La Sociologie Au XXe

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La sociologie au XXe siècle.

Des
débuts de l’internationalisation à
l’émergence de la mondialisation

1Les sciences sociales comme la sociologie, l’histoire, la science politique,


l’anthropologie et j’en passe, sont maintenant suffisamment bien établies
pour qu’elles puissent se permettre d’entrer davantage en dialogue entre
elles sans qu’il y ait de danger pour leur autonomie respective. Ce
dialogue interdisciplinaire entre les sciences sociales représente toutefois
une question fort complexe, d’autant plus qu’il se déroule différemment
au sein de diverses traditions nationales, et selon les disciplines que l’on
prend comme point de départ. Dans ce bref exposé, je n’ai donc pas
l’intention de trop m’attarder sur cette question laborieuse de
l’interdisciplinarité, j’aimerais plutôt examiner la question connexe du
cheminement historique de la sociologie comme discipline s’étant
intéressée graduellement à des thèmes supranationaux1.
2Je tenterai donc de montrer que la sociologie a commencé très tôt à
s’internationaliser, et en particulier à s’intéresser à la réalisation d’études
comparatives internationales. Elle l’a fait dès le début du XXe siècle, tandis
qu’une véritable mondialisation des perspectives de la sociologie et de
certains de ses sous-domaines n’a vraiment émergé que durant la
dernière partie du XXe siècle.

3A priori, j’aimerais faire ici une distinction entre l’internationalisation et


les études comparatives internationales, d’une part, qui continuent d’être
centrées sur les sociétés-nations, et, d’autre part, entre
l’internationalisation et la mondialisation (ou la globalisation, qui est le
terme utilisé en langue anglaise pour décrire essentiellement le même
phénomène). La mondialisation est un processus récent qui permet d’aller
au-delà de l’État-nation, pour considérer la planète humaine dans son
ensemble, comme société globale et mondialisée. Anthony Giddens (2001,
236), qui a fait une synthèse intéressante de la question, définit la
globalisation comme « un processus qui conduit à une plus grande
interdépendance et prise de conscience naturelle (réflexivité) parmi les
unités économiques, politiques et sociales dans le monde, et parmi les
acteurs en général ».

4La sociologie s’est intéressée assez tôt à la dimension internationale,


c’est-à-dire aux relations et aux comparaisons entre diverses sociétés
nationales, mais, plus récemment, les termes « mondialisation » et
« globalisation » sont devenus très importants pour les sociologues.
Martin Albrow (1997) parle de la globalisation comme étant, non pas la
simple continuation de l’évolution sociale, mais plutôt l’émergence d’un
nouveau type de société mondiale qu’il appelle « l’Âge global ». Immanuel
Wallerstein (1974), ayant consacré le début de sa carrière à l’étude des
pays africains, a par la suite recentré son attention sur l’économie-monde
et sur le système-monde. Roland Robertson (1992) parle de culture
globale dans un monde qui s’universalise, et il définit la globalisation
comme étant à la fois la compression du monde et l’intensification de la
conscience du monde perçu comme un tout. David Held et al. (1999)
considèrent que la globalisation actuelle apporte des transformations
économiques, sociales, politiques et culturelles plus nombreuses, plus
complexes, plus diversifiées et plus rapides, et que leur coordination
devient de plus en plus difficile et problématique. Leslie Sklair (1991), pour
sa part, montre l’interrelation simultanée sur le plan global entre les
paliers économique, politique, culturel et idéologique, alors que Manuel
Castells (1996) voit la globalisation et les réseaux internationaux comme
réintégrant la production, l’information et l’éducation. Lors de sa visite au
Québec en mars 2004, Castells a fait deux conférences sur le thème
« Globalisation et identité : les mouvements sociaux ».

