COURS DE PATRIMOINE RELIGIEUX DE L'AFRIQUE UCGB KIKWIT (Prof. Abbé Emery MUSUNGU)
COURS DE PATRIMOINE RELIGIEUX DE L'AFRIQUE UCGB KIKWIT (Prof. Abbé Emery MUSUNGU)
COURS DE PATRIMOINE RELIGIEUX DE L'AFRIQUE UCGB KIKWIT (Prof. Abbé Emery MUSUNGU)
INTRODUCTION GÉNÉRALE
CONTENU DU COURS
Le cours de Patrimoine religieux de l’Afrique en L2 LMD se focalisera
principalement sur les religions traditionnelles africaines, et aussi sur le Christianisme,
l’Islam, le Judaïsme, les sectes, etc. La vie religieuse des Bantu semble se résumer dans le
culte rendu à leurs ancêtres et à leur monothéisme. Les actes de religion s’accompagnent des
croyances et pratiques parareligieuses. La religion imprègne toute la vie du Négro-africain en
général et des Bantu en particulier. La religion est l’élément central de la culture des Bantu et
la clé de la compréhension de la vision du monde des négro-africains1. Ainsi, notre cours sera
structuré en cinq chapitres: il présentera d’abord les éléments fondamentaux de la Religion
Traditionnelle. Puis, une brève anthropologie négro-africaine (bantu) d’autant puisque toute la
vie des négro-africains baigne dans la religion. Ensuite, il sera question de la notion de Dieu
chez les négro-africains (bantu) à partir de deux principaux auteurs Vincent Mulago, Oscar
Bimwenyi. Enfin, le cours abordera la question difficile de la rencontre Christianisme et les
Religions Traditionnelles Africaines : une rencontre brutale. Et aussi la rencontre de Religions
Traditionnelles Africaines avec les sectes et les églises dites de réveil. En dernière analyse, il
examinera des formes actuelles des religions africaines.
LES OBJECTIFS
Les objectifs spécifiques
- Offrir aux étudiants une base introductive sur le patrimoine religieux de
l’Afrique.
- Faire connaître aux étudiants les contenus des Religions traditionnelles
africaines et leurs diverses manifestations sur le terrain
- Leur donner une saine connaissance des Religions Traditionnelles Africaines
et redorer le vrai sens du sacré.
- Montrer que bien avant l’avènement du Christianisme, les négro-africains
(bantu) croyaient en un Être Suprême (Dieu).
- Faire comprendre aux étudiants que les questions des religions font partie des
questions de sociétés.
1
Cf. MULAGO GWA CIKALA M., La religion traditionnelle des bantu et leur vision du monde, Kinshasa, Presses
Universitaires du Zaïre, 1973, p. 11.
2 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
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LES COMPÉTENCES
- Au terme de ce cours, chaque étudiant sera à mesure d’expliquer ce qui est de
la foi et des croyances
- Savoir distinguer la religion révélée de la religion non révélée (ou religion
naturelle).
Qu’est-ce que la religion ?
Notre cours étudiera les religions traditionnelles africaines. De prime abord, il convient
de préciser de quelle Afrique parle-t-on dans notre ce cours ? Il est donc question, rappelons-
le, de l’Afrique subsaharienne, c’est-à-dire la partie comprise entre le désert du Sahara et
l’Afrique du Sud.
Comment peut-on définir la religion ? De manière générale, le mot religion a une
double étymologie : il vient des mots latins « Religare » qui signifie relier et « Relegere » qui
signifie « relire ». Pour Vincent Mulago, on pourrait dire, avec Cicéron, vient du verbe
relegere : relire, revoir avec soin ; ou bien, si l’on rejette ce sens répétitif, on pourrait lui
donner le sens étymologique de religere : recueillir, rassembler. Si c’est un Muntu qui devrait
nous dire ce que signifie pour lui le terme religion, renchérit Mulago, nous croyons plutôt
qu’il y verrait l’idée de lien, « un lien d’union entre les hommes, ou entre les hommes et les
dieux »2, et il rejoindrait ainsi le sens étymologique de Saint Augustin et de Lactance (religio :
reliage). Deux significations, remarquons-le, ont toutes les deux rapports à la
communication :
Il s’agit, d’une part, d’« être relié ». La religion, c’est la manière d’être reliés
les uns avec les autres, en raison d’un lieu avec Dieu. En d’autres termes, la
religion est une manière de se relier à Dieu, d’être en communication avec lui,
de se rassembler et de vivre ensemble en alliance en son nom.
Il s’agit, d’autre part, de « relire » la vie, de déchiffrer le mystère de l’existence
et de lui donner ainsi du sens supplémentaire. Autrement dit, la religion est
l’exercice d’un lien (alliance) avec Dieu et entre nous en même temps qu’elle
est la lecture (ou l’interprétation) de ce lien. La religion ajoute du « liant »
entre nous en même temps qu’elle nous permet de relire notre existence, d’y
2
A. LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la Philosophie, Paris, P.U.F, 1968. Voir le mot religion en
note.
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3
P. CHAVOT, Le dictionnaire de Dieu. Judaïsme, Christianisme, Islam, Editions France Loisirs, Paris 2005, 551,
cité par A.-SAM SIMANTOTO MAFUTA, La face occulte de Dieu des Congolais. Parole de Jésus et révélations des
charlatans : comment faire différence ?, Paris, L’Harmattan, 2012, 26.
4
J.-M. PARYS, « Égarement de des sectes », in Nouvelles Rationalités Africaines, « La théologie africaine d’ici
au synode continental africain » 22/14 (1989), 78.
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existe environ un millier de peuples africains (tribus) qui, chacun possède son propre système
religieux. Ces religions constituent une réalité suffisamment importante pour qu’elles fassent
l’objet d’une étude minutieuse »5.
Ce qui est vrai, comme l’indique si bien Nathanaël Yaovi SOEDE dans une position
plus conciliante : « On retrouve des valeurs que les populations noires ont gardées, adaptées et
développées dans leurs différents milieux de vie compte tenu des événements historiques, des
exigences climatiques et des besoins des générations, d’individus et des groupes humains. Ces
valeurs ont constitué de nos jours une diversité-unité des croyances, des pratiques, des mœurs
communément appelées Traditions africaines, Coutumes ancestrales ou Religions
Traditionnelles Africaines ».
Notons au passage que l’adjectif « traditionnel » ne voudrait pas dire ici ce qui est «
passé », « vieux », « dépassé » (anti - moderne), « immuable » : c’est une référence essentielle
à l’héritage du passé mais qui n’exclut pas une constante restructuration en fonction des
rapports et des circonstances de l’histoire6.
5
J. MBITI, Religions et philosophie africaines, Yaoundé, Clé, 1972, 9.
6
Cf . KIPOY-POMBO, Cours d’introduction aux Religions Traditionnelles et aux valeurs universelles de la pensée
africaine, Université Pontificale Urbaine, Faculté de Missiologie, Rome, Année Académique 2009-2010 (inédit),
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CHAPITRE PREMIER
ELEMENTS FONDAMENTAUX DE LA RELIGION TRADITIONNELLE
Une des difficultés majeures que présentent l’étude des religions traditionnelles
africaines est qu’elles ne sont pas codifiées par écrit. Ces religions sont plutôt transcrites dans
le cœur des hommes, dans leurs esprits, dans leur tradition orale, dans leurs rites et à travers
leurs officiants tels que les prêtres, les faiseurs de pluie, les anciens et même les rois7. Ernest
Dammann écrit à ce sujet : « Aucune religion n’est née en Afrique. On n’y a jamais vu se
lever un fondateur de religion (d’une religion nouvelle et durable) … C’est pourquoi, au Sud
du Sahara, on ne parle que de religions naturelles. Nous entendons par là que ceux qui la
pratiquent sont des peuples archaïques »8. Précisons tout de suite que le mot « naturel » ici n’a
rien de péjoratif, il est utilisé par opposition à la religion révélée, c’est-à-dire que la religion
traditionnelle africaine surgit d’une auto-compréhension de l’homme hors de tout recours à la
révélation. Par ailleurs pour cet auteur, archaïque ne s’oppose pas à civilisé. Il va sans dire
que les peuples archaïques ont une civilisation, on entend par là le pouvoir de dominer son
milieu de vie sans lui faire violence. Le primitif fait appel à toute sorte d’inventions qui font
partie de la civilisation (fabrication d’outils, doué en l’art, etc.). La différence avec le civilisé
proviendrait en ceci : le primitif fait partie de son milieu, vit parfaitement de lui et pour lui, il
ne s’en est pas « distancié », alors que le civilisé ne vit, ni du, ni dans le tout.
Le moins qu’on puisse relever parlant de la religion en Afrique au Sud du Sahara est
que le sentiment religieux est inné chez l’Africain. Ce dernier est profondément un être
religieux. C’est ce qui fait dire à John Mbiti que « la religion pénètre si intimement tous les
domaines de la vie qu’il n’est pas facile de l’isoler »9. Et de poursuivre : « Là où est l’homme
(africain) est, là est sa religion, car il est un être religieux : la religion est au cœur de son
7
Cf. J. MBITI, op.cit., 12.
8
E. DAMMANN, Les religions de l’Afrique, Paris, Payot, 1973, 14.
9
J. MBITI, op.cit., 9.
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système d’existence »10. L’aspiration de l’homme africain vers l’Absolu est inscrite dans son
cœur. Pour dire bref avec Vincent Mulago, « la philosophie de l’homme Muntu s’intègre dans
la Religion et inversement. Sa philosophie, comme toute sa vie, est religieuse, et sa Religion
est une Philosophie vécue »11. Toute la vie de l’africain, comme nous le verrons, baigne dans
sa religion.
