Géopolitique Du Sport: Concorde Internationale Et La Valorisation Des Nations, en Regard Des Conflits
Géopolitique Du Sport: Concorde Internationale Et La Valorisation Des Nations, en Regard Des Conflits
Géopolitique Du Sport: Concorde Internationale Et La Valorisation Des Nations, en Regard Des Conflits
Géopolitique du sport
Par Pascal BONIFACE
Directeur de l’Institut de relations
internationales et stratégiques (IRIS)
80
Enjeux numériques – Juin 2024 – N°26 © Annales des Mines
des disciplines qu’un officier militaire du XIXe siècle doit pratiquer et connaître. Donc dès
l’origine, le sport apparaît comme un instrument de la lutte géopolitique. Sinon, comment
expliquer l’exclusion de l’Allemagne et des autres vaincus de la Première Guerre mondiale
des JO de 1920 et de 1924 ? L’objectif était alors d’éviter que ces pays ne prennent, sur le
plan sportif, la revanche de leur défaite militaire ou qu’ils aillent contester le résultat des
champs de batailles dans les stades, comme moyen de réhabilitation symbolique.
La Coupe du monde en Italie de 1934 et les JO de Berlin en 1936 ont représenté les
premiers usages politiques du sport au profit de régimes autoritaires, ceux de Mussolini
et d’Hitler. Il ne faudrait cependant pas conclure de ces deux exemples que les grandes
manifestations sportives sont nécessairement mises au service de régimes répressifs. La
Coupe du monde de 1934 a certes été organisée, pour la plus grande gloire de Mussolini,
avec un arbitrage très favorable qui a permis à l’équipe d’Italie – qui faisait le salut fasciste
à chaque début de match – d’emporter le trophée. Néanmoins, beaucoup de mauvaises
interprétations ont été faites des JO de Berlin, puisqu’Hitler a finalement été humilié de
voir Jesse Owens, un athlète noir américain, remporter 4 médailles d’or et surtout se lier
d’amitié avec Luz Long, un « bon Aryen allemand », autant d’éléments venant infirmer
les thèses de supériorité de la race aryenne en tout domaine. Jesse Owens ne sera pas
reçu à la Maison Blanche à son retour en 1936, Roosevelt refusant de recevoir un Noir en
pleine campagne électorale. Est également souvent évoquée la Coupe du monde de 1978
en Argentine sous la dictature militaire de Videla. C’est oublier que l’opposition armée
des Montoneros demandait de ne pas boycotter la Coupe du monde, mais, au contraire,
de venir en Argentine pour témoigner de l’ampleur de la répression. Et en effet, ce fut un
formidable coup de projecteur, les médias parlant beaucoup plus de la situation politique
en Argentine à l’occasion de la Coupe du monde qu’en temps habituel. Les exemples histo-
riques sont multiples. On se souvient notamment des JO de Mexico en 1968 et des poings
levés des deux sprinteurs américains qui attirèrent, à l’échelle mondiale, l’attention sur
la cause noire aux États-Unis.
Sport et mondialisation
se renforcent mutuellement
Mais, dans une actualité plus récente, on se rend compte que le sport a pris une impor-
tance croissante du fait d’une médiatisation plus forte et d’une évolution de la perception
de la puissance. L’image, le soft power, sont désormais des éléments centraux de la puis-
sance. La première Coupe du monde de football a eu lieu en 1930 en Uruguay, à l’issue
d’un voyage de plus de 15 jours pour les équipes européennes. Dans l’Auto, journal sportif
de l’époque et ancêtre de l’Équipe, il y avait seulement dix-huit lignes le lendemain du
premier match de l’équipe de France. Lors de la Coupe du monde de football de 2022,
tous les médias, y compris non sportifs, rendaient compte des résultats et évolutions de la
compétition, fournissant des pages et des heures de retransmissions. Le sport occupe donc
désormais un important espace médiatique. La télévision a permis la construction d’un
stade virtuel dans lequel le nombre de places est illimité et au sein duquel des milliards
de téléspectateurs peuvent occuper un siège et regarder, au même moment, quel que
soit leur âge, leur lieu d’habitation ou encore le régime politique sous lequel ils vivent,
la finale de la Coupe du monde ou du 100 mètres des JO. On avait inutilement peur
qu’elle vide les stades. Elle les rend au contraire plus attractifs et les démocratise, pour
que même ceux qui n’ont pas de ticket puissent suivre les compétitions. En 1896, les
premiers JO ont réuni 285 sportifs, tous masculins et amateurs, provenant de 13 pays
européens et 2 nord-américains qui s’affrontèrent dans 9 disciplines différentes. Tout sauf
un évènement planétaire. Désormais, le Comité international olympique (CIO) compte
plus de membres que l’ONU (206 contre 193). Le CIO fait cohabiter la Chine et Taïwan,
Israël et la Palestine de plein pied, ce qui n’est pas possible à l’ONU. Les JO sont donc
vraiment universels.
81
L’économie du sport à l’heure de la révolution numérique
La Coupe du monde et les JO sont devenus des évènements sportifs mondialisés. Ce sont
tout simplement les évènements qui rassemblent au même moment le plus grand nombre
d’individus sur la planète. Cela ne peut pas n’avoir aucun impact géopolitique.
82
Enjeux numériques – Juin 2024 – N°26 © Annales des Mines
les consolide. Chaque Nation soutien son champion ou son équipe nationale, oubliant
clivages politiques, sociaux, religieux ou philosophiques.
83
L’économie du sport à l’heure de la révolution numérique
servi des Jeux de Sotchi pour laver l’affront du boycott de 1980 et des JO de Moscou, tout
comme il s’est servi de la Coupe du monde 2018 pour montrer au monde l’image d’une
Russie ouverte et moderne, ce qui n’était pas évident pour tous. Londres est également
devenue la première destination touristique mondiale dans la foulée de l’organisation
réussie des Jeux de 2012, et le pays tout entier en a tiré parti.
Chaque pays, selon sa tradition et ses compétences, essaie de valoriser au mieux sa
capacité à organiser des compétitions sportives, qui font l’objet d’une féroce compétition
interétatique, mais également à obtenir des médailles afin de rayonner au firmament
des étoiles mondiales. Mais c’était déjà le cas auparavant. Dès 1960, après des JO catas-
trophiques pour le palmarès français, le Figaro publiait à sa une un dessin de Jacques
Faizant, représentant le général de Gaulle en survêtement avec des baskets disant « déci-
demment dans ce pays, si je ne fais pas tout moi-même ». Quant à de Gaulle, qui voulait
« relever la France », il expliquait que cette dernière ne pouvait rayonner dans le monde si
ses sportifs étaient humiliés dans les stades. S’en suivit donc la création de Font-Romeu,
de l’INSEP et la mise en place d’une véritable politique sportive, pour faire émerger les
talents sportifs français sur la scène internationale. Celui qui avait « une certaine idée
de la France », sans être un fan de sport, estimait pourtant indispensable que son pays
s’incarne également par le sport. Le sport a pris une importance gigantesque dans nos
sociétés. Il participe au rayonnement d’un pays, à l’affirmation pacifique de son identité
nationale.
Références bibliographiques
BONIFACE P. (2023), Géopolitique du Sport, Éditeur Dunod poche, septembre 2023,
264 pages.
AUBIN L. (2024), Sport Power - Le sport : nouvel atout géopolitique pour les villes fran-
çaises ?, Éditions autrement, 144 pages.
84