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100 t itres

sur le JAZZ
À plusieurs époques la France, par sa curiosité et son ouverture à
l’Autre, en l’occurrence les hommes et les musiques de l’Afro-Amérique,
culturesfrance / Vient de paraître / Hors série n°10 / juillet 2007

a pu être considérée, hors des États-Unis, comme une « fille aînée » du


jazz. Après une phase de sensibilisation à des « musiques nègres »
constituant une préhistoire du jazz (minstrels, Cake-walk pour Debussy,
débarquement d’orchestres militaires américains en 1918, puis tour-
nées et bientôt immigration de musiciens afro-américains…), de
jeunes pionniers, suivis et encouragés par une certaine avant-garde
intellectuelle et artistique (Jean Cocteau, Jean Wiener…), entrepren-
nent, dans les années 1920, avec plus de passion que d’originalité,
d’imiter et adapter le « message » d’outre-Atlantique. Si les traces
phonographiques de leur enthousiasme, parfois talentueux, sont qua-
siment inexistantes, on ne saurait oublier les désormais légendaires
Léon Vauchant, tromboniste et arrangeur, dont les promesses musica-
les allaient finalement se diluer dans les studios américains, et les
chefs d’orchestre Ray Ventura, (qui, dès 1924, réunissait une formation
de « Collégiens ») et Gregor (Krikor Kelekian), à qui l’on doit d’avoir
Philippe Carles
Journaliste professionnel depuis 1965,
rédacteur en chef de Jazz Magazine
(puis directeur de la rédaction à partir de 2006)
et producteur radio (pour France Musique) depuis 1971,
Philippe Carles, né le 2 mars 1941 à Alger
(où il a commencé en 1958 des études de médecine,
interrompues à Paris en 1964), est co-auteur
avec Jean-Louis Comolli de Free Jazz/Black Power
(Champ Libre, 1971, rééd. Gallimard, coll. « Folio », 2000)
et du Dictionnaire du Jazz (publié sous la direction
de P. Carles, J.-L. Comolli, A. Clergeat, Robert Laffont,
coll. « Bouquins », 1988, rééd. 2004).

Discographie : in Buenaventura Durruti (collectif nato/


Harmonia Mundi, 1996, 2 CD), interviews publiées en CD :
Aldo Romano, Intervista (Universal, 1997, 2 CD)
Jimmy Giuffre, Jimmy Giuffre Talks and Plays
(Celp/Harmonia Mundi, 2000, livre + 2 CD)

François lacharme
Après un parcours universitaire d’une décennie comme
spécialiste de l’anglais économique et la traductologie,
François Lacharme a été rédacteur en chef de l’émission
« Capitale Jazz » sur la chaîne Paris Première tout
en réalisant des écrits pour le magazine Jazz Hot.
Il produit par la suite une vingtaine d’albums jazz pour
divers labels à la fin des années 1980. En 1992, il crée
le mensuel Jazzman (dont il est l’éditeur) et devient directeur
artistique de plusieurs clubs de jazz dont Les Alligators
culturesfrance et le Manhattan Jazz Club. Présent depuis 2002 dans
l’émission « Jazz à FIP », il a succédé à Claude Carrière
Ministère des Affaires étrangères comme président de l’Académie du Jazz en 2005
et européennes
et a été nommé directeur de la programmation jazz
Ministère de la Culture du Théâtre du Châtelet en 2006.
et de la Communication

ISBn : 978-2-35476-003-8

© JUILLET 2007 culturesfrance


culturesfrance
Président
Jacques Blot
Directeur
Olivier Poivre d’Arvor
Directrice de la communication
Agnès Benayer

Département
des publications
et de l’écrit
Directeur
Jean de Collongue
Directeur adjoint
Paul de Sinety

Rédactrice en chef
Bérénice Guidat
100 Titres… est une publication
hors série de Vient de paraître.
Vient de paraître, publié quatre fois
par an et tiré à 12  500 exemplaires,
est diffusé dans les services
et établissements culturels français
à l’étranger.

Cet ouvrage est également disponible


sur www.culturesfrance.com.

Réalisation
culturesfrance
1 bis, avenue de Villars
75007 Paris
[email protected]

Conception graphique
David Poullard et Véronique Tessier
Les textes publiés dans cet ouvrage
Impression et les idées qui peuvent s’y exprimer
Imprimerie Dumas-Titoulet n’engagent que la responsabilité
de leurs auteurs et ne représentent
en aucun cas une position
Achevé d’imprimer à 12 500 exemplaires officielle du ministère des Affaires
en juillet 2007 à Saint-Étienne étrangères.

100 titres sur lE JAZZ — JUILLET 2007


SOMMAIRE

5 Introduction

7 histoire et légendes

14 toujours en scène

30 c’est déjà demain

57 INDEX
4

100 titres sur lE JAZZ — JUILLET 2007


INTRODUCTION 

Histoire et actualité du jazz français

À plusieurs époques la France, par sa curiosité et son ouverture à l’Autre,


en l’occurrence les hommes et les musiques de l’Afro-Amérique, a pu être
considérée, hors des États-Unis, comme une « fille aînée » du jazz.
Après une phase de sensibilisation à des « musiques nègres » constituant
une préhistoire du jazz (minstrels, cake-walk pour Debussy, débarquement
d’orchestres militaires américains en 1918, puis tournées et bientôt
immigration de musiciens afro-américains…), de jeunes pionniers, suivis
et encouragés par une certaine avant-garde intellectuelle et artistique
(Jean Cocteau, Jean Wiener…), entreprennent, dans les années 1920,
avec plus de passion que d’originalité, d’imiter et adapter le « message »
d’outre-Atlantique. Si les traces phonographiques de leur enthousiasme,
parfois talentueux, sont quasiment inexistantes, on ne saurait oublier
les désormais légendaires Léon Vauchant, tromboniste et arrangeur, dont
les promesses musicales allaient finalement se diluer dans les studios
américains, et les chefs d’orchestre Ray Ventura, (qui, dès 1924, réunissait
une formation de « Collégiens ») et Gregor (Krikor Kelekian), à qui l’on
doit d’avoir formé en 1929 un spectaculaire « big band ». Il faut souligner
le rôle de pépinières d’instrumentistes que devaient jouer ces deux
ensembles –, Brun, Combelle, Ekyan, Grappelli (d’abord pianiste)
et le violoniste Michel Warlop ayant été, entre de nombreux autres,
adoubés jazzmen au sein de ces orchestres.

Mais l’événement décisif quant à l’émancipation d’un « jazz français »


restera l’apparition, en 1934, de Django Reinhardt entouré du Quintette
du Hot Club de France, signant l’avènement d’une musique au swing inédit :
sans tambour ni trompette. Les années en vase clos de l’Occupation,
privant les musiciens français à la fois des influences et de la « concur-
rence » du jazz nord-américain, devaient fortifier leur popularité et, à force
de nécessité faite vertu, leur singularité. La Libération, et du même coup,
le renouement des liens transatlantiques, allaient leur faire prendre
conscience d’un « retard » par rapport au jazz made in USA. Aussi, nombre
de jazzmen nationaux essaieront-ils de le combler en s’initiant au nouveau
langage, le be-bop, et ses avatars et en le pratiquant diversement,
6 INTRODUCTION

du démarquage au phagocytage virtuose, ouvrant des perspectives


inouïes et décidément personnelles, ainsi qu’un Martial Solal, depuis
un demi-siècle, continue d’en montrer la voie lumineuse.

Au début des années 1960, tandis qu’aux États-Unis la société est agitée
par plusieurs mouvements, dont la lutte pour les droits civiques
des Afro-Américains, la jazzosphère aussi est traversée de vagues
libertaires. À cette remise en question intitulée « free jazz », qui excède
le champ strictement « musical », les musiciens français ne pourront
rester indifférents – ne serait-ce que parce que certains vont y percevoir
des possibilités inespérées, des moyens jusqu’alors imprévus d’intégrer,
dans des musiques inspirées en profondeur des formes afro-américaines,
des éléments individuels dont l’addition et l’agencement aboutiront
à l’émergence d’un véritable jazz français, qu’un certain nombre choisira
ensuite d’appeler plutôt « musique improvisée » afin de souligner sa fraîche
autonomie. À partir des premières années 1980, ce développement
d’un jazz hexagonal va être favorisé par des innovations administratives
comparables aux aides jusqu’alors réservées aux domaines classique
et « contemporain » : encouragement de l’enseignement spécialisé, aides
à la création, aux lieux et festivals, institution d’un orchestre national
à direction et personnel renouvelables… et autres actions qui
participent de l’éclosion et de la multiplication des vocations musicales,
mais aussi du déploiement de la mémoire vive, dont notre éventail
« biodiscographique » n’offre évidemment qu’un échantillon. Ces cent
enregistrements (disponibles à ce jour), plus qu’un « reflet » de l’histoire
et de l’actualité des jazzmen français, constituent un tremplin de toutes
les explorations.

100 titres sur lE JAZZ — JUILLET 2007


HISTOIRE ET LÉGENDES 

ARVANITAS Georges [Trio] BRUN Philippe,


In Concert [1969-1970] COMBELLE Alix et EKYAN André
[Futura/Socadisc, 2004, 1 CD.] Intégrale Django Reinhardt
&!34BDE8-aegbbc! Vol. 9 [1939-1940]
[Frémeaux & Associés/Night & Day, 1998, 2 CD.]
• De Mezz Mezzrow et Django Reinhardt en 1952,
&!44IJG0-cdajcg!
aux saxophonistes Frank Wright (1977) et David Murray
(1990), en passant par Dexter Gordon, Dizzy Gillespie,
Roland Kirk ou Anita O’Day, Georges Arvanitas • Si le trompettiste Philippe Brun (1908-1994),
a été, jusqu’à sa disparition en 2006, l’interlocuteur les saxophonistes Alix Combelle (1912-1978) et André
dont rêvaient nombre de jazzmen américains, Ekyan (1907-1972) sont moins auréolés de légende
prolongeant l’héritage d’un Bud Powell de raffinements que le « génie manouche » de la guitare à qui ils furent
harmoniques inspirés de Bill Evans et ponctuant associés, notamment en étant, comme ici, ses
son discours d’accents inusités, sans jamais renoncer « employeurs », il reste cependant que l’élégance
à l’essentielle vertu du swing. Soit une élastique rêveuse et volubile de l’altiste Ekyan (qui disait astucieu-
synthèse d’efficacité et d’originalité qui s’est longtemps sement à propos de l’improvisation : « Il est difficile
épanouie, comme ici, en compagnie des fidèles Jacky d’être génial à heure fixe. »), l’impétuosité roborative
Samson (contrebasse) et Charles Saudrais (batterie). de Combelle au ténor (directeur musical pendant
[http://futuramarge.free.fr] la guerre d’un grand orchestre aussi mémorable
P. C.
que le « Jazz de Paris ») et la manière de Brun, à la fois
sensible et puissante, permettent de les considérer
comme les premiers grands solistes du jazz français.
P. C.
 HISTOIRE ET LÉGENDES

DOUBLE SIX GRAILLIER Michel


Double Six [début des années 1960] Dream Drops [1981]
[BMG, 1999, 1 CD.] [Owl records, 2001, 1 CD.]

*!4D2B6E-dbeche! #!440013-edecbg!
• L’œuvre de ce groupe vocal, fomenté par Mimi • Michel Graillier aurait dû faire la carrière
Perrin – démiurge des sons et des mots – au tournant de Michel Petrucciani. Ce raccourci s’impose à l’écoute
des années 1960, procède à la fois de l’hommage, de cet album-collage qui fut enregistré en 1981,
de l’appropriation et du détournement : hommage aux à la faveur de ces rencontres humaines qui ont
soli des grands jazzmen, scrupuleusement relevés ; toujours été, chez ce pianiste au toucher magnifique,
appropriation de la parole instrumentale par la parole les ressorts de la création. Il y a dans ce CD un culte
tout court, impressionnant champ de correspondances du lyrisme rarissime : les plages en solo, doublées par
euphoniques où l’onomatopée côtoie l’allitération quelques notes de synthétiseur, sont un voyage
et la phrase dadaïste (« Pour vous prouver qu’on n’a pas onirique dont on ne revient qu’à contrecœur. Celles
tort permettez, t’nez bon, pour partir, pas d’Boeing, en duo avec le trompettiste Chet Baker (que le pianiste
prenons plutôt le tapis volant », extrait de Night accompagna longtemps) sont en fait deux voix qui
in Tunisia) ; détournement, car en assignant une voix chantent leur spleen à l’unisson. Celle avec Petrucciani
à un instrument, on introduit une distance ludique – nous y voilà ! – est d’une complicité gémellaire,
ou un élément dramatique qui remet en perspective comme née de la même inspiration. Celles enfin avec
le travail original du musicien. Texte en main, le contrebassiste Jean-François Jenny-Clark ou
l’émerveillement devant ce travail de recréation le batteur Aldo Romano racontent une histoire, grave
et de récréation est total. Et en français s’il vous plaît. ou enjouée, faisant passer une technique pourtant
F. L. remarquable au débit de la seule émotion. C’est l’une
des réussites intemporelles du jazz français.
F. L.

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HISTOIRE ET LÉGENDES 

GRAPPELLI Stéphane JENNY-CLARK Jean-François


Le Toit de Paris [1969] Solo [1994]
[RCA Jazz !/BMG 2002, 1 CD.] [La Buissonne/Harmonia Mundi, 2003, 1 CD.]

*!4D2B8I-hbhcgg! &!70AAH9-haadhb!
• La légèreté et la grâce, ce charme bien français qui • Né à Toulouse en 1944, Jean-François « J. F. »
trouve sa racine chez nos mélodistes du début du Jenny-Clark a rejoint en 1998 Jimmy Blanton et Scott
siècle dernier, imprègnent bien sûr le jeu de Grappelli. LaFaro, autres contrebassistes inventeurs de langage
Il y a ce vibrato absolument contrôlé qui est un disparus prématurément. Il aura, entre-temps,
épanchement pudique de l’âme, ces harmoniques qu’il imprégné et soutenu, de son timbre « boisé », de ses
décoche, traces à peine démonstratives de ses élans phrases à la fois élégantes et discrètes et de sa science
virtuoses. Aussi : une sorte de supériorité nonchalante harmonique, les travaux de Jackie McLean, Don Cherry,
dans la construction de ses soli, un art du placement Gato Barbieri, Keith Jarrett, Michel Portal, Anthony
qui se méfie des mesures trop carrées et cette poétique Braxton, Martial Solal, sans oublier le parfait triangle
des fulgurances apprise aux côtés de Django Reinhardt. équilatéral qu’il avait formé avec le pianiste Joachim
Mais le secret bien gardé de ce Toit de Paris, c’est Kühn et le batteur Daniel Humair. Mais la pertinence
peut-être cette définition apaisée de la nostalgie que de sa virtuosité audacieuse en avait fait aussi une « voix »
cache le rare et primesautier Rain Check ouvrant non moins indispensable pour John Cage, Maurizio
le CD. Le Toit de Paris fut enregistré sur le pouce avec Kagel, Stockhausen, Berio ou Boulez… C’est dire que
Raymond Fol au piano – pas le temps de tergiverser « J. F. » était l’homme de toutes les aventures
ni de maquiller un regret : l’artiste ne peut y être autre contemporaines, dont cet étourdissant concert en solo.
chose que ce qu’il est. P. C.
F. L.
10 HISTOIRE ET LÉGENDES

LAFITTE Guy PEIFFER Bernard [Trio]


et BOUSSAGUET Pierre Plays Standards [1954]
Crossings [1997] [Jazz in Paris/Universal Music, 2002, 1 CD.]
[Verve/Emarcy, 2000, 1 CD.]
#!044001-iecfci!
*!3B4F5J-bjjcje! • Une éblouissante impasse que la vie et l’œuvre
• Il faut tout le métier de Pierre Boussaguet de ce pianiste né à Épinal en 1922 et mort à
Philadelphie en 1976 des suites d’une grave maladie
et la patine de Guy Lafitte pour assumer sans ciller
une heure de conversation. Rendons hommage rénale, mais qui aura été, après avoir fait les riches
au saxophoniste pour avoir su, à l’abri des modes, aller heures des clubs parisiens, l’un des très rares jazzmen
au bout de lui-même dans cette culture puissamment français à oser s’installer aux États-Unis, en 1954,
swingante du ténor selon Coleman Hawkins, à laquelle et à y susciter l’admiration des critiques et des
il a apporté un sens de la chair et de l’abandon musiciens américains. Marqué à la fois par ses brillantes
poétique sans équivalent dans cette génération née études classiques – il avait été « adoubé » par Samson
à la fin des années 1920. Avant sa disparition, il y avait François – et sa découverte du jazz à travers un disque
d’ailleurs chez ce Gascon un air de printemps qui de Fats Waller, il développera une flamboyante
poussait sa fleur ! Quant à Pierre Boussaguet, impeccable virtuosité et se distinguera par un foisonnement
dans la filiation assumée de Ray Brown, sa figure d’idées digne d’Art Tatum, sans renoncer pour autant
tutélaire, il joue comme d’habitude : fiabilité totale à ses réminiscences et ambitions classiques en tant
et chant toujours structuré. Voilà un duo inattendu, qu’auteur de thèmes aux finesses et développements
enregistré qui plus est dans une gare désaffectée : harmoniques inusités.
l’arrêt-buffet est évidemment conseillé. P. C.