5Grâce aux recherches et aux écrits de ces sociologues, la sociologie est


entrée de plain-pied dans des perspectives proprement mondialistes et
globalisantes, et ce, au-delà du phénomène de l’internationalisation,
présent depuis le début de la discipline. Un des meilleurs ouvrages sur la
mondialisation, telle qu’elle est abordée par la sociologie, est celui
d’Albrow et King (1996) intitulé Globalization, Knowledge and Sociology.
Readings from International Sociology. Cette publication est en fait une
anthologie de textes théoriques et empiriques sur la globalisation et la
société, tous publiés dans la revue International Sociology depuis sa
fondation en 1986. Des ouvrages de ce genre commencent ainsi à se
multiplier en sociologie, tout comme dans les sciences sociales connexes.
Un peu d’histoire
6Dès ses origines, la sociologie s’est fortement intéressée, pour ne pas
dire presque limitée, à l’étude des sociétés nationales et des groupes
infranationaux comme la ville et les groupes ethniques (pensons aux
recherches de l’École de Chicago), la famille (pensons à Frédéric Leplay et
à Léon Gérin), la paroisse (pensons au chanoine Boulard et à Gabriel
Lebras ou au sociologue américain Joseph Fichter), ainsi que l’école,
l’entreprise, les syndicats, les classes sociales, les régions rurales, les
partis politiques, etc. Auguste Comte en France et Herbert Spencer en
Angleterre, deux des principaux fondateurs de la sociologie européenne,
avaient les yeux fixés sur l’évolution de leurs sociétés nationales
respectives, sur l’industrialisation, la militarisation, l’urbanisation et l’essor
de la science, tous des phénomènes qui caractérisaient la modernité telle
qu’elle se manifestait à leur époque dans les pays d’Europe de l’Ouest.
Bien sûr, ces penseurs ont eu des précurseurs comparatistes
internationaux comme Montesquieu dans ses Lettres persanes, et
Tocqueville dans De la démocratie en Amérique, qui avaient adopté une
approche comparative-internationale dépassant le cadre de leurs pays
respectifs, et même les frontières de l’Europe. Mais les perspectives
résolument internationales et surtout mondiales, à quelques exceptions
près comme celle de Max Weber, furent largement absentes de l’œuvre
des précurseurs et des fondateurs de la sociologie en Europe au
XIXe siècle, ainsi que dans la première moitié du XXe siècle.

7La sociologie du XXe siècle s’est d’abord autonomisée par rapport aux
sciences sociales et humaines préexistantes comme l’histoire, l’économie,
la psychologie et l’ethnologie, puis elle s’est rapprochée de celles-ci une
fois son identité disciplinaire bien établie. Elle s’est développée en Europe
(France, Allemagne, Angleterre, Italie, Russie, Pologne) et
particulièrement aux États-Unis, où elle a pris un essor remarquable, en
centrant son attention sur la société étatsunienne elle-même. À ses
débuts, la sociologie était donc avant tout une discipline dont les horizons
dépassaient rarement les frontières nationales. L’École de Chicago, par
exemple, fixait son regard sur des phénomènes, et surtout sur des
problèmes sociaux, qui se déroulaient dans la ville même de Chicago ou
alors ailleurs aux États-Unis. De rares exceptions existent, comme Thomas
et Znaniecki (1918), qui étudièrent les paysans polonais émigrés aux États-
Unis, en se basant sur leur correspondance avec des membres de leurs
familles restés en Pologne.

