de la première
liste sont tous premiers, alors que ceux de la deuxième liste
(, , ,  et ) sont tous composés, on peut se demander :
Le nombre n –  est-il toujours premier lorsque n est un nombre
premier, et toujours composé lorsque n est composé ?
Les nombres premiers de la forme n –  sont appelés
nombres premiers de Mersenne, du nom du mathématicien
et religieux français du e siècle, Marin Mersenne, qui a
exploré leurs propriétés. Ils sont liés aux nombres parfaits
et à la recherche de grands nombres premiers, comme nous
le verrons au Chapitre .
De même, certains nombres premiers sont supérieurs d’un
d’une puissance de . Par exemple, Pierre de Fermat a consi-
déré les nombres de la forme n + , où n est lui-même une
puissance de , et lorsque n = , , ,  et , il a obtenu les
nombres suivants
 +  =  +  = , ² +  =  +  = ,
 +  =  +  = ,  +  =  +  = ,
 +  =   +  =  .
En observant que ces cinq nombres sont tous premiers, Fer-
mat a essayé (sans succès) de prouver que c’était toujours le
cas. Aussi pouvons-nous nous demander :
Tous les nombres de cette forme sont-ils des nombres premiers ?
Ces nombres sont désormais appelés nombres de Fermat, et
nous les étudierons au Chapitre , où nous verrons comment
ils apparaissent de manière inattendue en rapport avec un
très ancien problème de géométrie.
Avant de quitter les nombres premiers, notons au passage
que tout nombre premier (autre que ), étant un nombre

 19 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

impair, doit être supérieur d’une valeur soit d’un, soit de trois
à un multiple de , c’est-à-dire qu’il est de la forme n +  ou
n + , pour un certain nombre entier n. Voici des exemples
de nombres premiers du premier type
 = ( × ) + ,  = ( × ) + ,  = ( × ) + ,
 = ( × ) + ,
et les nombres premiers du second type sont les suivants
 = ( × ) + ,  = ( × ) + ,  = ( × ) + ,
 = ( × ) + .
Ces listes sont-elles infinies ? C’est-à-dire, pouvons-nous
demander :
Existe-t-il une infinité de nombres premiers de la forme n +  ?
ou de la forme n +  ?
Nous pouvons également poser la question connexe sui-
vante :
Existe-t-il un nombre infini de nombres premiers dont le chiffre
final est  ?
Nous étudierons ces questions au Chapitre .
Ce chapitre d’introduction a été conçu pour vous donner
une idée de ce à quoi vous pouvez vous attendre dans les
chapitres suivants, ainsi qu’un aperçu des plaisirs qui vous
attendent alors que nous explorerons un domaine d’étude
qui a fasciné les amateurs et les professionnels depuis des
milliers d’années.
La théorie des nombres est aujourd’hui un sujet très vaste
et de nombreux sujets importants ont dû être omis de ces
pages, mais j’espère que ma sélection vous donnera une idée
des aspects très variés de la théorie des nombres telle qu’elle
est apparue historiquement et telle qu’elle est encore prati-
quée aujourd’hui.

 20 
2
La multiplication
etladivision

Une grande partie de la théorie des nombres concerne la


multiplication et la division des nombres entiers. Dans ce
chapitre, nous allons explorer leurs multiples et leurs divi-
seurs (ou facteurs). Après avoir présenté la règle de division
et l’algorithme d’Euclide pour trouver le plus grand commun
diviseur (PGCD) de deux nombres, nous explorerons cer-
taines propriétés des nombres carrés et cubes ; nous présen-
terons quelques tests rapides pour déterminer quels nombres
peuvent être divisés de manière égale par certains autres
nombres donnés (tels que ,  et ) et nous conclurons en
évoquant une ancienne méthode consistant à appliquer « la
preuve par neuf ».

LES MULTIPLES ET LES DIVISEURS


Pour deux entiers a et b, on dit que b est un multiple de a
s’il existe un entier x avec a × x = b : par exemple,  est un
multiple de  parce que  ×  =  ; ici, x = . Dans ce cas,
on dit aussi que a est un diviseur ou un facteur de b, et que a
divise b, et que b est divisible par a, donc  est un diviseur ou
un facteur de ,  divise , et  est divisible par  (cf.la

 21 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Figure ). Tous ces termes en italiques sont d’usage courant


et nous les utiliserons indifféremment.
Pour donner d’autres exemples, nous pouvons observer que
les cinq premiers multiples positifs de  sont
, , ,  et ,
et que les diviseurs positifs de  sont
, , , , , , ,  et .
De plus, le nombre  divise tous les nombres entiers positifs.
(a)
0 3 6 9 12 15 18

3 3 3 3 3 3

(b)
0 a 2a 3a … b


a a a a
Fig. 5  18 est un multiple de 3, et 3 est un diviseur de 18 ; b est un
multiple de a, et a est un diviseur de b.

Un résultat simple sur les multiples et les diviseurs est que :


Si a et b sont tous deux des multiples d’un nombre d, alors
leur somme a + b l’est aussi,
ou, en termes de diviseurs,
Si d divise à la fois a et b, alors d divise aussi leur somme
a + b.

 22 
 la multiplication etladivision 

Cela est dû au fait que si a = d × x et b = d × y, pour les


nombres x et y, alors
a + b = (d × x) + (d × y) = d × (x + y)
x+y

d a b

x y
Fig. 6  Si d divise a et b, alors d divise aussi a + b.

(cf.la Figure ). Par exemple,  est un diviseur à la fois de 


et de , et divise donc aussi leur somme, .
Nous pouvons également démontrer que si d divise a et b,
alors d divise aussi leur différence, a – b : par exemple,  divise
à la fois  et , et divise donc aussi leur différence, .
Nous pouvons également voir que
si d divise a, alors d divise tous ses multiples m × a.
En effet, si a = d × x, alors
m × a = m × (d × x) = d × (m × x) :
par exemple,  divise , et divise donc tous ses multiples,
comme .
En combinant cela avec le résultat ci-dessus concernant la
somme, on en déduit que :
Si d divise à la fois a et b, alors d divise tous les nombres
de la forme (m × a) + (n × b), pour tout entier m et n.
En effet, d divise les multiples de m × a et de n × b, et divise
donc leur somme : nous appellerons ces nombres des « com-
binaisons » de a et de b. Par exemple, comme  divise à la fois
 et , il divise également leurs multiples  ×  =  et
 ×  = , et divise donc la somme de ceux-ci, la combi-
naison  = ( × ) + ( × ). On remarque que les cas
particuliers m = , n = , et m = , n = – , nous donnent les
affirmations ci-dessus sur la somme a + b et la différence a – b.

 23 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Pour vous offrir un changement de rythme, je terminerai


cette section par une énigme impliquant des diviseurs :
Un agent de recensement rend visite à une famille de « matheux »
à leur domicile et le dialogue suivant s’engage :
Agent : Quel âge ont vos trois enfants ?
Parent : Le produit de leurs âges est  et la somme est le numéro
de l’adresse de notre maison.
Agent : J’ai besoin de plus d’informations. Vos deux plus jeunes
enfants ont-ils le même âge ?
Parent : Non.
Agent : Ah ! Maintenant je connais leurs âges.
Quel âge ont-ils ?
Comment répondre à cette question, puisque l’information
fournie semble insuffisante ? Pour cela, voyons d’abord les
différentes manières possibles d’écrire  comme produit
de trois nombres :
 ×  × ,  ×  × ,  ×  × ,  ×  × ,
 ×  × ,  ×  × ,  ×  × , et  ×  × ,
avec des sommes respectives de , , , , , ,  et .
L’agent recenseur, en voyant le numéro de la maison, saurait
lequel de ces chiffres est correct, à moins que la somme ne
soit le nombre répété , auquel cas il y a deux possibilités.
Mais comme les deux plus jeunes enfants n’ont pas le même
âge, leurs âges ne peuvent pas être ,  et , et doivent donc
être ,  et .

LE PLUS PETIT COMMUN MULTIPLE (PPCM)


ETLEPLUS GRAND COMMUN DIVISEUR (PGCD)
Dans cette section, nous allons étudier deux nombres
importants associés aux nombres a et b.

 24 
 la multiplication etladivision 

Le plus petit commun multiple (PPCM)


Examinons deux situations. La première concerne deux
anciens calendriers :
Au premier millénaire de notre ère, les Mayas d’Amérique cen-
trale avaient deux calendriers annuels : l’un basé sur  jours
et l’autre sur  jours, qu’ils ont ensuite combinés en un seul
« cycle calendaire » de   jours (=  ans). Mais d’où vient
ce chiffre ?
La deuxième situation concerne deux engrenages (cf. la
Figure ) :
J’ai deux engrenages en rotation, avec, respectivement,  et
 dents. Quand les positions de départ de ces engrenages s’ali-
gneront-elles ?

Fig. 7  Deux engrenages avec 90 et 54 dents.

Les positions de départ s’alignent chaque fois que le nombre


de dents qui ont dépassé la position de départ est simulta-
nément un multiple de  et un multiple de . Quels sont
ces multiples ?
Pour le premier engrenage, les premiers multiples sont les
suivants
, , 270, , , 540 et ,

 25 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

tandis que pour le deuxième engrenage, il s’agit de


, , , , 270, , , , , 540 et ,
et les multiples qu’ils ont en commun sont les chiffres en
caractères gras, c’est-à-dire 270 et 540. Le plus petit de ces
nombres est , et nous disons que  est le « plus petit
commun multiple (PPCM) » de  et . Les positions de
départ s’alignent donc chaque fois que  dents sont pas-
sées – c’est-à-dire après trois rotations du premier engrenage
et cinq rotations du deuxième engrenage.
En général, m est un multiple commun des entiers a et b si m
est un multiple de a et de b, et le plus petit commun multiple
est le plus petit commun multiple positif. Si m est le plus
petit commun multiple de a et b, on écrit m = PPCM (a, b).
Dans l’exemple ci-dessus,
PPCM (, ) = , et d’autres exemples sont
PPCM (, ) = , PPCM (, ) = ,
PPCM (, ) = .
Pour les anciens Mayas, les deux calendriers se rejoignaient
après chaque période de PPCM (, ) =   jours.
De nombreuses personnes rencontrent pour la première fois
les multiples les moins communs lorsqu’elles apprennent à
additionner des fractions. Par exemple, pour additionner
les fractions / et /, nous les posons d’abord sur un
dénominateur commun :
1 1 3 5
+ = + .
90 54 270 270
Nous pouvons maintenant additionner directement ces frac-
tions pour obtenir /, qui se simplifie ensuite en /.
Ici, le dénominateur commun est le plus petit commun mul-
tiple PPCM (, ) = .

 26 
 la multiplication etladivision 

Le plus grand commun diviseur


Le plus grand commun diviseur (PGCD) de deux entiers est
lié au plus petit commun multiple de deux entiers.
Les diviseurs de  sont
, , , , , , , , , ,  et ,
et ceux de  sont
, , , , , , , et ,
De sorte que ceux qu’ils ont en commun sont , , , , ,
et .
Le plus grand d’entre eux est , donc  est le « plus grand
commun diviseur » de  et .
En général, d est un diviseur commun des nombres a et b si d
divise à la fois a et b, et le plus grand diviseur commun est le
plus grand de ces diviseurs communs. Si d est le plus grand
commun diviseur de a et b, on écrit d = PGCD (a, b) ; on l’ap-
pelle parfois leur plus grand facteur commun. Dans l’exemple
ci-dessus,
PGCD (, ) = ,
et d’autres exemples sont
PGCD (, ) = , PGCD (, ) = ,
PGCD (, ) = .
Si PGCD (a, b) = , nous disons que a et b sont nombres pre-
miers entre eux, nombres premiers relatifs ou co-premiers : par
exemple,  et  n’ont aucun facteur positif en commun,
sauf , et sont donc des nombres co-premiers.
De manière surprenante, ces concepts apparaissent même
dans la Nature, dans les cycles de vie de certains insectes.
En Amérique du Nord, trois types de cigales (cf.la Figure )
ont des cycles de vie de ,  et  ans, tous des nombres
premiers. S’agit-il d’une coïncidence ? Les cigales restent
sous terre pendant la majeure partie de leur vie, puis sortent

 27 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

tous ensemble pour une orgie de nourriture, de gazouillis,


d’accouplement, de ponte et de mort. Mais lorsqu’elles appa-
raissent, elles sont vulnérables aux prédateurs (comme les
oiseaux et certaines guêpes) dont le cycle de vie est plus
court, jusqu’à cinq ans. Si le cycle de vie d’une cigale était
de  ans, ou d’un autre nombre composé, la probabilité
qu’elle soit dévorée par un prédateur serait considérable-
ment accrue. Mais comme elles ont développé des cycles de
vie de ,  et  ans, et que ces nombres sont tous premiers
par rapport à , ,  et , les cigales peuvent plus facilement
éviter un malheureux destin.

Fig. 8  Cigale périodique.

Une propriété fondamentale du plus grand commun diviseur


d de deux nombres a et b est que nous pouvons toujours
écrire d comme une combinaison de a et b. Pour voir ce que
cela implique, considérons le problème simple suivant, relatif
à la monnaie américaine :
Jack et Jill ont un certain nombre de « quarts » (pièces de
 cents) et de « dimes » (pièces de  cents), et Jack souhaite
donner  cents à Jill. Comment peut-il procéder ?
L’une des solutions consiste pour Jack à donner à Jill  quar-
ter et pour Jill à donner à Jack  dimes. Nous pouvons écrire
ceci comme suit
 = ( × ) + (–  × ).

 28 
 la multiplication etladivision 

Une autre solution consiste à ce que Jill donne à Jack  pièce


de  cents et que Jack lui donne  pièces de  cents. On
peut l’écrire comme suit
 = (–  × ) + ( × ).
En prenant a =  et b =  et en notant que le PGCD (a, b) = ,
nous pouvons généraliser ces observations comme suit :
Si a et b sont des entiers positifs, et si d = le PGCD (a, b),
alors il existe des entiers m et n pour lesquels
d = (m × a) + (n × b).
En particulier, si a et b sont de nombres premiers, alors le
PGCD (a, b) = , et ce résultat nous dit qu’il existe des entiers
m et n pour lesquels
 = (m × a) + (n × b).
Comme précédemment, les nombres entiers m et n ne peuvent
pas être tous deux positifs, et il y a de nombreux choix pos-
sibles pour eux : par exemple, le PGDCD (, ) =  et
 = (–  × ) + ( × ) : ici, m = –  et n = 
 = ( × ) + (–  × ) : ici, m =  et n = – .
Nous terminerons cette section par un lien intéressant entre
le plus petit commun multiple et le plus grand commun divi-
seur et de deux nombres a et b, à savoir que :
PPCM (a, b) × PGCD (a, b) = a × b.
Par exemple, si a =  et b = , alors le PPCM (a, b) = ,
le PGCD (a, b) =  et
PPCM (a, b) × PGCD (a, b) =  ×  =  
=  ×  = a × b.
Au Chapitre , nous expliquerons comment cela se produit.

L’ALGORITHME D’EUCLIDE
Comment calculer le plus grand diviseur commun de deux
nombres donnés ?

 29 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Dans le livre VII des Éléments, Euclide présente une méthode


qui dépend d’un résultat élémentaire, mais fondamental,
connu sous le nom de division euclidienne. Cette règle
nous dit que si l’on nous donne des nombres entiers quel-
conques a et b, nous pouvons diviser b par a pour obtenir une
réponse (appelée « quotient »), généralement avec un reste :
par exemple, si nous divisons  par , nous obtenons un
quotient de  et un reste de , car
 = ( × ) + .
On remarque que le reste est inférieur à , c’est-à-dire le
nombre utilisé pour la division.
Division euclidienne : Étant donné deux entiers positifs
quelconques a et b, il existe des nombres uniques q (le
quotient) et r (le reste) avec b = (q × a) + r, où  ≤ r < a.
Ce résultat est illustré à la Figure . Dans un cas particulier,
si b est un multiple de a, alors le reste r est  et le quotient
q est b/a.

a b
r

q
Fig. 9  La règle de la division.

Voici quelques cas particuliers importants de la règle de divi-


sion, dont nous aurons besoin plus tard dans ce chapitre ;
ils sont illustrés à la Figure  :
Si a = , alors r =  ou , donc :
Tout nombre entier b a la forme q (les nombres entiers
pairs) ou q +  (les entiers impairs).
Si a = , alors r = ,  ou , donc :
Tout nombre entier b a la forme q, q + , ou q + .

 30 
 la multiplication etladivision 

Si a = , alors r = , , , ou , donc :
Tout nombre entier b a la forme q, q + , q + , ou
q + ,
et ainsi de suite.

a=2

a=3

a=4

Fig. 10  Cas particuliers de la règle de la division.

Venons-en maintenant à l’algorithme d’Euclide. Un algo-


rithme est une procédure finie pour résoudre un problème,
pas à pas. C’est un peu comme une recette dans un livre de
cuisine ou un ensemble d’instructions pour la conduite d’un
véhicule d’un endroit à un autre. Lorsque nous fournissons
les données d’entrée appropriées (les ingrédients ou les deux
localisations) et que nous « tournons la manivelle », notre
résultat devrait être la solution requise (comme un gâteau
ou un itinéraire approprié). Les algorithmes doivent leur
nom au mathématicien perse du e siècle, al-Khwārizmī.
L’algorithme d’Euclide pour trouver le plus grand divi-
seur commun de deux nombres utilise sans cesse la règle
de division. L’exemple suivant, où nous montrons que le
PGCD (, ) = , illustre la méthode. Ici, les nombres en
caractères gras sont les nombres originaux  et  et les
restes qui apparaissent lors des divisions successives.
D’abord, on divise  par  : 57 = ( × 21) + 15
Ensuite, on divise  par  : 21 = ( × 15) + 6

 31 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Ensuite, on divise  par  : 15 = ( × 6) + 3


Enfin, on divise  par  : 6 = ( × 3) + 0.
Nous nous arrêtons lorsque nous obtenons un reste de , et
le plus grand commun diviseur est alors le dernier reste non
nul, ici le . La Figure  illustre ce processus.
21 21 15

15
21
3 6 6
3
6 6
3
57

Fig. 11  PGCD (57, 21) = 3.

Nous pouvons également utiliser ces mêmes calculs pour


écrire le PGCD (, ) comme une combinaison de  et ,
comme nous l’avons décrit précédemment. Pour ce faire, nous
remontons vers le haut à partir de l’avant-dernière équation, en
substituant le reste à chaque étape, comme suit.
Selon l’avant-dernière équation, 3 = 15 – ( × 6).
Mais d’après la deuxième équation, 6 = 21 – ( × 15),
et si l’on substitue ce résultat à l’équation de l’avant-dernière
étape, on obtient
3 = 15 – { × (21 – ( × 15))},
ce qui se simplifie en 3 = ( × 15) – ( × 21).
Enfin, par la première application de la règle de division,
15 = 57 – ( × 21),
et en le substituant à l’équation précédente, on obtient
3 =  × {57 – ( × 21)} – ( × 21),
ce qui se simplifie en 3 = ( × 57) + (–  × 21).
Donc le PGCD (, ) = m + n, où m =  et n = – .

 32 
 la multiplication etladivision 

En général, nous pouvons trouver le plus grand commun


diviseur de deux entiers positifs a et b de la même manière,
en utilisant la règle de division et e la répétant pour trouver
chaque quotient et chaque reste, à tour de rôle, jusqu’à ce
que nous obtenions un reste de . Alors :
Le plus grand diviseur commun le PGCD (a, b) est alors
le dernier reste non nul.
Nous pouvons alors inverser le processus pour écrire le PGCD (a, b)
comme une combinaison de a et de b. Pour ce faire, nous com-
mençons par l’avant-dernière équation et remontons à travers les
équations, comme dans l’exemple que nous venons de donner.
À quel point, l’algorithme d’Euclide est-il efficace ? Parfois, la
méthode d’Euclide fonctionne rapidement et nous trouvons
le plus grand facteur commun en un petit nombre d’étapes.
Par exemple, pour montrer que le PGCD (, ) = , il
suffit de trois étapes :
90 = ( × 54) + 36
54 = ( × 36) + 18
36 = ( × 18) + 0.
Donc le PGCD (, ) =  (cf.la Figure ).
54 36

36
54
18 18

18 18

90
Fig. 12  PGCD (90, 54) = 18.
Mais parfois, il faut plus d’étapes, par exemple lorsqu’il est
appliqué à des nombres successifs de la séquence :
, , , , , , , , , , , …

 33 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

où chaque nombre est la somme des deux nombres pré-


cédents : par exemple,  =  + . Ces nombres sont
généralement appelés les nombres de Fibonacci, d’après Leo-
nardo Fibonacci de Pise qui les a cités dans un problème
en , bien que leurs origines soient plus anciennes. Par
exemple, l’utilisation de l’algorithme d’Euclide pour trouver
le PGCD (, ) nécessite neuf étapes (cf. la Figure ) :
89 = ( × 55) +34
55 = ( × 34) + 21
34 = ( × 21) + 13
21 = ( × 13) + 8
13 = ( × 8) + 5
8 = ( × 5) + 3
5 = ( × 3) + 2
3 = ( × 2) + 1
2 = ( × 1) + 0.
Ici, le plus grand diviseur commun et tous les quotients (sauf
le dernier) sont tous égaux à , et tous les restes non nuls
sont eux-mêmes des nombres de Fibonacci.
L’algorithme d’Euclide fonctionne donc parfois plus rapi-
dement qu’à d’autres occasions. Mais malgré cela, il s’avère
être de loin l’algorithme le plus efficace pour trouver les plus
grands communs diviseurs en général.
55 34

34
55
21
5 23 8
3
8 5 13 21
13
89
Fig. 13  PGCD (89, 55) = 1.

 34 
 la multiplication etladivision 

LES CARRÉS
Les carrés parfaits sont présents dans toute la théorie des
nombres. Comme nous l’avons vu au Chapitre , on attri-
bue aux Pythagoriciens le mérite d’avoir fait remarquer que
l’addition des premiers nombres impairs donne toujours un
carré : par exemple,
 +  +  +  +  =  = ².
Ils auraient expliqué ces résultats en dessinant des
diagrammes carrés semblables à celui de la Figure , où les
nombres de points dans les régions en forme de L sont , ,
,  et . En fait, pour tout nombre k,
 +  +  + … + (k – ) = k².
D’autres résultats impliquant des carrés découlent de nos cas
particuliers précédents de la règle de division. Par exemple :

• • • • • 1

• • • • • 3

• • • • • 5
• • • • • 7

• • • • • 9

Fig. 14  La somme des quelques premiers nombres premiers est un


carré.

Tout carré a la forme n ou n + , pour un certain nombre


entier n.
En effet, tout entier b a la forme q ou q +  :
si b = q, alors b² = q²,
qui a la forme n avec n = q² :
par exemple, ² =  =  ×  ;

 35 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

si b =  q + , alors b² = ( q + ) =  q² +  q +  = 
(q² + q) + ,
qui a la forme n +  avec n = q² + q :
par exemple,  =  = ( × ) + .
Donc si b est pair alors b a la forme n, et si b est impair
alors b² a la forme n + .
Une conséquence immédiate de ce résultat est qu’aucun des
nombres
, , , , …
ne peut être un carré. En effet, ces nombres ont tous la
forme n + , pour un certain nombre entier n : par exemple,
 = ( × ) +  et  = ( × ) + .
Mais nous pouvons en dire un peu plus. Nous venons de voir
que si b = q + , alors
b = (q + )  = q + q +  = q (q + ) + .
Mais q (q + ) est le produit de deux entiers consécutifs
(l’un impair et l’autre pair), et est donc pair. Il s’ensuit que
q (q + ) est divisible par , et donc :
Le carré de tout nombre impair a la forme n + , pour
un certain nombre entier n.
Nous pouvons également démontrer ce résultat de manière
géométrique : cf.la Figure , pour le cas b = . Ici, b² points
sont disposés en huit triangles avec un point supplémentaire
au centre. On notera que
b² (le nombre total de points) =  × (le nombre de points
dans chaque triangle) +  (le point central),
et donc b² a la forme n + .
Au Chapitre , nous avons vu que les carrés de  à  se
terminent par , , , ,  ou . Cette règle est-elle vraie pour
tous les carrés ? Par la règle de division, tout nombre entier
peut s’écrire sous la forme q + r, où  ≤ r ≤ , et donc
(q + r)² = q² + qr + r² = (q² + qr) + r².

 36 
 la multiplication etladivision 

Fig. 15  Si b est impair, alors b² prend la forme 8n + 1.


Le carré de q + r se termine donc par le même chiffre que le
carré de r, et doit donc aussi être , , , ,  ou . Il s’ensuit
qu’aucun carré parfait ne peut se terminer par , ,  ou .
Nous pouvons également utiliser la règle de division pour
obtenir des résultats impliquant des cubes.
Un seul exemple suffit pour s’en convaincre.
Chaque cube a la forme n, n + , ou n + .
Cela s’explique par le fait que chaque nombre entier b a la
forme q, q +  ou q +  :
si b = q, alors b  = q,
qui a la forme n avec n = q  :
par exemple,   =  =  ×  ;
si b = q + , alors b  = (q + )
= q + q  + q +  =  (q  + q  + q) + ,
qui a la forme n +  avec n = q  + q + q :
par exemple,  =  = ( × ) +  ;
si b = q + , alors b = (q + )
= q + q  + q +  =  (q + q + q) + ,
qui a la forme n +  avec n = q + q + q :
par exemple,   =  = ( × ) + .
Donc si b = q alors b a la forme n, si b = q +  alors b a
la forme n + , et si b = q +  alors b a la forme n + .

 37 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Nous terminons cette section en énonçant, sans apporter de


preuve, un résultat intriguant qui relie les carrés et les cubes.
Dans le Chapitre , nous avons demandé si la somme des
premiers cubes positifs devait toujours être un carré parfait.
Mais il peut être prouvé que, pour tout nombre n,
 +   +   + … + n = ( +  +  + … + n),
donc le résultat est effectivement vrai. Par exemple,
 +   +  + … +   =  +  +  +  + 
+  + +  +  +   =  
et ( +  +  + … + )  =  =  .

TESTS DE DIVISIBILITÉ
Dans notre système de comptage décimal, nous pouvons
écrire n’importe quel nombre entier, tel que  , comme
une somme de puissances de  (où  vaut ) :
  =   +   +  +  + 
= ( ×  ) + ( ×  ) + ( ×  ) + ( × ) + ( × ),
et, en général, on peut écrire n’importe quel nombre positif
n = ak ak −1 … a2 a1 a0
sous la forme
n = ( ak × 10 k) + ( ak −1 × 10 k− 1 ) + … + ( a2 × 102 )
+ ( a1 × 101 ) + (a0 × 100 )
Comme notre système décimal est un système de valeurs de
position des chiffres, nous n’avons qu’à utiliser uniquement
les dix chiffres suivants :
, , , , , , , ,  et .
Les deux  de   représentent respectivement   et
. Nous pouvons donc effectuer nos calculs en colonnes, les
colonnes représentant les unités, les dizaines, les centaines,
les milliers, …, en allant de droite à gauche.