F. L.

100 titres sur lE JAZZ — JUILLET 2007


HISTOIRE ET LÉGENDES 11

PERSIANI André PETRUCCIANI Michel


The Real Me [1970] Music [1988]
[Black & Blue/Socadisc, 2004, 1 CD.] [Blue Note, 1989, 1 CD.]

&!44IJG1-ajhicf! #!777792-fgdchc!
• Rares sont les jazzmen nord-américains qui, à partir • L’absurdité de la vie dépassée par le talent,
de 1947, n’ont pas fait appel à ses services de pianiste voilà qui est commode pour notre bonne conscience.
ou d’arrangeur – à Paris (où il était né en 1927 Mais la fascination pour le phénomène nous ferait-
et où il est mort en 2004) et à New York où il s’était elle insidieusement surévaluer le pianiste ? Non.
brillamment intégré à la « scène » locale en 1956-1957, En écoutant Music, vous savez ce qu’est la virtuosité
avant de s’y installer de 1961 à 1969, puis, à nouveau qui rend heureux. Vous recevez de plein fouet
en France, où il a « animé », en fin de « parcours », un souffle généreux jusqu’à l’excès, une musique
le bar parisien Furstemberg. L’efficacité de son swing, pétrie de toutes les musiques, un chant souvent simple
en solo ou, comme ici, en trio (avec le bassiste comme bonjour. Ce disque contient la clé du succès
Roland Lobligeois et le batteur Oliver Jackson), ou planétaire d’un pianiste dont le lyrisme, la capacité
« de masse » (lorsqu’il écrivait pour grand orchestre), à communiquer directement avec le public, la lisibilité
son sens de l’harmonie, l’étendue de son répertoire diamantine des phrases ont pu aussi conquérir un
et une manière pianistique caractérisée par la virtuosité Charles Lloyd, un Wayne Shorter, une Sarah Vaughan…
de ses « block chords » (blocs d’accords) en avaient ou un Aldo Romano, qui contribua à le faire sortir
fait un modèle, rare en Europe, de propulseur et du magasin d’instruments de musique où se dessinait
catalyseur des vertus dynamiques de cette musique pour lui une modeste carrière de démonstrateur
qu’on appelle « jazz ». de claviers ! Un cas rarissime de popularité sans
P. C. compromission.
F. L.
12 HISTOIRE ET LÉGENDES

REINHARDT Django RENAUD Henri


Pêche à la mouche [1947-1953] All Stars [1954]
[Verve/Universal Music, 1991, 2 CD.] [Vogue/Sony, 2005, 1 CD.]

#!042283-febicf! *!4D2B8I-bbdcgg!
• À côté d’une formidable « intégrale » (éditée par • Si le mot « cool », dont on abuse aujourd’hui,
Frémeaux & Associés en vingt boîtiers de deux CD), n’avait pas existé, sans doute aurait-il fallu l’inventer
il n’est pas irrévérencieux d’aborder l’œuvre du génial pour qualifier autant l’homme que le pianiste Henri
et légendaire manouche (1910-1953) à travers ce « best Renaud (1925-2002). Frais au meilleur sens du terme,
of » où sont représentées, à leur apogée, deux phases détendu dans sa manière de swinguer, harmoniste
de son art : à la guitare « acoustique » et, peu de temps raffiné et doté d’un humour des plus charmants, il fut,
avant sa disparition, à la guitare électrique. Au fil outre son talent instrumental, un indispensable
de ses compositions et des formations qui l’entourent, catalyseur de rencontres orchestrales transatlantiques
une maturation, plutôt qu’une évolution, se dessine : et éphémères (ainsi qu’il l’avait démontré en 1953
des bastringues de sa jeunesse et des tsiganeries en organisant avec de jeunes solistes de Lionel Hampton
de ses « racines » vers des domaines moins traditionnels, de mémorables enregistrements clandestins),
où pointent des ambitions d’écriture et des audaces sa connaissance intime de l’histoire et de l’actualité
inspirées par le be-bop. Django Reinhardt, décidément, du jazz lui permettant d’être un interlocuteur
aura été dans l’histoire du jazz le premier non- et un « hôte » parfait pour, comme ici, le saxophoniste
Américain à inventer un langage. Al Cohn, le tromboniste Jay Jay Johnson,le contre-
P. C. bassiste Percy Heath et le vibraphoniste Milt Jackson.
P. C.

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HISTOIRE ET LÉGENDES 13

VILLERS Michel (de) WILEN Barney


Danse à Saint-Germain-des-Prés Jazz sur Seine [1958]
[1958] [Polydor/Universal Music, 2000, 1 CD.]
[Emarcy/Universal Music, 2002, 1 CD.]
*!3B4F4I-dbhchc!
#!440016-facccg! • Cette année, Barney Wilen aurait eu soixante-
• Si le jazz nord-américain n’est pas avare de titres dix ans (puisqu’il était né à Nice en 1937), mais
sa disparition en 1996 l’a préservé de tout vieillissement,
nobiliaires (Count, Duke, King…), c’est en France qu’un
authentique « aristo », Michel de Villers de Montaugé nous laissant l’image et la musique, aussi élégantes
(1926-1992), s’est imposé dans les années 1950, l’une que l’autre, d’un jazzman à jamais juvénile,
entre classicisme et be-bop, comme un des plus fins qui n’a cessé d’installer le chant de son saxophone
et lyriques saxophonistes, aussi à l’aise à l’alto (ténor et soprano, mais parfois alto ou baryton) dans
qu’au baryton, dans des contextes de « vrai jazz » les situations les plus variées, et même risquées :
ou de variété dansante. En témoignent assez bien ici du be-bop à l’électronique en passant par les musiques
une collection de douze bibelots sonores en forme pour le cinéma (dont l’inaugurale bande originale
de mini-concertos orchestrés par un virtuose en swing d’Ascenseur pour l’échafaud aux côtés de Miles Davis),
nommé André Persiani, mais aussi une carrière l’Afrique, le free et/ou le rock, les ragas, les dialogues
où l’on croise, entre autres partenaires ou « patrons », avec les ondes courtes d’un transistor ou le son
Django Reinhardt, les trompettistes Bill Coleman d’une course de Formule-1 au drame imprévu…, et,
et Roger Guérin, Guy Lafitte, sans compter d’innom- préfigurant une boucle ultime, des chansons signées
brables solistes américains de passage. Reinhardt, Trenet, ou Monk.
P. C. P. C.
14 Toujours en scène

ARFI BADINI Gérard


L’Arfi, Maison fondée en 1977 Scriabin’s Groove [2005]
[2007] [Nocturne, 2006, 1 CD.]
[Arfi/Les Allumés du Jazz, 2007, 1 CD + 1 CD-ROM.]
+!2G5JG0-dicgbg!
&!76AAC1-dhcfee! • Bien qu’il fût l’un des tout premiers sax ténors
• Née de la fusion de deux orchestres lyonnais, français dans l’idiome mainstream swingant
(avec, au passage une admiration non dissimulée
le Workshop de Lyon (formé en 1967 sous le nom
de Free Jazz Workshop) et le Marvelous Band, envers l’ellingtonien Paul Gonzalves), Gérard Badini
l’Association à la recherche d’un folklore imaginaire a voué sa maturité d’artiste à la direction d’un big
(dont sont issus notamment Sclavis, François Raulin, band (la Super Swing Machine) qui a biberonné
Yves Robert…), plus ou moins inspirée par les plusieurs générations de souffleurs. Mais son intérêt
principes de l’AACM de Chicago, aura été en France pour le caractère intemporel du swing s’est doublé
le premier collectif de jazz contemporain et de d’une volonté assez audacieuse d’explorer le répertoire
musique improvisée avec pour objectif de « donner des grands compositeurs classiques du xxe siècle.
les moyens du jeu à qui est prêt à s’y consacrer », Après Debussy au tournant des années 1990, c’est sur
la Marmite Infernale constituant un bouquet sonore Scriabine qu’il a jeté son dévolu dans ce CD qui,
en forme de mégafanfare. La quarantaine d’instrumen- de manière pédagogique, alterne l’exécution à la lettre
tistes membres de l’Arfi se répartit entre L’Effet de chaque pièce aux mains d’un pianiste « classique »
Vapeur, E’Guijecri, la Bête à bon dos, Baron Samedi, avant d’en proposer sa propre interprétation en
Ces Messieurs et divers autres groupes que l’on big band. La conclusion s’impose au-delà des clichés
retrouve sur cet album anniversaire en guise de mal assurés sur le mirage du « crossover » : le répertoire
« catalogue », réjouissante « manifestation d’utopies d’un visionnaire peut se prêter à jazzification sans
collectives ». trahir l’esprit de ses traits originaux. À condition,
P. C. justement, d’être aussi inventif que l’original…
F. L.

100 titres sur lE JAZZ — JUILLET 2007


Toujours en scène 15

BARTHéLéMY Claude BOLLING Claude


Moderne [1983] Rolling with Bolling [1973-1983]
[Owl records/Universal Music, 2001, 1 CD.] [Frémeaux & Associés, 2006, 3 CD.]

#!440014-hdjcae! (!6BD02C-facjif!
• Claude Barthélémy avait 27 ans lorsqu’il enregistra • L’intégrale des enregistrements de Claude Bolling
ce Moderne en compagnie d’improvisateurs aussi en grand orchestre entre 1973 et 1983, soit cinq
« follement » singuliers que son confrère Philippe microsillons. Où l’on s’aperçoit dès les premières
Deschepper et le saxophoniste Jean-Marc Padovani. mesures que le travail au long cours paye puisque,
Depuis cette réjouissante explosion tous azimuts, derrière le classicisme d’apparence (Bolling dit
qui n’a rien perdu de sa puissance d’impact, le guitariste- clairement ses appartenances au camp du swing), il y a
compositeur a dirigé à deux reprises l’Orchestre non seulement un travail d’écriture colossal, mais
national de jazz, concoctant de cette « institution » aussi l’intention très claire de servir les individualités
son avatar le plus ébouriffant, et multiplié les qui lui sont longtemps resté fidèles : Gérard Badini,
entreprises orchestrales ambitieuses, inclassables Jean-Louis Chautemps, Pierre Schirrer, André Villéger.
(quelque part entre un après-Jimi Hendrix et Les trompettes : Fernand Verstraete, Chistian Martinez,
les explorations de la musique « contemporaine ») Guy Bodet, Michel Delakian, Philippe Slominsky…
et imprégnées d’un rigoureux humour, sans jamais Les trombones : Claude Gousset, Benny Vasseur, André
oublier les phases remarquables de la guitare Paquinet… Et des rythmiques que ni le Duke, ni
dans la galaxie « jazz » et alentour. Un itinéraire le Count n’auraient répudiées. Rolling with Bolling ?
exemplaire à force d’ouvertures et d’imprévus calculés. Une tautologie : ça roule tout seul, cette machine !
P. C. Notes de livret éclairantes, voire amusantes, signées
Daniel Nevers.
F. L.
16 Toujours en scène

CARATINI Jazz Ensemble CECCARELLI André


From the Ground [2003] Carte Blanche [2003]
[Le Chant du Monde/Harmonia Mundi, 2004, 1 CD.] [Dreyfus Jazz, 2004, 2 CD.]

*!9E8I1H-fgccdc! &!46AFA3-gggacd!
• Le fil rouge de ces cinq suites orchestrales que • Cela ressemble à une invitation lancée par un
le contrebassiste/compositeur/arrangeur, aujourd’hui ministère en période préélectorale : John McLaughlin,
cinquantenaire, a sorties de ses tiroirs au nouveau Enrico Pieranunzi, Didier Lockwood, Stefano di
millénaire, c’est l’absence totale de tout procédé. Battista, Sylvain Luc, Biréli Lagrene, Sylvain Beuf,
Aucune orchestration qui ne soit dictée par l’envie Flavio Boltro, Baptiste Trotignon, Eric Légnini,
de faire triompher la musique pour ce qu’elle est : la petite famille d’André lui-même… Mais l’élection
un voyage largement intuitif dans l’art de combiner a eu lieu en deux tours : un CD en studio, ramassé sur
les sons, sans a priori, où les références sont fondues des compositions pour la plupart originales et
comme les tannins d’une bouteille à boire, mais dont quelques standards d’origines diverses. Et un CD
l’étiquette aurait disparu. Oublions donc les quelques enregistré en club, histoire de relâcher le chronomètre
influences naturelles qui affleurent çà et là (on et de laisser s’étirer les solistes. Le premier est à peine
les devine plutôt qu’on ne les reconnaît) et laissons- inférieur au second, trahi par quelques longueurs.
nous envahir par ce fascinant kaléidoscope où Mais d’un bout à l’autre, c’est énergique, enthousiaste
miroitent Caraïbes, swing à géométries variables, et le drumming contrôlé, souverain, de « Dédé » Ceccarelli
incursions abstraites, humour et célébration (homme de scène autant que de studio, garantie du
des timbres. Les pianistes Manuel Rocheman et Alain « zéro défaut » dans l’industrie du tout-terrain musical)
Jean-Marie, le tromboniste Denis Leloup, le tubiste est une leçon à lui seul.
François Thuillier figurent sur la liste du petit F. L.
personnel qui fait ici de grandes choses…
F. L.

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Toujours en scène 17

CHAUTEMPS Jean-Louis ESCOUDÉ Christian et HADEN Charlie


06 [1988] Gitane [1978]
[Carlyne Music, 2003, 1 CD.] [Francis Dreyfus Music, 1995, 1 CD.]

#!440066-hfjcdg! &!46AFA3-gfafch!
• La culture et le sens de la dérision de ce musicien • Le guitariste vendéen (aujourd’hui âgé de soixante
qui fut longtemps pilier des séances de jazz et ans) a trahi pour la bonne cause : l’appartenance
de variété dans les années 1960 et 1970 font de lui à l’héritage de Django Reinhardt est chez lui débitrice
un cas à part. Cet enregistrement de 1988 éclaire d’une autre allégeance, peut-être plus perceptible
sur l’aspect assez visionnaire du bonhomme, qui encore, qui est celle de la guitare be-bop. Cette double
a fait de l’unique disque sous son nom une somme filiation a des conséquences incalculables sur son
improbable où les influences (d’Alban Berg jeu : si l’on y trouve cette poétique des traits rapides,
au mainstream swingant en passant par quelques ces accords nomades, on goûte aussi la syntaxe
obsessions liées à la composition par ordinateur) se complexe, les phrases acrobatiquement pensées et
fondent en un curieux totem à étages : binaire, les accentuations d’un Jimmy Raney, témoins
ternaire, musique répétitive, atonalité, travail sur les d’un savoir harmonique et rythmique évolué. Cette
ensembles, écriture, expérience sonique, espaces rencontre avec Charlie Haden est un petit bijou ciselé
improvisés, balancement entre concret et abstraction. dans quelque minerai austère : le son du contre-
Si vous parvenez à vous ennuyer, vous pourrez bassiste sort tout droit d’une cathédrale gothique
au moins méditer sur la sonorité du saxophoniste, qui, et la frugalité ingénieuse de ses soli ramène à
de mémoire d’amateur, est la plus proche de Stan Getz une épaisseur terrestre les échappées ailées de Christian
qui soit. Invités de très haut vol (André Ceccarelli, Escoudé. Le répertoire justifie le titre de cet album
Denis Leloup, Martial Solal, Kenny Wheeler…) dont d’un romantisme sombre.
la liste dit le respect que Jean-Louis Chautemps F. L.
inspire à ses pairs de France (et d’ailleurs).
F. L.
18 Toujours en scène

FERRÉ Boulou et Elios GALLIANO Richard [New-York Trio]


The Rainbow of Life [2003] Ruby, my dear [2004]
[Bee Jazz/Abeille Musique, 2003, 1 CD.] [Dreyfus Jazz/Sony Music, 2005, 1 CD.]

