2024 - Textes Des Analyses Linéaires

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Etude linéaire n°1 : Molière, Le malade imaginaire, I-5

1 Toinette — Mon Dieu ! je vous connais, vous êtes bon naturellement.

Argan, avec emportement. – Je ne suis point bon, et je suis méchant quand je veux.

Toinette – Doucement, Monsieur : vous ne songez pas que vous êtes malade.

Argan – Je lui commande absolument de se préparer à prendre le mari que je dis.

5 Toinette – Et moi, je lui défends absolument d'en faire rien.

Argan – Où est-ce donc que nous sommes ? et quelle audace est-ce là, à une coquine de servante, de parler
de la sorte devant son maître ?

Toinette – Quand un maître ne songe pas à ce qu'il fait, une servante bien sensée est en droit de le redresser.

Argan, court après Toinette. – Ah ! insolente, il faut que je t'assomme !

10 Toinette, se sauve de lui. – Il est de mon devoir de m'opposer aux choses qui vous peuvent déshonorer.

Argan, en colère, court après elle autour de sa chaise, son bâton à la main. – Viens, viens, que je t'apprenne à
parler.

Toinette, courant et se sauvant du côté de la chaise où n'est pas Argan. – Je m'intéresse, comme je dois, à ne
vous point laisser faire de folie.

15 Argan – Chienne !

Toinette – Non, je ne consentirai jamais à ce mariage.

Argan – Pendarde !

Toinette – Je ne veux point qu'elle épouse votre Thomas Diafoirus.

Argan – Carogne !

20 Toinette – Et elle m'obéira plutôt qu'à vous.

Argan – Angélique, tu ne veux pas m'arrêter cette coquine-là ?

Angélique – Eh ! mon père, ne vous faites point malade.

Argan – Si tu ne me l'arrêtes, je te donnerai ma malédiction.

Toinette – Et moi, je la déshériterai, si elle vous obéit.

25 Argan, se jette dans sa chaise, étant las de courir après elle. – Ah ! ah ! Je n'en puis plus ! Voilà pour me faire
mourir !
Etude linéaire n°2 : Molière, Le malade imaginaire, II-5

1 Monsieur Diafoirus – […] Il se retourne vers son fils et lui dit : Allons, Thomas, avancez. Faites vos
compliments.

Thomas Diafoirus, est un grand benêt nouvellement sorti des écoles, qui fait toutes choses de mauvaise
grâce et à contretemps. – N'est-ce pas par le père qu'il convient de commencer ?

5 Monsieur Diafoirus – Oui.

Thomas Diafoirus – Monsieur, je viens saluer, reconnaître, chérir et révérer en vous un second père,
mais un second père auquel j'ose dire que je me trouve plus redevable qu'au premier. Le premier m'a
engendré ; mais vous m'avez choisi. Il m'a reçu par nécessité ; mais vous m'avez accepté par grâce. Ce
que je tiens de lui est un ouvrage de son corps ; mais ce que je tiens de vous est un ouvrage de votre
10 volonté ; et, d'autant plus que les facultés spirituelles sont au-dessus des corporelles, d'autant plus je
vous dois, et d'autant plus je tiens précieuse cette future filiation, dont je viens aujourd'hui vous rendre,
par avance, les très humbles et très respectueux hommages.

Toinette – Vivent les collèges d'où l'on sort si habile homme !

Thomas Diafoirus – Cela a-t-il bien été, mon père ?

15 Monsieur Diafoirus – Optime.

Argan, à Angélique. – Allons, saluez monsieur.

Thomas Diafoirus – Baiserai-je ?

Monsieur Diafoirus – Oui, oui.

Thomas Diafoirus, à Angélique. – Madame, c'est avec justice que le ciel vous a concédé le nom de
20 belle-mère, puisque l'on...

Argan – Ce n'est pas ma femme, c'est ma fille à qui vous parlez.

Thomas Diafoirus – Où donc est-elle ?

Argan – Elle va venir.

Thomas Diafoirus – Attendrai-je, mon père, qu'elle soit venue ?