I.2. La transcendance impersonnelle ou puissance
Presque toujours l’homme est en face d’une transcendance qu’il ne pouvait pas défier.
Pour lui, la transcendance à laquelle il est lié, a son origine sur un autre plan, celui de la
religion. Le primitif fait donc l’expérience quotidienne de la transcendance et de sa puissance
et ce, dans presque tous les domaines de son existence.
Qu’est ce qui fait naître universellement cette croyance à une
« puissance » transcendante ? L’Africain a parfaitement le sens de la causalité. Sans elle,
d’ailleurs, ni sa vie sociale, ni sa vie économique, ne seraient pensables. Pour lui, ce qui sort
de l’ordinaire, il l’attribue à une puissance étrangère, magique. Cette causalité ne repose pas
sur l’observation scientifique de quelques phénomènes donnés, mais à une puissance fût-elle
magique. Par exemple, la forêt et le champ, lieux de la croyance, sont également le siège
d’une « puissance ». Certains animaux et oiseaux sont revêtus d’un caractère mystérieux.
I.3. Éléments fondamentaux de la religion africaine
Selon Vincent Mulago, la religion traditionnelle négro-africaine peut-être basée sur
quatre éléments fondamentaux :
- La croyance à un Être suprême
- L’unité de vie et la participation ;
- La croyance à l’accroissement, au décroissement et à l’interaction des êtres ;
- Le symbole, moyen principal ;
- Une éthique découlant de l’ontologie12.
10
Ibid., 12.
11
V. MULAGO, « Le dieu des bantu », dans Cahiers des Religions Africaines, vol. 2, n° 3 (janvier 1968), 25 ;
IDEM, Un visage africain du christianisme, Paris, Présence Africaine, 1962, 83.
12
Cf. V. MULAGO, « Fin ultime de l’homme africain dans sa religion traditionnelle et son accomplissement dans
le Christ », dans IDEM, Théologie africaine et problèmes connexes. Au fil des années (1956- 1992), Paris,
L’Harmattan, 2007, 297 ; cf. IDEM,La religion traditionnelle des bantu et leur vision du monde, Zaïre, Presses
Universitaires du Zaïre, 1973, 121.
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univers religieux. Pour lui, cela n’est nullement une spéculation académique mais une
expérience empirique qui culmine à certains endroits dans les actes du culte. « En réalité la
présence de Dieu pénètre la vie traditionnelle africaine comme la présence d’un être
supérieur, personnel et mystérieux » (Paul VI).
L’idée de Dieu comme cause première et dernière de toutes les choses traverse la
vision bantu du monde et sous-tend sa spiritualité. Ce Dieu est nommé différemment selon
les coutumes est évoqué à maintes reprises dans plusieurs proverbes et à travers divers contes
et chants.
Dieu transmet la vie à tous les hommes à travers leurs ancêtres et les esprits des
membres défunts de la communauté. Dans le monde visible, vient d’abord le traditionnel
souverain ou roi, puis les chefs de clan, et en fin les chefs de famille. Ils sont les représentants
de Dieu, et c’est par eux que la vie se transmet à chaque individu.
La vie est considérée dans la pensée africaine comme le bien le plus précieux, non
seulement pour les individus mais aussi pour la communauté toute entière à laquelle chacun
appartient. Par la participation du sang, symbole de la vie, en accord avec la hiérarchie sacrée
ci-dessus mentionnée, chaque individu est étroitement uni à l’Être suprême et aussi à tous les
autres membres de sa communauté.
On peut dire avec Vincent Mulago que « l’union vitale est le lien unissant entre eux,
verticalement et horizontalement, des êtres vivants et trépassés ; elle est le principe vivifiant
qui se trouve en eux tous. C’est le résultat d’une communion, d’une participation à une même
réalité, à un même principe vital, qui unit entre eux plusieurs êtres »13.
La vie dont il est question ici, est une vie intégrale, individuelle et communautaire ou
collective. Car, pour les Négro-africains, vivre, c’est exister au sein d’une communauté ; c’est
participer à la vie des ancêtres ; c’est prolonger et préparer son propre prolongement dans ses
descendants. Ladite vie peut être considérée sous une double forme :
13
V. MULAGO, La religion traditionnelle des bantu et leur vision du monde, 121.
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14
Cf. Ibid., 122.
15
Cf. V. MULAGO, La religion traditionnelle des bantu et leur vision du monde, 125.
9 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
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communication de cette vie, la participation à cette unique vie, voilà le premier lien qui unit
les membres de la communauté. La contribution à sa communication, à sa conservation, à son
prolongement, voilà le second élément de l’union vitale.
16
. MULAGO, « Fin ultime de l’homme africain dans sa religion traditionnelle et son accomplissement dans le
Christ », dans IDEM, Théologie africaine et problèmes connexes, 303 ; cf. IDEM, La religion traditionnelle des
bantu et leur vision du monde, 129.
10 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
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Toutefois, même si l’éthique des Bantu est anthropocentrique, elle n’exclut pas la
catégorie du devant Dieu. Dieu reste la référence éthique à travers la loi naturelle qu’il placée
dans le cœur de chacun dans sa conscience. Ainsi précise Vincent Mulago, « il n’est pas
moins vrai que Dieu est toujours conçu comme la source de la vie et de tous les moyens
existentiels. Même les noms employés pour designer l’Être Suprême sont révélateurs à ce
point de vue. Et les proverbes sont encore plus convaincants »17. Devant les réalités de la vie,
il demeure le dernier conseiller de l’homme.
I.4. Combat pour la reconnaissance
17
IDEM, « Fin ultime de l’homme africain dans sa religion traditionnelle et son accomplissement dans le Christ »,
dans IDEM, Théologie africaine et problèmes connexes, 307.
11 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
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Parmi les esprits lucides qui ont mené avec succès ce grand combat de la reconnaissance
des religions traditionnelles africaines, la figure de l’abbé Oscar Bimwenyi a retenu toute
notre attention. On originalité réside sur le fait qu'Il met en lumière plusieurs colloques qui
ont porté au grand jour les religions africaines et leur dynamisme. Signalons à cet effet entre
autres :
1. le Colloque sur les religions, tenu à Abidjan (Côte d’Ivoire) en avril (1962), publié
aux éditions Présence Africaine, Paris (1962). La première partie de ce document est
entièrement consacrée aux exposés et à la discussion sur « l’animisme », comme on
appelait les religions négro-africaines d’alors.
2. Les religions africaines traditionnelles (rencontre internationale de Bouaké), éd., du
Seuil, Paris (1965). Il s’agit des rencontres organisées par le centre culturel du
monastère bénédictin de Bouaké en Côte d’Ivoire, réunissant ethnologues,
philosophes, religieux et sociologues (Européens, Américains et Africains) pour
« dissiper » l’ignorance sur les religions traditionnelles et entrer ainsi en possession
« de la clé pour comprendre les Africains ».
3. En 1970, se tint à Cotonou (capitale du Bénin, alors Dahomey), un colloque sur les
religions africaines comme source de valeurs de civilisation. Publié aux éditions
Présence Africaines (Paris 1972), les travaux de ces assises ont eu le mérite de donner
une idée claire sur la « civilisation spirituelle », la « civilisation sociale », et la
« civilisation politique » de l’homme noire et sur quelques aspects « divers » des
religions africaines. C’est au cours de ce colloque que fut employée officiellement
l’expression « religions traditionnelles » pour désigner les religions africaines
autochtones.
Les autres colloques qui suivirent sur les « religions non chrétiennes » et organisées
sous les auspices du Secrétariat Romain pour les Non-Chrétiens en 1974,
respectivement à Abidjan (Côte d’Ivoire), du 29 au 31 juillet et à Kampala (Ouganda),
du 5 au 7 août, ont confirmé la vivacité et la particularité de ces religions. Les Actes
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de ce colloque ont paru dans le Bulletin du Secrétariat pour les non-chrétiens, n° 28-29
(1975-X/1). Le problème général de la tradition et du modernisme en Afrique ont été
étudié aux Rencontres Internationales de Bouaké du 9 au 19 janvier 1962 : Les actes
de ces rencontres ont paru sous le titre déjà signalé de Tradition et Modernisme en
Afrique noire.
Conclusion transitoire
En somme, nous pouvons affirmer avec Vincent Mulago que le négro-africain, « le
Muntu est un homme qui n’existe qu’en communauté et pour la communauté »18. La
participation ou la communion vitale, sous sa double forme : communauté de sang et
communauté de tous les moyens vitaux, semble être la clé de voûte et la base de la cohésion
dans les communautés bantu. Le muntu se sent solidaire avec les autres, ses proches, ses
ancêtres, l’univers, le cosmos. Le muntu se sent uni au monde visible et invisible. La
solidarité vise à renforcer la vie au sein de la communauté.
La religion occupe une place de choix dans la vie des Africains, des Bantu en
particulier. « Il faudra donner à la religion la première place et en faire le fondement et le
sommet de l’édifice culturel de l’Afrique noire »19. Toute la vie des bantu baigne dans la
religion. La conception de Dieu étudiée chez certaines peuplades, exprime bien la religiosité
africaine ou bantu. Ainsi, peut-on dire, la religion traditionnelle africaine n’est pas qu’une
« religion naturelle », ou « primitive » même si elle n’est pas codifiée par écrit. C’est cette
vision négative que Mgr Peter Sarpong récuse dans sa contribution20. Les études dans divers
domaines de la vie du Négro-africain ont permis de dissiper les préjugés pour le moins
négatifs qui ont longtemps pesés sur lui et particulièrement.
18
19
Mulago, La religion traditionnelle des bantus et leur vision du monde, Zaïre, Presses Universitaires du Zaïre,
1973, 152.