&!76AAA2-bdaafh! &!46AFA3-gghaca!
• Fils du célèbre guitariste Matelo Ferré, Boulou • Son accordéon est le voilier de tous ses voyages
a évité les réflexes endogames de la filiation de Django dans l’espace et le temps, des mondes musicaux
Reinhardt pour ouvrir son esprit à d’autres aventures transatlantiques jusqu’aux be-bops de Thelonious
parmi lesquelles la fusion, la variété et le classique Monk et Oscar Pettiford, nostalgiquement moderne
pour lequel il montre une prédilection à laquelle aucun vers une Crète rêvée par Satie, chaloupé sur des
de ses disques récents n’échappe. Depuis les années rythmes « latins » à mémoire africaine, sans jamais
1970, il a consacré le plus clair de son temps à un duo perdre de vue ses ports d’attache : les classiques
avec son frère Elios, dont le présent opus est une qu’il avait appris à maîtriser au conservatoire
extension avec la présence d’Alain Jean-Marie au piano et ce « new musette » qu’il a inventé en enrichissant
et de Gilles Naturel à la contrebasse. Le répertoire et affinant le langage du « piano du pauvre ».
reflète l’éclectisme des deux frères : de Lennie Tristano Une virtuosité aussi polymorphe devait en faire
à Barbara en passant par Ennio Morricone, ils redéfi- le compagnon parfait de Nougaro, Barbara ou Serge
nissent une poésie de la guitare acoustique pleine Reggiani avant qu’il ne s’impose comme interlocuteur
de générosité et d’inspiration, se démarquant ainsi de Chet Baker, Joe Zawinul, Charlie Haden, Enrico
de leurs amours familiales passées. Rava, Louiss, Petrucciani, Portal ou Solal, jusqu’à cette
F. L. apothéose en public et en Italie, terre des ancêtres
de ce Cannois né en 1950.
P. C.

100 titres sur lE JAZZ — JUILLET 2007


Toujours en scène 19

HODEIR André HUMAIR Daniel


Jazz & Jazz [1956] Baby Boom [2003]
[Emarcy/Universal Music, 2002, 1 CD.] [Sketch/Harmonia Mundi, 2003, 1 CD.]

#!044001-iecccb! &!70AAH9-haadbj!
• Avec une rigueur, une intelligence et une passion • Le rythme dans ses tableaux, le goût des « couleurs »
comparables à celles d’un Pierre Boulez, André Hodeir qui fait son « drumming » aussi varié qu’expressif :
(né en 1921) aura été en France (mais pas seulement) rarement une telle cohérence, un tel jeu de miroirs ont
le premier à vraiment analyser et penser les Hommes pu être observés entre deux activités d’un même
et Problèmes du jazz (titre de son livre paru en 1954). artiste. Parallélisme que soulignent chez ce batteur
C’est d’autant plus impressionnant qu’il devait et peintre (né à Genève en 1938 et intégré à la scène
illustrer son étude des divers constituants de cette française depuis un demi-siècle) un insatiable désir
musique d’œuvres orchestrales dont le charme et de rencontres et d’expériences (ici avec un « all stars »
la vivacité n’ont rien perdu de leur efficacité, servies exemplaire d’une nouvelle génération d’« aventuriers » :
qu’elles étaient par des maîtres tels que Martial Solal, le guitariste Manu Codjia, le contrebassiste Sébastien
Pierre Michelot, Hubert Rostaing, Kenny Clarke, Boisseau, les saxophonistes Matthieu Donarier et
l’exquis paradoxe étant qu’Hodeir, en écrivain amoureux Christophe Monniot) et une sensibilité à toutes formes
du jazz et au risque de contredire une inhérente de modernité. Il n’est pas étonnant que, parmi ses
pulsion de liberté, a inventé et superbement mis en innombrables partenaires, on trouve les noms de Solal,
pratique la notion d’« improvisation simulée ». Portal, Joachim Kühn, Anthony Braxton, Steve Lacy,
P. C. George Lewis, tous interlocuteurs éclairés d’une aussi
ouverte virtuosité.
P. C.
20 Toujours en scène

JEAN-MARIE Alain JEANNEAU François


Biguine Reflections [1992] Techniques douces [1976]
[Frémeaux & Associés/Night & Day, 2006, 1 CD.] [Owl records/Universal Music, 2006, 1 CD.]

&!36FEC9-deefcc! #!602498-cefjba!
• Comment un personnage aussi doux et discret • Homme de rencontres, de défrichages, aussi
se transforme-t-il, confronté à un piano, en un phéno- prompt à déjouer les pièges de la filiation unique
mène d’ébullition mélodico-rythmique ? Manière de (il est autodidacte et inassignable à une école) qu’à
Mister Hyde et Docteur Jekyll, interlocuteur recherché exploiter, si le cœur lui en dit, des formes éprouvées
par les meilleurs improvisateurs et vocalistes par quelques prédécesseurs, François Jeanneau est
américains de passage à Paris, Alain Jean-Marie se l’un des plus juvéniles « seniors » du jazz made-in-France.
distingue par une autre et profonde dualité : extrême Son quartet régulier proposait en 1976 un mixte
connaisseur et pratiquant du piano be-bop, il a d’énergie et de douceur, sur les traces de quelques
toujours entretenu avec les musiques antillaises (il est lyriques d’esprit ouvert (on peut penser à Charles Lloyd).
né à la Guadeloupe en 1945) une relation à la fois Les compositions, souvent modales, permettent à Jean-
amoureuse et d’un professionnalisme aigu, confortée François Jenny-Clark et Michel Graillier d’exploiter
naguère par son travail aux côtés du saxophoniste toute l’étendue de leur imagination, le premier
Robert Mavounzy et du tromboniste Al Lirvat. constellant ses lignes de basse d’accentuations bien
Ici, sans renoncer aux richesses et subtilités du bop, à lui, le second éclairant la séance par le détaché
il inaugurait avec le batteur Serge Marne et le bassiste convaincu de ses notes. Avec Aldo Romano, propulsif
Éric Vinceno une relecture passionnée des classiques et ubiquiste à la batterie, ce Techniques douces sonne
de la biguine. curieusement plus jeune aujourd’hui que naguère.
P. C. F. L.

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Toujours en scène 21

LAZRO Daunik LEGRAND Michel


Outlaws in Jazz [1993] Legrand Jazz (avec Miles Davis)
[Bleu Regard/Orkhestra, 1993, 1 CD.] [1958]
[Philips, 2007, 1 CD.]
&!36FEC1-cbeacb!
• Axe incisif de ce quartette au format délibérément
#!422830-ahecac!
« ornettecolemanien », que complètent la trompette
de Jac Berrocal, la contrebasse de Didier Levallet
• Notre mélodiste national, inséparable des musiques
classées que sont les Demoiselles, les Parapluies,
et les tambours de Denis Charles, le saxophoniste (alto L’Affaire Thomas Crown, aime le jazz. Son vrai talent
et baryton) Daunik Lazro, né à Chantilly en 1945, s’est de compositeur et arrangeur pour des immortels
imprégné du jazz au fil de sa chronologie historique : (Maurice Chevallier, Claude Nougaro, Barbara
Bechet, Parker, Coltrane, Dolphy, et jusqu’à Ornette Streisand…) explique pourquoi les grands du jazz
Coleman et Albert Ayler, superbes « hors-la-loi » à qui l’ont aimé en retour : Miles Davis, par exemple,
rend hommage cet enregistrement, manière de tremplin qui a souvent enregistré ses mélodies. Pour ce projet
et bilan au-delà duquel il n’allait plus cesser d’explorer au générique pharaonique (Coltrane, John Lewis,
des territoires vierges et risqués de l’improvisation, Bill Evans, Ben Webster, Phil Woods, etc.), notre Mozart
en compagnie d’autres « aventuriers » tels que Joe contemporain avait eu carte blanche. La fascination
McPhee, Jean Bolcato, Michel Doneda, Lê Quan Ninh, qu’exerce cette séance de 1958 tient à cette
Joëlle Léandre, Claude Tchamitchian… Exemplaire cohabitation miraculeuse entre des arrangements
de jubilatoire rigueur. imaginatifs, la mise en scène de la partition qui
P. C. célèbre le lyrisme et l’épanouissement des solistes.
Il y a là de grands moments – y compris avec Miles –,
si bien qu’on peut s’étonner que cette noble musique
brille par son absence dans les discothèques
de beaucoup d’amateurs. Mesdames et messieurs,
ôtez-moi ce persil de vos oreilles !
F. L.
22 Toujours en scène

LOCKWOOD Didier LONGNON Jean-Loup


Tribute to Stéphane Grappelli [2000] Cyclades [1992]
[Francis Dreyfus Music, 2000, 1 CD.] [JMS, 1994, 1 CD.]

&!46AFA3-ggbbch! &!83AAB8-gdhcib!
• L’hommage est un piège. Il suffit que l’angélisme • La musique a trouvé en Jean-Loup Longnon un
s’en mêle et la tentation d’imiter conduit au plagiat, bouilleur de crus imaginatif, un épicurien dont
au « chabada-dry ». Didier Lockwood s’en sort bien : la trompette nourrie aux mamelles de Dizzy Gillespie
il y a une bonne dose de charme bien français, mélange et de Clark Terry crapahute sur le versant ensoleillé
de grâce et d’humour, de virtuosité qui ne se prend du jazz. Tous – de Stéphane Grappelli à Michel Legrand
pas au sérieux, il y a une manière de jouer serré, en passant par Henri Dutilleux – ont eu le virus
de tenir en laisse la mélodie, de chercher alentour sans Longnon. Formé de manière autodidacte dans les années
perdre de vue le thème, ce fil d’Ariane. Il y a bien sûr 1970 en s’imposant courtoisement, mais fermement,
un répertoire en partie ancré dans la tradition « cordes pour faire le bœuf à l’heure où les clubs songent
et âmes » évoquant les riches heures du HCF (Nuages, à « faire » la caisse, ce jazzman jusqu’au-boutiste (ce
Minor Swing, I Got Rhythm…). Mais c’est bien n’est pas nécessairement une tautologie) est porteur
du Lockwood qu’on entend : archet très léger, d’un destin au-delà de son credo be-bop. Cyclades
crin frôleur, vibrato contrôlé au quart de millimètre, est un collage audacieux mais étonnamment cohérent :
savoir harmonique qui s’inscrit dans la modernité. be-bop, swing, blues, Brésil, classique contemporain
Et même si l’on retrouve ces harmoniques dans l’aigu cousinent, s’épousent dans une valse inouïe des
« à la Stéphane », il y a une qualité de silence étiquettes. Un orchestre symphonique, les meilleurs
qui se faufile entre quelque escalier de notes bien rythmiciens du pays, une mosaïque d’invités
descendu. Il n’est donc pas innocent de retrouver qui ne sont pas venus cachetonner (Jean-Michel Pilc
le bassiste Niels Henning Ørsted Pedersen, l’un sifflant sur Santorin, c’est épatant…) parachèvent
des deux ou trois monstres de l’instrument et Biréli le tableau.
Lagrène, coup de canif manouche, django-logicien F. L.
capable de génie qui peut ici faire la pompe
à la guitare sans nous faire regretter l’absence
de pianiste et de batteur.
F. L.

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Toujours en scène 23

LOUISS Eddy LOUISS Eddy, LUBAT Bernard,


Sang mêlé [1987] TRUSSARDI Luigi et VANDER Maurice
[Dreyfus, 2000, 1 CD.] ô Toulouse, Live at FIP [2005]
[Futur Acoustic, 2005, 1 CD.]
&!46AFA3-gfbgcd!
• Les titres choisis par ce magicien de l’orgue (dont
*!9E8I1H-jgccjc!
on oublie souvent qu’il est aussi un merveilleux
pianiste, fut chanteur en 1963 au sein des Double Six
• Certains disent, non sans raison, que Maurice
Vander est le seul à pouvoir rivaliser techniquement
et trompettiste comme son père) composent une sorte avec l’Oscar Peterson des grandes heures (jugement
de patchwork autobiographique. Nul doute que dont les prémices sont contenues dans les faces
le 22 mai 1941, qui le vit naître à Paris, fut un Funky gravées avec Django Reinhardt au début des années
Day pour ce « sang mêlé » dont toute la vie et l’œuvre 1950). Ce CD enregistré en public sous une bannière
sont imprégnées d’un sens du blues qui s’épanouit collective est un certificat d’authenticité dans
dans Blues For Klook dédié à l’un de ses plus prestigieux l’esprit néo-bop, au-delà des moyens digitaux intacts
partenaires, le batteur Kenny « Klook » Clarke. Sans de ce pianniste au savoir très complet. Chaque musicien
oublier, qu’à sa manière vibrante et swingante, Louiss du quartet est dépositaire d’une parcelle de l’« esprit
est un orfèvre de la Romance et que ses musiques Nougaro » et l’écoute de ces compositions ancrées dans
sont toujours baignées, comme en souvenir, de l’inconscient collectif permet de mesurer en quoi ces
la Martinique de ses ancêtres, par That Lucky Old Sun. quatre accompagnateurs faisaient corps avec le chanteur.
Des libres improvisations à tous les rythmes afro- À ce titre, leur asservissement respectueux à la
caraïbes, il est littéralement l’homme de tous mélodie n’est pas autre chose que la voix en filigrane
les registres. du disparu. Ce qui n’empêche pas ces moments
P. C. d’abandon où la virtuosité – celle du pianiste ressem-
blant à un combat de l’esprit et des doigts pour achever
la phrase impossible – résulte d’un état supérieur
dans la complicité d’un orchestre.
F. L.
24 Toujours en scène

LUBAT Bernard PORTAL Michel


Scatrap Jazzcogne [1994] Birdwatcher [2006]
[Labeluz/Harmonia Mundi, 1994, 1 CD.] [Nemo Music/Universal Music, 2007, 1 CD.]

*!9E8I1D-babcic! )!0CEJ84-ffgdac!
• Par le fond et la forme insécables, ce disque • L’un des charmes de ce fringant septuagénaire
est le manifeste inaugural musical poétique politique basque, c’est qu’il n’est guère possible de l’enfermer
d’un agitateur multi-instrumentiste apparu dans dans un instrument (saxophone, clarinette,
la jazzosphère des années 1960, avec un premier prix bandonéon), une époque ou un style (be-bopper
de conservatoire, percussionniste et vibraphoniste ou « cool » avant-hier et littéralement « contre-
à tout jouer, notamment dans les studios d’enre- chanteur » virtuose aux côtés de Barbara ou Gainsbourg,
gistrement parisiens. Associé à Stan Getz, Michel Portal, hyper free en des temps d’effervescence, tango-isant
Eddy Louiss, entre de nombreux autres, il devait avec Richard Galliano…, sans parler de sa maîtrise
reprendre toutes ses libertés et, à la tête d’une sur le versant classique), voire un orchestre, tant il est
« Compagnie » au personnel variable, allumer dans affamé de rencontres et de surprises, s’entourant,
l’Uzeste de ses ancêtres (où il est né en 1945) en France, des plus remarquables jazzmen des nouvelles
des feux militants où n’ont pas fini de faire merveille générations ou prenant le risque de s’associer, comme
son chant au « scat » gascon bopisant, l’accordéon dans cet album enregistré à Minneapolis, à des
de son enfance, son piano et ses tambours de combat instrumentistes « exotiques » pas forcément informés
chaleureux. de son prestige hexagonal. D’où, presque en toute
P. C. innocence, des échanges d’autant plus libres et inat-
tendus que dénués de préjugés.
P. C.

