Chap 1

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CHAPITRE 1

ÉQUATIONS, IDÉAUX, VARIÉTÉS

Sommaire

1.1. Polynômes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
1.2. Solutions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
1.3. Correspondance entre l’algèbre et la géométrie . . 10
1.4. Décomposition primaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
1.5. Quelques invariants numériques d’une variété
algébrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
1.5.1. Dimension d’une variété algébrique . . . . . . . . . . . 19
1.5.2. Degré d’une variété algébrique . . . . . . . . . . . . . . . . 20
1.6. Un peu de géométrie projective . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
1.7. Exercices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
M. Elkadi & B. Mourrain Résolution des systèmes polynomiaux

Dans ce chapitre, nous introduisons les objets que nous allons étudier tout
au long de ce cours : les idéaux de polynômes et les variétés algébriques. Nous
rappelons la correspondance entre l’algèbre et la géométrie, la décomposition
primaire d’un idéal et définissons quelques invariants utiles pour la suite.

1.1. Polynômes
Dans beaucoup de domaines (robotique, vision par ordinateur, géométrie
algorithmique, théorie des nombres, mathématiques financières, théorie des
jeux, biologie moléculaire, statistique . . .), la modélisation conduit souvent
à la résolution de systèmes polynomiaux. Les grandeurs sont représentées
par des variables vérifiant des contraintes polynomiales qui, si possible, ca-
ractérisent les solutions du problème. Ces variables sont notées x 1 , . . . , xn et
ces contraintes f1 = 0, . . . , fm = 0.
Problème :
Nous considérons une caméra calibrée (1) qui observe une scène tridimension-
nelle, dans laquelle trois points A, B, C sont reconnus. Nous voulons déterminer
la position de la caméra à partir de ces observations.
Pour cela, nous allons déterminer les contraintes vérifiées par les distances
x1 , x2 , x3 entre le centre de la caméra X et respectivement A, B, C. Puis à
partir de ces distances, nous allons déduire la position de X par rapport à
ces points. Comme la caméra est calibrée, nous pouvons à partir de mesures
des distances entre les images des points A, B, C, déduire les angles entre les
rayons optiques XA, XB, XC (voir figure 1.1).
Notons α l’angle entre XB et XC, β l’angle entre XA et XC, γ l’angle entre
XA et XB. Supposons que ces angles et les distances a entre B et C, b entre
A et C, c entre A et B sont connus. De simples relations trigonométriques
dans un triangle conduisent aux équations suivantes :
⎧ 2
⎨ x1 + x22 − 2 cos(γ)x1 x2 − c2 = 0
x2 + x23 − 2 cos(β)x1 x3 − b2 = 0 (1.1)
⎩ 12
x2 + x23 − 2 cos(α)x2 x3 − a2 = 0.
Dans ce chapitre, nous allons étudier ce système et l’utiliser pour illustrer les
différentes notions que nous allons introduire.

Les contraintes f1 = 0, . . . , fm = 0 sont à coefficients entiers, entiers mo-


dulo un nombre premier, rationnels, réels, complexes, ou encore des fractions

(1)
sa distance focale et les coordonnées de la projection du centre optique dans l’image
sont connus.

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Figure 1.1. Modèlisation mathématique d’une caméra.

rationnelles en certains paramètres. Désignons par K un corps contenant ces


coefficients et par K sa clôture algébrique. Les relations f 1 , . . . , fm entre les va-
riables x1 , . . . , xn , appartiennent donc à l’anneau des polynômes K[x 1 , . . . , xn ],
noté également K[x]. Parfois, dans le cas d’une variable (resp. deux ou trois
variables), nous utilisons la notation K[x] (resp. K[x, y] ou K[x, y, z]). Les
monômes sont notés xα = xα1 1 . . . xαnn pour α = (α1 , . . . , xn ) ∈ Nn . Le degré
de xα est |α| = α1 + · · · + αn .
Pour représenter les éléments de K[x], nous ordonnons les monômes suivant
un ordre total. Les polynômes sont donc des listes ordonnées de termes définis
par des coefficients et des exposants. Le degré d’un polynôme est le maximum
des degrés des monômes à coefficients non nuls qui le constituent. Ainsi, nous
étendons aux polynômes multivariables, les notions de coefficient dominant,
monôme dominant et terme dominant, une fois que l’ordre sur les monômes
est fixé. Par convention, le coefficient dominant, le monôme dominant et le
terme dominant du polynôme nul sont nuls.
A partir de l’ensemble de contraintes f 1 = 0, . . . , fm = 0, nous en construi-
sons d’autres, celles définies par l’idéal de K[x] engendré par f 1 , . . . , fm .
On peut se demander si tout idéal de K[x] est engendré par un nombre fini
de polynômes.
Définition 1.1. Un anneau A commutatif et unitaire est dit noethérien si
tout idéal de A est engendré par un nombre fini d’éléments.
Proposition 1.2. Les propriétés suivantes sont équivalentes dans un anneau
commutatif et unitaire A :
i) Tout idéal de A est engendré par un nombre fini d’éléments,

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ii) Toute suite croissante d’idéaux de A est stationnaire,


iii) Tout ensemble d’idéaux de A admet un élément maximal.
Démonstration. Voir exercice 1.2. ✷

Théorème 1.3. L’anneau K[x] est noethérien.


Démonstration. Cette preuve est similaire à celle proposée par Hilbert dans
ses célèbres travaux sur la théorie des invariants [Hil93].
Comme les seuls idéaux de K sont {0} et K, l’anneau K est noethérien. Nous
procédons par récurrence sur le nombre de variables n. Pour cela, il suffit de
montrer que si A est un anneau noethérien, alors A[x] (où x est une nouvelle
variable) l’est aussi.
Soit I un idéal de A[x]. L’ensemble J des coefficients dominants des éléments
de I est un idéal de A. Il est donc engendré par un nombre fini d’éléments
non nuls c1 , . . . , cs . Notons f1 , . . . , fs des éléments de I dont les coefficients
dominants sont respectivement c1 , . . . , cs .
Soit f ∈$I de degré δ ≥ d = max deg f i et de coefficient dominant c. Nous
avons c = si=1 ci ri , avec ri ∈ A. L’élément
s
%
f− ri xδ−deg fi fi
i=1
de I est de degré < δ. Nous pouvons donc réécrire tout polynôme de I modulo
f1 , . . . , fs en un élément de I de degré < d.
Pour chaque i ∈ {0, . . . , d − 1}, soit Ji l’ensemble des coefficients dominants
des polynômes de I de degré i. Comme Ji est un idéal de A, il est donc engendré
par un nombre fini d’éléments non nuls ci,1 , . . . , ci,ki . Notons fi,1 , . . . , fi,ki des
polynômes de I de degré i dont les coefficients dominants sont respectivement
ci,1 , . . . , ci,ki . Le même argument que précédemment montre que tout f ∈ I
de degré d > i se réduit modulo f i,1 , . . . , fi,ki en un élément de I de degré
< i. Ceci montre que l’idéal I est engendré par f 1 , . . . , fs et fi,1 , . . . , fi,ki ,
i = 0, . . . , d − 1. ✷

