Ncoudray, Migration

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MIGRATION

Salzbrunn, Monika
Université de Lausanne, Suisse

Date de publication : 2017-09-05


DOI: https://doi.org/10.17184/eac.anthropen.059
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En anthropologie, la migration, du mot latin migratio, signifie en principe un


déplacement physique d’un être humain (migration humaine), bien que des
déplacements non-humains soient aussi qualifiés de migrations (migration animale,
migration de plantes, migration de planètes etc.). Suite à la généralisation de l’État-
nation comme forme d’organisation politique au 19e siècle, on distingue surtout la
migration transnationale (qui implique le déplacement d’au moins une frontière
nationale) et la migration interne (à l’intérieur de frontières étatiques). Par ailleurs, ces
migrations peuvent prendre la forme d’une migration pendulaire (mouvement de va-
et-vient), circulaire (mouvement en cercle), saisonnière (migration de travail influencé
par les saisons agricoles) ou durable, menant à une installation et une naturalisation.
Parmi les causes, on a longtemps souligné les migrations de travail alors que les cas
de migrations climatiques et forcées augmentent de façon significative : migrations
imposées par le contexte, notamment politique, par exemple pendant une guerre civile
ou encore déplacements engendrés par des changements climatiques comme une
sècheresse ou l’avancement du désert dans la zone du Sahel. Le tourisme est parfois
considéré comme une forme volontaire de migration à courte durée. Jusqu’à présent,
peu de travaux lient les réflexions sur les migrations avec celles sur la mobilité (Ortar,
Salzbrunn et Stock, à paraître). Certaines recherches sur l’ethnicité (Barth 1999
[1969]) et la transnationalisation ainsi que de nouvelles catégories statistiques
développées au niveau gouvernemental témoignent du fait que certaines personnes
peuvent être considérées ou perçues comme migrant.e.s sans avoir jamais effectué
un déplacement physique au-delà des frontières nationales de leur pays de naissance.
Ainsi, aux Pays-Bas et en Belgique, dans le discours politique, on distingue parfois
autochtones (grec, littéralement terre d’ici) et allochtones (grec, littéralement terre
d’ailleurs). Au Pays-Bas, on entend par allochtone une personne qui y réside et dont
au moins un parent est né à l’étranger. Ce terme était destiné à remplacer le terme
« immigré », mais il continue à renvoyer des résidents (voire des citoyens) à (une

ISSN : 2561-5807, Anthropen, Université Laval, 2020. Ceci est un texte en libre accès diffusé sous la licence CC-BY-NC-ND,
https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/

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partie de) leur origine. Le terme allemand « Migrationshintergrund »
(littéralement background migratoire) pose le même problème.

L’anthropologie s’intéresse de facto dès l’émergence de la discipline aux


migrations, notamment dans l’étude de sociétés pastorales (en focalisant les
déplacements des éleveurs et de leurs troupeaux) ou dans l’analyse des processus
d’urbanisation (suite à la migration du monde rural vers les villes). En revanche,
l’anthropologie des migrations et de la transnationalisation n’émergent que dans les
années 1990 en tant que champ portant explicitement ce nom – d’abord dans le monde
anglophone (Glick Schiller, Basch et Blanc Szanton 1992, Hannerz 1996), et ensuite
dans le monde francophone (Raulin, Cuche et Kuczynski 2009), germanophone (Pries
1996), italophone (Riccio 2014), hispanophone, lusophone etc.. La traite des esclaves
et les déportations de millions de personnes d’Afrique Sub-Saharienne vers l’Europe
et les Amériques, qui ont commencé au XVIIe siècle et duré jusqu’en 1920, ont été
étudiées dans le cadre de l’anthropologie marxiste (Meillassoux 1986) puis par des
historiens comme Olivier Pétré-Grenouilleau (2004) ou encore par Tidiane N’Diaye
(2008), ce dernier ayant mis l’accent sur la longue et intense implication de
commerçants arabes dans la traite négrière. La violente « mission civilisatrice » ou
campagne de conquête coloniale a très souvent été accompagnée d’une mission de
conversion au christianisme, ce qui a fait l’objet de publications en anthropologie
depuis une trentaine d’années sous l’impulsion de Jean et John Comaroff (1991) aux
Etats-Unis, et plus récemment en France (Prudhomme 2005).

Selon les contextes régionaux, l’une ou l’autre forme de migration a été étudiée
de manière prépondérante. En Chine, les migrations internes, notamment du monde
rural vers les villes, concernent presque autant de personnes dans l’absolu (229,8
millions en 2009 selon l’Organisation internationale du Travail) que les migrant.e.s
transnationaux dans le monde entier (243,7 millions en 2015 selon les Nations
Unies/UN International Migration Report). Le pourcentage de ces derniers par rapport
à la population mondiale s’élève à environ trois pour cent, ce qui semble en décalage
avec la forte attention médiatique accordée aux migrant.e.s transnationaux en général
et aux réfugiés en particulier. En effet, la très grande majorité des déplacé.e.s dans le
monde reste à l’intérieur des frontières d’un État-nation (Withol de Wenden et Benoît-
Guyod 2016), faute de moyens financiers, logistiques ou juridiques (passeport, visa).
La majorité des réfugiés politiques ou climatiques reste à l’intérieur des frontières
nationales ou dans un des pays voisins. Ainsi, selon l’UNHCR/ l’Agence des Nations
Unies pour les Réfugiés, sur les 65,3 millions de personnes déplacées de force, 40,8
millions étaient des déplacé.e.s internes et seulement 3,2 millions des demandeur.e.s
d’asile en 2015. L’urbanisation croissante qui s’opère dans le monde suscite une
augmentation de la migration de travail, notamment en Chine. Dans cet État, le
système d’enregistrement et d’état-civil (hukou) limite l’accès aux services sociaux
(santé, école, etc.) à la commune de naissance : un changement de résidence est
soumis à des conditions restrictives, ce qui engendre une perte de droits élémentaires
pour des dizaines de millions de migrants ruraux ne possédant pas de permis de
résidence (Jijiao 2013).