8Quelques-uns des premiers sociologues américains ont été formés en


Europe, et ont donc été influencés par le darwinisme, le marxisme et
l’évolutionnisme social, ce qui a sans doute contribué à procurer à leurs
recherches et à leurs écrits une certaine ouverture, allant au-delà de leurs
propres frontières nationales, même si somme toute les perspectives des
premiers sociologues américains sont généralement nationales, voire
ethnocentriques. Une exception intéressante est le sociologue Thorstein
Veblen, que C. Wright Mills considérait comme le plus grand sociologue
que l’Amérique ait produit. Au moment de la Première Guerre mondiale,
Veblen fut l’auteur d’un ouvrage important sur l’Allemagne impériale et il
s’intéressait aussi à la guerre et à la paix entre les nations. C. Wright Mills,
ayant passé une partie de sa brève carrière à étudier les classes sociales
et les élites aux États-Unis, s’est ensuite tourné vers d’autres sociétés,
comme Cuba et l’URSS. Vers la fin de sa vie, Mills préparait une grande
recherche comparative internationale couvrant l’ensemble des pays de la
planète, une étude qu’il caractérisait de sociologie historique mondiale.
Ce projet fut repris en partie par Irving Louis Horowitz dans Three Worlds
of Development, mais surtout par son successeur à l’Université Columbia,
Immanuel Wallerstein (1974), qui développa une sociologie du système
mondial, devenue l’une des principales approches de la sociologie
contemporaine. Dans le premier numéro de la revue International
Sociology paru en mars 1986, Fernando Henrique Cardoso, ancien
président de l’Association internationale de sociologie qui devint par la
suite président du Brésil, parle de son intention de présenter dans cette
revue des analyses sociologiques internationales faites par des
sociologues d’origines diverses, afin de sortir la sociologie de son
provincialisme occidental. Dans le même numéro, Wallerstein centre
l’attention sur le développement du système mondial moderne, plutôt
que sur le développement sociétal limité à un pays ou à une nation. Selon
lui, les mouvements antisystémiques sont eux-mêmes des produits du
système mondial capitaliste.

Des sociologues classiques aux


contemporains
9La plupart des fondateurs de la sociologie, sauf Marx, bien entendu
(mais peut-on vraiment dire qu’il était un véritable sociologue ?), étaient
en fait des évolutionnistes et des fonctionnalistes centrés sur les sociétés
nationales bien plus que des sociologues structuralistes et comparatistes
internationaux. Même Durkheim et Weber n’échappent pas à un certain
manque de vision internationale dans leurs premières recherches et
publications, même si leurs perspectives s’ouvrent sur d’autres sociétés et
cultures dans leurs écrits plus tardifs, spécialement dans leurs études sur
les rapports entre la religion et les sociétés en dehors de l’Europe. Weber
(1992), particulièrement, s’est révélé être, au fur et à mesure de l’évolution
de ses travaux, un véritable sociologue aux perspectives
interdisciplinaires et internationales, voire globales, avec ses études sur
les grandes religions mondiales. Quant à Émile Durkheim et ses disciples,
ils sont motivés au départ par le souci d’établir l’autonomie de la
sociologie par rapport à la psychologie, à l’économie et à la biologie, mais
ils ne négligent pas l’ouverture vers l’histoire et l’anthropologie, ainsi que
vers les sociétés autres que la France. L’Année sociologique des débuts
constitue une vraie pépinière de chercheurs dont certains des travaux
présentent une grande ouverture internationale. L’école française de
sociologie, des premiers durkheimiens à Alain Touraine, comprend
plusieurs ouvrages d’auteurs comme Marcel Mauss, Paul Granet,
Raymond Aron, Georges Friedman, Pierre Naville, Michel Crozier et Pierre
Bourdieu, entre autres, ayant tous écrit des ouvrages dont l’objet dépasse
les frontières de la société-nation française.