Dans le cas d’une variable, nous avons un résultat plus fort :


Proposition 1.4. Tout idéal de K[x] est engendré par un seul polynôme.
Démonstration. Voir exercice 1.1. ✷

1.2. Solutions
L’objet principal de ce cours est l’étude de l’ensemble des solutions d’un
système d’équations polynomiales F de K[x] ; c’est-à-dire l’ensemble Z K (F )

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(ou Z(F ) s’il n’y a pas d’ambiguı̈té sur le corps K) des points ζ de K n qui
vérifient f (ζ) = 0 pour tout f ∈ F . Un tel ensemble est appelé une variété
algébrique de Kn . Nous considérons souvent ZK (F ), l’ensemble des solutions
n
de F dans K au lieu de ZK (F ) ⊂ Kn .
Les polynômes f1 , . . . , fm définissent le même ensemble de solutions que
l’idéal I qu’ils engendrent : ZK (f1 , . . . , fm ) = ZK (I).
Il est facile de vérifier que la réunion finie et l’intersection quelconque de
variétés algébriques sont des variétés algébriques. De plus, ∅ = Z(K[x]) et
Kn = Z({0}) sont des variétés algébriques. Donc les variétés algébriques sont
les fermés d’une topologie définie sur K n , dite de Zariski. Elle est non-séparée
si le corps K est infini (i.e. si x ̸= y, il n’existe pas deux ouverts disjoints
contenant respectivement x et y).
Si V est une variété algébrique, une sous-variété algébrique de V est une
variété algébrique incluse dans V .

Définition 1.5. Une variété algébrique V est dite irréductible si V = V 1 ∪ V2 ,


avec V1 et V2 deux sous-variétés de V , alors V1 = ∅ ou V2 = ∅.

Proposition 1.6. Toute variété algébrique V se décompose de manière unique


en une réunion finie de sous-variétés algébriques irréductibles de V , appelées
composantes irréductibles de V .

Démonstration. Voir exercice 1.5. ✷

Problème(suite) :
Pour le problème de positionnement de la caméra , nous allons dans un premier
temps considérer toutes les solutions (x 1 , x2 , x3 ) à coordonnées complexes du
système (1.1). Puis nous nous restreindrons à celles dont les coordonnées sont
réelles et positives, qui correspondent à une position physique de la caméra.
Cette démarche est classique. L’étude algébrique des systèmes polynomiaux,
issus des domaines d’applications, fournit des informations sur toutes les so-
lutions dont les coordoonnées appartiennent à la clôture algébrique du corps
des coefficients des équations. Les informations sur les « vraies » solutions du
problème étudié sont obtenues par une analyse « physique » de celui-ci (par
exemple, dans ce problème, en prenant en compte les signes des variables x i ).
La formule de résolution des équations du second degré appliquée aux deux
premières équations de (1.1) permet d’exprimer x 2 et x3 en fonction de x1 . En
substituant x2 et x3 dans la dernière équation et en « chassant » les radicaux,
nous obtenons une équation de degré 8 en x 1 (sauf dans des cas dégénérés).
Cette dernière admet 8 solutions complexes, et par conséquent, il y a au plus
16 positions possibles (symétriques par rapport au plan défini par A, B, C)

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pour le centre X de la caméra.

1.3. Correspondance entre l’algèbre et la géométrie


Pour résoudre le système f1 = · · · = fm = 0, l’approche algébrique consiste
à considérer que les inconnues x1 , . . . , xn vérifient ces équations et toutes celles
qui s’en déduisent. En d’autres termes, on se place dans l’algèbre quotient A =
K[x]/I, où I désigne l’idéal engendré par f 1 , . . . , fm . L’étude des propriétés de
cette algèbre permet de déduire des informations pertinentes sur l’ensemble des
solutions ZK (I). Nous allons analyser cette correspondance entre l’algèbre des
polynômes (i.e. les idéaux de K[x]) et la géométrie (i.e. les variétés algébriques
de Kn ).
Définition 1.7. Soit Y une partie de K n . On définit
I(Y ) = {f ∈ K[x] : f (a) = 0, ∀a ∈ Y }.
L’ensemble I(Y ) est un idéal de K[x], appelé l’idéal de Y . D’après le
théorème 1.3, il est engendré par un nombre fini d’éléments.
Proposition 1.8. Si Y et Z sont deux sous-ensembles de K n , alors
I(Y ∪ Z) = I(Y ) ∩ I(Z).
Démonstration. Voir exercice 1.4. ✷

Définition 1.9. Un idéal I de K[x] est dit premier si


∀ (f, g) ∈ K[x]2 , f g ∈ I =⇒ f ∈ I ou g ∈ I.
La proposition suivante montre l’importance de la notion d’idéal premier.
Proposition 1.10. Une variété algébrique V est irréductible si, et seulement
si, son idéal I(V ) est premier.
Démonstration. Voir exercice 1.4. ✷
& '
Il est facile de vérifier que si V est une variété, alors Z I(V ) = &V. Mais
' la
question « réciproque » : si I est un idéal de K[x], « quel est l’idéal I Z(I) ? »
est plus délicate. Une réponse partielle est donnée grâce au théorème fon-
damental de l’algèbre : tout polynôme d’une variable de degré d et à coeffi-
cients dans K admet d racines dans K (chaque racine est comptée autant de
(
fois que sa multiplicité). Donc si f ∈ K[x], alors f = α ki=1 (x − zi )mi , où

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α ∈ K \ {0}, mi ∈ N∗ , zi ∈ K, et zi ̸= zj pour i ̸= j. Nous pouvons vérifier que


)*k + ) +
& ' f
I Z(f ) = (x − zi ) = .
i=1 pgcd(f, dd fx )
(
Le polynôme ki=1 (x − zi ) est à coefficients dans K.
La réponse à la question précédente, dans le cas multivariable, est donnée
par le théorème des zéros de Hilbert.
Définition 1.11. Un idéal I ̸= K[x] est dit maximal si pour tout idéal J tel
que I ⊂ J, on a J = I ou J = K[x].
Notons qu’un idéal I de K[x] est maximal si, et seulement si, K[x]/I est un
corps (voir exercice 1.12).
Si (a1 , . . . , an ) ∈ Kn , l’idéal (x1 −a1 , . . . , xn −an ) est maximal et nous allons
voir que si le corps K est algébriquement clos, tout idéal maximal de K[x] est
de cette forme.
Définition 1.12. Soient B un anneau et A un sous-anneau de B. Un élément
b ∈ B est dit entier sur A si b est racine d’une équation d’une variable de la
forme xm + a1 xm−1 + · · · + am ∈ A[x].
L’anneau B est une extension entière de A si tout élément de B est entier
sur A.
Lemme 1.13. Soient A, B, C trois anneaux tels que A ⊂ B ⊂ C tels que
l’extension B de A est entière. Alors tout élément c ∈ C entier sur B est
aussi entier sur A.
Démonstration. Voir exercice 1.10. ✷