25 Monsieur Diafoirus – Faites toujours le compliment de mademoiselle.

Thomas Diafoirus – Mademoiselle, ni plus ni moins que la statue de Memnon rendait un son
harmonieux lorsqu'elle venait à être éclairée des rayons du soleil, tout de même me sens-je animé d'un
doux transport à l'apparition du soleil de vos beautés et, comme les naturalistes remarquent que la fleur
nommée héliotrope tourne sans cesse vers cet astre du jour, aussi mon cœur dores-en-avant tournera-t-il
30 toujours vers les astres resplendissants de vos yeux adorables, ainsi que vers son pôle unique. Souffrez
donc, mademoiselle, que j'appende aujourd'hui à l'autel de vos charmes l'offrande de ce cœur qui ne
respire et n'ambitionne autre gloire que d'être toute sa vie, mademoiselle, votre très humble, très
obéissant, et très fidèle serviteur et mari.

Toinette, en le raillant. – Voilà ce que c'est que d'étudier, on apprend à dire de belles choses. […]
Etude linéaire n°3 : Molière, Le malade imaginaire, extrait III-3

1 Argan. – [...] Mais enfin, venons au fait. Que faire donc, quand on est malade ?

Béralde.- Rien, mon frère.

Argan.- Rien ?

Béralde.- Rien. Il ne faut que demeurer en repos. La nature, d’elle-même, quand nous la laissons faire,

5 se tire doucement du désordre où elle est tombée. C’est notre inquiétude, c’est notre impatience qui

gâte tout, et presque tous les hommes meurent de leurs remèdes, et non pas de leurs maladies.

Argan.- Mais il faut demeurer d’accord, mon frère, qu’on peut aider cette nature par de certaines

choses.

Béralde.- Mon Dieu, mon frère, ce sont pures idées, dont nous aimons à nous repaître ; et de tout

10 temps il s’est glissé parmi les hommes de belles imaginations que nous venons à croire, parce qu’elles

nous flattent, et qu’il serait à souhaiter qu’elles fussent véritables. Lorsqu’un médecin vous parle d’aider,

de secourir, de soulager la nature, de lui ôter ce qui lui nuit, et lui donner ce qui lui manque, de la

rétablir, et de la remettre dans une pleine facilité de ses fonctions ; lorsqu’il vous parle de rectifier le

sang, de tempérer les entrailles et le cerveau, de dégonfler la rate, de raccommoder la poitrine, de

15 réparer le foie, de fortifier le cœur, de rétablir et conserver la chaleur naturelle, et d’avoir des secrets

pour étendre la vie à de longues années ; il vous dit justement le roman de la médecine. Mais quand

vous en venez à la vérité, et à l’expérience, vous ne trouvez rien de tout cela, et il en est comme de ces

beaux songes, qui ne vous laissent au réveil que le déplaisir de les avoir crus.

Argan.- C’est-à-dire, que toute la science du monde est renfermée dans votre tête, et vous voulez en

20 savoir plus que tous les grands médecins de notre siècle.

Béralde.- Dans les discours, et dans les choses, ce sont deux sortes de personnes que vos grands

médecins. Entendez-les parler, les plus habiles gens du monde ; voyez-les faire, les plus ignorants de

tous les hommes.

Argan.- Hoy ! Vous êtes un grand docteur, à ce que je vois, et je voudrais bien qu’il y eût ici quelqu’un

25 de ces messieurs pour rembarrer vos raisonnements, et rabaisser votre caquet.

Béralde.- Moi, mon frère, je ne prends point à tâche de combattre la médecine, et chacun à ses périls et

fortune, peut croire tout ce qu’il lui plaît. Ce que j’en dis n’est qu’entre nous, et j’aurais souhaité de

pouvoir un peu vous tirer de l’erreur où vous êtes et, pour vous divertir, vous mener voir sur ce chapitre

quelqu’une des comédies de Molière.

30 Argan.- C’est un bon impertinent que votre Molière avec ses comédies, et je le trouve bien plaisant

d’aller jouer d’honnêtes gens comme les médecins.

Béralde.- Ce ne sont point les médecins qu’il joue, mais le ridicule de la médecine.
Etude linéaire n°4 (PARCOURS « SPECTACLE ET COMÉDIE ») : Jules Romains, Knock ou Le Triomphe de la
médecine (extrait II-1)

1 KNOCK.
[…] De quoi souffrez-vous ?

LE TAMBOUR.
Attendez que je réfléchisse ! (Il rit.) Voilà. Quand j’ai diné, il y a des fois que je me sens une espèce
de démangeaison ici. (Il montre le haut de son épigastre.) Ça me chatouille, ou plutôt, ça me
gratouille.