20
Cf. P. Sarpong (Mgr), « Religion traditionnelle africaine. Le dialogue est-il possible ? », dans Spiritus 122
(1991) 39-50
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CHAPITRE DEUXIEME
ÉBAUCHE D’ANTHROPOLOGIE NÉGRO-AFRICAINE
L’étude des éléments fondamentaux de la religion traditionnelle où nous esquissé la
structure de la Religion Traditionnelle Africaine nous permet d’étoffer au deuxième chapitre
de ce cours une brève anthropologie négro-africaine. Il sera question d’étudier ce que
d’aucuns considèrent comme les grands repères pour comprendre l’homme Négro-africain
dans son être et dans son agir. Ainsi, nous parlerons du concept de famille en Afrique noire,
de la solidarité comme valeur fondamentale et du rôle dans ancêtres dans la vie du Muntu et
dans la communauté des bantus. Une petite conclusion transitoire bouclera cette partie.
21
Cf. E. MUSUNGU NGAMBUNGU, Église-famille de Dieu et Église-famille de Dieu christique en République
Démocratique du Congo, Paris, L’Harmattan, 2020, 160-165.
22
T. LOCH, « Les familles africaines face à la crise », Afrique Contemporaine 166 (1993)13, cité par A.
RAMAZANI BISHWENDE, Église-famille-de-Dieu. Esquisse d’ecclésiologie africaine, L’Harmattan, Paris 2001,
68.
23
Cf. V. MULAGO, Un visage africain du christianisme. L’union vitale bantu face à l’unité vitale ecclésiale,
Présence Africaine, Paris 1962, 59-60. Pour ce qui est de la conception de la famille en Afrique, on se reportera
avec intérêt à l’étude d’A. RAMAZANI BISHWENDE, Église-famille-de-Dieu. Esquisse d’ecclésiologie africaine,
68-94 ; L. MONSENGWO PASINYA, « L’Église famille et les images bibliques de l’Églises à l’aube du troisième
millénaire » in COLLECTIF, Foi, culture et évangélisation à l’aube du 3 ème millénaire. Actes du Colloque spécial
post-synodal, Abidjan 18-20 avril, Revue de l’Institut Catholique de l’Afrique de l’Ouest 14-15 (1996) 125-126.
14 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
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tantes, cousins et cousines, frères, sœurs, neveux et nièces. Bref, les membres vivants et morts
qui se réclament d’un même ancêtre. Ceci doit être noté »24. S’agissant de la parenté, la
conception africaine ne semble pas la même, strictement parlant, avec la vision occidentale.
Bénézet Bujo, l’explique bien en des termes clairs quand il dit :
24
J.A. MALULA, « Mariage et famille en Afrique », DC 1880 (1984) 871.
25
B. BUJO, Introduction à la théologie africaine, Academic Press Fribourg, Fribourg/Suisse 2008, 95.
26
J.A. MALULA, « Mariage et famille en Afrique », 871.
15 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
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27
Évêques zaïrois au Synode de 1980 sur la famille chrétienne, cités par J.A., M ALULA, Mariage et famille en
Afrique, 871 ; lire aussi TSHONGA-ONYMBE, « Famille et individu », Zaïre-Afrique 205 (1987) 429-438.
28
JEAN-PAUL II, Exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Africa, n. 63, «DC» 2123 (1995) 833.
29
TSHUNGU BAMESA, « La solidarité africaine à l’épreuve du temps », in COLLECTIF, Église-famille, Église-
fraternité. Perspectives post-synodales. Actes de la XXème Semaine Théologiques de Kinshasa du 22 novembre au
2 décembre 1995, Facultés Catholiques de Kinshasa, Kinshasa 1997, 76.
16 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
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traditionnelles’ »30.
La solidarité est une des valeurs très ancrées dans la vie des Africains. Son existence
çà et là dans diverses parties ou contrées de l’Afrique ne fait l’ombre d’aucun doute. La
solidarité africaine est une marque expressive de la communion que vit l’Africain à divers
degrés comme l’affirme Mgr E. Biletsi :
« En raison d’une triple relation dynamique, les membres d’un même clan sont
unis d’abord à leurs ancêtres ; puis à leur chef ; enfin, entre eux. Car le même sang
irrigue leurs veines. Chaque membre sait qu’il ne vit pas seulement de sa propre
vie. Sa vie est une participation à celle de ses ascendants et aussi à celles de ceux
qui se réclament de la même souche que lui. Il y a un lien vital, ombilical. La vie
individuelle n’est concevable qu’en référence à la source d’où elle jaillit. Détaché
de la communauté, l’individu est une branche arrachée du tronc, condamnée à
dépérir. On comprend dès lors l’importance et le poids de la solidarité clanique
(…). La solidarité débouche ainsi sur les valeurs d’hospitalité et de fraternité tout
comme elle s’ouvre au pardon et à la (ré)-conciliation des membres »31.
Biletsi parle d’une triade de relations. L’Africain vit en solidarité avec ses ascendants,
avec ses chefs et avec les membres du clan. Cette solidarité se base sur les liens de
consanguinité pour reprendre ainsi certaines expressions chères à Biletsi comme « le même
sang irrigue les veines », « un lien vital, ombilical ». Cette solidarité ne doit pas demeurer
verbale, un simple slogan, mais doit se concrétiser par les vertus d’hospitalité, de pardon, de
fraternité, de réconciliation. Qui dit réconciliation laisse sous-entendre le dialogue. Il est à
noter que parlant de l’hospitalité, celle-ci déborde les seules confins du clan ou de la tribu.
Les étrangers bénéficient de l’hospitalité : « chez les Luba, un voyageur était toujours rassuré
d’avoir gratuitement, dans n’importe village, une case où passer la nuit et de quoi manger »32.
L’hospitalité envers les étrangers est attestée dans beaucoup de tribus.
Bien avant Eugène Biletsi, Vincent Mulago écrivait : « Le Muntu est un homme qui
n’existe qu’en communauté et pour la communauté ; c’est cet esprit de solidarité qui explique
30
MBAYA MUDIMBA, « La solidarité africaine à l’épreuve du temps », in COLLECTIF, Église-famille, Église-
fraternité. Perspectives post-synodales. Actes de la XXème Semaine Théologique de Kinshasa du 26 novembre au
2 décembre 1995, Facultés Catholiques de Kinshasa, Kinshasa 1997, 63.
31
E. BILETSI ONIM, « Inculturation de l’éthique chrétienne en Afrique », in COLLECTIF, Éthique chrétienne et
sociétés africaines. Actes de la seizième Semaine Théologique de Kinshasa 26 avril-2 mai 1987, Faculté
Catholique, Kinshasa 1987,19-35 ; lire aussi E. BILETSI ONIM, La solidarité chez les Ambuun et l’éthique
chrétienne, Mémoire de Licence à la Faculté de Théologie, Université de Louvanium, Kinshasa 1967, (inédit) ;
E. MVENG, « Essai d’anthropologie négro-africaine », Bulletin de Théologie Africaine I/2 (1979) 235-237. La
liste sur cette thématique n’est pas exhaustive.
32
MBAYA MUDIMBA, « La solidarité à l’épreuve du temps », 65.
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ses organisations politico-sociales, qui poussent à se créer des frères de sang, qui fait que sa
société, à quelque échelon qu’on la considère, est une société-communauté de vie, une
société-communauté de moyens vitaux »33. De son côté, l’abbé Oscar Bimwenyi parlant de
muntu, affirme : « Il s’intègre comme un maillon dans une chaîne nécessaire. Il est de la
cordée, de l’équipe. Dans l’autre monde comme ici-bas, le muntu est essentiellement membre,
muena kampanda, défini par sa relation à sa famille, à son clan, à sa tribu. Dans leurs villages
souterrains, les bakishi sont regroupés d’après leurs liens de commune ascendance.
Essentiellement intégré à la communauté, le muntu cherche à la conserver, renforcer cette
relation communautaire »34. Ce qui revient à dire, par exemple, « Nos Bashi, Banyarwanda et
Barundi croient fermement qu’il y a une communion vitale ou le lien de vie qui rend
solidaires les membres d’une même famille, d’un même clan (…). Le même sang, la même
vie participée par tous et reçue du premier ancêtre, fondateur du clan, circule dans toutes les
veines »35. Chez les trois de peuples susmentionnés-même bien d’autres peuples de l’Afrique
noire-, l’union vitale est au fondement de la solidarité : « La participation ou communion
vitale, sous sa double forme : communauté de sang et communauté de moyens vitaux, est la
base de cohésion dans les communautés africaines. Les Négro-Africains vivent les uns par et
pour les autres, et cela jusque dans les relations qui unissent les vivants aux ancêtres
trépassés »36. En bref, la loi fondamentale est donc celle de la solidarité et de la fraternité
clanique. C’est cette loi qui déterminera l’agir moral. Dès lors, nous pouvons affirmer avec
Bénézet Bujo : « L’Éthique africaine veut promouvoir la vie en abondance »37.
Chez les Bashi, Banyarwanda et Barundi, l’union vitale est très perceptible entre autre
par la communion alimentaire et le pacte du sang38. En quoi consiste-elle ? Vincent Mulago
écrit : « L’offrande aux morts et le pacte du sang nous semble être le sommet de la
communion de nos Bantu. Envisagée à ses degrés inférieurs, cette communion-participation
vitale se trouve présente dans tout échange de moyens vitaux, repas ou boisson en commun,
dans tout don, et atteint son paroxysme du réalisme dans le pacte du sang, où l’on se donne
33
V. MULAGO, Un visage africain du christianisme, 113.
34
O. BIMWENYI, « Le muntu à la lumière de ses croyances en l’au-delà », Cahiers des Religions Africaines, vol.
8 (1968) 86.
