Les Marxistes

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CHAPITRE 3 : LA PENSEE ECONOMIQUE MARXISTE

Karl Marx et John Stuart Mill observèrent le même environnement économique. Leur époque était
marquée par une industrialisation florissante. Moins reluisant était le revers de la médaille puisque
la classe ouvrière était dans des conditions socio-économiques désastreuses (habitations
rudimentaires, pauvreté, maladie, etc.).
Associé à ces mauvaises conditions il y avait les longues heures de travail (parfois prêt de 14
heures par jour) et des salaires dont les niveaux ne permettaient aux ouvriers de ne vivre qu’avec
le strict minimum.
Le climat politique était également en plein bouleversement durant la première moitié du 19ème
Siècle. La communauté naissante d’homme d’affaires et d’industriels prît le dessus sur l’ancienne
suprématie politique constituée des propriétaires terriens aristocrates. Dans le même temps, la
classe ouvrière commença à montrer les premiers signes de remous politiques bien qu’hésitante et
peu organisée.
Marx se rendît compte que les bases théoriques classiques dont il avait hérité n’étaient plus
adéquates, au moins en partie, au regard des réalités du moment. Il fallait donc repenser ou réviser
certains principes économiques.
3.1. Théorie de l’exploitation et du surproduit social
Aussi longtemps que la productivité du travail est tellement basse que le produit du travail d'un
homme ne suffit qu'à son propre entretien, il n'y a pas non plus de division sociale, il n'y a pas de
différenciation à l'intérieur de la société. Tous les hommes sont alors producteurs ; ils se trouvent
tous au même niveau de dénuement. Tout accroissement de la productivité du travail, au-delà de
ce niveau le plus bas, crée la possibilité d'un petit surplus, et dès qu'il y a surplus de produits, dès
que deux bras produisent davantage que n'exige leur propre entretien, la possibilité de la lutte pour
la répartition de ce surplus peut apparaître.
A partir de ce moment, l'ensemble du travail d'une collectivité ne constitue plus nécessairement du
travail destiné exclusivement à l'entretien des producteurs. Une partie de ce travail peut être
destinée à libérer une autre partie de la société de la nécessité même de travailler pour son entretien
propre. Lorsque cette possibilité se réalise, une partie de la société peut se constituer en classe
dominante, se caractérisant notamment par le fait qu'elle est émancipée de la nécessité de travailler
pour son propre entretien.

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Le travail des producteurs se décompose dès lors en deux parties. Une partie de ce travail continue
de s'effectuer pour l'entretien propre des producteurs : le travail nécessaire. Une autre partie de ce
travail sert à l'entretien de la classe dominante : le surtravail.
Cela peut être illustré par ce qui suit. Le capitaliste achète au salarié sa force de travail contre un
salaire qui assure au salarié sa survie, c’est-à-dire l’entretien et la reproduction de sa force de
travail (cela nécessite par exemple 20 heures de travail par semaine). Mais le capitaliste va pouvoir
disposer de cette force de travail au-delà de ces 20 heures. Le salarié continue de produire (35
heures de travail par semaine) et il crée une valeur supérieure à ce qu’il a coûté au capitaliste : la
différence (15 heures) constitue le surtravail ou plus-value que le capitaliste transforme en profit.
Le surproduit social, c'est donc la partie de la production sociale que, tout en étant produite par la
classe des producteurs, s'approprie la classe dominante, sous quelque forme que ce soit, que ce soit
sous la forme de produits naturels, que ce soit sous la forme de marchandises destinées à être
vendues, que ce soit sous la forme d'argent.
La plus-value n'est donc rien d'autre que la forme monétaire du surproduit social. Lorsque c'est
exclusivement sous forme d'argent que la classe dominante s'approprie la partie de la production
d'une société, appelée plus haut « surproduit », on ne parle plus alors de surproduit, mais on appelle
cette partie « plus-value ».
Quelle est l'origine du surproduit social ? Le sur produit social se présente comme le produit de
l'appropriation gratuite - donc l'appropriation en échange d'aucune contrepartie en valeur - d'une
partie de la production de la classe productive par la classe dominante.
3.2. Marchandises, valeur d'usage et valeur d'échange
Tout produit du travail humain doit normalement avoir une utilité, il doit pouvoir satisfaire un
besoin humain, c’est sa valeur d'usage. Le terme de « valeur d'usage » est d'ailleurs utilisé de deux
manières différentes. On parlera de la valeur d'usage d'une marchandise ; on parlera aussi des
valeurs d'usage, on dira que dans telle ou telle société, on ne produit que des valeurs d'usage, c'est-
à-dire des produits destinés à la consommation directe de ceux qui se les approprient (producteurs
ou classes dirigeantes).
Mais à côté de cette valeur d'usage, le produit du travail humain peut aussi avoir une autre valeur,
une valeur d'échange. Il peut aussi être produit, non pas pour la consommation immédiate des
producteurs ou des classes possédantes, mais pour être échangé sur le marché, pour être vendu. La
masse des produits destinés à être vendus ne constitue plus une production de simples valeurs

