Michael Crichton & James Patterson-Eruption
Michael Crichton & James Patterson-Eruption
Michael Crichton & James Patterson-Eruption
lois sur le droit d’auteur. Il est identifié par un tatouage numérique permettant d’assurer
sa traçabilité. La reprise du contenu de ce livre numérique ne peut intervenir que dans le
cadre de courtes citations conformément à l’article L.122-5 du Code de la Propriété
Intellectuelle. En cas d’utilisation contraire aux lois, sachez que vous vous exposez à des
sanctions pénales et civiles.
Michael Crichton est l’un des écrivains les plus populaires au
monde, célèbre pour le phénomène international Jurassic Park
(Robert Laffont, 1992). Il a coécrit le scénario du film réalisé par
Steven Spielberg. Il est l’auteur de nombreux best-sellers dont
Soleil levant (1993), Le Monde perdu (1996), ou Turbulences
(1997) et le créateur de la série culte Urgences. Avant sa mort en
2008, il s’était lancé dans l’écriture d’Éruption qu’il situait à
nouveau à Hawaï, son lieu de prédilection. À la demande de sa
veuve, James Patterson a fini le roman.
James Patterson est entré dans le Guinness des records pour
avoir vendu plus de trois cent cinquante millions de livres à
travers le monde. Il a créé des séries et des personnages
inoubliables dont Alex Cross, et plusieurs de ses livres ont été
portés à l’écran. Récompensé de nombreux prix, il est aujourd’hui
un grand défenseur de l’accès aux livres et à la lecture au plus
grand nombre.
Titre original : ERUPTION
(édition originale : ISBN 978-0-316565-07-3, Little, Brown and Company, New York)
Éditions Robert Laffont – 92, avenue de France 75013 Paris
[email protected]
ISBN : 978-2-221-27737-9
« Cette œuvre est protégée par le droit d’auteur et strictement réservée à l’usage
privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou
onéreux, de tout ou partie de cette œuvre, est strictement interdite et constitue une
contrefaçon prévue par les articles L 335-2 et suivants du Code de la Propriété
Intellectuelle. L’éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits
de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales. »
Aux Hawaïens :
Cette histoire vous est dédiée,
à vous les vrais fils du célèbre archipel.
Sommaire
Couverture
Titre
Les auteurs
Copyright
Prologue
1.
2.
3.
4.
Éruption
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Chapitre 28
Chapitre 29
Chapitre 30
Chapitre 31
Chapitre 32
Chapitre 33
Chapitre 34
Chapitre 35
Chapitre 36
Chapitre 37
Chapitre 38
Chapitre 39
Chapitre 40
Chapitre 41
Chapitre 42
Chapitre 43
Chapitre 44
Chapitre 45
Chapitre 46
Chapitre 47
Chapitre 48
Chapitre 49
Chapitre 50
Chapitre 51
Chapitre 52
Chapitre 53
Chapitre 54
Chapitre 55
Chapitre 56
Chapitre 57
Chapitre 58
Chapitre 59
Chapitre 60
Chapitre 61
Chapitre 62
Chapitre 63
Chapitre 64
Chapitre 65
Chapitre 66
Chapitre 67
Chapitre 68
Chapitre 69
Chapitre 70
Chapitre 71
Chapitre 72
Chapitre 73
Chapitre 74
Chapitre 75
Chapitre 76
Chapitre 77
Chapitre 78
Chapitre 79
Chapitre 80
Chapitre 81
Chapitre 82
Chapitre 83
Chapitre 84
Chapitre 85
Chapitre 86
Chapitre 87
Chapitre 88
Chapitre 89
Chapitre 90
Chapitre 91
Chapitre 92
Chapitre 93
Chapitre 94
Chapitre 95
Chapitre 96
Chapitre 97
Chapitre 98
Chapitre 99
Chapitre 100
Chapitre 101
Chapitre 102
Chapitre 103
Chapitre 104
Chapitre 105
Chapitre 106
Épilogue
Chapitre 107
Chapitre 108
Chapitre 109
Remerciements
Hilo, Hawaï
28 mars 2016
Rachel Sherrill, qui allait fêter ses trente ans quelques jours plus tard,
était titulaire d’un master de Stanford en biologie de la conservation et une
étoile montante dans son domaine, et se voyait toujours comme la plus
intelligente de sa classe. De toutes les classes, d’ailleurs.
Mais ce jour-là, au Jardin botanique de Hilo, elle jouait le rôle de la prof
remplaçante cool auprès d’un groupe d’élèves de CM2 venus du continent,
des enfants agités et aux yeux grands ouverts.
Tôt ce matin même, le directeur général du Jardin botanique, Theo
Nakamura, lui avait dit : « Voyons les choses en face, Rachel. Faire visiter
les jardins à ces touristes miniatures te permettra de mettre ton immaturité à
profit.
— Vous sous-entendez que je me comporte comme une enfant de dix
ans ?
— Dans les bons jours », avait répondu Theo.
Theo était l’universitaire intrépide qui l’avait engagée lors de
l’ouverture du parc l’année précédente. Bien que Rachel soit – et paraisse –
très jeune, elle était extrêmement douée et faisait une excellente botaniste
en chef pour le parc. C’était un poste en or, et elle était passionnée.
D’ailleurs, l’une des choses qu’elle préférait dans son travail était
justement d’organiser des visites du parc pour les enfants.
Ce matin-là, la promenade dans les jardins se déroulait en compagnie
d’écoliers très chanceux, venant de familles aisées et ayant fait le voyage
depuis Convent and Stuart Hall à San Francisco. Rachel essayait de divertir
et d’éduquer ces enfants sur le milieu naturel qui les entourait.
S’il s’agissait bien évidemment pour elle de leur présenter un exposé
sur ce qu’ils observaient – des jardins d’orchidées ; des bambous à haute
tige, des cocotiers, des jacquiers, des plantes comestibles comme l’arbre à
pain, le kukui et l’ananas rouge ; des chutes d’eau de trente mètres de haut ;
des hibiscus à foison –, elle devait aussi prendre en compte la curiosité des
enfants à l’égard des deux volcans les plus proches, sur les cinq que compte
la Grande Île : le Mauna Loa, le plus grand volcan actif du monde, et le
Mauna Kea, qui n’était pas entré en éruption depuis plus de quatre mille
ans.
Ces jeunes citadins considéraient manifestement les pics jumeaux
comme le point culminant de leur visite, le plus beau spectacle dans ce pays
de cartes postales qu’était Hawaï. Quel gamin ne donnerait pas tout pour
voir le Mauna Loa entrer en éruption et cracher un torrent de lave à plus de
mille degrés ?
Rachel expliquait que le sol volcanique de Hawaï était l’une des raisons
de la beauté du milieu naturel de l’île ; à l’instar d’une présentation
PowerPoint animée, elle embrassa d’un large geste le paysage autour d’eux,
pour leur montrer les bienfaits résultant des éruptions passées qui avaient
permis à Hawaï de cultiver des fèves produisant un café aussi délicieux que
n’importe quel autre café dans le monde.
« Mais les volcans ne vont pas exploser aujourd’hui, si ? demanda une
petite fille, ses grands yeux bruns rivés sur les pics jumeaux.
— S’ils en ont seulement l’idée, nous construirons un dôme au-dessus,
comme pour les nouveaux stades de football. On verra bien ce qu’ils en
penseront la prochaine fois qu’ils essaieront de se défouler. »
Pas de réponse. Rien que des grillons. Des grillons champêtres du
Pacifique, pour être exact. Rachel sourit ; elle ne pouvait s’en empêcher,
parfois.
« Quelle sorte de café pousse ici ? demanda un autre enfant du genre
bon élève.
— Starbucks », répondit Rachel.
Cette fois, il y eut des rires. Bien joué, pensa Rachel. Je la resservirai
celle-là, elle est bonne.
Mais tous les enfants ne riaient pas.
« Madame Sherrill, pourquoi est-ce que cet arbre est en train de
noircir ? » demanda un garçon curieux dont les lunettes à monture
métallique glissaient sur son nez.
Christopher s’était éloigné du groupe et se tenait devant des banians, à
une trentaine de mètres de l’autre côté de la pelouse.
Dans l’instant qui suivit, ils entendirent tous ce qui ressemblait à un
gros coup de tonnerre lointain. Rachel se demanda, comme tous les
nouveaux arrivants à Hawaï le faisaient systématiquement : Est-ce qu’un
gros orage est sur le point d’éclater ou bien est-ce le début d’une éruption ?
Alors que la plupart des élèves levaient les yeux vers le ciel, elle se
précipita vers le garçon studieux à lunettes qui observait les banians d’un
air inquiet.
« Bon, Christopher, dit Rachel quand elle arriva près de lui, tu sais que
j’ai promis de répondre à chacune de tes questions… »
Le reste de sa phrase resta coincé dans sa gorge. Elle vit ce que
Christopher voyait, et elle n’en croyait pas ses yeux.
Ce n’était pas seulement que les trois banians les plus proches étaient
devenus noirs. Rachel voyait une épaisse tache aussi sombre que de l’encre
se répandre comme une marée noire, une tache terrifiante, qui grimpait le
long des arbres. On aurait dit une sorte de coulée de lave inversée provenant
de l’un des volcans, mais la lave défiait la gravité et remettait en question
tout ce que Rachel Sherrill savait sur les maladies touchant les plantes et les
arbres.
Peut-être n’était-elle pas la plus intelligente de sa classe après tout.
2.
« Dennis ! » Debout sur la plage, John MacGregor dut crier pour que le
surfeur l’entende par-dessus le bruit des vagues. « Et ne joue pas au kūkae
avec moi, s’il te plaît. »
Les ados que John MacGregor entraînait l’avaient tous déjà entendu
utiliser cette expression, et ils savaient très bien qu’il ne s’agissait pas d’un
compliment. Kūkae signifiait dingue, cinglé, en hawaïen, et lorsque John
MacGregor utilisait ce mot, c’était pour signifier que quelqu’un dans l’eau
se comportait comme s’il n’était jamais monté sur une planche de surf. Ou
qu’il était sur le point de se retrouver dessous.
Mac avait trente-six ans et était un surfeur accompli, ou du moins il
l’avait été quand il était plus jeune, avant que ses genoux ne se mettent à
jouer des castagnettes chaque fois qu’il s’accroupissait sur sa planche.
Désormais, il canalisait sa passion pour ce sport en s’occupant de ces jeunes
difficiles de quatorze, quinze et seize ans, originaires de Hilo, et dont la
moitié avait déjà abandonné l’école.
Quatre après-midi par semaine, ils venaient sur cette plage située à deux
kilomètres du centre-ville de Hilo et, pendant quelques heures, ils se
fondaient dans ce que les habitants de l’île appelaient le Hawaï de carte
postale, celui des émissions télévisées, des films et des brochures de la
chambre de commerce.
« Qu’est-ce que j’ai fait de mal, Mac Man ? demanda Dennis, un jeune
de quatorze ans, en sortant de l’eau.
— Eh bien, pour commencer, ce n’était pas ta vague, c’était celle de
Mele », répondit Mac.
Tous deux se tenaient à l’extrémité de la plage de récifs découverts.
Honoli’i avait la réputation d’être une bonne plage pour les surfeurs locaux,
notamment parce que les forts courants éloignaient les nageurs et que les
jeunes avaient donc la plage pour eux tout seuls.
Le dernier à rester sur l’eau fut Lono.
Lono Akani, qui avait grandi sans père et dont la mère était femme de
ménage à l’hôtel Hilo Hawaiian, avait seize ans et était le chouchou de
Mac. Il avait un talent inné pour le surf que Mac aurait aimé avoir à son
âge.
Il observait Lono, qui s’était accroupi sur l’un des Thurso Surf Lancers
que Mac avait achetés pour chacun d’eux. Même de là où il était, Mac le
voyait sourire. Il était certain qu’un jour ce garçon se méfierait de l’océan.
Ou que l’océan se méfierait de lui. Mais ce n’était pas le cas ce jour-là,
alors qu’il glissait parfaitement le long de la courbe intérieure de la vague.
Lono pagaya jusqu’au rivage et, la planche sous le bras, il vint retrouver
Mac qui l’attendait sur la plage, et lui dit : « Merci.
— Pourquoi ?
— De m’avoir rappelé qu’il faut toujours laisser venir les vagues,
répondit le garçon. C’est pour ça que j’ai été patient, ouais, comme tu m’as
dit, et que j’ai attendu la vague que je voulais. »
Mac lui tapota l’épaule. « Keiki maika‘i. »
C’est bien, mon garçon.
Au même moment, ils entendirent le ciel gronder. Non seulement ils
l’entendirent, mais ils sentirent aussi la plage trembler sous eux, les faisant
tous deux chanceler.
Le garçon ne savait pas s’il devait regarder en haut ou en bas. Mais
John MacGregor avait compris ce qu’il s’était passé – il savait reconnaître
une secousse volcanique, souvent associée à un dégazage du magma. Il
tourna son regard vers le ciel au-dessus de la Grande Île. Tous les jeunes
firent de même. Mac se souvint alors de ce que l’un de ses professeurs avait
dit à propos des volcans et de « la beauté du danger ».
Une fois la terre calmée, le téléphone dans sa poche bourdonna. Il
répondit et entendit la voix de Jenny Kimura : « Mac, Dieu merci, tu as
décroché. »
Jenny savait que lorsqu’il entraînait ses jeunes surfeurs, Mac n’aimait
pas qu’on le dérange avec des sujets sans importance liés au travail. La
conférence de presse ne commençait que dans une heure, alors si Jenny
l’appelait, ça devait être important.
« Jenny, que se passe-t-il ?
— On a affaire à un dégazage », dit-elle.
Non, ce n’était absolument pas sans importance.
« Hō‘o‘opa‘o‘opa », s’exclama-t-il en jurant comme les jeunes
surfeurs.
Chapitre 2
John MacGregor savait qui il était et quels étaient ses points forts.
Parler en public n’en faisait pas partie. Il se racla la gorge et tapota
nerveusement le micro.
« Bonjour à tous, je suis John MacGregor, scientifique responsable de
l’Observatoire volcanologique de Hawaï. Merci d’être venus aujourd’hui. »
Il se tourna vers la carte. « Comme vous le savez, cet observatoire
surveille six volcans : le volcan sous-marin Kama‘ehuakanaloa,
anciennement Lō‘ihi ; Haleakalā, sur Maui ; plus quatre sur la Grande Île de
Hawaï, dont les deux volcans actifs, le Kīlauea, un volcan relativement petit
qui a été continuellement actif pendant plus de quarante ans, et le Mauna
Loa, le plus grand volcan du monde, qui est entré en éruption en 2022, mais
dont l’éruption la plus importante date déjà de 1984. »
Sur la carte, le Kīlauea était un petit cratère à proximité du bâtiment du
laboratoire. Le Mauna Loa ressemblait à un immense dôme dont les flancs
occupaient la moitié de l’île.
Mac prit une grande inspiration et souffla ; un souffle amplifié par le
micro.
« Aujourd’hui, déclara MacGregor, je vous annonce une éruption
imminente du Mauna Loa. »
Les lampes stroboscopiques des photographes étaient pareilles à des
éclairs. MacGregor cligna des paupières pour faire disparaître les taches
blanches devant ses yeux, se racla à nouveau la gorge et poursuivit. Les
lumières des caméras de télévision lui semblèrent tout à coup plus
brillantes, mais ce n’était probablement que le fruit de son imagination.
« Nous prévoyons une éruption assez importante, dit-il. Et nous
pensons qu’elle se produira dans les deux prochaines semaines, peut-être
même beaucoup plus tôt. »
Il leva la main pour calmer le brouhaha soudain qui s’élevait de
l’auditoire et se tourna vers Jenny à sa gauche, qui affichait les données
sismiques sur un chevalet. L’image, qui représentait les épicentres de tous
les tremblements de terre survenus sur l’île au cours de l’année écoulée,
montrait des masses sombres autour du sommet du Mauna Loa.
« D’après les données que nous avons recueillies et analysées, cette
éruption se produira très probablement dans la caldeira sommitale,
poursuivit MacGregor. Ce qui signifie que la ville de Hilo ne devrait pas
être menacée. Et maintenant, si vous avez des questions, je serais ravi d’y
répondre. »
Les mains se levèrent. Mac n’avait participé qu’à très peu de grosses
conférences de presse, mais il connaissait les règles du jeu, et plus
particulièrement celle qui voulait que la parole soit donnée en premier aux
journaux et télévisions locaux.