35
IDEM, Un visage africain du christianisme, 119.
36
IDEM, « La solidarité africaine et la coresponsabilité chrétienne », in IDEM, Théologie africaine et problèmes
connexes. Au fil des années (1956-1992), L’Harmattan, Paris 2007, 170.
37
B. BUJO : « Point de départ de l’éthique africaine », in IDEM, Introduction à la théologie africaine, Academic
Pess Fribourg, Fribourg/ Suisse, 2008, 149.
38
Cf. V. MULAGO, L’union vitale chez les Bashi, les Banyarwanda et les Burundi face à l’unité vitale ecclésiale,
Thèse de doctorat présentée à l’Université de la Propagande, 1955 (inédite) ; IDEM, « La pacte du sang et la
communion alimentaire, pierres d’attente de la communion eucharistique », in COLLECTIF, Des prêtres noirs
s’interrogent, Cerf, Paris 1955, 171-187 ; IDEM, Un visage africain du christianisme, 76-79.
18 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
Prof. Abbé Emery MUSUNGU Ngambungu
réellement à son ami, l’on ‘ s’entre-boit ’, l’on fusionne, l’on met en commun jusqu’au
principe vital »39.
II.3. La place ou le rôle des ancêtres
Selon la conception négro-africaine, la structure de la famille africaine est toujours
tridimensionnelle : les vivants, les morts et les non-encore-nés40. Parmi les défunts, il y a des
ancêtres. À cet égard Bujo fait remarquer : « En effet, tous les morts ne sont pas bons : Il y a
ceux qu’on peut appeler mal intentionnés, des mauvais qui rodent pour nuire »41. Mais de
quels ancêtres semble se préoccuper le théologien congolais ? Il ne s’agit pas de n’importe
quels ancêtres, mais de ceux qui sont vertueux, de ceux aux cœurs droits et ayant mené une
vie décente et exemplaire durant leur pèlerinage terrestre42.
Les ancêtres aux cœurs droits sont comme des intermédiaires entre Dieu et les
hommes. Ils participent à la félicité de Dieu. Ils ont un rôle important à jouer auprès de leurs
descendants comme le note Juvénal Ilunga : « Des Ancêtres, on attend le salut. En s’adressant
à eux, on implore leur bénédiction, protection et assistance pour la réussite dans toutes les
preuves de la vie. En tant que tels, ils sont donc des vrais médiateurs entre Dieu et les
hommes. Cette commémoration des Ancêtres a pour finalité non seulement de célébrer la vie,
mais aussi de l’accroître »43. Comme on peut le deviner, il y aurait une interaction entre les
vivants et les ancêtres. Les Négro-africains vénèrent les ancêtres, en contrepartie ceux-ci leur
assurent protection, vie, prospérité, etc. Les ancêtres détiennent en quelque sorte la « force
vitale » émanant de Dieu, c’est-à-dire qu’ils peuvent la faire accroître ou décroître. Dans le
même sens, Juvénal Ilunga affirme : « En tant que tels, les Ancêtres sont le centre d’attraction
et le principe de communion entre leurs descendants ; ils sont les garants de la vie morale au
sein de la communauté. Ils sont considérés comme étant plus proches de Dieu, source de toute
vie, dans le monde invisible, et ayant par conséquent la force pour pouvoir intervenir et
orienter les événements de la vie quotidienne »44.
On le perçoit fort bien qu’il y a une interaction entre les ancêtres et leurs descendants.
39
IDEM, « Symbolisme dans les religions traditionnelles africaines et sacramentalisme », in IDEM, Théologie
africaine et problèmes connexes, 95 ; cfr. IDEM, Un visage africain du christianisme, 212 ; cf. B. BUJO, « Vincent
Mulago. Un passionné de la Théologie Africaine », in B. BUJO, J. ILUNGA MUYA (éd.), Théologie africaine au
XXIème siècle. Quelques figures, vol. I, Academic Press Fribourg, 20142, 30-33.
40
Cfr. B. BUJO, Introduction à la théologie africaine, 92-102.
41
Ibid., 28 ; cf. J. ILUNGA MUYA, « Bénézet Bujo. Éveil d’une pensée systématique et authentiquement
africaine », in B. BUJO, J. ILUNGA MUYA (éd.), Théologie africaine au XXIème siècle. Quelques figures, vol. I,
Academic Press Fribourg, Fribourg 20142, 133-134.
42
On Lira avec intérêt B. BUJO, « Nos ancêtres, ces saints inconnus », Bulletin de Théologie Africaine 1 (1971)
165-178.
43
J. ILUNGA MUYA, « Bénézet Bujo. Éveil d’une pensée systématique et authentiquement africaine », 135-136.
44
Ibid., 134.
19 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
Prof. Abbé Emery MUSUNGU Ngambungu
« Ceux qui sont morts, ne sont jamais partis (…). Les morts ne sont pas morts ». Les
Négro-africains en général, les bantus en particulier entretiennent les relations étroites avec
45
B. DIOP, Poème: le Souffle, in
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20 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
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leurs trépassés et ceux qui sont restés sous le soleil. Ils ne sont pas seulement en communion
avec les vivants et leurs défunts, mais aussi l’univers, le cosmos, comme l’affirme l’abbé
Osacr Bimwenyi : « Voilà situé le rôle des offrandes et des sacrifices dans les relations entre
les vivants subsolaires et les trépassés. Ce sont des recettes, des moyens de conserver,
d’intensifier ou de rétablir le lien familial entre les membres morts et les membres vivants de
la même famille. C’est dans cette communion que le muntu trouve la paix, la joie,
l’épanouissement véritable. C’est un-être-avec, un-être-pour, un nœud de relations, vivant et
dynamique »46.
Conclusion transitoire
Au terme de ce chapitre sur une ébauche d’anthropologie négro-africaine, trois idées
forces se dégagent si aisément de la vie de l’homme, du Muntu, dans la société traditionnelle.
D’abord l’importance de la famille. L’analyse a montré qu’il n’est pas facile de définir
le concept famille dans le contexte négro-africain au regard des acceptions diverses des
auteurs et comparativement la pensée occidentale. Bien plus que l’ensemble de papa, maman
et enfants, la famille en Afrique est une notion plus large. Elle comprend tous les consanguins
aussi bien vivants que morts. L’Africain vit et agit en ayant en conscience cette double
appartenance d’une part, à la famille restreinte et d’autre part, à la famille élargie.
Ensuite, une grande importance est accordée à la solidarité comme une des grandes
valeurs très ancrées dans la vie des Africains. L’Africain vit en solidarité avec ses ascendants,
avec ses chefs et avec les membres du clan. Cependant, basée au départ sur les liens de
consanguinité, cette solidarité africaine ne se limite pas en une marque expressive de la
communion au sein de la famille, elle débouche aussi sur d’autres valeurs d’hospitalité et de
fraternité et elle invite au pardon et à la (ré)-conciliation des membres aussi bien de la famille
que de la communauté de vie. Ainsi les étrangers peuvent-ils bénéficier de l’hospitalité.
Enfin, dans la vie du « Muntu », les ancêtres occupent une place importante et leur
rôle est indéniable. Vrais médiateurs entre les hommes et Dieu, ils assurent la paix, la joie et
l’épanouissement aux individus et au sein de la communauté. Voilà pourquoi ils méritent un
culte et des offrandes.
Quelle est la place que les bantu réservent à Dieu ? En d’autres termes, les religions
traditionnelles africaines s’intéressent-elles à la divinité ? La réponse à ces questions
fondamentales nous amène à étudier à-dire la notion de Dieu chez les bantu au chapitre
suivant ( 3e chapitre).
46
O. BIMWENYI, « Le muntu à la lumière de ses croyances en l’au-delà », 90.
21 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
Prof. Abbé Emery MUSUNGU Ngambungu
CHAPITRE TROISIEME
LA NOTION DE DIEU CHEZ LES BANTU
D’entrée de jeu, nous disons avec Vincent Mulago : « La vision bantu du monde
s’intègre dans la Religion et inversement. La Philosophie de l’homme Muntu, comme toute sa
vie, est religieuse, et sa religion est une philosophie vécue »47. Cette vision de l’homme
africain, le Pape Paul VI l’avait déjà reconnue lors de son premier voyage Kampala en
Ouganda : « Un élément et très important de cette conception spirituelle est l’idée de Dieu
comme cause première et dernière de toutes les choses. Concept, qui est senti plus qu’analysé,
vécu plus que pensé, s’exprime d’une manière extrêmement diverse, suivant les coutumes. En
réalité la présence de Dieu pénètre la vie traditionnelle africaine comme la présence d’un être
supérieur, personnel et mystérieux »48. Le Pape Paul VI eut un regard positif sur les religions
traditionnelles africaines autrefois qualifiées à tort ou à raison d’ « animisme » et
d’ « idolâtrie » ou encore de « fétichisme », etc. La croyance au monde invisible et en Dieu
caractérisent les religions traditionnelles africaines.
Mais qu’est-ce qu’on peut sous-entendre par le mot religion chez les bantus ?
Vincent Mulago donne une ébauche de définition plutôt plus descriptive : « La
religion est l’ensemble cultuel des idées, sentiments et rites basés sur :
1. la croyance à deux mondes, visible et invisible ;
2. la croyance au caractère communautaire et hiérarchique de ces deux mondes ;
3. l’interaction entre les deux mondes, la transcendance du monde invisible n’entravant pas
son immanence ;
4. la croyance en un Être suprême, Créateur et Père de tout ce qui existe »49.
47
V. MULAGO, « Symbolisme dans les religions traditionnelles africaines et sacramentalisme », 89.
48
PAUL VI, « Message à l’Afrique Africae terrarum », 29 octobre 1967, n. 8, DC 1505 (1967) 1937-1956 ;
article repris in B. BUJO (éd.), Théologie africaine au XXIème siècle. Quelques figures, vol. III, Academic Press
Fribourg, 2013, n. 8, 180.