100 titres sur lE JAZZ — JUILLET 2007


Toujours en scène 25

ROMANO Aldo SARDABY Michel [Trio]


To be Ornette to be [1989] Night in Paris live [2005]
[Owl records/Universal Music, 2006, 1 CD.] [Universal Music, 2006, 2 CD.]

#!602498-cegabg! )!0CEJ83-gegbba!
• Batteur, mais aussi guitariste, chanteur (de charme • Né en 1935 à Fort-de-France, où il fait ses
swingant évidemment) et surtout élégant ciseleur débuts de pianiste et dirige un grand orchestre, il
de thèmes peu oubliables (notamment pour ses amis s’intègre dès 1956 à la jazzosphère parisienne et
Claude Nougaro ou Michel Portal), le plus « italoparigot » collectionne les engagements avec d’illustres visiteurs
(comme il aime se définir) des « travailleurs immigrés » américains (Don Byas, Sonny Criss, Clark Terry,
de la jazzosphère hexagonale (né en 1941 à Belluno) Johnny Griffin, Dexter Gordon, T-Bone Walker, Chet
ne pouvait qu’être fasciné par les petites formes Baker…). À New York, il enregistre avec les meilleurs
mélodiques sculptées par Ornette Coleman. Imprégné rythmiciens (les bassistes Percy Heath, Richard Davis,
d’un cantabile inévitablement latin, c’est au sein de Ron Carter, et les batteurs Connie Kay, Billy Hart,
son « quartette italien » (Franco d’Andrea au piano, Albert Heath). Mais sa science pianistique, son
Paolo Fresu à la trompette, et Furio di Castri à la basse) élégance et son invention mélodiques, indissociables
qu’il dévoilait sa musicalité dans ce qu’elle a de plus de ce qu’on a appelé son « impertinence » harmonique,
intime, comme s’il avait placé en exergue de son œuvre allaient lui permettre, outre son travail d’artiste,
la devise « la batterie en chantant ». de s’imposer comme pédagogue, histoire de « partager »
P. C. cette virtuosité que soulignent ici la basse de Reggie
Johnson et la batterie de John Betsch.
P. C.
26 Toujours en scène

SOLAL Martial TEXIER Henri


Exposition sans tableau [2005] An Indian’s Week [1993]
[Nocturne, 2006, 1 CD.] [Label Bleu/Harmonia Mundi, 1993, 1 CD.]

#!826596-aaeabd! &!14JAC5-afijgg!
• À l’instar d’un Pierre Boulez, Martial Solal est • Comme son ami Louis Sclavis (son partenaire dans
allergique aux banalités, redites et pléonasmes, mais le « trio africain »), Henri Texier ne craint pas
à la différence de son aîné (de deux ans), c’est sa d’associer sa musique à de grandes et justes causes ;
passion du jazz et de l’improvisation qui lui dicte ce comme Don Cherry, qu’il accompagna jadis, il est
goût de la singularité et de la surprise permanente. passionné par les mélodies du monde ; et, comme
« Cristal Solal » avait écrit le poète Jacques Réda pour le batteur du « trio africain », Aldo Romano, avec qui il
offrir une métaphore à la pure et lumineuse géométrie chanta naguère au sein du groupe Total Issue, il semble
de ce demi-siècle d’invention pianistique et/ou construire son œuvre autour d’un axe qui serait
orchestrale, art du zigzag mélodique et de l’autorité le « chant » de sa contrebasse, des instruments dont
rythmique qui, dans un format quasi concertant, il l’entoure et des peuples qui inspirent son lyrisme.
s’épanouit ici en une manière d’apothéose, cinq cuivres Né à Paris en 1945, il a affiné le sien aux côtés de Chet
aiguisés et la voix-instrument de Claudia Solal (fille Baker, Bud Powell, Donald Byrd, Steve Lacy, Barney
du maestro) participant du flux en fusion swingante Wilen, Michel Portal (ici son invité au bandonéon),
des six compositions, aussi « incoercibles » que le titre Dexter Gordon, Phil Woods, avant de créer toutes
inaugural. Sans Solal, de ses solos à ce « tentette » sortes de formations formidables, capables de porter,
en passant par ses divers trios, le jazz hexagonal, prolonger et amplifier ses constats et exhortations.
décidément, se sentirait bien seul. P. C.
P. C.

100 titres sur lE JAZZ — JUILLET 2007


Toujours en scène 27

THOLLOT Jacques TISSENDIER Claude


Quand le son devient aigu, jeter Ellington Moods [1999]
la girafe à la mer [1971] [Frémeaux & Associés/Night & Day, 1999, 1 CD.]
[Futura/Socadisc, 2004, 1 CD.]
&!44IJG0-cedddj!
&!34BDE8-aegcae! • Si Claude Tissendier n’était pas né (à Toulouse
• Ou l’histoire littéralement extraordinaire en 1952), il aurait fallu inventer ce doux
« saxomaniaque » : pour venir en aide aux ignorants
d’un enfant prodige qu’une photo légendaire montre
dans un cimetière en 1959 (il avait treize ans), devant et amnésiques qui ne savent pas ou plus ce que le jazz
une batterie abrégée, improvisant un hommage à doit à John Kirby, Lionel Hampton, Benny Goodman,
la mémoire de Sidney Bechet. Eric Dolphy, Don Cherry, Benny Carter, aux ténors de Count Basie et, enfin,
Steve Lacy, Sonny Sharrock, Michel Portal, Barney à Ellington, tous héros d’un panthéon qu’il n’a cessé
Wilen, François Jeanneau, Jac Berrocal, entre autres, d’explorer et d’honorer en tant que maître ès
croiseront la route de ce batteur irrésistiblement saxophone, chef d’orchestre, arrangeur et pilier du big
singulier et, surtout, inventeur de musiques aux beautés band de Claude Bolling. Ici, pour rendre hommage
inétiquetables, dont cet album à l’intitulé et au à Duke, il avait ajouté à son septette les pianistes
charme « surréalistes », d’une gaie liberté plutôt que Arvanitas, Philippe Baudoin, Bolling, Aaron Bridgers
« free », où, entre ses seules mains, percussions, piano, (qui fut l’ami de l’alter ego d’Ellington : Billy Strayhorn),
orgue et effets électroniques participent d’un objet Claude Carrière, Patrice Galas, Jean-Marie, Laferrière,
sonore à l’intensité de manifeste. Persiani et Renaud, superbe bouquet composé
[http://futuramarge.free.fr] par ce praticien virtuose d’une histoire toujours vive.
P. C. P. C.
28 Toujours en scène

TUSQUES François URTREGER René, MICHELOT Pierre


Free jazz [1965] et HUMAIR Daniel
[In situ/Orkhestra, 1991, 1 CD.] HUM (Humair Urtreger Michelot)
&!35FDI5-jaadjj! [1999]
[Sketch/Harmonia Mundi, 1999, 3 CD.]
• La biographie musicale de François Tusques
&!70AAH9-haaabc!
ne saurait se réduire à cet opus, mais celui-ci n’a pas
fini de s’imposer dans l’aventure du jazz vif comme
un moment, indispensable, d’une originalité inespérée, • Une histoire toujours vive, une actualité imprégnée
de légende participent du charme, de son évidence
presque paradoxale compte tenu des clichés et
ambiguë, du pianiste René Urtreger. Rigoureux et
caricatures collés à l’intitulé. Subtil catalyseur, aussi
chaleureux gardien d’une flamme attisée jadis par des
marqué par les « chants » de Messiaen que par les formes
inventeurs tels que Bud Powell et Thelonious Monk,
angulaires de Monk et les profondeurs du blues,
il offrait, avec le très regretté maître de la contrebasse
le pianiste (né à Paris en 1938) avait réuni autour
Pierre Michelot (1928-2005) et l’incontournable
de prétextes mélodiques au lyrisme ouvert les souffleurs
« drumming » de Daniel Humair, une image triangulaire
Bernard Vitet, François Jeanneau, Michel Portal,
exemplaire. D’enthousiasme rythmique, de créativité
et les aujourd’hui regrettés contrebassiste Bernard
harmonique et de passion mélodique, vertus que
« Beb » Guérin et percussionniste Charles Saudrais, soit
ce triptyque affine superbement au fil des retrouvailles
une rencontre au sommet d’improvisateurs d’exception.
du trio, en 1960 (année de formation de ce « HUM »),
[www.allumesdujazz.com]
1979 et 1999, au gré de ces chansons tremplins qu’on
P. C.
appelle des « standards » et de compositions dues
à quelques grands responsables d’une révolution du jazz
nommée « be-bop ».
P. C.

100 titres sur lE JAZZ — JUILLET 2007


Toujours en scène 29

VITET Bernard ZANINI Marcel et BUCKNER Milt


La Guêpe [1971] Blues & Bounce! [1976]
[Futura/Socadisc, 2005, 1 CD.] [Black & Blue, 2002, 1 CD.]

&!34BDE8-aegdgf! &!44IJG1-abbacj!
• Aventure polyphonique concoctée autour d’un texte • Oubliez l’image du moustachu aux lunettes d’écaille
de Francis Ponge par un ensemble « freedadasur- et au galurin tweed, dont la supplique Tu veux ou
réaliste » où, autour de la voix de Françoise Achard, tu veux pas ? fit un tube au tournant des années 1970 :
Jouk Minor (anches et instruments « bizarres »), Marcel Zanini est un vrai de vrai, un saxophoniste
François Tusques, le contrebassiste « Beb » Guérin, qui peut en remontrer à beaucoup question sonorité
le compositeur Jean Guérin et le trompettiste et lyrisme et dont l’articulation – ce déploiement
(violoniste, corniste, pianiste, vibraphoniste) Bernard intelligible des idées musicales – peut servir de modèle.
Vitet inventaient un objet sonore insituable qui Au ténor, Zanini réussit la synthèse entre les saxo-
annonçait un drame musical instantané, trio extensible phonistes basiens (type Erschel Evans ou Buddy Tate)
d’un « théâtre » de sons et de mots créé en 1976 par caractérisés par leur swing calorifère, et Lester Young
Vitet avec Jean-Jacques Birgé et Francis Gorgé. Né (basien lui aussi, mais atypique et, disons, nuageux)
à Paris en 1934, le trompettiste, d’abord impressionné avec lequel il partage l’art de la ballade. Avec Milt
par Miles Davis puis Chet Baker, avait activement Buckner à l’orgue ou au piano, sécurisé par la paire
traversé les phases les plus vives de l’après be-bop, Michel Gaudry/Sam Woodyard, nimbé d’un vibraphone
jusqu’au-delà du « free », en des zones qui, si élégant, Zanini se hisse sans difficulté au sommet
l’étiquette n’était pas « réservée », participeraient d’un mainstream relax et finement swingant.
littéralement de la « musique contemporaine ». F. L.
[http://futuramarge.free.fr]
P. C.
30 C’est déjà demain

AGOSSI Mina ALOUR Sophie


Well You Needn’t [2005] Uncaged [2006]
[Candid/Harmonia Mundi, 2006, 1 CD.] [Nocturne, 2007, 1 CD.]

*!0I8F7J-iebcba! +!2G5JG0-aebedi!
• Entre Björk et Billie Holiday, ce qui laisse beaucoup • Comme beaucoup de musiciens à peine trentenaires,
de place à l’imagination, la chanteuse Mina Agossi cette ex-clarinettiste issue du classique a la nostalgie
continue de tracer sa route zigzagante. C’est une enfant d’une époque qu’elle n’a pas connue : celle des grands
turbulente, une globe-trotteuse qui goûte l’émotion chambardements fusion des années 1970, « ondés »
directe et les couleurs saturées. Toujours inclassable, par les trémolos du piano électrique Fender, structurés
naviguant entre interprétations outrées (le thème- par des rythmes binaires, inspirés par des génies
titre ou Clopin-Clopant…) et petits délires de « libre de l’écriture (Herbie Hancock, Wayne Shorter, pour
chanteuse », elle fait le choix de l’actrice qui vit son aller vite…). Cet album – son dernier en date – témoigne
texte à la manière d’une brûleuse de planches : même de ces envies, avec une approche parfois volontairement
en disque, elle est sur scène. Trompette, percussions, « sale » du son, un côté modérément rebelle, même
guitare apportent quelques couleurs à son univers si Sophie Alour n’a pas abandonné sur certaines
décalé (les mauvaises langues diront déjanté) parfois compositions ce lyrisme direct, qui se projette avec
brut de pomme, mais où l’on sent nettement poindre noblesse dans une sonorité « tapis de billard » héritée
une artiste qui va au bout de ses convictions, quitte de Joe Henderson. Son entourage (avec le très ouvert
à rendre monotone le choix de l’extrémité. Laurent Coq au clavier) résume bien où en est le jazz
F. L. français aujourd’hui : techniquement parfait, désinhibé,
et qui a trouvé son public rétif aux a priori.
F. L.

100 titres sur lE JAZZ — JUILLET 2007


C’est déjà demain 31

ANTOINE Hervé ARTERO Patrick


Road Movie [2005] 2 Bix But Not Too Bix [2004]
[Nocturne, 2006, 1 CD.] [Nocturne, 2004, 1 CD.]

+!2G5JG0-adjbhg! #!826596-aadfci!
• Ceux qui reprochent à Antoine Hervé sa dispersion • Pour un tel jazzman à tout jouer (du dixieland
artistique et quelques silences de carrière en des Haricots Rouges au reggae et aux grands
seront pour leurs frais : en effet, il faut avoir du génie orchestres de variétés en passant par l’ellingtonisme
pour accoucher d’un jazz qui réconcilie à ce point d’un Raymond Fol et l’accompagnement de chanteurs),
les contraires (écriture ferme, libre-pensée ; souci de cet « hommage » à Leon « Bix » Beiderbecke,
la forme, ouverture du terrain improvisé ; relatif trompettiste à la carrière météorique et légendaire,
classicisme des solutions ; innovations timbrales…) aura été son premier disque en tant que leader –
en provoquant chez l’auditeur un appétit curieux pour jusqu’alors, Artero (né en 1950 au Vietnam) avait
la mesure qui va suivre. Le travail au long cours avec voyagé à travers toutes les musiques, offrant à
François Moutin et le trompettiste Markus Stockhausen ses « employeurs » sa ductile virtuosité et sa sonorité
apporte le tour de main, et l’intuition sur les invités chaleureuse, aventure formatrice mais frustrante
(Michel Portal, Stéphane Guillaume aux anches) scelle au terme de trente-cinq ans de « métier ». Aussi le défi
la réussite de ce disque protéiforme et prométhéen d’un tel projet était-il double : outre la difficulté
auquel se joignent un quatuor à cordes, une bombarde, de rester fidèle à l’esprit, au style presque baroque
un vibraphone et une cornemuse selon les désirs de Bix, admirateur d’Armstrong fasciné par Debussy,
souverains et admirablement maîtrisés du leader. il lui fallait s’imposer en tant que voix singulière
Lequel signe aussi de grands moments au piano. et résolument moderne. Soit un superbe acte de
F. L. (re)naissance pour Patrick Artero.
P. C.
32 C’est déjà demain

AVITABILE Frank BELMONDO Lionel


Short Stories [2006] Hymne au soleil [2002]
[Francis Dreyfus Music, 2006, 1 CD.] [B-Flat records, 2003, 1 CD.]