Il désigna Marsha Keilani, la journaliste de KHON à Hilo. « Mac, vous
avez parlé d’une “éruption assez importante”. Quelle sera l’ampleur exacte
de cette éruption ? » Elle sourit. « Je pose cette question pour être en
mesure de répondre à mes amis.
— Nous nous attendons à ce qu’elle soit au moins aussi importante que
l’éruption de 1984, qui a produit un demi-milliard de mètres cubes de lave
et couvert plus de quarante et un kilomètres carrés en trois semaines,
précisa-t-il. Mais, en réalité, cette éruption pourrait être beaucoup plus
importante, peut-être aussi importante que celle de 1950. Pour l’instant,
nous n’en savons rien.
— Mais vous avez manifestement une idée de la date précise, sinon
nous ne serions pas là. Alors, s’agit-il vraiment de deux semaines ? Ou
moins ?
— Moins, peut-être. En effet. Nous avons passé au peigne fin toutes les
données, mais il n’y a toujours aucun moyen de prédire le moment exact
d’une éruption. » Il haussa les épaules. « Nous ne savons pas vraiment. »
Ce fut au tour de Keo Hokulani, du Honolulu Star-Advertiser, de poser
une question.
« Docteur MacGregor, n’êtes-vous pas en train de vous dérober en
restant évasif ? Vous disposez d’un équipement très sophistiqué. Vous
connaissez exactement quelle sera l’ampleur et le moment de l’éruption,
n’est-ce pas ? » Keo le savait parce qu’il avait visité l’OVH quelques mois
plus tôt. Il avait vu tous les derniers modèles d’ordinateurs et les projections
informatiques faites récemment et maîtrisait son sujet.
« Comme vous le savez, le Mauna Loa est l’un des volcans les plus
étudiés au monde. Nous avons des tiltmètres, des capteurs d’inclinaison, et
des sismomètres partout sur le volcan, des drones avec des caméras
thermiques, des données satellitaires dans trente-six fréquences, des radars
et des capteurs de lumière visible et infrarouge. » Il haussa les épaules et
sourit. « Cela dit, oui, je me dérobe. » Toute l’assemblée réagit en riant.
« Un volcan est un peu – vraiment – comme un animal sauvage. Il est
difficile et dangereux de prédire son comportement. »
Wendy Watanabe, journaliste pour l’une des chaînes de télévision de
Honolulu, leva la main.
« Lors de l’éruption de 1984, la lave s’est approchée très près de Hilo et
les habitants se sont sentis menacés. Êtes-vous en train de dire que cette
fois-ci il n’y a pas de danger pour Hilo ?
— C’est exact, déclara MacGregor. En 1984, la lave s’est approchée à
moins de six kilomètres de Hilo, mais les principales coulées de lave se sont
produites à l’est. Comme je l’ai dit, cette fois-ci, nous nous attendons à ce
que la majeure partie de la lave s’écoule loin de Hilo. » Il se retourna et
pointa la carte, ayant soudain l’impression d’être le monsieur météo du
journal régional. « Ce qui signifie que la lave s’écoulera le long du versant
nord vers le centre de l’île, le col entre le Mauna Loa et le Mauna Kea.
C’est une zone vaste et, heureusement, largement inhabitée. La réserve
scientifique du Mauna Kea possède plusieurs observatoires à quatre mille
mètres d’altitude, et l’armée gère un immense terrain d’entraînement à deux
mille mètres, mais c’est tout. Je tiens donc à le répéter. Les habitants de
Hilo ne seront pas menacés par cette éruption. »
Wendy Watanabe leva à nouveau la main. « À quel moment l’OVH
relèvera-t-il le niveau d’alerte volcanique ?
— Bien que le niveau d’activité de Mauna Loa soit élevé, il reste jaune,
c’est-à-dire, au stade de l’avertissement, répondit MacGregor. Nous restons
concentrés sur la zone du rift nord-est. »
Un journaliste qu’il ne reconnut pas, demanda : « Le Mauna Kea
entrera-t-il aussi en éruption ?
— Non. Le Mauna Kea est en sommeil. Il n’est pas entré en éruption
depuis environ quatre mille ans. Comme vous le savez, la Grande Île
compte cinq volcans, mais seuls deux d’entre eux sont actuellement actifs. »
Jake Rogers, couché sur le flanc et en grande souffrance, avait une vue
directe sur la lave et entendait le sifflement du gaz qui s’échappait des
fissures incandescentes. Il vit des éclaboussures de lave, semblables à de la
pâte à crêpes bouillonnante, projetées sur les côtés du cratère.
Jake ne pensait pas que sa jambe était cassée. Le caméraman – Glenn
quelque chose – était plus mal en point ; il gémissait sur le siège arrière,
marmonnant que son épaule était disloquée. Sous le coup de la douleur, il se
balançait d’avant en arrière, ce qui faisait osciller l’hélicoptère.
Jake l’engueula, lui demandant d’arrêter avant qu’il ne les tue tous les
deux, mais le type continuait à gémir et se balancer comme un bébé.
« Comment va le caméraman ? demanda Mac.
— Pau, Mac. » Foutu. « Il s’est déboîté l’épaule. Il se comporte
vraiment bizarrement. »
À l’arrière, le caméraman demanda : « À qui parlez-vous ?
— Il y a un gars qui descend pour venir nous chercher.
— Super ! » se réjouit le caméraman. Il se pencha pour regarder par le
hublot, déplaçant le centre de gravité de l’appareil qui glissa de nouveau
vers le lac de lave, projetant la tête de Jake contre la bulle de Plexiglas.
Le caméraman se mit à hurler.
Lorsque Mac et Jenny entrèrent dans la data room, Rick Ozaki n’hésita
pas à le serrer dans ses bras. En le lâchant, Mac souriait.
« Et dans pas longtemps, on emménage ensemble, c’est ça ? », dit-il.
Rick lui répondit par un sourire. « Va te faire foutre !
— Et moi qui pensais qu’on passait un bon moment.
— Écoute, dit Rick. Je vais être bref. »
MacGregor s’assit à côté de lui et fixa l’écran. Le moniteur montrait
une vue en coupe du Kīlauea et du Mauna Loa, générée par ordinateur, qui
tournait lentement en trois dimensions. Sous les volcans, les cheminées et
les chambres magmatiques étaient soulignées en gris pâle, grâce à des
centaines de capteurs positionnés de manière optimale.
« Donc, commença Rick, à partir des données sismiques et de celles
concernant la déformation du sol, on obtient notre schéma de la structure
interne du Mauna Loa, jusqu’à une quarantaine de kilomètres sous terre.
Comme tu le sais, on affine ce schéma depuis dix ans. »
Rick zooma pour agrandir l’image. Sous le Mauna Loa, les structures
magmatiques grises évoquèrent un arbre à MacGregor : un tronc central
cabossé, se dressant vers le haut avant de se diviser en branches épaisses,
puis, au niveau du sommet, de se déployer en une série de chambres
magmatiques horizontales semblables à des feuilles.
« Ce sont les emplacements du système de transport du magma à
l’intérieur du volcan, expliqua Rick. On disposait déjà de ces données il y a
dix ans. Ce qui est différent, aujourd’hui, c’est qu’on sait qu’elles sont
exactes. Voici la série complète des données sur six mois, et tu peux voir
comment les épicentres des tremblements de terre s’alignent sur les
cheminées volcaniques. » Des carrés noirs représentant les épicentres des
secousses sismiques ponctuaient les colonnes verticales de magma. « Tu
vois ?
— Je vois, répondit MacGregor. Mais je pense que…
— Laisse-moi finir de te dire ce que moi, je pense, l’interrompit Rick.
Ça, ce sont les données de gonflement du volcan, obtenues par le réseau
GPS.
— Oui, oui », soupira MacGregor. Il se surprit à regarder le tour de
taille de Rick. MacGregor était assez âgé pour se souvenir de l’époque où
être volcanologue signifiait être en grande forme physique. Pour les
membres de l’équipe de terrain, comme Tim Kapaana, marcher sur les
pentes des montagnes pour faire des observations, s’occuper des stations de
surveillance, sortir les collègues de situations dangereuses représentaient
des défis de tous les instants, tout se faisait sous le coup de l’adrénaline.
MacGregor n’entendait que des plaintes chaque fois qu’il ordonnait aux
analystes de systèmes d’exploitation et de données d’aller sur le terrain. Il
faisait chaud, marcher à travers les champs de lave était difficile, et la lave
tranchante coupait leurs bottes et faisait fondre les semelles en caoutchouc.
Pour le meilleur ou pour le pire, cette nouvelle génération de scientifiques
était fascinée par les ordinateurs, accros comme l’étaient les gosses avec
leur téléphone. Ils se contentaient de rester assis au labo et de manipuler des
données sur des écrans. MacGregor était convaincu que cet échange menait
à une sorte d’arrogance informatique. L’attitude de Rick Ozaki en était la
preuve, se disait-il.
« Mac… J’en ai discuté avec Kenny, et les autres, dit Rick.
— C’est de la provoc. »
Rick ignora la réaction de MacGregor et poursuivit. « Écoute, tout est
plus précis maintenant. Lorsque le vieux Thomas Jaggar a créé cet
observatoire en 1912, il avait l’habitude de prédire les éruptions à quelques
mois près. Plus tard, les scientifiques ont pu les prévoir à quelques jours
près. Aujourd’hui, on est en mesure de les prévoir à quelques heures près.
— J’en suis bien conscient.
— Et je suis conscient que tu l’es, dit Rick. Non seulement on a une
meilleure estimation du timing, mais on a aussi une bien meilleure idée de
l’endroit exact où une éruption se produira. Avant celle de 1984, on pouvait
dire au kilomètre carré près où elle se produirait, et tout le monde était sur
le terrain pour surveiller le jaillissement de la lave. L’éruption de 2022 a été
de faible ampleur, mais on en a aussi tiré des enseignements. Kenny et moi,
on pense pouvoir repérer les sites d’éruption de lave à dix mètres près.
— Continue, dit MacGregor en acquiesçant.
— On a beaucoup réfléchi, Mac. On a établi des prévisions et on est en
mesure de dire quand et où la lave va jaillir. Il est donc peut-être temps pour
le labo de passer à l’étape logique suivante.
— Laquelle ? »
Rick hésita, avant de dire : « Intervenir.
— Intervenir ?
— Oui. Intervenir dans l’éruption. La contrôler. »
MacGregor fronça les sourcils. « Rick, écoute, tu sais à quel point je
respecte ton opinion…
— Et tu sais à quel point on respecte la tienne, malgré toutes les claques
qu’on aime te mettre. »
Kenny s’approcha et ajouta : « On pense pouvoir placer des charges
explosives à des endroits spécifiques le long de la zone de rift et forer des
trous de ventilation pour faire dévier la lave.
— Vraiment ?
— Oui. »
MacGregor éclata de rire.
« C’est sérieux, Mac.
— Ventiler le volcan ?
— Pourquoi pas ? »
MacGregor ne répondit pas. Il se contenta de se retourner et
d’emprunter l’escalier menant à la terrasse d’observation, située au-dessus
du laboratoire principal. Rick et Kenny le suivirent.
« Sérieusement, Mac, dit Rick. Merde ! Pourquoi pas ? »
MacGregor fixait le vaste contour du Mauna Loa, une forme sombre
dans le ciel plombé par les nuages. Le volcan remplissait l’horizon. « Parce
que ça, dit-il en le montrant du doigt.
— Oui, je sais, il est énorme, dit Kenny, mais…
— Énorme ? Ce que l’on peut voir de cette bête au loin est énorme. Si
tu le mesures depuis sa base au fond de l’océan jusqu’au sommet, ce volcan
fait presque dix kilomètres de haut, plus de cinq kilomètres sous l’eau,
quatre et demi au-dessus. C’est de loin le plus gros élément géographique
de la planète. Et il produit des volumes exceptionnels de lave : un milliard
de mètres cubes au cours des trente dernières années. L’éruption de 1984
n’était pas si violente, mais la lave qu’elle a produite aurait suffi à ensevelir
tout Manhattan sous neuf mètres. Pour le Mauna Loa, ce serait à peine une
éructation. Sans parler de sa rapidité. En 2022, la production de lave se
situait entre quarante et quatre-vingts mètres cubes par seconde. Ce qui
représente assez de lave pour remplir un appartement de Manhattan par
seconde.
« Et vous parlez de creuser des trous de ventilation dans le flanc de ce
jobard ? Vous passez trop de temps devant vos écrans. Cette montagne n’est
pas une image satellite colorée artificiellement que l’on manipule avec
quelques clics de clavier. C’est une gigantesque force de la nature. »
Dans le noir, Kenny et Rick essayaient de rester patients tandis que Mac
leur faisait la leçon comme à des écoliers. « On comprend parfaitement tout
ça, Mac, dit Kenny. On est des grands garçons.
— Vous êtes sûrs de bien comprendre ? À quand remonte la dernière
fois où vous avez grimpé là-haut ? leur demanda MacGregor. Il faut quatre
ou cinq heures pour faire le tour de la caldeira. C’est une sacrément grosse
montagne, les gars.
— En fait, on a passé pas mal de temps là-haut ces derniers jours, dit
Rick. Et on pense…
— Ce à quoi on pense vraiment, ajouta Kenny en l’interrompant, ce
n’est pas le Mauna Loa, Mac. C’est ça. » Il montra du doigt le volcan,
l’océan et les lumières de Hilo. « La lave a menacé Hilo quatre fois au
cours du siècle dernier. Jaggar lui-même a essayé de la détourner, de
construire des barrages et de bombarder le volcan pour l’arrêter. Rien n’a
fonctionné.
— Non, répondit MacGregor. Mais la lave n’a jamais atteint Hilo non
plus.
— Les coulées de 1984 sont arrivées à moins de six kilomètres,
rétorqua Kenny. On sait pertinemment que tôt ou tard, elles atteindront
Hilo. Aujourd’hui, près de cinquante mille personnes vivent là-bas. Et la
population croît d’année en année. La question est donc la suivante : Mac,
la prochaine fois qu’une éruption menace Hilo, comment est-ce qu’on va
l’arrêter ? À quoi servent toutes nos connaissances si on n’est même pas
capables de protéger la grande ville la plus proche ?
— C’est vrai, surenchérit Rick. Il faut se rendre à l’évidence : un jour
viendra où on nous demandera de contrôler le flux de lave, et le seul moyen
réaliste de le faire est de percer des trous d’évacuation. En dirigeant le flux
de magma des chambres volcaniques profondes vers la surface – il marqua
une pause pour l’effet dramatique –, vers les endroits que nous, nous
choisirons. »
MacGregor soupira et secoua la tête. « Les gars…
— On pense qu’il faut au moins l’envisager, déclara Rick. Et l’endroit
idéal pour faire des tests est sur la zone de Saddle Road, où le fait qu’on
réussisse ou qu’on échoue importe peu. Il n’y a rien d’autre dans ce coin
que la base militaire, et ils s’en foutent. Ils font tout le temps exploser des
trucs là-haut.
— Et qu’avez-vous l’intention de faire exploser pour ventiler le
volcan ? demanda MacGregor.
— Pas grand-chose. On pense qu’une séquence d’explosions
relativement petites pourrait mobiliser des zones de rift préexistantes et
ouvrir un évent…
— Des zones de rift préexistantes ? Non. Je suis désolé, je vois que
vous y avez beaucoup réfléchi, mais c’est du grand n’importe quoi.
— Peut-être pas, Mac. En fait, le ministère de la Défense a fait une
étude de faisabilité sur ce sujet dans les années 1970 et a conclu que ce
serait possible dans le futur, dit Kenny. Il s’agissait d’un projet de la
DARPA, mené avec les ingénieurs de l’armée. On a trouvé une copie du
rapport dans les dossiers. Tu aimerais peut-être le voir… »
MacGregor secoua la tête. « Pas vraiment.
— Eh bien, le voilà en tout cas, Mac. » Kenny lui mit dans les mains un
vieux dossier bleu. Le mot VULCAIN était imprimé dessus en gros
caractères ; en dessous, en caractères plus petits, on avait tapé les mots
Agence pour les projets de recherche avancée en matière de défense.
MacGregor feuilleta rapidement les pages. Le papier avait jauni. Il vit des
graphiques en noir et blanc, des paragraphes dactylographiés. Très années
1970.
Mac secoua la tête. « Les gars, vous ne m’écoutez pas.