49
V. MULAGO, « Le dieu des bantu », Cahiers des Religions Africaines n° 3, vol. 2 (1968) 25 ; cf. IDEM,
« Symbolisme dans les religions traditionnelles africaines et sacramentalisme », 89.
22 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
Prof. Abbé Emery MUSUNGU Ngambungu
Suprême, Créateur et Père50. À la suite de l’abbé Vincent Mulago, nous ne parlons pas de
tous les Négro-africains ou de tous les bantu, nous nous limiterons à quelques échantillons ou
aires linguistiques.
III.1.1. Les Bakongo
1. Le nom
D’après l’abbé Vincent Mulago, chez les Bakongo, le nom de Dieu existait avant
l’arrivée des missionnaires. Les indigènes comme les missionnaires le nomment par le
vocable « Nzambi ». Ce mot Nzambi indique un être conçu comme seul, unique, en tant
qu’auteur du monde. L’épithète Mpungu évoque l’immensité, la force, la grandeur,
l’excellence, la toute-puissance, la bonté, la perfection. Dans certaines régions, le nom
Mvangi est employé pour désigner le Créateur. À en croire Vincent Mulago, « en dépit des
efforts des Bantouistes, le sens originel de deux mots Nzambi et Mpungu reste obscur51.
2. Attributs de Nzambi
Avant tout, Nzambi est considéré comme le Créateur de toutes choses. C’est ce
qu’affirment d’innombrables devinettes. Nzambi est tout-puissant. Nzambi est le maître des
hommes, de la vie et de la mort. Nzambi est omniscient. Dieu sait, il voit tout.
3. Nzambi et les hommes
Au-dessus de toutes les choses et de tous les hommes, se trouve Nzambi, Maître
souverain, inabordable. L’homme est sous la dépendance de Nzambi. Quelques proverbes
expriment cette vérité : « Nous sommes tous sujet de Nzambi. Il nous a faits, c’est à lui que
nous irons après notre mort. Nzambi dirige souverainement le cours des choses, voit tout. Les
Bakongo disent en levant la main droite au ciel : « Nzambi me voit », ou bien : « Nzambi le
sait », ou encore : « Nzambi seul le sait » : « En vérité, Nzambi l’a vu, tel que je raconte ».
Nzambi est le législateur, il punit les transgresseurs de ses lois et récompense ses fidèles
sujets. Nzambi est immatériel : « Ku tombi Nzambi ko, kadinka kena ye nitu ko » : Il ne faut
pas chercher Dieu, car il n’a pas de corps.
50
On lira ici avec intérêt O. BIMWENYI, « Le muntu à la lumière de ces croyances en l’au-delà », Cahiers des
Religions Africaines vol 2 (1968) 75-94 ; cf. IDEM, « Le dieu de nos ancêtres », Cahiers des Religions Africaines
vol. 4, n° 8 (juillet 1970) 137-151 ; IDEM, « Le dieu de nos ancêtres », Cahiers des Religions Africaines (CRA)
vol. 5, n° 9 (janvier 1971) 59-112 ; TH. TSHIBANGU, « Problématique d’une pensée religieuse africaine », CRA
vol 2, n° 3 (1968) 12-21 ; A. KAGAME, « La place de Dieu et de l’homme dans la religion des bantu », Cahiers
des Religions Africaines (CRA) vol. 4, n° 8 (1970) 213-222.
51
V. MULAGO, « Le dieu des bantu », 29 ; cf. A. KAGAME, « La place de Dieu et de l’homme dans la religion des
bantu », 218.
23 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
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Après une chasse fructueuse, le gibier était divisé en trois parties : la première pour les
vivants, la deuxième pour les morts, et la troisième pour Nzambi. La partie destinée aux
ancêtres était brûlée.
En réalité pour ce qui concerne le culte, on ne rend pas le culte à Nzambi, car il n’en a
aucun besoin, et il est, par ailleurs inaccessible.
Nzambi, c’est Nzambi
Pour un Mukongo qui est Nzambi ? À la question, il répondra « Nzambi, c’est
Nzambi ». Les Bakongo ont des statuettes fétiches par centaines, pour représenter des
hommes, des animaux, des esprits ; mais aucune ne représente Nzambi.
Nzambi n’est pas de la catégorie des êtres qu’on représente, dont on a une
connaissance expérimentale. Nzambi est unique, séparé de tout le reste, invisible et cependant
vivant ; il est insaisissable et inabordable52.
Proverbes relatifs à Nzambi
Nous ne citerons ici à titre illustratif que quelques-uns :
Konso Kimfumu ku Nzambi Mpungu : Toute autorité vient de Nzambi Mpungu. L’autorité est
respectable parce qu’elle vient de Dieu (Prov. 413) ; Nkongo Nzambi, nzala Nzambi : Être
dénué de Nzambi, c’est la faim de Nzambi ; Nzambi utuvwidi : Dieu nous protège. Dieu est
notre Maître absolu (Prov. 1017)53.
III.1. 2. Les Bashi
L’existence de Dieu
Selon Vincent Mulago, « tous les Bashi croient en Dieu unique, Être suprême, incréé,
qui a toujours existé et qui existera toujours. Cet être suprême est conçu comme Maître
universel, parce que de Lui procèdent toutes les créatures, dont il est la cause première, le
principe »54. À en croire Mulago, cette croyance est universelle chez les Bushi.
52
Cfr. V. MULAGO, « Le dieu des bantu », 29-32.
53
Cfr. ibid., 32-34.
54
Ibid., 34.
24 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
Prof. Abbé Emery MUSUNGU Ngambungu
55
V. MULAGO, « Le dieu des bantu », 36 ; cfr. IDEM, « Fin ultime de l’homme africain dans sa religion
traditionnelle et son accomplissement dans le Christ », in IDEM, Théologie africaine et problèmes connexes, 297-
326.
25 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
Prof. Abbé Emery MUSUNGU Ngambungu
56
A. KAGAME, « La place de Dieu et de l’homme dans la religion des bantu », 221.
57
Cf. V. MULAGO, « Le dieu des bantu », 38-42.
26 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
Prof. Abbé Emery MUSUNGU Ngambungu
60
Cf. ibid., 45-51.
28 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
Prof. Abbé Emery MUSUNGU Ngambungu
61
Cf. V. MULAGO, « Le dieu des bantu », 52-55.
62
Cf. ibid., 56-57.
63
Cf. A. KAGAME, « La place de dieu et de l’homme dans la religion bantu », 215-216. Alexis Kagame distingue
dans toute la zone bantu quatre catégories des êtres : 1) l’être-substance d’intelligence (homme) ; 2) l’être-sans
intelligence (chose) : l’être-localisateur (lieu-temps) ; 4) l’être-modal (manière d’être ou accidentalité). Dieu ne
fait pas partie de la racine –Ntu. Dieu est l’Existant-Suprême. On lira aussi sa Thèse de doctorat en Philosophie :
La Philosophie Bantu-rwandaise de l’Être, Bruxelles 1956 ; cf. La Philosophie Bantu comparée, Présence
Africaine, 1976.
29 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
Prof. Abbé Emery MUSUNGU Ngambungu
4) Providence divine
Dieu s’intéresse à la vie de l’homme et à la marche générale du monde. Il sait tout.
5) Dieu est Père
La paternité de Dieu est l’attribut numéro un de la Théodicée bantu, qui les résume
tous. Dire que Dieu est Père, c’est tout dire64.
III.1.7. La hiérarchie des êtres
Vincent Mulago retrace la hiérarchie des êtres de la façon suivante :
1) Monde invisible
La Source de la Vie : Imana (chez les Banyarwanda et les Barundi),
Nyamuzinda (chez les Bashi).
Les premiers participants ou fondateurs des clans
Les esprits des anciens héros
Les âmes désincarnées des parents défunts et des membres du clan et de la
tribu.
2) Monde visible
Le roi et la reine-mère, et ceux qui participent au pouvoir royal et l’étendent
Les chefs de clans : les patriarches de la branche aînée de chaque clan.
Les chefs de familles : le père et la mère sont au centre de la vie familiale.
Les membres de différentes familles, de différents clans, forment, par leur
appartenance au même roi et au même sol, une seule communauté : la tribu,
la nation65.
Après avoir étudié la notion de Dieu (théodicée) chez les bantus d’après Vincent
Mulago, examinons présentement un autre auteur, Osacr Bimwenyi-Kwshi.
III.2. Oscar Bimwenyi (1939 -2021)
Oscar Bimwenyi propose un discours théologique sur Dieu à partir de l’expérience
religieuse des peuples habitant les provinces du Kasaï en RD Congo. Il parlera de Dieu à
travers les monuments de la tradition orale, lesquels ont une valeur épistémologique. Le
théologien congolais part de cette constatation que l’africain est un être « tourné vers »,
expérience qu’il appelle ‘’théotropie’’ ou ‘’théopolarité’’66.
64
Cf. V. MULAGO, « Le problème d’une théologie africaine revue à la lumière de Vatican II », in IDEM, Théologie
africaine et problèmes connexes, 73-79 ; IDEM, « Le dieu des bantu », 58-63.
65
Cf. IDEM, « Autour du mouvement ‘ Jamaa ’. Vers une formule chrétienne africaine », in IDEM, Théologie
africaine et problèmes connexes, 31 ; IDEM, Un visage africain du christianisme, 125.
66
Cf. O. BIMWENYI-KWESHI, Discours théologique négro-africain. Problème des fondements, Paris, Présence
Africaine, 1981, 525.
