Les Bovary, Les Bovarysmes

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Les Bovary, les bovarysmes

Disciplina: Fundamentos de literatura


francesa II
Professora: Juliana Gambogi
• « Originellement hybride, la notion de bovarysme, inventée à la fin du XIXesiècle
par Jules de Gaultier, a été conçue à partir d’un personnage littéraire pour décrire
un phénomène de psychologie normale ou pathologique. Creuset d’interrogations
pour deux champs de savoir distincts, la littérature et la psychopathologie, elle va
connaître un double destin en devenant, au XXe siècle, une notion clé de la
critique littéraire comme de la psychiatrie. Au croisement de diverses disciplines,
cette notion témoigne de la remarquable capacité d’une œuvre littéraire d’induire
un phénomène de conceptualisation, ainsi que de sa nécessaire historicité qui
réoriente la réception d’une œuvre et d’un personnage. (…)
• De la théorie du bovarysme telle qu’elle a été créée par le philosophe Jules de
Gaultier (1858-1942), on connaît principalement l’application psychologique, dont
Emma Bovary est devenue le prototype, et qui se résume par l’adage devenu
célèbre : « la faculté départie à l’homme de se concevoir autrement qu’il n’est » »

• (Le bovarysme, histoire et interprétation d’une pathologie littéraire à l’âge


moderne - Thèse pour obtenir le grade de docteur en langue et littérature
françaises de l’Université Paris VIII, sous la direction de M. le Professeur Jacques
Neefs et de M. le Professeur Pierre Bayard, présentée et soutenue publiquement
le 20 décembre 2007 par Delphine Jayot)
• «Bovarysme: Affection dont est atteinte l'héroïne du roman de Flaubert, Emma Bovary, et qui
consiste à construire sa vision du monde à partir de ses lectures de romans. L'invalidité des
univers romanesques à servir de modèles au monde réel entraîne une série de désillusions.
Par extension, le terme désigne une pathologie de lecture.»
Christine Montalbetti, La Fiction, GF-Flammarion, 2001, p.225
• (http://www.fabula.org/atelier.php?Bovarysme)
• n. m. Trait psychologique qui consiste, à l'instar de Madame Bovary (Flaubert), à s'imaginer
soi-même et à rêver sa propre vie sur un modèle idéal et romanesque. Cette faculté d'auto-
illusion, qui rend impossible l'adaptation à la réalité, aboutit inévitablement à la frustration et
à l'échec. Le mot a été créé par un critique pour désigner le défaut essentiel de l'héroïne de
Flaubert, Emma Bovary. Celle-ci, petite bourgeoise sentimentale ayant épousé un médecin
médiocre, ne se satisfait pas de son existence platement réaliste. Imprégnée de ses lectures
et de rêveries romantiques, elle désire vivre sa vie à la manière d'un grand roman d'amour
pathétique. Elle projette ses fantasmes sur le moindre événement de sa vie et, chaque fois
qu'elle est déçue, loin de se faire une raison, refuse le réel et reporte ses imaginations sur
d'autres situations, sur d'autres êtres, sur d'autres aventures possibles. À force de se mentir à
elle-même, trahie par l'affreuse réalité, elle est conduite à l'issue fatale : le suicide. De cette
histoire qui se veut « exemplaire », la critique littéraire a ainsi tiré une tendance
psychologique universelle : le bovarysme.
• (http://www.devoir-de-philosophie.com/dissertation-definition-bovarysme-140753.html)
AJAC, Bernard. Flaubert. In: MILNER, PICHOIS. De Chateaubriand à Baudelaire. Flammarion, 1996.

