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Que penser…

…des devoirs à domicile ?

Olivier Maulini
Université de Genève
Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation

2016

La série « Que penser… ? » s’adresse à des personnes intéressées par les questions pédagogiques, en dehors du
cercle des professionnels. Chaque thème traité l’est à l’occasion d’une demande formulée par un.e journaliste,
et sous la forme d’un texte bref répondant à quelques questions clefs. L’intention de la série est de résumer les
résultats de la recherche en conciliant la complexité des enjeux et la simplicité du propos.

Une pratique controversée

Ce qu’on appelle « devoirs », « devoirs à domicile », « tâches » ou « travail à la maison » est


généralement compris comme la partie du travail scolaire que chaque élève doit réaliser
individuellement, après les heures qu’il passe chaque jour en classe avec son enseignant. Ce
travail peut être écrit ou non, il peut consister à réviser et à mémoriser des choses déjà
connues, mais aussi à en découvrir de nouvelles (par exemple en lisant des livres ou en
effectuant des recherches). La pratique du travail scolaire hors de l’école est répandue dans
tous les pays et dans tous les ordres d’enseignement, mais elle varie passablement d’un lieu
voire d’un maître à l’autre. La quantité des devoirs peut osciller entre quelques minutes
hebdomadaires (en particulier dans les premiers degrés) et plusieurs heures quotidiennes (en
progressant vers l’enseignement secondaire). Leur qualité (contenu, sens, niveau de difficulté,
attention investie, etc.) est elle aussi inégale, cette variable semblant peser davantage que la
simple durée du travail sur les apprentissages finalement effectués. Les débats sont donc
nombreux à propos de la bonne ou de la mauvaise manière de « donner les devoirs ». Plus
cette question est politiquement sensible, plus elle peut contraindre les établissements et les
systèmes éducatifs à formaliser des règles qu’ils doivent alors légitimer sur au moins quatre
plans : (1) le gain potentiel pour les apprentissages, (2) l’autonomie progressivement
développée par chaque élève, (3) le lien entre les familles et l’école, (4) les effets de ces
facteurs sur les inégalités.

Un gain pour les apprentissages ?

Les devoirs ajoutent du temps au travail des élèves : on peut légitimement en attendre un gain
pour les apprentissages. La recherche montre d’abord une corrélation plutôt positive entre la
pratique des devoirs par les élèves et leurs résultats scolaires : mais doit-on en déduire que les
devoirs améliorent les résultats, ou que ce sont les bons élèves qui font sérieusement leurs
devoirs ? Difficile de trancher. Pour profiter à tous les élèves, il apparaît que les devoirs
doivent être donnés assez régulièrement mais en petite quantité, être suffisamment simples et
clairement articulés avec le travail de la classe, avoir du sens et demander de remobiliser les
savoirs abordés auparavant, faire l’objet d’un suivi et d’une correction par l’enseignant.
Lorsqu’on interroge les élèves, ils disent d’ailleurs faire volontiers leurs devoirs si ceux-ci
sont raisonnables en quantité, clairs et intéressants. En somme : une bonne pédagogie vaut
mieux qu’un travail volumineux mais abrutissant, à l’école comme au dehors. Notons enfin
que l’effet des devoirs à domicile varie en vérité en fonction de l’âge des élèves : il paraît
presque nul au degré primaire, et à son maximum chez les lycéens. Une autonomie
grandissante permet de s’engager peu à peu dans le travail hors de la présence de l’enseignant.

Une formation à l’autonomie ?

On pense généralement que les devoirs contribuent à former l’autonomie des élèves, mais la
boucle pourrait là aussi tourner dans l’autre sens : ce sont les compétences cognitives (savoir
bien lire, comprendre, chercher, faire des hypothèses, consulter des données, rechercher des
conseils…) qui offrent les moyens et l’envie de faire seul ses devoirs. En l’absence de telles
ressources, les stratégies d’évitement (deviner, simuler, copier, etc.) permettent aux élèves en
difficulté d’être apparemment en règle, tout en passant à côté des savoirs visés. Les
recherches montrent que les devoirs à la maison peuvent en fait contribuer au développement
d’un travail autonome, d’une discipline et d’une responsabilité personnelle, mais seulement
s’ils sont activement et judicieusement encadrés par les parents. Certains ne s’y trompent pas,
et consacrent plus ou moins de temps et d’énergie au suivi de cette activité après leur propre
journée de travail.

Un lien entre école et familles ?