KNOCK, d’un air de profonde concentration.


Attention. Ne confondons pas. Est-ce que ça vous chatouille, ou est-ce que ça vous gratouille ?

5 LE TAMBOUR.
Ça me gratouille. (Il médite.) Mais ça me chatouille bien un peu aussi.

KNOCK.
Désignez-moi exactement l’endroit.

LE TAMBOUR.
Par ici.

KNOCK.
Par ici… où cela, par ici ?

LE TAMBOUR.
Là. Ou peut-être là… Entre les deux.

10 KNOCK.
Juste entre les deux ?… Est-ce que ça ne serait pas plutôt un rien à gauche, là, où je mets mon doigt
?

LE TAMBOUR.
Il me semble bien.

KNOCK.
Ça vous fait mal quand j’enfonce mon doigt ?

LE TAMBOUR.
Oui, on dirait que ça me fait mal.

15 KNOCK.
Ah ! ah ! (Il médite d’un air sombre.) Est-ce que ça ne vous gratouille pas davantage quand vous
avez mangé de la tête de veau à la vinaigrette ?

LE TAMBOUR.
Je n’en mange jamais. Mais il me semble que si j’en mangeais, effectivement, ça me gratouillerait
plus.
ETUDE LINÉAIRE N°1 : Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la

citoyenne, 1793 : Préambule.

PRÉAMBULE

1 Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la Nation, demandent d’être

constituées en Assemblée nationale ; considérant que l’ignorance, l’oubli ou le

mépris des droits de la femme, sont les seules causes des malheurs publics et de la

corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une déclaration

5 solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de la femme, afin que cette

déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle

sans cesse leurs droits et leurs devoirs, afin que les actes du pouvoir des femmes, et

ceux du pouvoir des hommes pouvant être à chaque instant comparés avec le but de

toute institution politique, en soient plus respectés, afin que les réclamations des

10 Citoyennes, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent

toujours au maintien de la Constitution, des bonnes mœurs, et au bonheur de tous.

En conséquence, le sexe supérieur en beauté comme en courage dans les

souffrances maternelles, reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de

l’Être suprême, les Droits suivants de la femme et de la citoyenne.


ETUDE LINÉAIRE N°2 : Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la

citoyenne, 1793 : Articles XIII à XV.

XIII

1 Pour l’entretien de la force publique et pour les dépenses de l’administration, les

contributions de la femme et de l’homme sont égales ; elle a part à toutes les corvées, à toutes

les tâches pénibles ; elle doit donc avoir de même part à la distribution des places, des emplois,

des charges, des dignités et de l’industrie.

XIV

5 Les Citoyennes et Citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes, ou par leurs

représentants, la nécessité de la contribution publique. Les Citoyennes ne peuvent y adhérer que

par l’admission d’un partage égal, non seulement dans la fortune, mais encore dans

l’administration publique, et de déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée de

l’impôt.

XV

10 La masse des femmes, coalisée pour la contribution à celle des hommes, a le droit de

demander compte, à tout agent public, de son administration.

XVI

[…] la Constitution est nulle, si la majorité des individus qui composent la nation, n’a pas

coopéré à sa rédaction.
ETUDE LINÉAIRE N°3 : Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, 1793 : Postambule
(extrait).

POSTAMBULE

1 Femme, réveille-toi ; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ;

reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de

fanatisme, de superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les

nuages de la sottise et de l’usurpation. L’homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin

5 de recourir aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa

compagne. Ô femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? Quels sont les

avantages que vous avez recueillis dans la révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain

plus signalé. Dans les siècles de corruption vous n’avez régné que sur la faiblesse des

hommes. Votre empire est détruit ; que vous reste-t-il donc ? la conviction des injustices de

10 l’homme. […] Opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de

supériorité ; réunissez-vous sous les étendards de la philosophie ; déployez toute l’énergie

de votre caractère, et vous verrez bientôt ces orgueilleux, non serviles adorateurs rampant à

vos pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l’Être suprême. Quelles que soient

les barrières que l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à

le vouloir.
PARCOURS « ECRIRE ET COMBATTRE POUR L’ÉGALITÉ » : Etienne de la Boétie, Discours de la
servitude volontaire, 1576 posth. (extrait)

