2024 - Textes Des Analyses Linéaires
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Argan, avec emportement. – Je ne suis point bon, et je suis méchant quand je veux.
Toinette – Doucement, Monsieur : vous ne songez pas que vous êtes malade.
Argan – Où est-ce donc que nous sommes ? et quelle audace est-ce là, à une coquine de servante, de parler
de la sorte devant son maître ?
Toinette – Quand un maître ne songe pas à ce qu'il fait, une servante bien sensée est en droit de le redresser.
10 Toinette, se sauve de lui. – Il est de mon devoir de m'opposer aux choses qui vous peuvent déshonorer.
Argan, en colère, court après elle autour de sa chaise, son bâton à la main. – Viens, viens, que je t'apprenne à
parler.
Toinette, courant et se sauvant du côté de la chaise où n'est pas Argan. – Je m'intéresse, comme je dois, à ne
vous point laisser faire de folie.
15 Argan – Chienne !
Argan – Pendarde !
Argan – Carogne !
25 Argan, se jette dans sa chaise, étant las de courir après elle. – Ah ! ah ! Je n'en puis plus ! Voilà pour me faire
mourir !
Etude linéaire n°2 : Molière, Le malade imaginaire, II-5
1 Monsieur Diafoirus – […] Il se retourne vers son fils et lui dit : Allons, Thomas, avancez. Faites vos
compliments.
Thomas Diafoirus, est un grand benêt nouvellement sorti des écoles, qui fait toutes choses de mauvaise
grâce et à contretemps. – N'est-ce pas par le père qu'il convient de commencer ?
Thomas Diafoirus – Monsieur, je viens saluer, reconnaître, chérir et révérer en vous un second père,
mais un second père auquel j'ose dire que je me trouve plus redevable qu'au premier. Le premier m'a
engendré ; mais vous m'avez choisi. Il m'a reçu par nécessité ; mais vous m'avez accepté par grâce. Ce
que je tiens de lui est un ouvrage de son corps ; mais ce que je tiens de vous est un ouvrage de votre
10 volonté ; et, d'autant plus que les facultés spirituelles sont au-dessus des corporelles, d'autant plus je
vous dois, et d'autant plus je tiens précieuse cette future filiation, dont je viens aujourd'hui vous rendre,
par avance, les très humbles et très respectueux hommages.
Thomas Diafoirus, à Angélique. – Madame, c'est avec justice que le ciel vous a concédé le nom de
20 belle-mère, puisque l'on...
Thomas Diafoirus – Mademoiselle, ni plus ni moins que la statue de Memnon rendait un son
harmonieux lorsqu'elle venait à être éclairée des rayons du soleil, tout de même me sens-je animé d'un
doux transport à l'apparition du soleil de vos beautés et, comme les naturalistes remarquent que la fleur
nommée héliotrope tourne sans cesse vers cet astre du jour, aussi mon cœur dores-en-avant tournera-t-il
30 toujours vers les astres resplendissants de vos yeux adorables, ainsi que vers son pôle unique. Souffrez
donc, mademoiselle, que j'appende aujourd'hui à l'autel de vos charmes l'offrande de ce cœur qui ne
respire et n'ambitionne autre gloire que d'être toute sa vie, mademoiselle, votre très humble, très
obéissant, et très fidèle serviteur et mari.
Toinette, en le raillant. – Voilà ce que c'est que d'étudier, on apprend à dire de belles choses. […]
Etude linéaire n°3 : Molière, Le malade imaginaire, extrait III-3
1 Argan. – [...] Mais enfin, venons au fait. Que faire donc, quand on est malade ?
Argan.- Rien ?
Béralde.- Rien. Il ne faut que demeurer en repos. La nature, d’elle-même, quand nous la laissons faire,
5 se tire doucement du désordre où elle est tombée. C’est notre inquiétude, c’est notre impatience qui
gâte tout, et presque tous les hommes meurent de leurs remèdes, et non pas de leurs maladies.
Argan.- Mais il faut demeurer d’accord, mon frère, qu’on peut aider cette nature par de certaines
choses.