10Dans le Métier de sociologue, Bourdieu, Chamberon et Passeron


contribuent à faire sortir la pensée sociologique française des limites de
l’Hexagone. Alain Touraine surtout est un sociologue important qui s’est
orienté graduellement vers une sociologie plus internationale, et même
mondiale. Au début de sa carrière, il s’intéressait surtout à la sociologie du
travail et à la sociologie industrielle en étudiant le mouvement ouvrier en
France. À la fin des années 1960, il s’est réorienté vers l’étude des
nouveaux mouvements sociaux ayant éclos (ou émergés) dans plusieurs
pays et régions, tant en Europe qu’ailleurs. Ses études sur Solidarnosc, sur
l’Amérique latine, sur les universités aux États-Unis, ainsi que ses liens et
ses travaux avec ses étudiants venus de plusieurs pays du monde (c.-à-d.
Melucci, Hegedus, Garreton, Castells, Farro, Gole, Khosrokhavar, Maheu,
entre autres), témoignent d’une internationalisation croissante de ses
intérêts et de ses perspectives.
11Anthony Giddens, sociologue britannique s’intéressant de très près à la
globalisation, est un autre auteur très important. Celui-ci considère que
l’un des aspects les plus importants du changement dans le monde actuel
est la globalisation, c’est-à-dire l’émergence de systèmes interdépendants
globaux et mondiaux. Selon lui, le monde est divisé en pays plus ou moins
riches, mais il faut aussi tenir compte des entreprises multinationales, des
réseaux mondiaux d’échanges inégaux et d’un ordre international et
global inégal. Pour comprendre cette situation, on a eu recours aux
théories de l’impérialisme, du néocolonialisme, de la dépendance et du
système mondial. Aujourd’hui s’y ajoutent les théories de la globalisation,
de la mondialisation et les diverses approches du système global. Ces
théories insistent surtout sur des aspects politiques et économiques, mais
la société et la culture globales y sont aussi ciblées, puisque les
développements sociaux et culturels prennent de plus en plus
d’importance aujourd’hui. Pour Giddens (2000), la sociologie de la
globalisation est donc plus que la simple sociologie des relations
internationales. Elle transcende les nations et elle va aussi au-delà de
l’économie et de la politique pour pénétrer les sociétés et les cultures.
Pour lui, il existe aussi un phénomène d’homogénéisation généralisée qui
accompagne le phénomène de la globalisation.

Les associations internationales et la


mondialisation de la sociologie
12Un cas intéressant de l’internationalisation précoce de la sociologie est
celui de René Worms, fondateur de l’Institut International de Sociologie
(IIS) en 1894. Il a longtemps dirigé cette organisation de sociologues qui a
tenu de nombreux congrès internationaux entre 1893 et 1932, et qui a
publié les Annales de l’Institut International de Sociologie entre 1894 et
1932. En réalité, cette organisation est européenne bien plus que
véritablement internationale. Ses membres, à vrai dire peu nombreux,
étaient surtout originaires de la France, de l’Allemagne, de l’Angleterre, de
l’Espagne, de l’Italie, de la Suisse, de la Belgique, de l’Autriche de la
Pologne, de la Tchécoslovaquie, de la Hongrie, de la Russie, mais aussi de
l’Amérique du Nord et du Sud.

13La plupart des membres fondateurs de l’IIS sont professeurs,


académiciens, politiciens, avocats et magistrats. En 1894, l’ISS compte un
peu plus de 30 professeurs, dont 10 sont des professeurs de droit, 7
enseignent l’économie politique, 6 sont des historiens, et 4 sont des
philosophes. Les quelques autres enseignent en sciences politiques, en
sciences sociales, en anthropologie et en sociologie. Les professeurs de
sociologie y sont minoritaires, puisque, à cette époque, on ne comptait
que quelques postes et chaires de sociologie dans les universités. En
1907, il n’y avait que huit sociologues parmi la centaine de membres de
cette association. Parmi les membres actifs, durant le premier tiers du
XXe siècle, on trouve des sociologues occidentaux ouverts à l’international
comme Ward, Simmel, Tarde, Toennies, Le Bon, Sombart, Sorokin, Veblen,
Ogburn, Von Wiese, Weber, Mannheim et Znaniecki (Schuerkens, 1996).
Cette énumération de sociologues célèbres montre qu’il y avait, dans
cette intéressante entreprise de René Worms qu’est l’IIS, un début
significatif d’internationalisation.