• > “Le rêve de Flaubert fut d’effacer sa trace, de voir sa biographie, pour laquelle il
n’eut que dégoût, s’évanouir pour toujours. (...) L’idéal de l’absence, si
fréquemment souligné par la critique, est d’abord chez Flaubert une neutralisation
de soi, comme s’il fallait mourir à soi-même, prononcer um ‘adieu pour toujours
au personnel, à l’intime, au relatif’ (lettre à Louise Colet, 26 août 1853), pour
naître enfin à l’oeuvre.” 337
• Ce rêve ne doit pas être compris comme réalité de l’œuvre, mais comme un but
vers laquelle elle a toujours tendue, sans pour autant pouvoir s’y accomplir
pleinement.
• En effet, « deux bonshommes distincts (…) habitent le romancier, le romantique
épris de ‘hurlade métahysique’ et le froid clinicien… » 337

• « De septembre 1851 à mai 1856, Flaubert compose Madame Bovary et en donne,


dans ses lettres, un long commentaire critique au gré duquel s’élabore une
esthétique. ‘Montrer’, ‘faire voir’, ‘exposer’ est l’exigence première. (…) le principe
essentiel est (…) l’éloignement, le détachement… »341
• “Écrivain eût aimé, à la limite, se passer de sujet, écrire le fameux
‘livre sur rien’, afin que le monde et l’oeuvre coïncident enfin.” 344
“Avec Madame Bovary, la platitude du fond accentue encore la
difficulté. Il faut écrire une histoire sans histoire, une biographie
insipide, qui interdit les facilités du dramatique, de la crise. (...)
Dans cet univers romanesque de l’échec, les rencontres subjectives
sont le fruit d’um entrecroisement contigent et comme accidentel.
(...) fatalité sans tragique (...) Monde sans connivences où les
personnages ne communiquent pas plus qu’ils ne s’opposent (...) ils
perdent toute substance individuelle dans l’incarnation parfaite des
stéréotypes.” 345
Exemple: “le chapitre VI e la première partie, consacré à l´éducation
d’Emma condense tous les motifs de son imaginaire, condamnant
une quête éprise de différence à l’infinie ressemblance.”345
Le monde, d’après Flaubert: “Comme si la réalité ne valait d’être
vécue que dans l’insatisfaction née de l’irréductible distance à
l’idéal” 352
Extrait (La déclaration d’amour de Rodolphe à Emma lors des comices
agricoles)
• M. Lieuvain se rassit alors ; M. Derozerays se leva, commençant un autre discours. Le sien peut-être, ne fut point
aussi fleuri que celui du Conseiller ; mais il se recommandait par un caractère de style plus positif, c’est-à-dire par
des connaissances plus spéciales et des considérations plus relevées. Ainsi, l’éloge du gouvernement y tenait
moins de place ; la religion et l’agriculture en occupaient davantage. On y voyait le rapport de l’une et de l’autre,
et comment elles avaient concouru toujours à la civilisation. Rodolphe, avec madame Bovary, causait
rêves,pressentiments,magnétisme.

• Remontant au berceau des sociétés, l’orateur vous dépeignait ces temps farouches où les hommes vivaient de
glands, au fond des bois. Puis ils avaient quitté la dépouille des bêtes ; endossé le drap, creusé des sillons, planté
la vigne. Était-ce un bien, et n’y avait-il pas dans cette découverte plus d’inconvénients que d’avantages ? M.
Derozerays se posait ce problème. Du magnétisme, peu à peu, Rodolphe en était venu aux affinités, et, tandis que
M. le président citait Cincinnatus à sa charrue, Dioclétien plantant ses choux, et les empereurs de la Chine
inaugurant l’année par des semailles, le jeune homme expliquait à la jeune femme que ces attractions irrésistibles
tiraient leur cause de quelque existence antérieure.

• – Ainsi, nous, disait-il, pourquoi nous sommes-nous connus ? quel hasard l’a voulu ? C’est qu’à travers
l’éloignement, sans doute, comme deux fleuves qui coulent pour se rejoindre, nos pentes particulières nous
avaient poussés l’un vers l’autre.

• Et il saisit sa main ; elle ne la retira pas.

• « Ensemble de bonnes cultures ! » cria le président.