&!46AFA3-ggjace! &!70AAH7-gdafbj!
• Chaque nouvel album du pianiste « découvert » • Stéphane et Lionel Belmondo auraient pu se contenter
par Michel Petrucciani marque un détachement d’être deux artisans très compétents du post-bop
de ses maîtres (entre autres Bud Powell) pour rallier hexagonal, mais leur instinct de musiciens les a exhortés
l’artiste intime. Plutôt que de considérer le piano solo à remonter la généalogie de la musique française
comme une performance, le pianiste a choisi du xxe siècle, en se penchant plus particulièrement sur
de se laisser aller à sa pente naturelle qui est celle l’apport de la météoritique Lili Boulanger, sœur de
d’un lyrique imaginatif. Ce sont deux mains joueuses la grande pédagogue Nadia, dont les choix harmoniques
et savantes qui nous redonnent l’envie du piano tel ont préfiguré ceux de certains jazzmen (John Coltrane,
qu’il devrait être : un orchestre en puissance qu’il faut Bill Evans, Herbie Hancock…). Cet album, ultra-
s’inventer sur mesure pour raconter son histoire. médaillé par la critique, est donc une nouvelle tentative
Technique, idées, sensibilité : chez Franck Avitabile, de concilier l’univers du classique et celui du jazz.
le tout est enfin supérieur à la somme des parties. L’instrumentation et les orchestrations relèvent
Ces miniatures en prose créent de subtils jeux de miroirs d’un néo-impressionnisme aménagé pour l’improvisation.
qui évoquent Schumann, Debussy, le Bill Evans en Ces progressions souvent lentes, ces scintillements
solo des années 1970 et parfois Martial Solal, ce qui discrets, recèlent de nombreuses beautés en demi-
ne les empêche pas d’être tonifiées par une vraie teintes. Fauré, Ravel et Duruflé achèvent de donner
conception rythmique où les moyens déployés (pédales, à cette visite au patrimoine, façon « crossover »,
ostinatos…) sont suffisamment variés pour échapper un charme tenace.
à la prévisibilité. C’est ce qu’il a fait de mieux dans F. L.
un genre inclassable et sobrement romantique.
F. L.

100 titres sur lE JAZZ — JUILLET 2007


C’est déjà demain 33

BETHMANN Pierre (de) BEUF Stéphane


Oui [2006] Another Building [2003]
[Nocturne, 2007, 1 CD.] [RDC/Cristal records, 2005, 1 CD.]

+!2G5JG0-aeaeei! &!07FBE0-aifcah!
• Assumant jusqu’au bout son appartenance • Encore un musicien qui ne s’est pas contenté
à la génération fascinée par le Herbie Hancock de faire le « métier », avec la déperdition identitaire
ou le Chick Corea des claviers électriques, que cette démarche utilitariste induit. Saxophoniste
Pierre de Bethmann n’utilise que le Fender Rhodes respecté et demandé dès la seconde moitié des
dans cet enregistrement mettant en scène ceux qui années 1980, Sylvain Beuf a été l’invité presque obligé
font le jazz français d’aujourd’hui dans sa version de nombreux projets discographiques, mais sa volonté
« lyrico-rythmique » : non que la musique soit marquée d’explorer le saxophone et une remise en question
par des mélodies très marquées, mais elle se situe systématique de ses acquis l’ont emporté sur les
dans un domaine harmonique « tonal évolué », certitudes routinières. Prenant le risque du trio sans
avec une signature rythmique particulière. piano, il met ici les saxophones ténor et soprano
Les unissons ou contrepoints voix/souffleurs au pied du mur : exploration du son, des rythmes,
apportent une couleur aérienne à l’ensemble qui peut de la dynamique, du supplément de liberté qu’octroie
conduire à une impression d’uniformité dans le mystère l’absence d’instrument harmonique. C’est aussi
entretenu qu’ils dégagent. Il y a là une volonté sa façon d’éprouver le jeu de ping-pong permanent
de chercher affichée, mais tout est cadré, balisé, qu’autorise la formule avec les deux rythmiciens que
soucieux de présentabilité : du sérieux qu’on pourrait sont Diego Imbert et Franck Agulhon. Voilà un jazz
écouter un verre à la main. affûté, swingant, et finalement plus chaleureux que ne
F. L. le laisse supposer l’exposé de ces thèmes s’adressant
à notre intellect sans doute plus qu’à notre cœur. C’est
un grand disque de saxophone.
F. L.
34 C’est déjà demain

BEX Emmanuel Chassagnite François


Conversing with Melody [2003] Un Poco Loco [1999]
[Naïve, 2004, 1 CD.] [TCB, 2000, 1 CD.]

%!98EJ8A-ajbbib! *!2F0J5C-ajfcgc!
• Au fond, tous les musiciens tendent vers ça : trouver • Ce trompettiste quinquagénaire tomba à la fin
l’essence de la mélodie, se l’approprier, n’y mettre des années 1980 dans les oreilles de Chet Baker, qui vit
que les notes qui comptent. Emmanuel Bex est un franc- en lui un frère d’esprit (et avec lequel il partage
tireur du jazz français : il ne connaît pas l’inflation une qualité d’expression lyrique, sans effets). Resté
discographique et n’enregistre que lorsqu’il est prêt. à l’écart de l’ébullition parisienne pour enseigner
Son style à l’orgue Hammond est hérité pour partie au conservatoire de Nice, il a poursuivi une carrière
de celui d’Eddy Louiss, c’est-à-dire lyrique, dansant, mais discrète, mais dont chaque jalon discographique nous
harmoniquement évolué. Comme pour la plupart fait mesurer son apport élégant aux prolongements
des organistes qui s’essayent au piano, sa phrase est contemporains du be-bop : il est l’homme des phrases
comme hypnotisée par cette tenue, ce prolongement architecturalement parfaites, du son sans scories,
du son que permet l’instrument hérité de l’harmo- légèrement mat, de la virtuosité contenue (à mi-chemin
nium d’église. Sur les traces d’un Bill Evans, qui entre les illustres Booker Little et Kenny Dorham).
se confrontait à lui-même dans ses « conversations » Ce CD, enregistré pour un label suisse, le met en présence
par la magie du re-recording, le musicien a choisi de camarades du Sud (Fred d’œlsnitz au piano,
de faire se répondre orgue Hammond et piano. Fabrice Bistoni à la contrebasse et Yoann Serra
Compositions alliant simplicité et lyrisme, swing qui à la batterie) avec lesquels il a su construire un vrai
n’a pas besoin d’arriver masqué, arc-en-ciel groupe qui s’écoute et sait écrire.
d’émotions : pari gagné. F. L.
F. L.

100 titres sur lE JAZZ — JUILLET 2007


C’est déjà demain 35

CHASSY Guillaume (de) COLLIGNON Médéric


et YVINEC Daniel Jus de bocse – Porgy and Bess
Chansons sous les bombes [2004] [2004]
[Bee Music/Abeille Musique, 2004, 1 CD.] [Minium/Discograph, 2006, 1 CD.]

&!76AAA2-bdaahb! &!70AGG6-bghiai!
• Le pianiste Guillaume de Chassy et le bassiste • Depuis une douzaine d’années, il est celui qui
Daniel Yvinec sont passés maîtres dans l’art bouscule et illumine la jazzosphère hexagonale (dont
de déconstruire des chansons d’hier et d’avant-hier deux éditions de l’Orchestre national de jazz, sous
pour en révéler des beautés, voire des drames la direction de Paolo Damiani puis Claude Barthélémy,
insoupçonnés – ici Le Petit Vin blanc se transforme les groupes de Laurent Dehors, Sclavis, Emler et autres
en une marche, funèbre ou de combat. Grâce à demandeurs d’imprévu). Amoureux fou des « cuivres »
la précision chaleureuse du chanteur André Minvielle, qu’il n’en finit pas de sculpter, ce trompettiste virtuose
connu jusqu’alors pour ses collaborations avec (né en 1970 dans les Ardennes) s’est attaqué, pour
Bernard Lubat, Michel Portal, et son acrobatique « scat son premier opus personnel, à un monument créé en
rap gascon », ils donnent à des rengaines célèbres 1936, qu’ont « visité » quasiment tous les jazzmen.
ou oubliées comme une « autre » jeunesse, ce que Dont Miles Davis à qui l’effervescent Collignon rend
Patrick Modiano décrit comme « une transparence un hommage moins irrespectueux qu’on aurait pu
émouvante : quand le présent et le passé se confondent ». s’y attendre quand on sait les gaies turbulences dont il
Une telle gageure n’était envisageable que pour est capable : un coup de maître en forme de concerto
des instrumentistes à la virtuosité harmonique aussi pour cornet, bugle et voix.
vive que la sensibilité et le pouvoir d’invention, P. C.
ou quand « relire » et improviser s’imposent comme
mode de création.
P. C.
36 C’est déjà demain

COQ Laurent [Blowing Trio] CORNELOUP François


The Thing to Share [2006] Jardins ouvriers [1998]
[Cristal records/Harmonia Mundi, 2007, 1 CD.] [Evidence/Frémaux & Associés, 2002, 1 CD.]

*!9E8I1I-ebccga! &!42CFH0-baicea!
• Ce pianiste né en 1970 s’est formé au conservatoire • Depuis ses débuts en autodidacte jusqu’à
et a connu la transhumance des musiciens français sa participation à l’inclassable et polycéphale Ursus
à New York : Mulgrew Miller, John Hicks et Bruce Barth Minor (patchwork de jazz libre, blues et rap), en
l’ont pris sous leur aile. Mais la grande différence passant par des musiques de fanfares, de bal et de
d’avec ses coreligionnaires, c’est que son jeu ne scène, le saxophoniste François Corneloup (né
ressemble à aucun autre, hormis une dette presque en 1963) n’a cessé de conjuguer l’art et les manières
apurée à Jarrett, à Monk, à Andrew Hill aussi. Il a fondu d’improviser, hors tout académisme (même be-bop)
ces influences pour créer un jeu de piano où la main et au gré de nombreux orchestres peu ordinaires
gauche occupe une place prépondérante et où il (la Compagnie de Bernard Lubat, les collectifs Incidences,
ne s’interdit aucun moyen, que ce soit block chords, Calligraphes, Babel Bal, un trio de barytons avec
arpèges serrés, ostinatos, dissonances finement Daunik Lazro…) et d’expériences avec des amateurs
introduites, etc. Le tout servi par une curiosité pour (comme l’école Bruit-sonnière), tout en affinant
les autres instruments qui explique en partie cette son propre travail au soprano et surtout au baryton au
différence marquée. Ce CD le met en présence de deux sein de quartettes ou de ce trio, magnifiquement
souffleurs (David El-Malek au sax ténor et Olivier Zanot complété par Claude Tchamitchian et le batteur Éric
au sax alto), ce qui l’oblige à penser contrepoint, Echampard, où peut s’épanouir sa maîtrise du paroxysme.
unissons, bref, petits arrangements entre amis. C’est P. C.
frais, original, et profond avec la participation
de la chanteuse Laurence Allison, fan de la première
heure…
F. L.

100 titres sur lE JAZZ — JUILLET 2007


C’est déjà demain 37

CUGNY Laurent DOMANCICH Sophia


A personal Landscape [2000] Pentacle [2002]
[Emarcy/Universal Music, 2001, 1 CD.] [Sketch/Harmonia Mundi, 2003, 1 CD.]

#!440013-jjacce! &!70AAH9-haacjg!
• À la tête de l’Orchestre national de jazz, • Alternant ou entrelaçant mémoire de conservatoire
le claviériste et arrangeur a laissé un souvenir discret (premier prix de musique de chambre et de piano)
mais tenace : expert en alliages de timbres dans et aventures libertaires (au contact de, entre
le sillage de Gil Evans, son idole, sagacité dans le choix de nombreux autres, Steve Lacy, Lubat, Evan Parker…),
des musiciens pour servir ses ambitions. Libre de ses cette pianiste s’est ouvert une voie paradoxale
obligations « nationales » depuis une bonne décennie, où elle affine l’art de prendre son temps, jusque dans
il semble encore avoir franchi une étape dans les architectures d’un Orchestre national de jazz
l’équilibre souverain qui caractérise ses entreprises. comme celui de Didier Levallet (1999-2000). Compo-
Ce « paysage personnel », enregistré en 2000, sitrice de « rêves » aux amples mouvements, presque
est à l’image de Laurent Cugny : derrière une façade solennels, elle décline son goût d’une lenteur
austère, ce que l’on peut appeler un métier achevé, énergique au gré de duos, trios ou d’un quintette en
ce qui chez lui ne déprécie pas la charge créative. Ce CD forme d’all stars avec les cuivres de Jean-Luc Cappozzo
est aussi une déclaration d’amour à quelques œuvres et Michel Marre, la contrebasse de Claude Tchamitchian
rares du répertoire (pas que jazz, si l’on en croit et la constante et stimulante complicité du batteur
le Fields of Gold en ouverture, signé Sting). Un régal Simon Goubert.
de sophistication et de lisibilité pour une formation P. C.
sans piano mais dont le rendu textural est un
enchantement. En invité David Linx, un roman
dans la voix.
F. L.
38 C’est déjà demain

DUCRET Marc Ducros Anne


Qui parle ? [2003] Close your Eyes [2003]
[Sketch/Harmonia Mundi, 2003, 1 CD.] [Francis Dreyfus Music, 2003, 1 CD.]

&!70AAH9-haadfh! &! ‘ 46AFA3-ggebci!


• Les percussions d’Éric Échampard et François Verly, • Tenue en lisière des festivals car victime
les basses de Bruno Chevillon et Hélène Labarrière, collatérale de l’ostracisme qui a longtemps stigmatisé
les claviers de Benoît Delbecq, les trombones de le jazz chanté « en français dans le texte » (alors
Thierry Madiot et Yves Robert, les saxes de Christophe qu’elle chante aussi en anglais), Anne Ducros
Monniot et Julien Lourau : ce gotha de la jazzosphère a construit patiemment une voix d’alto couvrant
la plus incandescente, ce sont les complices que en partie la tessiture soprano. Elle porte une justesse
s’est choisis le guitariste pour hanter un paysage et une force de conviction qui compensent largement
labyrinthique digne d’un facteur Cheval du patchwork un timbre occasionnellement dur (mais ce fut aussi
sonore. Délibérément et presque cruellement le cas de la grande Nancy Wilson…). Deux qualités
inclassable, un tel chef-d’œuvre de fragmentation, marquantes : elle sait scatter et elle sait choisir
à travers lequel surgissent alluvions littéraires ou son répertoire (ici, par exemple, du très bon Gainsbourg,
allusions de blues traditionnel, impose son architecte Legrand, Ivan Lins…) Grâce à des partenaires
à l’avant-garde de la musique actuelle. Situation avec qui elle a forgé une complicité solide (Benoît
inévitablement marginale qui en fait, plutôt qu’un de Mesmay aux claviers, Sal La Rocca à la contre-
virtuose à tout jouer, un « citoyen du monde basse et Bruno Castellucci à la batterie), la voix
des sons », étranger aux grégarismes et frontières de la chanteuse a franchi un cap dans l’acquisition
stylistiques. d’une liberté de ton, et une manière d’assumer
P. C. les risques dans son phrasé qui est à la hauteur
de ses moyens, bien réels.
F. L.

100 titres sur lE JAZZ — JUILLET 2007


C’est déjà demain 39

El-Malek David EMLER Andy


Talking Cure [2003] MegaOctet : West in Peace [2007]
[Cristal records/Harmonia Mundi, 2003, 1 CD.] [Nocturne, 2007, 1 CD.]

#!794881-hdcbci! #!826596-aaebaf!
• Il est venu assez tard au saxophone, ce qui lui • Entre savant fou et génie malicieux, mémoire
(et nous) a épargné les errements mimétiques (hormis, du meilleur rock et curiosité « contemporaine »,
inévitablement, la volubilité acérée d’un Michael ce pianiste, né en 1958, est, depuis plus de trois
Brecker, et, parfois, le lyrisme pensif de Wayne décennies, au-delà d’une jubilatoire maîtrise
Shorter). Les grandes influences sont donc chez lui instrumentale, un remarquable catalyseur d’explosions
comme « fondues-enchaînées » dans un jeu très contrôlées et d’enthousiasmes collectifs, le plus
articulé, au détaché parfait, à la sonorité à la fois souvent en compagnie d’un octette aux possibilités
tendue et épanouie. On prend beaucoup de plaisir multipliées et diversifiées par le pluri-instrumentisme
à entendre ses improvisations intenses et architectura- des virtuoses qui le composent, son plus récent
lement impeccables sur un répertoire d’originaux. avatar réunissant notamment les anches de Laurent
Les progressions harmoniques ou les jeux de mise en Dehors, Guillaume Orti et Thomas de Pourquery
place pourraient, avec d’autres musiciens, passer et les « voix » de Collignon. Aussi est-il logique que
au-dessus de nos têtes. Pourtant, si on fait les comptes, ses aînés les plus prestigieux et exigeants, François
il y a de la vraie bonne musique, qui comblera celui Jeanneau (du temps qu’il dirigeait le premier ONJ)
qui saura s’immiscer dans ce hard bop contemporain, et plus récemment Michel Portal, aient sollicité son
où cérébralité et huile de coude font bon ménage. intarissable imagination, au piano et/ou comme
La rythmique, emmenée par le pianiste Pierre organisateur de sons.
de Bethmann aux côtés de Rémi Vignolo et Franck P. C.
Agulhon, sait montrer ses nerfs autant que ses biceps.
F. L.
40 C’est déjà demain

GUILLAUME Stéphane HUTMAN Olivier


Intra-Muros [2006] Five in Green [2003]
[O + Music/Harmonia Mundi, 2006, 1 CD.] [RDC/Cristal records, 2003, 1 CD.]