— C’est toi qui ne nous écoutes pas, dit Kenny. Prends au moins le
temps de le lire.
— D’accord. Quand j’aurai repris mon souffle. » Il referma le dossier.
Les deux autres le regardaient comme s’ils venaient de lui offrir une
occasion unique. Il eut l’impression, comme souvent avec les jeunes
scientifiques, d’être le père d’enfants en bas âge. « D’accord. Écoutez, leur
dit-il. Vous savez quoi ? Vous avez vingt-quatre heures pour pondre votre
propre étude de faisabilité.
— Tu es sérieux ? demanda Rick.
— Il faut croire que oui.
— Super ! s’exclama Kenny.
— Allez tous les deux sur le volcan, parcourez les zones de rift, tracez
l’itinéraire de ces zones de failles géantes qui s’étendent sous le plancher
océanique et envoient le magma à la surface. Ensuite, vous déciderez des
endroits où nous devrions placer des explosifs. Faites une carte détaillée et
un plan, et ensuite, on en reparle.
— On te prépare tout ça pour demain !
— Parfait. » MacGregor savait exactement comment ce petit exercice
allait se terminer. Une fois qu’ils auraient commencé à arpenter le champ de
lave, ils verraient l’ampleur du projet qu’ils proposaient. Bon sang, le
simple fait de parcourir la longueur de la zone du rift nord-est dans un sens
représentait une journée entière de marche. « Et maintenant, si vous êtes
d’accord, je vais rentrer chez moi pour me préparer un verre d’alcool bien
tassé », dit-il. Il regarda ses paumes de main. Elles étaient encore rouges,
encore chaudes, comme si le feu continuait à le brûler.
« Tu es sûr que ça va, Mac ? demande Kenny alors que Mac retraversait
la data room.
— Oui, ça va, répondit John MacGregor. Mais je ne vais pas vous
mentir, les gars. J’ai eu ma dose de rigolade pour la journée. »
Chapitre 15
« Il semble, dit Jenny, qu’ils parlent de placer des explosifs autour d’un
évent potentiel pour contrôler son comportement. »
Sous une autre forme, l’idée n’était pas entièrement nouvelle. Un plan
d’urgence de bombardements avait été élaboré avant l’éruption du Mauna
Loa en 1984, mais n’avait jamais été expérimenté. Comme la lave semble
impossible à arrêter une fois qu’elle a commencé à couler, on avait
beaucoup discuté de la possibilité de modifier les évents, c’est-à-dire les
ouvertures par lesquelles la lave apparaît sur les pentes. Certains
scientifiques avaient pensé qu’il était possible de les bombarder afin de
détourner la lave directement à leur embouchure.
Mais cette fois-ci, c’était différent. Le rapport faisait plutôt référence à
la technique utilisée en 1992 lors de l’éruption de l’Etna, en Italie, durant
laquelle des ingénieurs avaient utilisé huit tonnes d’explosifs afin d’élargir
un canal d’écoulement de la lave et de sauver un village qui se trouvait sur
sa trajectoire. Ce rapport suggérait qu’un évent pouvait être ouvert à
volonté et qu’il était possible de contrôler la direction de la coulée de
lave…
MacGregor feuilleta le rapport et découvrit des pages et des pages de
calculs détaillés – effets de la zone explosive, propagation de l’onde de
choc dans le basalte, taux d’expansion des cheminées cibles.
Il hocha la tête en signe d’admiration. « Ils ont vraiment creusé le sujet.
— On dirait bien », acquiesça Jenny. Elle tourna plusieurs pages avec
des cartes détaillées de la caldeira et des zones de rift où les emplacements
des explosifs avaient été marqués. Il y avait aussi des photos au sol des sites
choisis.
Les yeux de MacGregor s’arrêtèrent sur un paragraphe.
Les technologies actuelles (TK-17, TK-19, etc.)
permettant de creuser des tunnels rendent
possibles des percées (moins d’un mètre de
diamètre) au cœur d’un volcan jusqu’à une
profondeur de quatre kilomètres sous la surface,
voire plus si l’on ne rencontre pas d’effets
thermiques significatifs. En cas d’urgence, ces
carottes peuvent être forées en trente à
cinquante heures. L’effet des explosifs
appropriés a été étudié précédemment (cf. projet
Deep Star, projet Andiron). En outre, le succès
récent du minutage précis des détonations (PDT)
suggère que le phénomène de résonance et de choc
(RSP) amplifiera considérablement l’effet de
l’équipement explosif adéquat dans une carotte.
Mac passa une heure ou deux à faire des recherches sur les digues et le
refroidissement par l’eau de mer, en essayant d’arriver là où Rick et Kenny
voulaient qu’il aille dans ses conclusions. Étonnamment, l’argument le plus
convaincant avait été avancé par J.P. Brett, un milliardaire issu du monde de
la haute technologie, dans un long article d’opinion paru dans le Los
Angeles Times. Mac le savait, Brett était aussi obsédé par les volcans que
d’autres riches milliardaires étaient obsédés par l’idée de voyager dans
l’espace. Les fusées étaient des symboles phalliques pour les riches.
Mais Brett maîtrisait son sujet. Il évoquait notamment l’éruption de
l’Eldfell en 1973 dans l’archipel des Vestmannaeyjar, en Islande. Brett
mettait l’accent sur l’eau de mer pompée pour refroidir la lave et sur une
digue artificielle de vingt-cinq mètres de haut construite à l’extrémité de la
langue de lave. Une poignée de scientifiques pensaient que pomper de l’eau
de mer ralentirait considérablement la lave et l’empêcherait d’avancer
jusqu’à la ville, mais seulement si des pompes extrêmement puissantes
étaient utilisées et si l’équipement était sur place dans un délai d’une
semaine. L’équipement de pompage avait été livré, mais seulement deux
semaines plus tard. Quant à la digue, bien que la lave se soit d’abord
déplacée lentement, lorsqu’elle l’avait atteinte, le flux était deux fois plus
haut et l’avait facilement submergée. Après coup, les scientifiques avaient
conclu que même si l’équipement de pompage de l’eau de mer avait été
acheminé beaucoup plus tôt, il n’aurait pas permis d’arrêter la puissante
coulée de lave ni de sauver la ville.
Brett n’était pas d’accord. Il démentait cette conclusion et son ton était
véhément. Il faisait remarquer qu’aujourd’hui, un demi-siècle plus tard, des
amis à lui étaient en mesure de construire leurs propres fusées, et il était
donc certain que l’une de ses entreprises serait non seulement capable de
produire un équipement de pompage sophistiqué, et suffisamment puissant,
mais également de construire une digue qui survivrait à une attaque
nucléaire.
Mac resta longtemps assis dans le calme de sa tanière à relire l’article,
avant de l’imprimer. Il allait enfin pouvoir le boire ce verre bien tassé. « Eh
bien, merde alors ! dit-il en levant son verre comme pour porter un toast aux
gars du labo. Ils vont peut-être réussir à me convaincre. »
Mais il n’allait certainement pas leur faciliter la tâche.
Chapitre 16
L’agent Noir
Dans les années 1940, l’armée avait testé des produits chimiques pour
leurs propriétés défoliantes. Dans les années 1950, ces programmes étaient
devenus beaucoup plus sophistiqués et les produits chimiques beaucoup
plus puissants. C’est cette recherche qui a conduit à la dioxine, l’agent
Orange, à l’agent Blanc et aux autres défoliants utilisés au Viêt Nam.
« Le programme s’appelait le projet Hadès, reprit Briggs. Les travaux
ont été menés dans un ensemble de laboratoires situés dans le bâtiment A-
14 à Detrick. Dans l’un d’entre eux, ils ont découvert un produit chimique
exceptionnellement puissant qui tuait en un temps record toute une série de
plantes et d’arbres. Comme ce produit chimique donnait aux plantes une
couleur gris-noir charbonneuse, il a été baptisé “agent Noir” et il a été
décidé qu’il devrait être testé sur le terrain.
« À Detrick A-14, il y avait des plantes d’intérieur dans tous les labos.
En grande quantité. C’était l’équivalent des canaris dans les mines de
charbon. Bien que les tests de l’agent Noir aient été effectués dans des
bonbonnes fermées, les plantes d’intérieur autour du laboratoire ont
commencé à mourir.
— On se demande bien pourquoi, dit Mac.
— Le chef du laboratoire s’appelait Handler. Il avait dans son bureau,
qui se trouvait de l’autre côté du couloir du laboratoire principal, des
orchidées rares. Ces orchidées sont mortes elles aussi.
« Au début, tout le monde supposa qu’il s’agissait d’une contamination,
c’est-à-dire que, d’une manière ou d’une autre, les laborantins, au cours
d’une manipulation, avaient contaminé par accident d’autres plantes avec
de l’herbicide. Mais lorsqu’ils analysèrent les plantes mortes, ils ne
trouvèrent aucune trace d’herbicide. La raison pour laquelle elles étaient
mortes était un mystère.
« Dans d’autres laboratoires, d’autres plantes noircirent et moururent à
leur tour. Cette fois encore, aucune trace d’herbicide.
« Tout ça s’est passé en l’espace d’une semaine, poursuivit Briggs.
Personne dans ce bâtiment ne comprenait ce qui se passait. Ils ignoraient
même s’il était prudent de rentrer chez eux le soir car, tout autour d’eux, des
plantes mouraient sans raison apparente. Ils savaient que ce produit était
extrêmement dangereux, mais ils craignaient de le brûler car, à l’époque, il
n’existait pas d’incinérateur fermé capable de traiter de grandes quantités de
matières dangereuses. Ils savaient qu’ils ne pouvaient pas l’enterrer non
plus. Et ils ne pouvaient pas le laisser sur place. Ils ont donc décidé de
mélanger le produit avec des radio-isotopes. »
Briggs expliqua que cette approche présentait plusieurs avantages. Tout
d’abord, les scientifiques de Detrick commencèrent à soupçonner que
l’agent Noir n’était pas un simple herbicide chimique, qu’il contenait une
sorte de matière vivante, probablement une bactérie et que, dans ce cas-là,
les radiations la tueraient. Par ailleurs, la radioactivité permettrait au produit
d’être classifié parmi les produits dangereux. Enfin, si une partie du produit
s’échappait dans l’environnement, on pourrait le retracer grâce à cette
radioactivité.
En 1989, il devint possible d’amener un incinérateur portatif sur la
Grande Île et de brûler les bonbonnes. Ou, du moins, ce serait devenu
possible si elles n’avaient pas contenu un produit radioactif. Pour être
brûlées, elles devaient être renvoyées à Hanford, mais, cette même année, le
site de Hanford fut démantelé.
Il était déjà évident que les bonbonnes en verre commençaient à se
dégrader sous l’effet de la chaleur résiduelle produite par les matières
radioactives. Comme le projet d’enlèvement de ces contenants ne recevait
toujours pas de financement, l’armée décida, à titre de mesure temporaire,
de les placer dans des piscines d’eau réfrigérée. C’était une procédure
standard pour les matières hautement radioactives, mais celle-ci n’avait pas
été appliquée dans le Tunnel de glace, car personne ne s’attendait à ce que
ces bonbonnes y restent aussi longtemps.
Selon la législation, un appel d’offres fut donc lancé pour la
construction de cinq piscines en béton. Le projet fut vaguement qualifié
d’« installation de traitement des déchets dangereux ». L’organisation
française Greenpeace à Tahiti en eut vent et intenta un procès pour bloquer
la construction. Des brochures et des titres furent publiés sur le « paradis
toxique américain ». Hawaï laissa donc tomber ce projet et le contrat fut
rompu. Greenpeace cria victoire et s’en alla.
Mais les bonbonnes continuèrent à se dégrader.
Jusqu’à un accident en 2016.
La démonstration
Mac entra dans la data room à huit heures du matin. L’équipe était déjà
là. Rick Ozaki et Kenny Wong étaient réunis autour d’un moniteur. Pia
travaillait sur les caméras à distance avec Tim Kapaana, qui était sur le
terrain pour régler les paramètres. De là, il déploierait des drones équipés de
caméras thermiques pour repérer les zones où la lave remontait vers la
surface.
Jenny vint s’installer aux côtés de Mac. « Tu devrais peut-être contacter
Tako Takayama, dit-elle. Tu sais qu’il pique des crises quand il a
l’impression de ne pas être dans le coup.
— Plus tard », répondit Mac. Il baissa la voix et demanda : « Quand est-
ce que je pourrai obtenir les dernières images satellite ?
— Tu veux quoi ?
— Le visible et l’infrarouge feront l’affaire. »
Elle s’approcha d’un écran et tapa sur le clavier, ses doigts volant sur
les touches pour consulter les horaires de passage du satellite Terra mis en
orbite.
Mac regardait par-dessus son épaule. Le satellite Terra passait au-dessus
de la Grande Île une fois toutes les quarante-huit heures, et l’OVH pouvait
accéder à ses données MODIS.
« Le satellite est passé à deux heures quarante-trois ce matin, dit Jenny.
Les données n’ont probablement pas été téléchargées. » Elle continua à
taper.
« Combien de temps ça va prendre ? » s’impatienta Mac.
Elle lui lança un regard noir. « Cinq minutes, ça vous irait, Votre
Excellence ?
— J’ai été maladroit, on dirait ?
— C’est le moins qu’on puisse dire. »
Puis elle se pencha sur son écran, jeta de nouveau un regard à Mac et
sourit.
« En fait, on a de la chance, dit-elle. Les données sont déjà en ligne. Je
peux probablement te les transmettre d’ici une dizaine de minutes.
— Préviens-moi quand ce sera fait. Et merci, mon amie.
— Mon amie ? »
Il sourit. « Amie de cœur ?
— Dégage, beau parleur, et laisse-moi travailler. »
Mac alla retrouver Rick et Kenny. « OK, les garçons, dit-il en
s’asseyant à côté d’eux. Montrez-moi ce que vous avez. »
Kenny prit la parole. Il expliqua qu’il avait comparé son programme
avec toutes les données des cinq dernières éruptions du Mauna Loa, en
remontant jusqu’en 1949. Ils montrèrent à Mac comment leurs données
correspondaient à une représentation tridimensionnelle, en rotation, des
structures magmatiques sous le volcan. En outre, il y avait des éléments
concernant les moniteurs de gaz et le gonflement à trois axes avec GPS, des
images thermiques et des images satellites. Ces résultats lui furent présentés
rapidement, comme si les deux scientifiques n’avaient même pas besoin des
informations affichées sur leurs écrans, comme s’ils les avaient
mémorisées, un enchaînement dans leur raisonnement que Mac considérait
comme inhérent au talent qui était le leur dans leur domaine de compétence.
Ce monde qui était peut-être sur le point d’exploser.
Celui-là même.
« Ensuite, nous passons au résultat prédictif », dit Rick, et l’écran
afficha des données sur la probabilité, le volume, les différents lieux de
l’éruption, les liquides de refroidissement et les digues.
Et, enfin :
TEMPS RESTANT ESTIMÉ AVANT L’ÉRUPTION :
4 jours, plus ou moins 11 heures
Être le meilleur élève de surf de Mac n’était pas assez aux yeux de
Lono Akani. Il voulait être le meilleur stagiaire de l’OVH, le kāpena de
cette équipe-là aussi.
Le capitaine.
L’adolescent avait donc décidé de passer toute la journée à
l’observatoire en haut de la montagne. Sa mère l’avait déposé au lycée,
mais dès qu’elle était partie, il avait fait du stop pour se rendre là-bas.
En arrivant, il vit tous ces militaires. Que faisaient-ils là ? Il savait que
Mac n’était pas là parce que sa voiture n’était pas sur le parking. Il aperçut
Betty Kilima, la bibliothécaire, qui s’éloignait dans le couloir, et la suivit en
courant. Son poste de travail se trouvait à l’opposé du sien.
« C’est quoi, tous ces militaires ?
— J’ai entendu dire qu’ils nous aidaient à refaire les pistes à Jeep.
— Qu’est-ce qu’elles ont ? demanda Lono. Je n’ai jamais entendu Mac
se plaindre de ces pistes. » Il désigna les hommes en uniforme d’un
mouvement de tête. « On dirait une invasion.
— Il craint sans doute qu’elles soient en mauvais état et qu’on ne puisse
pas se déplacer assez rapidement pour faire des relevés pendant
l’éruption. »
Il n’y croyait pas. Son instinct lui disait que c’était faux. Trop de
militaires. Ce n’était pas qu’une histoire de pistes. Une sorte d’excitation,
de tension presque, semblait s’être emparée de l’observatoire. Il pouvait la
sentir dans l’air tout autour de lui.