14Or, une véritable internationalisation de la sociologie ne s’est réalisée


qu’après la Deuxième Guerre mondiale, avec l’Association internationale
de sociologie, qui fut créée en 1949 avec l’aide de l’UNESCO et du Conseil
international des sciences sociales. Les congrès de l’AIS se tiennent tous
les quatre ans depuis 1950, tout d’abord dans des villes européennes,
mais se déploient graduellement vers des villes d’autres continents
comme Toronto (1974), Mexico (1982), New Delhi (1986), Montréal (1998),
Brisbane (2002) et Durban (2006). Le Congrès mondial de la sociologie, qui
a eu lieu pour la première fois en Afrique en 2006, portait précisément sur
« La qualité de la vie sociale dans un monde qui se globalise ». Les 50
comités de recherche de l’AIS, ayant chacun leur spécialité, traitent tous
d’aspects internationaux et alimentent la revue International Sociology,
ainsi qu’une collection d’ouvrages internationaux publiée par la maison
d’édition Sage sous le nom de Studies in International Sociology. Au sein de
l’AIS et de ses comités de recherche, les membres chercheurs font
beaucoup de sociologie internationale, et même de plus en plus de
sociologie mondiale, comme en témoignent les grands congrès mondiaux
qui se tiennent tous les quatre ans.

15L’Association internationale des sociologues de langue française (AISLF),


de même que l’Association européenne de sociologie (AES), entre autres,
ont aussi contribué de façon marquante, par leurs congrès et par leurs
recherches, à développer une sociologie internationale. Le XVIe congrès
de l’AISLF, par exemple, a conduit à la publication d’un ouvrage sur la
mondialisation de la société sur les plans économique, social, politique et
culturel, sous le titre Une société-monde (Mercure, 2001). Il existe aussi des
dizaines de revues comme Comparative Sociology (autrefois
appelée International Journal of Comparative Sociology) et International
Journal of Politics, Culture and Society, qui publient des articles et même
des numéros spéciaux sur des thèmes internationaux et mondiaux. Cette
dernière revue vient justement de publier un numéro spécial sur le thème
« Religion and Globalization », sous la direction de Martin Geoffroy et Jean-
Guy Vaillancourt (2004). L’article de Karner et Aldridge (2004), se basant
sur les travaux de Zygmunt Bauman, d’Ulrich Berk et de Manuel Castells,
étudie le phénomène de la résurgence actuelle de la religion sous l’impact
des conséquences sociales et psychologiques de la mondialisation.

Internationalisation et
mondialisation en sociologie de la
religion et en écosociologie
16Il serait long et fastidieux de retracer le cheminement de
l’internationalisation et de la mondialisation de la sociologie au sein de la
cinquantaine de domaines bien établis de la sociologie. Je me contenterai
de mentionner ici quelques-uns des domaines que j’ai fréquentés
davantage durant mes années d’études, d’enseignement et de recherche,
à savoir la sociologie des religions, la sociologie des mouvements sociaux
et l’écosociologie. Le même exercice pourrait être aussi fait avec d’autres
domaines comme la sociologie de l’art et de la culture, la sociologie de
l’éducation, la sociologie du travail et des organisations, la sociologie de la
guerre et de la paix, la sociologie des classes sociales, la sociologie des
relations ethniques, la sociologie économique, ou la sociologie politique
et des relations internationales, mais les exemples que j’apporterai
suffiront, je l’espère, à illustrer le fait qu’une bonne partie de la sociologie
du XXe siècle s’est graduellement internationalisée pour en arriver
finalement à adopter des perspectives nettement mondialistes.