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d'usage, mais une production de marchandises. Une marchandise c'est donc un produit qui n'a pas
été créé dans le but d'être consommé directement, mais bien dans le but d'être échangé sur le
marché. Toute marchandise doit donc avoir à la fois une valeur d'usage et une valeur d'échange.
Elle doit avoir une valeur d'usage, car si elle n'en avait pas, il n'y aurait personne pour l'acheter,
puisqu'on n'achète une marchandise que dans le but de la consommer finalement, de satisfaire un
besoin quelconque par cet achat. Si une marchandise ne possède aucune valeur d'usage pour
personne, alors elle est invendable, elle aura été produite inutilement, elle n'a aucune valeur
d'échange précisément parce qu'elle n'a aucune valeur d'usage. Par contre, tout produit qui a une
valeur d'usage n'a pas nécessairement une valeur d'échange. Il n'a une valeur d'échange qu'avant
tout dans la mesure où il est produit dans une société fondée sur l'échange, une société où l'échange
se pratique communément.
Y a-t-il des sociétés dans lesquelles les produits n'ont pas de valeur d'échange ? A la base de la
valeur d'échange, et à fortiori du commerce et du marché, se trouve un degré déterminé de la
division du travail. Pour que des produits ne soient pas immédiatement consommés par leurs
producteurs, il faut que tout le monde ne produise pas la même chose. Si dans une collectivité
déterminée, il n'y a pas de division du travail, ou une division du travail tout à fait rudimentaire, il
est manifeste qu'il n'y a pas de raison pour laquelle l'échange apparaîtrait. Normalement, un
producteur de blé ne trouve rien à échanger avec un autre producteur de blé. Mais dès qu'il y a
division du travail, dès qu'il y a un contact entre des groupes sociaux qui produisent des produits
ayant une valeur d'usage différente, l'échange peut s'établir d'abord occasionnellement, pour
ensuite se généraliser. Alors commencent petit à petit à apparaître à côté des produits créés dans
le simple but d'être consommés, par leurs producteurs, d'autres produits qui sont créés dans le but
d'être échangés, des marchandises.
Dans la société capitaliste, la production marchande, la production de valeurs d'échange, a connu
son extension la plus large. C'est la première société dans l'histoire humaine, dans laquelle la
majeure partie de la production est composée de marchandises. On ne peut cependant pas dire que
toute la production y soit une production de marchandises. Il y a deux catégories de produits qui y
restent de simples valeurs d'usage. D'abord, tout ce qui est produit pour l'autoconsommation des
paysans, tout ce qui est consommé directement dans les fermes qui produisent ces produits. Plus
l'agriculture d'un pays est arriérée, et plus grande est en général la fraction de la production agricole