30 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
Prof. Abbé Emery MUSUNGU Ngambungu
qu’il est ‘’Père’’ créateur, mais il en diffère également par plusieurs traits importants dont les
suivants : Il n’est pas comme les autres « pères », une culture, un « fils », sa résidence se situe
dans une région supérieure et en principe inaccessible ; il est pareil au soleil dont la beauté
éclatante aveugle ; il règne tel un léopard solitaire dans un espace symbolique inaccessible
»72.
III.2.3. La constellation du Cipapayi
Cette troisième « constellation » dévoile elle aussi un autre segment important de
l’expérience religieuse négro-africaine en faisant découvrir « l’omniprésence et la proximité
de Dieu qui, comme le vent, ‘’emplit toutes’’, ‘’est leur courant de tout et fait aboutir les
projets des hommes ». Cette présence marquée de sollicitude ne supprime pas la différence ;
elle articule plutôt l’expérience selon laquelle Dieu peut se donner à tous, sans cesser d’être
lui-même. C’est ce qui exprime les images du ‘’ vent qui emplit les montagnes’’ et qui « ne
laisse aucun lieu’’ du Cannelât qui, ‘’imprime tout et le rend ferme’’ et de Cipapayi, c’est-à-
dire du prodigue sécouable et allié des hommes »73.
III.2.4. La constellation du Cimpidimbwa
Cette constellation met l’accent sur un autre segment important de l’expérience
religieuse africaine qui montre que Dieu n’est pas seulement Antérieur, Père-Créateur,
Omniprésent, Prodigue, Allié des hommes, etc., mais il est aussi un Dieu silencieux.
Oscar Bimwenyi écrit : « Dieu est aussi silencieux, d’un silence qui ne fait pas la joie
des mortels. Silence d’autant plus incomparable que Dieu est Tout-puissant, partout présent
au courant de tout et bienveillant. Devant les questions les plus graves et les plus
fondamentales de l’existence, celles qui, aujourd’hui, comme hier, remuent les entrailles de
l’humanité, les ancêtres semblent avoir attendu vainement une réponse, une lumière d’un
haut. Le grand silence de Dieu »74.
Le silence de Dieu devant des questions épineuses de la vie déconcerte le muntu. « Et
malgré sa déception pour le muntu, Dieu n’est pas la cause du mal : en définitive, le muntu
articule sa douleur sans mettre l’autorité de Dieu en doute »75.
72
Ibid. 550.
73
C. OZANKOM, art. cit., 112-113.
74
O. BIMWENYI, « Le Dieu de nos ancêtres », dans CRA, n°8, vol. 4 (1970) 99 ; cf. IDEM, Le discours
théologique négro-africain, 571.
75
C. OZANKOM, art. cit., 113.
32 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
Prof. Abbé Emery MUSUNGU Ngambungu
Conclusion transitoire
La vision bantu du monde reconnaît l’existence d’un être Suprême, d’un Dieu unique
que chaque tribu nomme à sa manière. Les études de Mulago et Bimwenyi ont le mérite
d’apporter chacun avec un accent particulier un éclairage sur un sujet longtemps débattu. À
partir des recherches menées dans différents milieux culturels, en l’occurrence chez les
Bakongo, les Bashi, les Baluba du Kasaï, les Banyarwanda et les Nkundo, l’Abbé Mulago
atteste clairement que les bantu rendent un culte aux ancêtres et croient en Dieu, un être
Suprême, Créateur et Père. Même si on lui reconnait plusieurs attributs et qu’on l’évoque dans
plusieurs proverbes, ce Dieu n’intervient pas directement sur la vie des hommes. Ce sont les
ancêtres qui apportent joie, paix et jouissance au sein de la communauté. Raison pour
laquelle, le Muntu leur rend un culte.
Partant d’une expérience religieuse fondamentale de « tourné-vers » (la théotropie)
chez les populations du Kasaï, Oscar Bimwenyi suggère quant à lui, un discours sur le rapport
entre Dieu et l’homme gravitant autour de quatre constellations. Pour lui, Dieu est antérieur
par rapport à l’homme qui est le tard-venu. Il est distant et différent des autres créatures et de
l’homme. Cependant, la distance n’exclut pas l’omniprésence et la proximité de Dieu qui,
comme le vent, se donne à tous. Enfin, selon Bimwenyi, l’expérience religieuse africaine
montre que Dieu n’est pas seulement Antérieur et Père-Créateur, Omniprésent et Allié des
hommes, etc., il est aussi un Dieu silencieux. Ce silence de Dieu devant des questions
épineuses de la vie déconcerte le muntu sans toutefois mettre l’autorité de Dieu en doute.
33 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
Prof. Abbé Emery MUSUNGU Ngambungu
CHAPITRE QUATRIEME :
LE CHRISTIANISME ET LES RELIGIONS TRADITIONNELLES AFRICAINES
Le présent chapitre s’intéressera surtout à étudier la rencontre du christianisme et les
religions traditionnelles africaines. Dans quelles conditions le christianisme avait-il rencontré
les religions traditionnelles africaines ? Les interactions ont- elles été pacifiques ?
Le chapitre sera structuré en trois principaux points suivants:
- essai des définitions ;
- rencontre christianisme et les religions traditionnelles africaine ;
- Africain entre le christianisme et sa religion traditionnelle africaine et les nouveaux
mouvements religieux.
IV.1. Essai des définitions
Animisme : État mental des peuples qui croient à la présence des d’âmes
anthropomorphiques chez les êtres de la nature.
Fétichisme : l’usage et culte des fétiches, c’est-à-dire des petits objets matériels
considérés comme l’incarnation ou du moins comme la « correspondance » d’un
esprit, et par suite comme possédant un pouvoir magique.
Magie : Art de produire, par des procédés occultes, des phénomènes inexplicables ou
qui semblent tels.
IV.2. De la rencontre christianisme et religions traditionnelles africaines
A. Une rencontre plutôt conflictuelle
Le christianisme est annoncé en Afrique dans le cadre de l’expansion européenne.
La rencontre de l’Évangile avec les mentalités ou la culture africaine ne s’est pas faite sans
heurts. Étant donné qu’il fallait apporter « la civilisation » aux Noirs, la mission
évangélisatrice allait de pair ou encore se faisait de connivence avec la colonisation qui, à
certains égards, était dominée de certains préjugés négatifs vis-à-vis des cultures locales, voire
des religions traditionnelles africaines. Celles-ci étaient parfois qualifiées à tort ou à raison d’
« animisme », d’ « idolâtrie », de « paganisme », de « fétichisme » ou encore de « magique ».
Les missionnaires utilisaient parfois la méthode de « tubula rasa » (« table rase »). Le
christianisme était en position de force face aux cultures autochtones comme le souligne si
bien Fabien Eboussi Boulaga : « Quand il rencontre l’Afrique, le christianisme est position de
force. Il ne peut donc adopter le deuxième parti : l’éradication violente du paganisme. Le
34 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
Prof. Abbé Emery MUSUNGU Ngambungu
converti doit sortir de son monde, habiter des villages tout près pour lui, des réductions, ou s’y
constituer en corps étranger »76.
De la part de certains missionnaires, la tentation a été grande de confondre ou d’identifier
simplement le christianisme avec la civilisation occidentale comme le note Gérard
Bissainthe : « Nous ne leur reprochons pas, comme on l’a fait, d’avoir posé les équations
suivantes : christianisme = civilisation ; paganisme = sauvagerie (…) ; mais leur erreur a été
de lier tout naturellement le christianisme à la civilisation occidentale, d’avoir méconnu cette
sorte de christianisme latent des civilisations africaines et d’avoir affirmé globalement :
christianisme = civilisation occidentale ; civilisation nègre = paganisme »77.
Une telle mentalité ou manière de faire se perçoit dans des théologies missionnaires
qualifiées « des théologies piégées »78 : « la théologie de salut des âmes » ou « la conversion
des infidèles », « la théologie d’implantation de l’Église », « la théologie d’adaptation » et des
« pierres d’attente ».
B. Les théologies missionnaires
B.1. La théologie du salut des âmes ou de la conversion des infidèles
Cette théologie consistait à sauver les âmes de l’emprise du Satan, convertir les âmes des
païens au Christ au moyen d’une catéchèse en vue du baptême. Ce qui importait ici c’était le
nombre des baptisés peu importe la qualité de leur vie. On reproche cette théologie d’avoir été
trop superficielle, sans pénétrer à fond l’âme noire.
B.2. La théologie de l’implantation de l’Église
La théologie de la conversion des infidèles sera supplantée par celle de l’implantation de
l’Église. Il s’agit ici, « sur les ruines ou la ‘tabula rasa’ déjà signalée, d’édifier, d’implanter
l’Église, ‘solidement ‘, telle qu’elle est réalisée en Occident aussi bien dans son personnel,
dans ses œuvres que dans ses méthodes »79. Le but de la mission est d’établir solidement
l’Église dans des pays des missions avec des structures calquées sur le modèle occidental. On
passera de la théologie de l’implantation de l’Église à celle d’adaptation et « des pierres
d’attente ».
76
F. EBOUSSI BOULAGA, Christianisme sans fétiche. Révélation et domination, Présence Africaine, Paris 1981,
29.
77
G. BISSAINTHE, « Catholicisme et indigénisme religieux », in L. SANTEDI KINKUPU, G. BISSAINTHE et M.
HEBGA (éd.), Des prêtres noirs s’interrogent. Cinquante ans après…, Karthala et Présence Africaine, Paris 2006,
120-121.
78
O. BIMWENYI-KWESHI, Discours théologique négro-africain. Problème des fondements, Présence Africaine,
Paris 1981,154s.