1 Mais certes, s’il y a bien quelque chose de clair et d’apparent dans la nature, et où il ne soit pas

permis de faire l’aveugle, c’est le fait que la nature, ministre de Dieu et gouvernante des hommes,

nous a tous faits de même forme, et comme il me semble, selon un même moule, afin que nous

nous reconnaissions tous comme compagnons ou plutôt comme frères. Et si, partageant les

5 présents qu’elle nous faisait, elle a fait quelque avantage de son bien, soit au corps, soit en

l’esprit, aux uns plus qu’aux autres, cependant elle n’a pas pour autant eu l’intention de nous

mettre en ce monde comme en un champ clos, et n’a pas envoyé ici-bas les plus forts ni les plus

avisés comme des brigands armés dans une forêt pour y brutaliser les plus faibles. Au contraire, il

faut plutôt croire que faisant ainsi des parts aux uns plus grandes, aux autres plus petites, elle

10 voulait faire place à la fraternelle affection afin qu’elle eût où s’employer, les uns ayant la

possibilité de donner de l’aide, les autres ayant besoin d’en recevoir.

Puisque donc cette bonne mère nous a donné à tous la terre pour demeurer, nous a tous

logés en quelque façon dans la même maison, nous a tous façonnés selon le même patron afin

que chacun pût se mirer et quasiment se reconnaître en l’autre, si elle nous a donné à tous ce

15 grand présent de la voix et de la parole pour nous rapprocher et fraterniser davantage, et faire par

la commune et mutuelle déclaration de nos pensées une communion de nos volontés, si elle a

tâché par tous les moyens de serrer et étreindre si fort le nœud de notre alliance et société, si elle

a montré en toutes choses qu’elle ne voulait pas tant nous faire tous unis que tous uns, il ne faut

pas douter que nous ne soyons tous naturellement libres, puisque nous sommes tous

20 compagnons.
Analyse linéaire n°1 : Colette, Sido (Chapitre I « Sido », p.49-50)

1 […] Étés réverbérés par le gravier jaune et chaud, étés traversant le jonc tressé de

mes grands chapeaux, étés presque sans nuits… Car j’aimais tant l’aube, déjà, que

ma mère me l’accordait en récompense. J’obtenais qu’elle m’éveillât à trois heures et

demie, et je m’en allais, un panier vide à chaque bras, vers des terres maraîchères

5 qui se réfugiaient dans le pli étroit de la rivière, vers les fraises, les cassis et les

groseilles barbues.

À trois heures et demie, tout dormait dans un bleu originel, humide et confus, et

quand je descendais le chemin de sable, le brouillard retenu par son poids baignait

d’abord mes jambes, puis mon petit torse bien fait, atteignait mes lèvres, mes oreilles

10 et mes narines plus sensibles que tout le reste de mon corps… J’allais seule, ce pays

mal pensant était sans dangers. C’est sur ce chemin, c’est à cette heure que je

prenais conscience de mon prix, d’un état de grâce indicible et de ma connivence

avec le premier souffle accouru, le premier oiseau, le soleil encore ovale, déformé par

son éclosion…

15 Ma mère me laissait partir, après m’avoir nommée « Beauté, Joyau-tout-en-or » ;

elle regardait courir et décroître sur la pente son œuvre, – « chef-d’œuvre » disait-elle.

J’étais peut-être jolie ; ma mère et mes portraits de ce temps-là ne sont pas toujours

d’accord… Je l’étais, à cause de mon âge et du lever du jour, à cause des yeux bleus

assombris par la verdure, des cheveux blonds qui ne seraient lissés qu’à mon retour,

20 et de ma supériorité d’enfant éveillée sur les autres enfants endormis.