Les parents réclament-ils des devoirs ? Oui et non. Les enquêtes montrent qu’ils s’inquiètent
d’abord de la réussite scolaire de leurs enfants, et qu’ils craignent autant leur surcharge que
leur désœuvrement. Comme les enseignants, ils aimeraient que les devoirs servent d’abord à
consolider les apprentissages de base et à développer peu à peu l’habitude (voir le goût)
d’étudier avec régularité. Cela peut entraîner des effets de mise en scène, les devoirs scolaires
servant moins à montrer aux parents comment leurs enfants apprennent vraiment à l’école
qu’à répondre à leurs attentes (réelles ou supposées) en leur présentant des tâches a priori
rassurantes et ritualisées (dictées, livrets, exercices à trous, vocabulaire à mémoriser…). En
même temps, les manuels se modifient, et peuvent placer certains parents en situation d’échec
ou de révolte face à des documents complexes et opaques dont ils ont le sentiment de ne pas
comprendre la logique. Quand le travail du soir devient source de tensions et de conflits
(comme cela semble tôt ou tard le cas dans la moitié des foyers), il perd en popularité. Mais
plus la compétition scolaire est vive, plus les familles ont tendance à s’inquiéter, et plus elles
peuvent au contraire faire pression sur l’enseignant pour qu’il donne des devoirs, voire sur les
enfants pour qu’ils fassent plus que ce qui est demandé. En fait, toutes les familles ne

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réagissent pas de la même façon, et certaines investissent financièrement hors de l’école
(soutien et accompagnement scolaire, cours particuliers, e-learning, cahiers de vacances,
répétiteurs, etc.) pour ne pas se laisser déclasser dans la course aux diplômes et aux profits
(symboliques et matériels) qui en dépendent. À la limite, on opte pour l’école privée, dont
l’une des plus-values est précisément de tout prendre en charge : accueil du matin, repas de
midi, devoirs du soir. Le luxe du parent fortuné, c’est que l’école profite avec lui de ce qu’elle
reproche aux parents pauvres de ne pas assumer... En réaction, certaines écoles publiques
cherchent à intégrer les devoirs dans le temps d’enseignement, mais elles peuvent perdre en
temps total de travail une part de ce qu’elles gagnent en qualité d’encadrement.

Un vecteur d’inégalités ?

C’est un vrai dilemme pour l’instruction publique : soit elle s’étend jusqu’à envahir la vie des
familles, soit elle se cantonne entre ses murs au risque de laisser libre cours aux stratégies des
milieux les mieux dotés et les mieux informés. On le voit en particulier durant les vacances
d’été, où les inégalités peuvent plus ou moins se creuser entre trois catégories d’élèves : ceux
dont les parents enrichissent les savoirs et développent les compétences au gré d’activités
récréatives plus ou moins didactisées (promenades, voyages, visites, jeux, conversations,
lectures, correspondance, etc.) ; ceux qui limitent leurs pertes en s’acquittant plus ou moins
sérieusement des cahiers d’entraînement vendus à cet effet dans les grandes surfaces ; enfin
ceux qui s’en tiennent à un temps libre sans obligation, où s’efforcer d’apprendre serait,
durant les vacances, un contresens. C’est un paradoxe difficile à dépasser : pour ne pas se
laisser décrocher, les élèves de milieu populaire ont apparemment intérêt à surtravailler ; mais
pendant qu’ils le font, les enfants de milieu favorisé apprennent encore mieux qu’eux en
faisant autre chose, de manière plus fluide, plus intéressante, plus incitative, bref, plus
rentable pour l’an prochain. À moins d’interdire l’apprentissage hors de l’école, force est
d’admettre que l’école ne peut pas tout compenser, et que les devoirs à domicile ne forment
que la pointe émergée de la production des inégalités. À trop se demander où le travail
scolaire devrait s’opérer, on néglige de chercher quel travail aide le mieux les enfants à
apprendre et à se former.

Quel travail pour apprendre ?

Le débat public se résume souvent à une formule lapidaire : « pour ou contre les devoirs ? »
Mais si la France a interdit les tâches écrites depuis longtemps, cette tradition persiste de facto
sur le terrain. Il semble finalement plus fécond d’établir quel travail organiser, pour que les
savoirs circulent entre l’école et son environnement d’une manière à la fois ni trop, ni pas
assez cloisonnée. Préférer la fréquence à la longueur des devoirs. Donner du sens au travail
demandé. Clarifier les règles et établir des routines. Soutenir les parents dans leur
compréhension de ce que fait l’école. Ces conseils sont ceux qui restent une fois toutes les
recherches passées en revue, y compris celles qui mettent en évidence les attentes
contradictoires qui pèsent sur l’école et entre lesquelles il lui est de plus en plus difficile

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d’arbitrer. Une piste prometteuse resterait cependant à explorer : plutôt que confier aux
familles une part plus ou moins grande (et plus ou moins avouée) du travail scolaire, faire des
devoirs à la maison une occasion de reconnaître la culture et les savoirs familiaux dans
l’école, donc de tisser un lien explicite et davantage équilibré entre les devoirs des enseignants
et des parents dans la formation des enfants. Une telle innovation impliquerait des pratiques
concertées dans les établissements, ce qui semble devenu de toute manière inévitable pour
nouer des relations stables, sinon apaisées, entre l’école publique et son environnement.

En savoir plus :
Glasman, D., & Besson, L. (2005). Le travail des élèves pour l'école en dehors de l'école. Rapport n°15 établi à
la demande du Haut conseil de l’évaluation de l’école. Paris : HCEE. URL :
http://www.hce.education.fr/gallery_files/site/21/100.pdf

Rayou, P. (2009). Faire ses devoirs. Enjeux cognitifs et sociaux d'une pratique ordinaire. Rennes : Presses
universitaires de Rennes.

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