• – Tantôt, par exemple, quand je suis venu chez vous…

• « À M. Bizet, de Quincampoix. »

• – Savais-je que je vous accompagnerais ? « Soixante et dix francs ! »


•– Cent fois même j’ai voulu partir, et je vous ai suivie, je suis resté.
•« Fumiers. »
•– Comme je resterais ce soir, demain, les autres jours, toute ma vie !
•« À M. Caron, d’Argueil, une médaille d’or ! »
•– Car jamais je n’ai trouvé dans la société de personne un charme aussi complet.
•« À M. Bain, de Givry-Saint-Martin ! »
•– Aussi, moi, j’emporterai votre souvenir.
•« Pour un bélier mérinos… »
•– Mais vous m’oublierez, j’aurai passé comme une ombre.
•« À M. Belot, de Notre-Dame… »
•– Oh ! non, n’est-ce pas, je serai quelque chose dans votre pensée, dans votre vie ?
•« Race porcine, prix ex aequo : à MM. Lehérissé et Cullembourg ; soixante francs ! »
Rodolphe lui serrait la main, et il la sentait toute chaude et frémissante comme une tourterelle
captive qui veut reprendre sa volée ; mais, soit qu’elle essayât de la dégager ou bien qu’elle
répondît à cette pression, elle fit un mouvement des doigts ; il s’écria :
•– Oh ! merci ! Vous ne me repoussez pas ! Vous êtes bonne ! vous comprenez que je suis à vous
! Laissez que je vous voie, que je vous contemple !
•Un coup de vent qui arriva par les fenêtres fronça le tapis de la table, et, sur la Place, en bas,
tous les grands bonnets des paysannes se soulevèrent, comme des ailes de papillons blancs qui
s’agitent.
•« Emploi de tourteaux de graines oléagineuses », continua le président.
•Il se hâtait :
•« Engrais flamand, – culture du lin, – drainage, – baux à longs termes, – services de domestiques.
»
•Rodolphe ne parlait plus. Ils se regardaient. Un désir suprême faisait frissonner leurs lèvres
sèches ; et mollement, sans effort, leurs doigts se confondirent.
• Les éléments importants à étudier dans cet extrait
• Le procédé d’entrecroisement des deux discours : celui du président du jury, M. Derozerays
de la Panville (blabla endormant, clichés à la gloire de l’agriculture, morceaux de discours
surnageant sur un bruit de foire aux bestiaux), et celui de Rodolphe (autre série de clichés à
la gloire du cœur et des emportements sentimentaux). Notez bien qu’ici Emma ne parle pas,
ne parle d’ailleurs plus jusqu’à la fin du chapitre.
• L’ironie de Flaubert qui fait tenir à Derozerays un langage mêlé de culture classique, de
souvenirs d’Histoire, et de technique agricole. Cette ironie s’affirme dans le choix de juger le
style des orateurs, ou de le commenter précisément. On pourra notamment relever :
• « Le sien peut-être, ne fut point aussi fleuri que celui du Conseiller ; mais il se recommandait
par un caractère de style plus positif, c’est-à-dire par des connaissances plus spéciales et des
considérations plus relevées. » = Discours caractérisé par le contenu, non par la forme.
• « Remontant au berceau des sociétés, l’orateur vous dépeignait ces temps farouches » =
Discours descriptif et organisé selon une progression chronologique.
• « M. Derozerays se posait ce problème. » = Discours délibératif fondé sur une question
rhétorique, puisque l’agriculture est obligatoirement valorisée en cette occasion, et qu’elle
est une solution.
• « M. le président citait Cincinnatus à sa charrue, Dioclétien plantant ses choux, et les
empereurs de la Chine inaugurant l’année par des semailles » = Discours appuyé sur des
connaissances littéraires et historiques très éloignées de la réalité normande.
• Les séries de phrases nominales ou de mots isolés contribuent à donner un aspect très concret à
cet ensemble de propos.
• De son côté, le discours de Rodolphe a aussi ses caractéristiques, qui le rendent assez proche de
celui du président du jury :
• « Rodolphe, avec madame Bovary, causait » = On a une conversation dont le thème est plus
important que le style.
• « peu à peu, Rodolphe en était venu » = Le discours de Rodolphe aussi est construit, et il se dirige
vers une déclaration en bonne forme.