« Prêt à te mettre au travail ? demanda Betty, puis, haussant les
sourcils : Pourquoi est-ce que tu n’es pas en cours ?
— J’ai eu la permission.
— Vraiment ? » dit-elle d’un air soupçonneux.
Il posa la main sur son cœur. « Ho‘ohiki wau – je le jure. »
Quand il venait, il passait en général une heure à l’aider à classer des
fichiers informatiques. Il s’agissait pour la plupart d’images satellite qui
devaient être cataloguées en fonction de l’heure d’acquisition et du spectre
couvert, avant d’être envoyées à l’université de Hawaï pour y être
archivées. C’était un travail fastidieux, mais Mac ne cessait de répéter que
le traitement des détails faisait partie du processus. C’était tout ce que Lono
avait eu besoin d’entendre, même si le processus en question était rasoir. La
parole de Mac avait force de loi.
L’interphone de Betty sonna. Lono était suffisamment proche pour
reconnaître la voix : Rick Ozaki, le sismologue. Il se trouvait dans la data
room.
« Betty ? On a besoin d’aide, dit Rick. Est-ce que tu peux me sortir les
données mag les plus récentes ? »
Lono comprit immédiatement de quoi il parlait. Rick voulait des images
en haute résolution, obtenues par magnétométrie, montrant
Moku‘āweoweo.
La caldeira sommitale.
« Bien sûr », répondit Betty. Elle tourna la tête et vit que Lono
l’observait. « Qu’est-ce qu’il te faut ? demanda-t-elle à Rick. Les GEM
Systems ? »
Lono savait que le magnétomètre GSM-19 à effet Overhauser de chez
GEM Systems fournissait des données de très grande qualité. Rick
réclamait souvent les données GEM en raison de leur excellente résolution.
« On s’en occupe. Lono est ici avec moi.
— C’est vrai ? Hé, Lono, qu’est-ce que tu fais là ? »
Le garçon sourit.
« Je sais que vous ne pouvez pas vous passer de moi.
— Eh bien, récupère les données en partant d’aujourd’hui et en
remontant dans le temps, dit Rick. Je cherche une image qui montre ces
zones sombres autour du sommet, tu vois de quoi je parle ?
— Les poches d’air ?
— C’est ça. L’équipe de terrain vient de parcourir la zone pour
cartographier de nouvelles poches. Trouve- moi les images des relevés
magnétiques au sol. »
Il voulait parler de celles provenant d’un magnétomètre qu’un
technicien transportait dans un sac à dos non magnétique, l’appareil étant
fixé à une perche deux mètres au-dessus du sol.
« La force magnétique totale au-dessus du réseau de tunnels de lave ?
demanda Lono.
— Vois ce que tu peux trouver. »
Lono se sentit soudain heureux d’être venu à l’observatoire ce jour-là,
même sans permission ; il avait une mission à accomplir, quelque chose
d’important à faire. Et il avait détecté l’urgence dans la voix de Rick.
Quelques minutes plus tard, alors qu’il explorait le disque dur, il
demanda à Betty :
« Est-ce que ça a un rapport avec les pistes ?
— Je n’en suis pas sûre. Peut-être qu’il travaille sur quelque chose
d’autre. »
Lono devinait qu’elle connaissait la réponse, mais qu’elle ne comptait
pas la lui donner. Il avait horreur d’être traité comme un enfant, mais, avec
elle, il avait l’habitude.
Lono ouvrit le fichier GEM et parcourut la base de données des images
stockées. L’équipe de terrain avait suivi des lignes quasi parallèles à la
perpendiculaire des emplacements supposés des parois des tunnels de lave.
Il cherchait en particulier un schéma magnétique commun où des valeurs de
champ magnétique plus faibles s’étendaient sur toute la longueur de chaque
tunnel.
L’interphone sonna ; c’était encore Rick.
« Tu es toujours là, Lono ?
— Oui, Rick.
— Tu as trouvé quelque chose ?
— Donne-moi encore quelques minutes.
— Tiens-moi au courant. » Rick raccrocha.
Lono se replongea dans le fichier. L’acquisition de données était
continue, mais les déviations autour des broussailles et d’autres obstacles
naturels étaient fréquentes. Il cherchait une image montrant une anomalie
magnétique incontestable.
Il en trouva cinq.
Il était en train de les passer en revue lorsque l’interphone bourdonna de
nouveau.
« Lono ? dit Rick. Je ne voudrais pas te bousculer, mais si tu n’as rien,
il faut que j’organise un survol pour faire l’acquisition aujourd’hui. »
Rick avait toute l’attention de Lono à présent. L’adolescent savait qu’un
survol aérien était coûteux. L’observatoire y avait recours de temps en
temps, mais seulement pour des raisons exceptionnelles.
Au bout d’un quart d’heure, Lono trouva l’image dont il avait besoin.
Dans des tons violets, jaunes et verts, elle représentait le cratère sommital et
la zone de rift nord qui s’incurvait vers la droite. Il zooma, la définition
s’altéra et l’image commença à devenir floue, mais il distingua les taches
sombres autour du sommet qui signalaient les cavités remplies d’air.
Il l’envoya à Rick et se laissa aller contre le dossier de sa chaise, sentant
la tension dans ses épaules.
L’interphone sonna de nouveau.
« Lono ?
— Oui, Rick.
— C’est tout ? Il n’y en a qu’une ?
— C’est ça. À moins que tu veuilles que je remonte plus loin que…
— Non, non, il faut qu’elle soit récente. »
Lono entendit des papiers qu’on remuait, d’autres voix dans la data
room. Rick dit à quelqu’un : « Pourquoi tu ne montres pas ça aux types de
l’armée ? Ce sont eux qui doivent placer ces foutus explosifs, après tout. »
Puis, il parla directement dans l’interphone :
« Hé, Lono ? Bon travail. »
Et il coupa la communication.
Ce sont eux qui doivent placer ces foutus explosifs. Avait-il bien
entendu ?
Lono voulait rouvrir le canal de l’interphone. Il savait qu’un interphone
était intégré au système informatique qui reliait tous les postes de travail de
l’observatoire. Il y avait aussi un système de reconnaissance vocale qui
convertissait la voix en texte. Il était vieux, obsolète et pas très performant.
Il ne servait pas beaucoup. Mais Lono savait qu’il existait.
Si seulement il se rappelait comment l’activer…
Il fouilla dans le disque dur. Et le trouva très vite. Une fenêtre s’ouvrit ;
il tapa son mot de passe.
Refusé.
Il jeta un coup d’œil à Betty. Elle était toujours plongée dans ses
papiers.
Lono tapa le nom et le mot de passe de Betty ; il le connaissait parce
qu’elle utilisait toujours le même. L’écran se modifia. Il lui demanda à qui il
devait se connecter. Il hésita, puis tapa JK, pour Jenny Kimura, imaginant
qu’elle devait être avec Mac et pas devant son ordinateur.
Il entendit des voix et cliqua immédiatement sur le bouton TEXTE. Son
ordinateur était silencieux. Pendant un moment, rien ne se passa, puis le
texte commença à défiler.
POURQUOI
AUTANT QUE CA
Mac avait fini par annuler son dîner avec Rebecca Cruz la veille au soir.
Il lui avait demandé de remettre ça à une autre fois et était retourné au
bureau, où, comme un étudiant à la fac, il avait passé une nuit blanche en
compagnie de Jenny, Rick Ozaki et Kenny Wong. Ils avaient quitté l’OVH
vers quatre heures du matin, et Mac avait fini par s’endormir vers cinq
heures.
Mais une heure plus tard, pour une raison quelconque, il était de
nouveau parfaitement réveillé. En sortant de la douche, il s’aperçut qu’il
avait manqué un appel de la Réserve militaire. Il s’apprêtait à rappeler
quand Jenny téléphona pour lui dire qu’elle serait chez lui dans un quart
d’heure. N’ayant pas réussi à le joindre, l’armée l’avait appelée, elle.
« Notre présence est requise, même si je n’ai pas eu l’impression qu’on
nous laissait vraiment le choix, expliqua Jenny. Le type a même utilisé
l’expression “sur-le-champ”.
— Où est-ce qu’on va ? demanda Mac.
— Dans le Tunnel de glace.
— Ils ont dit pourquoi ?
— L’homme qui appelait de la part du colonel Briggs a dit qu’il serait
plus facile de nous montrer que de nous expliquer, dit Jenny, avant
d’ajouter : Tu as réussi à dormir un peu ?
— Ain’t no slumber party, fredonna Mac. Got no time for catching z’s1.
— Encore une de tes vieilles chansons ?
— Tu traites Bon Jovi de vieux ?
— C’est vrai qu’il est mignon, dit-elle, mais il a l’âge de mon père
maintenant. »
Le trajet de chez Mac à la Réserve militaire était court. L’officier qui
avait appelé Jenny était le sergent qui avait conduit Mac et Briggs au
Tunnel de glace la veille, Matthew Iona. Il les rejoignit à la base, en treillis,
et tous enfilèrent ce que Mac considérait comme des combinaisons
spatiales, avant de monter dans la Jeep d’Iona.
« Vous voulez bien me dire ce qui se passe ? demanda Mac.
— Comme je l’ai dit au Dr Kimura, monsieur. Il est plus facile de vous
le montrer que de vous l’expliquer. »
Après cet échange, ils effectuèrent le trajet cahoteux jusqu’au sommet
de la montagne dans un silence tendu. Lorsqu’ils parvinrent à l’entrée de la
grotte, Mac demanda :
« Qui, dans la base, sait ce qu’il y a à l’intérieur ?
— Pas grand monde, dit Iona.
— Mais vous faites partie de ces gens. »
Le sergent haussa les épaules.
« Un coup de chance, je suppose. » Il regarda Mac. « Vous vous sentez
chanceux, docteur MacGregor ?
— Pas ces derniers temps. »
Ils étaient de retour à l’intérieur de la grotte, les faisceaux des lampes
torches qu’ils avaient emportées se croisaient dans la pénombre. Ils
avançaient lentement, presque comme s’ils traversaient un champ de mines,
le seul bruit dans le Tunnel de glace étant le craquement de la pierre de lave
sous leurs pieds et celui de leur respiration sous leurs masques de verre.
À un moment donné, Jenny trébucha et se rattrapa au bras d’Iona pour
ne pas tomber.
« Tout va bien, madame ? demanda-t-il.
— Au top, répondit-elle.
— On est presque arrivés », dit Iona.
Mac savait que les dimensions de la grotte n’avaient pas changé depuis
sa dernière visite ; elle n’avait pas rétréci. Il lui semblait pourtant que c’était
le cas. Lui qui avait passé sa carrière dans des espaces confinés tels que
celui-ci sans jamais souffrir de claustrophobie avait l’impression que les
parois se refermaient sur lui.
Ils avancèrent sur la passerelle métallique recouverte de mousse,
passant devant les énormes refroidisseurs d’air que Mac avait vus la fois
précédente. Enfin, ils atteignirent la grille, qu’Iona déverrouilla et ouvrit. Le
grincement soudain de cette porte dans le silence qui régnait autour d’eux
avait quelque chose de discordant. Mac vit Jenny faire un bond en arrière.
« J’ai l’impression d’être dans une maison hantée », dit-elle. Elle
regarda Iona. « Désolée, je ne réagis pas comme ça d’habitude.
— Inutile de vous excuser, madame. Nous sommes tous un peu à cran
ces jours-ci. Quand je me suis engagé, je ne savais pas que je signais pour
ça. »
Ils franchirent la grille et virent, de chaque côté, les bonbonnes alignées.
Mac n’arrivait pas à se défaire de l’impression qu’il avait, sous ses yeux,
autant de bombes nucléaires miniatures.
« Là », indiqua le sergent Matthew Iona en pointant le doigt sur la
droite.
Les parois semblèrent encore se rapprocher.
1. « C’est pas une soirée pyjama, j’ai pas le temps de dormir. » (N.d.T.)
Chapitre 33
Mac et Jenny plissèrent les yeux dans l’étrange lumière bleue qui
émanait des bonbonnes, comme pour essayer de ne pas voir ce que le
sergent Matthew Iona leur montrait : deux bonbonnes présentant des fêlures
nettes et bien définies, pareilles aux fissures d’un tremblement de terre, des
fêlures absentes lorsque Mac était venu dans la grotte avec le colonel
Briggs.
« Alors, voilà », dit Iona.
Mac avait l’impression de respirer plus bruyamment que jamais derrière
son masque ; il était surpris que la visière ne s’embue pas. Sa combinaison
semblait beaucoup plus lourde que lorsqu’il l’avait enfilée à la base.
Comme s’il portait soudain le poids du monde.
Il vit Iona se voûter comme s’il supportait le même fardeau, et Mac
savait que Jenny Kimura devait ressentir la même chose.
« C’est comme des bombes à retardement », fit-elle d’une voix qui
prenait une sonorité métallique derrière son masque. Elle fixait les
bonbonnes en écarquillant les yeux. « Qui attendent d’exploser depuis un
demi-siècle.
— Reste à espérer que la lave n’arrive pas jusqu’ici et que nous
réussissions à trouver un moyen sûr d’évacuer tout ça plus vite que ce que
le colonel Briggs dit être humainement possible. C’est probablement un
miracle qu’il nous faudrait.
— Dieu vous entende », dit Mac à voix basse.
Mac et Jenny avaient passé toute la nuit à écouter Rick et Kenny
exposer leurs nouvelles projections de façon extrêmement détaillée. Mac les
avait poussés dans leurs retranchements, comme à son habitude, cherchant à
battre en brèche leurs données, espérant leur donner tort. Mais,
progressivement – et douloureusement –, il était parvenu à la conclusion
qu’ils disaient vrai.
« Ces fêlures sont un véritable cauchemar pour nous, déclara Iona.
— Pour nous tous », renchérit Mac.
Le sol commença à trembler avec force, ce qui n’était pas censé se
produire entre ces murs. Les bonbonnes disposées juste devant eux
tremblèrent également, tout comme les parois.
Comme si elles allaient s’écrouler.
Chapitre 34
* * *
Mac alla se mettre devant la carte détaillée de la Grande Île projetée sur
l’écran derrière lui. La majeure partie de l’île était en vert foncé, à
l’exception du Mauna Loa et du Mauna Kea, qui étaient mis en relief par
des tons de vert beaucoup plus clairs. Divers points de repère étaient
disséminés un peu partout, jusqu’au Parc national des volcans de Hawaï, au
sud et à l’ouest de la ville de Hilo.
Ils ne perdirent pas de temps à parler d’autre chose que de faire
d’énormes trous dans le plus grand volcan actif de la planète.
« Je vais vous montrer où je pense que nous devrions concentrer notre
attaque, dit Mac.
— Le flanc nord-est », intervint Rebecca.
Mac et Jenny hochèrent la tête.
« La seule solution qui tienne la route pour nous, et par “nous”
j’entends l’OVH et Cruz Demolition, c’est de provoquer une éruption, ou
une série d’éruptions de ce côté de la montagne, expliqua Mac, en pointant
du doigt. J’ai étudié attentivement nos différentes cartes de courbes de
niveaux, et j’ai déterminé la voie de descente la plus abrupte, parce qu’il est
essentiel que nous détournions la lave à cet endroit.
— Mais si nous faisons cela, objecta Jenny, la lave ne va-t-elle pas
atteindre Hilo ?
— En s’engouffrant dans Kīlauea Avenue, dit Mac, si elle parvient
jusque-là.
— Ce qui ne se produira pas, dit Jenny.
— Comme certains d’entre vous le savent et comme les autres peuvent
le voir, reprit Mac, le Mauna Loa est un gigantesque volcan bouclier et ses
pentes sont pour la plupart assez douces.
Rebecca jeta un coup d’œil à son frère mais ne dit rien.
« Nous allons devoir créer des conduits, poursuivit Mac, dont nous
serons sûrs qu’ils résisteront, pour attirer le flux vers l’est. Une pente plus
douce, une plus grande distance de la ville. Des canaux, en fait. Une Venise
de lave.
— Mais que les canaux et les conduits tiennent ou non n’aura pas
d’importance sans un bombardement précis et stratégique, compléta
Rebecca Cruz. Si les charges sont exposées à une trop forte chaleur, elles
détoneront de façon prématurée.
— Et l’écoulement de la lave dans les canaux ne risque pas de
déclencher ces explosifs ? » demanda Jenny.