Lemme 1.14. Soient B un anneau intègre et A un sous-anneau de B tels


que l’extension A ⊂ B est entière. Alors A est un corps si, et seulement si, B
est un corps.
Démonstration. Supposons que A est un corps et soit b ∈ B \ {0}. Il existe
m ∈ N et (a1 , . . . , am ) ∈ Am tels que bm + a1 bm−1 + · · · + am = 0. Comme B
est intègre, on peut supposer que am ̸= 0, donc inversible dans A. Il en découle
que 1 = b(−a−1 m b
m−1 − · · · − a−1 a
m m−1 ). Ainsi, b est inversible dans B.
Réciproquement, supposons que B est un corps et soit a ∈ A\{0}. L’élément
a est inversible dans B, et a−1 vérifie a−m +a1 a1−m +· · ·+am = 0, avec m ∈ N
et (a1 , . . . , am ) ∈ Am . Nous en déduisons que a(−am am−1 − · · · − a1 ) = 1, et
donc a est inversible dans A. ✷

Lemme 1.15. Soit A un anneau de type fini sur un corps K (i.e. A =


K[a1 , . . . , am ], avec a1 , . . . , am ∈ A). Alors il existe des éléments b 1 , . . . , br de

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A algébriquement indépendants sur K tels que l’extension K[b 1 , . . . , br ] ⊂ A


est entière.
Rappelons que les éléments b1 , . . . , br de A sont algébriquement indépendants
sur K si le seul polynôme f à coefficients dans K qui satisfait f (b 1 , . . . , br ) = 0
est le polynôme nul.
Démonstration. Supposons que a1 , . . . , am sont algébriquement liés sur K, i.e.
(a1 , . . . , am ) est solution d’un polynôme non nul f ∈ K[x 1 , . . . , xm ]. Soit r ∈ N
i−1
et pour i = 2, . . . , m, posons ci = ai − ar1 . Chaque monôme aα1 1 . . . aαmm de
m−1 α
f (a1 , . . . , am ) s’écrit sous la forme aα1 1 +rα2 +···+r m
+ g(a1 , c2 , . . . , cm ), où g
est un polynôme de degré inférieur strictement à α 1 + rα2 + · · · + r m−1 αm .
Choisissons l’entier r tel que toutes les expresssions α 1 + rα2 + · · · + r m−1 αm
soient différentes pour les différents multi-indices (α 1 , . . . , αm ) des monômes
de f (a1 , . . . , am ). Ainsi, a1 est entier sur K[c2 , . . . , cm ]. En itérant ce procédé
et en utilisant le lemme 1.13, nous construisons b 1 , . . . , br tels que A soit une
extension entière de K[b1 , . . . , br ]. ✷

Théorème 1.16. Soit K un corps algébriquement clos (i.e. K = K). Alors


tout idéal maximal de K[x] est de la forme m ζ = (x1 − ζ1 , . . . , xn − ζn ), avec
ζ = (ζ1 , . . . , ζn ) ∈ Kn .
Démonstration. Soit m un idéal maximal. L’anneau de type fini K = K[x]/m
est un corps. D’après le lemme 1.15, il existe (b 1 , . . . , br ) ∈ K r tel que l’exten-
sion K[b1 , . . . , br ] ⊂ K est entière. En utilisant le lemme 1.14, nous déduisons
que K[b1 , . . . , br ] est un corps et donc r = 0. Par conséquent, l’extension de
corps K ⊂ K est algébrique, et comme K est algébriquement clos, K = K.
Considérons l’application f ∈ K[x] +→ f ∈ K[x]/m = K = K. Pour i =
1, . . . , n, notons ζi = xi . Nous avons (x1 − ζ1 , . . . , xn − ζn ) ⊂ m, et donc
(x1 − ζ1 , . . . , xn − ζn ) = m.

Il existe plusieurs preuves du théorème 1.16 dans la littérature, dont une


utilisant le résultant de Sylvester (voir [CLO92], [BM04]).
Le résultat suivant est une conséquence directe du théorème 1.16.
Théorème 1.17. Soit K un corps algébriquement clos. Si V est une variété
algébrique de Kn , alors I(V ) = K[x] si et seulement si V = ∅.
& '
Démonstration. Si l’idéal I(V ) = K[x], il est clair que V = Z I(V ) est vide.
Réciproquement, si l’idéal I(V ) ̸= K[x], il est inclus dans un idéal maximal
(x1 − ζ1 , . . . , xn − ζn ) de K[x]. Ainsi, V ̸= ∅, car il contient (ζ 1 , . . . , ζn ). ✷

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Définition 1.18. Soit I un idéal de K[x]. Le radical de I est



I = {g ∈ K[x] : ∃m ∈ N, g m ∈ I}.

Il est facile√de vérifier que l’ensemble I est bien un idéal. Un idéal I est
dit radical si I = I. En particulier, un idéal premier est radical.
Le résultat suivant est la clé de la correspondance algèbre-géométrie. Nous
en donnons une preuve basée sur l’astuce dite de Rabinowitch.
Théorème 1.19 (Théorème des zéros de Hilbert). Etant & donné
' √ un corps
algébriquement clos K. Alors pour tout idéal I de K[x], I ZK (I) = I.
Démonstration. D’après
& 'le théorème 1.3, I est engendré par f 1 , . . . , fm . Soit g
un élément de I ZK (I) , c’est-à-dire tel que Z(f1 , . . . , fm ) ⊂ Z(g). Si z est
une nouvelle variable, la variété algébrique Z(f 1 , . . . , fm , 1 − z g) de Kn+1 est
vide. Donc d’après le théorème 1.17, (f 1 , . . . , fm , 1 − z g) = K[x, z]. Il existe
alors des polynômes h1 , . . . , hm , h tels que
%m
& '
1= hi (x, z) fi (x) + h(x, z) 1 − z g(x) .
i=1
1
En remplaçant z par dans cette identité polynomiale et en réduisant au
g
même dénominateur, nous obtenons
m
%
gd = fi (x)gi (x) , avec d ∈ N et gi ∈ K[x].
i=1
√ & ' √
Ainsi, g ∈ I et I ZK (I) ⊂ I. L’inclusion inverse est immédiate. ✷