 38 
 la multiplication etladivision 

De la même manière, nous pouvons écrire n’importe quel


nombre comme une somme de puissances de  (le système
de comptage binaire utilisé en informatique), ou de  (le
système duodécimal utilisé pour les pieds et les pouces, et
autrefois en Grande-Bretagne pour les shillings et les pence),
ou de tout autre nombre entier supérieur à , et de nom-
breuses affirmations concernant le système décimal ont leurs
analogues dans ces autres systèmes également. Par souci
de simplicité, nous ne considérerons ici que les nombres
décimaux.
Dans cette section, nous verrons quelques tests qui nous
permettent de savoir très rapidement si un nombre positif
donné est divisible par les entiers , , , , , , ,  et ,
et nous expliquerons également pourquoi ils fonctionnent.
Nous allons également montrer comment tester la divisibi-
lité par des nombres plus grands.
Comme nous l’avons vu au Chapitre , nous pouvons facile-
ment tester le nombre
n = ak ak − 1 … a2 a1 a0 pour la divisibilité par  et par  en
vérifiant son dernier chiffre, a :
Divisibilité par  : n est divisible par  si et seulement si
son dernier chiffre est .
Divisibilité par  : n est divisible par  si et seulement si
son dernier chiffre est  ou .
Par exemple,   est divisible à la fois par  et par , et
  est divisible par .
Cela est dû au fait que si
n = (ak × 10 k ) + (ak −1 × 10 k− 1 ) + … + (a2 × 10 2 )
+(a1 × 10 1 ) + (a0 × 10 0)
alors  divise toutes les puissances de , sauf   (= ),
et donc n est divisible par  si et seulement si  divise a,

 39 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

c’est-à-dire a = , et donc n se termine par . De même, 


divise également toutes les puissances de , sauf , et
donc n est divisible par  si et seulement si  divise a , c’est-
à-dire a  =  ou , et donc n se termine par  ou .
Nous pouvons également tester la divisibilité par  en véri-
fiant ses deux derniers chiffres, a et a :
Divisibilité par  : n est divisible par  si et seulement si
ses deux derniers chiffres sont , ,  ou .
Par exemple,   est divisible par .
En effet,  divise toutes les puissances de , à l’exception
de  et  , et donc n est divisible par  si et seulement si
 divise le nombre à deux chiffres a a  (= a  + a ) – c’est-
à-dire que n se termine par , ,  ou .
Dans le Chapitre , nous avons vu que.
Divisibilité par  : n est divisible par  si et seulement si
son dernier chiffre est , , ,  ou .
Par exemple,   est divisible par .
En effet,  divise toutes les puissances de , sauf  , et donc
n est divisible par  si et seulement si  divise a, c’est-à-dire
si son dernier chiffre est pair.
Nous pouvons également tester la divisibilité par  ou par 
en vérifiant les deux ou trois derniers chiffres :
Divisibilité par  : n est divisible par  si et seulement si
ses deux derniers chiffres sont , , , …,  ou .
Divisibilité par  : n est divisible par  si et seulement si ses
trois derniers chiffres sont , , , …,  ou .
Par exemple,   est divisible par  et   est divisible
par , car  divise toutes les puissances de , sauf  et
 , et donc n est divisible par  si et seulement si  divise
le nombre à deux chiffres aa . De même,  divise toutes les
puissances de , à l’exception de ,   et  , et donc n

 40 
 la multiplication etladivision 

est divisible par  si et seulement si  divise le nombre à


trois chiffres a a a .
Nous allons maintenant nous intéresser à la divisibilité par
 et par .
Divisibilité par  : n est divisible par  si et seulement si la
somme de ses chiffres est divisible par .
Divisibilité par  : n est divisible par  si et seulement si
la somme de ses chiffres est divisible par .
Par exemple,   est divisible par  car la somme de ses
chiffres est  +  +  +  +  = , qui est divisible par , et
  est divisible par  car la somme de ses chiffres est
, qui est divisible par .
Cela s’explique par le fait que  et  divisent tous les nombres
, , , …, et donc chaque puissance de  laisse un reste
de  lorsqu’elle est divisée par  ou . Il s’ensuit que lorsque
n = (ak × 10 k ) + (ak −1 × 10 k− 1 ) + … + (a2 × 10 2 )
+ (a1 × 101 ) + (a0 × 100 )
est divisé par  ou , le reste résultant est simplement la
somme de ses chiffres,
ak + ak− 1 + ak− 2 + … + a0
et donc n est divisible par  ou  si et seulement si cette
« somme numérique » est divisible par  ou .
Nous pouvons utiliser une idée similaire pour tester la divi-
sibilité par  :
Divisibilité par  : n est divisible par  si et seulement
si la somme alternée de ses chiffres est divisible par .
Ici, la « somme alternée » est ak – a k –  + ak –  – … ± a.
Par exemple,   est divisible par  car sa somme alter-
née est la suivante
 –  +  –  +  =  est divisible par .

 41 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Cette méthode fonctionne parce que les puissances de 


laissent des restes de  et –  alternativement lorsqu’elles
sont divisées par , donc n est divisible par  si et seulement
si sa somme alternée est divisible par .
Nous pouvons tester la divisibilité par d’autres nombres en
combinant ces résultats. Par exemple, on peut vérifier la divi-
sibilité par  en vérifiant si n est divisible par  et aussi par
, et on peut vérifier la divisibilité par  en vérifiant si n est
divisible par  et aussi par . En général, si n est divisible
par a et b, où a et b sont des nombres premiers, alors n est
divisible par a × b.

LA PREUVE PAR NEUF


Nous conclurons ce chapitre par une ancienne méthode
permettant de vérifier l’exactitude d’un calcul arithmétique.
Connue en anglais sous le nom de « Casting out nines », en
français littéralement « le rejet des neuf » mais communé-
ment appelée « la preuve par neuf », elle se base sur le fait
qu’un nombre et sa somme numérique laissent le même reste
lorsqu’ils sont divisés par . Cette méthode semble avoir été
développée en Inde autour de l’an , puis a été transmise
par des érudits islamiques en Europe où des versions de cette
méthode sont encore parfois utilisées, par exemple dans la
comptabilité. L’idée est similaire à celle du dernier « chiffre
de contrôle » du numéro ISBN à  chiffres d’un livre, ajouté
pour vérifier l’exactitude des douze premiers chiffres.
Prenons un nombre, par exemple,  . Son reste après
division par  est le même que celui de sa somme numé-
rique  +  +  +  = , qui à son tour est le même que celui
de sa somme numérique,  +  = . De même, le reste du
nombre   divisé par  est le même que celui de sa somme
numérique  +  +  +  = , qui à son tour est le même que
celui de sa somme numérique  +  = . Et en général, nous

 42 
 la multiplication etladivision 

pouvons réduire de manière similaire tout nombre donné n


à un nombre, appelé sa « racine numérique », qui est le reste
lorsque nous divisons n par  (si la racine numérique est ,
nous la remplaçons par ).
Dans la plupart des cas, nous pouvons utiliser ces racines
numériques pour vérifier l’exactitude (ou non) d’un calcul
arithmétique. Pour illustrer l’idée, nous allons commencer
par la somme incorrecte d’une addition
  +   =  .
Dans ce cas, la racine numérique de   est  et celle de
  est , de sorte que le reste de la division du côté gauche
par  est  + , soit .
Mais la racine numérique de   est , donc le reste
de la division du côté droit par  est . Puisque ces restes
ne concordent pas, le calcul doit être incorrect – la bonne
réponse est  . Et cela se produit en général : chaque fois
que les racines numériques des deux côtés diffèrent, nous
savons (sans effectuer le calcul) que la réponse est fausse.
Cependant, la méthode échoue parfois : par exemple, consi-
dérons la somme d’addition
  +   =  .
Ici, la racine numérique de chaque côté de l’équation est , donc
les deux racines numériques des deux côtés concordent, même
si le calcul est incorrect. Dans ce cas, les réponses correcte
et incorrecte doivent toujours différer par un multiple de .
Cette méthode de la « preuve par neuf » peut être utilisée
comme vérification chaque fois que nous souhaitons ajouter,
soustraire ou multiplier des nombres entiers : dans chaque
cas, nous remplaçons chaque nombre par sa racine numé-
rique et vérifions le même calcul sur ces racines numériques.
Comme exemple de multiplication, considérons le produit
 ×  =  .

 43 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Les racines numériques des nombres de gauche sont  et ,


et la racine numérique de leur produit  ×  =  est . Mais
la racine numérique du côté droit est  ; par conséquent,
les racines numériques ne sont pas en accord et le calcul est
incorrect – la bonne réponse est  .
À l’époque médiévale, ceux qui effectuaient les calculs dessi-
naient le diagramme de la Figure , où les nombres à gauche
et à droite sont les racines numériques  et , le nombre en
haut est la racine numérique de la réponse donnée, , et le
nombre en bas est la racine numérique , obtenue en multi-
pliant les racines numériques  et . Lorsque les nombres du

3
5 8
4

Fig. 16  La preuve par neuf.

(a)

(b)

Fig. 17  Un timbre postal allemand commémorant Adam Riese.


Un exemple du « carnet de chirage » d’Abraham Lincoln.

 44 
 la multiplication etladivision 

haut et du bas sont en désaccord, comme ici, le calcul est faux.


Lorsqu’ils concordent, le calcul est généralement correct.
Cette grande croix a été utilisée pendant des centaines d’an-
nées : la Figure  montre son utilisation par le Rechenmeis-
ter (maître du « calcul ») allemand du e siècle Adam Riese,
et dans un calcul arithmétique d’Abraham Lincoln. Finale-
ment, la croix a diminué de taille et est devenue le signe de
multiplication que nous utilisons aujourd’hui.

 45 
3
Les mathématiques
en« prime-time » 1
Comme nous l’avons vu au Chapitre , les nombres pre-
miers sont au cœur de la théorie des nombres et nous allons
maintenant explorer certaines de leurs propriétés. Nous
allons voir comment générer des nombres premiers et mon-
trer que leur liste est infinie. Nous verrons qu’il n’y a essen-
tiellement qu’une seule façon de diviser un nombre donné
en facteurs premiers et nous présenterons quelques types
importants de nombres premiers. Nos explorations débor-
deront sur le Chapitre , où nous décrirons des questions
plus générales, comme la façon dont les nombres premiers
est distribuée et si nous pouvons trouver des progressions
de nombres premiers équidistants.
Également au Chapitre , nous avons vu qu’un nombre pre-
mier est un nombre supérieur à , dont les seuls facteurs
(diviseurs) sont lui-même et , et qu’un nombre qui n’est pas
premier est appelé composé. Le Tableau  ci-après présente la
liste complète de tous les nombres premiers jusqu’à  .

1. NDT – L’auteur joue sur le mot « prime » en anglais, au sens d’un nombre
premier, et le « prime-time » qui correspond au créneau de plus grande
audience à la télévision.

 46 
 les mathématiQues en« prime-time » 

Remarquons que certains nombres premiers semblent être


très proches les uns des autres, comme , ,  et ,
alors que d’autres, comme  et , sont plus espacés.

LE CRIBLE D’ERATOSTHÈNE
Comment pourrait-on générer une telle liste de nombres
premiers ? Une première méthode consistait à utiliser une
technique appelée « le crible d’Ératosthène », du nom d’Éra-
tosthène de Cyrène, qui a vécu au  e siècle avant notre
ère, également célèbre pour avoir estimé la circonférence
de la Terre. Son idée consistait à imaginer que l’on passait
les entiers positifs par un tamis et que l’on laissait tous les
nombres composés passer par les trous, ne laissant que les
nombres premiers. Par exemple, pour produire le tableau
ci-dessus des nombres premiers jusqu’à  , nous dressons
la liste de tous les nombres de  à  , puis nous trions sys-
tématiquement les multiples de , puis les multiples de , puis
ceux de , , , … pour chaque nombre premier successif.

Tableau 1  Les nombres premiers jusqu’à 1 000.

2 3 5 7 11 13 17 19 23 29 31 37
41 43 47 53 59 61 67 71 73 79 83 89
97 101 103 107 109 113 127 131 137 139 149 151
157 163 167 173 179 181 191 193 197 199 211 223
227 229 233 239 241 251 257 263 269 271 277 281
283 293 307 311 313 317 331 337 347 349 353 359
367 373 379 383 389 397 401 409 419 421 431 433
439 443 449 457 461 463 467 479 487 491 499 503
509 521 523 541 547 557 563 569 571 577 587 593
599 601 607 613 617 619 631 641 643 647 653 659
661 673 677 683 691 701 709 719 727 733 739 743
751 757 761 769 773 787 797 809 811 821 823 827
829 839 853 857 859 863 877 881 883 887 907 911
919 929 937 941 947 953 967 971 977 983 991 997

 47 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Pour voir comment ce processus de filtrage fonctionne en


pratique, nous allons trouver tous les nombres premiers
jusqu’à . Nous commençons par dresser la liste de tous
les nombres jusqu’à  et rayons d’emblée le . Nous lais-
sons ensuite , mais rayons tous ses plus grands multiples
(PGM), c’est-à-dire , , , …, , . Cela nous donne le
tableau suivant :

× 2 3 × 5 × 7 × 9 ×
11 × 13 × 15 × 17 × 19 ×
21 × 23 × 25 × 27 × 29 ×
31 × 33 × 35 × 37 × 39 ×
41 × 43 × 45 × 47 × 49 ×
51 × 53 × 55 × 57 × 59 ×
61 × 63 × 65 × 67 × 69 ×
71 × 73 × 75 × 77 × 79 ×
81 × 83 × 85 × 87 × 89 ×
91 × 93 × 95 × 97 × 99 ×

Nous laissons ensuite le nombre suivant, qui est , mais


rayons les plus grands multiples qui restent, c’est-à-dire ,
, , …, , . Notons que les autres multiples de , tels
que ,  et , ont déjà été rayés à l’étape précédente.

× 2 3 × 5 × 7 × × ×
11 × 13 × × × 17 × 19 ×
× × 23 × 25 × × × 29 ×
31 × × × 35 × 37 × × ×
41 × 43 × × × 47 × 49 ×
× × 53 × 55 × × × 59 ×
61 × × × 65 × 67 × × ×
71 × 73 × × × 77 × 79 ×
× × 83 × 85 × × × 89 ×
91 × × × 95 × 97 × × ×

 48 
 les mathématiQues en« prime-time » 

Répétez le processus pour les plus grands multiples de ,


puis de , ce qui laisse :

× 2 3 × 5 × 7 × × ×
11 × 13 × × × 17 × 19 ×
× × 23 × × × × × 29 ×
31 × × × × × 37 × × ×
41 × 43 × × × 47 × × ×
× × 53 × × × × × 59 ×
61 × × × × × 67 × × ×
71 × 73 × × × × × 79 ×
× × 83 × × × × × 89 ×
× × × × × × 97 × × ×

À ce stade, nous pourrions craindre que ce processus de tri


ne prenne beaucoup de temps, mais ce n’est pas le cas : tous
les multiples de  (autres que  lui-même) ont déjà été
rayés, ainsi que tous les multiples de  et tous les nombres
premiers plus grands, de sorte que nous avons déjà notre liste
complète de nombres premiers jusqu’à . Nous n’avons
pas besoin de vérifier les multiples des nombres premiers
supérieurs à , car si un nombre compris entre  et  a un
facteur premier p supérieur à , il doit également avoir un
facteur premier q inférieur à  ; en effet, si q était également
supérieur à , alors p × q serait supérieur à .
En règle générale, pour trouver tous les nombres premiers
jusqu’à un nombre n donné, il faut rayer uniquement les
plus grands multiples des nombres premiers jusqu’à sa racine
carrée, √n. Par exemple, pour trouver tous les nombres pre-
miers jusqu’à , on ne raye que les plus grands multiples
des nombres premiers jusqu’à √ =   … (ce sont les
nombres premiers , , , ,  et ), et pour trouver tous

 49 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

les nombres premiers jusqu’à  , on ne raye que les plus


grands multiples des nombres premiers jusqu’à √  (ce
sont les nombres premiers jusqu’à ).

DES NOMBRES PREMIERS JUSQU’À L’INFINI


La liste des nombres premiers s’étend jusqu’à l’infini : il
n’existe pas de nombre premier le plus grand. Comme nous
l’avons mentionné au Chapitre , cela a été prouvé au e siècle
avant notre ère par Euclide dans le livre IX de ses Éléments :
Il y a une infinité de nombres premiers.
À première vue, il peut sembler difficile de voir comment
nous pourrions tenter de valider un tel résultat, car si l’on
nous donne un nombre premier spécifique, tel que , il
n’est pas immédiatement évident de savoir quel serait le
nombre premier suivant (ce qui, en fait, est  .)
La preuve du théorème d’Euclide, considérée comme l’un des
grands classiques des mathématiques, est un raisonnement
par l’absurde (parfois appelé reductio ad absurdum). Cela signi-
fie que nous supposons vrai le résultat opposé –qu’il n’existe
qu’un nombre fini de nombres premiers– et que nous montrons
ensuite que cette supposition nous conduit à une affirmation
contradictoire. Sa méthode était basée sur le fait qu’étant
donné n’importe quelle collection de nombres premiers, nous
pouvons toujours en trouver une nouvelle et donc, en répé-
tant continuellement ce processus avec la nouvelle liste, nous
pouvons continuer à générer de nouveaux nombres premiers
pour toujours. Cette contradiction permet d’établir le résultat.
Pour illustrer l’idée qui sous-tend ce processus, nous allons
prendre une collection de nombres premiers, les multiplier
ensemble, ajouter , puis regarder le nombre résultant. Par
exemple, si nous commençons par ,  et , nous avons
( ×  × ) +  = ,

 50 
 les mathématiQues en« prime-time » 

qui est un nombre premier absent de notre liste initiale. Ou


si nous commençons par ,  et , nous obtenons
( ×  × ) +  = ,
qui n’est pas un nombre premier mais se divise en  × , ce
qui nous donne deux nouveaux nombres premiers :  et .
Dans chaque cas, nous avons généré au moins un nouveau
nombre premier qui ne figurait pas dans notre liste initiale.
Une preuve plus formelle est la suivante. Nous supposerons
qu’il existe un nombre fini de nombres premiers, que nous appel-
lerons p, p  … et pn, et nous formons le nombre
N = (p  × p ×… × pn) + .
Or, chacun de ces nombres premiers divise son produit,
p × p  ×… × pn , et ne peut donc pas en même temps diviser
N car cela donnerait un reste de . Donc soit N est un nouveau
nombre premier, soit N est un nombre composé, auquel cas
il doit se diviser en nouveaux nombres premiers. Dans les
deux cas, il doit exister un nombre premier différent de p ,
p, … et pn, ce qui contredit notre hypothèse selon laquelle il
s’agit des seuls nombres premiers. Notre hypothèse initiale
doit donc être fausse, et, par conséquent, il existe une infinité
de nombres premiers.

LA FACTORISATION ENTIÈRE EN NOMBRES PREMIERS


J’avais mentionné précédemment que les nombres pre-
miers sont les éléments de base de notre système de comp-
tage. Nous allons maintenant approfondir ce concept.
En effet, à partir de n’importe quel ensemble de nombres
premiers, nous pouvons construire d’autres nombres par
multiplication : par exemple, à partir des nombres premiers
 et , nous pouvons construire les nombres suivants
 ×  = ,  ×  ×  ×  ×  = ,  ×  ×  ×  = ,
 ×  ×  ×  ×  = ,
et tout autre nombre de la forme  k ×  l, où k ≥  et l ≥ .

 51 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

En inversant l’approche, on voit que tout entier supérieur


à  se divise en nombres premiers, car si le nombre n est
composé, alors on peut écrire n = a × b pour des entiers plus
petits a et b : par exemple,  =  × . Si a est composé, nous
pouvons le diviser davantage, de même pour b. En conti-
nuant ainsi, après un nombre fini d’étapes, nous finirons par
obtenir n comme produit de nombres premiers.
De plus, si l’on nous donne un nombre tel que , nous
pouvons le diviser de plusieurs façons : par exemple,
 =  ×  =  ×  ×  ×  × 
 =  ×  =  ×  ×  ×  × .
De la même manière, on peut écrire
 =  ×  = ( × ) × ( × ) =  ×  ×  ×  × 
 =  ×  = ( × ) × ( × ) =  ×  ×  ×  × .
Nous pouvons illustrer toutes ces factorisations sous forme
de diagrammes en arbre (cf.la Figure ).

108 108 630 630

4 27 9 12 63 10 6 105

2 2 3 3 3 3 3 22 3 9 7 2 5 2 3 7 15
3 3 3 5
Fig. 18  Les factorisations de 108 et de 630.

Dans chaque cas, les facteurs premiers situés aux extrémités


inférieures des arbres sont exactement les mêmes, mais ils
apparaissent dans un ordre différent. Cela suggère le résultat
suivant, connu sous le nom de « théorème fondamental de
l’arithmétique ». Bien qu’il ait dû être familier aux mathé-
maticiens pendant des centaines d’années, il ne semble pas
avoir été validé formellement avant que Gauss ne le fasse
dans ses Disquisitiones Arithmeticae, publiées en .

 52 
 les mathématiQues en« prime-time » 

Le théorème fondamental de l’arithmétique : tout nombre


entier supérieur à  est soit un nombre premier, soit peut
être écrit sous la forme d’un produit de nombres premiers.
De plus, il n’existe qu’une seule factorisation en ses fac-
teurs premiers, hormis l’ordre dans lequel ils apparaissent.
Nous pouvons maintenant comprendre pourquoi nous ne
souhaitons pas que  soit un nombre premier, car s’il l’était,
nous pourrions écrire, par exemple,
 =  ×  ou  x  =  × , ou  ×  × , ou  ×  ×  × ,
ou  ×  ×  ×  × , ou …
de sorte que l’unicité de la factorisation des nombres pre-
miers serait perdue.
En utilisant le théorème fondamental de l’arithmétique, nous
pouvons maintenant écrire chaque nombre entier positif
comme un produit de nombres premiers de manière stan-
dard, en énumérant ses facteurs premiers par ordre croissant
de taille, chacun étant élevé à la puissance appropriée : par
exemple,
 =  ×  ,  =  ×  ×  × ,   =   × .
En général, si les facteurs premiers du nombre n sont p, p…
et p r, où chaque nombre premier pi est élevé à la puissance ei
et les nombres premiers sont énumérés par ordre croissant,
alors on écrit
n = p1e1 × p2e2 × … × prer
C’est ce qu’on appelle la forme canonique de la factorisation
des nombres premiers de n, et nous écrirons souvent les
factorisations des nombres premiers de cette manière.
Pour conclure cette section, nous allons revenir brièvement
sur les plus petits communs multiples PPCM et les plus grands
communs diviseurs, les PGCD. Au Chapitre , nous avons
trouvé que le PPCM (, ) =  et le PGCD (, ) = ,
en énumérant les multiples et diviseurs de  et . Mais une

 53 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

méthode plus rapide consiste à écrire chaque nombre comme


un produit de nombres premiers sous leur forme canonique :
 =  ×  ×  et  =   ×  ou =  ×  × ,
où le facteur supplémentaire  (qui est égal à ) est introduit
pour que les nombres premiers qui apparaissent (,  et )
soient les mêmes. Ensuite,
pour trouver le PPCM (, ), on examine chaque facteur
premier à tour de rôle, on prend la plus grande puissance
qui apparaît, c’est-à-dire  ,   , et  et on les multiplie
pour obtenir  ×   ×  =  ;
pour trouver le PGCD (, ), et on examine chaque fac-
teur premier à tour de rôle, on prend la plus petite puissance
qui apparaît – c’est-à-dire  , , et , et on les multiplie
pour obtenir  ×   ×  = .
En général, si a et b s’écrivent sous la forme canonique sui-
vante
a = p1e1 × p2e2 × … × prer et b = p1f1 × p2f2 × … × prfr
(où nous introduisons l’exposant  chaque fois qu’un nombre
premier particulier n’apparaît pas), alors
PPCM(a ,b) = p max(
1
e 1 ,f 1 )
× p max(
2
e 2 ,f 2 )
× … × prmax(er ,fr )
où max (e, f ) est le plus grand de e et f, et le
PGCD( a, b) = p1min(e 1 f, 1 ) × p2min(e 2 ,f 2 ) × … × prmin(e r f, r )
où min (e, f ) est le plus petit de e et f.
Nous pouvons maintenant revenir sur un résultat présenté
au Chapitre , à savoir que, pour tout nombre a et b,
PPCM (a, b) × PGCD (a, b) = a × b.
Pour expliquer pourquoi cela est vrai, notons d’abord que,
pour tout nombre e et f,
max (e, f ) + min (e, f ) = e + f .

 54 
 les mathématiQues en« prime-time » 

Par exemple, max (, ) + min (, ) =  + . Alors, la puis-


sance du premier facteur premier p du côté gauche du résul-
tat que nous essayons de prouver est la suivante
pmax(
1
e 1, f 1)
× pmin(
1
e 1, f 1)
= pmax(
1
e 1, f 1) +min( e 1, f 1)
= p1e 1+ f 1 = p1e 1 × p1f 1
qui est la puissance de p du côté droit. Les puissances de
p des deux côtés correspondent donc, et il en va de même
pour tous les autres facteurs premiers. Les deux côtés sont
donc égaux.

À LA RECHERCHE DE NOMBRES PREMIERS


Existe-t-il des formules pour générer des nombres pre-
miers ? Voici quelques tentatives historiques pour en trouver.
Les nombres premiers d’Euler
Leonhard Euler était obsédé par les nombres premiers,
comme nous le verrons tout au long de ce livre. En , il
a étudié la formule
 – n + n,
où il fait l’observation surprenante que si l’on remplace
chaque nombre n de  à  à tour de rôle, on obtient tou-
jours des nombres premiers :
n =  donne  –  +  = ,
n =  donne  –  +   = ,
n =  donne  –  +   = ,
et ainsi de suite, jusqu’à
n =  donne  –  +  =  ,
n =  donne  –  +  =  .
Ce sont tous des nombres premiers, mais la formule peut
aussi ne pas produire de nombres premiers : par exemple,
n =  donne  –  +   =   =  × ,
n =  donne  –  +  =   =  × .

 55 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

De même, la formule
  – n + n 
produit des nombres premiers pour chaque nombre n de  à ,
mais pas pour  ou beaucoup de nombres plus grands. Aucune
de ces formules ne donne toujours des nombres premiers.
Les nombres premiers de Mersenne
Parmi les nombres premiers, ceux qui sont inférieurs
d’une unité à une puissance de , tels que
  –  = ,  –  = ,  –  = , et   –  = .
Les nombres de la forme n –  sont appelés nombres de
Mersenne mais, comme nous l’avons vu au Chapitre , ils
ne sont pas tous des nombres premiers. Pour explorer ceux
qui ont cette propriété, dressons un tableau des premiers
nombres de Mersenne.

Tableau 2  Les nombres de la forme 2n − 1.


n 1 2 3 4 5 6 7 8
2n − 1 1 3 7 15 31 63 127 255

n 9 10 11 12 13 14 15 16
2n − 1 511 1 023 2 047 4 095 8 191 16 383 32 767 65 535

Il peut sembler tentant, en regardant ces nombres, de spé-


culer que n –  soit un nombre premier lorsque n est un
nombre premier et qu’il est composé lorsque n est composé.
Il est certainement vrai que
 n –  est composé quand n est composé,
car si r divise n (où r ≥ ), et on peut montrer que r – 
doit diviser  n – , et donc n –  est composé : par exemple,
quand n =  et r = , on a
  –  = ( – ) × ( +  +  + ).

 56 
 les mathématiQues en« prime-time » 

Mais il n’est pas toujours vrai que n –  est premier lorsque


n est premier : par exemple,
 –  =   =  × 
 –  =    =  ×  .
Mersenne a étudié ces nombres en , et a affirmé que
n –  est un nombre premier pour chacune des valeurs sui-
vantes
n = , , , , , , , , ,  et .
Le fait que   –  =     est un nombre premier a
été confirmé pour la première fois par Euler en , et en
, le mathématicien français Edouard Lucas montra que
le nombre de Mersenne suivant (à  chiffres) est également
premier :
 –  =          
  .
Mersenne avait donc raison lorsque n =  et n = . Mais
il avait tort dans les cas n =  et n = , qui donnent tous
deux des nombres composés : par exemple,
 –  =       
=    ×    .
Il a omis les cas n = , n =  et n = , qui donnent égale-
ment lieu à des nombres premiers, mais si l’on considère les
grands nombres en question, nous pouvons certainement
le lui pardonner. Le chapitre suivant présente une méthode
permettant de vérifier si un nombre de Mersenne donné est
un nombre premier ou pas.
Il y a une anecdote amusante à propos du nombre  –  qui
vaut d’être racontée ici. Pendant de nombreuses années, les
mathématiciens se sont efforcés de déterminer si ce nombre
était premier, comme l’avait affirmé Mersenne. En , Lucas
a démontré qu’il était composé mais n’a pas su trouver ses
facteurs. C’était Frank Nelson Cole, professeur à l’université

 57 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Columbia de New York, qui les trouva après trois ans de


recherche systématique tous les dimanche après-midi. Il a
présenté ses résultats le  octobre  lors d’une réunion
de l’American Mathematical Society. Il est entré discrètement
dans l’amphithéâtre et, dans un silence total, a minutieuse-
ment calculé   et en a soustrait , d’un côté du tableau noir.
Ensuite, de l’autre côté du tableau et, toujours dans le silence le
plus complet, il multiplia calmement les nombres   
et    , obtenant la bonne réponse, identique,
puis retourna tranquillement à sa place. Les savants présents
ont réagi bruyamment et lui ont offert une « standing ova-
tion » et de vigoureux applaudissements. À aucun moment,
le professeur Cole n’avait prononcé un seul mot !
Alors, pourquoi les nombres premiers de Mersenne sont-ils
importants ? Dans la recherche continue de nouveaux nombres
premiers plus grands, il est habituel de se tourner vers les
nombres de Mersenne, car tous les grands nombres premiers
récemment découverts sont de ce format – il y a même eu un
timbre postal célébrant la découverte de l’un d’entre eux (cf.la
Figure ). En effet, ces dernières années, un nouveau projet
international de collaboration en ligne a été lancé.

Fig. 19  Timbre postal célébrant la découverte en 2001 du 39 e nombre


premier de Mersenne.