• « le jeune homme expliquait à la jeune femme que ces attractions irrésistibles tiraient leur cause de
quelque existence antérieure » = Discours explicatif appuyé sur des croyances aussi vagues et
lointaines que celles du président.
• « Ainsi, nous, disait-il, pourquoi nous sommes-nous connus ? » = La question rhétorique n’a d’autre
raison d’être que de justifier le discours amoureux, qui est aussi une
solution aux besoins sentimentaux des jeunes gens.
• Discours un peu moins concret, donc, mais Rodolphe ne se contente pas de parler, il
regarde Emma de très près, et agit par sa présence physique.
• Le mélange de récit et de discours : Rodolphe parle beaucoup, agit peu, mais calcule tout, et on a
le portrait en action d’un séducteur.
• Le ridicule des clichés amoureux utilisés par Rodolphe, dont l’addition devient incohérente :
« rêves », « pressentiments », « magnétisme », « affinités », « attractions », « hasard », « fleuves »,
« charme », « souvenir », « ombre », « pensée ».
• Le comique verbal provenant de certains noms propres dans le discours officiel : « Lehérissé », « Cullembourg ».
• Quand on regarde les brouillons, on voit qu’une page entière était consacrée à prévoir des listes de noms de famille, sans
doute choisis parmi de véritables patronymes, mais aussi fabriqués avec des consonances normandes. Voici cette liste :
• « Beaudoin, Leblond, Petit, Mr Massif, Bizet, Leherissé, Caudron, Papillon, Cullembourg, Suin, Lebourgeois, Huault, Turpin,
Avril, Caron, Anquetil, Canu, Leplichey, Levavasseur, Belot, Pouiller, Dedessus la marre, Graindorge »
• On voit que ces deux noms (qui appartiennent effectivement à l’onomastique de la région Normandie, avec des
orthographes assez voisines) sont restés intacts du premier brouillon au texte final, aux côtés de : « M. Bizet, de
Quincampoix, M. Caron, d’Argueil, M. Bain, de Givry-Saint-Martin, M. Belot, de Notre-Dame, Catherine-Nicaise-Elisabeth
Leroux ».
• On en vient à se demander si Flaubert n’a pas voulu faire un jeu de mots dans le genre de la contrepèterie.
• Un autre comique verbal provenant de l’entrecroisement : « Race porcine » juste après « votre pensée », et « Fumiers »
juste entre deux phrases intéressantes : « Cent fois même j’ai voulu partir, et je vous ai suivie, je suis resté. » et « Comme je
resterais ce soir, demain, les autres jours, toute ma vie ! »
• Les mots « ce soir » sont une évocation directe d’une nuit avec elle, et le jeu des conjugaisons fait habilement passer
Rodolphe d’un vague souvenir du passé à l’affirmation d’un souhait pour l’avenir. Le choix du conditionnel est une habileté
supplémentaire, puisqu’il se place sous la dépendance du bon vouloir d’Emma, et qu’il se rapproche phonétiquement de la
conjugaison du futur.
• Ces mots sonnent comme une interprétation des intentions et de la psychologie de Rodolphe, insulté indirectement par
Derozerays ; c’est un fumier, un porc. Le discours amoureux devient ainsi un sous-discours, comme celui de Derozerays.
Des morceaux de discours suffisent à le faire comprendre, et on rejoint ainsi le procédé de Flaubert, qui entrecroise et
morcelle ces deux paroles parallèles et concurrentes.
• L’image de la « tourterelle captive », qui fait de Rodolphe un prédateur.
• Le cliché final, par lequel Flaubert semble lui-même aller au bout du ridicule romantique : « Un désir suprême faisait
frissonner leurs lèvres sèches ; et mollement, sans effort, leurs doigts se confondirent ». On y trouve l’hyperbole de
« suprême », la métaphore du frisson des lèvres et de la sécheresse, et l’hyperbole des doigts qui se confondent.
• Une référence obligatoire : Dom Juan de Molière, et particulièrement la scène 2 de l’acte I. Dom Juan est un guerrier, il
conquiert les femmes, et tous les moyens lui sont bons. Ce passage de Molière peut aussi servir à discuter de la fin du
chapitre 7 de la Deuxième partie.

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