Remarque 1.20. L’hypothèse K algébriquement clos dans le théorème 1.19


est
& nécessaire,
' comme le montre
√ l’exemple suivant : si K = R et I = (x 21 + 1),
2
I ZR (I) = I(∅) = R[x] ! I = (x1 + 1). Pour une version du théorème des
zéros dans le cadre réel, voir [BCR87], [BR90], [Lom91], [GVL93].
Nous venons de voir qu’il y a une correspondance entre les objets algébriques
(les idéaux de K[x]) et les objets géométriques (les variétés algébriques de K n ),
réalisée par les deux opérations Z et I. Si le corps K est algébriquement clos,
cette correspondance est une bijection entre les idéaux maximaux de K[x] et
les points de Kn , les idéaux premiers de K[x] et les variétés irréductibles de
Kn , les idéaux radicaux de K[x] et les variétés algébriques de K n .
Exemple 1.21. En appliquant le théorème 1.19, nous avons
,
(x31 − x2 , x21 x2 − x1 x2 , x32 − x1 ) = I({(0, 0), (1, 1)})
= (x1 , x2 ) ∩ (x1 − 1, x2 − 1).

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Nous verrons dans la section suivante que tout idéal se décompose en une in-
tersection finie d’idéaux « élémentaires », dans le même esprit que cet exemple.

1.4. Décomposition primaire


Nous avons vu que toute variété algébrique se décompose en une réunion fi-
nie de composantes irréductibles (proposition 1.6). Dans le cas d’une variable,
cette décomposition correspond à la factorisation d’un polynôme en produit de
facteurs premiers entre-eux. Dans le cas multivariable, cette décomposition se
généralise en l’intersection d’idéaux primaires (voir définition 1.23). Nous rap-
pelons les résultats généraux concernant la décomposition primaire dans K[x]
(le contenu de cette section reste vrai dans un anneau noethérien quelconque).
Pour plus de détails, consulter [AM69].
Proposition 1.22. Si K est un corps algébriquement clos, tout idéal radical
de K[x] se décompose en une intersection finie d’idéaux premiers.
Démonstration. Soit I un idéal radical. La variété algébrique Z(I) admet une
décomposition en composantes irréductibles Z(I) = V 1 ∪ . . . ∪ Vs . D’après le
théorème de zéros de Hilbert et la proposition 1.8,
√ & '
I = I = I Z(I) = I(V1 ) ∩ · · · ∩ I(Vs ).
De plus, les idéaux I(Vi ) sont premiers (proposition 1.10). ✷

Pour décomposer un idéal (non nécessairement radical) de K[x], il faut


affiner la notion d’idéal premier.
Définition 1.23. Un idéal Q de K[x] est primaire si
-
∀(f, g) ∈ K[x]2 , f g ∈ Q et f ̸∈ Q =⇒ g ∈ Q.
Il est évident qu’un idéal premier√est en particulier primaire.
Si l’idéal Q est primaire, P = Q est premier. C’est le plus petit idéal
premier contenant Q. Dans ce cas, Q est dit P -primaire.
Si I est un idéal de K[x] et g ∈ K[x], l’idéal {f ∈ K[x] : f g ∈ I} est
appelé l’idéal quotient de I par g, et il est noté (I : g). L’idéal engendré par
les éléments de I et par g est noté (I, g).
Définition 1.24. Un idéal I est dit indécomposable s’il n’existe pas d’idéaux
I1 ̸= I et I2 ̸= I vérifiant I = I1 ∩ I2 .
Lemme 1.25. Soient g ∈ K[x], I un idéal de K[x] et m un entier positif tels
que (I : g m+1 ) = (I : g m ). Alors I = (I : g) ∩ (I, g m ).
Démonstration. L’inclusion I ⊂ (I : g) ∩ (I, g m ) est évidente.
Soit h ∈ (I : g) ∩ (I, g m ). Il existe alors f ∈ I et q ∈ K[x] vérifiant
h = f + qg m . Comme h g = f g + qg m+1 ∈ I, nous avons qg m+1 ∈ I et

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q ∈ (I : g m+1 ) = (I : g m ). Ainsi, qg m ∈ I et donc h ∈ I. ✷

Proposition 1.26. Si l’idéal I est indécomposable, alors il est primaire.


Démonstration. Soit (f, g) ∈ K[x]2 tel que f g ∈ I et f ∈ / I. Puisque la suite
d’idéaux {(I : g n )}n∈N est croissante, d’après la proposition 1.2 et le théorème
1.3, il existe m ∈ N vérifiant (I : g m ) = (I : g m+1 ). En utilisant le lemme
1.25, I = (I : g) ∩ (I, g m ). Et
√ comme I est indécomposable et f ∈ (I : g) \ I,
m
(I, g ) = I, c’est-à-dire g ∈ I. ✷

Théorème 1.27. Tout idéal I de K[x] se décompose en une intersection finie


d’idéaux indécomposables.
Démonstration. Si l’idéal I n’est pas indécomposable, c’est l’intersection de
deux idéaux I1 ! I et I2 ! I. Si I1 et I2 sont indécomposables, alors I est
l’intersection de deux idéaux indécomposables. Sinon, le même argument s’ap-
plique à I1 et/ou I2 . En itérant ceci et en utilisant le théorème 1.3, I s’écrit
comme une intersection finie d’idéaux indécomposables. ✷

Le corollaire suivant se déduit de la proposition 1.26.


Corollaire 1.28. Tout idéal de K[x] se décompose en une intersection finie
d’idéaux primaires.
Une telle décomposition s’appelle une décomposition primaire.
.
Définition 1.29. Une décomposition primaire√I = ri=1 Qi de l’idéal I de
K[x] est dite minimale si les . idéaux premiers Qi sont tous distincts et si
pour tout i ∈ {1, . . . , r}, Qi ̸⊃ j̸=i Qj .
Lemme 1.30. Si I et J sont deux idéaux primaires ayant le même radical
P , alors I ∩ J est P -primaire.
Démonstration. Soit (f, g) ∈ K[x]2 tel que
√ f g√∈ I ∩√J, f ∈
/√I ∩ J, et supposons
que f ∈
/ I. Comme I est primaire, g ∈ I = I ∩ J = I ∩ J. ✷

Théorème 1.31. Tout idéal de l’anneau K[x] admet une décomposition pri-
maire minimale.
Démonstration.
. Le corollaire 1.28 assure l’existence d’une décomposition pri-
maire I = ri=1 Qi pour tout idéal I. Supposons que deux idéaux distincts Q i
et Qj aient le même radical. D’après le lemme 1.30, Q i,j = Qi ∩Qj est primaire.
Donc en regroupant les idéaux primaires ayant le même radical, nous obtenons
une décomposition de I en idéaux primaires ayant des radicaux distincts deux
à deux.