 58 
 les mathématiQues en« prime-time » 

Ce projet s’est développé pour traquer ces nombres parti-


culiers. Impliquant des milliers de mathématiciens et de
passionnés d’informatique, il s’appelle le GIMPS (Great
Internet Mersenne Prime Search) et, depuis son lancement
vers , les participants en ont trouvé dix-sept. Mais on
ne sait pas à ce jour s’il existe une infinité de nombres pre-
miers de Mersenne.
Au moment de la rédaction de ce livre,  nombres premiers
de Mersenne ont été trouvés. Le plus récent d’entre eux,
le plus grand nombre premier actuellement connu, a été
trouvé en décembre . Il vaut    – , compte près
de  millions de chiffres, et son impression complète à rai-
son de  chiffres par ligne et  lignes par page prendrait
plusieurs milliers de pages !
Les nombres parfaits
Une autre caractéristique importante des nombres pre-
miers de Mersenne est leur lien avec les nombres parfaits.
Rappelons qu’au Chapitre , nous avons vu qu’un nombre N
est parfait s’il est la somme de ses facteurs propres (ceux qui
sont inférieurs à N). Par exemple, vous avez vu que
le nombre  est parfait, car ses facteurs propres (,  et
) s’additionnent à , et que  aussi est parfait, car ses
facteurs propres (, , ,  et ) s’additionnent à ,
et que les deux prochains nombres parfaits sont  et  .
Mais ensuite, il n’y en a plus jusqu’à    !
Existe-t-il une formule pour découvrir les nombres parfaits ?
Pour le savoir, factorisons ceux que nous connaissons déjà :
 =  ×  =  × ( – ),
 =  ×  =  × ( – ),
 =  ×  =  × (  – ),
  =  ×  =  × ( – ),
   =   ×   =  × ( – ).

 59 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Ces nombres ont tous la forme n –  × (n – ), où le nombre


entre parenthèses est un nombre premier de Mersenne.
Dans le livre IX de ses Éléments, Euclide étudie les nombres
parfaits et constate que
le nombre N =  n –  × (n – )
est effectivement parfait lorsque  n –  est un nombre premier.
Pour comprendre pourquoi, prenons p = n – . Les facteurs
propres de N = n –  × p sont alors
, ,  , , …. et n –  (ceux qui n’incluent pas p)
  n–
p, p,  p,  p, … et  p (ceux qui incluent p).
Quelle est la somme de tous ces facteurs ? En utilisant le
fait que
 +  +  + … + r = r +  – , pour tout nombre r,
on peut écrire
 +  +  + … + n –  =  n – 
 +  +  + … + n –  = n –  – .
Nous trouvons donc, après quelques calculs, que la somme
de tous les facteurs propres est de
( +  +   + … +  n – ) + ( +  +   + … + n – )p
= (n – ) + ( n –  – )p
= (n – ) + ( n –  – ) ( n – )
= { + (n –  – )} × (n – ) = n –  × (n – ),
qui est égal à N.
Donc N = n –  × ( n – ) est un nombre parfait.
Tous les nombres parfaits sont-ils de ce type, ou peut-il en
exister d’autres ? En , le philosophe français René Des-
cartes a fait savoir par écrit à Mersenne qu’il pensait que
tous les nombres parfaits pairs devaient en effet être de la
forme d’Euclide, n –  × (n – ), pour un nombre donné n, ce
qui a ensuite été validé par Euler et publié à titre posthume.
Euler a également démontré que tout nombre parfait pair

 60 
 les mathématiQues en« prime-time » 

doit se terminer par  ou  : par exemple, les trois nombres


parfaits suivants sont
   ,    
et       .
Mais qu’en est-il des nombres parfaits impairs ? Descartes a
supposé qu’ils ne pouvaient pas exister, et on ignore encore
aujourd’hui s’il avait raison. Mais si les nombres parfaits
impairs existaient, ils seraient certainement difficiles à trou-
ver. Pour commencer, on sait que tout nombre parfait impair
doit être au moins égal à  , qu’il doit avoir au moins
 facteurs en nombres premiers avec au moins dix facteurs
différents, et qu’il doit avoir la forme n + ,n + , ou
n + , pour un certain nombre entier donné n. Peu de
mathématiciens considèrent leur existence probable.

Les nombres premiers de Fermat


Après avoir examiné les nombres premiers de la forme
 n – , intéressons-nous maintenant aux nombres de la
forme n + . Comme nous l’avons vu au Chapitre , Pierre de
Fermat a étudié ces nombres (maintenant appelés nombres de
Fermat) et en a trouvé cinq qui sont des nombres premiers :
 +  = ,  +  = ,   +  = ,  +  =  et
 +  =  .
Est-il donc vrai que n +  est un nombre premier si, et seule-
ment si n est une puissance de  ? Dressons un autre tableau :

Tableau 3  Nombres de la forme 2 n + 1.


n 1 2 3 4 5 6 7 8
2n + 1 3 5 9 17 33 65 129 257

n 9 10 11 12 13 14 15 16
2n + 1 513 1 025 2 049 4 097 8 193 16 385 32 769 65 537

 61 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Il semble bien que ce soit le cas.


Nous montrons d’abord que si n +  est un nombre premier,
alors n doit être une puissance de . Pour cela, on remarque
que si n avait un facteur impair (autre que ), alors n + 
serait composé. En effet, si on écrit n = mr, où m est impair,
on peut montrer que r +  est un diviseur de n +  : par
exemple, si n = , m = , et r = , alors
  +  = ( + ) × ( –   + ).
Il s’ensuit que si n +  est premier, alors n ne peut avoir
aucun facteur impair, et doit donc être une puissance de .
Bien que Fermat fût intimement persuadé que si n est une
puissance de , alors n +  doit être un nombre premier,
il avoue ne pas être en mesure de le prouver, ni même de
montrer que le suivant, le nombre à dix chiffres
  +  =    ,
est un nombre premier. En désespoir de cause, il a écrit à bon
nombre de ses collègues mathématiciens pour leur demander
de démontrer la validité de son « théorème distingué ». À
l’époque, aucun de ceux interrogés n’a pu y réussir.
Euler prend connaissance du défi de Fermat en  et, après
de nombreuses et fastidieuses expériences, il démontre que
ce nombre, à  chiffres, est divisible par ,
  +  =  ×   .
Il découvrit par la suite que si  +  avait des facteurs pre-
miers, ceux-ci devaient être de la forme k + , pour un
certain nombre d’entiers k. Cela limite considérablement la
recherche, car les plus petits nombres premiers de ce type
sont , ,  et  (dont aucun ne divise  + ), et
 (qui le fait, comme nous l’avons vu ci-dessus).
Est-ce que le nombre de Fermat suivant est un nombre pre-
mier ? Il s’agit de
  +  =       .

 62 
 les mathématiQues en« prime-time » 

Euler a montré que tout facteur premier de  +  doit


être de la forme k + , pour un nombre entier donné k.
Malheureusement, il n’a pu trouver aucun nombre premier
de ce type qui divise  + , et il a fini par abandonner ses
recherches. Mais il s’avère que  +  est effectivement com-
posé, avec   comme plus petit facteur nombre premier,
il n’est donc pas surprenant qu’Euler l’ait manqué. En effet,
 +  =   ×     .
Le pire était à venir : les vingt-six nombres de Fermat sui-
vants se sont également avérés être composés. En fait, per-
sonne n’a jamais trouvé depuis d’autre nombre de Fermat qui
soit nombre premier, et la conjecture de Fermat s’est donc
avérée plutôt malheureuse.
Une digression géométrique
Les nombres premiers de Fermat apparaissent dans des
endroits inattendus. Un exemple célèbre en géométrie est
celui de la construction de polygones réguliers, c’est-à-dire de
polygones dont les côtés ont tous la même longueur et dont
les angles sont tous identiques, comme un triangle équila-
téral, un carré ou un pentagone régulier (cf.la Figure ).

Fig. 20  Quelques polygones réguliers.

Les Grecs anciens s’intéressaient à la construction de figures


géométriques, utilisant pour cela uniquement une règle
(pour tracer des lignes droites) et un compas (pour tracer
des cercles) ; la règle est supposée ne pas être graduée car
aucune mesure n’est autorisée. En effet, la toute première

 63 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

proposition des Éléments d’Euclide, livre I, inclut la construc-


tion d’un triangle équilatéral. Elle se présente brièvement
comme suit (cf.la Figure ) :
C

A B

Fig. 21  Construction d’un triangle équilatéral.

Étant donné un segment de droite AB, utilisez les compas


pour tracer le cercle de centre A et de rayon AB, et le cercle
de centre B et de rayon BA.
Ces cercles se recoupent au point C : tracez les lignes AC
et BC.
ABC forme ainsi un triangle équilatéral.
Euclide a également montré comment construire des carrés
et des pentagones réguliers, et dans le livre IV, il a combiné
les constructions de triangles et de pentagones pour pro-
duire un polygone régulier avec  ×  =  côtés. Il explique
également comment construire un polygone régulier de n
côtés à partir d’un polygone de ncôtés, en joignant le centre
du cercle environnant aux points médians de ses côtés (cf.la
Figure  pour le cas n = ).

carré
octagone

Fig. 22  Doubler le nombre de côtés d’un polygone régulier.

 64 
 les mathématiQues en« prime-time » 

Il s’ensuit
qu’à partir d’un triangle équilatéral (à  côtés), on peut
construire des polygones réguliers de , , , … côtés,
qu’à partir d’un carré (à  côtés), on peut construire des
polygones réguliers de , , , … côtés, et
qu’à partir d’un pentagone régulier (à  côtés), on peut
construire des polygones réguliers de , , , … côtés.
Nous pouvons donc déjà construire des polygones réguliers
de , , , , , , ,  et  côtés.
Mais personne n’a été capable de construire des polygones
réguliers de , , ,  ou  côtés, ce qui nous amène à la
question suivante :
Quels polygones réguliers peut-on construire avec une règle non
graduée et un compas ?
La percée a été réalisée par Carl Friedrich Gauss, âgé de
 ans, qui a découvert une méthode à la règle et au compas
pour construire un polygone régulier à  côtés. Il a ensuite
donné la réponse suivante
Un polygone régulier à n côtés peut être construit si et
seulement si n est une puissance de  multipliée par des
nombres premiers de Fermat inégaux.
Il s’ensuit que l’on peut construire des polygones réguliers
avec  (=  × ),  (=  × ) ou  (=  ×  × ) côtés,
mais pas avec
,  (=  × ), , ,  (=  × ),  (=  ×  × ) ou
 (=  ×  × ) côtés.
La liste suivante donne le nombre de côtés (jusqu’à ) de
polygones réguliers que l’on peut construire avec une règle
non graduée et un compas :
, , , , , , , , , , , , , , , , ,
, , , , , ,  et .

 65 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Il semble remarquable que les nombres premiers de Fermat


apparaissent dans un tel problème géométrique.
Deux résultats bien étranges
Nous conclurons ce chapitre par deux résultats inattendus
et plutôt bizarres relatifs aux nombres premiers.
Le premier est dû à W. H. Mills qui, en , a démontré le
résultat surprenant suivant :
Il existe un nombre x, ayant la propriété que, si nous l’éle-
vons aux puissances , , , … (c-à-d., les puissances
de ) et que l’on ignore ensuite la partie après la décimale
on obtient toujours un nombre premier.
Le plus petit de ces nombres x, parfois appelé la constante
de Mills, est approximativement égal à , : par
exemple,
x = (,   … ) = , …, ce qui donne le nombre
premier ,
x = (,   … ) = , … ce qui donne le nombre
premier ,
x = (,   … ) =  , …, ce qui donne le
nombre premier  ,
x = (,   … )  =    , …, ce qui
donne le nombre premier    .
Notre deuxième résultat bizarre fait appel à l’idée d’un poly-
nôme. Il s’agit d’une formule obtenue en ajoutant et en sous-
trayant des multiples de puissances des variables a, b, c, etc.
 + a + a  + a est un polynôme à une seule variablea,
a  + a b – ab – b est un polynôme dans la paire de
variables a et b,
a + b  – ac – bc d est un polynôme dans les quatre
variables a, b, c, et d.

 66 
 les mathématiQues en« prime-time » 

En , quatre mathématiciens (J. Jones, D. Sato, H. Wada


et D. Wiens) ont découvert un polynôme quelque peu hor-
rible en vingt-six variables (a, b, c, … et z), avec les propriétés
remarquables suivantes :
Si vous remplacez les vingt-six variables par les entiers de
votre choix, et si le résultat obtenu est un nombre positif,
alors il doit s’agir d’un nombre premier.
De plus, tous les nombres premiers peuvent être obtenus
de cette manière, en faisant un choix approprié des entiers
a, b, c, … et z.
Leur polynôme est
(k + 2 ) × (1 − A2 − B2 − C2 − D2 − E2 − F2 − G2 − H2
− I 2 − J2 − K 2 − L2 − M2 − N 2 )

A = wz + h + j − q,
B = (gk + 2g + k + 1)(h + j ) + h − z ,
C = 2n + p + q + z − e,
D= 16( k+ 1) ( k+ 2)( n+ 1) + 1− f 2 ,
3 2

E = e 3( e + 2)( a+ 1) + 1− o 2 ,
2

F = a 2 y 2 + 1− x 2 − y 2 ,
G = 16r 2 y 4 (a2 − 1) + 1 − u2 ,
H= a2 l2 − l2 − m2 + 1,
I = {(a + u 2 (u 2 − a) ) − 1}(n + 4 dy) + 1 − (x + cu ) ,
2 2 2

J = ai + k − l + 1 − i ,
K = n + l + v − y,
L = p − m + al − ln − l 2 + b (2an + 2a − n 2 − 2n − 2) ,
M = q + ay − py − x − y + s(2 ap + 2 a − p2 − 2 p − 2) ,
N =z +alp −lp 2 −pm +t (2ap −p 2 − 1) .

 67 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Ce polynôme ne peut prendre une valeur positive que si


tous les termes au carré, A, B … et N sont égaux à . Pour
découvrir les valeurs de nombres premiers, nous devons
donc résoudre quatorze équations simultanées. De manière
surprenante, on n’a jamais trouvé de nombres entiers spé-
cifiques a, b, c… et z pour donner le nombre premier , mais
il est toujours possible de prouver que tous les nombres pre-
miers peuvent être obtenus de cette manière !
Nous poursuivrons notre exploration des nombres premiers
au Chapitre . Mais d’abord, nous allons étudier un autre
type d’arithmétique.

 68 
4
Congruences, horloges
etcalendriers

Carl Friedrich Gauss, dans son texte révolutionnaire


Disquisitionae Arithmeticae en , introduisit l’idée de la
« congruence », une forme généralisée d’égalité parfois popu-
larisée sous le nom d’« arithmétique de l’horloge » ou encore
d’« arithmétique modulaire ». Mais ses origines sont bien
plus anciennes, et dans ce chapitre, nous allons découvrir
le « théorème des restes chinois », qui remonte à la Chine
ancienne et qui a pourtant de nombreuses applications dans
les opérations mathématiques aujourd’hui. Parmi ces applica-
tions des congruences, citons le test des nombres premiers de
Mersenne et la détermination du jour de la semaine qui tombe
à une date donnée. Le chapitre se termine par un exposé sur
la célèbre « loi de réciprocité quadratique » de Gauss.

ARITHMÉTIQUE DE L’HORLOGE
Imaginez un cadran d’horloge (cf.la Figure ).
S’il est maintenant  heures, alors dans  heures il sera
 heures : nous l’écrirons comme suit :
 +  ≡  (mod ).

 69 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

12/0
11 1

10 2

9 3

8 4

7 5
6
Fig. 23  Une horloge au format 12 heures.

Ici, « mod  » signifie que nous utilisons une horloge de


 heures, de sorte que  (la somme de  et ) est remplacé
par , et nous écrivons « ≡ » au lieu de « = » parce que c’est
une forme différente d’égalité.
De même, s’il est aujourd’hui  heures, il sera  heures dans
 heures, ce qui s’écrit comme suit
 +  ≡  (mod ), où  (la somme de  et ) est remplacé
par . Il s’avère pratique de remplacer  par , de sorte
que s’il est  heures maintenant, alors dans  heures il sera
 heure, et nous l’écrivons comme suit :
 +  ≡  (mod ).
Ce type de calcul est appelé arithmétique de l’horloge : si nous
additionnons les heures et obtenons un nombre supérieur
ou égal à , nous soustrayons  avant de donner la réponse
qui est alors le reste après avoir divisé la somme par , et
est un des nombres de  à .
En général, étant donné un nombre n quelconque, supérieur
à , on dit que deux entiers a et b sont congrus mod n si a et
b laissent le même reste quand on les divise par n, et on écrit
a ≡ b (mod n).
Par exemple, comme nous l’avons vu,
 ≡  (mod ),  ≡  (mod ),  ≡  (mod ).

 70 
 congruences, horloges etcalendriers 

L’abréviation « mod » est l’abréviation de modulo, et le nom


officiel donné à l’arithmétique des horloges est l’arithmétique
modulaire.
Il découle de la définition que a ≡ b (mod n) chaque fois que
la différence a – b est divisible par n : par exemple
 ≡  (mod ),  ≡  (mod ) et  ≡ –  (mod ).
Puisque les seuls restes lorsqu’on divise par n peuvent être
, , , …., ou n – , tout entier est congru (mod n) à l’un
d’entre eux : par exemple,
 ≡  (mod ),  ≡  (mod ),  ≡  (mod ).
On peut aussi faire de l’arithmétique sur les congruences, à
condition de s’en tenir au même modulo. Par exemple, étant
donné les congruences  ≡  (mod ) et  ≡  (mod ),
nous pouvons les additionner pour donner  ≡  (mod ),
que nous pouvons réécrire comme  ≡  (mod ) ;
on peut les soustraire pour donner –  ≡ –  (mod ), ou
–  ≡  (mod ) ;
on peut les multiplier pour donner  ≡  (mod ), ou
 ≡  (mod ).
En général, si a ≡ b (mod n) et c ≡ d (mod n), alors
a + c ≡ b + d (mod n), a – c ≡ b – d (mod n), ac ≡ bd (mod n).
On peut aussi ajouter, soustraire ou multiplier une
congruence par un entier constant : par exemple, en par-
tant de  ≡  (mod ) on peut ajouter , soustraire  ou
multiplier par , pour donner
 ≡  (mod ),  ≡  (mod ) ou  ≡  (mod ).
En général, si a ≡ b (mod n) et k est une constante, alors
a + k ≡ b + k (mod n), a – k ≡ b – k (mod n),
ka ≡ kb (mod n).
Mais il faut faire attention à la division : par exemple, si
on essaie de diviser la congruence  ≡  (mod ) par ,

 71 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

on obtient  ≡  (mod ), ce qui est faux. En général, on ne


peut diviser les congruences mod n par une constante k que
lorsque n et k sont des nombres premiers : par exemple, on
peut diviser la congruence  ≡  (mod ) par  pour obte-
nir  ≡  (mod ), car  et  sont des nombres premiers
entre eux. La règle générale est la suivante :
Si ka ≡ kb (mod n) et si le PGCD(k, n) = , alors
a ≡ b (mod n).
Mais si k et n ne sont pas premiers, alors il faut changer le
module :
Si ka ≡ kb (mod n) et si le PGCD (k, n) = d, alors
a ≡ b (mod n/d).
Plusieurs résultats du Chapitre  peuvent être commodé-
ment énoncés en termes de congruences.
Par exemple :
Tout carré a la forme n ou n + , pour un certain nombre
entier n
peut être reformulé :
Chaque carré est congru à  ou  (mod ),
et d’autres résultats sur les carrés et les cubes peuvent être
réécrits comme suit :
Le carré de tout nombre impair est congru à  (mod ),
Tout cube est congru à ,  ou  (mod ).
Nous pouvons également revoir nos résultats précédents sur
la divisibilité de l’entier
n= (ak × 10k ) + (ak −1 × 10k − 1 ) +  + (a2 × 102 )
+ (a1 × 10 1 ) + (a0 × 10 0 )
par divers petits nombres. Par exemple :
Divisibilité par  : n est divisible par  si et seulement si
son dernier chiffre est .

 72 
 congruences, horloges etcalendriers 

Par les règles de congruence, n ≡ a (mod ), qui est congru


à  (mod ) lorsque a vaut .
Divisibilité par  : n est divisible par  si et seulement si n
se termine par , , , …, ou  :
Ici, n ≡ a  + a (mod ), qui est congru à  (mod ) lorsque
le nombre à deux chiffres aa  est , , …, ou .
Divisibilité par  : n est divisible par  si et seulement si
la somme de ses chiffres est divisible par  :
Ici, les puissances de  sont toutes congrues à  (mod ),
et donc
n ≡ak + ak −1 +  + a 1 + a 0 (mod 9).
La méthode de « la règle par neuf » fonctionne car chaque
nombre est congru à sa racine numérique (mod ).
Test des nombres premiers de Mersenne
Au Chapitre , nous avons vu que certains nombres de
Mersenne (comme  – ) sont des nombres premiers, alors
que d’autres (comme  – ) ne le sont pas. Une méthode
permettant de vérifier si un nombre de Mersenne donné
est un nombre premier a été découverte par Edouard Lucas
en  et affinée dans les années  par D. H. Lehmer :
Le test de Lucas-Lehmer. Soit M p = p – , où p est un
nombre premier impair et considérons la séquence de
nombres s, s , s, s … où s =  et chaque nombre suc-
cessif est défini par
sn+ 1 ≡ sn2 − 2 (mod Mp ) .

Alors, Mp est un nombre premier si et seulement si le nombre


sp −2 est congru à  (mod Mp ).
Par exemple, si p =  et M p =  –  = , alors on a
s = ,
s =  –  =  ≡  (mod ),

 73 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

s  =  –  =  ≡  (mod ),


s  =  –  =   ≡  (mod ),
s =  –  =   ≡  (mod ),
et s  =  –  =  , ce qui est congru à  (mod ),
donc  est premier.
Mais, si p =  et Mp =  –  =  , alors nous avons, après
quelques calculs,
s  = ,
s  =  –  ≡  (mod  ),
s  =  –  ≡  (mod  ),
s  =  –  ≡  (mod  ),
s  =  –  ≡  (mod  ),
s  =  –  ≡  (mod  ),
s  =   –  ≡   (mod  ),
s  =   –  ≡  (mod  ),
s  =  –  ≡  (mod  ),
et s  =   –  ≡  , qui n’est pas congru à
 (mod  ), donc   n’est pas un nombre premier.

CONGRUENCES ET CALENDRIERS
Les sept jours de la semaine se succèdent comme les
heures d’une horloge (cf. la Figure ).

Dim
0
Lu
m
Sa

6 1

5 2
Mar
Ven

4 3
Me
Jeu r

Fig. 24  Une horloge au format 7 jours.

 74 
 congruences, horloges etcalendriers 

Si nous sommes jeudi, dans quatre jours, nous serons lundi.


Si nous sommes samedi, dans trois jours, nous serons mardi.
L’analogie est plus évidente si nous numérotons les jours de
la semaine et travaillons (mod ) :
Dimanche = , lundi = , mardi = , mercredi = ,
jeudi = , vendredi = , samedi = .
Les deux énoncés ci-dessus deviennent alors  +  ≡  (mod )
et  +  ≡  (mod ).
Nous allons utiliser cette analogie pour répondre à diverses
questions sur le calendrier : par exemple,
Quel jour de la semaine le  décembre  tombera-t-il ?
Dans quelles années du e siècle le mois de février comptera-t-il
cinq dimanches ?
Pour simplifier les choses, nous nous concentrerons princi-
palement sur les dates du  e siècle.
Le calendrier grégorien, introduit par le pape Grégoire XIII
en , est utilisé au Royaume-Uni et dans ses anciennes
colonies depuis . Dans ce calendrier, une année normale
compte  jours et une année bissextile comporte un « jour
bissextile » supplémentaire le  février. Les années bissex-
tiles sont celles qui sont divisibles par , à l’exception des
années centenaires qui ne sont pas également divisibles par
. Ainsi,  et  sont des années bissextiles, mais
 et  ne le sont pas.
Comme  ≡  (mod ) et  ≡  (mod ), le jour de la
semaine où tombe une date donnée avance de  chaque
année, ou de  lorsqu’un jour bissextile intervient : par
exemple, le  er janvier est tombé un lundi en , un mardi
en , un mercredi en , un jeudi en  et un samedi
en .

 75 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Il est utile de noter que les jours du calendrier se répètent


tous les  ans sans année centenaire : en effet, le nombre
de jours (jours ordinaires et jours bissextiles) est de
( × ) + ,
qui est divisible par . Si l’on veut tenir compte des siècles,
on peut également vérifier que les jours du calendrier se
répètent tous les  ans.
Comment calculer le jour de la semaine où tombe une date
donnée ? Plusieurs adeptes d’énigmes ont découvert des
méthodes astucieuses pour le faire, dont celle de Gauss et
une méthode moderne appelée « Doomsday » conçue par le
mathématicien anglais John Conway. Nous présentons ici
une méthode inventée par un autre mathématicien, Charles
L. Dodgson, de l’Université d’Oxford, plus connu sous le nom
de Lewis Carroll, auteur des Aventures d’Alice au Pays des Mer-
veilles. Il l’a publiée sous son nom de plume en mars ,
et prétendait pouvoir effectuer tous les calculs mentaux en
 secondes environ.
La méthode de Carroll consiste à calculer quatre nombres –le
siècle, l’année, le mois et le jour– et à trouver leur somme
(mod ).
Nous allons l’illustrer en calculant le jour de la semaine où
tombera le  décembre .
Nombre du siècle. Divisez les deux premiers chiffres de l’année
par , soustrayez le reste de , et multipliez le résultat par .
Ainsi, pour l’année , on divise  par , ce qui donne
un reste de  ; en le soustrayant de , on obtient , et en
le multipliant par , on obtient le nombre du siècle 6.
Nombre de l’année. On divise les deux derniers chiffres de
l’année par , et on additionne le quotient, le reste, et le
nombre de fois que  divise le reste.

 76 
 congruences, horloges etcalendriers 

Ainsi, pour l’année , on divise  par , ce qui donne


un quotient de  et un reste de  ;  ne divise pas ce reste,
donc le numéro de l’année est  +  +  = 11.
Nombre du mois. La méthode de Carroll pour trouver le
numéro du mois était quelque peu compliquée, nous ne la
présenterons pas ici. Elle donne le tableau suivant :
Janvier :  Février :  Mars :  Avril : 
Mai :  Juin :  Juillet :  Août : 
Septembre :  Octobre :  Novembre :  Décembre : 
Pour le  décembre, le numéro du mois est 5.
Nombre du jour : il s’agit simplement du jour du mois.
Ainsi, pour le  décembre, le numéro du jour est 25.
Enfin, le total des quatre nombres doit ensuite être réduit de
 si la date est en janvier ou février d’une année bissextile.
Pour le  décembre , qui n’est pas dans une année
bissextile, l’addition des quatre nombres donne
6 + 11 + 5 + 25 =  ≡  (mod ),
il tombera donc un vendredi.
Nous pouvons maintenant revenir à la question suivante
que nous avons posée précédemment :
Quelles sont les années du e siècle où le mois de février com-
porte cinq dimanches ?
Pour cela, il faut que l’année soit bissextile et que les cinq
dimanches soient les , , ,  et  février, il nous suffit
donc de trouver quand le  er février tombe un dimanche.
Nous savons maintenant que le er janvier  était un
lundi, et que janvier compte  ≡  (mod ) jours, de sorte
que le er février  est tombé un jeudi. Il s’ensuit que le
er février était un vendredi en , un samedi en , et
un dimanche en . Le mois de février  compte donc
cinq dimanches. Comme le cycle des jours se répète tous les

 77 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

 ans, le mois de février compte également cinq dimanches


dans les années bissextiles ,  et .