Béralde.- Mon Dieu, mon frère, ce sont pures idées, dont nous aimons à nous repaître ; et de tout
10 temps il s’est glissé parmi les hommes de belles imaginations que nous venons à croire, parce qu’elles
nous flattent, et qu’il serait à souhaiter qu’elles fussent véritables. Lorsqu’un médecin vous parle d’aider,
de secourir, de soulager la nature, de lui ôter ce qui lui nuit, et lui donner ce qui lui manque, de la
rétablir, et de la remettre dans une pleine facilité de ses fonctions ; lorsqu’il vous parle de rectifier le
15 réparer le foie, de fortifier le cœur, de rétablir et conserver la chaleur naturelle, et d’avoir des secrets
pour étendre la vie à de longues années ; il vous dit justement le roman de la médecine. Mais quand
vous en venez à la vérité, et à l’expérience, vous ne trouvez rien de tout cela, et il en est comme de ces
beaux songes, qui ne vous laissent au réveil que le déplaisir de les avoir crus.
Argan.- C’est-à-dire, que toute la science du monde est renfermée dans votre tête, et vous voulez en
Béralde.- Dans les discours, et dans les choses, ce sont deux sortes de personnes que vos grands
médecins. Entendez-les parler, les plus habiles gens du monde ; voyez-les faire, les plus ignorants de
Argan.- Hoy ! Vous êtes un grand docteur, à ce que je vois, et je voudrais bien qu’il y eût ici quelqu’un
Béralde.- Moi, mon frère, je ne prends point à tâche de combattre la médecine, et chacun à ses périls et
fortune, peut croire tout ce qu’il lui plaît. Ce que j’en dis n’est qu’entre nous, et j’aurais souhaité de
pouvoir un peu vous tirer de l’erreur où vous êtes et, pour vous divertir, vous mener voir sur ce chapitre
30 Argan.- C’est un bon impertinent que votre Molière avec ses comédies, et je le trouve bien plaisant
Béralde.- Ce ne sont point les médecins qu’il joue, mais le ridicule de la médecine.
Etude linéaire n°4 (PARCOURS « SPECTACLE ET COMÉDIE ») : Jules Romains, Knock ou Le Triomphe de la
médecine (extrait II-1)
1 KNOCK.
[…] De quoi souffrez-vous ?
LE TAMBOUR.
Attendez que je réfléchisse ! (Il rit.) Voilà. Quand j’ai diné, il y a des fois que je me sens une espèce
de démangeaison ici. (Il montre le haut de son épigastre.) Ça me chatouille, ou plutôt, ça me
gratouille.
5 LE TAMBOUR.
Ça me gratouille. (Il médite.) Mais ça me chatouille bien un peu aussi.
KNOCK.
Désignez-moi exactement l’endroit.
LE TAMBOUR.
Par ici.
KNOCK.
Par ici… où cela, par ici ?
LE TAMBOUR.
Là. Ou peut-être là… Entre les deux.
10 KNOCK.
Juste entre les deux ?… Est-ce que ça ne serait pas plutôt un rien à gauche, là, où je mets mon doigt
?
LE TAMBOUR.
Il me semble bien.
KNOCK.
Ça vous fait mal quand j’enfonce mon doigt ?
LE TAMBOUR.
Oui, on dirait que ça me fait mal.
15 KNOCK.
Ah ! ah ! (Il médite d’un air sombre.) Est-ce que ça ne vous gratouille pas davantage quand vous
avez mangé de la tête de veau à la vinaigrette ?
LE TAMBOUR.
Je n’en mange jamais. Mais il me semble que si j’en mangeais, effectivement, ça me gratouillerait
plus.
ETUDE LINÉAIRE N°1 : Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la
PRÉAMBULE
1 Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la Nation, demandent d’être
mépris des droits de la femme, sont les seules causes des malheurs publics et de la
5 solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de la femme, afin que cette
déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle
sans cesse leurs droits et leurs devoirs, afin que les actes du pouvoir des femmes, et
ceux du pouvoir des hommes pouvant être à chaque instant comparés avec le but de
toute institution politique, en soient plus respectés, afin que les réclamations des
XIII
contributions de la femme et de l’homme sont égales ; elle a part à toutes les corvées, à toutes
les tâches pénibles ; elle doit donc avoir de même part à la distribution des places, des emplois,
XIV
5 Les Citoyennes et Citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes, ou par leurs
par l’admission d’un partage égal, non seulement dans la fortune, mais encore dans
l’impôt.