15
M. Elkadi & B. Mourrain Résolution des systèmes polynomiaux

.
Si dans une telle décomposition, un idéal Q i contient j̸=i Qj , nous l’omet-
.
tons et obtenons I = j̸=i Qj . En répétant ceci, si nécessaire, nous aboutissons
à une décomposition primaire minimale de I. ✷

Une décomposition primaire minimale n’est pas forcément unique comme le


montre l’exemple simple suivant :
Exemple 1.32. Dans l’anneau K[x, y], l’idéal
(xy, y 2 ) = (y) ∩ (x, y 2 ) = (y) ∩ (x + y, y 2 ).
Par contre un idéal radical admet une seule décomposition primaire mini-
male (voir exercice 1.14).
Nous allons voir que les idéaux premiers associés (i.e. les radicaux des com-
posantes primaires d’une décomposition minimale) sont uniquement déterminés.
Pour les caractériser, nous avons besoin du lemme suivant :

Lemme 1.33. Soit Q un idéal P -primaire (i.e. Q est primaire et Q = P ).
Si f ∈ K[x], alors
i) f ∈ Q =⇒ (Q : f ) = K[x],
ii) f ∈/ Q =⇒ (Q : f ) est P -primaire,
iii) f ∈/ P =⇒ (Q : f ) = Q.
Démonstration. i) et iii) découlent des définitions.
ii) Déterminons le radical de (Q : f ). Soit g ∈ (Q : f ). Comme
- f ∈ / Q et
f g ∈ Q, nous déduisons que g ∈ P . Ainsi, Q ⊂ (Q : f ) ⊂ P , et (Q : f ) = P .
L’idéal (Q : f ) est P -primaire. En effet, soit (g, h) ∈ K[x] 2 qui satisfait
gh ∈ (Q : f ), c’est-à-dire ghf ∈ Q, et g ∈ / P . Puisque Q est primaire,
h ∈ (Q : f ). ✷

Lemme 1.34. Si P, P1 , . . . , Pm sont des idéaux premiers de K[x] qui vérifient


P = P1 ∩ . . . ∩ Pm , alors il existe i tel que P = Pi .
Démonstration. Voir exercice 1.13. ✷

.
Théorème 1.35. Soit I = ri=1 - Qi une décomposition primaire
- minimale de

l’idéal I. Si f ∈ K[x] est tel que (I : f ) est premier, alors (I√: f ) = Qi
pour un i ∈ {1, . . . , r}. Réciproquement, tous les idéaux premiers Qi sont de
cette forme.
Démonstration. D’après le lemme 1.33, pour tout f ∈ K[x],
r
/ r
/ /
(I : f ) = ( Qi : f ) = (Qi : f ) = (Qi : f ),
i=1 i=1 {i:f ∈Q
/ i}

16
M. Elkadi & B. Mourrain Résolution des systèmes polynomiaux

- . √ -
et (I : f ) = {i:f ∈Q
/ } Qi . Si l’idéal (I : f ) est premier, il existe i tel
- √ i

que (I : f ) = Qi (lemme 1.34). Réciproquement, comme la décomposition


est minimale, pour. chaque i ∈ {1, . . . , r}, il existe un polynôme f i tel que
fi ∈
/ Qi et fi ∈ j̸=i Qj . En utilisant le lemme 1.33, nous déduisons que
√ - -
Qi = (Qi : fi ) = (I : fi ). ✷

Les idéaux primaires d’une décomposition minimale d’un idéal I sont ap-
pelés les composantes primaires de I.
Remarque 1.36. Même si un idéal peut avoir plusieurs décompositions pri-
maires minimales, le nombre de composantes primaires et les radicaux des
idéaux primaires sont uniques dans les différentes décompositions primaires
minimales d’un même idéal (voir exercice 1.14).
Définition 1.37. √ Soit I = Q1 ∩. . .∩Qr une décomposition primaire minimale
de I. L’ensemble { Qi : 1 ≤ i ≤ r}, qui est indépendant de la décomposition
choisie, est appelé l’ensemble des idéaux associés de I. Il sera noté Ass(I).
Dans
& l’exemple
' 1.32, l’idéal (xy, y 2 ) admet deux composantes primaires et
2
Ass (xy, y ) = {(y), (x, y)}.
Proposition 1.38. Soient f ∈ K[x] et I un idéal de K[x]. Si f n’appartient
à aucun élément de Ass(I), alors (I : f ) = I.
Démonstration. Soit I = Q1 ∩ . . . ∩ Qr une décomposition primaire minimale
de I. D’après le lemme 1.33, nous avons
(I : f ) = (Q1 : f ) ∩ . . . ∩ (Qr : f ) = Q1 ∩ . . . ∩ Qr = I.

Définition 1.39. Soit I = Q1 ∩. . .∩Qr une décomposition primaire minimale


de l’idéal I de K[x]. Une
- composante
√ primaire Q i de I est dite immergée s’il
existe j ̸= i tel que Qj ⊂ Qi . Une composante primaire est dite isolée
s’elle n’est pas immergée.
Dans l’exemple
' 1.32, la composante (y) est isolée et (x, y) (respectivement
2
(x + y, y ) est immergée.
Remarque 1.40. Les composantes primaires isolées, d’un idéal I, dans les
différentes décompositions primaires minimales sont uniques (voir exercice
1.14). Les composantes immergées ne le sont pas, comme le montre l’exemple
1.32. Du point de vue géométrique, ces dernières sont « invisibles », et donc
elles sont une source de beaucoup de difficultés en géométrie algébrique ef-
fective (voir [CGH88], [Kol88],[Kol99], [EL99]). Obtenir la décomposition
primaire d’un idéal de K[x] est un problème délicat (voir [GTZ88], [EHV92],
[Mon02]).