RÉSOUDRE LES CONGRUENCES LINÉAIRES


Une ancienne énigme chinoise concerne une bande de
pirates et un magot de pièces d’or :
Une bande de  pirates a volé un sac de pièces d’or. Lors-
qu’ils ont essayé de diviser la fortune en parts égales, il restait
 pièces. Dans la bagarre qui s’ensuivit pour savoir qui devait
recevoir les pièces supplémentaires, l’un des pirates fut tué.
La richesse a ensuite été redistribuée, mais cette fois, une
division égale a laissé  pièces en trop. Une nouvelle dispute
s’ensuivit et un second pirate fut tué. Mais maintenant, la
fortune totale pouvait être répartie équitablement entre les
survivants.
Quel est le plus petit nombre de pièces qui aurait pu être volé ?
Si x est le nombre total de pièces, nous pouvons écrire trois
congruences :
à la première étape, avec  pirates et  pièces restantes,
x ≡  (mod ),
à la deuxième étape, avec  pirates et  pièces restantes,
x ≡  (mod ),
à la troisième étape, avec  pirates et aucune pièce res-
tante,
x ≡  (mod ).
Peut-on trouver un nombre x qui satisfasse simultanément
ces trois congruences ?
Nous résoudrons cette énigme plus tard, mais nous devrons
d’abord résoudre les congruences linéaires en général : elles
ont la forme ax ≡ b (mod n), où n est un entier positif, a
et b sont des entiers donnés, et notre tâche est de trouver

 78 
 congruences, horloges etcalendriers 

l’inconnue x. Nous examinerons ensuite certains problèmes


qui impliquent des congruences linéaires simultanées,
comme l’énigme des pirates ci-dessus. Enfin, nous étendrons
nos explorations à certaines congruences quadratiques de la
forme x ≡ b (mod n).
Nous commencerons par examiner successivement trois
congruences :
x ≡  (mod ), x ≡  (mod ), x ≡  (mod ).
Pour la première congruence, nous découvrons, après un peu
d’expérimentation, que x =  est une solution, car
 ×  =  ≡  (mod ).
En explorant un peu plus loin, nous découvrons que x = 
et x =  sont également des solutions, de même que tous les
autres nombres congrus à  (mod ). Il s’avère que ce sont
les seules solutions.
La deuxième congruence a deux solutions, x =  et x = , ou
plus généralement tout nombre congru à  ou  (mod ).
La troisième congruence n’a pas de solution.
Pour voir pourquoi ces différentes situations se présentent,
commençons par la troisième congruence. Si x ≡  (mod ),
alors le côté gauche est toujours pair, et ne peut donc
jamais être égal à un nombre de la forme  (mod ). Cette
congruence ne peut donc avoir aucune solution.
En portant notre attention sur la deuxième congruence,
nous remarquons que si x ≡  (mod ), alors x ≡  (mod ),
après avoir annulé tout au long par . Cela a l’unique solution
x ≡  (mod ), qui correspond à x ≡  ou  (mod ).
Pour la première congruence, x ≡  (mod ), nous trou-
vons, après quelques expérimentations, que la multiplication
par  donne la congruence x ≡  (mod ) – c’est-à-dire
x ≡  (mod ). C’est la seule solution.

 79 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

En général, nous avons les règles suivantes pour résoudre la


congruence ax ≡ b (mod n).
Si le PGCD (a, n) = , alors il existe une seule solution
pour x (mod n).
Si le PGCD (a, n) = d, et si d divise b, alors il existe d solu-
tions (mod n), qui correspondent à l’unique solution de
la congruence (a/d) x ≡ b/d (mod n/d).
Si le PGCD (a, n) ne divise pas b, alors la congruence n’a
pas de solutions.
Pour les congruences ci-dessus :
lorsque x ≡  (mod ), le PGCD(, ) = , et la seule solu-
tion est x ≡  (mod ) ;
lorsque x ≡  (mod ), le PGCD(, ) = , il y a donc deux
solutions, x ≡  et  (mod ), qui correspondent à l’unique
solution x ≡  (mod ) de la congruence x ≡  (mod ) ;
lorsque x ≡  (mod ), le PGCD(, ) = , qui ne divise
pas , il n’y a donc pas de solution.
Congruences linéaires simultanées
Une ancienne énigme, posée au e siècle par le mathéma-
ticien chinois Sun Zi, pose la question suivante :
Nous sommes face à un nombre inconnu de choses. Si l’on
compte par trois, il y a un reste de  ; si l’on compte par cinq,
il y a un reste de  ; si l’on compte par sept, il y a un reste de
. Trouvez le nombre de choses.
Il a répondu à ce problème, ainsi qu’à de nombreux autres
exemples similaires, dans le Sunzi Suanjing (Classique mathé-
matique de Maître Sun), et au cours du millénaire suivant, il a
refait surface dans de nombreux pays et sous de nombreuses
formes, comme la suivante :
J’ai des œufs. Disposés en rangées de , il en reste , en rangées
de , il en reste , et en rangées de , il en reste . Combien
d’œufs ai-je en tout ?

 80 
 congruences, horloges etcalendriers 

Dans l’une ou l’autre version, nous cherchons un nombre


x qui satisfasse simultanément les congruences suivantes
x ≡  (mod ), x ≡  (mod ), et x ≡  (mod ).
Nous pouvons répondre au problème de Sun Zi en recher-
chant l’un après l’autre d’abord tous les nombres congrus à
 (mod ) jusqu’à atteindre un nombre qui est aussi congru
à  (mod ) : cela donne
x =  (non),  (non),  (non),  (oui).
Donc x =  est une solution des deux dernières congruences,
et il satisfait aussi la première. D’autres réponses peuvent
ensuite être trouvées, en ajoutant des multiples de
 ×  ×  = , car  est congru à  (mod ),  (mod )
et  (mod ) : par exemple, x =  et x =  sont également
des solutions au problème de Sun Zi.
Nous avons eu la chance qu’une solution aux deux dernières
congruences satisfasse également la première, mais cela n’ar-
rive pas de façon générale. Par exemple, si nous revenons à
l’énigme des pirates, où nous cherchons une solution simul-
tanée aux congruences suivantes, nous voyons que :
x ≡  (mod ), x ≡  (mod ), x ≡  (mod ).
Pour résoudre cette énigme, nous commençons par parcourir
les nombres congrus à  (mod ) jusqu’à trouver une solu-
tion à la deuxième congruence :
x =  (non),  (non),  (non),  (non),  (non),
(non),  (oui).
On passe ensuite au peigne fin les solutions simultanées
des deux premières congruences, en ajoutant chaque fois
 ×  = , jusqu’à ce qu’on arrive à la solution de la troi-
sième congruence :
x =  (non),  (non),  (non),  (non),
 (non),   (non),   (non),   (oui).

 81 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Donc x =   satisfait les trois congruences et est la plus


petite solution du problème des pirates. D’autres solutions
peuvent ensuite être obtenues en ajoutant des multiples de
 ×  ×  =  .
Il s’avère que toute collection de congruences simultanées a
une solution unique, à condition que les modules soient des
nombres premiers, pris deux à deux : pour
x ≡  (mod ), x ≡  (mod ), et x ≡  (mod ).
Par exemple, dans le problème de Sun Zi, les modules  et
 sont des nombres premiers entre eux, tout comme  et ,
et  et , et il en va de même pour les modules du puzzle
des pirates. Un énoncé de ce qui est devenu connu sous le
nom de « théorème des restes chinois », dans le cas de trois
congruences, se fait comme suit :
éorème des restes chinois : Soit n, n  et n des entiers
positifs avec
PGCD (n , n ) = PGCD (n, n ) = PGCD (n , n) = ,
et soit N = n × n × n .
Alors les congruences linéaires
x ≡ b (mod n), x ≡ b  (mod n), x ≡ b (mod n)
ont une solution simultanée qui est unique (mod N).
Nous concluons cette section par une autre question qui
conduit à la résolution de congruences linéaires simultanées.
Un nombre n produit une autoréplication si son carré n se
termine par les chiffres du nombre original n : par exemple,
 est autoréplicatif car  = , qui se termine par .
En existe-t-il d’autres ?
Les nombres autoréplicatifs à un chiffre sont , ,  et , car
 = ,  = ,  =  et  = . Ces nombres satisfont tous
la congruence n  ≡ n (mod ).
Pour les nombres autoréplicatifs à  chiffres, n est autoré-
plicatif si n ≡ n (mod ). Mais si  divise n  – n, alors 

 82 
 congruences, horloges etcalendriers 

et  le font aussi, et nous obtenons les congruences simul-


tanées suivantes
n ≡ n (mod ) et n ≡ n (mod ).
Il résulte de la première de ces congruences que n ≡  ou
 (mod ).
Pour la seconde congruence, on remarque que  divise
n – n = n × (n – ), et donc soit  divise à la fois n et n – 
(ce qui ne peut pas arriver), soit  doit diviser n ou n – .
Il s’ensuit que
n ≡  ou  (mod ).
On a donc quatre paires de congruences linéaires simulta-
nées :
n ≡  (mod ) et n ≡  (mod ) : avec la solution n = 
qui n’est pas un nombre à  chiffres ;
n ≡  (mod ) et n ≡  (mod ) : on a ici la solution
n = , que nous avons vue précédemment ;
n ≡  (mod ) et n ≡  (mod ) : on obtient la solution
n = , avec  =   ;
n ≡  (mod ) et n ≡  (mod ) : avec la solution n =  qui
n’est pas un nombre à  chiffres.
Donc les deux seuls nombres autoréplicatifs à  chiffres sont
n =  et n = .
De même, pour les nombres autoréplicatif à  chiffres, on
a la congruence n ≡ n (mod  ), d’où l’on obtient les
congruences simultanées
n ≡ n (mod ) et n ≡ n (mod ).
Celles-ci conduisent à leur tour aux congruences linéaires
simultanées n ≡  ou  (mod ) et n ≡  ou  (mod ), et
en les examinant par paires, comme ci-dessus, on constate
que les seuls nombres autoreproductibles à  chiffres sont
n =  et , avec   =   et avec   =  .

 83 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Carrés et non-carrés
Nous conclurons ce chapitre en examinant d’autres
congruences quadratiques. Nos explorations nous mèneront
à l’un des résultats les plus importants de la théorie des
nombres, la loi de réciprocité quadratique.
Nous allons commencer par la congruence
x + x +  ≡  (mod ).
Nous pouvons la résoudre en multipliant par  et en ajoutant
 aux deux côtés, ce qui donne x + x +  ≡  (mod ),
de sorte que (x + )  ≡  (mod ).
En prenant la racine carrée, on obtient maintenant
x +  ≡  (mod ) ou x +  ≡ –  (mod ), et ces deux
congruences linéaires peuvent alors être résolues pour
donner x ≡  (mod ) et x ≡  (mod ). Ces solutions sont
correctes, car
  + ( × ) +  =  ≡  (mod )
  + ( × ) +  =  ≡  (mod ).
Il s’avère que de nombreuses congruences quadra-
tiques peuvent également être réécrites sous la forme
y = b (mod n)– ici, y = x + , b =  et n =  – ce qui nous
amène à rechercher quels nombres b sont des carrés (mod n)
et lesquels ne le sont pas. Nous allons maintenant explorer
cette question lorsque n est un nombre premier impair.
Trouvons d’abord les carrés (mod p) lorsque p = , ,  et .
Comme  =  est toujours un carré, quelle que soit la
valeur de p, nous ne chercherons que des carrés non nuls.
Lorsque p = , les carrés non nuls sont  =  ≡  (mod ) et
 =  ≡  (mod ), donc le seul carré non nul (mod ) est ,
et le seul non-carré est .
Quand p = , les carrés non nuls sont
 =  ≡  (mod ),  =  ≡  (mod ),
  =  ≡  (mod ),  =  ≡  (mod ),

 84 
 congruences, horloges etcalendriers 

donc les carrés non nuls (mod ) sont  et , et les non-carrés


sont  et .
Lorsque p = , les carrés non nuls sont :
 =  ≡  (mod ),  =  ≡  (mod ),
 =  ≡  (mod ),  =  ≡  (mod ),
 =  ≡  (mod ),  =  ≡  (mod ),
donc les carrés non nuls (mod ) sont ,  et , et les non-
carrés sont ,  et .
Lorsque p = , les carrés non nuls sont :
 =  ≡  (mod ),  =  ≡  (mod ),
 =  ≡  (mod ),  =  ≡  (mod ),
 =  ≡  (mod ),  =  ≡  (mod ),
 =  ≡  (mod ),  =  ≡  (mod ),
 =  ≡  (mod ),  =  ≡  (mod ),
donc les carrés non nuls (mod ) sont , , , , et , et les
non-carrés sont , , , , et .
On remarque que dans chaque cas, les nombres de carrés et
de non-carrés sont les mêmes, et ce pour tous les nombres
premiers. Les carrés sont souvent appelés résidus quadra-
tiques (mod p) et les non-carrés sont appelés non-résidus
quadratiques (mod p).
Si on multiplie deux carrés (mod p) entre eux, alors le produit
est aussi un carré. En effet,
si x ≡ a (mod p) et y ≡ b (mod p),
alors xy ≡ a b ≡ (ab) (mod p).
Nous pouvons également prouver que
le produit de deux non-carrés quelconques (mod p) est
un carré,
et que
le produit d’un carré et d’un non-carré (mod p) est un
non-carré.

 85 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Par exemple, lorsque p = ,


 et  sont tous deux des non-carrés, et leur produit
 ×  =  ≡  (mod ) est un carré ;
 est un carré et  est un non-carré, et leur produit
 ×  =  ≡  (mod ) est un non-carré.
Étant donné un nombre premier impair p, comment pou-
vons-nous décider si un nombre donné a est un carré ou
un non-carré (mod p) ? Par exemple, sachant que   est
un nombre premier,   est-il un carré ou un non-carré
(mod  ) ? Nous répondrons à cette question plus tard.
En , Adrien-Marie Legendre a introduit une notation
utile qui nous aide à répondre à de telles questions. Si p est
un nombre premier impair et a un nombre qui n’est pas divi-
sible par p, alors son symbole de Legendre (a / p) est défini par
(a/p) =  si a est un carré (mod p),
(a/p) = –  si a est un non-carré (mod p) :
par exemple, (/) =  et (/) = (/) = – , car  est un
carré et  et  sont des non-carrés (mod ). On note que,
pour tout nombre premier impair p, et tout nombre a qui
n’est pas divisible par p,
(a /p) = , car a est toujours un carré : par exemple,
(/) = (/) = .
Il existe quelques règles utiles qui nous aident à trouver les
symboles de Legendre.
La première règle est la suivante :
Si a et b ne sont pas divisibles par p, et si a ≡ b (mod p),
alors (a/p) = (b/p).
Par exemple,  est un carré (mod ), car  ≡  (mod ),
et donc
(/) = (/) = .

 86 
 congruences, horloges etcalendriers 

La deuxième règle reprend les remarques précédentes sur la


multiplication des carrés et des non-carrés :
Si a et b ne sont pas divisibles par p,
alors (ab/p) = (a/p) × (b/p).
Par exemple,  est un carré (mod ), car
(/) = (/) × (/) = –  × –  = .
On peut également montrer que, pour tout nombre premier
impair p,
(– /p) =  si p ≡  (mod ) ;
(– /p) = –  si p ≡  (mod ) ;
(/p) =  si p ≡  ou  (mod ) ;
(/p) = –  si p ≡  ou  (mod ).
Ces résultats nous indiquent assez facilement quand –  et
 sont des carrés (mod p). Par exemple,
(– /) =  et (– /) = – , car  ≡  (mod ) et
 ≡  (mod ) ;
(/) =  et (/) = – , car  ≡  (mod ) et
 ≡  (mod ).
Supposons ensuite que l’on souhaite décider si  est un
carré (mod ).
Par la première règle, nous pouvons écrire
(/) = (/) car  ≡  (mod )
= (/) × (/) car  =  × 
=× car  ≡  (mod )
et  est un carré.
Donc (/) = , et  est un carré (mod ).
Une autre manière de déduire cela est de repérer que
 ≡  ≡   (mod ).
Supposons maintenant que nous souhaitons vérifier si 
est un carré (mod ).

 87 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Ici,  ≡  (mod ), et donc (/) = (/). Mais com-


ment décider si  est un carré (mod ) sans avoir à calculer
tous les carrés (mod ) ?
Pour répondre à cette question, nous allons introduire la « loi
de réciprocité quadratique », qui établit une relation de récipro-
cité entre les carrés (mod p) et les carrés (mod q) lorsque p et
q sont tous deux des nombres premiers impairs. Ce théorème
était connu d’Euler et de Lagrange, mais c’est Gauss qui en
a présenté pas moins de huit preuves, au point de l’appeler
son « théorème d’or ». Il existe aujourd’hui environ deux cents
preuves de la loi de réciprocité, qui s’énonce comme suit :
La loi de réciprocité quadratique : Si p et q sont des nombres
premiers impairs, alors
(p/q) = (q/p) si p ou q ≡  (mod ),
(p/q) = – (q/p) si p et q ≡  (mod ).
Par exemple,
(/) = (/), car  ≡  (mod ),
(/) = – (/), car  et  ≡  (mod ).
Nous pouvons maintenant revenir à notre problème pour
vérifier si  est un carré (mod ).
Nous avons vu plus haut que (/) = (/). Mais
(/) = – (/) car  et  ≡  (mod ).
= – (/) car  ≡  (mod )
= –  car  est un carré.
Donc (/) = – , et  est un non-carré (mod ).
Nous concluons ce chapitre en revenant à notre problème
précédent, à savoir si   est un carré ou un non-carré
(mod  ).
Nous pouvons maintenant répondre à cette question en
appliquant plusieurs fois la loi de réciprocité quadratique
pour réduire les nombres en jeu.

 88 
 congruences, horloges etcalendriers 

Comme   =  ×  × , nous avons


( /) = (/ ) × (/ ) × (/ ).
Mais,
(/ ) = –  car   ≡  (mod ).
De même,
(/ ) = ( /) car  ≡  (mod )
= (– /) car   ≡ –  (mod )
= car  ≡  (mod ).
Enfin,
(/ ) = ( /) car  ≡  (mod )
= (/) car   ≡  (mod )
= (/) × (/)
=× car  ≡  (mod )
et  est un carré
= .
En combinant tous ces résultats, on obtient
( / ) = –  ×  ×  = – , et donc   n’est pas un
carré (mod  ).
Dans le Chapitre , nous poursuivrons notre exploration
des congruences avec quelques résultats fondamentaux de
Fermat et d’Euler et avec quelques applications à la crypto-
graphie, au mélange des cartes et à la coloration des colliers.

 89 
5
Encore des triangles
etdescarrés

Il existe de nombreux problèmes intrigants qui peuvent


être exprimés en termes d’équations requérant des solu-
tions avec des nombres entiers : ces équations sont appelées
Équations Diophantienne. Elles doivent leur nom à Diophante
d’Alexandrie qui, comme nous l’avons mentionné au Cha-
pitre , a écrit un texte classique appelé Arithmetica qui
contient de nombreuses questions avec de telles solutions.
Dans ce chapitre, nous présenterons un certain nombre de
problèmes diophantiens, qui vont de la recherche de triangles
rectangles avec des côtés entiers à l’écriture de nombres sous
forme de somme de carrés et de puissances supérieures ;
nous finirons le chapitre avec un bref compte rendu de l’une
des réalisations les plus célèbres de la théorie des nombres :
la preuve du « dernier théorème » de Fermat.

LES ÉQUATIONS LINÉAIRES DIOPHANTIENNES


Comme exemple d’équation diophantienne, nous allons
considérer l’équation
x + y = .

 90 
 encore des triangles etdescarrés 

Si x et y peuvent prendre n’importe quelles valeurs, alors il


existe une infinité de solutions : choisissez n’importe quel
nombre x et calculez y = ( – x) / : par exemple, si x = ,
alors y = /.
Si nous exigeons maintenant que x et y soient des nombres
entiers, il existe encore une infinité de solutions – en
réduisant l’équation (mod ), on obtient x ≡  (mod ),
donc x ≡  (mod ) et les solutions deviennent x =  + k,
y =  – k, où k est un nombre entier : par exemple, en pre-
nant k = , on obtient la solution x = , y = – .
Mais si nous exigeons en outre que x et y soient des nombres
entiers positifs, il n’y a que deux solutions : x = , y =  (pour
k = ) et x = , y =  (pour k = ).
Ces solutions sont illustrées dans la Figure .
y
6
(–1, 5)
5
(k = – 1)
4

3 (k = 0) (2, 3)

(k = 1) (5, 1)
1

–2 –1 0 1 2 3 4 5 6 7 8 x
–1 (8, – 1)
(k = 2)

Fig. 25  Quelques solutions de l’équation diophantienne 2x + 3y = 13.

En général, on peut montrer que :


si a, b et c sont des nombres entiers donnés, alors l’équa-
tion linéaire

 91 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

ax + by = c a une solution dans les nombres entiers si et


seulement si le PGCD (a, b) divise c.
Dans l’exemple ci-dessus, nous avions a = , b = , et le
PGCD (, ) = , ce qui divise .
De plus, si le PGCD (a, b) = , et si nous pouvons repérer une
solution particulière, x = X, y = Y, alors toute solution peut
s’écrire sous la forme
x = X + bk, y = Y – ak, où k est un nombre entier.
Pour l’exemple ci-dessus, X =  et Y = , et le PGCD (a, b) = ,
et donc les solutions ont toutes la forme
x =  + k, y =  – k,
comme nous l’avons vu précédemment.
Un autre type de problème diophantien linéaire est le sui-
vant, adapté d’un problème posé par Leonardo Fibonacci en
 : si je peux acheter des perdrix pour  centimes, des pigeons
pour  centimes la pièce, et  moineaux pour un centime la pièce,
et si je dépense  centimes pour acheter  oiseaux, combien
d’oiseaux de chaque espèce dois-je acheter ?
Comme les oiseaux sont indivisibles, nous cherchons des
solutions à base de nombres entiers. De plus, nous suppose-
rons que j’achète au moins un de chaque type d’oiseau, nous
cherchons donc des solutions positives. Si j’achète a perdrix, b
pigeons et c moineaux, nous pouvons écrire deux équations :
a + b + c =  pour le nombre total d’oiseaux,
a + b + c/ =  pour le nombre total de centimes.
À première vue, il peut sembler qu’avec trois inconnues et
seulement deux équations, nous ne pouvons pas répondre à
la question. Mais nous avons une information supplémen-
taire : a, b et c sont tous des nombres entiers positifs. Poursui-
vons : en multipliant la deuxième équation par , on obtient
a + b + c = ,

 92 
 encore des triangles etdescarrés 

puis en soustrayant la première équation de celle-ci pour


éliminer c, on obtient
a + b = , donc b =  ( – a).
Donc b est divisible par , et ne peut pas être  (car a serait
alors ).
Donc b = , ce qui donne a =  et (d’après la première équa-
tion) c = .
Je dois donc acheter  perdrix,  pigeons et  moineaux.

LES TRIANGLES RECTANGLES


Au Chapitre , nous avons vu que les côtés a, b et c d’un
triangle rectangle satisfont le théorème de Pythagore,
a + b = c,
et nous avons donné deux exemples de triangles rectangles
avec des côtés entiers :
 +  =  et  +   =  .
On appelle (a, b, c) un triplet de Pythagore si a + b  = c avec
a, b et c sont des entiers positifs, donc (, , ) et (, ,
) sont des triplets de Pythagore. Notre but est de trouver
tous ces triplets.
Nous notons d’abord que si (a, b, c) est un triplet de Pytha-
gore, avec a + b  = c , alors tout multiple (ka, kb, kc), où k est
un nombre entier positif, l’est aussi, car
(ka) + (kb)  = k × (a + b  ) = k  × c = (kc)
Par exemple, (, , ) est aussi un triplet pythagoricien.
Géométriquement, les multiples d’un triplet pythagoricien
correspondent à des mises à l’échelle du triangle rectangle.
De telles mises à l’échelle ne sont pas très intéressantes, et
nous considérerons donc principalement les triangles dans
lesquels les côtés n’ont pas de facteur commun k, autre que

 93 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

. Nous appelons ces triplets « primitifs » : par exemple, (,


, ) et (, , ) sont tous deux des triplets primitifs. Pou-
vons-nous trouver une formule pour générer tous les triples
primitifs ?
Nous remarquons d’abord que si (a, b, c) est un triplet primi-
tif, alors deux des nombres a, b et c doivent être des nombres
premiers entre eux, car si, par exemple, a et b ont un facteur
commun supérieur à , alors ils doivent avoir un facteur pre-
mier commun p. Il s’ensuit que p doit diviser a + b, qui
est égal à c , et donc p (étant premier) divise aussi c. Ceci
contredit le fait que a, b et c n’ont pas de facteur commun.
Nous pouvons donc supposer que le
PGCD (a, b) = le PGCD (a, c) = le PGCD (b, c) = .
Mais nous pouvons en dire plus. Si (a, b, c) est un triplet
primitif, alors a et b ne peuvent pas être tous les deux pairs,
comme nous venons de le voir. Peuvent-ils être tous les deux
impairs ? Comme nous l’avons vu au Chapitre , chaque carré
a la forme n ou n + , et donc si a et b sont tous deux
impairs, alors a et b doivent avoir la forme n + , et c
doit avoir la forme n + , ce qui est impossible. Donc l’un
de a et b doit être pair et l’autre impair, et c , et donc c, doit
aussi être impair. Par souci de précision, nous considérerons
toujours que a est impair et que b est pair.
Maintenant, puisque a et c sont tous deux impairs, leur
somme et leur différence sont toutes deux paires et nous
pouvons écrire c + a = u et c – a = v, pour certains entiers
u et v, avec u > v. Donc u + v = c et u – v = a.
De plus, b est pair et b = c – a  = (c + a) (c – a), et donc
(b/) = (c + a)/ × (c – a)/ = u × v.
Que pouvons-nous dire de u et v ? Si le PGCD (u, v) = d, où
d > , alors d divise c + a et c – a, et donc divise à la fois c
et a, ce qui ne peut pas arriver. Donc u et v sont premiers

 94 
 encore des triangles etdescarrés 

entre eux. De plus, puisque uv est un carré et que u et v


sont premiers, u et v doivent être des carrés séparés et nous
pouvons donc écrire u = x et v = y, pour certains entiers x
et y avec x > y. Donc
c = u + v = x + y , a = u – v = x – y , et b = uv = x y,
donc b = xy.
On peut vérifier que l’un des nombres x et y est impair et
que l’autre est pair, et qu’ils sont premiers entre eux. En
reliant tout cela, nous obtenons la formule souhaitée pour
les triplets primitifs :
Triplets pythagoriciens primitifs : Si (a, b, c) est un triplet
pythagoricien primitif, alors
a = x – y , b = xy, c = x + y,
où x et y sont des entiers premiers, l’un impair et l’autre
pair, avec x > y.
Par exemple, si x =  et y = , alors a = , b =  et c = , ce qui
donne le triplet (, , ). De même, si x =  et y = , alors
a = , b =  et c = , ce qui donne le triplet (, , ).
Nous pouvons utiliser cette recette pour dresser un tableau
des triplets primitifs de Pythagore, en énumérant toutes les
paires d’entiers premiers entre eux x et y, l’un étant impair
et l’autre pair, avec x > y, et en calculant les valeurs corres-
pondantes de a, b et c. Le Tableau  énumère tous les triplets
primitifs dont aucun nombre ne dépasse . En étendant ce
tableau aussi loin que nécessaire, puis en prenant des mul-
tiples, nous pouvons générer tous les triangles rectangles
dont les côtés sont des nombres entiers.
Nous pouvons également utiliser notre formule pour les
triplets primitifs pour répondre à des questions telles que :
Combien de triplets primitifs incluent le nombre  ?

 95 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Tableau 4  Des triplets pythagoriciens primitifs.

x y : a b c x y : a b c
2 1 : 3 4 5 7 2 : 45 28 53
3 2 : 5 12 13 7 4 : 33 56 65
4 1 : 15 8 17 7 6 : 13 84 85
4 3 : 7 24 25 8 1 : 63 16 65
5 2 : 21 20 29 8 3 : 55 48 73
5 4 : 9 40 41 8 5 : 39 80 89
6 1 : 35 12 37 9 2 : 77 36 85
6 5 : 11 60 61 9 4 : 65 72 97

Comme  est pair, nous avons xy donc xy = . En se rap-


pelant que x > y et que x et y sont premiers entre eux avec
l’un pair et l’autre impair, on trouve les quatre possibilités
suivantes :
x =  et y = , ce qui donne le triplet primitif (, , ),
x =  et y = , ce qui donne le triplet primitif (, , ),
x =  et y = , ce qui donne le triplet primitif
(, , ),
x =  et y = , ce qui donne le triplet primitif
(, , ).
Une question similaire se pose :
Combien de triangles rectangles dont les côtés sont des nombres
entiers ont un côté de longueur  ?
Puisque  est premier, les longueurs des côtés doivent for-
mer un triplet primitif, donc soit
 = x  + y , soit  = x – y, pour certains entiers x et y.
Dans le premier cas, x =  et y = , et le triplet (x – y , xy,
x + y) est (, , ).

 96 
 encore des triangles etdescarrés 

Dans le second cas,  = (x + y) × (x – y), donc x + y = 


et x – y = . Donc x =  et y = , et le triplet (x – y, xy,
x + y ) est (, , ).

SOMMES DES CARRÉS


Après avoir étudié l’équation a + b  = c , nous pouvons
poser une question plus générale qui remonte à Diophante :
Quels sont les nombres qui peuvent s’écrire comme la somme de
deux carrés parfaits ?
Les premiers exemples sont :
 =  +  ,  =  + ,  =  +  ,  =   +  ,
 =  + ,  =   + ,  =  +   ,  =  + ,
 =   + ,  =  +  ,  =  + ,  =   + .
Les nombres jusqu’à  qui ne peuvent pas être écrits comme
la somme de deux carrés sont , , , , , ,  et .
Peut-on en déduire un modèle général ?
La première chose à retenir est que tout carré a la forme n
ou n + , et donc la somme de deux carrés doit avoir la forme
n, n + , ou n + . Ainsi, tout nombre de la forme n + 
ne peut pas être une somme de deux carrés, ce qui exclut ,
, ,  et . On remarque également que ,  et , qui
sont des multiples des nombres interdits  et , ne peuvent
pas s’écrire comme la somme de deux carrés, alors que  et
, multiples de , peuvent s’écrire de cette façon. Utilisant
ces observations comme lignes directrices, il s’avère que nous
pouvons décrire complètement les nombres qui peuvent être
écrits comme la somme de deux carrés. Le résultat suivant
a été énoncé par Fermat, et prouvé par Legendre en  :
Somme de deux carrés : Un nombre peut s’écrire comme la
somme de deux carrés si et seulement si chaque facteur
premier congru à  (mod ) est élevé à une puissance
paire.