Une alarme silencieuse retentit alors dans la tête de Mac : il se rendit
compte qu’il l’avait ignorée. Et les regards qu’elle avait lancés à Rebecca
Cruz ne lui avaient pas échappé. Il se tourna alors vers elle.
« Jenny, je sais que tu as quelques idées sur la façon dont on devrait
procéder, dit-il.
— Si nous voulons réussir à détourner la lave, dit-elle avec
empressement, comme si elle avait attendu l’occasion d’intervenir, il faut
pour cela qu’elle circule suffisamment rapidement dans nos nouveaux
canaux pour ne pas se solidifier en refroidissant, obstruant ces mêmes
canaux. »
Jenny pointa sa télécommande vers l’écran, et des images Fodar encore
plus détaillées apparurent. La photogrammétrie permettait de convertir des
photos aériennes en cartes haute résolution indiquant les altitudes
spécifiques, les angles de pente et l’emplacement des différentes grottes sur
le Mauna Loa, le Mauna Kea, et même le Hualālai, au nord-ouest du Mauna
Loa, le troisième plus jeune des volcans de la Grande Île.
« En fin de compte, poursuivit Jenny, ce que nous essayons de réaliser
avec ces explosifs, c’est d’utiliser la gravité, mais aussi de créer la nôtre. »
Rebecca haussa les épaules.
« C’est ça, dit-elle. On va essayer de faire avec votre montagne ce
qu’on fait quand on dynamite un bâtiment.
— Et qu’est-ce que vous faites ? interrogea Jenny.
— On lui dit où on veut qu’il tombe, répondit Rebecca.
— Présenté comme ça, ça n’a pas l’air bien sorcier, dit Pia Wilson.
— Vous êtes sûre que le plan que Mac et vous avez mis au point va
fonctionner ? demanda Kenny Wong.
— À dire vrai, je suis morte de peur, répondit Rebecca. J’ai fait
beaucoup de choses dangereuses dans beaucoup d’endroits, mais je n’ai
jamais rien fait d’aussi dangereux de toute ma vie. »
Elle regarda brièvement Mac, puis le reste des personnes assises autour
de la table. Elle prit une grande inspiration et se força à sourire.
« Mais bon, comme tout le monde », dit-elle.
Chapitre 38
Oliver Cutler essaya d’emblée de tout ramener à lui, comme Mac l’avait
prévu.
« Avant d’expliquer pourquoi je pense que nous devons faire des trous
dans le flanc de notre volcan, commença Cutler, je dois vous dire, dans un
souci de transparence, que le plan que je m’apprête à exposer a été coécrit
par un ami commun à Leah et moi.
— Un ami qu’il a rencontré en ligne ? chuchota Rebecca à l’oreille de
Mac.
— Ai-je le droit de demander qui est cet ami ? s’enquit Rivers.
— J.P. Brett », répondit Cutler.
Et voilà, pensa Mac.
Rivers repoussa légèrement sa chaise et se tourna face à Oliver Cutler,
comme s’il projetait sur cette vedette du petit écran toute la force de sa
propre personnalité.
« Que je comprenne bien, dit Rivers, comme s’il était sincèrement
curieux de ce qu’il venait d’entendre, vous avez informé un riche m’as-tu-
vu tel que Brett de cette situation top secret et potentiellement mortelle ? Et
vous l’avez fait de votre propre initiative ?
— Leah et moi avons déjà collaboré avec lui dans des situations
dangereuses, se justifia Cutler, et il s’est avéré plus qu’utile et
extraordinairement généreux.
— Nous ne sommes pas dans l’une de vos émissions, dit Rivers.
— Je le sais, mon général, répondit Cutler. J’ai simplement supposé que
la situation exigeant l’implication de tout un chacun, l’armée accueillerait
favorablement le genre de soutien que M. Brett est capable et désireux de
fournir.
— Vous avez supposé, rétorqua Rivers. De la même manière que vous
avez supposé que vous pouviez prendre la liberté de contacter M. Brett. »
Cutler ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais Rivers leva la
main.
« Vous apprendrez très vite, ou peut-être venez-vous de l’apprendre,
poursuivit Rivers, qu’on ne fait pas de suppositions avec moi. On fait des
suggestions, que j’accepte ou que je rejette. » Le général croisa les bras sur
sa poitrine, sans déranger ses multiples décorations militaires. « Est-ce bien
clair ? »
Cutler hocha la tête.
« Encore une fois, mon général, j’ai juste supposé qu’un homme ayant
la fortune et la capacité de M. Brett à faire bouger les choses rapidement…
— Et ça recommence, encore des suppositions, dit Rivers en secouant
la tête d’un air navré. Continuez plutôt, s’il vous plaît. »
Tout le monde dans la pièce écouta attentivement Oliver Cutler
expliquer en détails comment il comptait perforer les flancs du volcan.
Et ce, depuis les airs.
« Vous envisagez des bombardements ciblés ? demanda Rivers.
— Oui, c’est bien cela, répondit Cutler, avant de pointer sur la carte les
endroits où il pensait que les bombes seraient les plus efficaces.
— Je dois admettre, dit Rivers, que vous avez beaucoup potassé votre
sujet en très peu de temps. »
Cutler sourit.
« Je ne voulais pas que vous pensiez que Leah et moi étions des
perdreaux de l’année arrivés en jet privé », dit-il.
Rivers ne se dérida pas, mais cela n’étonna pas Mac. Le chef de l’état-
major interarmées n’était pas un public facile.
« Nous pensons que c’est la meilleure façon de nous battre contre la
nature, continua Cutler, désignant la carte d’un grand geste. Nous croyons
fermement qu’avec le soutien aérien que l’armée et M. Brett peuvent
fournir, nous arriverons à neutraliser efficacement ce volcan, et à le faire
dans le temps imparti. »
Cutler s’adressa alors à Mac :
« Des commentaires, docteur MacGregor ?
— Je vais attendre que vous ayez terminé.
— J’en ai bientôt fini, dit Cutler. Évidemment, nous voulons larguer les
bombes près de l’endroit d’où jaillit la lave et, ce faisant, ouvrir des évents,
dans le but d’accélérer le tarissement de la lave. Après quoi, d’autres avions
viendront pulvériser de l’eau de mer sur l’ensemble de la zone, en synergie
avec les lances des camions-citernes au sol. Et tout cela sera soutenu par
des tankers dans la baie qui alimenteront les camions en eau de mer.
— Quels tankers ? interrogea Rivers.
— Les tankers de J.P. Brett, mon général.
— Vous êtes en train de me dire qu’ils sont déjà arrivés à Hilo ?
— Ils sont en route, répondit Cutler. La philosophie de J.P., quelle que
soit l’entreprise dans laquelle il est impliqué, est de prendre les devants.
— Il va falloir que j’en discute sérieusement avec lui, dit Rivers.
— Je lui expliquerai.
— Faites donc. Maintenant, concluez, s’il vous plaît. Je veux entendre
le plan du Dr MacGregor.
— Notre but ultime est de mener une guerre sur deux fronts, dans les
airs et au sol, expliqua Oliver Cutler, avant d’ajouter : Et cette guerre, nous
sommes là pour aider l’armée américaine à la gagner. »
Dois-je applaudir ? se demanda Mac.
Au lieu de cela, il leva la main.
« Je ne veux pas être celui qui fait des suppositions, dit Mac, mais j’ose
espérer que vous êtes conscient du risque de défaillance des moteurs
d’avion quand il y a des cendres et des gaz dans l’air.
— Nous sommes conscients du risque, naturellement. Mais des pilotes
expérimentés sauront quand et comment choisir leurs cibles. Et j’espère que
de votre côté, docteur MacGregor, vous êtes conscient qu’il faut évaluer la
balance bénéfices risques dans une opération aussi complexe que celle qui
s’annonce.
— Je le suis.
— Puis-je vous demander ce que vous pensez de mon plan ? demanda
Cutler.
— Pour tout vous dire, je le trouve très solide », répondit Mac.
Il lut la surprise sur le visage de Cutler. Il balaya la table du regard et vit
la même expression chez les membres de son équipe.
« Vous dites que vous le trouvez bon ? demanda Cutler.
— Je serais fou de penser le contraire, répondit Mac. Après tout, c’est
en grande partie le mien, Ollie. »
Chapitre 42
J.P. Brett était passé si près d’elle qu’elle aurait pu le toucher avant qu’il
ne fasse rire l’audience avec son « Et pourtant » et ne monte sur scène. Il
remplaça le général, stéréotype du haut gradé aux cheveux argentés, sur le
podium et, comme lui, fit de son mieux pour se couvrir.
Rivers et Brett ne mentaient pas, techniquement parlant, mais ils ne
disaient pas non plus la vérité. Rachel Sherrill en était convaincue.
Du moins, ne disaient-ils pas toute la vérité.
Excellent timing, ma fille, se dit Rachel. C’est la première fois que tu
retournes à Hilo depuis que tu as été virée du Jardin botanique, et, cette
fois, c’est bien plus qu’un bosquet de tes précieux banians qui risque de
partir en fumée.
Rachel sortit de la salle alors que Brett parlait encore. Elle avait besoin
de prendre l’air et de temps pour réfléchir, sachant que ce spectacle n’était
pas près de se terminer.
Cela faisait presque dix ans que son propre monde avait explosé. La
décision de la licencier, elle en était convaincue, n’avait pas été prise par ses
supérieurs au Jardin botanique. Elle n’avait reçu que des compliments et du
soutien de leur part dès l’instant où elle avait pris son poste.
Mais après ce qui s’était passé dans le bosquet de banians ce jour-là,
elle n’avait pas cessé de poser des questions sur les raisons qui avaient
poussé l’armée à réagir par une démonstration de force aussi effrayante. On
avait fini par lui faire savoir que les membres du conseil d’administration
du Jardin botanique « prenaient une autre direction » – l’équivalent en
entreprise d’un futur ex-petit ami qui vous dit : « Ce n’est pas toi, c’est
moi. »
Mais Rachel Sherrill, diplômée de Stanford et tout sauf naïve,
soupçonnait que le fait de « prendre une autre direction » n’était pas la
raison pour laquelle elle avait été licenciée. Et elle s’était toujours demandé
ce que Henry Takayama savait au juste sur ce qui s’était produit dans le
bosquet de banians ce jour-là.
Sa seule certitude, c’était que l’armée avait fait en sorte qu’on
n’entende jamais parler d’un phénomène qui avait réduit ses arbres en
cendres.
Comme c’est biblique, s’était-elle dit à l’époque. Tu es poussière et tu
redeviendras poussière. La poussière étant sa carrière.
Elle n’avait jamais pu en parler à Henry Takayama. Ted Murray lui
avait téléphoné juste avant son départ et lui avait dit : « Ils savent que je
suis ton ami et que je t’ai parlé. Mais tout ça, c’est fini, Rachel. Fini. Ne me
demande plus jamais rien sur le sujet, à moins que tu veuilles que je sois
viré à mon tour.
— Viré de l’armée américaine ? avait-elle demandé.
— Au plaisir de ne plus te revoir », avait dit Murray avant de
raccrocher.
Quelques mois plus tard, Rachel était de retour sur le continent, se
jurant de ne jamais revenir à Hawaï. Elle avait pris un poste d’adjointe au
Jardin botanique de Bellevue, dans l’État de Washington. S’était mariée,
avait divorcé. Elle avait déménagé à Portland, trouvé un emploi à l’Hoyt
Arboretum. Mais elle continuait à ressasser ses regrets et sa colère quant à
la façon dont son job de rêve à Hawaï s’était terminé.
Et elle se posait toujours des tas de questions sur ce qui s’était passé ce
jour-là à Hilo, toutes ces années auparavant, même si, à en croire les
archives publiques, il ne s’était en réalité absolument rien passé ce jour-là.
Mais un mois auparavant, elle avait pris une décision sur un coup de
tête. Elle avait annoncé à son patron à Hoyt qu’elle soldait tous ses congés,
puis avait réservé un vol pour Hawaï. Elle séjournerait dans l’hôtel le plus
proche du Jardin botanique.
Dès son arrivée à l’aéroport international de Hilo, la terre s’était mise à
trembler. Elle avait fait l’expérience de ces secousses quand elle vivait sur
l’île, cette fois pourtant, c’était différent. Les secousses étaient différentes,
plus puissantes et plus persistantes que tout ce dont elle se souvenait.
Mais elle n’était pas venue d’aussi loin pour faire demi-tour et retourner
sur le continent.
Elle se rendit au Jardin botanique et marcha jusqu’à l’endroit où
s’étaient trouvés les banians empoisonnés. Elle ne vit qu’une vaste étendue
de pelouse parfaitement entretenue – c’était comme si l’assaut de l’armée
n’avait jamais eu lieu.
Presque comme si les arbres n’avaient jamais été là.
Presque comme si je n’avais jamais été là.
Elle avait alors ressenti la secousse la plus puissante depuis son arrivée.
Elle avait failli être projetée à terre, et elle se demanda si venir à Hawaï
n’avait pas été une erreur encore plus colossale que ce qu’elle craignait.
De retour dans sa chambre d’hôtel cet après-midi-là, elle avait bu
quelques verres de vin pour calmer ses nerfs et s’était dit qu’elle repartirait
le lendemain, qu’elle avait vraiment été folle de revenir.
Puis elle avait vu l’annonce sur les réseaux sociaux de ce qui semblait
être une sorte de conférence de presse aux airs de réunion publique
convoquée en urgence. Rachel était suffisamment curieuse pour faire le
trajet jusqu’au stade Edith Kanaka‘ole. Elle était arrivée juste à temps pour
voir le chef d’état-major interarmées en personne s’approcher du micro. Le
Dr John MacGregor, qu’elle avait récemment vu à la télévision parler de la
prochaine éruption du Mauna Loa, était sur la scène avec lui, tout comme
les Cutler, ces deux divas habillées comme des héros de bandes dessinées.
Puis J.P. Brett avait fait son entrée, et c’est à ce moment-là qu’elle était
sortie prendre l’air.
Lorsqu’elle retourna à l’intérieur de l’auditorium, MacGregor parlait de
l’écoulement de la lave, de sa vitesse, de tranchées et de fosses. Mais
Rachel se surprit à se demander ce que le Dr John MacGregor ne leur disait
pas, son esprit envisageant soudain ce qui se passerait si une énorme coulée
de lave se combinait d’une façon ou d’une autre avec l’incident dont elle se
souvenait au Jardin botanique.
Rachel se demanda si le chef de l’état-major interarmées n’était pas
venu pour autre chose qu’une simple éruption.
À présent, elle n’était plus simplement en colère.
Rachel Sherrill avait peur.
Chapitre 46
Assis à une table contre le mur sous l’un des écrans de télévision, ils se
tenaient par la main et se comportaient comme s’ils étaient seuls au monde
dans le bar bondé.
Noa trouvait Leilana plus belle que jamais, si tant est que cela soit
possible. Lorsqu’il l’avait vue pour la première fois à l’Ohana Grill, il avait
pensé qu’elle était trop bien pour lui. Il en était persuadé. Pourtant, ils
étaient là.
« Tu es venu jusqu’ici en courant ? demanda-t-elle. On dirait que tu as
pris un coup de soleil sur la figure. » Elle toucha son visage avec ses doigts
frais. « Mon Dieu, Noa. Tu es brûlant. »
Il repensa à la base, à la décontamination qu’il n’avait pas effectuée,
aux bottes qu’il n’avait pas changées.
Il se persuada qu’il délirait. Ce qu’il ressentait, c’était la poussée
d’adrénaline qui l’avait amené ici, l’excitation d’être avec elle.
« Je serais venu en courant s’il avait fallu, dit-il. J’avais peur que tu ne
m’attendes pas. »
Elle lui demanda ce qui avait été si urgent. Il lui en dit autant qu’il le
pouvait, en présentant les choses comme une intrigue à la Mission
impossible.
Il sourit. Elle sourit. Ils avaient tous deux terminé leur première bière.
Noa avait déjà envie d’une deuxième, espérant que celle-ci le rafraîchirait.
« Est-ce que l’éruption va être aussi grave qu’on le dit ? questionna la
jeune femme. Le site du Star-Advertiser a choisi comme gros titre “La
Grande Éruption ?” avec un point d’interrogation à la fin. Est-ce que c’est
vrai ?
— Ne t’en fais pas. » Il prit leurs verres vides et se dirigea vers le bar.
