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UNIVERS ITE ALGER 2

FACULTE DES LANGUES ETRANGERES


DEPARTEMENT DE FRANÇAIS

Niveau : Licence L3
Module : Introduction aux langues de spécialité
Année académique : 2023-2024
Texte 3 Dr. BAGHBAGHA Y

En 1988, la question du réchauffement climatique global fait irruption sur la scène tant
scientifique que géopolitique et médiatique. A la faveur d’une sécheresse exceptionnelle aux Etats-
Unis, quelques climatologues activistes alertent l’opinion américaine et internationale sur le danger
climatique, notamment lors de la conférence de Toronto sur l’atmosphère, en juin. La même année, la
WMO et le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (UNEP) décident la création d’une
instance mondiale d’expertise, le Groupe Intergouvernemental d’Etude du Climat (GIEC), en
anglais Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC). Le GIEC, constitué de plusieurs
centaines de scientifiques, est chargé non seulement d’informer les gouvernements de l’état des
connaissances sur le sujet, mais aussi de passer en revue les politiques nationales ou internationales
liées à la question des gaz à effet de serre.
Les Etats-Unis ont joué un rôle déterminant pour influencer fortement le Conseil exécutif de la
WMO et imposer le compromis d’un tel mécanisme intergouvernemental. Agrawala (1998) a analysé
précisément ce scénario paradoxal, qui a conduit une multiplicité d’acteurs politiques (agences
américaines variées et concurrentes, UNEP, WMO) et de pays ayant des intérêts très divergents, à se
défausser sur les scientifiques et leur abandonner le contrôle du processus d’évaluation. Ils font
présider le GIEC par Bert Bolin, célèbre climatologue suédois, vétéran de la WMO et des réunions
internationales d’évaluation sur le climat.
Selon le cadrage suggéré en particulier par Mostafa Tolba, directeur exécutif de l’UNEP, le
GIEC s’est très vite organisé en trois groupes de travail (WG) qui s’occupent respectivement : 1) de la
science du climat et de la biosphère ; 2) des impacts du changement climatique sur la biosphère et sur
les systèmes socio-économiques (groupe qui s’occupe maintenant aussi des questions d’adaptation et
de vulnérabilité des écosystèmes) ; enfin, 3) des réponses stratégiques au changement climatique (en
anglais « mitigation » ou atténuation du changement). Le choix des personnalités qui présidaient les
trois sous-groupes fut pré-négocié et répondait à des critères tant politiques que scientifiques. Les
spécialistes des sciences de la nature jouent le rôle prééminent dans le premier groupe, les économistes
et spécialistes de sciences politiques jouent le rôle hégémonique dans le troisième groupe ; quant au
second, il a réuni des spécialistes en tous genres : hydrologues, biologistes, écologues,
climatologues… ou encore économistes.
Le premier rapport du GIEC de 1990 établissant la claire distinction entre « changement
climatique » d’origine anthropique et « variabilité climatique » (attribuable à des causes naturelles) a
sensibilisé les politiques et entraîné la convocation par l’Assemblée générale des Nations Unies de la
conférence de Rio qui se réunit en juin 1992. La convention des Nations Unies sur le changement
climatique (UNFCC) entre en fonction le 21 mars 1994. Dès ce moment, les Conférences des Parties
(COP) convoquées chaque fin d’année, pendant quinze jours, deviennent les forums de la négociation
internationale sur le changement climatique auxquels participent des représentants et délégations de
tous les pays, mais aussi des organisations non gouvernementales (Raustiala, 2001), des représentants
d’institutions de recherche, d’industries, etc., soit plusieurs milliers de personnes. Des centaines de
débats, mini-colloques et rencontres avec politiques, scientifiques ou négociateurs sont organisés en
marge de la négociation officielle. Là sont les véritables forums hybrides du changement climatique
dont le régime, entre science et gouvernance globale, se complique tant dans sa composition que dans
son fonctionnement. L’ensemble des relations entre changement climatique et politique ne se réduit
pas au GIEC. Deux autres groupes, le Comité Intergouvernemental de Négociation (INC) et
le Subsidiary Body for Scientific and Technological Advice (SBSTA), créé en 1995, servent de
« tampon » entre les négociateurs politiques et le GIEC (Miller, 2001).
Néanmoins, pour l’angle que nous avons choisi de privilégier, des relations entre le politique
et les communautés des sciences du climat, le GIEC reste bien l’instance déterminante qui cherche à
instaurer des procédures très strictes chargées de garantir son caractère rigoureusement scientifique.
Les rapports seront préparés par des équipes de rédacteurs, durement sélectionnés sur la base de leur
compétence scientifique (réputation, publications). Le processus de referees est très long et très lourd :