*!6A1A6A-hbbgeb! &!70ACC6-eabcfa!
• Ce multi-anchiste appartient à la génération • On peut dire de ce pianiste et compositeur qu’il est
trentenaire qui a appris, en vingt ans de moins que un repenti : comme si l’exaltation des aventures
ses aînés, non seulement une famille entière fusion et jazz rock dont il a été l’un des artisans dans
d’instruments, mais aussi toutes les subtilités du jazz les années 1970 n’avait pas éteint en lui la conviction
comme musique d’improvisation et de dialogue. que les acquis du be-bop, sa culture sous-jacente,
Comme beaucoup, il s’est frotté à la discipline des big seuls permettaient de dépasser les couches superfi-
bands ; comme peu, il s’est extrait de l’ornière cielles de l’inspiration. Ce disque illustre idéalement
du pupitre pour écrire sa propre histoire. Ce qu’il sa maturité inventive et sereine tant dans les
a fait de cette belle culture est contenu dans ce CD où compositions qu’au plan instrumental, alliage rare
l’on retrouve quelques réminiscences d’un Joe Lovano, d’un swing à la Wynton Kelly, d’une capacité à faire
d’un Wayne Shorter ou d’un Chris Potter, mais au respirer sensuellement la phrase, d’un sens du
service d’une musique bien écrite (évoquant parfois placement exceptionnel (on peut ici penser à Ahmad
le Quintet de Dave Holland) avec un guitariste Jamal) et d’un savoir harmonique pointu qui traduit
remarquable, Frédéric Favarel, et une rythmique une connaissance intime de l’après Bill Evans.
qui lui va très bien. Pointu, mais jamais abstrait. Enregistré en trio avec Thomas Bramerie à la contre-
Érudit, mais jamais scolaire. basse et Bruce Cox à la batterie, ce CD fait honneur
F. L. à un musicien qui n’a pas hésité à accompagner
pendant des années les solistes américains « de passage »
alors que son bagage lui eût autorisé un itinéraire
d’étoile.
F. L.

100 titres sur lE JAZZ — JUILLET 2007


C’est déjà demain 41

KASSAP Sylvain KER OURIO Olivier


Boîtes [2005] Siroko [2005]
[Evidence/Frémeaux & Associés, 2005, 1 CD.] [E-motive records, 2005, 1 CD.]

&!44IJG0-cehfci! #!825696-adbadf!
• Pluri-instrumentiste à l’instar de Portal et Sclavis, • Il arrive, en jazz, que la valeur attende le nombre
Sylvain Kassap (né en 1956) s’affirme, dans le domaine des années. Olivier Ker Ourio a plus de vingt ans
de la musique improvisée, comme « plus clarinettiste » lorsqu’il décide de se consacrer à la musique, qui plus
et de moins en moins saxophoniste, explorant ici est en corsant la difficulté puisque c’est avec
toute la famille et tous les registres des clarinettes au l’harmonica chromatique (instrument réputé intou-
gré d’un « dialogue » élargi d’anches et de cordes chable depuis Toots Thielemans) qu’il a fait son chemin
avec, invitées ou arbitres, les percussions d’Edward franco-américain, dispensant une sonorité distinguée,
Perraud, tandis que le violoncelle de Didier Petit s’allie un sens du phrasé qui le situent loin des clichés
à la contrebasse d’Hélène Labarrière. Soit une excitante mièvres que son illustre prédécesseur a su presque
séance d’illustration organologique et de « dégus- toujours esquiver.
tation » sonore, dans la mesure où une parfaite Olivier Ker Ourio est un peintre à fois paysagiste
lisibilité permet d’apprécier chaque ligne instrumentale et urbaniste : sa poésie naturelle ne s’alanguit
et l’éventail des musiques participant de l’univers jamais et possède un tour tonique qu’il aime occasion-
du souffleur : des plus « archaïques » aux plus actuelles. nellement cultiver sur des rythmes bien cambrés.
P. C. Cet album « cordes + vent » le met en compagnie
régalienne avec, en particulier, le guitariste
acoustique Ralph Towner, valeur sûre du catalogue
ECM, et le contrebassiste Heiri Kaenzig (Art Farmer,
Vienna Art Orchestra, Charlie Mariano…).
D’une nostalgique fraîcheur.
F. L.
42 C’est déjà demain

KONTOMANOU Elisabeth LE LANN Éric et TOP Jannick


Waitin’ for Spring [2005] Le Lann « Top » [2006]
[Nocturne, 2005, 1 CD.] [Nocturne, 2007, 1 CD.]

+!2G5JG0-adifgi! +!2G5JG0-aebiba!
• L’art de prendre son temps : le mûrissement de • Malgré l’apparition de jeunes souffleurs exfiltrés
cette chanteuse – dont un premier disque oublié fleurit de nos grands orchestres français, Éric Le Lann reste
dans les bacs au début des années 1990 – s’est fait le trompettiste français des vingt-cinq dernières
dans la durée. Trait distinctif : la présence manifeste années, celui dont la quête identitaire s’est le mieux
de Sarah Vaughan (la divine des années 1970, que affirmée (au prix parfois d’une incompréhension
beaucoup récusent à tort) dans le timbre, la façon sur ses choix musicaux). Curieusement, sa personnalité
de phraser et de moduler. Mais il est vrai qu’elle sait musicale s’est forgée dans l’ombre portée de Miles
faire oublier cette ombre tutélaire par un sens Davis, dont il est esthétiquement et philosophi-
de l’abandon parfois proche des litanies ascensionnelles quement proche : il possède cette sonorité ambrée,
que d’autres ont faites bien plus mal qu’elle… parfois friable, et dans tous les cas intense, qui
Ce Waitin’ for Spring fait la part discrète aux invités s’affranchit des phrases culturistes. Ce dernier CD
(John Scofield à la guitare et Sam Newsome au sax renoue avec des grooves que nos années ont su
soprano) et remet en selle quelques thèmes qu’elle réhabiliter, mais enchâssés dans les sons de basse
charge de nouvelles émotions (Sunny, The Good de Jannick Top (symbole de ces années justement)
life), les compositions de la chanteuse comportant et quelques montages électroniques qui jamais
la dimension incantatoire susvisée, où elle trouve ne dégradent cet enregistrement dont le caractère
son originalité. On peut occasionnellement discuter « mode » n’enlève rien à la substance.
sur la justesse, mais le talent est indéniable. F. L.
F. L.

100 titres sur lE JAZZ — JUILLET 2007


C’est déjà demain 43

Lê N’Guyên, ERSKINE Peter LELOUP Denis et FLEISCHER Zool


et BÉNITA Michel Zooloup [2003]
ELB [2000] [Cristal records/Harmonia Mundi, 2003, 1 CD.]
[Act records, 2004, 1 CD.]
*!9E8I1H-cdicji!
#!826596-aadhfh! • Ce doux duo est né de la rencontre irrésistible
• Il est l’un des artisans les plus féconds de ce village de lyrismes singuliers, celui de Denis Leloup
(né à Paris en 1962) tromboniste magistral recherché
planétaire sur lequel les observateurs de la mondia-
lisation s’extasient quand elle n’est pas synonyme pour son indéfectible précision dans les contextes
de délocalisations sauvages. Les origines vietnamiennes les plus risqués (Solal, Chautemps, Phil Woods, Kenny
de ce guitariste découvert avec l’Orchestre national Wheeler…), et de Zool Fleischer (né à Boulogne
de jazz d’Antoine Hervé affleurent dans les sons et en 1958), élégant et, en tous sens, rare enchanteur
les phrasés qu’il a développés sur la guitare électrique, de clavier. Ce dialogue déploie en treize saynètes
à laquelle il apporte un mixte d’élégance dandy originales un exceptionnel éventail de nuances
et d’énergie rock. La rencontre avec Peter Erskine et et contrastes imprégné de la mémoire des aventures
Michel Bénita a laissé des traces durables avec et amours vécues par les deux virtuoses (aux côtés
ce trio soucieux de mélodie, mais capable d’ouvrir de Steve Grossman, Barney Wilen, Joe Lovano,
en permanence vers le risque calculé, le « lâchage » Chet Baker, Levallet, ou du côté de la bande-son
d’énergie, affichant ainsi une modernité équivalente, de cinéma, pour le pianiste) dans les diverses régions
à sa manière très personnelle, à ce que font du jazz vif, et au-delà…
un John Scofield ou un Bill Frisell de l’autre côté P. C.

de l’Atlantique. Ce disque à la fois très présentable


et mieux que décapant en porte témoignage.
F. L.
44 C’est déjà demain

LOURAU Julien LUC Sylvain et LAGRÈNE Biréli


The Rise [2001] Duet [2000]
[Label bleu/Harmonia Mundi, 2002, 1 CD.] [Francis Dreyfus Music, 2000, 1 CD.]

*!9E8I1G-hdecba! &!46AFA3-ggaech!
• Par rapport à ses premières expérimentations • Une manière de dépasser la virtuosité pure (et ce
« électro-groove », c’était pour ce saxophoniste disque n’en manque pas) pour atteindre l’inconscience
un retour à l’acoustique, à une certaine frugalité dans heureuse des jeux de bac à sable : des notes, oui,
le rapport à l’instrument. L’ouverture aux rythmes mais gaies, faciles, pas imbues d’elles-mêmes. Sylvain
latins, aux muscs entêtants du boléro, à la typicité Luc et Biréli Lagrène peuvent tout faire, y compris
d’un pas de danse, ne l’empêche pas d’explorer reprendre quelque sirène populaire pour la hisser au
concurremment quelques ritournelles slaves. rang de morceau de bravoure. Inutile de détailler
En exergue, le contrebassiste Henri Texier, le flûtiste les mérites du gitan ou ceux du basque : le premier,
Magic Malik, le pianiste Bojan Z et le batteur Ari comme joué par ses renversantes estafilades
Hoenig… et une brochette de musiciens argentins guitaristiques, peut nous faire douter qu’un Django
rencontrés à la faveur de projets-étapes. Pourtant, on eût vraiment existé avant lui ; il interpelle le second –
est loin de la quincaillerie vaguement tiers-mondiste : tout aussi « facile », mais chez qui ont filtré d’autres
le projet est intégré, cohérent, limpide dans son références que celles de la manoucherie en cour –,
cheminement mélodique. Cette world qui est avant tandis que ce dernier l’éclaire, l’allume, l’illumine. Mais
tout son monde, et non le fantasme d’un zappeur aucun ne s’y brûle les doigts. C’est un duo de guitares
planétaire qui tremperait son sax dans tous les brouets comme on n’osait même plus y penser, célébrant
indigènes, marque une nouvelle maturité dans le jazz en tête à tête ce passé des cordes à la française qui
que produit notre vieille Europe. n’a jamais eu autant d’avenir.
F. L. F. L.

100 titres sur lE JAZZ — JUILLET 2007


C’est déjà demain 45

MACHADO Jean-Marie MILLE Daniel


Andaloucia [2005] Après la pluie [2005]
[Le Chant du Monde/Harmonia Mundi, 2005, 1 CD.] [Abacaba, 2005, 1 CD.]

#!794801-hhaecb! )!0CEJ83-dcbbfe!
• Sur les traces des compositeurs espagnols comme • Depuis que le tango et les milongas argentins
de Falla ou Albeniz, le pianiste explore ses racines font partie des états d’âme musicaux du public
andalouses avec un sextette cosmopolite où français, l’accordéon a délaissé son unique attirance
le tromboniste Gary Valente, expressif au possible, pour les fesses frôleuses du Balajo et autres origines
et le trompettiste allemand Claus Stötter émergent balochardes. Sans quitter son ancrage populaire,
nettement. Il ne s’agit pas ici de faire dans il compose aujourd’hui avec la musique « sérieuse ».
l’espagnolade, mais bien de s’inspirer de certains Il y a souvent chez l’accordéoniste une dimension
modes ou, plus simplement, d’un tempérament, nostalgique et Daniel Mille incarne sans doute mieux
pour aboutir à ce jazz expressif où fierté et poésie qu’aucun autre cet étirement de l’âme qui se retrouve
des contrastes apportent un éclairage tranché dans celui du soufflet de son instrument. Ici, les
aux compositions du leader. Lequel confirme ici qu’il invités participent à l’écriture de cette prose poétique
reste une valeur sûre lorsqu’il s’agit d’explorer avec marquée – en teints pastel – par de superbes lignes
la liberté du jazzman les cultures musicales ibères, mélodiques. Et c’est l’occasion de retrouver comme
dans une veine mélodique ouverte… arrangeur paysagiste des cordes un grand sensible des
F. L. musiques sans frontières : Khalil Chahine.
F. L.
46 C’est déjà demain

MONNIOT Christophe MOUTIN Réunion Quartet


et SPÁNYI Emil Something like now [2005]
Ozone [2005] [Nocturne, 2005, 1 CD.]
[Label Ames/Harmonia Mundi, 2006, 1 CD.]
+!2G5JG0-adhfhi!
*!9E8I1I-bejcde! • La cellule de ce quartet est constituée des deux
• Si, avant d’étudier le saxophone (alto, baryton, jumeaux Louis et François Moutin : ce qu’on ne peut
sopranino) au conservatoire de Caen (où il est guère expliquer mieux qu’en s’avisant de leur
né en 1970), Christophe Monniot a commencé par complicité miraculeuse transpire ici mesure après
la trompette, il en a gardé une puissance et mesure. Mais en filigrane, le ciment du groupe –
une virulence qui ne sont pas étrangères aux bouffées qui réussit à sonner très actuel en conservant un sens
délicieusement « délirantes » de ses interventions. exigeant de l’écriture –, c’est l’héritage formel
Remarqué au sein du groupe Tous Dehors de Laurent de Wayne Shorter avec cette façon de superposer
Dehors, puis avec la Campagnie des musiques à ouïr, la partie écrite de la rythmique et celle du souffleur
trio surexcité d’« art brut », il est ensuite recruté sur des thèmes à tiroirs, ici une variante heureuse
par Stéphan Oliva, Daniel Humair, Patrice Caratini, de la forme longue. Cela n’empêche pas des zones
et Fred Pallem pour le Sacre du tympan. À côté franches pour l’improvisation et une mise en valeur
de compositions délibérément « déjantées », il n’aime de la batterie et de la contrebasse, cette dernière vive,
rien tant, comme ici avec le magicien des claviers instinctive, virtuose dans le haut du registre (elle
Emil Spányi (né à Budapest en 1968), que se livrer fait penser à Stanley Clarke et à Miroslav Vitous tout
à de séduisantes et méthodiques anamorphoses à la fois). Cinq étoiles pour le saxophoniste Rick
de thèmes célèbres, voire des Quatre saisons de Vivaldi. Margitza, lyrique sachant faire oublier sa phénoménale
P. C. technique et désormais Parisien par conviction.
F. L.