Analyse linéaire n°2 : Colette, Sido (Chapitre I « Sido », p.61-62)

1 Au vrai, cette Française vécut son enfance dans l’Yonne, son adolescence parmi

des peintres, des journalistes, des virtuoses de la musique, en Belgique, où s’étaient

fixés ses deux frères aînés, puis elle revint dans l’Yonne et s’y maria, deux fois. D’où,

de qui lui furent remis sa rurale sensibilité, son goût fin de la province ? Je ne saurais

5 le dire. Je la chante, de mon mieux. Je célèbre la clarté originelle qui, en elle,

refoulait, éteignait souvent les petites lumières péniblement allumées au contact de ce

qu’elle nommait « le commun des mortels ». Je l’ai vue suspendre, dans un cerisier,

un épouvantail à effrayer les merles, car l’Ouest, notre voisin, enrhumé et doux,

secoué d’éternuements en série, ne manquait pas de déguiser ses cerisiers en vieux

10 chemineaux et coiffait ses groseilliers de gibus poilus. Peu de jours après, je trouvais

ma mère sous l’arbre, passionnément immobile, la tête à la rencontre du ciel d’où elle

bannissait les religions humaines…

– Chut !… Regarde…

Un merle noir, oxydé de vert et de violet, piquait les cerises, buvait le jus,

15 déchiquetait la chair rosée…

– Qu’il est beau !… chuchotait ma mère. Et tu vois comme il se sert de sa

patte ? Et tu vois les mouvements de sa tête et cette arrogance ? Et ce tour de bec

pour vider le noyau ? Et remarque bien qu’il n’attrape que les plus mûres…

– Mais, maman, l’épouvantail…

20 – Chut !… L’épouvantail ne le gêne pas…

– Mais, maman, les cerises !…

Ma mère ramena sur la terre ses yeux couleur de pluie :

– Les cerises ?… Ah ! oui, les cerises…

Dans ses yeux passa une sorte de frénésie riante, un universel mépris, un

25 dédain dansant qui me foulait avec tout le reste, allègrement…


Analyse linéaire n°3 : Colette, Les vrilles de la vigne (« Jour gris », p.150-151)

1 Et si tu arrivais, un jour d’été, dans mon pays, au fond d’un jardin que je connais, un

jardin noir de verdure et sans fleurs, si tu regardais bleuir, au lointain, une montagne

ronde où les cailloux, les papillons et les chardons se teignent du même azur mauve et

poussiéreux, tu m’oublierais, et tu t’assoirais là, pour n’en plus bouger jusqu’au terme de

5 ta vie.

Il y a encore, dans mon pays, une vallée étroite comme un berceau où, le soir, s’étire

et flotte un fil de brouillard, un brouillard ténu, blanc, vivant, un gracieux spectre de

brume couché sur l’air humide… Animé d’un lent mouvement d’onde, il se fond en lui-

même et se fait tour à tour nuage, femme endormie, serpent langoureux, cheval à cou de

10 chimère… Si tu restes trop tard penché vers lui sur l’étroite vallée, à boire l’air glacé qui

porte ce brouillard vivant comme une âme, un frisson te saisira, et toute la nuit tes

songes seront fous…

Écoute encore, donne tes mains dans les miennes : si tu suivais, dans mon pays, un

petit chemin que je connais, jaune et bordé de digitales d’un rose brûlant, tu croirais

15 gravir le sentier enchanté qui mène hors de la vie… Le chant bondissant des frelons

fourrés de velours t’y entraîne et bat à tes oreilles comme le sang même de ton cœur,

jusqu’à la forêt, là-haut, où finit le monde… C’est une forêt ancienne, oubliée des

hommes, et toute pareille au paradis, écoute bien, car…

Comme te voilà pâle et les yeux grands ! Que t’ai-je dit ! Je ne sais plus… je parlais,

20 je parlais de mon pays, pour oublier la mer et le vent… Te voilà pâle, avec des yeux

jaloux… Tu me rappelles à toi, tu me sens si lointaine… Il faut que je refasse le chemin, il

faut qu’une fois encore j’arrache, de mon pays, toutes mes racines qui saignent…
Analyse linéaire n°4 - Parcours « La célébration du monde » : Jean Giono, Regain, 1930 (extrait)

1 Aubignane est collé contre le tranchant du plateau comme un petit nid de

guêpes ; et c'est vrai, c'est là qu'ils ne sont plus que trois. Sous le village la pente

coule, sans herbes. Presque en bas, il y a un peu de terre molle et le poil raide

d'une pauvre oseraie. Dessous, c'est un vallon étroit et un peu d'eau. C'est donc des