XV
10 La masse des femmes, coalisée pour la contribution à celle des hommes, a le droit de
XVI
[…] la Constitution est nulle, si la majorité des individus qui composent la nation, n’a pas
coopéré à sa rédaction.
ETUDE LINÉAIRE N°3 : Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, 1793 : Postambule
(extrait).
POSTAMBULE
reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de
5 de recourir aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa
compagne. Ô femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? Quels sont les
avantages que vous avez recueillis dans la révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain
plus signalé. Dans les siècles de corruption vous n’avez régné que sur la faiblesse des
hommes. Votre empire est détruit ; que vous reste-t-il donc ? la conviction des injustices de
de votre caractère, et vous verrez bientôt ces orgueilleux, non serviles adorateurs rampant à
vos pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l’Être suprême. Quelles que soient
les barrières que l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à
le vouloir.
PARCOURS « ECRIRE ET COMBATTRE POUR L’ÉGALITÉ » : Etienne de la Boétie, Discours de la
servitude volontaire, 1576 posth. (extrait)
1 Mais certes, s’il y a bien quelque chose de clair et d’apparent dans la nature, et où il ne soit pas
permis de faire l’aveugle, c’est le fait que la nature, ministre de Dieu et gouvernante des hommes,
nous a tous faits de même forme, et comme il me semble, selon un même moule, afin que nous
nous reconnaissions tous comme compagnons ou plutôt comme frères. Et si, partageant les
5 présents qu’elle nous faisait, elle a fait quelque avantage de son bien, soit au corps, soit en
l’esprit, aux uns plus qu’aux autres, cependant elle n’a pas pour autant eu l’intention de nous
mettre en ce monde comme en un champ clos, et n’a pas envoyé ici-bas les plus forts ni les plus
avisés comme des brigands armés dans une forêt pour y brutaliser les plus faibles. Au contraire, il
faut plutôt croire que faisant ainsi des parts aux uns plus grandes, aux autres plus petites, elle
10 voulait faire place à la fraternelle affection afin qu’elle eût où s’employer, les uns ayant la
Puisque donc cette bonne mère nous a donné à tous la terre pour demeurer, nous a tous
logés en quelque façon dans la même maison, nous a tous façonnés selon le même patron afin
que chacun pût se mirer et quasiment se reconnaître en l’autre, si elle nous a donné à tous ce
15 grand présent de la voix et de la parole pour nous rapprocher et fraterniser davantage, et faire par
la commune et mutuelle déclaration de nos pensées une communion de nos volontés, si elle a
tâché par tous les moyens de serrer et étreindre si fort le nœud de notre alliance et société, si elle
a montré en toutes choses qu’elle ne voulait pas tant nous faire tous unis que tous uns, il ne faut
pas douter que nous ne soyons tous naturellement libres, puisque nous sommes tous
20 compagnons.
Analyse linéaire n°1 : Colette, Sido (Chapitre I « Sido », p.49-50)
1 […] Étés réverbérés par le gravier jaune et chaud, étés traversant le jonc tressé de
mes grands chapeaux, étés presque sans nuits… Car j’aimais tant l’aube, déjà, que
demie, et je m’en allais, un panier vide à chaque bras, vers des terres maraîchères
5 qui se réfugiaient dans le pli étroit de la rivière, vers les fraises, les cassis et les
groseilles barbues.
À trois heures et demie, tout dormait dans un bleu originel, humide et confus, et
quand je descendais le chemin de sable, le brouillard retenu par son poids baignait
d’abord mes jambes, puis mon petit torse bien fait, atteignait mes lèvres, mes oreilles
10 et mes narines plus sensibles que tout le reste de mon corps… J’allais seule, ce pays
mal pensant était sans dangers. C’est sur ce chemin, c’est à cette heure que je
avec le premier souffle accouru, le premier oiseau, le soleil encore ovale, déformé par
son éclosion…
elle regardait courir et décroître sur la pente son œuvre, – « chef-d’œuvre » disait-elle.