100 titres sur lE JAZZ — JUILLET 2007


C’est déjà demain 47

OLIVA Stephan OLIVIER Isabelle


et RAULIN François Island # 41 [2005]
Tristano [1999] [Nocturne, 2005, 1 CD.]
[Émouvance/Harmonia Mundi, 2006, 1 CD.]
#!826596-aadiab!
*!9E8I1E-gjfcjc! • À la différence de ses très rares consœurs
• Quand deux spéléologues des arcanes pianistiques – (puisque aujourd’hui encore la harpe reste un « ouvrage
de dames ») qui ont tenté avec plus ou moins de
Oliva (né en 1959 à Montmorency) pour qui Bill
Evans en trio fut un émoi décisif, Raulin le Rhodanien bonheur de « jazzifier » cet instrument, Isabelle Olivier,
(son aîné de trois ans) partenaire de Sclavis, puis après être passée par les musiques celtique et
découvreur effréné d’ailleurs musicaux étranges de chambre (elle est née à Versailles en 1964), a pris
ou étrangers – explorent et parcourent de leurs quatre conscience des perspectives et possibles infinis que
mains alertes et inventives l’une des œuvres les plus masquaient les clichés collés à l’histoire de la harpe.
singulières de l’histoire du jazz, les compositions Comme guidée par l’incertitude liquidienne inhérente
de Lennie Tristano (1919-1978), et y dénichent à ses sonorités et phrasés, c’est une métaphore
des trésors harmoniques inespérés, soit une séduisante aquatique qu’elle décline depuis son groupe Océan,
façon de prolonger et développer un passé encore créé en 1991 avec le saxophoniste Sylvain Beuf,
incandescent. Depuis ce duo parfois vertigineux, François et Louis Moutin, et jusqu’à cette « île » dont
ils ont poussé plus loin leur expérimentation, allant elle n’en finit pas d’improviser les contours fluctuants
jusqu’à anamorphoser en septette les « textes » parfois caressés d’effluves africains ou « électro ».
tristaniens et, plus récemment, en « relisant » les Comme un rêve dont la seule règle serait l’imprévu.
thèmes, étonnamment juvéniles, signés par de grands P. C.

ancêtres du « piano jazz ».


P. C.
48 C’est déjà demain

PADOVANI Jean-Marc PARIS JAZZ BIG BAND


Nocturne [1993] Mediterraneo [2001]
[Label Bleu/Harmonia Mundi, 1994, 1 CD.] [Cristal records/Harmonia Mundi, 2001, 1 CD.]

&!14JAC5-aibhbb! &!07FBE5-gbecbb!
• Avant ses récentes retrouvailles avec Claude • Sous la houlette de deux « metteurs en énergie »
Barthélémy au sein du quartette Distances, doublés d’instrumentistes confirmés (Pierre Bertrand,
les paysages où aimait se lover le saxophone (ténor, saxophoniste, et Nicolas Folmer, trompettiste)
alto ou soprano) de Jean-Marc Padovani (né en ce big band s’est trouvé une personnalité où se lit
1956 à Villeneuve-lès-Avignon) se distinguaient par en filigrane l’héritage de Thad Jones et Mel Lewis,
une chaleur expressive et une constante référence mais aussi de Bob Mintzer ou Vince Mendoza. Conçu
à des thématiques et des univers méridionaux comme un immense appareil modulaire adaptant
imprégnés de passion. Dans cet album relativement telle section au climat d’une composition, il vrombit,
plus « frais », les Sud qui inspirent et nourrissent son papillonne et respire en se permettant bien des
lyrisme sont plutôt indéfinis et presque sublimés, prouesses arrangées. Sur une thématique méditerra-
striés d’échos de flamenco et de corrida ou d’Orient néenne (flamenco, valse et modes divers…) et en
(soulignés ici par le zarb de Keyvan Chemirani présence d’invités de haut vol (Richard Galliano, Louis
et le ney de Kudsi Erguner) ou colorés d’un accordéon Winsberg, André Ceccarelli, Denis Leloup…) qui en
langoureux (Richard Galliano), comme si les spirales dit long sur la crédibilité de cet orchestre, il nous
et ascensions du chant collectif s’inventaient sous donne une leçon de modernité swingante, lyrique, au
un soleil de minuit. rendu textural superbe (l’occasion de rendre leurs
P. C. lauriers à des musiciens de pupitre qui ont déjà eu
la capacité de sortir des rangs, comme le flûtiste
et saxophoniste Hervé Meschinet ou le trompettiste
Tony Russo).
F. L.

100 titres sur lE JAZZ — JUILLET 2007


C’est déjà demain 49

PEDRON Pierrick PIFARELY Dominique


Deep in a Dream [2005] et SCLAVIS Louis
[Nocturne, 2006, 1 CD.] Acoustic Quartet [1994]
[ECM/Universal Music, 2001, 1 CD.]
+!2G5JG0-adjjda!
• C’est le parcours d’une envie : du musicien
*!3B4F2B-dejcja!
de bal à la Grosse Pomme en passant par le Centre
d’information musicale et l’inévitable Concours
• « Sans tambour ni trompette » (soixante ans
après le Quintette du Hot Club de France), une phase
de la Défense. Peut-être va-t-on finir par trouver dans l’itinéraire de Louis Sclavis qui, autour de ses
un peu grosse la ficelle qui consiste à enregistrer clarinettes, avait réuni les virtuosités sans frontières
à New York pour conquérir sa légitimité de néo-bopper stylistiques de Marc Ducret, Bruno Chevillon
ancré dans le siècle. Mais quand la fée de l’inspiration (contrebasse) et Pifarely dont le violon, ici superbe-
se penche à ce point sur une séance à armes égales ment exposé, participe de ce mélange d’élégance
(deux Français, deux Américains, dont le mastoque- et de rigueur où l’imprévu n’est pas le moindre charme.
ment raffiné Mulgrew Miller), il n’y a plus de discussion Né à Bègles en 1957 et originaire de La Réunion,
possible : oui, le be-bop est encore possible, oui, le violoniste n’a cessé d’associer sa maîtrise à toutes
la feuille blanche peut se remplir d’une manière inédite sortes de musiques et « expériences » (des plus
avec un sax alto de cette trempe (dont, soit dit swingantes, avec Levallet, Louiss, aux plus « contem-
en passant, la toute bretonne et lyrique détermination poraines », comme l’ensemble Dédales, et littéraires
fait plus penser à Frank Morgan qu’à Charlie Parker). sur des textes de François Bon ou Pessoa) avec, pour
F. L. constante, l’évitement des clichés et « lyrismes »
émollients associés à la (mauvaise) réputation de son
instrument.
P. C.
50 C’est déjà demain

PILC Jean-Michel RICHARDEAU Xavier


Together – Live at Sweet Basil Everlastin’ Waltz [2004]
[1999] [Taxi Records/Nocturne, 2004, 1 CD.]
[A Records/Abeille Musique, 2000, 1 CD.]
#!826596-acddhd!
)!0IJB73-bjfgje! • À l’instar de ses plus illustres confrères et ancêtres
• C’est il y a sept ans à New York qu’eut lieu cette et à la différence des « fonctionnaires » du baryton
cantonnés dans un rôle d’« ancre » grave au sein des
explosion en trio. Mais ce n’était une « révélation » que
pour qui n’avait pas entendu le « Big One » éphémère masses orchestrales, le saxophoniste Xavier Richardeau,
réuni (en 1993) par Jean-Michel Pilc, ou ce surprenant depuis qu’il a quitté pour les clubs parisiens la ferme
pianiste (et siffleur !) aux côtés d’Aldo Romano familiale de Charente maritime (il est né à Saint-Jean
à la parisienne « Villa » ou dans le CD Prosodie (1995), d’Angély en 1965), n’a cessé d’affiner son discours,
sans parler de la réplique « groovante » qu’il avait gagnant en autorité, ductilité et élégance, sans jamais
donnée aux saxophonistes Kenny Garrett, Chris Potter oublier les vertus fondamentales, swing et esprit
ou Portal. Autant dire que cet autodidacte énergique du blues, héritées des défricheurs du be-bop des années
du clavier (né à Paris en 1960) a, comme disent 1950-1960, et testées pendant trois ans sur les scènes
les musiciens états-uniens, « paid his dues », n’hésitant new-yorkaises. Soit un travail passionné et inventif
pas à tenter l’aventure outre-Atlantique, jusqu’à ce d’exploration d’un passé incandescent pour en faire
qu’avec le batteur Ari Hoenig et, à la basse, son jaillir une lave harmonique et mélodique littéralement
compatriote François Moutin il forme cet impétueux inouïe, superbement secondé-stimulé ici par
trio au sein duquel il réapparaîtra sur les scènes un sourcier aussi pertinent qu’Alain Jean-Marie…
françaises tel l’enfant prodigue, et prodige. P.C.

P. C.

100 titres sur lE JAZZ — JUILLET 2007


C’est déjà demain 51

ROBERT Yves ROCHEMAN Manuel


L’Argent [2005] Cactus Dance [2006]
[Chief Inspector/Abeille Musique, 2006, 1 CD.] [Nocturne, 2007, 1 CD.]

&!76AAA2-bdggai! +!2G5JG0-aebcjc!
• Ce n’était pas la première fois que ce tromboniste • Auréolé de ses leçons avec Martial Solal, Manuel
et compositeur (né à Chamalières en 1958) participait Rocheman a rapidement conquis les observateurs
à une production aussi composite : on avait pu du jazz par des moyens techniques considérables (aunés
le rencontrer au sein d’Un Drame Musical Instantané, aux runs ébouriffants d’Oscar Peterson) et un goût
de la compagnie Lubat, de la lyonnaise Marmite pour la pensée érudite, voire abstraite, appliquée au
Infernale ou interprète du compositeur Heiner Goebbels, piano. Depuis la fin des années 1980, où il s’est fait
toutes entreprises qui font la part belle à la parole. connaître avec le batteur Simon Goubert et le bassiste
Ici, sous le même intitulé que le film de Marcel François Moutin, son jeu a évolué vers plus de chair,
L’Herbier (1928), Yves Robert a mis son humour et son avec toujours un attachement aux fondamentaux
imagination au service d’une construction quasiment du swing, un lyrisme comme dégrisé par son goût pour
didactique, avec les percussions de Cyril Atef, les réharmonisations, et l’introduction de métriques
les basses de Jean-Philippe Morel, la voix d’Élise Caron, inusitées. Questionné, épaulé par deux rythmiciens
son trombone volubile et, ingrédients décisifs, très en vue de la scène new-yorkaise (Scott Colley
les propos d’un psychanalyste, d’un philosophe, d’une et Antonio Sanchez), le pianiste revisite quelques
économiste et d’un analyste financier. D’où une œuvre classiques de Cole Porter à Michel Legrand et donne
intimidante et fascinante. à entendre ses nouvelles compositions : il y a là
P. C. un idéal de la modernité virtuose au piano.
F. L.
52 C’est déjà demain

ROMANE SCLAVIS Louis


Djangovision [2003] Napoli’s Walls [2002]
[Iris Music/Harmonia Mundi, 2003, 1 CD.] [ECM/Universal Music, 2003, 1 CD.]

&!46EGD0-abihdb! #!044003-ifaecc!
• Une bonne idée : revisiter les compositions • À la différence de nombreux « créateurs », le saxo-
de Django en leur donnant un tour actuel, avec une phoniste et clarinettiste Louis Sclavis, né à Lyon
instrumentation qui n’entre pas nécessairement en 1953 et « découvert » sur la scène nationale du jazz
dans l’évangile manouche. L’orgue Hammond de Benoît au sein du Free Jazz Worshop (pilier fondateur de
Sourisse et la guitare de Romane rivalisent d’ingénio- l’Association à la recherche d’un folklore imaginaire),
sité sur un contrepoint, quand ils ne scellent pas leur n’a jamais envisagé son travail hors de la société
destin virtuose sur un unisson (cf. : Rythme futur), où il se construit, abordant chacun de ses nombreux
alors que la batterie d’André Charlier et la basse « projets » en écho ou reflet de contextes et propos
de Marc-Michel Le Bévillon tiennent la maison (en précis et mettant sa maîtrise pluri-instrumentale
apportant grâce à ce dernier plus d’épaisseur dans et une sonorité aussi limpide que contrastée au service
les graves). Très beau disque et, naturellement, d’un « message » sans complaisance, comme ici, avec
la preuve que ce guitariste élégant et intuitif Médéric Collignon, le violoncelliste Vincent Courtois
a suffisamment pensé le sujet pour ne pas susciter et le guitariste Hasse Poulsen, dans des « paysages »
de regrets sur ce parricide éclairé. d’une Naples nullement touristique, dont il serait,
F. L. pour reprendre le titre d’une de ses compositions,
le « Guetteur d’inaperçu ».
P. C.

100 titres sur lE JAZZ — JUILLET 2007


C’est déjà demain 53

TCHAMITCHIAN Claude TERRASSON Jacky


New Lousadzak : Human Songs Smile [2002]
[2006] [Blue Note, 2002, 1 CD.]
[Émouvance/Harmonia Mundi, 2006, 1 CD.]
*!2E3F4C-ebdcbi!
&!76ABD9-eaacfc! • Jacky Terrasson, pianiste franco-américain
• « Le monde ne sera sauvé […] que par des révélé aux amateurs à la toute fin des années 1980,
incarne le néo-classicisme évolutif en jazz. Très doué,
insoumis » : en exergue de ces « chants humains »,
solennels et/ou paroxystiques, composés par il ne lutte à aucun moment contre un obstacle formel
le contrebassiste, la phrase acquiert un sens que qui freinerait sa capacité à nous détourner du réel
n’avait pas prévu André Gide quand on sait que pour déclencher le rêve. Tel est le cas de ce Smile :
cet octette réunit des instrumentistes aussi ce qui reste d’influences ne relève plus que de l’acte
brillamment « marginaux » que le trompettiste conscient, et on peut éprouver un plaisir d’anthro-
vocaliste Médéric Collignon, le saxophoniste « non pologue à noter, au troisième degré, les allusions à Bill
aligné » Daunik Lazro, les virtuoses singuliers Evans, à Herbie Hancock, et quelques autres, qui
de la guitare et de ses ailleurs Raymond Boni et Rémi s’invitent dans ce scénario de récréation « re-créative ».
Charmasson et l’inclassable batteur Ramon Lopez, De Stevie Wonder à Bud Powell, tout s’enchaîne
sans parler de Tchamitchian lui-même, leader dont en de subtils dévoiements rythmiques et harmoniques
la maîtrise s’ouvre à toutes les surprises et dont la motivation, purement hédoniste, semble
effervescences. Né à Paris en 1960, celui-ci, avant multipliée par le niveau empathique atteint avec
de former la première édition de ce « petit big band », Sean Smith (ou Rémy Vignolo) et Éric Harland. Qui ont
a fourbi ses armes aux côtés d’André Jaume, Eric donc accouché d’un sourire, qui a accouché d’une
Watson, Yves Robert, Stephan Oliva, Jimmy Giuffre… montagne.
Entre autres. F. L.

P. C.
54 C’est déjà demain

TORTILLER Franck et l’ONJ TROTIGNON Baptiste


Électrique [2007] Fluide [1999]
[Le Chant du Monde/Harmonia Mundi, 2007, 1 CD.] [Naïve, 2000, 1 CD.]

*!9E8I1I-egdcaa! %!98EJ2C-fajjij!
• Né en 1963 d’un père musicien amateur, ce • Il est intéressant de réécouter le premier CD
Bourguignon bardé de prix de conservatoire, notamment du pianiste que les observateurs ont rapidement fait
de percussion, et à qui l’on doit la création il y a crouler sous les médailles (Django d’Or, Victoire
vingt ans d’un festival de jazz à Couches, a fait montre de la Musique… et autres récompenses.) Son trio
d’une efficace et éclectique frénésie en tant que possédait déjà cette malléabilité que beaucoup
vibraphoniste et inventeur de « projets » : de ses ne voient jamais venir (le contrebassiste Clovis Nicolas
œuvres en trio, dont un émouvant hommage à Jacques et le batteur Tony Rabeson ne sont pas des virtuoses
Tati, à la direction, à partir de 2005, de l’Orchestre expansifs mais tout leur art se lit entre les lignes, dans
national de jazz, occasion d’enrichir les « cépages » cette manière légère d’être sur le qui-vive pour leurs
du jazz d’éléments de rock (empruntés au répertoire partenaires). Quant à Baptiste, il joue entre virtuosité
de Led Zeppelin) ou, comme ici, de piments et et visite adroite, indétectable, à la généalogie
exhausteurs du « trafic électronique », sans oublier son du piano contemporain (Martial Solal, Kenny Werner,
talent de soliste, qui lui permet de faire merveille Herbie Hancock à peine) avec un bagage classique
aussi bien avec le Vienna Art Orchestra que lorsque qui aide forcément à délier ses doigts. C’est brillant,
le son de son vibraphone aromatise l’écrin orchestral enjoué, et il ne fallait pas grand-chose pour que
d’une voix. ça émeuve… Aujourd’hui, il en est capable.
P. C. F. L.