17La sociologie des religions s’est longtemps occupée à décrire des


phénomènes religieux plutôt locaux, comme l’appartenance et le
leadership religieux, et comme les croyances et les pratiques des fidèles
dans les groupes paroissiaux, dans les sectes et les cultes, dans les
communautés religieuses et les sociétés primitives. Les diocèses et les
groupes religieux nationaux, tout comme les phénomènes d’une plus
grande envergure comme le pluralisme religieux, l’œcuménisme, la
religion civile, la religion invisible, la religion à la carte, la sécularisation,
les fondamentalismes et la violence sectaire, ont aussi attiré l’attention,
mais il semble qu’on puisse dire aujourd’hui que l’accent est le plus
souvent mis sur les grandes religions mondiales, soit orientales
(hindouisme et bouddhisme surtout), soit abrahamiques (judaïsme, Islam
et christianisme), comme l’a fait Weber (1992) dans ses grands travaux de
sociologie historique des religions. Une revue comme Social Compass, par
exemple, publiée à Louvain, se définit comme une revue internationale de
sociologie de la religion. On y trouve des articles et des numéros spéciaux
sur les religions dans divers pays et régions du monde, et sur les
dimensions internationales de la religion. Dans un numéro que j’ai réalisé
en 1997 avec Madeleine Cousineau de Boston sur le thème « Religion et
environnement », plusieurs auteurs ont abordé des thèmes éminemment
internationaux comme le Vatican et l’environnement, ainsi que la religion
et les préoccupations environnementales en Europe, aux États-Unis, en
Australie, en Inde et au Brésil. Même le numéro spécial de Sociologie et
sociétés, « Catholicisme et société contemporaine », que j’ai dirigé en 1990,
comprenait des articles sur le concile œcuménique Vatican II et sur le
catholicisme dans le monde actuel, spécialement au Québec, en Italie, en
Espagne et en France.

18Ma thèse de doctorat, rédigée sous la direction d’Ivan Vallier, puis, à la


suite de son décès prématuré causé par la leucémie, sous celle de Charles
Y. Glock, deux sociologues fascinés par les phénomènes religieux
internationaux, a porté sur le contrôle qu’exerce le Vatican sur les élites
internationales et nationales de laïcs catholiques (Vaillancourt 1980). Ivan
Vallier et ses collaborateurs avaient entrepris une vaste comparaison des
laïcs catholiques progressistes dans douze diocèses de France, des États-
Unis et du Chili, mais il n’a malheureusement pas eu le temps de mener ce
vaste projet à terme (Vallier et Vaillancourt 1967). Il a toutefois réussi à
publier un des meilleurs ouvrages sur les méthodes de recherche en
sociologie comparative internationale, dans lequel des spécialistes
comme Apter, Smelser, Warner, Roth, Parsons, Swanson, Zeldich Jr, Verba,
Somers et Vallier lui-même ont chacun contribué à la rédaction d’un
chapitre. Cet ouvrage fascinant demeure, avec l’ouvrage de Reinhard
Bendix et al. (1968), une des contributions les plus remarquables de la
sociologie comparative internationale étatsunienne.

19En sociologie de l’environnement, les chercheurs actuels accordent


beaucoup d’importance aux problèmes environnementaux globaux,
comme les changements climatiques, à la gouvernance internationale et
mondiale, et aux mouvements verts internationaux et altermondialistes.
Frederic Buttel (2002, 209) écrivait à ce sujet: « Environmental sociology has
largely tended to have a national-societal unit of analysis, but increasingly
environmental sociology has taken on a global or international level of
analysis. »