J’étais peut-être jolie ; ma mère et mes portraits de ce temps-là ne sont pas toujours
d’accord… Je l’étais, à cause de mon âge et du lever du jour, à cause des yeux bleus
assombris par la verdure, des cheveux blonds qui ne seraient lissés qu’à mon retour,
1 Au vrai, cette Française vécut son enfance dans l’Yonne, son adolescence parmi
fixés ses deux frères aînés, puis elle revint dans l’Yonne et s’y maria, deux fois. D’où,
de qui lui furent remis sa rurale sensibilité, son goût fin de la province ? Je ne saurais
qu’elle nommait « le commun des mortels ». Je l’ai vue suspendre, dans un cerisier,
un épouvantail à effrayer les merles, car l’Ouest, notre voisin, enrhumé et doux,
10 chemineaux et coiffait ses groseilliers de gibus poilus. Peu de jours après, je trouvais
ma mère sous l’arbre, passionnément immobile, la tête à la rencontre du ciel d’où elle
– Chut !… Regarde…
Un merle noir, oxydé de vert et de violet, piquait les cerises, buvait le jus,
pour vider le noyau ? Et remarque bien qu’il n’attrape que les plus mûres…
Dans ses yeux passa une sorte de frénésie riante, un universel mépris, un
1 Et si tu arrivais, un jour d’été, dans mon pays, au fond d’un jardin que je connais, un
jardin noir de verdure et sans fleurs, si tu regardais bleuir, au lointain, une montagne
ronde où les cailloux, les papillons et les chardons se teignent du même azur mauve et
poussiéreux, tu m’oublierais, et tu t’assoirais là, pour n’en plus bouger jusqu’au terme de
5 ta vie.
Il y a encore, dans mon pays, une vallée étroite comme un berceau où, le soir, s’étire
brume couché sur l’air humide… Animé d’un lent mouvement d’onde, il se fond en lui-
même et se fait tour à tour nuage, femme endormie, serpent langoureux, cheval à cou de
10 chimère… Si tu restes trop tard penché vers lui sur l’étroite vallée, à boire l’air glacé qui
porte ce brouillard vivant comme une âme, un frisson te saisira, et toute la nuit tes
Écoute encore, donne tes mains dans les miennes : si tu suivais, dans mon pays, un
petit chemin que je connais, jaune et bordé de digitales d’un rose brûlant, tu croirais
15 gravir le sentier enchanté qui mène hors de la vie… Le chant bondissant des frelons
fourrés de velours t’y entraîne et bat à tes oreilles comme le sang même de ton cœur,
jusqu’à la forêt, là-haut, où finit le monde… C’est une forêt ancienne, oubliée des
Comme te voilà pâle et les yeux grands ! Que t’ai-je dit ! Je ne sais plus… je parlais,
20 je parlais de mon pays, pour oublier la mer et le vent… Te voilà pâle, avec des yeux
faut qu’une fois encore j’arrache, de mon pays, toutes mes racines qui saignent…
Analyse linéaire n°4 - Parcours « La célébration du monde » : Jean Giono, Regain, 1930 (extrait)
guêpes ; et c'est vrai, c'est là qu'ils ne sont plus que trois. Sous le village la pente
coule, sans herbes. Presque en bas, il y a un peu de terre molle et le poil raide
d'une pauvre oseraie. Dessous, c'est un vallon étroit et un peu d'eau. C'est donc des
5 maisons qu'on a bâties là, juste au bord, comme en équilibre, puis, au moment où
clocher et c'est resté tout accroché. Pas tout : il y a une maison qui s'est comme
décollée, qui a coulé du haut en bas, toute seule, qui est venue s'arrêter, les quatre
est un homme énorme. On dirait un morceau de bois qui marche. Au gros de l'été,
quand il se fait un couvre-nuque avec des feuilles de figuier, qu'il a les mains pleines
d'herbe et qu'il se redresse, les bras écartés, pour regarder la terre, c'est un arbre.
Sa chemise pend en lambeaux comme une écorce. Il a une grande lèvre épaisse et
15 difforme, comme un poivron rouge. Il envoie la main lentement sur toutes les choses
bête vivante, quand il en rencontre, il la regarde sans bouger : c'est un renard, c'est
un lièvre, c'est un gros serpent des pierrailles. Il ne bouge pas ; il a le temps. Il sait
20 qu'il y a, quelque part, dans un buisson, un lacet de fil de fer qui serre les cous au
passage.
Etude linéaire n°1 :