« Je te protégerai. »
Il se sentait vraiment l’âme d’un Tom Cruise ce soir. Noa s’approcha du
bar, fit un signe au barman. Il remarqua que le dos de sa main était rouge
vif. La main qui n’avait pas été tamponnée.
Il la regardait fixement, comme hypnotisé par sa couleur, se demandant
s’il n’avait pas un sérieux problème, quand des hommes portant une
combinaison pareille à celle qu’il avait laissée sur le dessus d’une pile à la
base firent irruption par la porte.
Ils lui firent penser aux stormtroopers de Star Wars.
Et ils venaient droit sur lui.
« Sergent Noa Mahoe ? dit le commandant derrière son masque.
— Oui, dit Noa. Oui, monsieur. »
La sensation de brûlure n’avait jamais été aussi intense. Tous les
regards étaient braqués sur lui, y compris celui de Leilana, mais ce qu’il
ressentait était plus que de l’embarras, il était sûr de ça.
« Vous devez nous suivre, grogna l’homme. Maintenant. »
Un autre cria :
« Tous les autres, restez où vous êtes et n’essayez pas de partir. »
Le silence était tombé dans le bar bondé, mais pas pour longtemps.
« Va te faire foutre, Iron Man, lança un grand type debout au bar, un
autochtone en chemise à fleurs.
— Je vous déconseille de faire des histoires, monsieur, reprit le premier
stormtrooper.
— Tu sais ce que j’en fais de tes conseils ? » répliqua le grand gaillard.
Il essaya de bousculer deux des stormtroopers, mais ceux-ci le
repoussèrent violemment, en plein sur Noa. Il eut l’impression de s’être fait
renverser par une voiture.
Tous deux s’écroulèrent par terre.
Noa entendit des gens hurler tout autour de lui. Quelqu’un d’autre
tomba à terre. Il y eut d’autres cris ; Noa crut entendre d’autres hommes
passer la porte.
Il y eut une bagarre au-dessus de lui, puis quelqu’un tomba sur lui,
achevant de lui couper le souffle. Il se débattit pour se dégager des hommes
qui le plaquaient sur le sol couvert de sciure.
Alors qu’il se tortillait, il put voir la table où il était assis avec Leilana.
Elle n’était plus là.
La dernière pensée du sergent Noa Mahoe avant de perdre connaissance
fut qu’il avait l’impression d’être en train de brûler vif.
Chapitre 53
Toutes les pensées de Mac étaient tournées vers les bonbonnes en verre.
Il se demandait surtout comment l’armée pouvait faire tout ce qu’elle
était en train de faire, construire tout ce qu’elle était en train de construire
au Mauna Loa et au Mauna Kea, tout en étant incapable de trouver un
moyen d’évacuer les bonbonnes.
Il y pensa alors que son équipe et lui essayaient de mettre au point une
dernière série de procédés pour empêcher leur contenu de s’échapper dans
l’atmosphère si la lave les atteignait, mais ils étaient aussi impuissants à
parer cette éventualité que le reste de la planète finirait par l’être.
Une planète dont les habitants n’avaient aucune idée de ce qui était
peut-être sur le point de se produire sur une île au milieu de l’océan
Pacifique.
Tous les hommes, peu importe leur âge, grandissaient invariablement
dans la crainte qu’une attaque nucléaire ne détruise le monde. On y est,
pensait Mac à présent.
Il se rappelait vaguement avoir étudié au catéchisme les dix plaies
d’Égypte dans l’Ancien Testament, comment certaines d’entre elles avaient
détruit certains groupes et en avaient épargné d’autres.
Mais ce fléau-là n’épargnerait rien ni personne au bout du compte ; il
détruirait toute forme de vie sur la planète. Au début, il lui avait été
impossible de se faire à cette idée, de l’envisager de façon rationnelle.
Plus maintenant.
La fin. Mac avait le sentiment que le vrai Tunnel de glace était celui qui
se trouvait en lui ; connaître la gravité de la situation alors que l’horloge
égrenait son inexorable compte à rebours était comme une étreinte glacée
sur son cœur.
Ses fils… C’étaient eux qu’il portait dans son cœur.
Il était là à fixer une des photos sur son bureau, un cliché en noir et
blanc dans un petit cadre argenté de ses fils et de lui lors d’une partie de
pêche dans le Montana. Lorsqu’il leva les yeux, il fut surpris de voir Jenny
debout dans l’embrasure de la porte.
« Hé, tout va bien ?
— Pas vraiment, non. »
Elle fit le tour du bureau et regarda la photo qu’il tenait dans sa main.
« Je sais à quel point ils te manquent, Mac », dit Jenny.
Il reposa la photo encadrée, délicatement, comme si elle risquait de se
briser s’il ne faisait pas attention.
« Et si je ne les revoyais jamais ? demanda-t-il.
— Tu les reverras. »
Les mots qu’il prononça ensuite semblèrent jaillir de lui ; il ne pouvait
rien faire pour les contenir.
« Tu n’en sais rien ! Personne ne le sait ! »
Il était conscient du fait qu’il avait l’air furieux et que cela n’avait rien à
voir avec elle – sa meilleure amie, sa coéquipière et tout ce qu’elle
représentait pour lui et ce qu’elle ne serait peut-être jamais plus s’ils ne
parvenaient pas à tenir la lave à distance de la grotte.
Mais c’était Jenny. S’il était conscient de tout ça, elle l’était aussi.
« Désolé, dit-il.
— Tu sais que tu n’as pas à t’excuser auprès de moi.
— Oui. Oui, je sais. »
Elle s’assit sur le bord du bureau.
« Je ne vais pas y arriver », dit-il dans un murmure.
Elle lui sourit.
« Alors on est vraiment foutus », répondit-elle.
Il fut incapable de lui rendre son sourire.
« Il m’arrive de venir ici, de fermer la porte, de m’asseoir derrière ce
bureau et d’essayer de réfléchir à ce que j’ai pu laisser passer, dit-il. Et puis,
d’un coup, l’envie me prend de défoncer un de ces murs avec mon poing. »
Il baissa les yeux et vit ses poings serrés devant lui.
« Je n’ai pas signé pour ça ! » Il se moquait de savoir si les gens dans
le bureau d’à côté pouvait l’entendre.
« Aucun d’entre nous n’a signé pour ça, dit doucement Jenny. Et
pourtant, on est tous là. Mais tout ce que je te demande, c’est de ne laisser
personne d’autre te voir comme ça. Parce que ce n’est pas toi, et on le sait
parfaitement tous les deux.
— J’ai le droit de me sentir comme ça, Jenny, dit Mac. Et j’ai le droit de
te dire que là, tout de suite, j’ai le sentiment qu’il n’y a pas l’ombre d’une
chance qu’on réussisse notre coup. »
Elle passa derrière lui et tendit le bras pour ouvrir le tiroir du bas où elle
savait qu’il rangeait sa bouteille de Macallan et deux verres. Elle les
remplit, pour lui et pour elle.
Ils burent, et Jenny s’essuya ostensiblement la bouche d’un revers de
main.
« Maintenant, tu vas la fermer et te mettre au travail, parce que moi,
c’est ce que je vais faire », déclara Jenny. Arrivée à la porte, elle ajouta :
« C’est toi qui me dis toujours que si ces boulots étaient faciles, tout le
monde les ferait. »
Et elle quitta la pièce.
* * *
Mac travaillait sur son ordinateur portable pendant que les équipes de
construction déferlaient sur le Mauna Loa comme une armée
d’envahisseurs. Jenny entra, fit le tour de son bureau et posa la main sur son
épaule. Mac regarda d’abord la main avant de la regarder, elle, et vit qu’elle
lui souriait.
« Tout le monde ici fait ce qu’il peut, dit Mac. Y compris le général.
— Et on est peut-être tous sur le point de mourir, quoi qu’on fasse et
même si l’on est persuadés du bien-fondé de notre plan, dit Jenny.
— Tu commences à parler comme moi.
— Je peux dire ce que je pense parfois, tout comme toi. Et j’ai le droit
d’avoir peur. »
Mac savait à quel point Jenny était forte ; il la complimentait souvent à
ce sujet. Mais, là, on aurait dit qu’elle était sur le point d’éclater en
sanglots.
« Allez, dit-il, ne panique pas.
— Toi d’abord. »
Ils se regardèrent jusqu’à ce qu’elle esquisse un geste rapide de la main,
comme pour effacer une larme. Elle ouvrit la bouche pour dire quelque
chose, se ravisa, et le laissa assis là.
Il alla faire un tour sur ses réseaux sociaux et tomba sur un mème qui
montrait une coulée de lave traversant un salon dans lequel se tenait
J.P. Brett qui, tel Moïse face à la mer Rouge, stoppait la lave.
Il était sur le point d’appeler Brett pour lui demander s’il avait quelque
chose à voir avec ça quand Betty Kilima, qui avait abandonné ses fonctions
de bibliothécaire pour assister Mac, frappa rapidement à sa porte et passa la
tête à l’intérieur.
« Il y a deux personnes dans le hall qui veulent te parler, dit Betty.
— Dis-leur que je suis occupé.
— Ils disent qu’ils sont du New York Times. »
Il appela immédiatement Rivers pour lui demander ce qu’il devait faire.
« Ce que je ferais à votre place, répondit le général. Mentir. »
Chapitre 60
J.P. Brett et le général Mark Rivers se trouvaient dans une petite salle à
manger privée de la base militaire. En temps normal, Rivers prenait ses
repas au mess avec ses officiers. Mais pas ce jour-là.
C’était Brett qui avait sollicité cette rencontre, une façon pour lui de se
sentir en terrain connu, même s’il n’avait pas présenté la chose en ces
termes.
Il était ici pour un exercice de vente forcée.
Pour se vendre lui-même, avant tout.
« Je n’ai pas beaucoup de temps, lui dit Rivers avant même que Brett ne
se soit assis.
— Je comprends tout à fait. J’apprécie d’ailleurs que vous m’en
consacriez un peu. » Brett se dit : Personne ne simule mieux la sincérité que
moi.
Il était venu faire quelque chose qu’il considérait comme essentiel à la
tâche à accomplir : mettre des bâtons dans les roues du Dr John MacGregor.
J.P. Brett avait adopté plusieurs principes en construisant sa marque et
son empire. Mais il y en avait un auquel il s’accrochait plus férocement
qu’à tous les autres : être le dernier homme dans la pièce chaque fois que
c’était possible.
« Je suis heureux que vous n’ayez pas été rebuté par mon petit sketch,
dit Brett.
— Petit, ce n’est pas le terme que j’aurais choisi, monsieur Brett.
— J’ai du mal à ne pas voir les choses en grand, général. C’est dans ma
nature et ça l’a toujours été. Nous vivons dans le monde moderne, après
tout. Le monde de TikTok, disons, même si les Chinois ont détourné
l’application. La manière dont nous présentons les choses est primordiale.
À vrai dire, c’était comme un de ces bons vieux publireportages, et ça a
donné aux gens un petit avant-goût de notre puissance et même de notre
volonté.
— Eh bien, mission accomplie, comme qui dirait. Alors, pourquoi
sommes-nous ici ?
— Pour que je puisse vous dire sans détours que j’ai la conviction que
nous sommes les deux seules personnes à avoir la vision et les couilles
nécessaires pour mener à bien cette mission particulière et sauver cette île
d’une destruction imminente.
— Vous avez mon attention, sinon mon approbation.
— Nous devons supprimer les intermédiaires, général. Je ne vous
suggère pas de mettre MacGregor et mes chers amis, les Cutler, sur la
touche. Mais vous devez faire en sorte qu’à l’avenir vous et moi parlions
d’une seule voix.
— Et que voulez-vous que nous disions d’une même voix, si je puis me
permettre ?
— Que mon plan n’est pas seulement le plus abouti, mais aussi le seul
dont nous ayons besoin et le seul qui ait une chance de fonctionner, déclara
J.P. Brett. Et le seul qui puisse sauver cette île.
— Vous avez clairement exprimé vos sentiments à l’égard du
Dr MacGregor, dit Rivers. Mais j’avais l’impression que les Cutler et vous
formiez une équipe.
— C’est moi, l’équipe, répondit Brett avec un petit rire.
— Je dois dire que MacGregor m’a donné l’impression, en très peu de
temps, d’être à la fois intelligent et compétent, dit Rivers, même si l’esprit
d’équipe semble lui faire défaut.
— Comprenez-moi bien, il est intelligent et compétent. Mais en fin de
compte, c’est un homme conventionnel, qui fait les choses selon les règles.
Il n’y peut rien, c’est un scientifique. Les scientifiques ne prennent de
risques qu’en dernier recours. Je suis bien placé pour le savoir, j’ai eu
affaire à suffisamment d’entre eux. Mais le temps que lui et cette femme,
Cruz, finissent de placer leurs explosifs aux emplacements qu’ils estimeront
absolument parfaits, Hilo sera sous un foutu tsunami de lave. »
Brett se pencha en avant et baissa la voix, même s’ils n’étaient que tous
les deux dans la pièce. « Général, nous devons bombarder le flanc est du
Mauna Loa dès que ce sera faisable, faire sortir la lave dans ce qui sera,
j’imagine, un jaillissement biblique, puis l’arroser copieusement d’eau de
mer, comme si nous voulions la noyer avec l’océan.
— MacGregor pense que c’est imprudent, quand bien même une bombe
seulement raterait sa cible.
— MacGregor ne fait que se couvrir, général.
— De quelle manière ?
— De toutes les manières. Il cache des informations à l’armée et nous le
savons tous les deux. Vous devez lui donner l’ordre de communiquer toutes
ses données internes immédiatement. Toutes ses cartes, toutes ses images
sismiques des flancs sud et est du volcan. Mes drones sont en train de
photographier la zone pour en faire des rendus 3D ; mes processeurs
d’images interprètent les données. Mais cela ne suffit pas. MacGregor
étudie cette foutue montagne depuis bien plus longtemps que nous. Il a
étudié toutes ces montagnes et a été témoin d’éruptions majeures. Il fait de
la rétention d’informations parce que je représente une menace pour lui. Ce
qui est une raison plutôt minable, compte tenu des enjeux, ajouta Brett en
secouant la tête. Ça m’arrive très souvent.
— Quoi donc ?
— Que des gens se sentent menacés par moi, répondit Brett avec un
grand sourire. Demandez à mes ex-femmes.
— J’ai indiqué clairement que je n’avais pas besoin d’une guerre de
territoire, monsieur Brett. Surtout pas avec le territoire dont il est question
et les conséquences à envisager si nous nous plantons. Ce genre de
dissensions n’engendre pas seulement la méfiance. Cela engendre le
chaos. »
Brett frappa la table du plat de la main, faisant trembler leurs tasses.
« Le chaos, c’est ma spécialité ! s’exclama-t-il, ne cherchant plus à
parler à voix basse. Je suis le capitaine du chaos… C’est pour ça que je suis
ici, général Rivers. Moi, je ne cherche pas à protéger mes arrières. Je suis
prêt à monter au créneau à vos côtés. »
Brett marqua une pause.
« Tout ce que je vous demande, avec tout le respect que je vous dois,
c’est de me laisser faire. Je ne peux rien faire tant que John MacGregor me
barre la route et essaye constamment de vous convaincre que son plan est le
meilleur. Alors que ce n’est pas le cas, à moins que vous ne vouliez que la
lave frôle Hilo comme en 1984. Et si cela arrive, le monde entier assistera
au spectacle en temps réel et se demandera pourquoi l’armée américaine n’a
pas été capable de protéger une ville qu’elle venait de placer sous la loi
martiale. »
Ils se dévisagèrent, chacun attendant que l’autre cligne des yeux. Brett
avait le sentiment d’avoir manœuvré Rivers du mieux qu’il pouvait. Mais il
n’était toujours pas sûr que le général se rangerait à sa façon de voir les
choses. Le visage du militaire, comme d’habitude, ne trahissait rien.
« Ce que je vous demande, en réalité, c’est si vous voulez être celui qui
dira à MacGregor de se retirer ou si j’ai votre permission de gérer cela moi-
même, dit Brett.
— Il faut que j’y réfléchisse », dit Rivers. Son téléphone portable, posé
sur la table, sonna. Rivers vérifia l’identité de l’appelant mais ne répondit
pas.
« J’ai supposé que vous auriez besoin de temps. Mais comme vous le
savez, du temps, nous n’en avons pas beaucoup. »
Brett ne dit pas au général Mark Rivers qu’il était déjà en bonne voie
pour prendre les choses en main.