20En fait, à ses débuts, dans les années 1920, l’écologie humaine
s’intéressait surtout à l’espace urbain et à des problèmes locaux. Avec
l’émergence de la sociologie environnementale dans les années 1970,
l’intérêt s’est déplacé de façon significative vers les problèmes
environnementaux urbains et nationaux, vers les groupes verts et la
gouvernance, et vers la réglementation de la pollution sur le plan des
sociétés nationales. Durant les années 1980, la sociologie de
l’environnement est entrée dans une troisième phase, celle de
l’écosociologie globale, qui s’intéresse aux problèmes internationaux et
globaux, comme les pluies acides, la pollution transfrontalière, la
surpêche océanique, la couche d’ozone, la déforestation-désertification, le
réchauffement climatique, la santé mondiale, la perte de la biodiversité
mondiale et les inégalités Nord-Sud (Wilenius, 1999). Les phénomènes et
les groupes les plus souvent analysés sont, par exemple, les Sommets de
la Terre de Stockholm (1972), de Rio (1992) et de Johannesburg (2002), et
les ententes internationales qui en ont découlé, mais aussi les groupes
internationaux comme Greenpeace (Guilbeault et Vaillancourt 2003 ;
2004), l’Union internationale pour la conservation de la nature, le Groupe
international d’experts sur le climat, les Amis de la Terre et le Réseau
Action Climat. Le concept de « développement durable » qui a été conçu à
partir d’une vision planétaire des enjeux environnementaux, de même
que ceux de « commerce équitable » et de « société civile mondiale », sont
des concepts centraux de la nouvelle écosociologie globale (Buttel 1986 ;
Guay 2004).

21Le Groupe 24 de l’Association internationale de sociologie est devenu le


point de rencontre et d’échange obligé des sociologues de
l’environnement qui s’intéressent à l’international et au global. Depuis sa
fondation en 1988 au Congrès mondial de Madrid, ce groupe a organisé
de très nombreux colloques, tant à l’intérieur des congrès mondiaux
qu’au sein des rencontres internationales tenues parallèlement.

22Plusieurs ouvrages internationaux en sociologie de l’environnement


témoignent de cette effervescence intellectuelle autour des enjeux
environnementaux, entre autres les ouvrages généraux comme ceux de
Beaud, Beaud et Boughera (1993), Yearly (1996), Sachs (1994), Redclift et
Woodgate (1997), Redclift et Benton (1994), Spaargaren, Mol et Buttel
(2000), Dunlap et Michelson (2001), et Buttel et al. (2002), et des ouvrages
plus empiriques comme celui publié par le groupe Global Environmental
Surveys (GOES) sous la direction d’Ester et al. (2003), par Arnaud Sales (à
paraître), et Quah et Sales (2000). J’ai moi-même participé à cette
mouvance avec des articles récents sur l’internationalisation et sur la
mondialisation du mouvement vert, et sur l’évolution de la sociologie de
l’environnement au XXe siècle. La plupart des recherches sur les
mouvements sociaux portent sur l’action collective dans des pays bien
identifiés, mais de plus en plus, les études portent sur les mouvements
d’envergure internationale ou continentale, comme le mouvement des
femmes, les mouvements religieux, le mouvement étudiant, le
mouvement ouvrier international, le mouvement altermondialiste ou le
mouvement vert (D. Della Porta, H. Kriesi et D. Rucht 1999). L’ouvrage
publié tout récemment sous la direction de Louis Guay et al. (2005) sur
les Mouvements sociaux et changements institutionnels a justement comme
sous-titre L’action collective à l’ère de la mondialisation.

23Au début, les sociologues se sont surtout intéressés à des mouvements


sociaux particuliers à l’intérieur d’un pays, mais avec le temps, ils ont
élargi leurs perspectives pour englober des mouvements œuvrant à
l’international, incluant des alliances et des convergences de divers types
de mouvements sociaux, comme le mouvement des femmes et le
mouvement altermondialiste.

24Il existe de multiples convergences entre les divers mouvements


sociaux sur le plan mondial, et au sein de ces mouvements se côtoient les
scientifiques, les artistes, et les groupes religieux progressistes, qui
œuvrent sur le plan international. Les recherches sociologiques sur les
institutions et les mouvements sociaux qui sont actifs sur le plan mondial
constituent un des secteurs les plus dynamiques de la sociologie actuelle
(Starr 2005). J’espère que mes quelques indications sommaires sur les
développements actuels dans ce domaine aideront le lecteur à avoir une
meilleure idée du phénomène de l’internationalisation et de la
mondialisation croissante de la sociologie contemporaine.

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