 97 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Par exemple,  =  ×  est la somme de deux car-


rés (  +  ), car  est une puissance paire, alors que
 =  ×  ×  et  =   ×  ne peuvent pas être la somme
de deux carrés car  est une puissance impaire dans chaque cas.
Un résultat utile est que si m et n peuvent être écrits comme
la somme de deux carrés, alors leur produit mn peut l’être
aussi. En effet, pour m = a + b et n = x + y, un peu d’algèbre
confirme la règle de multiplication :
mn = (a + b) × (x  + y) = (ax + by) + (ay – bx).
Par exemple, sachant que  =  +  et  =   +  , nous
pouvons prendre a = , b = , x = , et y = , ce qui donne
 =  ×  = {( × ) + ( × )}  + {( × ) – ( × )}
= ( + ) + ( – ) =   + ,
ou, en réécrivant  =  + , on peut prendre a = , b = ,
x =  et y = , ce qui donne
 =  ×  = {( × ) + ( × )}  + {( × ) – ( × )} 
= ( + ) + ( – ) =  +  .
Certains nombres peuvent donc s’écrire comme la somme
de deux carrés de plus d’une façon : un autre exemple est
  =   +  =  +  =   +  .
Il découle de la règle de multiplication ci-dessus que si
nous pouvons d’abord déterminer quels nombres premiers
peuvent s’écrire comme la somme de deux carrés, nous pou-
vons ensuite, en les combinant, déterminer quels nombres
en général peuvent s’écrire de la même façon. Il s’agit d’un
autre exemple de l’utilisation des nombres premiers comme
éléments constitutifs des nombres en général. Nous allons
maintenant étudier la représentation des nombres premiers
comme la somme de deux carrés.
Nous avons vu que  =  + , et que les nombres premiers
impairs de la forme n +  ne peuvent pas être écrits comme
la somme de deux carrés.

 98 
 encore des triangles etdescarrés 

Mais qu’en est-il des nombres premiers impairs de la forme


n +  ? Nous pouvons certainement les écrire :
 =  +  ,  =  + ,  =  +  ,  =  + ,
 =  + ,  =   +  et ainsi de suite.
Cette liste illustre la règle générale suivante, qui a été énon-
cée pour la première fois par Albert Girard en  et dans
une lettre de Fermat à Mersenne le jour de Noël , règle
qui a finalement été validée par Euler en  :
un nombre premier impair p peut être écrit comme la
somme de deux carrés si et seulement si p a la forme n + .
De plus, cela ne peut se faire que d’une seule manière,
indépendamment de l’ordre dans lequel les deux carrés
apparaissent.
Avant de quitter cette section, nous posons une question
connexe :
Quels nombres peuvent être écrits comme la différence de deux
carrés parfaits ?
Il est beaucoup plus facile de répondre à cette question.
Voyons quelques exemples :
 =  –  ,  =  – ,  =   – ,  =   – ,
 =   – ,  =  –  ,  =  –  ,  =   –  ,  =  –  , …
Mais , , , … ne peuvent pas s’écrire de cette façon, et il
semble que la règle générale suivante s’applique :
Différence de deux carrés : un nombre peut être écrit comme
la différence de deux carrés, sauf s’il a la forme n + .
Pour comprendre, rappelons à nouveau que tout carré parfait
a la forme n ou n + , si bien que la différence entre deux
carrés doit avoir la forme n, n + , ou n + . La différence
entre deux carrés ne peut donc jamais être de la forme n + .
De plus, si N = n, alors on peut écrire
(n + )  – (n – ) = (n  + n + ) – (n – n + )
= n = N,

 99 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

si N = n + , alors on peut écrire


(n + ) – (n) = (n  + n + ) – n
= n +  = N,
et si N = n+ , alors on peut écrire
(n + ) – (n + ) = (n  + n + ) – (n + n + )
= n +  = N.
Tout nombre peut donc s’écrire comme la différence de deux
carrés, sauf lorsqu’il a la forme n + .
Sommes de davantage de carrés
Nous avons vu que nous ne pouvons pas écrire tous
les nombres comme la somme de seulement deux carrés.
Peut-on écrire tout nombre comme la somme de trois carrés
(le zéro étant autorisé) ? Nous avons, sans problème :
 =   +   +  ,  =  +  + ,  =   +  + ,
 =   +  + ,  =  +   +  ,  =  +  + .
Mais nous ne pouvons pas écrire  ou  comme la somme
de seulement trois carrés. Pour comprendre pourquoi, nous
notons que tout carré impair a la forme n +  (cf. le Cha-
pitre ), et que tout carré pair, étant divisible par , a la forme
n ou n + . Mais on ne peut pas combiner trois nombres
de la forme n, n + , ou n +  pour donner un nombre
de la forme n + . Diophante avait affirmé et revendiqué ce
résultat il y a   ans, et Fermat a proposé le résultat plus
général suivant, démontré et validé par Legendre en  :
Somme de trois carrés : tout nombre peut être écrit comme
la somme de trois carrés, sauf s’il a la forme
m × (k + ), pour certains entiers m et k.
Par exemple,
 =  × ,  =  × , et  =  × 
ne peuvent pas s’écrire comme la somme de trois carrés, et
leurs multiples non plus :
 =  × ,  =   × ,  =  × .

 100 
 encore des triangles etdescarrés 

Mais ces nombres peuvent tous être écrits comme la somme


de quatre carrés : par exemple,
 =  +   +  + ,  =  +  +   + ,
 =  +  +  + ,  =  +  +   + ,
 =  +   +   + ,  =   +  +   + .
En fait, tous les nombres entiers positifs sans exception
peuvent être écrits comme la somme de quatre carrés. Ce
résultat remarquable a été énoncé par Claude Bachet de
Méziriac en , et a été prouvé par Joseph-Louis Lagrange
en utilisant les idées d’Euler :
Le théorème des quatre carrés de Lagrange : Tout nombre
peut être écrit comme la somme de quatre carrés.
Comme pour le résultat précédent de Fermat sur la somme de
deux carrés, il suffit de le prouver pour les nombres premiers
uniquement, puis d’utiliser une règle de multiplication pour
obtenir le résultat général. Cette règle, découverte par Euler,
établit que si m et n peuvent chacun s’écrire comme la somme
de quatre carrés, alors leur produit mn le peut aussi, la raison
étant que pour m = a  + b + c + d  et n = w  + x  + y + z ,
on a
mn = (a + b  + c + d ) × (w + x  + y + z)
= (aw – bx – cy – dz) + (bw + ax – dy + cz)
+ (cw + dx + ay – bz) + (dw – cx + by + az) .
Par exemple, sachant que  =   +   +   +   et
 =  +  +   +  , on peut prendre a = , b = , c = , d = ,
w = , x = , y = , et z = , et écrire  =  ×  comme
une somme de quatre carrés comme suit :
 =  × 
= {( × ) – ( × ) – ( × ) – ( × )}
+ {( × ) + ( × ) – ( × ) + ( × )}
+ {( × ) + ( × ) + ( × ) – ( × )}
+ {( × ) – ( × ) + ( × ) + ( × )}

 101 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

= ( –  –  – ) + ( +  –  + )
+ ( +  +  – ) + ( –  +  + )
=  +  +  + .

PUISSANCES SUPÉRIEURES
Après avoir examiné les sommes de carrés, nous allons
maintenant nous intéresser aux sommes de cubes et aux
puissances supérieures. Une histoire bien connue concerne
le mathématicien et professeur « sadleirien » de l’Université
de Cambridge, G. H. Hardy qui, en , rendait visite à son
ami et collègue Srinivasa Ramanujan, autodidacte et l’un des
mathématiciens les plus intuitifs de tous les temps, gravement
malade et hospitalisé. Ensemble, ils avaient résolu d’importants
problèmes de théorie des nombres. Hardy, qui avait du mal à
trouver quelque chose à dire, a fait remarquer que le taxi qui le
conduisait à l’hôpital portait le numéro , qui semblait être
un numéro plutôt banal et ennuyeux. Hardy se souvient que
Ramanujan lui a répondu : « Mais non, Hardy, c’est un nombre
très intéressant. C’est le plus petit nombre exprimable comme
la somme de deux cubes de deux manières différentes ». (Ce
sont   +  =  +  et   +  =  + ).
Le problème de Waring
Comme nous l’avons vu, le théorème des quatre carrés de
Lagrange affirme que tout nombre peut être écrit comme la
somme de quatre carrés. En , un autre mathématicien
de Cambridge, le professeur « lucasien » Edward Waring sug-
géra qu’il existe des résultats similaires pour les puissances
supérieures, affirmant les résultats suivants pour les cubes
et les puissances quatre :
Chaque nombre peut être écrit comme la somme de neuf
cubes.
Chaque nombre peut être écrit comme la somme de dix-
neuf nombres à la puissance quatre.

 102 
 encore des triangles etdescarrés 

Les affirmations de Waring étaient correctes et ne peuvent pas


être améliorées car il existe des nombres qui nécessitent en
fait neuf cubes et dix-neuf nombres puissance quatre, comme
pour les cubes :  =  +  +   +  +  +  +   + ,
pour les puissances quatre :
 =   +   +   +  +  +  +  +   +  +   + 
+   +  +  +   +   +  +  +  .
Waring s’est demandé si ces idées pouvaient être étendues
à des puissances plus élevées :
Le problème de Waring : pour chaque entier positif k, existe-
t-il un nombre g(k) tel que chaque nombre puisse être
écrit comme la somme de g(k) puissances k-ièmes d’entiers
positifs ?
Par exemple, g() = , par le théorème des quatre carrés de
Lagrange, et les résultats que nous venons d’affirmer nous
disent que g() =  et g() = .
Les autres valeurs connues sont g() =  pour les sommes
de nombres à la puissance cinq, et g() =  pour les sommes
de nombres puissance six. En , le mathématicien alle-
mand David Hilbert a répondu par l’affirmative à la question
de Waring en prouvant qu’il existe un tel nombre g(k) pour
chaque valeur de k.
Que pouvons-nous dire de g(k) ? Vers , Johann Albrecht
Euler, le fils aîné de Leonhard, a suggéré que
g(k) ≥  k + , k – , pour toutes les valeurs de k,
où x  est la partie entière de x : par exemple,
,  = , = .
Notons que, pour
k = , g(k) ≥   + [,]  –  =  +  –  = 
pour k = , g(k) ≥   + [,]  –  =  +  –  = ,
par conséquent, cette borne donne la valeur correcte pour g(k)
dans ces deux cas. Il a depuis été prouvé qu’elle donne la bonne

 103 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

réponse pour toutes les valeurs de k jusqu’à , millions, et


avec toutes ces preuves, on pense qu’elle est correcte dans tous
les cas, bien que cela n’ait jamais été définitivement démontrée.
Cependant, on peut en dire davantage. Lorsque k = , il
s’avère que seuls deux nombres ( et ) ont besoin de
neuf cubes, et que seul un nombre fini a besoin de huit cubes.
Nous pouvons donc affirmer :
Qu’à partir d’un certain moment, chaque nombre peut
être écrit comme la somme de seulement sept cubes.
On croit également, bien que cela n’ait jamais été démon-
tré formellement, que le nombre de cubes peut être réduit
davantage, peut-être même à quatre.
Pour les nombres à la puissance quatre, il peut être démontré :
À partir d’un certain point, chaque nombre peut être écrit
comme la somme de seulement seize nombre à la puis-
sance quatre.
Des résultats correspondants peuvent être démontrés pour
les puissances supérieures.
Le dernier théorème de Fermat
Nous conclurons ce chapitre par un bref compte rendu
de l’une des réalisations les plus célèbres de la théorie des
nombres : la preuve du dernier théorème de Fermat.
Dans notre discussion sur les triplets de Pythagore, nous
avons vu comment trouver les solutions entières de l’équa-
tion diophantienne
a + b = c .
Peut-on, de la même façon, trouver des solutions entières
aux équations
a + b = c , a + b = c, a  + b = c ,
et en général,
an + bn = c n , pour tout n ≥  ?

 104 
 encore des triangles etdescarrés 

Faisons quelques observations générales. Premièrement, il


existe toujours des solutions « triviales », dans lesquelles l’un
des nombres a, b et c est  : par exemple,
 + (– )  =  et  +  = .
Dans ce qui suit, nous nous intéressons uniquement aux
solutions positives.
En deuxième lieu, nous supposons que nous sachions qu’il
n’existe pas de solutions entières de l’équation a + b = c. Nous
pourrions alors en déduire qu’il en va de même lorsque l’expo-
sant est un multiple quelconque de . Par exemple, l’équation
x + y = z
pourrait alors ne pas avoir de solutions entières, car nous
pouvons la réécrire comme suit
(x ) + (y )  = (z ),
ou, comme
a + b = c (où a = x, b = y, et c = z ),
où nous avons supposé qu’il n’y avait pas de solutions. Ainsi,
lorsque nous étudions les solutions de l’équation an + bn = cn ,
nous pouvons limiter notre attention aux cas où n est égal à
 ou à un nombre premier.
Fermat s’est intéressé à ce problème en lisant une traduction
latine de l’Arithmetica de Diophante qui avait été publiée par
Claude Bachet de Méziriac en  (cf.la Figure ). Dans la
section sur les triplets pythagoriciens, Fermat a ajouté un
commentaire en marge désormais célèbre :
« D’autre part, il est impossible qu’un cube s’écrive comme une
somme de deux cubes ou qu’un nombre élevé à la puissance
quatre s’écrive comme une somme de deux nombres puissance
quatre ou, en général, pour tout nombre qui est une puissance
supérieure à deux s’écrive comme une somme de deux puissances
semblables. J’ai une preuve vraiment merveilleuse de cette pro-
position mais cette marge est trop étroite pour la contenir ».

 105 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Fig. 26  La traduction par Bachet de l’Arithmetica de Diophante.

 106 
 encore des triangles etdescarrés 

On l’appelle souvent « le dernier théorème de Fermat »,


parce qu’il est devenu la dernière affirmation de Fermat à
être prouvée – mais il aurait peut-être été plus judicieux de
l’appeler « la conjecture de Fermat » :
Le dernier théorème de Fermat. L’équation xn + yn = zn n’a
pas de solutions entières positives lorsque n ≥ .
La plupart des mathématiciens pensent que Fermat n’aurait
pas pu trouver une preuve consolidée de sa conjecture. De
nombreuses tentatives ont depuis été faites pour en trouver
une, et on avance même que, s’il avait vraiment trouvé une
démonstration valable, elle aurait sûrement été redécouverte
au cours des années suivantes.
Fermat a lui-même prouvé que l’équation a  + b = c  ne peut
pas avoir de solutions entières. Pour ce faire, il a inventé
une méthode de preuve connue sous le nom de méthode
de descente infinie, montrant par un argument algébrique
que si cette équation (ou, plus précisément, une équation
étroitement liée à celle-ci) avait une solution en nombres
entiers positifs, il y aurait une autre solution impliquant des
nombres plus petits que la précédente.
En répétant cet argument encore et encore, il obtiendrait
alors des solutions positives de plus en plus petites – mais
cela ne peut pas se produire indéfiniment. Cette contradic-
tion montre que la solution originale n’a pas pu exister en
premier lieu.
Plus d’un siècle plus tard, en , Euler produisit une preuve
pour le cas n = , mais elle comportait une lacune qui a été
comblée par la suite par Legendre.
Des avancées majeures ont été réalisées dans les années 
par Sophie Germain, une mathématicienne autodidacte qui
a fait plusieurs contributions substantielles à la théorie des
nombres et à la théorie de l’élasticité.

 107 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Intéressée par les nombres premiers p pour lesquels p + 


est également premier (tels que , , ,  et ), elle a
prouvé plusieurs résultats les concernant, par exemple, que
si ap + bp = c p, alors l’un de a, b et c doit être divisible par
p + , et l’un d’eux doit être divisible par p. Puis Legendre
et Lejeune Dirichlet ont démontré la validité du théorème
lorsque n = , en utilisant ses résultats, et enfin en 
Gabriel Lamé de Paris l’a prouvé pour n = .
Une grande avancée a été faite par Ernst Kummer, qui a
prouvé le résultat lorsque n est un nombre premier dit « régu-
lier » : cela a réglé l’argument pour presque toutes les valeurs
de n qui sont inférieures à . Au fil des ans, de plus en plus
de cas ont été résolus et, au milieu du e siècle, la conjecture
de Fermat a été prouvée pour toutes les valeurs de n jusqu’à
 , et en  pour toutes les valeurs jusqu’à  millions.
Mais il restait encore un long chemin à parcourir !
En juin , Andrew Wiles, un mathématicien britannique
travaillant à l’université de Princeton aux États-Unis, aux États-
Unis, a annoncé avec beaucoup d’enthousiasme, lors d’une
conférence à Cambridge, qu’il avait trouvé une démonstration
pour le dernier théorème de Fermat. Bien que cette annonce se
soit avérée prématurée, car une lacune a été découverte dans
son argumentation, il a fini par la corriger avec l’aide de son
ancien étudiant, Richard Taylor. La preuve remarquable de
Wiles a été publiée en  et a été très bien accueillie. Le der-
nier théorème de Fermat était enfin prouvé (cf.la Figure ).

Fig. 27  Un timbre postal célébrant la preuve d’Andrew Wiles du der-


nier théorème de Fermat.

 108 
6
Des cartes
àlacryptographie

Dans ce chapitre, nous introduisons un théorème fon-


damental de Pierre de Fermat et nous l’appliquons à un
problème récréatif : comment mélanger des cartes. Nous pré-
sentons ensuite une généralisation du résultat de Fermat due
à Leonhard Euler, ainsi qu’une méthode de factorisation des
nombres qui est également due à Fermat. Nous concluons en
appliquant le théorème d’Euler à l’envoi de messages secrets
en cryptographie, décrivant son utilisation pour garantir la
sécurité de nos cartes de crédit.

LE PETIT THÉORÈME DE FERMAT


Il y a plus de deux mille ans, des mathématiciens chinois
auraient observé que
 divise   –  (= ),
 divise   –  (= ),
 divise   –  (= ), et
 divise   –  (= ), mais que
 ne divise pas  –  (= ) et
 ne divise pas  –  (= ).

 109 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Cela les a amenés à affirmer que n divise n –  si et seule-


ment si n est premier. Leur affirmation est-elle vraie ? Dans
cette section, nous allons étudier cette question et d’autres,
similaires.
Au Chapitre , nous avons étudié les nombres carrés (mod p),
où p est un nombre premier impair, et nous allons mainte-
nant nous intéresser aux puissances supérieures. Commen-
çons par les premières puissances de  et  (mod ) :
  ≡ ,   ≡ ,  ≡ ,  ≡ ,  ≡ ,   ≡  (mod )
 ≡ ,  ≡ ,   ≡ ,  ≡ ,  ≡ ,   ≡  (mod ),
en notant, en particulier, que
  ≡  (mod ) et que
 ≡  (mod ).
Il s’avère, en effet, que si a est un entier quelconque
non divisible par , alors a  ≡  (mod ) : par exemple,
 =  ≡  (mod ) et  =    ≡  (mod ).
Ces résultats sont des cas particuliers d’un résultat célèbre
que Pierre de Fermat a annoncé en , mais qui a été
démontré pour la première fois par Gottfried Leibniz quelque
temps avant . Il est généralement appelé le « petit théo-
rème de Fermat ».
Petit théorème de Fermat : Si p est un nombre premier,
et si a est un nombre entier qui n’est pas divisible par p,
alors a p –  ≡  (mod p).
Par exemple, si p =  et a = , alors  n’est pas divisible par
 et donc  ≡  (mod ).
C’est correct, car  =    = ( × ,,) + .
On peut également montrer que si ak ≡  (mod p), alors k
doit être un facteur de p – .
L’idée de la preuve du petit théorème de Fermat est de regar-
der les premiers p –  multiples positifs de a et de les réduire
(mod p).

 110 
 des cartes àlacryptographie 

Par exemple, si p =  et a =  alors les six premiers multiples


positifs de a sont , , , ,  et , et en les réduisant
(mod ) on obtient , , , , , . De même, si a = , alors
les multiples sont , , , , ,  et en les réduisant
(mod ) on obtient , , , , , .
Dans chaque cas, nous obtenons un réarrangement des
nombres , , , ,  et .
En général, les premiers p –  multiples positifs de a sont
a, a, a, a, …, (p – ) a,
et quand on les réduit (mod p), les résultats sont tous dif-
férents ; ceci est parce que si ma ≡ na (mod p), pour des
nombres non nuls m et n, alors m ≡ n (mod p), après avoir
annulé le terme a des deux côtés. (ce que l’on peut faire car
a et p sont premiers entre eux). Donc ces multiples non
nuls (mod p) sont tous différents, et doivent donc être les
nombres , , , …, p – , dans un certain ordre.
Nous allons maintenant multiplier ces multiples de p – 
entre eux, ce qui donne
a × a × a × … × (p – ) = a p –  ×  ×  ×  × … × (p – ).
Mais, comme nous venons de le voir, ces multiples sont juste
, , , …, p –  (mod p) dans un certain ordre, et leur
produit est
 ×  ×  × … × (p – ) (mod p).
En égalisant ces deux produits, on obtient
ap –  ×  ×  ×  × … × ( p – ) ≡  ×  ×  × …
× (p – ) (mod p),
et en annulant les termes , , , …, p –  (qui sont tous
premiers par rapport à p) donne
ap –  ≡  (mod p),
comme nous voulions démontrer.

 111 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Dans l’énoncé du petit théorème de Fermat, nous avons fait


la condition que a n’est pas divisible par p. Nous pouvons
supprimer cette condition en multipliant les deux côtés de la
congruence par a, ce qui donne la forme alternative suivante :
Le petit théorème de Fermat : Si p est un nombre premier
et a un nombre entier, alors ap ≡ a (mod p).
Ici, nous pouvons omettre la condition ci-dessus, car si a est
divisible par p, alors le résultat est toujours vrai, car les deux
côtés sont congrus à  (mod p).
Peut-on inverser la situation ? Est-il vrai que si an = a (mod n)
pour tous les nombres a, alors n doit être un nombre premier ?
C’est généralement le cas mais, comme l’a constaté le mathé-
maticien américain Robert Carmichael en , il existe des
exceptions. Le plus petit exemple est n =  =  ×  × , où
a ≡ a (mod ) pour tous les nombres a. Bien qu’il existe
une infinité de ces « nombres de Carmichael », ils semblent se
produire assez rarement, avec seulement six autres nombres
inférieurs à  , et seulement quarante-trois jusqu’à un
million.
Même si nous nous limitons à a = , il existe des exceptions :
par exemple,  ≡  (mod ), mais  =  ×  n’est pas
premier. Les anciens Chinois avaient donc raison d’affirmer
que n doit diviser  n –  lorsque n est premier, mais ils avaient
tort d’affirmer que si n divise n – , alors n doit toujours
être premier.
Compter des colliers
Pour vous offrir une brève diversion, nous pouvons éga-
lement déduire le petit théorème de Fermat en comptant les
colliers ! Un collier est un arrangement circulaire de perles de
couleur. Combien de colliers de couleurs différentes y a-t-il,
s’il y a p perles (où p est premier) et a couleurs disponibles,
et si nous utilisons au moins deux couleurs ?

 112 
 des cartes àlacryptographie 

En raison de la disposition circulaire des perles, chaque


collier peut être compté de p façons, selon l’endroit où l’on
commence : par exemple, le collier de la Figure  est issu
de cinq chaînes de perles différentes,
RBRRJ, BRRJR, RRJRB, RJRBR, JRBRR,
où R, B et J représentent le rouge, le bleu et le jaune.

J B

R R

Fig. 28  Collier avec cinq perles.

Combien de colliers différents peut-il y avoir ? Puisqu’il y a


p perles allant jusqu’à a couleurs, il y a ap colliers de perles
possibles, ou ap – a colliers si l’on exclut les a colliers d’une
seule couleur (tels que RRRRR) qui ne peuvent être colo-
rés que d’une seule façon. Mais chaque collier est issu de p
chaînes différentes, et le nombre de colliers différents est
donc (a p – a) / p. Comme il doit s’agir d’un nombre entier,
ap – a doit être divisible par p, c’est-à-dire a p ≡ a (mod p), ce
qui est le petit théorème de Fermat.
Le mélange de cartes
Une application amusante du résultat de Fermat concerne
le mélange des cartes (parfois appelé « mélange Faro »). Par-
tant d’un jeu de cartes normal, nous le coupons d’abord en
deux piles, de sorte que les cartes d’une pile soient en posi-
tion  à  et que celles de l’autre pile soient en position 
à . Nous mélangeons maintenant les cartes de façon que
les cartes des positions , , , …,  soient déplacées vers
les positions , , , …, , et les cartes des positions , ,

 113 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

, …,  soient déplacées aux positions , , , …, , ce qui


donne le nouvel ordre , , , , , , , , …, , , ,
 (cf. la Figure ). Il s’ensuit – comme on peut facilement le
vérifier – que pour chaque a, la carte initialement en position
a est passée à la nouvelle position a (mod ).
1 27
2 1 27 1
3 2 28 28
3 29 2
50
51 51
25 51
52 25
26 52
52
26
Fig. 29  Comment mélanger les cartes.

Combien de mélanges sont nécessaires pour remettre le


paquet de cartes dans son ordre initial ? Après n mélanges,
la carte initialement en position a est passée en position
n a (mod ), donc après que le paquet ait été remis dans
son ordre initial, n a ≡ a (mod ) pour tous les nombres a.
Or, le PGCD (a, ) = , on peut donc annuler le a, ce qui nous
donne  n ≡  (mod ). Mais en appliquant le petit théorème
de Fermat,  ≡  (mod ), donc le paquet est certainement
rétabli dans son ordre initial après  mélanges.
Mais cela peut-il se produire plus tôt ? Si c’est le cas, le
nombre de battages doit être un facteur de , d’après notre
remarque suivant la première affirmation du résultat de Fer-
mat – c’est-à-dire soit le , ,  ou le . Mais, après quelques
calculs, nous trouvons que
  ≡  (mod ),  ≡  (mod ),
  ≡  (mod ), et
  ≡  (mod ).

 114 
 des cartes àlacryptographie 

Aucune d’entre elles ne fonctionne, l’ordre des cartes est donc


rétabli pour la première fois après  mélanges.
Que se passe-t-il si nous ajoutons maintenant les deux jokers
au paquet, ce qui fait  cartes au total ? En effectuant une
analyse similaire, nous cherchons la plus petite valeur de
n pour laquelle  n ≡  (mod ). Or,  =  ×  n’est pas
premier, et nous ne pouvons plus appliquer directement le
résultat de Fermat. Mais le petit théorème de Fermat nous
dit que  ≡  (mod ), et donc  = ()  ≡  ≡  (mod ).
Il nous indique également que  ≡  (mod ), et donc
  ≡  ≡  (mod ). En combinant ces résultats (ce que
l’on peut faire, car le PGCD (, ) = ), on en déduit que
 ≡  (mod ), et donc que l’ordre des cartes est certaine-
ment rétabli après  mélanges.
Cela peut-il se produire plus tôt ? Si oui, le nombre de
mélanges doit être un facteur de , c’est-à-dire soit le ,
,  ou le . Mais,
 ≡  (mod ),   ≡  (mod ),  ≡  (mod ),
 ≡  (mod ).
Aucune d’entre elles ne fonctionnant, l’ordre des cartes est
rétabli pour la première fois après  mélanges.