En France, jusqu’au tournant culturel (qui marque une bifurcation de la focale


de la recherche vers les appartenances culturelles et religieuses des personnes

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étudiées) dans les années 1990, les sciences sociales des migrations, notamment la
sociologie des migrations, ont surtout étudié les conditions et rapports de travail, les
inégalités sociales ou encore la politique du logement et les inégalités spatiales
(Salzbrunn 2015), conduisant ainsi à une très forte focalisation sur les rapports de
classe et sur les conditions de vie des immigré.e.s des anciennes colonies. La
migration des personnes hautement qualifiées n’a en revanche été que peu étudiée.
Après la chute du mur de Berlin, les « appartenances multiples » (concept central de
l’ouvrage de Yuval-Davis, Viethen et Kannabiran 2006), notamment religieuses
(Capone 2010), ont été privilégiées comme objet de recherche. Cette tendance,
accompagnée par un climat politique de plus en plus xénophobe dans certains pays
européens, a parfois pointé vers une « ethnicisation » de la religion (Tersigni, Vincent
et Willems, à paraître). Le glissement de perception d’une population de la catégorie
des « travailleurs immigrés » ou « Gastarbeiter » (littéralement « travailleurs invités »)
vers celle de « musulmans » s’inscrit dans un processus d’altérisation, sous-entendant
dans les deux cas qu’il s’agit d’un groupe homogène marqué par les mêmes
caractéristiques, et ignorant de ce fait la « diversité au sein de la diversité » (Vertovec
2010), notamment les différences en termes de niveau de formation, de genre, d’âge,
de statut juridique, de préférence sexuelle, du rapport aux discours et pratiques
religieux etc. Beaucoup d’études se sont ainsi focalisées sur des groupes fondés sur
le critère d’une nationalité ou d’une citoyenneté commune, ce qui a été critiqué comme
relevant d’un « nationalisme méthodologique » (Glick Schiller et Caglar 2011). Même
le nouveau champ de recherches consacré aux espaces sociaux transnationaux
(Basch, Glick Schiller et Szanton Blanc 1992 ; Salzbrunn 2016) a parfois été (auto-
)critiqué pour la reproduction des frontières nationales à travers une optique
transnationale. Ont alors émergé des réflexions sur une relocalisation de la migration
(Glick Schiller et Caglar 2011) et sur l’enracinement spatial de la migration dans des
espaces sociaux translocaux (Salzbrunn 2011).

Bien que la moitié de la population migratoire soit féminine, les aspects de genre
n’ont été étudiés que très tardivement (Morokvasic-Müller 1984), d’abord dans un
contexte de regroupement ou de liens familiaux maintenus pendant la migration
(Delcroix 2001 ; Kofman 2004 ; Kofman et Raghuram 2014), puis dans celui des
approches féministes du développement (Verschuur et Reysoo 2005), de la migration
du travail et des frontières genrées (Nouvelles Questions Féministes 2007). En effet,
les dynamiques internationales dans la division du travail engendrent une chaîne
globale des soins (« global care chain ») qui repose essentiellement sur les femmes,
que ce soit dans le domaine médical, de la pédiatrie ou des soins aux personnes
âgées. La réflexion sur la division internationale du travail reproductif a été entreprise
par Rhacel Parrenas (2000) et développée par Arlie Hochschild (2000). On peut
obtenir une vue d’ensemble des projets européens consacrés au genre et à la
migration (voir les résultats du projet européen GEMMA: Enhancing Evidence Based
Policy-Making in Gender and Migration :
http://gemmaproject.seminabit.com/whatis.aspx, consulté le 27/11/2017).

En anthropologie politique, l’évolution de systèmes politiques sous l’impact


d’une migration de retour, a été étudiée dans un contexte postcolonial (von Weichs
2013). De manière générale, les réflexions menées dans un contexte études

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postcoloniales de ce type n’ont été entreprises que tardivement en France, et ce
souvent dans une optique très critique, voire hostile à ces débats (L’Homme 2000).

Parmi les autres sujets traités actuellement en anthropologie des migrations se


trouvent les inégalités sociales et spatiales, les dynamiques religieuses
transnationales (Argyriadis et al. 2012), les réfugiés et leurs moyens d’expressions
politiques et artistiques (Salzbrunn 2014) ou musicales (Civilisations 2018 ; Salzbrunn,
Souiah et Mastrangelo 2015). Enfin, le développement conceptuel du phénomène de
transnationalisation ou des espaces sociaux translocaux, voire le retour à la
« localisation de la migration » (titre de l’ouvrage de Glick Schiller et Caglar 2011) sont
des réponses constructives à la question : Comment étudier les migrations dans des
sociétés super-diverses (Vertovec 2011) sans réifier leurs appartenances ?

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