79
O. BIMWENYI, Discours théologique négro-africain. Problème des fondements, 164.
35 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
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80
J.PARISOT, Vodou et christianisme, in L. SANTEDI KINKUPU, G. BISSAINTHE et M. HEBGA (éd.), Des prêtres
noirs s’interrogent. Cinquante ans après…, 219.
81
D. BELLEGARDE, Haïti et ses problèmes, cités par J. PARISOT, Vodou et christianisme, op. cit., 217.
36 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
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82
JEAN-PAUL II, Exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Africa, 14 septembre 1995, n. 42.
83
Cf. CONCILE VATICAN II, Constitution dogmatique sur l’Église Lumen gentium, n. 8, § 2.
84
Nostra Aetate, n. 2.
85
Ibid.
37 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
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86
Cf. Instrumentum laboris. Document pour la préparation de l’Assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode
des Évêques, Editions Saint Paul Afrique, Kinshasa 1993, 84-89.
87
E. MVENG, L’Afrique dans l’Église : paroles d’un croyant, L’Harmattan, Paris 1985, 88.
88
Ibid., 90.
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africaine est la foi en un être supérieur qui est Créateur, le Dispensateur de toutes
choses, le juste Juge, l’Éternel, etc. Ceux qui adhèrent à la religion traditionnelle
africaine méritent le respect. Cette foi et ces valeurs ont bon nombre d’entre eux à
s’ouvrir à la plénitude de la révélation en Jésus-Christ, par l’annonce de
l’Évangile (…). Il faut éviter une terminologie dépréciative, comme
« paganisme » et « fétichisme », quand on parle de la religion traditionnelle
africaine »89.
Le processus de l’inculturation ou de l’enracinement du christianisme dans les cultures
africaines est à ce prix. Il est donc important de tenir compte aussi de la religion traditionnelle
africaine. La reconnaissance ou l’adoration d’un Dieu unique, Créateur de toute chose et Père
des hommes, le culte des ancêtres, la solidarité clanique ou tribale, le sens du respect de la vie,
bref, les valeurs positives de l’héritage religieux africain, peuvent constituées des « véritables
pierres d’attente », susceptibles d’être assumées, transformées par l’Évangile ou par le
christianisme. Dans ce sens, le Pape Jean-Paul affirmait : « De cet amour de la vie découle
leur grande vénération pour leurs. Ils croient instinctivement que les morts ont une autre vie,
et leur désir est de rester en communication avec eux. Ne serait-ce pas, en quelque sorte, une
préparation à la foi dans la communion des saints ? »90.
Certains africains ne sont pas seulement à la croisée des chemins entre le christianisme et
les religions traditionnelles africaines, mais aussi entre les sectes et les nouveaux religieux-
« églises de réveil ».
IV.3.2. Religions traditionnelles africaines et les nouveaux mouvements religieux
De nos jours, on assiste à une espèce de brassage ou de vagabondage religieux. Les
adeptes de certaines Églises officielles fréquent au même moment et leurs églises respectives
et leurs religions traditionnelles et les sectes, et les nouveaux mouvements religieux.
L’Instrument de travail pour le synode africain constate que l’Afrique est caractérisée par une
grande variété de sectes et de nouveaux mouvements religieux d’origine diverse : les sectes en
opposition au Christianisme pour la plupart en provenance de l’Amérique du Nord ; nouveaux
mouvements religieux en provenance de l’orient, les mouvements d’inspiration islamique ; les
Églises dites indépendantes, rejetons des Églises missionnaires91. Le même document
poursuit en ces termes : « En 1981, les Églises, « les Églises Africaines indépendantes »
89
Proposition, n. 42, in M. CHEZA (éd.), Le Synode africain. Histoires et textes, Karthala, Paris 1996, 259 ; cf. R.
LUNEAU, Paroles et silences du Synode africain (1989-1995), Karthala, Paris 1997, 150.
90
JEAN-PAUL II, Ecclesia in Africa, n. 43.
91
Cf. L’Église en Afrique et sa mission évangélisation vers l’an 2000. « Vous serez mes témoins » (Ac 1, 8).
Instrumentum laboris (Document du travail), n. 87.
39 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
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Conclusion transitoire
Ce chapitre a cerné la question épineuse de la rencontre du christianisme et les
religions traditionnelles africaine : une rencontre brutale, émaillée de complexes de
supériorité, de la « tabula rasa » (table rase) du patrimoine religieux de l’Afrique. Du côté des
autochtones, tout n’est pas à rejeter en bloc. L’Afrique traditionnelle regorge certaines valeurs
et le dialogue le dialogue avec le christianisme pourrait s’amorcer sur ce fond.
92
Ibid.
93
A.-SAM SIMANTOTO MAFUTA, La face occulte du Dieu des Congolais, 274.
94
Cf. R. DE HAES, « Sectes et mouvements religieux : un défi pastoral », in Revue Théologique Africaine (RTA)
vol. 11, n. 21 (1987) 84-94.
95
Cf. Document du travail pour le Synode, n. 88 ; R. LUNEAU, Paroles et silences du Synode africain, 160.
96
J. BOUEKASSA, « Sectes au Congo : causes et pastorale », in Spiritus, n° 115 (mai 1989), 163-176. Sur les
sectes lire aussi J. PEETERS, « Sectes et mouvements religieux en Afrique », in Spiritus, n° 115 (mai 1989) 177-
192 ; S. SEMPORE, « L’afro-christianisme, un courant irréversible », in Spiritus, n° 115 (mai 1989) 193-205 ; J.
VERNETTE, « Église et secte : comment faire la différence », in Spiritus n° 115 (mai 1989). La liste sur cette
thématique n’est pas exhaustive.
40 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
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CINQUIEME CHAPITRE
FORMES ACTUELLES DES RELIGIONS AFRICAINES
En bien des endroits, les cultes païens connaissent une véritable résurrection. Le
recours chez les devins et la référence aux ancêtres est quasi permanente. Beaucoup se
souviennent du passé et tentent d’exalter leurs religions ayant les arguments que voici :
a. Le christianisme et l’Islam font des progrès nous avons donc cru qu’il serait bon de
faire revivre le culte des dieux de nos pères.
c. Consacrer à nos dieux un jour par semaine, comme le font les chrétiens et les
Musulmans.
97
Nous avons eu à entendre à plusieurs reprises que les réalités modernes (technique et sport, p. ex.) s’insèrent
dans la pensée magique et parfois même la développent.
98
Ici donc, le héros Lyangombé (= Pryangombé) fait fonction de dieu.
41 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
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Notons cependant que même là, il est impossible de revenir purement et simplement au
passé : ce programme en quatre points et, l’idée d’un culte hebdomadaire sont manifestement
modernes. On a choisi le samedi, vraisemblablement non à cause de l’Ancien Testament, mais
pour se distancer du christianisme (dimanche) et de l’Islam (vendredi).
La religion occupe une place de choix dans la vie du Négro-africain. A bien des
endroits, les milieux politiques ont intérêt à annexer la religion. C’est le cas des Bundu dia
mayala au Kongo Central et à Kinshasa (RD Congo) qui mène ses actions sous le double
signe de la politique et de la religion. Ils sont nombreux, ceux qui recourent à tradition pour
conquérir le pourvoir. La politique est sans doute également la raison pour laquelle, au Ghana,
les séances officielles commencent par une libation (c’était à l’origine un sacrifice aux
ancêtres) : on sait que les usages religieux ont un pouvoir de cohésion ; or beaucoup d’États
africains, étant composés de peuples divers, ont besoin de ce ciment.
Les considérations économiques ne sont pas en reste. Quand donc des positions
économiques et politiques s’appuient sur l’attachement éprouvé pour la religion traditionnelle,
cela leur donne un poids qu’elles n’auraient pas autrement. À notre époque aussi apparaissent
des cultes nouveaux : on découvre et on propage tel ou tel fétiche pour élever le niveau de vie
par l’augmentation de la récolte ou du pouvoir d’achat.
En bien des endroits, il n’est représenté que par quelques croyants qui n’ont pas
honte de leur religion et la propagent par ce seul fait qu’ils la pratiquent comme allant de soi.
Il s’y ajoute presque toujours un élément social : le Musulman appartient à une classe
supérieure. L’Africain est tenté de se convertir pour appartenir, lui aussi, à cette classe, ce qui
supprime souvent les barrières raciales.
En outre, les ordres, créés au XIIe siècle à partir du soufisme, ont beaucoup fait
pour fortifier et répandre l’Islam. Parfois, des « saints » (féki) s’installent avec leur famille en
milieu païen, et on voit se constituer peu à peu une « paroisse ». Souvent, les cheiksqui sont à
la tête des Ordres, ont une influence considérable, jusque sur la politique. Les ordres n’ont pas
toujours été animés du même esprit. Ils ont perdu leur zèle et ont participé à la stagnation
générale de l’Islam aux XVIIe et XVIIIe siècles. Le wahhabisme du début du XIXe siècle et la
création de nouveaux Ordres arrachèrent les anciens à leur engourdissement. Désormais, ils
eurent une activité missionnaire qui valut nombre de conquêtes à l’Islam, et dans laquelle un
rôle particulier revint à la Qadiriyya.
La majorité des Africains fait profession d’Islam sunnite. Les chiites se rencontrent
surtout en Afrique orientale, parmi les gens originaires de l’Inde. Leur branche la plus
moderne est la SchiaIsmailiyya, dont le chef est l’Agha Khan. Depuis des dizaines d’années
déjà, ce groupe a fait beaucoup sur le plan social et scolaire. Il se distingue aussi par une
activité missionnaire, qui n’a pas grand succès auprès des Noirs.