Sur plusieurs fronts.
Chapitre 61
Mac fit patienter un peu les journalistes du New York Times afin de
s’accorder quelques minutes dans son bureau.
Il était rarement seul ces derniers temps, et c’était dans la solitude qu’il
réfléchissait le mieux.
Linda, sa future ex-femme, lui avait dit un jour, au milieu d’une dispute,
que la solitude était son état naturel.
Mac avait étalé sur son bureau les nouveaux profils sismiques –
détaillant à la fois le volume et le mouvement du magma. Il y avait des
cartes des deux zones de rift de la caldeira sommitale du Mauna Loa,
s’étendant vers le sud-ouest et vers le nord-est. C’était là que se trouvaient
la plupart des fissures et des évents éruptifs du volcan. Théoriquement – et
historiquement –, la caldeira sommitale constituait une barrière
topographique qui protégeait le flanc sud-est de la montagne de
l’écoulement normal de la lave.
Tout cela était bien beau, mais la coulée à venir serait tout sauf normale.
Ce qui allait se produire quand leur monde exploserait dans les
quarante-huit prochaines heures n’avait rien de normal, Mac en était
conscient. Il s’assit et consulta les projections horaires de la coulée de lave
à laquelle ils pouvaient raisonnablement s’attendre cette fois-ci. Ses
recherches lui avaient appris qu’il y avait eu plus de cinq cents coulées de
lave au Mauna Loa depuis trente mille ans, toutes provenant du sommet,
des zones de rift, des bouches radiales. Toutes leurs estimations et
prévisions actuelles étaient basées sur les événements du passé.
Or aucun phénomène comparable ne s’était jamais produit, ici ou
ailleurs.
Il était certain qu’une quantité démentielle de lave allait arriver cette
fois-ci, une quantité telle qu’il serait peut-être finalement impossible de la
détourner en totalité, quel que soit le nombre de canaux creusés, de bombes
déclenchées et d’évents utilisés dans les prochaines quarante-huit heures.
Rebecca serait bientôt de retour à l’OVH après s’être rendue à
l’aéroport international de Hilo. Les avions-cargos militaires qui
transportaient les explosifs de Cruz Demolition étaient enfin arrivés ; elle et
son frère David avaient supervisé le chargement des caisses dans les
camions de l’armée qui les achemineraient vers la Réserve militaire. Si tout
se déroulait comme prévu, ils les mettraient en place d’ici la fin de l’après-
midi.
Les derniers tableaux et graphiques indiquaient que les évents qui
s’étaient avérés si utiles par le passé étaient en train d’être bouchés presque
heure après heure par les premiers grondements souterrains du volcan. Pas
tous. Mais trop, au goût de Mac.
Il se recula, posa ses pieds sur son bureau, inclina son fauteuil en arrière
et ferma les yeux. C’est à ce moment-là que Jenny et Rick déboulèrent dans
la pièce, tous deux visiblement très agités.
« Ils t’ont envoyé un message, à toi aussi ? demanda Jenny avec
emportement.
— Qui m’a envoyé un message ? demanda Mac.
— Ces fouines de Kenny et Pia, dit Rick.
— Je ne sais absolument pas de quoi vous parlez.
— Ils viennent de nous planter pour aller travailler pour J.P. Brett,
expliqua Jenny. Pour Brett et les Cutler. »
Sa poitrine se soulevait au rythme de sa respiration saccadée, son visage
était écarlate. Mac s’imagina que de la vapeur s’échappait d’elle. Jenny se
targuait de sa loyauté, et elle détestait la trahison presque autant qu’elle
détestait les politiciens.
« Je viens de vérifier leurs postes, dit-elle. Ils ont embarqué leur travail,
et leurs disques durs.
— Quelle part de leur travail ? demanda Mac.
— Je me suis mal exprimée, dit Jenny Kimura. Je ne parlais pas de leur
travail. Je voulais dire notre travail. Et ils ont tout emporté, Mac. »
Chapitre 62
Le sol sous ses pieds n’avait pas tremblé ce jour-là, bien que le magma
ait poursuivi son ascension régulière, obéissant à un calendrier connu de lui
seul. Au cours des dernières vingt-quatre heures, le magma, plus épais et
visqueux que jamais, avait été brièvement contrarié par les diverses
chambres obstruées qu’il rencontrait au-dessus de la zone de subduction.
Ce phénomène se produisait en même temps que la lave au-dessus
refluait sous la nappe phréatique, et que le mélange volatile d’eau et de
magma se transformait en vapeur et rongeait la zone du cratère.
Il restait moins de deux jours avant la date estimée pour l’éruption, et
Mac craignait de plus en plus qu’elle ne se produise plus tôt, avant que la
mise en place de leur dispositif soit suffisamment avancé. D’autres évents
près du sommet étaient en train d’être obstrués. Mac n’était pas sûr de leur
nombre.
Seule la déesse du volcan le savait.
Elle seule savait à cet instant précis à quelle vitesse le mélange toujours
plus combustible de vapeur, de gaz sous pression et de lave durcie s’élevait
dans le sein de la Terre, prête à montrer à tous qu’elle régnait sur la Grande
Île comme elle l’avait toujours fait.
Et l’horloge invisible de la bombe à retardement continuait son
décompte.
Mac tentait au mieux de se concentrer sur son travail, de détourner son
attention de la menace du volcan et des bonbonnes, d’envoyer chaque jour
des e-mails à ses fils, de continuer à assurer aux membres de son équipe
qu’à l’impossible nul n’était tenu dans le temps dont ils disposaient avant
l’éruption qui était susceptible de détruire l’île si la lave trouvait le poison
mortel enfermé à l’intérieur du Tunnel de glace et des bonbonnes et le
libérait dans l’atmosphère…
Mac s’arrêtait toujours là. S’appesantir sur les conséquences si leurs
plans venaient à échouer, la dévastation qui s’ensuivrait, ne le menait nulle
part, si ce n’est dans des endroits très sombres.
La semaine précédente, alors qu’il était au téléphone avec ses fils,
Charlie et Max, ce dernier lui avait demandé si tout allait bien se passer.
« Comme sur des roulettes », avait-il répondu.
À la naissance des garçons, il s’était promis de ne jamais leur mentir.
Maintenant, c’était presque aussi facile que de se mentir à soi-même.
Alors qu’il commençait à marcher vers tous ces hommes et femmes
portant des casques de chantier, ceux qui conduisaient les engins de
terrassement et ceux qui les dirigeaient, creusant des trous et déplaçant des
roches et de la terre, il sentit la première petite secousse, comme si on avait
tiré un tapis sous ses pieds, ce qui fit flageoler ses genoux et faillit lui faire
perdre l’équilibre.
Mais il ne tomba pas.
Un pied devant l’autre.
Quand il regarda devant lui, il vit que le chantier s’étendait sans
interruption entre lui et le ciel, et il se demanda si, avec tout ce bruit, cette
agitation, et ces fragments de montagne qu’on déplaçait, ils avaient senti la
terre bouger sous eux.
Car c’était bien ce qu’elle avait fait. Une fois de plus.
Le Dr John MacGregor avait cessé de s’inquiéter des tremblements de
terre. Il se persuada que cette dernière secousse n’avait rien d’extraordinaire
et ne ralentit le pas que le temps de coiffer son casque.
Puis il baissa la tête et continua à avancer.
Chapitre 63
Mac connaissait à présent les cartes des zones de lave aussi bien que
son adresse électronique, il savait que toutes les informations qu’il recevait,
presque en instantané, étaient dérivées des données empiriques et cartes
géologiques les plus fiables dont disposait son équipe.
Son équipe, amputée de Kenny et Pia, évidemment.
Il avait étudié la modélisation hydrologique des coulées de lave des
éruptions précédentes. Il était parfaitement conscient que la trajectoire
d’une coulée aussi immense serait en fin de compte définie à partir du point
haut du bassin versant, et suivrait aussi étroitement que possible la pente la
plus abrupte.
C’était du moins le scénario prévu.
Mais il savait que la déesse Pélé, dévoreuse de terre, avait ses propres
plans, avec ses zones de rift, ses cônes, ses remparts éparpillés, et ce qui
ressemblait à un million de fissures dans le sol et tout ce qui couvait en ce
moment même dans les canaux de lave invisibles.
Mac savait qu’au bout du compte, la zone couverte par la lave serait
fonction du volume du magma, de la vitesse à laquelle elle serait expulsée
du volcan – une donnée qu’il était impossible de connaître comme tous les
phénomènes auxquels ils étaient confrontés –, ainsi que ses différents
angles de descente, leur nombre et leur déclivité.
Il avait beau se répéter que le monde avait déjà survécu à des éruptions
volcaniques, il savait qu’il ne survivrait pas à celle-ci à cause du poison
contenu dans les bonbonnes stockées à l’intérieur du Tunnel de glace.
Cette fois-ci, l’homme et la nature allaient tous deux perdre…
Le sol trembla de nouveau. Mais cela le surprit moins que la voix forte
derrière lui :
« Vous avez dit que vous vouliez me parler, dit J.P. Brett. Alors parlons.
J’ai des choses à faire. »
Mac se tourna vers lui. Il ressentit une envie soudaine et pressante de
faire ravaler à coups de poing son sourire suffisant à ce riche et puissant
connard qui pensait que c’était une sorte de jeu, tout comme les Cutler, tous
plus préoccupés par les apparences que par la réalité de la situation.
Il avait envie de leur demander à quoi leur célébrité leur servirait quand
tout aurait disparu. Il avait envie de leur crier qu’ils étaient peut-être tous
sur le point de mourir.
Mais avant qu’il ait pu dire quoi que ce soit, une explosion se fit
entendre au sommet, à croire que le bombardement aérien avait déjà
commencé.
Une autre explosion suivit.
Puis une troisième.
Mac et Brett scrutèrent l’endroit d’où venaient les détonations et virent
des pierres s’élever dans le ciel comme si elles avaient été tirées de sous la
surface par un canon invisible. Puis une pluie de roche volcanique et de
cendres s’abattit sur eux.
Les engins s’arrêtèrent. On vit les casques de chantier de toutes les
équipes s’égailler dans toutes les directions, hommes et femmes courant se
mettre à l’abri, certains se glissant sous les godets métalliques des
bulldozers, d’autres s’entassant dans les cabines de chantier, tous cherchant
à s’abriter de la tempête soudaine.
Même à cette distance, Mac les entendait crier.
Une pierre grosse comme une boule de bowling frappa un homme en
plein dos, et Mac le vit s’écrouler et ne plus bouger.
Un autre dévalait la colline dans la direction de Mac et de Brett, comme
pour essayer de distancer la tempête, quand un fragment de basalte
déchiqueté frappa son casque et l’envoya voler, et l’homme s’écroula à son
tour.
Mac se retourna pour voir si Brett n’avait rien et le vit plonger sur le
siège avant de son Rivian R1T juste au moment où un rocher s’écrasait sur
son pare-brise.
Mac courut vers le haut de la montagne jusqu’au militaire qui gisait
face contre terre, immobile. Il le retourna et constata avec soulagement qu’il
respirait encore, même si du sang s’écoulait de la plaie sur le côté de son
visage.
L’instant d’après, Mac détecta l’odeur d’œuf pourri du dioxyde de
soufre tandis que les pierres continuaient de pleuvoir.
L’une d’elles heurta le casque de Mac, le faisant tomber et manquant de
l’assommer. Il se retourna dans la poussière, en essayant de se protéger, et
perçut un autre type de grondement au-dessus de lui. Il leva les yeux et
aperçut un drone de la taille d’un petit avion qui tournoyait de façon
incontrôlée et qui s’apprêtait à s’écraser sur lui.
Cela faisait des jours qu’il était obsédé par l’idée d’une fin imminente.
Elle était encore plus proche qu’il ne le pensait.
Chapitre 64
Il était déjà loin lorsque, quelques minutes plus tard, Mac et le général
Rivers traversèrent la scène en direction des microphones. Les militaires
s’étaient positionnés à divers endroits du cinéma.
« Désormais, commença Rivers, la plupart d’entre vous savent qui je
suis. Pour résumer, je suis le haole qui a fait de cette soirée une nécessité.
— Vous n’avez rien à faire ici ! lui lança alors une voix chargée de
colère.
— Il se trouve que c’est exactement ici qu’est ma place ce soir, répliqua
Rivers.
— Et pourquoi ça ? » hurla une femme depuis le milieu de la salle.
Mac prit alors le relai. « Parce que nous avons besoin de votre aide. »
Ce qui eut pour effet de réduire momentanément l’audience au silence ;
il avait toute leur attention.
« Parce que nous avons encore plus besoin de vous que l’inverse »,
ajouta-t-il.
Chapitre 68
* * *
1. Littéralement : « La fin du monde tel que nous le connaissons. » Chanson du groupe R.E.M.
(N.d.T.)
Chapitre 74
L’éruption avait déjà pris fin à leur arrivée, moins de cinq heures après
leur décollage de Hilo International – encore plus vite que J.P. Brett ne
l’avait promis, grâce au puissant jet-stream du Pacifique.
Alors qu’ils survolaient l’île Isabela, qui en comptant le Wolf
comportait six volcans boucliers, Jenny assista à un des couchers de soleil
les plus incroyables de son existence – d’un orange aussi vif qu’une cascade
de lave. Il flamboyait avec toujours autant de force lorsqu’ils entamèrent
leur descente.
« Ils ont donc fait exactement ce qu’ils avaient décidé de faire », fit-
elle. Tous deux regardaient la retransmission en direct de l’événement sur
l’ordinateur portable de Jenny.
« À savoir transformer en passoire le flanc du volcan, dit Rick.
— Moi ça m’évoque plutôt une césarienne géologique. Ils ont
simplement sorti le bébé avant terme. »
Ces quatre dernières semaines, sous les conseils de scientifiques
japonais que le gouvernement équatorien avait fait venir par avion, ils
avaient dépressurisé les chambres magmatiques en guidant des missiles
dans les entrailles du Wolf, jusqu’à dix kilomètres de profondeur. Le
dégazage passif qu’ils avaient mis en œuvre avait permis d’évacuer une
grande partie de la pression qui s’était accumulée avant l’éruption, dont ils
avaient déterminé la survenue presque à l’heure près. Avec pour résultat un
relâchement calculé, synchronisé, de la pression via les bouches créées par
les missiles à courte portée.
Le sommet du Wolf disparut, le pilote venant d’incliner le Peregrine en
direction de l’aéroport.
« En gros, fit Rick, on n’a donc plus grand-chose à faire ici.
— Pas exactement », répliqua Jenny.
Mac roula jusqu’à la Réserve militaire comme s’il fuyait la nuit ; après
avoir garé sa Jeep, il marcha jusqu’à l’endroit où Rivers l’attendait. Tout en
pensant au peu de temps qu’il leur restait – au fait que, si leurs projections
étaient correctes, la Grande Île risquait fort d’avoir beaucoup changé d’ici
au lendemain midi.
Le moment de vérité n’a jamais été aussi proche, songea Mac, qui
imaginait ce qui était en train de se passer à l’intérieur du Mauna Loa, avec
quelle vitesse et quelle puissance le magma s’élevait désormais vers le
sommet, œuvrant selon le seul calendrier qui importait au volcan – le sien.
Le magma qui se rapprochait de ce que Jenny avait insisté pour appeler
« le big bang ».
Jenny.
Après l’appel de Rivers, il avait commencé à composer le numéro de
Jenny, par réflexe.
Jenny, qui s’était montrée si courageuse.
Quand Mac eut enfin rejoint le général, à une centaine de mètres de
l’entrée du Tunnel de glace, il découvrit là encore plus de camions à plateau
chargés d’innombrables feuilles de titane. Davantage de lumières tout
autour d’eux. Plus d’hommes s’acharnant à préparer la défense de cette
forteresse et des bonbonnes qu’elle accueillait – certains déchargeant le
titane, d’autres mettant en place une nouvelle couche de protection.
Plus de bruit que jamais en ces lieux, se dit-il, plus d’urgence – pour
peu qu’une telle chose soit possible.
Pas d’uniforme pour Rivers, ce soir-là. Cette fois encore, uniquement
un casque et un treillis. Il semblait ravi de ressembler à un troufion, bien
que ce soit lui qui aboyait des ordres.
« Je tiens à vous le répéter : ces pertes me désolent au plus haut point »,
commença le militaire d’un ton sec.
Des pertes – le langage de la guerre. Mais c’est plus fort que lui. « Je
n’en doute pas un instant, mon général.