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qui est destinée à l'autoconsommation, ce qui crée de grandes difficultés pour calculer de manière
précise le revenu national de ces pays.
Une deuxième catégorie de produits qui sont encore de simples valeurs d'usage et non pas des
marchandises en régime capitaliste, c'est tout ce qui est produit à l'intérieur du ménage. Bien qu'elle
nécessite la dépense de beaucoup de travail humain, toute cette production des ménages constitue
une production de valeurs d'usage et non une production de marchandises. Quand on prépare la
soupe, ou quand on recoud des boutons, on produit, mais on ne produit pas pour le marché.
L'apparition, puis la régularisation et la généralisation de la production de marchandises a
transformé radicalement la manière dont les hommes travaillent et dont ils organisent la société.
3.3. La théorie marxiste de l'aliénation
L'apparition, la régularisation et la généralisation de la production marchande sont étroitement
liées à l'extension du phénomène d'aliénation tel que perçu par Marx.
Des conséquences désastreuses de la division du travail, comme la séparation complète de tout ce
qui est activité esthétique, élan artistique, ambition créatrice, des activités productives, purement
mécaniques, répétitives, n'existent pas du tout dans la société primitive. Au contraire, la plupart
des arts, aussi bien la musique et la sculpture que la peinture et la danse, sont originellement liés à
la production, au travail. Le désir de donner une forme agréable, jolie, aux produits qu'on
consommait soit individuellement, soit en famille, soit en groupe de parenté plus large, s'intégrait
normalement, harmoniquement et organiquement au travail de tous les jours.
Le travail n'était pas ressenti comme une obligation imposée de l'extérieur, tout d'abord parce que
cette activité était beaucoup moins tendue, beaucoup moins épuisante que le travail dans la société
capitaliste actuelle, parce qu'il était davantage soumis aux rythmes propres à l'organisme humain
et aux rythmes de la nature. Ensuite, parce que subsistait cette unité entre le producteur, le produit
et sa consommation, parce que le producteur produisait en général pour son propre usage, ou pour
celui de ses proches, et le travail conservait donc un aspect directement fonctionnel.
L'aliénation moderne naît notamment d'une coupure entre le producteur et son produit, qui est à la
fois le résultat de la division du travail, et le résultat de la production de marchandises, c'est-à-dire
du travail pour un marché, pour un consommateur inconnu, et non pas pour la consommation du
producteur lui-même.
Le revers de la médaille, c'est qu'une société produisant seulement des valeurs d'usage, une société
produisant seulement des biens pour la consommation immédiate de ses producteurs, ce fut

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toujours dans le passé une société extrêmement pauvre. C'est donc une société qui non seulement
est soumise aux aléas des forces de la nature, mais aussi une société qui limite à l'extrême les
besoins humains, dans la mesure exacte où elle est pauvre et ne dispose que d'une gamme de
produits limitée.
Les besoins humains ne sont que très partiellement quelque chose d'inné dans l'homme. Il y a une
interaction constante entre production et besoins, entre développement des forces productives et
éclosion des besoins. C'est seulement dans une société qui développe à l'extrême la productivité
du travail, qui développe une gamme infinie de produits, que l'homme peut aussi connaître un
développement continu de ses besoins, un développement de toutes ses potentialités infinies, un
développement intégral de son humanité.
3.4. Détermination de la valeur d'échange des marchandises
En précisant que la production et l'échange des marchandises se régularisent et se généralisent au
sein d'une société qui était fondée sur une économie en temps de travail, sur une comptabilité en
heures de travail, nous comprenons pourquoi, par ses origines et sa propre nature, l'échange des
marchandises est fondé sur cette même comptabilité en heures de travail et que la règle générale
qui s'établit est donc la suivante : la valeur d'échange d'une marchandise est déterminée par la
quantité de travail nécessaire pour la produire, cette quantité de travail étant mesurée par la durée
du travail pendant laquelle la marchandise a été produite.
Quelques précisions doivent être jointes à cette définition générale qui constitue la théorie de la
valeur-travail, la base à la fois de l'économie politique classique bourgeoise, entre le XVIIe et le
début du XIXe siècle.
Première précision : les hommes n'ont pas tous la même capacité de travail, ne sont pas tous de la
même énergie, ne possèdent pas tous la même maîtrise de leur métier. Si la valeur d'échange des
marchandises dépendait de la seule quantité de travail individuellement dépensée, effectivement
dépensée par chaque individu pour produire une marchandise, on arriverait à une situation absurde :
plus un producteur serait fainéant ou incapable, plus grand serait le nombre d'heures qu'il aurait
mis à produire une paire de souliers, et plus grande serait la valeur de cette paire de souliers. C'est
évidemment impossible, parce que la valeur d'échange ne constitue pas une récompense morale
pour le fait d'avoir bien voulu travailler ; elle constitue un lien objectif établi entre des producteurs
indépendants, pour établir l'égalité entre tous les métiers, dans une société fondée à la fois sur la
division du travail et sur l'économie du temps de travail.