17
M. Elkadi & B. Mourrain Résolution des systèmes polynomiaux

Problème(suite) :
Dans le problème de positionnement de la caméra, si A = (−1, 0, 0), B =
(0, 1, 0), C = (1, 0, 0) et le centre X est sur l’arc C du cercle circonscrit au
triangle ABC, allant de A à C sans passer par B. Le système (1.1) devient :

⎧ 2 √
⎨ x1 + x22 − 2 x1 x2 − 2 = 0
x2 + x23 − 4√= 0 (1.2)
⎩ 12
x2 + x23 − 2 x2 x3 − 2 = 0.
Pour tout autre point de cet arc de cercle C, les angles de vues des seg-
ments (A, B), (B, C) et (A, C) sont les mêmes. L’ensemble des solutions de ce
système contient donc les vecteurs (x 1 , x2 , x3 ) correspondant aux points de C.
La différence entre la première et la troisième équation de (1.2) conduit à


(x1 + x3 − 2 x2 ) (x1 − x3 ) = 0. (1.3)
L’ensemble des solutions
√ contient la variété algébrique définie par l’idéal P C
engendré par x1 +x3 − 2 x2 et x1 +x23 −4. Cet idéal est premier car x21 +x23 −4
2

est irréductible.
Y-a-t-il d’autres solutions ? Celles-ci sont sur l’intersection des trois tores ob-
tenus par rotation du cercle C autour des segments (A, B), (B, C), (A, C), cor-
respondant à un angle de vue constant. D’après l’équation (1.3), les √ autres√so-
lutions√vérifient
√ x 1 − x =
3√ 0, ce
√ qui conduit aux
√ solutions
√ ξ 1 = (− 2, 0, − 2),
ξ2 = ( 2, 0, 2), ξ3 = ( 2, 2, 2), ξ4 = (− 2, −2, − 2).
Comme ξ3 et ξ4 annulent les polynômes de PC , ξ3 , ξ4 ∈ Z(PC ), le radical de
l’idéal I engendré par le système d’équations (1.2) se décompose sous la forme

I = PC ∩ m1 ∩ m2 ,
où mi désigne l’idéal maximal définissant le point ξ i ,i = 1, 2, 3, 4.
Comme PC est premier, pour g = x1 − x3 , nous avons (I : g) = PC et
(I : g 2 ) = (I : g) = PC . De plus,

(I, g) = (x22 − 2 x1 x2 , x21 − 2, x1 − x3 ) = m1 ∩ m2 ∩ m3 ∩ m4 .
Nous déduisons d’après le lemme 1.25, la décomposition primaire
I = (I : g) ∩ (I, g) = PC ∩ m1 ∩ m2 ∩ m3 ∩ m4 .
Les composantes premières m3 et m4 sont immergées dans PC , nous pouvons√
donc simplifier la décomposition de I en I = P C ∩ m1 ∩ m2 , et ainsi I = I.

18
M. Elkadi & B. Mourrain Résolution des systèmes polynomiaux

1.5. Quelques invariants numériques d’une variété algébrique


Plusieurs invariants numériques peuvent être associés à une variété algébri-
que. Les principaux sont la dimension et le degré. Nous les abordons dans
cette section et les étudierons, en détail, dans un autre chapitre.

1.5.1. Dimension d’une variété algébrique. — La dimension d’une variété


algébrique V peut être définie de plusieurs façons. Intuitivement, c’est « le
nombre maximal de degré de liberté » que peut avoir un point se « déplaçant »
dans V . Nous donnons ici deux définitions équivalentes de cette notion.
Définition 1.41. La dimension topologique d’une variété V est la longueur
maximale d d’une suite
V0 " V1 " · · · " Vd
de sous-variétés non vides et irréductibles de V . Elle est notée dim Tg (V ).
Remarque 1.42. Il est clair que la dimension topologique d’une variété
algébrique non vide de Kn est au plus n.
Si V ⊂ W , alors dimTg (V ) ≤ dimTg (W ).
Si V = V1 ∪ . . . ∪ Vr est la décomposition de la variété V en composantes
irréductibles, alors dimTg (V ) = max{dimTg (V1 ), . . . , dimTg (Vr )}.
Exemple 1.43. Soit I l’idéal monomial (x 1 x2 , x1 x3 ) de K[x1 , x2 , x3 ]. La
variété V = Z(I) = Z(x1 ) ∪ Z(x2 , x3 ). Nous avons
Z(x1 , x2 , x3 ) " Z(x1 , x2 ) " Z(x1 ),
et donc dimTg (V ) = 2.
L’équivalent algébrique de la dimension topologique est la notion de la di-
mension de Krull.
Définition 1.44. La dimension de Krull d’un anneau A est la longueur maxi-
male r d’une suite
P0 " P1 " · · · " Pr
d’idéaux premiers de A. Elle est notée dimKrull (A).
Exemple 1.45. Si A = K[x1 , x2 , x3 ]/I, avec I = (x1 x2 , x1 x3 ), nous avons
la suite
(x1 ) " (x1 , x2 ) " (x1 , x2 , x3 )
d’idéaux premiers dans A (car ce sont des premiers de K[x] qui contiennent
I). Ainsi, dimKrull (A) = 2.
Ces deux notions de dimension sont compatibles avec la correspondance
algèbre-géométrie :

19
M. Elkadi & B. Mourrain Résolution des systèmes polynomiaux

Proposition 1.46. Pour tout idéal I de K[x], nous avons


'
dimKrull (K[x]/I) = dimTg (ZK (I) .
Démonstration. Les idéaux premiers de A = K[x]/I sont en bijection avec
les idéaux premiers de K[x] qui contiennent I. D’après l’exercice 1.13, ils
contiennent un des idéaux premiers de Ass(I) et définissent donc une variété
algébrique incluse dans l’une des composantes irrédutibles de ZK (I). Les idéaux
premiers de A sont en correspondance avec les sous-variétés irréductibles de
ZK (I). Par conséquent, la dimension de Krull de A est la même que la dimen-
sion topologique de ZK (I). ✷

Une variété algébrique X formée de points isolés est de dimension 0, car les
idéaux premiers associés à I(X) sont maximaux.
Une variété algébrique de dimension 1 est une courbe, une variété de dimen-
sion 2 est une surface, et une variété de dimension n − 1 de l’espace K n (qui
est de dimension n) est appelée une hypersurface.

1.5.2. Degré d’une variété algébrique. — Le degré d’une variété V ex-


prime d’une certaine manière la « complexité » apparente de celle-ci. Plus le
degré est élevé et plus il faut s’attendre à une variété « tordue ». Voici une
définition géométrique de cette notion.
Définition 1.47. Le degré de A = K[x]/I est la dimension du K-espace
vectoriel K[x]/(I, l1 , . . . , ld ), où l1 , . . . , ld sont des formes linéaires génériques
(i.e. dont les coefficients n’appartiennent pas à une variété algébrique) et d la
dimension de Krull de A. Il sera noté deg L (A).
Nous verrons que ce degré est le nombre de points de V (I) ∩ V (l 1 , . . . , ld ).
Exemple 1.48. Un espace linéaire est une variété algébrique de degré 1.
Une hypersurface Z(f ), avec f sans facteur carré, est une variété algébrique
de degré deg f . En effet, l’intersection de Z(f ) et d’une droite générique est
formée de deg f points (comptés avec multiplicité).
Problème(suite) :
Nous avons décomposé les solutions du système (1.2) en une composante de di-
mension 1 définie par l’idéal PC , et des points ξ1 , ξ2 de dimension 0. L’ensemble
de ces solutions est donc de dimension 1.
Pour obtenir son degré, nous ajoutons une équation linéaire générique l(x 1 ,
x2 , x3 ) = 0 et calculons la dimension de A = K[x 1 , x2 , x3 ]/(I, l(x1 , x2 , x3 )).
Comme ξ1 , ξ2 , ξ3 , ξ4 ne satisfont pas cette équation générique, la dimension
de A est aussi celle de

K[x1 , x2 , x3 ]/(x21 + x23 − 4, x1 + x3 − 2 x2 , l(x1 , x2 , x3 )).