LA GÉNÉRALISATION DU PETIT THÉORÈME


DEFERMAT
Nous avons présenté le petit théorème de Fermat, selon
lequel si p est un nombre premier et a est un entier quelconque
qui n’est pas divisible par p, alors ap –  ≡  (mod p). Mais que se
passe-t-il si p est remplacé par un nombre composé ? Le résul-
tat de Fermat est-il toujours vrai, et s’il ne l’est pas, peut-on
l’adapter pour qu’il tienne dans ce cas plus général ?
Pour montrer que le résultat de Fermat peut échouer lorsque le
modulo n’est pas premier, examinons les congruences (mod ),

 115 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

et prenons a =  ( et  étant premiers entre eux). Alors


–  =  =  , ce qui n’est pas congru à  (mod ).
La fonction j d’Euler
Avant de répondre à ces questions, nous devons d’abord
présenter l’indicatrice d’Euler, aussi appelée la fonction phi ;
le choix de la lettre grecque j (phi) pour la désigner a été fait
par Gauss en . Nous la définissons comme suit :
Pour chaque entier positif n, soit j(n) le nombre d’entiers
positifs jusqu’à n qui sont premiers avec n – c’est-à-dire
le nombre d’entiers positifs a (≤ n) pour lesquels le
PGCD (a, n) = .
Par exemple, j() = , car les nombres (jusqu’à ) qui sont
premiers avec  sont , ,  et  ; de même, j() = , où les
entiers concernés sont , , , , , ,  et . Un tableau
des valeurs de j(n) pour n ≤  figure dans le Tableau  :

Tableau 5  Valeurs de j(n), pour n ≤ 20.


n 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
j(n) 1 1 2 2 4 2 6 4 6 4

n 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
j(n) 10 4 12 6 8 8 16 6 18 8

Il y a plusieurs choses à noter ici. Tout d’abord, si p est un


nombre premier, alors j(p) = p – , car tous les nombres
jusqu’à p sont premiers avec p, sauf p lui-même.
De même, j(p) = p – p, parce que tous les nombres jusqu’à p sont
comptés, sauf les multiples de p : par exemple, j() =  –  = ,
parce qu’on compte tous les nombres jusqu’à  sauf ,  et .
De même, pour toute puissance pe,
j(p e ) = pe – p e – .

 116 
 des cartes àlacryptographie 

Par exemple,
j() = j () =  –  = .
De plus, si p et q sont des nombres premiers différents, alors
j(pq) = pq – p – q +  = (p – ) × (q – ) = j(p) × j(q),
car nous devons écarter les p multiples de q et les q multiples
de p, puis rétablir le nombre pq (que nous avions écarté deux
fois). Nous aurons besoin de ce résultat plus tard.
Plus généralement, si n = ab, où a et b sont premiers, alors
j(n) = j(a) × j(b) : par exemple, le PGCD (, ) = , et donc
j() = j ( × ) = j () × j ( )
= ( – ) × ( – ) =  ×  = .
Cette idée multiplicative est valable en général : si n est un
produit quelconque de nombres qui sont premiers entre eux,
pris deux à deux, alors j(n) est le produit des valeurs j des
nombres séparés : par exemple, si
n =   =  ×   ×  , alors
j(n) = j ( ) × j ( ) × j ( )
= (  – ) × ( – ) × (  – )
=  ×  ×  =  .
On peut aussi réécrire ce produit sous la forme
 ×  ×  × ( − ) × ( − ) × ( − )
ou
 ×  ×  × ( − /) × ( − /) × ( − /),
ces deux formes étant utiles. En général, si le nombre n s’écrit
sous forme canonique comme un produit de nombres pre-
miers – c’est-à-dire si
n = p1e1 × p2e2 × … × p rer , alors
(n)
ℵℵℵℵ (p e11 ) (p e22 ) (prer )
= p1e1 − 1 × p2e2 − 1 × … × prer − 1
× ( p1 − 1) × ( p2 − 1) × … × ( pr − 1) .

 117 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

qui peut s’écrire également sous la forme :


j(n) = p1e1 × p2e2 × … × prer × (1 − 1 / p1 ) × (1 − 1 / p2 )
× …×(1 − 1 / pr )
= n × (1 − 1 / p 1) × (1 − 1 / p 2) × …×(1 − 1 / p r ).
Par exemple,  a les facteurs premiers  et , et donc
j() =  × ( – /) × ( – /) =  × / × / = ,
comme nous l’avons vu précédemment.
Ces formules peuvent être utilisées pour le calcul, et aussi
pour prouver certains résultats généraux sur j(n). Par
exemple, on peut prouver que
si n ≥ , alors j(n) est pair,
comme l’indique notre tableau des j-valeurs. En effet, soit
n est une puissance de  (plus grand que ), soit il a un
facteur premier impair p. Dans le premier cas, si n = k, où
k ≥ , alors j(n) = k – , qui est pair. Dans le second cas, la
formule de j(n) doit inclure le facteur p –  qui est pair, et
donc j(n) est pair.
Mais certains nombres pairs ne peuvent jamais apparaître
comme des valeurs j : par exemple, notre tableau comprend
les nombres pairs , , , , , ,  et , mais pas le
. Pour comprendre ceci, supposons que j(n) = . Main-
tenant, si n a un facteur premier p, alors p –  doit diviser
, et cela ne peut se produire que si p vaut  ou . Donc n
doit être r, ou s, ou r × s, pour certains nombres r et s,
et donc j(n) =r –  ou  × s – , ou r × s –  respectivement.
Mais aucun de ces nombres n’a  comme facteur, et donc
j(n) ne peut pas être .
La fonction j d’Euler présente d’intéressantes propriétés.
Par exemple, qu’obtenons-nous si l’on donne un nombre n
et que l’on additionne les valeurs j de tous ses facteurs ? Si
n = , alors ses facteurs sont , ,  et , et leur somme est
j() + j() + j() + j() =  +  +  +  = .

 118 
 des cartes àlacryptographie 

Plus généralement, il s’avère que si l’on additionne les


j-valeurs des facteurs d’un nombre quelconque n, alors on
obtient n.
Le théorème d’Euler
Nous allons à présent revenir au problème qui consiste à
étendre le petit théorème de Fermat relatif aux puissances
d’un nombre (mod p), aux puissances d’un nombre (mod n),
où n peut être composé. Lorsque nous avons présenté précé-
demment le résultat de Fermat, nous avons commencé par
examiner les puissances de certains nombres (mod ). Nous
allons maintenant réitérer le même processus, en examinant
les premières puissances de certains nombres (mod )
 ≡ ,  ≡ ,  ≡ ,  ≡ ,  ≡ ,  ≡  (mod ),
 ≡ ,  ≡ ,  ≡ ,  ≡ ,  ≡ ,  ≡  (mod ),
 ≡ ,  ≡ ,  ≡ ,  ≡ ,  ≡ ,  ≡  (mod ),
 ≡ ,  ≡ ,  ≡ ,  ≡ ,  ≡ ,  ≡  (mod ).
Il s’avère qu’en dehors des puissances de ,  et , chaque
e puissance est égale à .
Or,  = j(), et on peut résumer cela en énonçant que
Si a et  sont premiers entre eux, alors aj() ≡  (mod ).
Ce résultat est un cas particulier du résultat que nous cher-
chions :
Le théorème d’Euler : Si n est un entier positif, et si a
est un entier quelconque avec le PGCD (a, n) = , alors
aj(n) ≡  (mod n).
Par exemple, si n =  et a = , alors j() =  et le PGCD
(, ) =  ; nous en déduisons que  ≡  (mod ), ce qui
est correct puisque
 =    = ( ×   ) + .
Pour voir pourquoi le théorème d’Euler est valable, réité-
rons ce que nous avons fait précédemment et examinons

 119 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

les premiers multiples positifs des nombres premiers avec


 – c’est-à-dire , , , ,  et  – et réduisons-les (mod ).
En multipliant ces nombres par , on obtient , , , , , ,
et en les réduisant (mod ), on obtient , , , , , . De même,
en les multipliant par , on obtient , , , , , , et en
les réduisant (mod ), on obtient , , , , , . Dans chaque
cas, on obtient un réarrangement des nombres , , , ,  et .
Pour prouver le théorème d’Euler dans ce cas, nous allons imi-
ter la preuve du petit théorème de Fermat. En multipliant les
nombres , , , ,  et  par a (où le PGCD (a, ) = ), on obtient
a, a, a, a, a et a, et en les réduisant (mod ), on obtient ,
, , ,  et , mais cela peut-être se présente dans un ordre dif-
férent. Ainsi, en les multipliant tous ensemble, nous obtenons
a × a × a × a × a × a =  ×  ×  ×  ×  ×  (mod ).
En annulant les nombres , , , ,  et  (qui sont tous
premiers avec ), on obtient a =  (mod ), comme nous
l’avons vu plus haut.
La preuve générale est similaire. Nous commençons par énu-
mérer les j(n) nombres jusqu’à n qui sont premiers avec n
– nous les appellerons b, b , …, bk, où k = j(n). Nous les multi-
plions ensuite par a, pour obtenir les multiples ba, b a …, b ka,
et on les réduit (mod n). Les résultats seront tous différents,
et doivent donc être b , b, …, b k dans un certain ordre.
En multipliant ces multiples de a ensemble et en égalisant
les deux produits, comme ci-dessus, on obtient
aj(n) × b × b × … × bk ≡ b × b × … × bk (mod n).
Annuler les termes b , b , …, bk (qui sont tous premiers avec
n) donne alors
aj(n) ≡  (mod n), CQFD.
Nous concluons cette section en remarquant que si n est
un nombre premier p, alors j(n) = p – , et on obtient
ap–  ≡  (mod p), ce qui est donc le petit théorème de Fermat.

 120 
 des cartes àlacryptographie 

LA FACTORISATION DE GRANDS NOMBRES


Avant de voir comment le théorème d’Euler a fait son appa-
rition en cryptographie, examinons brièvement le sujet d’une
tentative de factorisation d’un nombre en nombres premiers.
De nombreux processus de la vie réelle sont irréversibles :
par exemple, il est facile d’extraire du dentifrice d’un tube
mais difficile d’inverser l’opération, et il est facile de casser
un œuf mais impossible de le « recoller ».
Un autre exemple est la factorisation des grands nombres. Il
est généralement simple de multiplier deux nombres premiers
ensemble, mais si produit nous est donné, il est souvent plus
difficile de le factoriser en ses deux premiers constituants : par
exemple, nous pouvons facilement multiplier  et  pour
obtenir  , mais si l’on nous donne le nombre  , cela
peut nous prendre un certain temps pour trouver ses facteurs
à la main. Si les nombres premiers sont grands –par exemple,
avec  chiffres– leur produit peut facilement être calculé
par une machine, mais aucun ordinateur actuel ne peut fac-
toriser leur produit de  chiffres en un temps raisonnable.
Une méthode traditionnelle pour tester si un nombre donné
n est premier est due à Fermat et fonctionne particulière-
ment bien lorsque n est le produit de deux nombres proches
l’un de l’autre. Cette méthode est basée sur le fait que
si n = a – b  = (a + b) (a – b), alors a – n = b .
Pour appliquer la méthode de Fermat, on commence par
identifier le plus petit entier m qui est √n ou plus grand, et
on calcule les nombres
m − n, (m + ) − n, (m + ) − n, et ainsi de suite,
jusqu’à ce que nous obtenions un carré. Ensuite, si
m + k) − n = b (par exemple), nous avons
n = (m + k) − b  = (m + k + b) × (m + k − b),
ce qui nous donne une factorisation.

 121 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Par exemple, si n =  , nous vérifions que √  = ,


…, et donc on prend m = . Alors :
 –   =  (qui n’est pas un carré)
 –   =  (qui n’est pas un carré)
 –   =  (qui n’est pas un carré)
 –   =  (le carré de ).
Donc,   =  −  = ( + ) × ( – ) =  × .
Fermat a utilisé sa méthode pour factoriser le nombre
n =    .
Constatant que √n =    …, il prit m = , et
calcula comme suit :
  − n =  ,    − n =  ,
  − n =  ,    − n =  ,
  − n =      − n =  ,
  − n =  ,   − n =  ,
   − n =  ,    − n =  ,
   − n =  ,   − n =   .
Or,    =  et donc
n =    −  = (  +  ) × (  –  )
=   ×  ,
ce qui lui donne une factorisation.
L’approche de Fermat en matière de factorisation est à la base
de plusieurs méthodes plus sophistiquées de factorisation
des grands nombres. L’une d’entre elles s’appelle la méthode
du crible quadratique qui recherche parmi les différences
ci-dessus quelques nombres dont le produit est un carré,
plutôt que d’être simplement lui-même un carré. Une autre
méthode, due à Euler et basée sur une idée de Mersenne,
a conduit à la factorisation    =   × . De
nombreuses autres méthodes ont été décrites, mais aucun
algorithme efficace n’a jamais été découvert à ce jour.

 122 
 des cartes àlacryptographie 

LA CRYPTOGRAPHIE À CLÉ PUBLIQUE RSA


Nous venons de voir que la multiplication de deux nombres
premiers est relativement simple, mais que la factorisation
d’un grand nombre en ses facteurs premiers peut être extrê-
mement difficile. C’est à partir de ce processus asymétrique
qu’une méthode de cryptage secret des messages a été imagi-
née. Proposée en  par Clifford Cocks, membre de l’unité
secrète de décryptage de la Seconde Guerre mondiale instal-
lée à Bletchley Park, en Angleterre mais elle est restée confi-
dentielle jusqu’en . Redécouverte indépendamment en
 par Ron Rivest, Adi Shamir et Leonard Adleman, elle
est désormais connue sous le nom de chiffrement RSA (leurs
initiales). C’est essentiellement cette méthode qui est utilisée
pour préserver les informations des services de renseigne-
ment, et elle nous fournit un excellent exemple de la manière
dont des résultats en mathématiques pures qui ont été étu-
diés pour leur propre intérêt (comme le théorème d’Euler)
peuvent ensuite être appliqués de manière inattendue dans
des situations très pratiques.
Supposons qu’Alice souhaite envoyer un message très secret
à Bob, de telle sorte qu’aucune personne susceptible de l’in-
tercepter ne puisse le déchiffrer. Bob choisit d’abord deux
grands nombres premiers, p et q, et calcule leur produit,
N = pq. Il choisit également un nombre e qui est premier
avec j(N) – c’est-à-dire que
PGCD (e, (p – ) (q – )) = .
Bob annonce alors publiquement les nombres e et N, mais
il ne divulgue pas les facteurs de N, p et q. Les nombres e
et N constituent la clé publique connue de tous, tandis que
Bob reste la seule personne à connaître p et q, et donc j(N).
Alice peut maintenant envoyer son message secret. Elle le
convertit d’abord en une forme numérique – par exemple,

 123 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

en écrivant A = , B = , … et appelle le message résultant


M. Connaissant les nombres e et N, elle peut alors calculer le
nombre E ≡ Me (mod N) et l’envoyer à Bob, la seule personne
capable de le déchiffrer. Mais comment peut-il le faire ?
Pour récupérer M, Bob calcule d’abord un nombre m pour
lequel me ≡  (mod j(N)). Pour cela, il peut utiliser l’algo-
rithme d’Euclide du Chapitre  : comme PGCD (e, j(N)) = ,
il peut trouver des entiers m et n pour lesquels
 = (m × e) + (n × j(N)), et donc me ≡  (mod j(N)).
Puis, à la réception du message chiffré E et connaissant m,
il calcule
E m ≡ (M e )m ≡ Mme ≡ M − nj(N) ≡ M × M− nj(N) (mod N).
Mais, par le théorème d’Euler, Mj(N) ≡  (mod N), et donc
M− nj(N) ≡ − n ≡  (mod N). E m ≡ M (mod N), et donc tout ce
que Bob doit faire est de calculer Em (mod N) afin de récu-
pérer le message original M d’Alice.
À titre d’exemple des calculs nécessaires, supposons que la
clé publique soit constituée des nombres e =  et N =  .
Bob sait que   =  × , il peut donc calculer
j(N) = j() × j() =  ×  =  , et vérifier que
PGCD (e, j(N)) = PGCD (,  ) = , comme requis.
La congruence me ≡  (mod j(N)) devient maintenant
m ≡  (mod  ). En utilisant l’algorithme d’Euclide,
Bob trouve que
 = ( × ) – ( ×  ), donc que
 ×  ≡  (mod  ).
Il prend donc m = .
Ayant reçu le message codé d’Alice sous la forme E, Bob
calcule maintenant E (mod  ), et récupère ainsi son
message original.

 124 
7
Conjectures et théorèmes

Dans ce chapitre, nous allons explorer d’autres sujets


liés aux nombres premiers. Pour commencer, je propose de
réexaminer deux problèmes déjà abordés au Chapitre  et qui
traitent des sommes de nombres premiers et des nombres
premiers jumeaux, puis nous étudierons la distribution des
nombres premiers. Nous nous intéresserons ensuite aux
listes de nombres premiers équidistants et à une exploration
plus approfondie de la factorisation unique. Ce chapitre pré-
sente plusieurs des résultats les plus profonds de la théorie
des nombres, et inclut quelques exemples de travaux récents
dans ce domaine.

DEUX CÉLÈBRES CONJECTURES


Dans cette section, nous analysons deux conjectures rela-
tives aux nombres premiers qui sont très faciles à énoncer
mais qui, en fait, n’ont encore jamais été démontrées for-
mellement. Leur difficulté intrinsèque est liée au fait qu’elles
impliquent des opérations d’addition ou de la soustraction,
alors que les nombres premiers sont principalement concer-
nés par la multiplication.

 125 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

La conjecture de Goldbach
Le  juin , le mathématicien allemand Christian
Goldbach adressé une lettre à Euler concernant l’écriture
des nombres sous la forme de sommes de nombres premiers.
Cette lettre contenait une affirmation connue aujourd’hui
sous le nom de « conjecture de Goldbach », mais qu’Euler
décrivait comme « un théorème tout à fait certain, bien que
je ne puisse pas le prouver » :
La conjecture de Goldbach : Tout nombre pair supérieur
à  peut être écrit comme la somme de deux nombres
premiers.
Dans le Chapitre , vous en avez vu plusieurs exemples,
d’autres sont  =  +  et   =  + .
On sait maintenant que la conjecture de Goldbach est vraie
pour tous les nombres pairs jusqu’à  ×  , et trouver un
contre-exemple semble donc extrêmement improbable.
Une avancée majeure dans la résolution de la conjecture de
Goldbach a été réalisée en  par le mathématicien chinois
Chen Jingrun, qui a démontré que chaque nombre pair
supérieur à  peut être écrit comme la somme d’un nombre
premier et d’un « presque premier », c’est-à-dire un autre
nombre qui est soit un nombre premier, soit un nombre avec
seulement deux facteurs premiers. Ses travaux ont fait appel
à des méthodes de criblage systématique, un domaine de la
théorie des nombres dont les origines remontent au crible
d’Eratosthène que nous avons vu au Chapitre .
Un résultat qui semble lié à la conjecture de Goldbach avait
déjà été démontré quelques années auparavant, en ,
par le mathématicien russe Ivan Matveevich Vinogradov
qui avance :
À partir d’un certain moment, tout nombre impair peut
être écrit comme la somme de trois nombres premiers.

 126 
 conjectures et théorèmes 

Ici, l’expression « à partir d’un certain moment » pourrait


sembler indiquer qu’il ne reste qu’un petit nombre de cas à
vérifier – ce qui est une tâche finie qui pourrait être rapide-
ment effectuée à la main ou par ordinateur. Mais en pratique,
le point à partir duquel le résultat avait été démontré « vrai »
était énorme, avec des millions de chiffres, et la vérifica-
tion des cas restants dépassait largement la capacité de tous
les ordinateurs existants. Cependant, en , et après de
nombreux autres travaux théoriques menés par plusieurs
personnes, le mathématicien péruvien Harald Helfgott (tra-
vaillant en France, avec l’aide informatique du théoricien
des nombres britannique Dave Platt) a réussi à réduire, et
finalement à éliminer, l’énorme fossé qui sépare le résultat
entre ce qui avait été prouvé pour les grands nombres et ce
qui était déjà connu pour les petits nombres, donnant le
résultat suivant :
Tout nombre impair supérieur à  peut s’écrire comme la
somme de trois nombres premiers.
Quel lien peut-il y avoir avec la conjecture de Goldbach ?
Eh bien, si la conjecture de Goldbach est vraie, alors tout
nombre pair (≥ ) est la somme de deux nombres premiers
p et q au plus, et l’ajout de  nous indique que tout nombre
impair (≥ ) est la somme de trois nombres premiers (p, q
et ) au plus.
Mais malheureusement, l’argument ne fonctionne pas dans
l’autre sens : la réussite de Helfgott ne donne pas une preuve
de la conjecture de Goldbach, mais elle en fournit un format
plus faible. En effet, si n est un nombre pair supérieur à ,
alors n –  peut être écrit comme la somme de trois nombres
premiers. De plus,  =  +  +  + , et donc :
Tout nombre pair supérieur à  peut s’écrire comme la
somme de quatre nombres premiers.

 127 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

La conjecture des nombres premiers jumeaux


La deuxième conjecture concerne les nombres premiers
jumeaux qui, comme nous l’avons vu au Chapitre , sont des
paires de nombres premiers qui diffèrent d’une valeur de .
Jusqu’à , les nombres premiers jumeaux sont
 et ,  et ,  et ,  et ,  et ,  et ,  et
,  et .
Il existe trente-cinq paires de nombres premiers jumeaux
jusqu’à mille, plus de huit mille paires jusqu’à un million et
plus de trois millions de paires jusqu’à un milliard. La plus
grande paire connue compte plus de cinquante mille chiffres !
En , la conjecture suivante a été formulée par le théori-
cien français des nombres Alphonse de Polignac :
La conjecture des nombres premiers jumeaux : Il existe une
infinité de paires de nombres premiers jumeaux.
Pendant de nombreuses années, les théoriciens des nombres
ont essayé de la prouver, mais sans grand succès. Puis, en
, et associé à ses travaux sur la conjecture de Goldbach,
Chen Jingrun a utilisé des méthodes de criblage pour prouver
qu’il existe une infinité de nombres premiers p pour lesquels
p +  est soit un nombre premier, soit un nombre presque
premier.
Parmi d’autres recherches plus récentes, on a prouvé que la
conjecture des nombres premiers jumeaux est vraie si l’on
peut supposer certains résultats supplémentaires. Puis, de
manière soudaine et inattendue, une percée majeure a été
réalisée en juin  par le mathématicien américain d’ori-
gine chinoise Yitang Zhang. En utilisant certains de ces tra-
vaux antérieurs, mais sans avoir besoin de supposer d’autres
résultats, il a démontré qu’une infinité de paires de nombres
premiers diffèrent d’au plus  millions. On est très loin du
résultat souhaité, avec  millions au lieu de , mais c’était

 128 
 conjectures et théorèmes 

le premier résultat de ce type et il a créé toute un « artisa-


nat » de mathématiciens cherchant à réduire l’écart à quelque
chose de plus gérable.
Dans un premier temps, l’écart est passé de  millions à
environ  millions, puis quelque chose d’assez remarquable
s’est produit. Les mathématiciens ont l’habitude de rédiger
leurs travaux de recherche et de les publier sous une forme
soignée dans des revues, un processus qui peut prendre un an
ou plus : cela signifie qu’il peut s’écouler beaucoup de temps
avant que leurs résultats ne soient largement connus. Mais
depuis  environ, plusieurs mathématiciens –notam-
ment Tim Gowers de Cambridge et Terry Tao de Los Ange-
les– ont proposé une approche plus collaborative, connue
sous le nom de Polymath Project, dans lequel des contribu-
teurs du monde entier pourraient travailler publiquement
sur des problèmes en mettant en commun leurs idées, en
ajoutant des commentaires et suggérant des améliorations.
Les progrès pourraient ainsi être réalisés et partagés à un
rythme beaucoup plus rapide, tandis que les contributeurs
individuels recevraient toujours le crédit nécessaire pour
leurs idées.
En juin , Tao a lancé Polymath, un projet intitulé
« Bounded gaps between primes » [Écarts bornés entre
nombres premiers], dans lequel les contributeurs étaient
invités à améliorer le résultat de Zhang. En l’espace de
quelques semaines, grâce aux contributions de nombreuses
personnes, l’écart est passé de  millions à  , puis à
environ  , et un mois plus tard à  .
Cette période a été suivie d’une accalmie, et de nouvelles
idées étaient nécessaires. À ce moment-là, James Maynard,
qui avait obtenu son doctorat à Oxford et se trouvait alors
à Montréal, est apparu sur la scène avec une approche dif-
férente, découverte indépendamment également par Tao.

 129 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Àlafin de , Maynard avait réduit l’écart à  et, comme


il l’a écrit à l’époque :
« J’ai été surpris par le temps que j’ai fini par consacrer au
projet Polymath. C’était en partie parce que la nature du pro-
jet était si convaincante – il y avait des mesures numériques
claires du « progrès » et toujours plusieurs façons possibles
d’obtenir une petite amélioration, ce qui était continuelle-
ment encourageant. L’enthousiasme général des participants
(et d’autres personnes extérieures au projet) m’a également
encouragé à m’impliquer de plus en plus dans le projet ».
Au moment où j’écris ces lignes, l’écart actuel est de . C’est
une amélioration monumentale par rapport aux  millions
aux débuts, mais il reste encore beaucoup de chemin à par-
courir avant que la conjecture des nombres premiers jumeaux
cesse définitivement de nous hanter.

LA DISTRIBUTION DES NOMBRES PREMIERS


Comment les nombres premiers sont-ils répartis ? Bien
que leur nombre semble s’espacer au fur et à mesure que
l’on avance dans la liste, ils ne semblent pas être répartis
de manière régulière. Par exemple, les cent nombres juste
en dessous de  millions comprennent neuf nombres pre-
miers :
  ,   ,   ,   ,
  ,   ,   ,   
et   ,
alors que les cent nombres juste au-dessus n’en comprennent
que deux :
   et   .
Mais bien que les nombres premiers jumeaux semblent
apparaître partout où nous allons, nous pouvons également

 130 
 conjectures et théorèmes 

construire des chaînes de nombres arbitrairement longues


qui ne sont pas premiers. Pour ce faire, nous utiliserons les
nombres factoriels n! définis comme suit
! = , ! =  ×  = ,
! =  ×  ×  = , ! =  ×  ×  ×  = ,
et en général,
n! = n × (n – ) × (n – ) × … ×  ×  × .
Or, comme le nombre n! est divisible par tous les nombres
de  à n, on voit que :
 divise n! + ,  divise n! + ,  divise n!, … et n divise
n! + n,
et donc les nombres
n! + , n! + , n! + , …, n! + (n – ), n! + n
sont tous composés, ce qui nous donne une chaîne de n – 
nombres composés.
Un autre exemple est :
n! – n, n! – (n – ), …, n! – , n! – .
Ainsi, par exemple, deux chaînes de   nombres composés
successifs sont
 ! + ,  ! + , …,  ! +  ,
 ! +  
et
 ! –  ,  ! –  , …,  ! – , 
! – .
Le théorème des nombres premiers
Lors de sa conférence inaugurale en tant que professeur
à l’université de Bonn en , l’éminent théoricien des
nombres Don Zagier a fait la remarque suivante :
« Il y a deux faits dont j’espère vous convaincre de manière
si écrasante qu’ils seront gravés à jamais dans vos cœurs.

 131 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Le premier est que les nombres premiers font partie des


objets les plus arbitraires étudiés par les mathématiciens :
ils poussent comme des mauvaises herbes, ne semblant
obéir à aucune autre loi que celle du hasard, et personne
ne peut prédire où poussera le prochain.
Le second fait est encore plus étonnant, car il affirme le
contraire : les nombres premiers présentent une régularité
étonnante, il existe des lois qui régissent leur comporte-
ment, et ils obéissent à ces lois avec une précision quasi
militaire ».
Pour voir ce qu’il entendait par là, nous allons introduire la
fonction de comptage des nombres premiers p(x), qui compte
le nombre de nombres premiers jusqu’à un nombre x quel-
conque. (Cette utilisation de la lettre grecque p (pi) n’a rien
à voir avec le nombre circulaire p). Ainsi, p() = , car il y a
exactement quatre nombres premiers (, ,  et ) jusqu’à ,
et p() = , car il y a quatre autres nombres premiers (,
,  et ). En continuant, nous trouvons que p() = ,
p( ) = , et p( ) =  .
Si nous reportons sur un graphique les valeurs des nombres
premiers jusqu’à , nous obtenons un modèle en dents de
scie : chaque nouveau nombre premier crée un saut (cf.la
Figure ). Mais si nous prenons du recul et que nous obser-
vons les nombres premiers jusqu’à  , nous obtenons
une belle courbe lisse – les nombres premiers semblent en
effet augmenter très régulièrement.
Nous pouvons décrire plus précisément cette régularité
générale en comparant les valeurs de x et de p(x) lorsque x
augmente. Nous obtenons le tableau suivant. Le tableau 
énumère x, p(x), et leur rapport x/p(x) (à une décimale près).
Ainsi, jusqu’à , un quart des nombres sont premiers,
jusqu’à  , environ un sixième d’entre eux sont des
nombres premiers, et ainsi de suite. Nous pouvons exprimer

 132 
 conjectures et théorèmes 

plus précisément cet « éclaircissement » en notant que


chaque fois que x est multiplié par , le rapport x/p(x)
semble augmenter d’environ ,.
y
25

20

15

10

x
20 40 60 80 100

8 000

6 000

4 000

2 000

x
20 000 40 000 60 000 80 000 100 000
Fig. 30  La distribution des nombres premiers.