5 maisons qu'on a bâties là, juste au bord, comme en équilibre, puis, au moment où

ça a commencé à glisser sur la pente, on a planté au milieu du village le pieu du

clocher et c'est resté tout accroché. Pas tout : il y a une maison qui s'est comme

décollée, qui a coulé du haut en bas, toute seule, qui est venue s'arrêter, les quatre

fers d'aplomb, au bord du ruisseau, à la fourche du ruisseau et de ce qu'ils

10 appelaient la route, là, contre un cyprès. C'est la maison de Panturle. Le Panturle

est un homme énorme. On dirait un morceau de bois qui marche. Au gros de l'été,

quand il se fait un couvre-nuque avec des feuilles de figuier, qu'il a les mains pleines

d'herbe et qu'il se redresse, les bras écartés, pour regarder la terre, c'est un arbre.

Sa chemise pend en lambeaux comme une écorce. Il a une grande lèvre épaisse et

15 difforme, comme un poivron rouge. Il envoie la main lentement sur toutes les choses

qu'il veut prendre, généralement ça ne bouge pas ou ça ne bouge plus. C'est du

fruit, de l'herbe ou de la bête morte ; il a le temps. Et quand il tient, il tient bien. De la

bête vivante, quand il en rencontre, il la regarde sans bouger : c'est un renard, c'est

un lièvre, c'est un gros serpent des pierrailles. Il ne bouge pas ; il a le temps. Il sait

20 qu'il y a, quelque part, dans un buisson, un lacet de fil de fer qui serre les cous au

passage.
Etude linéaire n°1 :

Rimbaud, "Vénus anadyomène" (Cahiers de Douai ; Premier cahier)

1 Comme d’un cercueil vert en fer blanc, une tête

De femme à cheveux bruns fortement pommadés

D’une vieille baignoire émerge, lente et bête,

Avec des déficits assez mal ravaudés ;

5 Puis le col gras et gris, les larges omoplates

Qui saillent ; le dos court qui rentre et qui ressort ;

Puis les rondeurs des reins semblent prendre l’essor ;

La graisse sous la peau paraît en feuilles plates ;

L’échine est un peu rouge, et le tout sent un goût

10 Horrible étrangement ; on remarque surtout

Des singularités qu’il faut voir à la loupe…

Les reins portent deux mots gravés : Clara Venus ;

– Et tout ce corps remue et tend sa large croupe

Belle hideusement d’un ulcère à l’anus.


Etude linéaire n°2 :

Rimbaud, "Le dormeur du val" (Cahiers de Douai ; Second cahier)

1 C’est un trou de verdure où chante une rivière

Accrochant follement aux herbes des haillons

D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,

Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.

5 Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,

Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,

Dort ; il est étendu dans l’herbe, sous la nue,

Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme

10 Sourirait un enfant malade, il fait un somme :

Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;

Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine

Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.


Etude linéaire n°3 :

Rimbaud, "Ma Bohême (Fantaisie)" (Cahiers de Douai ; Second cahier)

1 Je m’en allais, les poings dans mes poches crevées ;

Mon paletot aussi devenait idéal ;

J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal ;

Oh ! là ! là ! que d’amours splendides j’ai rêvées !

5 Mon unique culotte avait un large trou.

– Petit-Poucet rêveur, j’égrenais dans ma course

Des rimes. Mon auberge était à la Grande-Ourse.

– Mes étoiles au ciel avaient un doux frou-frou

Et je les écoutais, assis au bord des routes,

10 Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes

De rosée à mon front, comme un vin de vigueur ;

Où, rimant au milieu des ombres fantastiques,

Comme des lyres, je tirais les élastiques

De mes souliers blessés, un pied près de mon coeur !


Etude linéaire n°4 (Parcours complémentaire "Émancipations poétiques") :

Baudelaire, "L'Albatros" in Les Fleurs du mal

1 Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage

Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,

Qui suivent, indolents compagnons de voyage,

Le navire glissant sur les gouffres amers.

5 A peine les ont-ils déposés sur les planches,

Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,

Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches

Comme des avirons traîner à côté d’eux.

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !

10 Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !

L’un agace son bec avec un brûle-gueule,

L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !

Le Poète est semblable au prince des nuées

Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;

Exilé sur le sol au milieu des huées,

Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.

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