20
M. Elkadi & B. Mourrain Résolution des systèmes polynomiaux

Nous vérifions que cet espace vectoriel est de dimension 2 (et de base {1, x 1 }).
Le degré de la variété Z(I) est donc 2.

Des algorithmes permettant de calculer ces invariants numériques associés


à une variété algébrique sont décrits dans le chapitre 4.

1.6. Un peu de géométrie projective


La géométrie affine peut se révèler insuffisante pour bien comprendre des
problèmes de nature géométrique. Par exemple, l’intersection de deux droites
affines distinctes n’est pas toujours un point. Ou encore, la projection d’une
variété affine n’est pas toujours une variété affine comme le montre l’exemple
de la projection sur l’axe des x de l’hyperbole d’équation x y − 1 = 0, qui est

Figure 1.2. Une hyperbole et sa projection.

K \ {0}. Nous reviendrons sur ces questions au chapitre 5.


C’est pour cela que l’on introduit la géométrie projective. Beaucoup de
problèmes deviennent plus simples et plus clairs lorsqu’ils sont énoncés dans
le cadre projectif.
L’espace projectif Pn (K) (ou Pn s’il n’y a pas d’ambiguı̈té sur le corps K)
est le quotient de Kn+1 \ {0} par la relation d’équivalence de colinéarité. Un
point de Pn est noté (a0 : · · · : an ).
Soit f un polynôme homogène & de K[x'0 , . . . , xn ]. Si f s’annule au point
(a0 , . . . , an ) de K n+1 , alors f λ(a0 , . . . , an ) = 0 pour tout λ ∈ K. Nous dirons
que (a0 : · · · : an ) est un zéro de f , et notons f (a0 : · · · : an ) = 0.
Définition 1.49. La variété algébrique projective de P n définie par des po-
lynômes homogènes f1 , . . . , fm de K[x0 , . . . , xn ] est l’ensemble
ZPn (f1 , . . . , fm ) = {a ∈ Pn : f1 (a) = · · · = fm (a) = 0}.

21
M. Elkadi & B. Mourrain Résolution des systèmes polynomiaux

De la même façon que dans le cadre affine, les variétés projectives définissent
une topologie sur Pn , dite de Zariski. Les variétés projectives irréductibles sont
aussi définies comme dans le cas affine.
Nous rappelons qu’un idéal I de K[x] est dit homogène s’il est engendré par
des polynômes homogènes.
Définition 1.50. Soit Z un sous-ensemble de P n . L’ensemble I(Z) des po-
lynômes de K[x0 , . . . , xn ] qui s’annulent en tout point de Z est un idéal ho-
mogène, appelé l’idéal de Z et noté I(Z).
Proposition 1.51.
1. Soient I et J deux idéaux homogènes de K[x 0 , . . . , xn ]. Si I ⊂ J, alors
ZPn (J) ⊂ ZPn (I).
2. Si Z ⊂ W sont deux sous-ensembles de P n , alors I(W ) ⊂ I(Z).
3. Une variété projective est irréductible si, et seulement si, son idéal ho-
mogène est premier.
4. Toute variété projective se décompose en une réunion finie unique de
sous-variétés projectives irréductibles.
5. Soit K un corps algébriquement clos. Si I est un idéal homogène√de
K[x0 , . . . , xn ], alors ZPn (K) (I) = ∅ si, et seulement si, (x0 , . . . , xn ) ⊂ I.
6. Soit K un corps algébriquement clos. √ Si I est& un idéal 'homogène
√ de
K[x0 , . . . , xn ] tel que (x0 , . . . , xn ) ̸⊂ I, alors I ZPn (K) (I) = I.
Démonstration. Voir l’exercice 1.18. ✷

Notons H∞ = {a = (a0 : · · · : an ) ∈ Pn : a0 = 0} et O = {a ∈ Pn : a0 ̸= 0}.


Alors l’espace projectif Pn = H∞ ∪ O. La variété H∞ s’appelle l’hyperplan à
l’infini. L’ouvert O de Pn est homéomorphe à Kn via l’application
φ : O −→ Kn
) +
a1 an
(a0 : · · · : an ) +→ ,..., .
a0 a0
L’espace affine Kn peut être alors vu comme un ouvert de P n et l’espace
projectif Pn comme H∞ ∪ Kn .
Proposition 1.52. Si V est une variété projective de P n , alors φ(V ∩ O) est
une variété affine de Kn .
Démonstration. La variété V& = ZPn (I), où I est un'idéal homogène radical. Il
est clair que φ(V ∩ O) = Z f (1, x1 , . . . , xn ) : f ∈ I . ✷

La trace d’une variété projective de P n sur son ouvert affine Kn est bien
une variété affine.

22
M. Elkadi & B. Mourrain Résolution des systèmes polynomiaux

1.7. Exercices
Exercice 1.1.
1. Théorème fondamental de l’algèbre : Montrer que tout polynôme non constant
à coefficients dans K admet au moins une racine dans K.
2. Montrer que tout idéal de K[x] est engendré par un seul polynôme.
Exercice 1.2. Montrer que les propriétés suivantes sont équivalentes dans un anneau
A commutatif et unitaire.
1. Tout idéal de A est engendré par un nombre fini d’éléments.
2. Toute suite croissante d’idéaux de A est stationnaire.
3. Tout ensemble d’idéaux de A admet un élément maximal (pour l’inclusion).
Exercice 1.3.
1. Soit Y un sous-ensemble de Kn . Montrer que Y (le plus petit fermé contenant Y
pour la topologie de Zariski) est l’ensemble des solutions de tous les polynômes
qui s’annulent sur Y .
! "
2. En déduire que si V est une variété algébrique, alors Z I(V ) = V .
Exercice 1.4.
1. Vérifier que la réunion finie et l’intersection quelconque de variétés algébriques
sont des variétés algébriques.
2. Si Y et Z sont deux sous-ensembles de Kn , montrer que I(Y ∪Z) = I(Y )∩I(Z).
3. Montrer qu’une variété algébrique V est irréductible si, et seulement si, son
idéal I(V ) est premier.
4. Soit V une variété algébrique de Kn . Montrer que les propriétés suivantes sont
equivalentes :
i) V est irréductible,
ii) L’intersection de deux ouverts non vides de V est non vide,
iii) Tout ouvert non vide de V est partout dense dans V .
Exercice 1.5. Décomposition d’une variété en sous-variétés irréductibles.
Soit V une variété algébrique de Kn .
1. Si ζ ̸∈ V , montrer que I(V ∪ {ζ}) ! I(V ).
2. Si V n’est pas une réunion finie de sous-variétés irréductibles, montrer qu’il
existe une suite infinie de variétés Vi telle que V " V1 " V2 " · · ·
3. En déduire que V se décompose de façon unique comme une réunion minimale
de sous-variétés irréductibles V = V1 ∪ . . . ∪ Vd , où Vi n’est pas contenu dans Vj
si i ̸= j.
Exercice 1.6. Soient I et J deux idéaux de K[x].
1. Est-ce que Z(I) \ Z(J) est une variété algébrique ?
2. Montrer que Z(I) \ Z(J) est la projection d’une variété algébrique (en intro-
duisant une nouvelle variable).