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Dans une telle société, le gaspillage de travail est une chose qui ne peut pas être récompensée, mais
qui, au contraire, est automatiquement pénalisée. Quiconque fournit pour produire une paire de
souliers plus d'heures de travail que la moyenne nécessaire - cette moyenne nécessaire étant
déterminée par la productivité moyenne du travail et inscrite par exemple dans les Chartes des
Métiers - a donc gaspillé du travail humain, a travaillé pour rien, en pure perte, pendant un certain
nombre de ces heures de travail, et en échange de ces heures gaspillées, il ne recevra rien du tout.
En d'autres termes, la valeur d'échange d'une marchandise est déterminée non pas par la quantité
de travail dépensée pour la production de cette marchandise par chaque producteur individuel,
mais bien par la quantité de travail socialement nécessaire pour la produire. La formule «
socialement nécessaire » signifie : la quantité de travail nécessaire dans les conditions moyennes
de productivité du travail existant à une époque et dans un pays déterminé. Cette précision a
d'ailleurs de très importantes applications quand on examine de plus près le fonctionnement de la
société capitaliste.
Une deuxième précision s'impose cependant encore. Qu'est-ce que cela veut dire exactement «
quantité de travail » ? Il y a des travailleurs de qualification différente. Y a-t-il une équivalence
totale entre une heure de travail de chacun, abstraction faite de cette qualification ? Encore une
fois, ce n'est pas une question de morale, c'est une question de logique interne d'une société fondée
sur l'égalité entre les métiers, l'égalité sur le marché, dans laquelle des conditions d'inégalité
rompraient tout de suite l'équilibre social.
Qu'arriverait-il, par exemple, si une heure de travail d'un manœuvre ne produisait pas moins de
valeur qu'une heure de travail d'un ouvrier qualifié, qui a eu besoin de 4 ou 6 ans d'apprentissage
pour obtenir sa qualification ? Plus personne ne voudrait évidemment se qualifier. Les heures de
travail fournies pour obtenir la qualification auraient été des heures de travail dépensées en pure
perte, en échange desquelles l'apprenti devenu ouvrier qualifié ne recevrait plus aucune contre-
valeur.
Pour que des jeunes veuillent se qualifier dans une économie fondée sur la comptabilité en heures
de travail, il faut que le temps qu'ils ont perdu pour acquérir leur qualification soit rémunéré, qu'ils
reçoivent une contre-valeur en échange de ce temps. Notre définition de la valeur d'échange d'une
marchandise va donc se compléter de la manière suivante : « Une heure de travail d'un ouvrier
qualifié doit être considérée comme travail complexe, comme travail composé, comme un multiple

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d'une heure de travail de manœuvre, ce coefficient de multiplication n'étant bien sûr pas arbitraire,
mais étant fondé simplement sur les frais d'acquisition de la qualification. »
La valeur d'échange d'une marchandise est donc déterminée par la quantité de travail socialement
nécessaire pour la produire, le travail qualifié étant considéré comme un multiple de travail simple,
multiplié par un coefficient plus ou moins mesurable.
Voilà le cœur de la théorie marxiste de la valeur, et qui est la base de toute la théorie économique
marxiste en général.
3.5. Loi de la baisse tendancielle des taux de profit à long terme
La concurrence et le progrès technique conduisent les capitalistes à investir dans des machines qui
remplacent les salariés. Cela entraîne une montée du chômage (« l’armée industrielle de réserve »)
et tend à faire baisser les salaires (le chômage crée une concurrence plus grande entre les salariés).
La masse de travail utilisé étant réduite, la part non payée du travail (la plus-value) va diminuer
par rapport au capital (les machines) qui augmente : le taux de profit (c’est-à-dire le rapport entre
la plus-value et le capital total investi) va donc baisser.
Marx met ainsi en évidence la « loi de la baisse tendancielle des taux de profit à long terme ».
3.6. Crises et abolition de la propriété privée des moyens de production
Le capital augmentant trop vite par rapport à sa rentabilité (mesurée par le taux de profit),
l’économie est traversée par une crise de surproduction à cause du chômage et des salaires faibles
qui limitent la consommation. Durant ces crises, les entreprises les plus vulnérables sont rachetées
par les plus grandes, le chômage s’aggrave et la lutte des classes s’exacerbe.
Si les prolétaires s’organisent, ils renverseront l’ordre capitaliste, aboliront la propriété privée des
moyens de production pour aller vers une autre société fondée sur « le mode de production des
travailleurs associés ».
3.7. Limites et perspectives de la pensée marxiste
Marx a sous-estimé la formidable capacité d’adaptation du capitalisme qui est parvenu à sortir des
crises qui l’ont affecté, ce qui laisse planer un doute sur la pertinence de la loi de la baisse
tendancielle du taux de profit à long terme.
Par ailleurs, sa vision de l’Histoire (la révolution inéluctable dans les pays capitalistes les plus
avancés comme la Grande-Bretagne ou la France et l’avènement d’une société communiste) est
aujourd’hui condamnée par les faits.

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Sa pensée critique garde une certaine pertinence pour comprendre la marchandisation croissante
des activités dans le système capitaliste, la nature de certains conflits sociaux qui le traversent ou
encore sa tendance permanente à engendrer de nouvelles inégalités et exclusions.

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