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les rédactions des chapitres devront traverser deux stades d’examen et de réécriture, d’abord par des
pairs scientifiques, ensuite par les pairs et les gouvernements. Les rapports finaux devront être
acceptés en session plénière et seront accompagnés de résumés techniques et de « résumés pour
décideurs » ; ceux-ci devront être approuvés ligne par ligne. De plus, les concepteurs du GIEC
préconisent une participation universelle : tous les pays du monde devront y être autant que possible
associés (en 2005, 192 représentants d’Etats y ont participé).
Dans les premières années de fonctionnement du GIEC, alors que la réalité du changement
climatique est encore l’objet de vives controverses, les scientifiques du premier groupe sont
incontestablement très en pointe. S’appuyant sur une longue tradition de recherches, leurs modèles de
circulation générale — seuls outils qui permettent de se projeter quantitativement dans le futur —
jouent un rôle crucial. Dès le premier rapport de 1990, à l’aide des modèles dans lesquels ils entrent
les concentrations de gaz à effet de serre, croissantes selon l’hypothèse du business as usual, les
climatologues prédisent un accroissement de la température moyenne du globe de 0,3°C par décennie
au cours du 21e siècle. Ils insistent toutefois sur les incertitudes (concernant les sources et les puits de
gaz à effet de serre, le rôle des nuages…). En 1995, le deuxième rapport fait état d’avancées
considérables dans la compréhension de divers aspects physiques du problème, et dans le
développement de modèles couplant l’atmosphère avec les océans et les glaces. Le consensus
scientifique reflété dans le résumé du rapport identifie cette fois clairement une « influence humaine
discernable au-delà de la variabilité naturelle »9 (une petite phrase qui a exigé de très longues
discussions) et un changement climatique déjà intervenu au cours du 20e siècle, tout en soulignant
toujours un certain nombre d’incertitudes.

Le troisième rapport du GIEC (2001) présente de manière assez détaillée les résultats des
projections climatiques jusqu’à la fin du 21e siècle. Elles concluent à une augmentation de la
température moyenne à la surface du globe allant de 2,5°C à 6°C. En fait, cette fourchette de réponses
climatiques, pratiquement constante depuis quinze ans, agrège deux types d’incertitudes, celles venant
de la pluralité des modèles et des insuffisances de la connaissance des mécanismes climatiques, et
celles venant des différents scénarios ou trajectoires des concentrations de CO 2 qui interviennent en
inputs des modèles – et qui reflètent nos comportements futurs.
Précisons cette question des scénarios d’émission de CO2 . Introduits dès 1992, les scénarios
ont fait l’objet d’un rapport propre en 2000 (SRES) et apparaissent comme une composante
significative de la méthodologie du GIEC. Au départ, les socio-économistes élaborent une série
d’images de l’avenir agrégeant démographie, modes de développement économique, choix sociaux et
technologiques17. Ces images du futur sont traduites en scénarios économiques, qui produiront
(souvent à l’aide de modèles intégrés) des scénarios d’émissions de CO2 . Ces émissions seront alors
transformées (à l’aide de modèles du cycle du carbone) en scénarios de concentrations
atmosphériques de CO2 . Ce sont enfin ces scénarios de concentration qui serviront de « forçage »
d’entrée aux modèles de climat, lesquels produiront, après des mois de calcul sur ordinateur, des
simulations climatiques. Concrètement, le GIEC a défini quatre classes de scénarios économiques
(avec près de quarante variantes) qui se distinguent à la fois par leur « soutenabilité » (productivisme
versus développement durable) et par leur « ouverture » (marché global versus développement
national ou régional protectionniste).
L’origine de la notion de scénario se situe dans les travaux issus de la dynamique des systèmes
de Forrester et du Club de Rome des années 1970 et dans une réflexion récurrente et controversée sur
les limites de la croissance. Elle a été reprise dans les années 1980 et 1990 dans des modèles
dits d’évaluation intégrée, qui couplaient des modèles physiques très simplifiés avec des modèles
économiques pour constituer des instruments de simulation au service de décideurs et de négociateurs.
Il est assez remarquable que l’instance scientifico-politique du GIEC ait renoué, dans un périmètre
ambigu, avec les termes d’un choix fondamental, relatif aux modes de développement (durable ?, de
croissance ?), et aux conceptions des rapports d’échange entre les diverses parties du globe, tout
particulièrement entre le Nord et le Sud.

DALMEDICO. Amy Dahan et GUILLEM OT. Hélène, « Changement climatique :


Dynamiques scientifiques, expertise, enjeux géopolitiques »,
Sciences et souverainetés, Vol 48, n°3, p. 412-432.

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