Ce nombre , s’avère être le logarithme naturel de . Mais,


qu’entendons-nous exactement par « logarithme naturel » ?
La fonction logarithmique, introduite au début des années
, est un outil mathématique permettant de transfor-
mer des problèmes de multiplication en problèmes d’addi-
tion plus simples, en utilisant la règle de base suivante :
log (a × b) = log a + log b, pour tout nombres positifs a et b,

 133 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Tableau 6.  x, p(x), et x/p(x), quand x est une puissance de 10.

x j(x) x/j(x)
10 4 2,5
100 25 4,0
1000 168 6,0
10 000 1 229 8,1
100 000 9 592 10,4
1 000 000 78 498 12,7
10 000 000 664 579 15,0
100 000 000 5 761 455 17,4
… … …

Il existe en fait plusieurs fonctions logarithmiques diffé-


rentes, mais celle qui nous intéresse ici est le logarithme
naturel. Il a la propriété que log e = , où e est un nombre
important qui vaut environ ,. Ce nombre apparaît
dans toutes les mathématiques et est lié à la croissance
exponentielle. Le graphique du logarithme naturel, y = log
x (parfois écrit ln x), est illustré à la Figure .
y
2

0 1 2 e3 4 5 6 7 8 x

–1

–2

Fig. 31  Graphique du logarithme naturel.

 134 
 conjectures et théorèmes 

Parce que le logarithme naturel x transforme la multiplica-


tion en addition, et, en particulier,
log (x) = log x + log  = log x + , (approximativement),
nous pouvons expliquer le phénomène illustré dans le tableau
de valeurs ci-dessus en énonçant que, lorsque x augmente,
p(x) se comporte plutôt comme x/log x – ou, plus précisé-
ment, que leur rapport s’approche de  lorsque x devient
grand. La Figure  montre la similitude entre les graphiques
de p(x) et de x/log x.
y
5 × 107 π(x)

x/log x
4 × 107

3 × 107

2 × 107

1 × 107

0 2 × 108 4 × 108 6 × 10 8 8 × 10 8 x

Fig. 32  Graphiques de p(x) et x/log x.

Gauss a deviné ce lien (et des approximations encore plus


proches) en expérimentant avec des nombres premiers à l’âge
de  ans. Mais elle n’a pas été prouvée avant , lorsque
Jacques Hadamard (France) et Charles de la Vallée Poussin
(Belgique) l’ont fait indépendamment, en utilisant des idées
sophistiquées issues d’un domaine du calcul appelé « ana-
lyse complexe ». Il est connu sous le nom de « théorème des
nombres premiers ».

 135 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

éorème des nombres premiers : Lorsque x augmente indé-


finiment, le rapport p(x)/(x/log x) tend vers .
Il a ensuite fallu attendre cinquante ans pour que le Norvé-
gien Atle Selberg et le Hongrois Paul Erdös découvrent une
preuve purement théorique des nombres – et comme Hada-
mard a vécu jusqu’à  ans, de la Vallée Poussin jusqu’à  ans
et Selberg jusqu’à  ans, il semble que la preuve du théorème
des nombres premiers favorise grandement la longévité !

LES NOMBRES PREMIERS DANS LES PROGRESSIONS


ARITHMÉTIQUES
Dans le Chapitre , nous avons présenté la preuve d’Euclide
qui démontre qu’il existe une infinité de nombres premiers,
et nous allons maintenant adapter ses idées pour en tirer des
informations plus précises. Rappelant que chaque nombre
a la forme q, q + , q + , ou q + , nous remarquons
que les nombres de la forme q et ceux de la forme q + 
(autres que ) ne peuvent pas être premiers, car ils sont pairs
et ont donc  comme facteur. Par contre, il existe de nom-
breux nombres premiers de la forme q +  et de nombreux
nombres premiers de la forme q +  :
nombres premiers de la forme q +  : , , , , ,
, , , , , , , …
nombres premiers de la forme q +  : , , , , , ,
, , , , , , , , …
En modifiant légèrement l’argument d’Euclide, nous pouvons
prouver qu’il existe une infinité de nombres premiers de la
forme q + . Pour ce faire, nous supposerons (pour intro-
duire une contradiction) qu’il n’existe qu’un nombre fini de
nombres premiers, p, p, …, p n, de cette forme (autres que
), mais cette fois nous considérerons le nombre
N =  × ( p  × p × … × pn) + ,

 136 
 conjectures et théorèmes 

qui a certainement la forme q + . Or, chacun de nos


nombres premiers divise le produit p × p × …. × pn , et ne
peut donc pas également diviser N.
Donc, soit N est un nouveau nombre premier de la forme
q + , soit c’est un nombre composé, auquel cas il doit se
diviser en de nouveaux nombres premiers. Mais ces nou-
veaux nombres premiers ne peuvent pas tous être de la forme
q + , car la multiplication de n’importe quel nombre de
cette forme en donne toujours un autre :
(k + ) × (l + ) = kl + k + l + 
=  × (kl + k + l) + .
Donc, au moins un des nouveaux nombres premiers doit
avoir la forme q + . Il s’ensuit dans les deux cas qu’il existe
un nombre premier de la forme q +  autre p , p, … et pn ,
et cette contradiction montre qu’il doit y avoir une infinité
de nombres premiers de cette forme.
Nous pouvons réitérer cette preuve pour montrer qu’il y a
une infinité de nombres premiers de la forme q + . Nous
supposons qu’il n’y a qu’un nombre fini de nombres premiers,
p, p , …, pn , de cette forme, mais cette fois nous considérons
le nombre
N =  × ( p , p , …, pn ) + ,
en remarquant que la multiplication de n’importe quel
nombre de la forme q +  en donne toujours un autre. On
en déduit qu’il existe une infinité de nombres premiers de
la forme q + .
Nous pouvons également adapter la preuve d’Euclide pour
en déduire qu’il existe une infinité de nombres premiers
de certaines autres formes. Mais nous ne pouvons pas uti-
liser cette approche pour prouver qu’il existe une infinité
de nombres premiers de la forme q + , car ces nombres
peuvent également être obtenus en multipliant uniquement

 137 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

des nombres de la forme q +  : par exemple,  =  × . De


même, nous ne pouvons pas adapter cette approche pour
prouver qu’il existe une infinité de nombres premiers de la
forme q + , car ces nombres peuvent être obtenus en mul-
tipliant uniquement des nombres de la forme q +  : par
exemple,  =  × .
Mais il existe effectivement une infinité de nombres pre-
miers de la forme q + , et nous pouvons le prouver en
rappelant ce que nous avons vu au Chapitre  : si –  est
un carré (mod p), alors p doit être un nombre premier de la
forme q + . En réalisant un raisonnement par l’absurde,
nous supposerons qu’il existe un nombre fini de nombres
premiers, p, p , …, pn, de la forme q + , et cette fois nous
considérerons le nombre
N =  × (p , p , …, pn) + ,
qui a certainement la forme q + . Comme précédemment,
aucun de nos nombres premiers p , p , …, pn ne peut diviser N,
donc N est soit un nouveau nombre premier, soit un produit
de nouveaux nombres premiers. Dans les deux cas, il existe
un nouveau nombre premier, que nous appellerons p, qui
divise N. Il s’ensuit que
 × ( p, p , …, p n)  +  ≡  (mod p),
 × (p, p , …, p n)  ≡ –  (mod p).
–  est un carré (mod p) et on en déduit que p est de la forme
q + . Cette contradiction prouve qu’il doit y avoir une infi-
nité de nombres premiers de la forme q + . Une preuve
similaire montre qu’il existe infiniment de nombres premiers
de la forme q + .
Ayant montré qu’il existe une infinité de nombres premiers
de ces formes, nous pouvons maintenant nous demander s’il
y a une infinité de nombres premiers de la forme aq + b, pour
n’importe quels nombres a et b donnés. Dans sa forme la plus
générale, la réponse à cette question est « non », car si a et

 138 
 conjectures et théorèmes 

b ont un facteur commun d supérieur à , alors d doit aussi


diviser tous les nombres de la forme aq + b. Par exemple, il n’y
a pas de nombres premiers de la forme la forme q +  (parce
que tous ces nombres ont  comme facteur) ou de la forme
q +  (parce que tous ces nombres ont  comme facteur).
Mais si a et b sont premiers entre eux, alors nous avons le
résultat suivant, conjecturé en  par Legendre et prouvé
en  par Lejeune Dirichlet.
Le théorème de Dirichlet : Si a et b sont des nombres don-
nés avec le PGCD (a, b) = , alors il existe une infinité de
nombres premiers de la forme aq + b, où q est un nombre
entier.
Par exemple, il existe une infinité de nombres premiers de
la forme q + , parce que le PGCD (, ) = , et il existe une
infinité de nombres premiers de la forme q + , parce que
le PGCD (, ) = . De plus, parce que le GCD (, ) = ,
il y a une infinité de nombres premiers de la forme q + ,
c’est-à-dire qu’il y a une infinité de nombres premiers avec
le chiffre final  ; de même, il y a une infinité de nombres
premiers avec le chiffre final ,  ou .
Une progression arithmétique avec le premier terme b et la
différence commune k est une séquence finie ou infinie de
nombres équidistants de la forme
b, b + k, b + k, b + k, …
Par exemple, la séquence de nombres :
, , , , 
est une progression arithmétique finie avec le premier terme
b =  et la différence commune k = , et la séquence
, , , , , , …
de nombres de la forme q +  est une progression arith-
métique infinie avec le premier terme b =  et la différence
commune k = .

 139 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Plus généralement, la suite des nombres de la forme aq + b


est une progression arithmétique infinie avec le premier
terme b et la différence commune a, et si le PGCD (a, b) = ,
alors une telle suite doit inclure une infinité de nombres
premiers, par le théorème de Dirichlet.
Inversons maintenant la question soulevée ci-dessus. La
suite
, , , , 
est une progression arithmétique de cinq nombres premiers
avec le premier terme  et la différence commune , mais
elle ne peut pas être étendue à une progression arithmétique
de six nombres premiers car le terme suivant est le nombre
composé  =  × . Un exemple de progression arithmé-
tique de six nombres premiers est
, , , , , .
De manière plus générale, nous pouvons nous demander :
La liste des nombres premiers contient-elle des progressions
arithmétiques de toute longueur n choisie ?
Comme nous venons de le voir, la réponse à cette question
est « oui » lorsque n =  et . Pour n = , la progression
arithmétique suivante, dont le premier terme est  et
la différence commune , est entièrement constituée de
nombres premiers :
, , , ,  ,  ,  ,  ,  ,
 .
De même, pour n = , la progression arithmétique avec le
premier terme      et la différence commune
     est entièrement constituée de nombres
premiers. Au moment de la rédaction du présent ouvrage,
les plus longues progressions arithmétiques de nombres
premiers connues contiennent  nombres premiers. Ben

 140 
 conjectures et théorèmes 

Green et Terry Tao ont répondu par l’affirmative à la question


générale en  :
Le théorème de Green-Tao : Pour tout nombre n, la liste des
nombres premiers contient une progression arithmétique
de n nombres premiers.

LA FACTORISATION UNIQUE
Au Chapitre , nous avons vu que la factorisation des
nombres entiers positifs en nombres premiers est unique,
à l’exception de l’ordre des facteurs – c’est une propriété
fondamentale de notre système de nombres. Mais ce n’est
pas le cas pour certains autres systèmes de nombres. Voici
deux exemples :
Exemple . Considérons uniquement les nombres pairs posi-
tifs (que nous appellerons nombres e),
, , , , , , , , …
et considérons la factorisation des nombres e en nombres e
plus petits. Nous appellerons un nombre e « e-composé » s’il
peut s’écrire comme un produit de nombres e plus petits, et
« e-premier » dans le cas contraire. Ainsi,  et  sont des
nombres e-composés parce que  =  ×  et  =  × , mais
 et  sont des nombres e-premiers parce qu’ils ne peuvent
pas être écrits comme produits de nombres e plus petits. Les
premiers nombres e-premiers sont
, , , , , , , , , , , ….
Mais dans ce système de nombres, la factorisation en
nombres e n’est pas unique : par exemple, ,  et  sont
tous des e-premiers, et le nombre e  peut être écrit sous
la forme  ×  ou  × .
Exemple  (dû à David Hilbert). Considérons uniquement les
nombres de la forme k +  (nombres h),
, , , , , , , , …,

 141 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

et considérons la factorisation des nombres h en nombres h


plus petits. Nous appellerons un nombre « h-composé » s’il
peut s’écrire comme un produit de nombres h plus petits, et
« h-premier » dans le cas contraire. Ainsi,  et  sont des
nombres h-composés parce que  =  ×  et  =  × , mais
 et  sont des nombres h-premiers parce qu’ils ne peuvent
pas être écrits comme produits de nombres h plus petits. Les
premiers nombres h-premiers sont
, , , , , , , , , , …
Mais dans ce système de numération, la factorisation en
nombres h-premiers n’est pas unique : par exemple, ,  et
 sont tous des nombres h-premiers, et le nombre h 
peut être écrit sous la forme  ×  ou  × .
Cependant, il existe certains systèmes de nombres, autres
que les nombres entiers positifs, pour lesquels la factorisa-
tion est unique. Nous en donnons deux exemples :
Exemple . Considérons les nombres de la forme a + b√,
où a et b sont des entiers (nombres-√). De tels nombres
comprennent  + √ et  + √, et nous pouvons effectuer
l’arithmétique ordinaire avec eux, en remplaçant (√) par-
tout où il se présente par  :
Addition : ( + √) + ( + √)
= ( + ) + ( + ) √ =  + √,
Multiplication : ( + √) × ( + √)
=  + ( + ) √ + (√) =  + √.
Dans ce système, on peut définir des nombres √-premiers et
√-composés : par exemple,  + √ est √-composé, car il
peut s’écrire ( + √) × ( + √). Il est moins facile de déci-
der quels sont les nombres √-premiers, mais cela peut être
fait, et nous pouvons prouver que tout nombre √ peut être
écrit comme un produit de nombres √-premiers d’une seule
manière, en dehors de l’ordre dans lequel ils apparaissent.

 142 
 conjectures et théorèmes 

Exemple . Ceci est similaire à l’exemple précédent, sauf que


nous remplaçons √ par i, la racine carrée (imaginaire) de – .
Ces nombres de la forme a + bi, où a et b sont des entiers,
ont été introduits par Gauss en , et sont connus sous le
nom d’entiers de Gauss. Ces nombres incluent  + i et  + i,
et nous pouvons effectuer des opérations arithmétiques avec
eux, en remplaçant i par –  chaque fois qu’il se présente :
par exemple,
Addition : ( + i) + ( + i)
= ( + ) + ( + )i =  + i,
Multiplication : ( + i) × ( + i)
=  + ( + )i + i  = –  + i.
Dans ce système, Gauss a défini les nombres premiers de
Gauss et les nombres composés de Gauss, et a prouvé que
chaque nombre entier de Gauss peut être écrit comme un
produit de nombres premiers de Gauss d’une seule manière,
indépendamment de l’ordre dans lequel les nombres pre-
miers de Gauss apparaissent.
Nous pouvons réitérer les idées des exemples  et  pour
explorer les nombres premiers et composés de la forme
a + b√n, où n est un nombre entier. Nous supposerons que
n est « sans carré », c’est-à-dire qu’il n’a pas de facteurs carrés
autres que , car nous pouvons simplement les supprimer :
par exemple, comme  =  ×  , nous pouvons remplacer
√ par √.
On a parfois une factorisation unique en nombres premiers,
comme c’est arrivé pour n =  et n = – , mais pas toujours.
Lorsque n est positif, on ne sait pas en général quand il y a
factorisation en nombres premiers d’une seule façon. Mais
lorsque n est négatif, nous pouvons donner une réponse com-
plète. Comme précédemment, nous n’obtenons pas toujours
une factorisation unique : par exemple, lorsque n = – , les

 143 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

nombres, , ,  + √– , et  – √–  jouent tous le rôle de


nombres premiers, et pourtant nous pouvons écrire
 =  ×  = ( + √– ) × ( – √– ),
donc la factorisation en nombres premiers n’est pas unique
dans ce cas.
Dans ses Disquisitiones Arithmeticae, Gauss a montré qu’il
existe une factorisation unique lorsque n = –  (les entiers
gaussiens), et pour quelques autres valeurs négatives sans
carré qu’il a énumérées. Il pensait que ces valeurs étaient les
seules, ce qui a été confirmé dans les années  et  par
plusieurs auteurs, dont Kurt Heegner (dont la preuve était
incomplète), Harold Stark (qui a fourni une preuve complète)
et Alan Baker (qui l’a démontrée indépendamment). Nous
concluons ce chapitre avec leur remarquable résultat :
Le théorème de Baker-Heegner-Stark : Pour les nombres de
la forme a + b√n, où n est négatif et sans carré, la factori-
sation en nombres premiers est unique si et seulement si
n = – , – , – , – , – , – , – , –  ou – .

 144 
8
Comment gagner
unmillion de dollars ?

En l’an , le Clay Mathematics Institute a offert un


prix d’un million de dollars américains pour la solution de
chacun de sept célèbres problèmes, largement considérés
comme faisant partie des plus importants dans ce domaine.
L’hypothèse de Riemann était l’un de ces « problèmes du
millénaire », et les experts tentent de la prouver depuis plus
de  ans.
Qu’est-ce que l’hypothèse de Riemann, et pourquoi est-
elle importante ? Le problème concerne la distribution des
nombres premiers et a été introduit par Bernhard Riemann,
un mathématicien allemand décédé à l’âge précoce de  ans,
alors professeur à l’université de Göttingen, où il avait suivi
dans les pas de Gauss et Dirichlet. Élu à l’Académie de Berlin
en , Riemann exprime sa gratitude en présentant son
unique article sur la théorie des nombres, « Sur le nombre de
nombres premiers inférieurs à une magnitude donnée » (cf.la
Figure ). Long de neuf pages seulement, il est aujourd’hui
considéré comme un texte de référence.

 145 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Fig. 33  (a) Bernhard Riemann.

 146 
 comment gagner unmillion de dollars ? 

Fig. 33  (b) l’article de Riemann, 1859.

En termes très généraux, l’hypothèse de Riemann demande


si toutes les solutions d’une équation particulière ont une
forme particulière. C’est très vague, et l’affirmation détaillée,
qui n’est toujours pas prouvée, est la suivante :
L’hypothèse de Riemann : Tous les zéros non triviaux de la
fonction zêta de Riemann ont une partie réelle égale à /.
Mais qu’est-ce que cela signifie, et quel est son lien avec les
nombres premiers ?

LES SÉRIES INFINIES


Pour étudier ces questions, nous devons entrer dans le
monde des séries infinies. Les séries
 + / + / + / + / + …,

 147 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

où les dénominateurs sont des puissances de , est infi-


nie. Que se passe-t-il lorsque nous additionnons tous ces
nombres ? En les additionnant un par un, on obtient
,  + / (= /),  + / + / (= /),
 + / + / + / (= /), et ainsi de suite.
Bien que nous n’atteignions jamais  en ajoutant un nombre
fini de termes de la série (cf.la Figure ), nous pouvons nous
approcher de  autant que nous le souhaitons en ajoutant un
nombre suffisant d’entre eux-comme les cent premiers ou le
premier million : par exemple, nous pouvons nous approcher
de  à , près en ajoutant les douze premiers termes.
Nous exprimons cela en disant que la série infinie converge
vers , ou a la somme finie , et nous écrivons
 + / + / + / + / + … = .
2

1
2
1 1 1
1 8
4 1 ...
16

Fig. 34  Somme des puissances de 1/2.

De la même manière, on peut montrer que la série infinie


 + / + / + / + …,
dont les dénominateurs sont des puissances de , converge
vers /, et que la série infinie
 + / + / + / + …,
dont les dénominateurs sont des puissances de , converge
vers /. Plus généralement, on peut montrer que, pour tout
nombre p (> )
 + /p + /p  + /p  + … = p/ (p – ).

 148 
 comment gagner unmillion de dollars ? 

Nous aurons besoin de ce résultat par la suite.


Mais toutes les séries infinies ne convergent pas. Un exemple
célèbre est la « série harmonique »
 + / + / + / + / + / + …,
Pour voir pourquoi elle n’a pas de somme finie, nous allons
regrouper les termes comme suit :
 + / + (/ + /) + (/ + / + / + /)
+ (/ + / + / + / + / + / + / + /)
+…
Cette somme est maintenant plus grande que la somme
suivante :
 + / + (/ + /) + (/ + / + / + /) +
(/ + / + / + / + / + / + / + /)
+ …,
qui est égal à  + / + / + / + / + …, car chaque groupe
de termes a pour somme /.
Mais la somme de cette dernière série augmente sans limite
à mesure que l’on ajoute des termes, et la série harmonique
a une somme encore plus grande et ne peut donc pas non
plus avoir une somme finie.
La série harmonique ne converge donc pas : et étonnam-
ment, comme Euler l’a prouvé en , même si nous élimi-
nons la plupart de ses termes et ne laissons que ceux dont
les dénominateurs sont des nombres premiers – c’est-à-dire,
 + / + / + / + / + / + / + …
alors, il n’y a toujours pas de somme finie.

LA FONCTION ZÊTA
Au début du e siècle, un défi célèbre consistait à trou-
ver la somme exacte de la série infinie
 + / + / + / + / + …,

 149 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

dont les dénominateurs sont les carrés , , , , , … Le


mathématicien suisse Johann Bernoulli, qui était alors pro-
bablement le plus grand mathématicien du monde, n’a pas su
trouver la somme exacte et c’est son ancien élève Leonhard
Euler, qui a prouvé que cette série converge vers p /, un
résultat remarquable car il implique le « nombre circulaire »,
p. Comme Euler l’a fièrement observé :
« De manière assez inattendue, j’ai trouvé une formule
élégante faisant intervenir la quadrature du cercle ».
De la même manière, Euler a prouvé que :
lorsque les dénominateurs sont de puissance quatre, la
somme est p  /,
quand les dénominateurs sont de puissance six, la somme
est p /,
et lorsque les dénominateurs sont de puissance huit, la
somme est p  / .
Il a ensuite poursuivi ses calculs jusqu’à la vingt-sixième
puissance. Ici, la somme est de
   p /       ,
ce qu’il a calculé correctement.
Lorsque les dénominateurs sont de puissances n, Euler a
noté la somme comme ζ(n), où ζ est la lettre grecque zêta,
et l’a nommée la fonction zêta – c’est-à-dire
ζ(n) =  + /n + /n + / n + ….
Donc ζ() est indéfini (car la série harmonique n’a pas de
somme finie), mais ζ() = p /, ζ() = p /, ζ() = p/,
etc. Il s’avère que la série de ζ(n) converge pour tout nombre
n supérieur à .
Bien que la fonction zêta ζ(n) puisse sembler n’avoir rien
en commun avec les nombres premiers, Euler repéra un lien
crucial, que nous allons explorer maintenant. Ce lien peut

 150 
 comment gagner unmillion de dollars ? 

être utilisé pour donner une autre preuve que la liste des
nombres premiers est sans fin.
La fonction zêta et les nombres premiers
Nous pouvons écrire la série de ζ() comme suit :
ζ() =  + / + / + / + / + / + …
= ( + / + / + …) × ( + / + / + …)
× ( + / + / + …) × …,
où chaque parenthèse implique les puissances d’un seul
nombre premier. En effet, par la factorisation unique, chaque
terme /n de la série pour ζ() apparaît exactement une fois
dans le produit de droite : par exemple,
/ = / × / × / ×  ×  × …
/ = / ×  × / ×  ×  × …
Nous additionnons maintenant les séries dans chaque paren-
thèse, en utilisant notre résultat précédent selon lequel
 + /p + /p  + … = p/(p – ) :
ce qui donne
ζ() =  / ( – ) ×  / ( – ) × / ( – ) × …
=  × / × / × …
Nous pouvons utiliser ce produit pour prouver qu’il existe
une infinité de nombres premiers. En effet, s’il n’y avait qu’un
nombre fini de nombres premiers, alors le côté droit serait un
produit fini et aurait donc une valeur fixe. Mais cela exigerait
que ζ() ait cette même valeur, ce qui est impossible car indé-
fini. Il doit donc y avoir une infinité de nombres premiers.
Euler a étendu ces idées pour prouver que, pour tout nombre
n supérieur à ,
ζ(n) = n / ( n – ) × n / (n – ) × n / ( n – )
× n / (n – ) × … ;
Ce résultat remarquable est appelé produit eulérien, et fournit
un lien inattendu avec la fonction zêta, qui implique des
puissances de nombres et semble n’avoir rien à voir avec les

 151 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

nombres premiers, et un produit qui implique intimement


tous les nombres premiers. Il s’agit d’une percée majeure.
Les nombres complexes
Avant de présenter l’hypothèse de Riemann, nous avons
également besoin de l’idée d’un nombre complexe. Il s’agit
de i, la racine carrée « imaginaire » de – , que nous avons
brièvement rencontrée au Chapitre .
Un nombre complexe est un symbole de la forme x + yi ; x
est appelé la partie réelle du nombre complexe, et y est la
partie imaginaire.
Des exemples de nombres complexes sont  + i, / – pi, i
(qui est égal à  + i) et  (qui peut être considéré comme  + i).
Nous pouvons représenter les nombres complexes de manière
géométrique comme des points sur le « plan complexe ». Cette
image bidimensionnelle est constituée de tous les points (x, y),
où (x, y) représente le nombre complexe x + yi ; par exemple,
les points (, ), (/, – p), (, ), et (, ) représentent les
nombres complexes  + i, / – pi, i, et  (cf.la Figure ).
y
4 + 3i
3

2 2i

1
3
–1 0 1 2 3 4 x
–1

–2

–3 1 – πi
5
Fig. 35  Points sur le plan complexe.

 152 
 comment gagner unmillion de dollars ? 

L’HYPOTHÈSE DE RIEMANN
Nous avons maintenant préparé le terrain pour aborder
l’hypothèse de Riemann. Comme nous l’avons vu, la fonction
zêta ζ(n) est définie pour tout nombre n strictement supé-
rieur à . Mais peut-on la définir également pour d’autres
nombres n ? Par exemple, comment pouvons-nous définir
ζ() ou ζ(– ) ? Nous ne pouvons pas les définir par la même
série infinie, car nous aurions alors
ζ() = / + /  + /  + / + …
=+++++…
et
ζ(– ) =  + / –  + / –  + /–  + …
=  +  +  +  + …,
et aucune de ces séries n’a de somme finie. Il nous faut donc
trouver un autre moyen.
Pour savoir comment procéder, nous pouvons montrer que,
pour certaines valeurs de x,
 + x + x + x + … = /( – x) ;
nous avons déjà vu que cela est vrai lorsque x = /p. Mais on
peut montrer que la série de gauche ne converge que lorsque
x est compris entre –  et , alors que la formule de droite
a une valeur pour tout x, sauf  (quand on obtient /, qui
est indéfini). Nous pouvons donc étendre la définition de la
série du côté gauche à toutes les valeurs de x (autres que )
en la redéfinissant comme la formule du côté droit.
De la même manière, Riemann a trouvé un moyen d’étendre
la définition de la série infinie de la fonction zêta ci-dessus à
tous les nombres x autres que  (y compris  et – ). Mais il est
allé beaucoup plus loin que cela. En utilisant une technique
appelée « prolongement analytique », Riemann a étendu la
définition de la fonction zêta à tous les complexes ζ() est

 153 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

indéfini) de telle sorte que lorsque k est un nombre réel supé-


rieur à , nous obtenons la même valeur que précédemment.
De ce fait, la fonction est maintenant connue sous le nom
de la fonction zêta de Riemann.
Au Chapitre , nous avons vu la tentative de Gauss d’ex-
pliquer pourquoi les nombres premiers s’éclaircissaient en
moyenne, en proposant l’estimation x/log x pour le nombre
de nombres premiers jusqu’à x. La grande réussite de Rie-
mann a été d’obtenir une formule exacte pour le nombre de
nombres premiers jusqu’à x, et sa formule impliquait de
manière déterminante ce qu’on appelle les zéros de la fonc-
tion zêta, c’est-à-dire les nombres complexes z qui satisfont
l’équation ζ(z) = . Mais où sont ces zéros ?
Il s’avère que ζ(z) =  lorsque z = – , – , – , – , … ; on les
appelle les zéros triviaux de la fonction zêta. Tous les autres
zéros de la fonction zêta, les zéros non triviaux, sont connus
pour se situer dans une bande verticale entre x =  et x = 
(la bande dite critique), comme le montre la Figure . En
s’éloignant de l’axe horizontal, les premiers zéros non tri-
viaux apparaissent aux points suivants :
/ ± ,i, / ± ,i, et / ± ,i.
Ici, les parties imaginaires (comme ,) sont approxima-
tives, mais les parties réelles sont toutes égales à /. Comme
tous ces points ont tous la forme / ± un multiple de i, la
question se pose :
Chaque zéro de la fonction zêta de Riemann dans la bande cri-
tique se trouve-t-il sur la droite x = / ?
L’hypothèse de Riemann est que la réponse à cette question est
« oui ». Il a été prouvé que les zéros de la bande critique sont
placés symétriquement, à la fois au-dessus et au-dessous de
l’axe des x et de part et d’autre de la ligne x = /, et qu’en
progressant verticalement vers le haut et vers le bas de la

 154 
 comment gagner unmillion de dollars ? 

ligne x = /, de nombreux zéros se trouvent sur cette ligne


– en fait, le premier trillion de zéros se trouve sur cette ligne !
Mais est-ce que tous les zéros non triviaux se trouvent sur
la ligne x = /, ou le premier trillion de zéros ne serait-il
qu’une coïncidence ?
Il est maintenant généralement admis que tous les zéros
non triviaux se trouvent sur cette droite, mais prouver cela
est l’un des problèmes mathématiques non résolus les plus
difficiles à résoudre.