100 titres sur lE JAZZ — JUILLET 2007


C’est déjà demain 55

TRUFFAZ Erik WILDE Laurent (de)


Bending New Corners [1999] The Present [2006]
[Blue Note, 1999, 1 CD.] [Nocturne, 2006, 1 CD.]

#!724352-cbcdcd! #!826596-aadjhj!
• C’est le prolongement de son précédent CD, tout • Pianiste encadré d’une contrebasse et d’une
aussi convaincant d’ailleurs : le trompettiste, loin batterie, il avait commencé de s’imposer en 1987
de ses premiers ébats qui le situaient dans la galaxie (ce Français né à Washington avait alors vingt-sept ans)
d’un post-bop contemporain, creuse son nouveau sillon : comme l’un des plus prometteurs dépoussiéreurs
actualisation des climats électro-acoustiques de be-bop, idiome qu’il connaît en profondeur à force
mi-groove, mi-funk et autres mystères modaux en de l’avoir pratiqué en compagnie des meilleurs jazzmen
vogue au début des années 1970 (un autre trompettiste, nord-américains lors d’une carrière d’abord new-
Eddie Henderson, y laissa des traces dans une veine yorkaise. Soucieux de développer son discours au-delà
parfois « spatialisée »). Le bonheur musical naît ici de cette « tradition moderne », il a ensuite exploré
de la redécouverte de ces timbres uniques (le clavier les possibilités « électro » et informatiques tout
Fender Rhodes en particulier) et de la lisibilité des en cultivant une excitante surenchère rythmique. Ici,
motifs rythmiques restylés drum’n bass, occasion pour de retour à ses premières amours pianistiques, il
Erik Truffaz de se glisser élégamment dans les oripeaux intègre à une palette de plus en plus ample aussi bien
de Miles Davis. Question musique, il s’agit plus l’ellingtonienne « Fleurette Africaine » qu’un « Quiet –
de moments que de phrases à proprement parler, Not Quite » qui se mue en torrent hyperromantique ou
le parler – justement – étant dévolu au rappeur Nya… en un blues à valeur de mot de la fin emblématique.
Effet de mode qui ne change rien à l’affaire : c’est P. C.
une remise au goût du jour, mais c’est fait avec un vrai
talent et un penchant d’esthète pour l’ellipse.
F. L.
56 C’est déjà demain

Z Bojan
Xenophonia [2005]
[Label Bleu/Harmonia Mundi, 2006, 1 CD.]

*!9E8I1I-bbjcca!
• Chez Bojan Z, pianiste d’origine yougoslave,
l’expérimentation présente l’avantage de se matéria-
liser par des musiques écoutables, ce qui ne leur ôte
rien de leur aspect prospectif. Prétexte à quelques
trouvailles sonores, sa mise au point du « xénophone »
(instrument au nom malheureux dont le son tient
à la fois du piano électrique Wurlitzer et, assez
curieusement, du cymbalum, qui nous renvoie donc
aux timbres centre-européens) est le pilier de cet
album où se mêlent blues, mélodies balkaniques,
jazz et improvisation libre. Tout cela pourrait vite
susciter un bâillement poli, mais ce diable de pianiste
est fait pour nous communiquer cette énergie
pluriculturelle dont il est pétri. Omniprésents
dans son jeu : la danse, les détournements ludiques,
un ancrage rythmique permanent, et une capacité
d’écoute hors pair. Même sa version de Ashes
to Ashes, tube de David Bowie, semble naturellement
trouver sa place au milieu de ce CD surprenant
de A à… Z.
F. L.

100 titres sur lE JAZZ — JUILLET 2007


INDEX TITRES CLASSÉS Par noms d’auteurs 57

A
30 AGOSSI Mina Well You Needn’t [2005]
30 ALOUR Sophie Uncaged [2006]
31 ANTOINE Hervé Road Movie [2005]
14 ARFI L’Arfi, Maison fondée en 1977 [2007]
31 ARTERO Patrick 2 Bix But Not Too Bix [2004]
7 ARVANITAS Georges [Trio] In Concert [1970-1969]
32 AVITABILE Frank Short Stories [2006]

B
14 BADINI Gérard Scriabin’s Groove [2005]
15 BARTHéLéMY Claude Moderne [1983]
32 BELMONDO Lionel Hymne au soleil [2002]
43 BÉNITA Michel, Lê N’Guyên et ERSKINE Peter ELB [2000]
33 BETHMANN Pierre (de) Oui [2006]
33 BEUF Stéphane Another Building [2003]
34 BEX Emmanuel Conversing with Melody [2003]
15 BOLLING Claude Rolling with Bolling [1973-1983]
10 BOUSSAGUET Pierre et LAFITTE Guy Crossings [1997]
7 BRUN Philippe, COMBELLE Alix et EKYAN André Intégrale Django Reinhardt Vol. 9 [1939-1940]
29 BUCKNER Milt et ZANINI Marcel Blues & Bounce [1976]

C
16 CARATINI Jazz Ensemble From the Ground [2003]
16 CECCARELLI André Carte Blanche [2003]
34 Chassagnite François Un Poco Loco [1999]
35 CHASSY Guillaume (de) et YVINEC Daniel Chansons sous les bombes [2004]
17 CHAUTEMPS Jean-Louis 06 [1988]
35 COLLIGNON Médéric Jus de bocse – Porgy and Bess [2004]
7 COMBELLE Alix, BRUN Philippe et EKYAN André Intégrale Django Reinhardt Vol. 9 [1939-1940]
36 COQ Laurent [Blowing Trio] The Thing to Share [2006]
36 CORNELOUP François Jardins ouvriers [1998]
37 CUGNY Laurent A personal Landscape [2000]
58 index

D
37 DOMANCICH Sophia Pentacle [2002]
8 DOUBLE SIX Double Six [début des années 1960]
38 DUCRET Marc Qui parle ? [2003]
38 Ducros Anne Close your Eyes [2003]

E
7 EKYAN André, COMBELLE Alix et BRUN Philippe Intégrale Django Reinhardt Vol. 9 [1939-1940]
39 El-Malek David Talking Cure [2003]
39 EMLER Andy MegaOctet : West in Peace [2007]
43 ERSKINE Peter, BÉNITA Michel et Lê n’guyên ELB [2000]
17 ESCOUDÉ Christian et HADEN Charlie Gitane [1978]

F
18 FERRÉ Boulou et Elios The Rainbow of Life [2003]
43 FLEISCHER Zool et LELOUP Denis Zooloup [2003]

G
18 GALLIANO Richard [New York Trio] Ruby my dear [2004]
8 GRAILLIER Michel Dream Drops [1981]
9 GRAPPELLI Stéphane Le Toit de Paris [1969]
40 GUILLAUME Stéphane Intra-Muros [2006]

H
17 HADEN Charlie et ESCOUDÉ Christian Gitane [1978]
19 HODEIR André Jazz & Jazz [1956]
19 HUMAIR Daniel Baby Boom [2003]
28 HUMAIR Daniel, MICHELOT Pierre HUM (Humair Urtreger Michelot) [1999]
et URTREGER René
40 HUTMAN Olivier Five in Green [2003]

100 titres sur lE JAZZ — JUILLET 2007


index 59

J
20 JEAN-MARIE Alain Biguine Reflections [1992]
20 JEANNEAU François Techniques douces [1976]
9 JENNY-CLARK Jean-François Solo [1994]

K
41 KASSAP Sylvain Boîtes [2005]
41 KER OURIO Olivier Siroko [2005]
42 KONTOMANOU Elisabeth Waitin’ for Spring [2005]

L
10 LAFITTE Guy et BOUSSAGUET Pierre Crossings [1997]
44 LAGRÈNE Biréli et LUC Sylvain Duet [2000]
21 LAZRO Daunik Outlaws in Jazz [1993]
21 LEGRAND Michel Legrand Jazz (avec Miles Davis) [1958]
42 LE LANN Éric et TOP Jannick Le Lann « Top » [2006]
43 Lê N’Guyên, ERSKINE Peter et BÉNITA Michel ELB [2000]
43 LELOUP Denis et FLEISCHER Zool Zooloup [2003]
22 LOCKWOOD Didier Tribute to Stéphane Grappelli [2000]
22 LONGNON Jean-Loup Cyclades [1992]
23 LOUISS Eddy Sang mêlé [1987]
23 LOUISS Eddy, LUBAT Bernard, TRUSSARDI Luigi ô Toulouse, Live at FIP [2005]
et VANDER Maurice
44 LOURAU Julien The Rise [2001]
24 LUBAT Bernard Scatrap Jazzcogne [1994]
23 LUBAT Bernard, LOUISS Eddy et TRUSSARDI Luigi ô Toulouse, Live at FIP [2005]
et VANDER Maurice
44 LUC Sylvain et LAGRÈNE Biréli Duet [2000]

M
45 MACHADO Jean-Marie Andaloucia [2005]
28 MICHELOT Pierre, HUMAIR Daniel HUM (Humair Urtreger Michelot) [1999]
et URTREGER René
60 index

45 MILLE Daniel Après la pluie [2005]


46 MONNIOT Christophe et SPÁNYI Emil Ozone [2005]
46 MOUTIN Réunion Quartet Something like now [2005]

N, O
47 OLIVA Stephan et RAULIN François Tristano [1999]
47 OLIVIER Isabelle Island # 41 [2005]
54 l’ONJ et TORTILLER Franck Électrique [2007]

P
48 PADOVANI Jean-Marc Nocturne [1993]
48 PARIS JAZZ BIG BAND Mediterraneo [2001]
49 PEDRON Pierrick Deep in a Dream [2005]
10 PEIFFER Bernard [Trio] Plays Standards [1954]
11 PERSIANI André The Real Me [1970]
11 PETRUCCIANI Michel Music [1988]
49 PIFARELY Dominique et SCLAVIS Louis Acoustic Quartet [1994]
50 PILC Jean-Michel Together – Live at Sweet Basil [1999]
24 PORTAL Michel Birdwatcher [2006]

R
47 RAULIN François et OLIVA Stephan Tristano [1999]
12 REINHARDT Django Pêche à la mouche [1947-1953]
12 RENAUD Henri All Stars [1954]
50 RICHARDEAU Xavier Everlastin’ Waltz [2004]
51 ROBERT Yves L’Argent [2005]
51 ROCHEMAN Manuel Cactus Dance [2006]
52 ROMANE Djangovision [2003]
25 ROMANO Aldo To be Ornette to be [1989]

100 titres sur lE JAZZ — JUILLET 2007


index 61

S
25 SARDABY Michel [Trio] Night in Paris live [2005]
52 SCLAVIS Louis Napoli’s Walls [2002]
49 SCLAVIS Louis et PIFARELY Dominique Acoustic Quartet [1994]
26 SOLAL Martial Exposition sans tableau [2005]
46 SPÁNYI Emil et MONNIOT Christophe Ozone [2005]

T
53 TCHAMITCHIAN Claude New Lousadzak : Human Songs [2006]
53 TERRASSON Jacky Smile [2002]
26 TEXIER Henri An Indian’s Week [1993]
27 THOLLOT Jacques Quand le son devient aigu, jeter la girafe à la mer [1971]
27 TISSENDIER Claude Ellington Moods [1999]
42 TOP Jannick et LE LANN Éric Le Lann « Top » [2006]
54 TORTILLER Franck et l’ONJ Électrique [2007]
54 TROTIGNON Baptiste Fluide [1999]
55 TRUFFAZ Erik Bending New Corners [1999]
23 TRUSSARDI Luigi, LOUISS Eddy, LUBAT Bernard ô Toulouse, Live at FIP [2005]
et VANDER Maurice
28 TUSQUES François Free jazz [1965]

U, V
28 URTREGER René, MICHELOT Pierre HUM (Humair Urtreger Michelot) [1999]
et HUMAIR Daniel
23 VANDER Maurice, LOUISS Eddy, LUBAT Bernard ô Toulouse, Live at FIP [2005]
et TRUSSARDI Luigi
13 VILLERS Michel (de) Danse à Saint-Germain-des-Prés [1958]
29 VITET Bernard La Guêpe [1971]

W, Y, Z
55 WILDE Laurent (de) The Present [2006]
13 WILEN Barney Jazz sur Seine [1958]
35 YVINEC Daniel et CHASSY Guillaume (de) Chansons sous les bombes [2004]
29 ZANINI Marcel et BUCKNER Milt Blues & Bounce ! [1976]
56 Z Bojan Xenophonia [2005]
62

culturesfrance et le jazz
La France bénéficie dans le domaine du jazz d’une offre de très haut niveau.
culturesfrance propose un nouveau programme, Jazz Primeur, destiné
à promouvoir la génération montante.

culturesfrance s’engage à effectuer un repérage parmi les jeunes


musiciens sortant des écoles supérieures ou récompensés dans les concours
les artistes susceptibles de porter le jazz issu de cette scène française
hors de nos frontières.

En faisant émerger chaque année, de nouveaux talents, les concours


de jazz de la Défense, de Crest jazz vocal, de piano jazz Martial Solal-Ville
de Paris, de jazz à Juan Révélations, le Tremplin blues sur Seine,
le Tremplin jazz d’Avignon, les Victoires du jazz, l’Académie du jazz
et les Djangos d’or sont de véritables viviers d’artistes de premier ordre.

Plusieurs types d’action au bénéfice des lauréats sont mis en place :


• Programmation de concerts et de tournées dans le monde entier.
• Attribution de moyens à des projets de résidence de création à l’étranger
• Aide à la participation dans des concours internationaux.

Les projets peuvent évoluer tout au long de l’année en fonction


des opportunités et des volontés conjointes des artistes, des structures
d’accueil et des organisateurs.

Ce programme est mené en étroite collaboration avec le réseau culturel


français à l’étranger.

En 2007, quatorze artistes bénéficieront du programme Jazz Primeur :


Éric Legnini, Rockingchair (Airelle Besson et Sylvain Rifflet), Géraldine
Laurent, Cyril Benhamou, Ozma, Sophie Alour, D’jab, Pierrick Pédron,
Roland Tchakounté, Leila Olivesi, Thomas Enhco, Yvan Robillard, Paul Lay
et Frank Woeste se produiront à travers le monde.

100 titres sur lE JAZZ — JUILLET 2007


63

En parallèle, culturesfrance , via le programme Festijazz,


apporte son soutien aux grands festivals de jazz d’Europe, d’Amérique
du Nord et du Japon, là où l’on trouve des publics avertis.

Enfin, les services culturels de l’ambassade de France à New York,


avec la Fondation FACE (French American Cultural Exchange),
culturesfrance , le Bureau Export de New York, l’association Chamber
Music America et la Doris Duke Foundation ont mis en place un programme
spécifique d’échanges, de rencontres et de tournées.

Le Franco-American Jazz Exchange (FAJE ) est une réponse aux


« envies d’Amérique » des musiciens de jazz et de leurs maisons de disques.
Ce programme bénéficie en outre du mécénat des Établissements Selmer.

Département des arts de la scène


Pôle des musiques actuelles
Contact : Didier Vuillecot [ [email protected] ]
culturesfrance juillet 2007 / ISBN : 978-2-35476-003-8

… formé en 1929 un spectaculaire « big band ». Il faut souligner le rôle de


pépinières d’instrumentistes que devaient jouer ces deux ensembles –,
Brun, Combelle, Ekyan, Grappelli (d’abord pianiste) et le violoniste
Michel Warlop ayant été, entre de nombreux autres, adoubés jazzmen
au sein de ces orchestres.
Mais l’événement décisif quant à l’émancipation d’un « jazz français »
restera l’apparition, en 1934, de Django Reinhardt entouré du Quin-
tette du Hot Club de France, signant l’avènement d’une musique au
swing inédit : sans tambour ni trompette. Les années en vase clos de
l’Occupation, privant les musiciens français à la fois des influences
et de la « concurrence » du jazz nord-américain, devaient fortifier leur
popularité et, à force de nécessité faite vertu, leur singularité. La
Libération, et du même coup, le renouement des liens transatlan-
tiques, allaient leur faire prendre conscience d’un « retard » par rapport
au jazz made in USA. Aussi, nombre de jazzmen nationaux essaieront-
ils de le combler en s’initiant au nouveau langage, le bebop, et ses
avatars et en le pratiquant diversement, du démarquage au […]

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