23
M. Elkadi & B. Mourrain Résolution des systèmes polynomiaux

3. Montrer que Z(I) \ Z(J) ⊂ Z(I : J).


4. Si le corps K est algébriquement clos et l’idéal I est radical, montrer que
Z(I) \ Z(J) = Z(I : J).
Exercice 1.7. Soit I un idéal de K[x]. Montrer :
√ m √
1. Il existe m ∈ N tel que I ⊂ I ⊂ I.

2. Si I est primaire, alors I est premier.
3. Si I est premier, alors I est indécomposable.
Exercice 1.8. Donner des exemples d’anneaux non noethériens.
Exercice 1.9. Soit A un sous-anneau d’un anneau B.
1. Montrer que les conditions suivantes sont équivalentes pour b ∈ B :
– b est entier sur A,
– Le sous-anneau A[b] de B est un A-module de type fini,
– Il existe un sous-anneau C de B tel que A[b] ⊂ C et C est un A-module
de type fini.
2. En déduire que si b1 , . . . , bn sont des éléments de B tels que pour tout i =
1, . . . , n, bi est entier sur A[b1 , . . . , bi−1 ], alors A[b1 , . . . , bn ] est un A-module de
type fini.
3. Montrer que {b ∈ B : b est entier surA} est un sous-annneau de B contenant A.
Exercice 1.10. Soient A ⊂ B deux sous-anneaux d’un anneau C. Montrer que si
c ∈ C est entier sur B et l’extension A ⊂ B est entière, alors c est entier sur A.
Exercice 1.11.
1. Montrer que dans l’anneau Z des entiers, tout idéal primaire est engendré par
la puissance d’un nombre premier.
2. Qu’en est-il pour K[x] et Z[x] ?
Exercice 1.12.
1. Montrer qu’un idéal I d’un anneau A est primaire si, et seulement si, les diviseurs
de zéro dans A/I sont nilpotents (i.e. si a est un diviseur de zéro dans A/I, il
existe r ∈ N∗ : ar = 0).
2. Montrer qu’un idéal I d’un anneau A est premier (resp. maximal) si, et seule-
ment si, A/I est un anneau intègre (resp. corps).
Exercice 1.13. Soient P, P1 , . . . , Pm des idéaux premiers d’un anneau A.
1. Monter que si P ⊃ P1 ∩ . . . ∩ Pm , alors il existe i ∈ {1, . . . , m} tel que P ⊃ Pi .
2. En déduire que si P = P1 ∩. . .∩Pm , alors il existe i ∈ {1, . . . , m} tel que P = Pi .
Exercice 1.14. Soit I un idéal de K[x]. Montrer que :
1. Dans toutes les décompositions primaires minimales de I, le nombre de compo-
santes primaires et les idéaux premiers associés sont les mêmes.
2. Si I est radical, alors I admet une seule décomposition primaire minimale.

24
M. Elkadi & B. Mourrain Résolution des systèmes polynomiaux

3. Les composantes primaires isolées de I sont les mêmes dans les différentes
décompositions primaires minimales de I.
Exercice √ 1.15. Soit I = Q1 ∩. . .∩Qr une décomposition primaire de l’idéal I de K[x]
et Pi = Qi les idéaux premiers associés. Si f ∈ K[x], montrer que f ∈ P1 ∪ . . . ∪ Pr
si, et seulement si, f est un diviseur de zéro dans K[x]/I.
Exercice 1.16. Soit K un corps algébriquement clos et I un idéal de K[x]. Montrer
que si K[x]/I est un K-espace vectoriel de dimension finie, alors la variété Z(I) est
finie et les idéaux premiers associés à I sont maximaux.
Exercice 1.17. Soit A un anneau local (i.e. qui admet un seul idéal maximal).
Montrer que si a ∈ A n’est pas un diviseur de zéro, alors
! "
dimKrull A/(a) = dimKrull (A) − 1.
Exercice 1.18. Etablir ce qui suit :
1. Si I ⊂ J sont deux idéaux homogènes de K[x0 , . . . , xn ], alors ZPn (J) ⊂ ZPn (I).
2. Si Z ⊂ W sont deux sous-ensembles de Pn , alors I(W ) ⊂ I(Z).
3. Une variété projective est irréductible si, et seulement si, son idéal est premier.
4. Toute variété projective se décompose en une réunion finie unique de sous-
variétés projectives irréductibles.
5. Soit K un corps algébriquement clos. Si I est un idéal homogène
√ de K[x0 , . . . , xn ],
alors ZPn (K) (I) = ∅ si, et seulement si, (x0 , . . . , xn ) ⊂ I.
6. Soit K un corps algébriquement
√ clos.
! Si I est un
" idéal
√ homogène de K[x0 , . . . , xn ]
tel que (x0 , . . . , xn ) ̸⊂ I, alors I ZPn (K) (I) = I.
Exercice 1.19.
1. Calculer explicitement les solutions (x1 , x2 , x3 ) du problème de positionnement
de la caméra dans le cas générique en fonction des paramètres cos(α), cos(β),
cos(γ), a, b, c et des racines d’un polynôme de degré 8 que l’on déterminera.
2. Dans le cas particulier où le centre de la caméra est sur le cercle circonscrit à
(A, B, C), si I désigne l’idéal engendré par les trois équations polynomiales (1.1),
vérifier que pour toute forme linéaire générique l(x1 , x2 , x3 ), l’espace vectoriel
A = K[x1 , x2 , x3 ]/(I, l(x1 , x2 , x3 )) est de dimension 2.

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