½ + 25,01i
½ + 21,01i

½ + 14,1i
droite critique

zéros à – 2, – 4, – 6, …

½
–4 –2 0 1 x

bande critique
½ – 14,1i

½ – 21,01i
½ – 25,01i

Fig. 36  Les zéros de la fonction zêta de Riemann dans un plan


complexe.

En effet, personne n’a encore pu prouver l’hypothèse de Rie-


mann, même après un siècle et demi. Le prix d’un million de
dollars est toujours en jeu !

 155 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

CONSÉQUENCES
Si l’énoncé de l’hypothèse de Riemann semble un peu déce-
vant après tout ce qui a été fait, ses conséquences sont considé-
rables. En rappelant la découverte par Riemann du rôle que les
zéros de la fonction zêta jouent dans la fonction de compte des
nombres premiers p(x) et dans sa formule exacte (impliquant
la fonction zêta) pour le nombre de nombres premiers jusqu’à
x, nous notons que toute divergence de ces zéros par rapport à
la ligne x = / affecterait de manière cruciale la formule exacte
de Riemann, car notre compréhension du comportement des
nombres premiers est étroitement liée à cette formule. En
effet, la découverte d’un seul zéro éloigné de la ligne causerait
des ravages majeurs dans la théorie des nombres – et en fait
dans toutes les mathématiques. Pour un mathématicien, la
vérité doit être absolue, et il est interdit d’admettre la moindre
exception. Le théorème des nombres premiers serait toujours
vrai, mais perdrait son influence sur les nombres premiers. Au
lieu de la « précision militaire » de Don Zagier, mentionnée au
Chapitre , les nombres premiers seraient en pleine mutinerie !
Nous concluons ce chapitre par un développement inattendu.
En , le théoricien américain des nombres Hugh Mont-
gomery est passé par le salon de thé de l’Institute for Advanced
Study de Princeton et se retrouva assis en face du célèbre phy-
sicien Freeman Dyson. Montgomery avait exploré les espaces
entre les zéros de la ligne critique, et Dyson déclara : « Mais
ce sont simplement les espaces entre les niveaux d’énergie
d’un système chaotique quantique ». Si cette analogie se véri-
fie, comme beaucoup le pensent, l’hypothèse de Riemann
pourrait bien avoir des conséquences en physique quantique.
Inversement, grâce à leur connaissance de ces niveaux d’éner-
gie, ce sont peut-être les physiciens quantiques plutôt que les
mathématiciens qui prouveront la validité de l’hypothèse de
Riemann. Voilà une idée des plus intrigantes !

 156 
9
En fin de compte

Dans les sept chapitres précédents, nous avons exploré


une série de sujets de la théorie des nombres, et nous pou-
vons maintenant revenir aux questions que nous avons sou-
levées au Chapitre . Nous avons pu répondre à la plupart de
ces questions, tandis que quelques autres se sont révélées
être des problèmes célèbres qui restent non résolus. Pour
chaque question, nous renvoyons au chapitre dans lequel
elle a été abordée.

LES 10 PREMIÈRES QUESTIONS


Nous avons commencé le Chapitre  en posant dix questions.
En quelles années le mois de février compte-t-il cinq
dimanches ?
Les questions relatives au jour de la semaine où tombe
un événement particulier ont une longue histoire, et leurs
solutions font souvent appel à l’idée de congruence. Comme
nous l’avons vu au Chapitre , le mois de février compte cinq
dimanches en , ,  et . De plus, comme
l’an était une année bissextile, nous pouvons trouver
les années correspondantes du siècle précédent en sous-
trayant des multiples de  ans de  ; ces années étaient

 157 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

,  et . Les années correspondantes des autres


siècles peuvent être trouvées de la même manière.
Quelle est la particularité du nombre 4 294 967 297 ?
Ce nombre est égal à   + . Comme nous l’avons vu au
Chapitre , Pierre de Fermat croyait que tous les nombres de
la forme n + , où n est une puissance de , sont des nombres
premiers (les fameux « nombres premiers de Fermat »), et ce
nombre, où n =  = , était le plus petit et qu’il n’a pas pu
vérifier.
Des années plus tard, Leonhard Euler a montré qu’il n’était
pas un nombre premier et que  en était un facteur.
Combien de triangles rectangles dont les côtés sont des
nombres entiers ont un côté de longueur 29 ?
Les triplets de nombres (a, b, c) pour lesquels a, b et c
sont des nombres entiers et a + b = c  sont appelés « triplets
de Pythagore » et correspondent aux longueurs des côtés
des triangles rectangles. Comme nous l’avons découvert au
Chapitre , il n’existe que deux de ces triangles de Pythagore
dont l’un des côtés a une longueur de  : ce sont (, , )
et (, , ).
Certains des nombres 11, 111, 1 111, 11 111, … sont-ils des carrés
parfaits ?
Au Chapitre , nous avons vu que tous les carrés parfaits
doivent avoir la forme n ou n + , pour un nombre entier
n donné. Les nombres de cette question ont tous la forme
n + , et donc aucun d’entre eux ne peut être un carré parfait.
J’ai des œufs. Lorsqu’ils sont disposés en rangées de 3, il en
reste 2, en rangées de 5, il en reste 3 et en rangées de 7, il en
reste 2. Combien d’œufs y a-t-il en tout ?
Dans le Chapitre , nous avons discuté de la résolution
des congruences linéaires simultanées, et nous avons donné

 158 
 en fin de compte 

ce problème comme un exemple. Il s’agit d’une version du


problème de Sun Zi, qui demande la solution des congruences
simultanées x ≡  (mod ), x ≡  (mod ), et x ≡  (mod ).
La plus petite solution est x = , et les autres réponses sont
trouvées en ajoutant des multiples de  (=  ×  × ).

Peut-on construire un polygone régulier de 100 côtés si la


mesure est interdite ?
Dans le Chapitre , nous avons noté un lien entre la
construction de polygones réguliers et les nombres pre-
miers de Fermat mentionnés ci-dessus : il s’agit du résultat
de Gauss, selon lequel un polygone régulier de n côtés peut
être construit par une règle non graduée et un compas si
et seulement si n est le produit d’une puissance de  et de
nombres premiers de Fermat inégaux. Mais  =   ×  × ,
où le nombre premier de Fermat  est répété, et donc un poly-
gone régulier de  côtés ne peut pas être construit ainsi.

Combien de mélanges sont nécessaires pour rétablir l’ordre


des cartes dans un paquet comportant deux jokers ?
On peut répondre aux questions concernant le mélange
de cartes en s’aidant du petit théorème de Fermat sur les
nombres premiers, comme nous l’avons décrit au Cha-
pitre . Dans le cas présent, où il y a  cartes, la réponse
est  mélanges.

Si je peux acheter des perdrix pour 3 centimes la pièce, des


pigeons pour 2 centimes la pièce et deux moineaux pour un
centime, et si je dépense 30 centimes pour acheter 30 oiseaux,
combien d’oiseaux de chaque espèce dois-je acheter ?
Il s’agit d’un problème diophantien nécessitant une solu-
tion avec des nombres entiers. Comme nous l’avons vu au
Chapitre , la solution implique deux équations linéaires à
trois inconnues, ainsi qu’une exigence supplémentaire : le

 159 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

nombre d’oiseaux de chaque espèce que je dois acheter doit


être un nombre entier positif.
La seule réponse est  perdrix,  pigeons et  moineaux.
Comment les nombres premiers aident-ils à sécuriser nos
cartes de crédit ?
Au Chapitre , nous avons vu que la multiplication de
grands nombres premiers est généralement une opération
simple, alors que la factorisation de grands nombres en fac-
teurs premiers ne l’est pas. La méthode RSA de cryptage
et de décryptage reconnaît cette difficulté et fait appel au
théorème d’Euler, une généralisation du petit théorème de
Fermat.
Qu’est-ce que l’hypothèse de Riemann, et comment puis-je
gagner un million de dollars ?
L’hypothèse (ou conjecture) de Riemann, abordée au Cha-
pitre , est l’un des problèmes non résolus les plus célèbres
des mathématiques. Cette conjecture est étroitement liée
à celle qui consiste à localiser les endroits où une certaine
fonction (appelée « fonction zêta ») a une valeur nulle. Il
s’avère que sa preuve nous en apprend beaucoup sur la façon
dont les nombres premiers sont distribués, tout en offrant à
celui/celle qui résoudra la question une renommée durable et
une récompense d’un million de dollars promise par le Clay
Mathematics Institute.

LES NOMBRES ENTIERS


Comment reconnaître si un nombre donné, par exemple
  , est un multiple de , de , de  ou de  ?
Au Chapitre , nous avons abordé plusieurs tests de divisi-
bilité par différents nombres, tels que ,  et . Le nombre
donné n’est pas un multiple de  car le nombre donné par

 160 
 en fin de compte 

ses trois derniers chiffres () n’est pas divisible par . La


somme de ses chiffres est , qui est divisible par , et donc
le nombre donné est divisible par . La somme alternée de
ses chiffres est – , qui n’est pas divisible par , et donc le
nombre donné n’est pas divisible par  ou par l’un de ses
multiples, comme .

LES CARRÉS ET LES CUBES


Nous avons abordé divers sujets liés aux carrés et aux
puissances supérieures dans les Chapitres  et . Nous avons
répondu aux trois questions suivantes dans la section sur les
carrés du Chapitre .
Y a-t-il des carrés qui se terminent par 2, 3, 7 ou 8 ?
Nous avons montré que tous les carrés doivent se termi-
ner par , , , ,  ou , et qu’il ne peut donc pas y avoir de
carrés qui se terminent par , ,  ou .
Tous les carrés doivent-ils être de la forme 4n ou 4n + 1, où n
est un nombre entier ?
Comme nous l’avons mentionné plus haut, nous avons
montré que tous les carrés doivent être de ces formes – en
particulier, les carrés des nombres pairs ont tous la forme n,
et les carrés des nombres impairs ont tous la forme n + .
Nous pouvons également exprimer cela en disant que tous
les carrés doivent être congrus à  ou  (mod ).
La somme des premiers nombres impairs, 1, 3, 5, 7, … doit-elle
toujours être un carré ?
Pour tout nombre k, les k premiers nombres impairs sont
, , , … k – , et en additionnant ces nombres, on trouve
que leur somme est k. La somme des premiers nombres
impairs est donc toujours un carré. Les deux questions
suivantes ont été abordées au Chapitre , où nous avons

 161 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

cherché à savoir quels nombres pouvaient être écrits comme


la somme de deux carrés ou plus.
Quels nombres peuvent s’écrire comme la somme de deux
carrés ?
Comme chaque carré est congru à  ou  (mod ), la
somme de deux carrés doit être congru à ,  ou  (mod ).
Ainsi, aucun nombre qui est congru à  (mod ) ne peut être
un carré parfait. Plus généralement, comme l’a déclaré Fer-
mat et démontré Legendre, un nombre peut s’écrire comme
la somme de deux carrés si et seulement si chaque facteur
premier congru à  (mod ) est à une puissance paire.
9 999 peut-il être écrit comme la somme de deux carrés ? ou
de trois carrés ? ou de quatre carrés ?
Il ressort de nos discussions que   ne peut pas s’écrire
comme la somme de deux carrés car   ≡  (mod ), ou
comme la somme de trois carrés car   ≡  (mod ). Mais,
comme l’a prouvé Lagrange, tout nombre entier positif peut
s’écrire comme la somme de quatre carrés : par exemple,
  peut s’écrire comme  +   +  +  ou comme
 +   +  + .
Le Chapitre  contient également une discussion sur les
triangles rectangles dont les côtés sont tous des nombres
entiers.
Quels triangles rectangles ont des côtés de longueur qui soient
des nombres entiers ?
Pour qu’un triangle rectangle ait des côtés de longueur
qui soient des nombres entiers, ces longueurs doivent être
de la forme k (x − y, xy, x + y), où k est une constante, x
et y sont des nombres premiers entiers, l’un impair et l’autre
pair, et x > y. Le Chapitre  comprend un tableau de tous les
triplets avec k =  (les « triplets primitifs ») et aucun nombre
ne dépassant .

 162 
 en fin de compte 

Dans les Chapitres  et , nos discussions se sont ensuite


étendues aux cubes.
Tous les cubes doivent-ils être de la forme 9n, 9n + 1 ou 9n + 8,
où n est un nombre entier ?
La réponse à cette question est « oui », comme nous
l’avons démontré au Chapitre , à la fin de la section sur
les carrés. Nous pouvons également exprimer ce résultat en
disant que tout cube est congru à ,  ou  (mod ).
Existe-t-il des entiers a, b, c pour lesquels a3 + b3 = c 3 ?
Par le dernier théorème de Fermat, analysé au Chapitre ,
l’équation an + b n = cn n’a pas de solutions non nulles lorsque
n ≥ . Cette équation ne peut donc avoir de solutions que si
au moins un des entiers a, b et c est égal à  : par exemple,
 + (– ) =   et   +  = .
Chaque nombre peut-il être écrit comme la somme de six
cubes ?
Dans notre discussion du problème de Waring à la fin du
chapitre , nous avons vu que vu que , par exemple, néces-
site au moins neuf cubes. Cependant, comme Cependant,
comme nous l’avons remarqué, chaque nombre à partir d’un
certain point peut être écrit comme la somme de sept cubes.
On ne sait pas encore si « sept » peut être réduit à « six ».

LES NOMBRES PARFAITS


Dans le Chapitre , nous avons abordé les nombres par-
faits. Un nombre n est parfait si la somme de tous ses fac-
teurs propres (ceux qui sont différents de n) est égale à n. Les
quatre premiers nombres parfaits, connus depuis l’époque
des Grecs, sont , ,  et  .
Les deux questions suivantes ont été traitées au Chapitre .

 163 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Quel est le nombre parfait qui suit 8 128 ?


Après  , il y a un grand écart, et le prochain nombre
parfait n’apparaît pas avant   .
Existe-t-il une formule pour produire des nombres parfaits ?
Comme nous l’avons montré au Chapitre , tout nombre
de la forme n –  × (n – ), où  n –  est un nombre premier,
est un nombre parfait, et tous les nombres parfaits pairs
peuvent être écrits sous cette forme – par exemple,
   =   ×   =   × ( – ).
On ne sait pas encore s’il existe des nombres parfaits impairs.

LES NOMBRES PREMIERS


Les nombres premiers ont été abordés aux Chapitres  et
. Les deux questions suivantes ont été abordées au début
du Chapitre , dans la section intitulée « Deux conjectures
célèbres ».
La liste des nombres premiers jumeaux est-elle sans fin ?
Les nombres premiers jumeaux sont des paires de
nombres premiers qui diffèrent en valeur de , et de nom-
breux exemples sont connus. La conjecture des nombres
premiers jumeaux veut qu’il existe une infinité de paires de
nombres premiers jumeaux. On pense généralement qu’elle
est vraie, mais cela n’a jamais été prouvé. Certains résultats
connexes sont présentés au Chapitre .
Tout nombre pair peut-il s’écrire comme la somme de deux
nombres premiers ?
Une autre question célèbre restée sans réponse est la
conjecture de Goldbach, qui demande si tout nombre pair
supérieur à  peut s’écrire comme la somme de deux nombres
premiers. On sait que c’est vrai pour tous les nombres pairs

 164 
 en fin de compte 

jusqu’à  billions, mais elle n’a pas encore été prouvée en
général.
Au Chapitre , nous avons également vu comment construire
des chaînes de nombres composés consécutifs de n’importe
quelle longueur.
Existe-t-il une chaîne de 1 000 nombres composés consécu-
tifs ?
Comme nous l’avons vu dans la section sur la distribu-
tion des nombres premiers, un exemple d’une telle chaîne
de nombres composés est le suivant
 ! + ,  ! + , …,  ! +  .
Dans le Chapitre , nous avons réduit le problème de décider
quels nombres pouvaient s’écrire comme la somme de deux
carrés au problème équivalent pour les nombres premiers.
Quels nombres premiers peuvent s’écrire comme la somme
de deux carrés ?
Comme nous l’avons vu dans la section sur la « Somme
de carrés », tous les nombres premiers de la forme n + 
peuvent être écrits d’une seule façon comme la somme de
deux carrés, tout comme le nombre premier  (=  + ).
Cependant, aucun nombre de la forme n +  (et les nombres
premiers de cette forme, en particulier) ne peut s’écrire
comme la somme de deux carrés.
Les deux questions suivantes ont été abordées au Chapitre 
en relation avec les nombres premiers de Mersenne et de
Fermat.
Le nombre 2n – 1 est-il toujours premier lorsque n est premier,
et toujours composé lorsque n est composé ?
Dans notre discussion sur les nombres premiers de
Mersenne, nous avons vu que n –  doit être composé lorsque

 165 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

n est composé. Cependant, n –  n’a pas besoin d’être premier


lorsque n est premier : par exemple,  –  =   =  × .
Tous les nombres de la forme 2n + 1, où n est une puissance
de 2, sont-ils premiers ?
Dans notre discussion sur les nombres premiers de Fer-
mat, nous avons vu que les cinq premiers « nombres de Fer-
mat »,
  +  = ,   +  = ,  +  = ,  +  = 
et  +  =  ,
sont tous premiers. Aucun autre exemple n’a jamais été
trouvé.
Les deux dernières questions ont été abordées au Chapitre ,
dans la section sur les nombres premiers dans les progres-
sions arithmétiques.
Existe-t-il une infinité de nombres premiers de la forme
4n + 1 ? ou de la forme 4n + 3 ?
La réponse à ces questions est « oui », et les deux peuvent
être démontrées en adaptant la preuve d’Euclide qu’il existe
une infinité de nombres premiers. Dans le premier cas, nous
avons également utilisé le fait que –  est un carré (mod p)
pour tout nombre premier p de la forme n + . Ces résultats
peuvent également être déduits directement du théorème
plus général de Dirichlet sur les nombres premiers dans
les progressions arithmétiques, qui stipule qu’il existe une
infinité de nombres premiers de la forme an + b où n est un
nombre entier, tant que le PGCD (a, b) est égal à .
Y-a-t-il une infinité de nombres premiers dont le dernier
chiffre est 9 ?
Ici aussi, d’après le théorème de Dirichlet, il y a une infi-
nité de nombres premiers de la forme n + , c’est-à-dire
des nombres premiers dont le dernier chiffre est .

 166 
 en fin de compte 

Nous avons maintenant atteint la fin de notre récit. La théo-


rie des nombres continue d’être une partie passionnante des
mathématiques modernes, avec de nombreux développe-
ments surprenants au cours des dernières années. Cepen-
dant, il existe de nombreux aspects du sujet que nous n’avons
pas pu explorer dans ces pages, et nous espérons que vous
souhaiterez continuer à manifester votre intérêt pour le sujet
en vous référant à notre liste de lectures supplémentaires.

 167 
 
Lectures supplémentaires

Les textes suivants [en langue anglaise], dont certains


remontent aux temps classiques tandis que d’autres sont
beaucoup plus récents, constituent des introductions utiles
aux différents domaines de la théorie des nombres abordés
dans ce livre.

G. E. Andrews, Number eory, nouvelle éd., Dover Publica-


tions, .
D. M. Burton, Elementary Number eory, e éd., McGraw-Hill,
.
H. Davenport, e Higher Arithmetic, e éd. Cambridge Uni-
versity Press, .
U. Dudley, Elementary Number eory,  e éd., Dover Publica-
tions, .
E. Grosswald, Topics from the Theory of Numbers,  e éd.,
Birkhäuser, .
G. H. Hardy et E. M. Wright, An Introduction to the eory of
Numbers,  e éd. (édité par D. R. Heath-Brown et J. H. Sil-
verman), Oxford University Press, .
G. A. Jones and J. Mary Jones, Elementary Number eory,
Springer, .

 168 
 lectures supplémentaires 

O. Ore, Invitation to Number eory,  e éd. (revu et mis à jour


par John J. Watkins et Robin Wilson), Mathematical Asso-
ciation of America, .
J. J. Tattersall, Elementary Number eory in Nine Chapters,
e éd., Cambridge University Press, .
M. H. Weissman, An Illustrated eory of Numbers, American
Mathematical Society, .

D’autres informations historiques figurent dans :


L. E. Dickson, History of the eory of Numbers, Vols. I, II et
III, Dover Publications, .
O. Ore, Number eory and its History, Dover Publications,
.
J. J. Watkins, Number eory: A Historical Approach, Princeton
University Press, .

Quelques livres populaires sur l’hypothèse de Riemann,


sur le dernier théorème de Fermat et sur la conjecture des
nombres premiers jumeaux :
J. Derbyshire, Prime Obsession: Bernhard Riemann and the
Greatest Unsolved Problem in Mathematics, Plume Books,
.
M. du Sautoy, e Music of the Primes: Why an Unsolved Problem
in Mathematics Matters, Harper/Perennial, .
V. Neale, Closing the Gap: e Quest to Understand Prime Num-
bers, Oxford University Press, .
K. Sabbagh, Dr Riemann’s Zeros, Atlantic Books, .
S. Singh, Fermat’s Last eorem, Fourth Estate, .

D’autres livres, plus avancés, sur des sujets spécifiques :


T. M. Apostol, Introduction to Analytic Number Theory,
e impression, Springer, .
H. M. Edwards, Riemann’s Zeta Function, Dover Publications,
.

 169 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

B. Mazur et W. Stein, Prime Numbers and the Riemann Hypo-


thesis, Cambridge University Press, .
P. Ribenboim, e Little Book of Bigger Primes, e éd., Springer,
.
I. Stewart et D. Tall, Algebraic Number eory and Fermat’s Last
eorem,  e éd., A. K. Peters / CRC Press, .

Une traduction en français du livre classique de Gausse,


1801, est :
Carl Friedrich Gauss, Recherches arithmétiques ; Traduc-
tion française des Disquisitiones Arithmeticae (traduit par
A. C.-M. Poullet-Delisle), Éditions Jacques Gabay, .

 170 
 
Index

A Cigale périodique 27
Adleman L. 123 Clay Mathematics Institute 145,
Algorithme 31 160
Al-Khwārizmī 31 Cocks, Cliord 123
Arithmétique de l’horloge 69, 74 Cole, Frank Nelson 57
Arithmétique modulaire 69 Combinaison 23, 28
Composé 46
Compter des colliers 112
B Congruences 69
Bachet de Méziriac 101, 105 Congruences linéaires 78
Baker A. 144 Congruences simultanées 82
Bernoulli, Johann 150 Conjecture de Goldbach 126, 165
Conjecture des nombres premiers
jumeaux 128
C Constante de Mills 66
Calendrier grégorien 75 Convergence de série 148
Calendriers 74, 157 Conway, John 76
Carmichael, Robert 112 Crible d’Eratosthène 47, 126
Carré parfait 13, 162 Crible quadratique 122
Carrés 12, 35, 72, 84, 161 Cryptographie 10, 123
Carroll, Lewis 76 Cryptographie à clé publique 123
Chen Jingrun 126, 128 Cube parfait 15
Chirement RSA 123, 160 Cubes 15, 37, 161

 171 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

D F
De la Vallée Poussin, Charles 135 Facteur 16, 21
Dernier théorème de Fermat 9, Factorisation 51
104, 163 Factorisation de grands nombres 121
Descartes, René 60 Factorisation unique 141
Diérence de deux carrés 99 Fermat, Pierre de 9, 19, 61, 97, 105,
Diophante 8, 90, 97, 100, 105, 106 107, 109, 121, 158, 162
Disquisitiones Arithmeticae 9, 52, Fibonacci, Leonardo 34, 92
144, 170 Fonction zêta 149
Distribution des nombres pre - Fonction zêta de Riemann 154
miers 130, 166 Fonction ϕ d’Euler 116
Diviseur 16, 21 Forme canonique 53
Diviseur commun 27
Divisibilité 38, 39, 72, 161
Dodgson, Charles Lutwige 76
Dyson, Freeman 156 G
Gauss, Carl Friedrich 9, 65, 69, 76,
116, 143, 145, 154, 159
Germain, Sophie 107
E GIMPS 59
Éléments d’Euclide 16, 30, 50, 60, Girard, Albert 99
64 Goldbach, Christian 126
Énigme de l’agent de Gowers, Tim 129
recensement 24 Grecs anciens 8, 16, 63
Énigme des œufs 7, 80, 159 Green, Ben 141
Énigme des pirates 78, 81 Grégoire XIII 75
Entier de Gauss 143
Entier sans facteur carré 143
Équation diophantienne 90, 160
Eratosthène 47 H
Erdös, Paul 136 Hadamard, Jacques 135
Euclide 8, 16, 29, 50, 60, 136, 166 Hardy, Godfrey Harold 102
Euler, Johann Albrecht 103 Heegner, Kurt 144
Euler, Leonard 9, 55, 60, 99, 101, Helfgott, Harald 127
107, 109, 126, 150 Hilbert, David 103, 141

 172 
 index 

I Méthode de descente infinie 107


Méthode de Fermat 121
Infinité de nombres premiers 20, Méthodes de criblage 47, 122, 126
50, 151, 166, 167
Mills, William Harold 66
ISBN 42
Modulo 71
Montgomery, Hugh 156
J Multiple commun 26
Jones, James P. 67 Multiples 12, 21

K N
Kummer, Ernst 108 Nombre autoréplicatif 82
Nombre composé 17
Nombre factoriel 131
L Nombre pair 11
Lagrange, Joseph-Louis 9 Nombre premier régulier 108
Lagrange, Jospeh-Louis 101 Nombres complexes 152
Lamé, Gabriel 108 Nombres de Carmichael 112
Legendre, Adrien-Marie 9, 86, 97, Nombres de Fermat 19, 61
100, 107, 108, 139, 162 Nombres de Fibonacci 34
Lehmer, Derrich Henry 73 Nombres entiers 11
Leibniz, Gottfried 110 Nombres entiers naturels 8
Lejeune Dirichlet, Johann Peter Nombres parfaits 16, 59, 164
Gustav 108 Nombres premiers 8, 17, 46, 164
Lincoln, Abraham 45 Nombres premiers dans les pro-
Logarithme 133 gressions arithmétiques 136,
Logarithme naturel 133 167
Loi de réciprocité quadratique 84 Nombres premiers de Mersenne 19,
Lucas, Edouard 57 57, 73, 166
Nombres premiers jumeaux 18,
M 128, 164
Maynard, James 129
Mélange de cartes 113, 159 P
Mélange Faro 113 Plan complexe 152
Mersenne, Marin 19, 57 Platt, Dave 127

 173 
 LA THÉORIE DESNOMBRES 

Plus grand commun diviseur Shamir, Adi 123


(PGCD) 27, 53 Somme alternée 41
Plus grand facteur commun 27 Somme de carrés 14, 165
Plus petit commun multiple Somme numérique 41
(PPCM) 25, 53 Sommes de carrés 100
Polignac, Alphonse de 128 Sommes de nombres premiers 126
Polygone 159 Stark, Harold 144
Polygones 63 Sun Zi 80
Polymath Project 129 Symbole de Legendre 86
Polynôme 66 Système décimal 38
Presque premier 126
Preuve par neuf 42 T
Problème de Waring 102
Tao, Terry 129, 141
Problème d’oiseaux 7, 92, 160
Taylor, Richard 108
Produit eulérien 151
Test de Lucas-Lehmer 73
Progression arithmétique 139
Théorème de Baker-Heegner-
Stark 144
Q Théorème de Dirichlet 139, 167
Quotient 30 Théorème de Green-Tao 141
Théorème de Pythagore 14, 93
Théorème des nombres premiers 131
R Théorème des quatre carrés de
Racine numérique 43 Lagrange 101, 103
Raisonnement par l’absurde 50 Théorème des restes chinois 82
Ramanujan, Srinivasa 102 Théorème d’Euler 119, 160
Résidus quadratiques 85 Théorème fondamental de
Riemann, Bernhard 145, 153 l’arithmétique 53
Riese, Adam 45 Triangles rectangles 14, 93, 158,
Rivest, Ron 123 163
Triplet de Pythagore 93, 158
S Triplet primitif 94, 96
Sato, Daihachiro 67
Selberg, Atle 136 V
Série harmonique 149 Vinogradov, Ivan Matveevich 126

 174 
 index 

W Z
Wada, Hideo 67 Zagier, Don 131, 156
Waring, Edward 102 Zéros de la fonction zêta 147, 154
Wiens, Douglas 67 Zhang, Yitang 128
Wiles, Andrew 9, 108

 175 

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