La secte hérétique Ahmadiyya est également représentée en Afrique. Bien que peu
nombreuse, elle joue un certain rôle. Ceci, moins à cause de son triple but (réforme et
épuration de l’Islam, modernisation de la pensée, éviction du christianisme) que parce qu’elle
a une intense activité littéraire qui comporte la tradition du Qorân en langue vulgaire. Son
exégèse antihistorique, arbitraire et parfois rationaliste tente de montrer en lui un livre qui ne
serait pas en contradiction avec la pensée moderne.
Cela a de quoi séduire bien des Africains. Du moins cette traduction répandra-t-elle
la pensée musulmane dans des milieux inaccessibles à l’Islam orthodoxe parce qu’on y sait
pas l’arabe. L’Ahmadiyya a emprunté au christianisme plusieurs points de méthode ; l’un
d’eux est qu’elle entretient des missionnaires.
L’Islam est important pour les Africains pour plusieurs raisons. Il est, tout d’abord,
la religion qui, jusqu’ici, a le plus enlevé au christianisme. En outre, il a conquis de
nombreuses tribus, surtout au soudan, jusqu’à l’Atlantique. Au sud du Sahara, le nombre de
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ses adhérents augmente d’année en année aux dépens du christianisme. Dans une large
mesure, il créé le climat religieux, au point que même des Chrétiens s’y convertissent après
coup. Il est en outre un facteur culturel. À l’exception de l’Ahmadiyya, il exige presque
toujours un minimum de connaissance de l’arabe ; beaucoup ne se contentent pas de ce
minimum et cela les met au bénéfice de la civilisation arabo-musulmane. Des centres
culturels, à vie scientifique ou artistique active, se sont créés non seulement au nord du
Sahara, mais aussi dans le Soudan et sur les côtes d’Afrique orientale. Ce sont autant de
centres religieux. La fonction sociale de l’Islam est capitale. A une époque où les liens du
clan se relâchent, et où beaucoup, contraints par la nécessité économique, vivent isolés
n’importe où, un Musulman est rapidement accueilli par ses frères en la foi. Les différences
de race et de classe sont abolies, ce qui donne une véritable fraternité, non seulement
religieuse, mais aussi sociale.
Rappelons enfin le rôle politique de l’Islam. Il arrive, certes, que des États
musulmans ne s’entendent pas, de sorte qu’il n’y a pas toujours alliance politique ; mais là où
l’Islam comprend la majorité de la population, on peut admettre que l’État ne sera ni séculier,
ni antireligieux. Certains événements peuvent aussi donner aux Musulmans un sentiment
d’unité dépassant les frontières et les différends passagers des gouvernements.
Dans toute l’Afrique, le christianisme est une religion étrangère. Annoncé par des
étrangers, il s’est généralement imposé sous la forme d’une Église de type européen. De
même, les missionnaires n’arrivent pas à faire oublier leur continent, parfois même leur
nationalité. Quant au contenu, la mission protestante au moins est étrangère en ceci qu’il lui
est impossible de rattacher l’histoire du salut à la religion traditionnelle ; elle n’a pas de
théologie naturelle sur quoi asseoir son effort missionnaire.
44 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
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Il y a une tension d’un genre particulier dans le christianisme lui-même, car il est
parvenu en Afrique sous toutes ses formes et, une fois devenu africain, n’y a presque jamais
renoncé. Pour motif de conscience et à cause du respect de la vérité, la plupart des confessions
ne peuvent pas abandonner leur conception de l’Église. Cela aboutit parfois à des tensions
internes qui, quand elles ne viennent pas tout simplement de l’obstination et de la vanité d’un
homme ou d’un groupe, sont une manifestation de l’imperfection du christianisme visible.
N’oublions pas, enfin, qu’aucune Église ni aucune paroisse ne peut se reposer sur ses
lauriers : elle doit toujours veiller à ce que sa doctrine reste pure et entre dans une synthèse
sans cesse renouvelée avec la vie pratique. En outre, elle doit reconnaître et éviter les dangers
toujours graves présentés par la religion naturelle qui couve sous la cendre. Il s’y ajoute, à
partir de la seconde génération, de la troisième tout au plus, une tendance à la léthargie et à la
« sécularisation ».
Cette situation permet de comprendre qu’en tant que religion exigeante s’adressant
à l’individu, le christianisme soit toujours le fait d’une minorité. C’est surtout vrai là où se
constituent des Églises nationales, où la majorité fait profession d’être chrétienne et où même
la vie publique prend un air chrétien.
Malgré tout cela, le rôle du christianisme dans les nations n’est pas négligeable. Ce
n’est pas seulement en Afrique du Sud et du sud-ouest, mais aussi dans d’autres régions
qu’une sorte de fluide chrétien se répand pour le bien du pays. Il ne faut pas sous-estimer le
facteur culturel. Les plus claires des langues africaines ont été notée pour la première fois par
des missionnaires, et ce sont ceux-ci qui leur ont donné forme. On leur doit presque toute la
première littérature, non seulement religieuse, mais aussi pédagogique, y compris les
premières tentatives dans le domaine des belles-lettres. C’est en grande partie grâce à ceux
que ces langues peuvent s’écrire. La traduction de morceaux choisis de la Bible, et, pour
plusieurs langues, de la Bible entière, a souvent créé une langue que les auteurs modernes
45 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
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achèvent de constituer. Le fait, également, que l’essentiel des élites des États africains récents
ait été formé dans les écoles missionnaires, est un signe du rôle culturel des Églises.
En outre, leur fonction sociale ressemble à celle de l’Islam. Dans une large
mesure, la paroisse est le lieu de rencontre de ceux qui ont perdu le contact avec leur famille
et leur pays. C’était déjà vrai en Sierra Leone où ; à partir de la fonction de Freetown, en
1787, les esclaves libérés ou évadés recevaient de la mission anglaise les moyens de former
de nombreux corps sociaux. Partout où il y a des travailleurs itinérants, que ce soit dans les
centres industriels du sud et du sud-ouest, dans les grandes plantations de sisal de l’est ou
même dans les villes, la paroisse est non seulement un centre religieux, mais aussi un morceau
de patrie. Sur le plan politique, l’Église adopte souvent une autre attitude que l’Islam. La
structure de celui-ci implique un lieu étroit entre religion et politique. Dans la pratique, c’est
également vrai de l’Église éthiopienne. Au Congo, l’Eglise catholique a parfois exercé une
influence appréciable, ainsi que dans les colonies portugaises. En Afrique du Sud, la
prédominance de l’Église réformée se remarque à bien des détails. Mais partout, à l’exception
des États musulmans et de l’Éthiopie, le spirituel et le temporel ont été séparée, sur le modèle
européen.
Ajoutons que les missions continentales, en particulier, ont souvent été très réservées en
matière de politique.
Conclusion transitoire
Comme nous venons de le voir, la religion se présente sous des formes variées en
Afrique. Contre vent et marrés, les religions archaïques n’ont pas disparues, elles subsistent et
coexistent aux cotés de l’Islam et du christianisme. Depuis quelques décennies, on assiste à
une hyper religiosité qui se manifeste surtout par la naissance des sectes ou des mouvements
religions dont la plupart sont d’origine chrétienne.
De nos jours, on assiste à une espèce de brassage ou de vagabondage religieux. Les
adeptes de certaines Églises officielles fréquent au même moment et leurs églises respectives
et leurs religions traditionnelles et les sectes, et les nouveaux mouvements religieux.
47 Cours de Patrimoine religieux de l’Afrique
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CONCLUSION GÉNÉRALE
Notre cours portait sur « le patrimoine religieux de l’Afrique ». Ramassons les grandes
lignes de nos investigations. Le cours a été structuré ou charpenté en cinq chapitres.
Le Négro-africain est un être des relations. Il est en communion avec ses descendants et
ascendants (ancêtres). L’abbé Vincent Mulago semble bien avoir synthétisé la vision du
monde de Muntu : « La Philosophie de l’homme Muntu s’intègre dans sa Religion et
inversement. Sa Philosophie, comme toute sa vie, est religieuse, et sa Religion est une
Philosophie vécue »99. La vie du Négro-africain comme de Muntu est toute imprégnée de sa
religion. Cependant, il a été remarqué que la religion traditionnelle africaine n’est pas une
religion de salut : sa béatitude se limite à la jouissance des richesses, à celle des biens de la
personne et, enfin, aux biens de la progéniture qu’elle considère comme le bien suprême.
Cette religion ne considère pas suffisamment le sort de l’homme dans l’au-delà, c’est-à-dire
après la mort. C’est là, le complément que le christianisme apporte à l’Africain. Le Christ est
comme accomplissement de la quête de l’homme Africain (cfr. Vincent Mulago).
En outre, il a été question du christianisme et religions traditionnelles africaines : une
rencontre brutale. Le patrimoine religieux africain a été la plupart de temps victime d’une
table rase (« tabula rasa »). La religion traditionnelle africaine a été et reste encore influente
en Afrique au sud du Sahara. Le Négro-africain est comme entre le christianisme et sa
religion traditionnelle, et les nouveaux mouvements religieux. Un dialogue entre
christianisme et religions traditionnelles africaines s’avère important au regard de l’influence
de la religion traditionnelle africaine. Certains mouvements religieux puisent dans la religion
traditionnelle africaine.
Actuellement en Afrique, la religion se présente sous des formes variées. Contre vent
et marrés, les religions archaïques n’ont pas disparues, elles subsistent et coexistent aux cotés
de l’Islam et du christianisme. Depuis quelques décennies, on assiste à une hyper religiosité
qui se manifeste surtout par la naissance des sectes ou des mouvements religions dont la
plupart sont d’origine chrétienne.
99
V. MULAGO, « Le dieu des bantu », in Cahiers des Religions Africaines, vol. 2, n° 3 (janvier 1968) 25.
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BIBLIOGRAPHIE