— Vous aviez raison, dit-il. C’étaient des gens courageux. » Avant
d’ajouter : « Une couche supplémentaire de titane ne peut pas faire de mal.
— Je suis d’accord, fit Mac. Et qui sait ? Ça pourrait fort bien faire la
différence, le moment venu. On devrait clairement tenter le coup. »
D’un geste de la main il désigna le Mauna Loa, alors même que
d’autres travailleurs, militaires et civils, apparaissaient au-dessus d’eux et
commençaient à décharger le titane.
« Une trentaine de kilomètres nous en séparent, poursuivit Mac. Si
notre déviation fonctionne, nous n’aurons pas besoin de protéger encore
plus la grotte. Mais dans le cas contraire ? » Il haussa les épaules. « Ne nous
restera plus qu’à espérer que ce que vous appelez notre mur d’enceinte nous
permette de gagner assez de temps pour laisser la lave s’éteindre d’elle-
même. »
C’est alors qu’ils entendirent des sons semblables à des coups de feu, en
provenance de l’endroit où la première digue était érigée, sur une autre
partie de la montagne.
Une minute plus tard un militaire arrivait en courant, avec un téléphone
qu’il agita devant Rivers.
« Il y a du grabuge, mon général, l’informa le jeune homme.
— Est-ce bien des coups de feu que je viens d’entendre ?
— Des tirs de sommation, mon général. À cause des manifestants.
— Qui manifestent contre quoi, bordel de merde ? hurla Rivers.
— Ne me demandez pas comment, mais ils ont découvert qu’on avait
exhumé un certain nombre de leurs sites funéraires. »
Rivers se tourna aussitôt vers Mac. « Il faut que j’aille m’occuper de
ça. »
Le géologue hocha la tête. « Vous êtes bien plus doué que moi en
matière de maintien de l’ordre. J’ai moi-même quelques trucs en cours, de
toute façon. »
Rivers dévala la pente jusqu’à sa Jeep, se mit au volant et démarra en
trombe.
Mac s’apprêtait lui-même à allumer le moteur de sa propre Jeep quand
il reçut un appel de Lono.
« Il faut absolument qu’on se voie, Mac Man, lui dit Lono.
— Où ça ?
— Retrouve-moi sur notre plage. »
Mac roula encore plus vite que d’habitude.
Chapitre 80
Ils n’avaient toujours pas retrouvé la jeune Kane, celle qui s’était
rendue à ce bar en compagnie du sergent Noa Mahoe la nuit de la fuite au
Tunnel de glace. Peut-être s’agissait-il d’ailleurs de sa petite amie.
Le général Mark Rivers ne voulait plus entendre la moindre excuse de
la part de Briggs. Ce n’était pas comme s’ils essayaient de retrouver une
personne disparue à New York, lui avait-il lancé.
« Ramenez-la-moi ! » rugit-il, avant de congédier Briggs d’un geste
agacé de la main.
Cette fille était un problème en suspens. Il détestait les problèmes en
suspens.
Le sergent Mahoe, cet abruti, était toujours en quarantaine. En
quarantaine, sous garde armée vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et
possiblement en train de se remettre de son exposition aux radiations –
quand bien même il ressemblait à la victime d’un bombardement au napalm
sur les photos que Rivers avait vues. Les médecins se refusaient à le
considérer comme définitivement tiré d’affaire ; ils se bornaient à dire qu’il
avait une chance de s’en sortir. Et voulaient en savoir plus sur la substance à
laquelle il avait été exposé.
Tout ce qui importait à Rivers, c’était que cet abruti de gamin en rut
était sorti malade de la base cette nuit-là, et sans permission.
Il lui fallait découvrir si la fille était contaminée, et qui d’autre elle
avait pu contaminer.
Bon sang, il détestait vraiment les problèmes en suspens.
Mark Rivers se frotta le front, si fort qu’il craignit de s’écorcher la
peau. Cette fille savait-elle au moins que Mahoe était souffrant ? Pouvait-
elle être un genre de porteuse saine, à qui le destin allait épargner de voir sa
propre peau se détacher en flocons noirs ?
Et si on survivait tous à l’éruption, songea-t-il, si on parvenait à
maîtriser la lave, et qu’au même moment une forme différente de Mort noire
commence à se répandre comme une épidémie d’un bout à l’autre de l’île à
cause d’un sergent sous mon commandement ?
Sur combien de fronts était-il censé mener cette guerre ?
Et si quelque chose d’aussi mortel progressait d’un bout à l’autre de la
Grande Île avant que la lave ne commence à déferler tel un raz de marée du
sommet de la montagne qui les obnubilait tous ?
Il avait désespérément besoin de dormir.
Ou d’une boisson forte.
Peut-être des deux.
Patton avait giflé des militaires sous son commandement pendant la
campagne de Sicile, et Rivers se dit qu’il n’avait peut-être pas eu tort. Lui-
même aurait bien envisagé de gifler le sergent Mahoe s’il n’avait craint
d’attraper ce dont le gosse était atteint, et de voir sa propre peau pourrir.
Son téléphone fixe se mit alors à sonner. Le militaire de service à la
réception l’informa que MacGregor, Rebecca Cruz, Brett et les Cutler
étaient arrivés.
Toutes les infos et données scientifiques à leur disposition indiquaient
que l’éruption allait se produire dans la journée, peut-être même avant la fin
de la matinée. Les secousses se succédaient de plus en plus vite, comme les
contractions d’une femme sur le point d’accoucher.
Une naissance, songea-t-il. Le commencement d’une vie.
Ou tout le contraire, potentiellement.
Rivers considéra le bloc-notes posé devant lui. Il avait inscrit dessus
deux mots hawaïens :
Ka hopena
La fin.
À présent, c’était son téléphone satellite qui sonnait. Rivers n’utilisait
plus son portable, désormais, uniquement celui-ci – comme tous les
militaires.
Briggs.
« Je crois qu’on a peut-être repéré la fille », l’informa le colonel James
Briggs – alors même que les murs de la base militaire se remettaient à
trembler, plus violemment que jamais.
Leilana Kane essayait de se fondre dans la foule qui se dirigeait vers les
quais du port de Hilo, tout le monde autour d’elle essayant de monter à bord
d’un des petits ferry-boats qui avaient commencé à évacuer des gens de l’île
l’après-midi précédent. Il s’agissait d’habitants de Hilo qui avaient choisi de
partir plutôt que de collaborer avec l’armée, la plupart ne sachant pas quand
ils allaient revenir ni à quoi ressemblerait la Grande Île à leur retour.
Certains résidents suffisamment aisés avaient affrété de petits avions
pour se rendre sur une autre île, souhaitant être n’importe où sauf sur la
Grande Île quand le Mauna Loa exploserait avec la force qu’on leur
annonçait depuis des jours – une force dont personne ici n’avait jamais été
témoin.
Leilana était en cavale depuis que les militaires avaient traîné Noa hors
du Hale Inu Sports Bar comme s’il était un genre de criminel ; elle-même
avait réussi à s’éclipser par la porte de service quelques instants à peine
avant que l’armée ne boucle l’établissement.
Elle avait renoncé à essayer de joindre Noa sur son téléphone, surtout
après que certaines de ses amies l’eurent informée que des militaires
passaient de nombreux coups de fil, en quête de quiconque l’aurait vue ou
aurait été en contact avec elle. Elle ne se servait plus de son propre portable,
de peur que l’armée ou la police ne puisse l’utiliser pour la localiser.
Après avoir quitté le bar, elle s’était rendue à la ferme de noix de
macadamia où ses grands-parents maternels l’avaient élevée après qu’un
cancer eut emporté sa propre mère. Des militaires s’étaient pointés le
lendemain matin dans ce lieu magnifique situé non loin de Saddle Road, à
proximité de la base militaire. Leilana avait donc repris la fuite, non sans
avoir au préalable demandé à ses grands-parents de dire aux militaires
qu’ils n’avaient aucune idée de l’endroit où elle pouvait se trouver.
La nuit précédente, elle avait dormi sur la plage. Elle avait l’habitude de
ne compter sur personne, ayant parfois l’impression de s’être élevée toute
seule, et n’avait jamais eu peur, pas à Hilo, de dormir sur le sable à la belle
étoile.
Peut-être lui serait-il possible de revenir après l’éruption, une fois l’île à
nouveau sûre, et de découvrir ce qui était arrivé à Noa. Dans l’immédiat,
néanmoins, la jeune femme voulait seulement être n’importe où sauf ici,
comme tous ceux qui attendaient avec elle.
Des militaires et des policiers s’étaient présentés chez ses amis, pour
leur dire qu’ils devaient la retrouver urgemment, qu’elle était en danger.
Mais en danger de quoi ?
Avant que Leilana n’ait cessé d’utiliser son téléphone pour éviter de se
faire localiser, une de ses collègues, Natalie Palakiko, lui avait demandé :
« Est-ce que tu as enfreint la loi, Lani ?
— Mon Dieu, bien sûr que non.
— Parce que j’ai l’impression que s’ils arrivent à te mettre la main
dessus, tu vas finir derrière les barreaux.
— Pour quel motif ?
— Je n’en sais rien. Mais avant de quitter ma maison, ils m’ont dit que
si tu me contactais et que moi je ne les contactais pas immédiatement, je
risquais moi aussi d’avoir des ennuis. »
Leilana se disait qu’elle réglerait tout ça plus tard. Dans l’immédiat,
alors que le sol continuait de trembler – arrachant de temps à autre des cris
aux gens qui progressaient lentement vers les quais –, elle avait simplement
besoin de partir. La jeune femme rabattit sur ses yeux sa casquette Hilo
Vulcans.
Lorsqu’elle sortit brièvement de la file pour voir la distance qui la
séparait encore de l’avant, elle entendit une voix crier : « Leilana Kane ! Toi
aussi tu te tires de ce morceau de roche ? »
Elle fit volte-face, pour découvrir là Sherry Hokula, une ancienne
camarade de lycée, occupée à agiter frénétiquement une main dans sa
direction.
« Leilana ! répéta-t-elle, plus fort encore. C’est toi, ma belle ? Par ici ! »
Quand la jeune femme se retourna, elle repéra deux militaires qui se
dirigeaient dans sa direction depuis le quai.
L’un d’eux était au téléphone.
Leilana se mit aussitôt à courir, pour échapper une fois encore à
l’armée – il lui fallait récupérer son scooter, garé dans le parking de Kuhio
Street. Lorsqu’elle jeta un coup d’œil par-dessus son épaule, elle vit que les
militaires aussi avaient commencé à brûler le pavé.
Elle n’avait qu’une idée en tête : retourner à la ferme de ses grands-
parents.
C’était le seul endroit où elle pouvait se rendre, sa seule cachette
possible.
Leilana ne savait même pas pourquoi elle était en cavale. Pourtant,
c’était bien le cas. Elle n’avait jamais couru aussi vite.
Le soleil se décida enfin à se lever – un moment magnifique de la
journée, à Hilo, un spectacle qu’elle adorait contempler depuis la plage.
Mais pas ce jour-là.
Les murs se refermaient sur elle avant même que le volcan ne s’y
emploie.
Leilana courait vite – elle avait fait du sprint au lycée de Hilo.
Elle passa au pas de course devant le garage, puis revint sur ses pas via
de petites ruelles. Il n’y avait plus aucun militaire en vue à son retour.
La jeune femme enfourcha son scooter, s’engagea dans la rue, puis
quitta la ville en veillant bien à ne pas aller trop vite. Elle roula jusqu’à se
retrouver à court d’essence, à environ huit cents mètres de la ferme.
Elle abandonna le scooter dans les broussailles, sur le bord d’une route
juste assez large pour accueillir la vielle camionnette branlante de son
grand-père.
Juste avant d’atteindre la ferme, néanmoins, la jeune femme
s’immobilisa.
Quelque chose n’allait pas.
Quelque chose n’allait vraiment pas.
Elle fixait le petit bouquet de macadamiers plantés sur le côté du
ranch – ils marquaient l’entrée du modeste verger qui appartenait à sa
famille depuis des générations.
Les arbres étaient devenus complètement noirs – à croire que quelqu’un
les avait trempés dans de l’encre.
Ou qu’un incendie les avait calcinés.
Elle voyait en outre de petits cercles noirs se succéder depuis les arbres
jusqu’à la porte d’entrée, comme si la pelouse avait été brûlée à intervalles
presque réguliers.
Leilana Kane avait l’impression de ne plus pouvoir respirer, comme si
une ombre s’était abattue sur le beau monde innocent de ses grands-parents.
Elle se rendit de l’autre côté de la maison, là où se trouvaient depuis
toujours la joie et la fierté de sa grand-mère : le jacaranda aux fleurs d’une
beauté presque insoutenable à cette période de l’année, celui que sa grand-
mère avait planté le jour de sa naissance – elle ne cessait de répéter que
celui-ci avait grandi avec sa petite-fille.
À présent, on aurait dit que quelqu’un y avait mis le feu ; ses dernières
feuilles étaient complètement noires, son tronc flétri. Si Leilana s’avisait
d’aller le toucher, se dit-elle, il se bornerait à se transformer en un tas de
cendres.
Mais l’idée de s’en approcher l’effrayait, sans parler de le toucher.
Elle continua à faire le tour de la maison, craignant désormais d’y
pénétrer, espérant que ses grands-parents se trouvaient n’importe où sauf
ici.
Le petit potager de sa grand-mère, à l’arrière, celui où elle cultivait ses
tomates adorées, semblait recouvert de suie ; il avait noirci, comme tout ce
qui se trouvait à l’extérieur de la maison.
Elle prit une grande inspiration, en se demandant quelles toxines elle
était peut-être en train d’inhaler, puis retourna à l’avant de la maisonnette.
Les fenêtres étaient ouvertes ; les rideaux ondulaient doucement,
comme à leur habitude par des matinées pareilles. Sa grand-mère
considérait qu’elle n’avait pas besoin de climatisation : la brise qui soufflait
de la baie était bien suffisante.
La porte d’entrée n’était pas verrouillée. Un classique, avec ses grands-
parents. D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, ils lui avaient dit que Kū-
kā‘ili-moku, le dieu de la protection, suffisait à assurer leur sécurité – ils
n’avaient donc besoin de rien d’autre.
« Kūkū ? » lança-t-elle tout en ouvrant la porte.
C’était le surnom qu’elle utilisait depuis son enfance pour désigner ses
deux grands-parents.
Elle entra dans la pièce – et un cri étranglé jaillit du plus profond de ses
entrailles.
Ses grands-parents gisaient morts sur le sol de leur minuscule salon,
leur peau couleur charbon. Comme s’ils avaient été brûlés vifs, alors qu’elle
ne voyait nulle part la moindre trace d’incendie.
Le bruit d’un véhicule en approche la fit alors sursauter. Peut-être était-
ce une Jeep. Ou un camion.
Elle voulait regarder par les fenêtres de l’entrée, voir de qui il pouvait
s’agir.
Sauf qu’elle ne pouvait s’arrêter de fixer ses grands-parents.
Ka hopena.
Chapitre 82
Comme figés sur place, Mac et Rebecca regardaient le feu jaillir dans le
ciel.
La lave fit bientôt son apparition, des vagues déferlantes qui semblaient
s’écouler dans toutes les directions – vers le nord-est, comme Mac s’y
attendait, mais aussi vers le sud.
Il avait assisté à d’innombrables éruptions volcaniques, parfois de très
près, aux quatre coins du monde. Il avait imaginé ce moment précis pour le
Mauna Loa, de manière obsessionnelle, s’était persuadé qu’il était prêt.
À tort.
« Les coulées sont plus importantes que ce à quoi nous nous
attendions », dit-il.
Il se rendit alors compte que Rebecca lui avait agrippé la main, presque
comme pour se stabiliser.
« Il faut que je me mette au boulot », fit-elle.
Quelques instants plus tard, Mac entendit – et sentit – derrière lui une
déflagration suffisamment puissante pour provoquer une commotion
cérébrale ; à croire que Rebecca avait déclenché un de ses explosifs juste à
côté du chalet.
Une fois qu’il se fut relevé, Mac découvrit l’énorme trou dans la
caldeira Moku‘āweoweo.
Il vit la fissure et la lave qui en jaillissait – un fin geyser qui se
déversait sur l’héliport de l’armée et fonçait en direction de la Summit
Cabin.
Le feu se ruait sur eux à présent.
Le sommet ne cessait de cracher des traînées orange, rouges et même
noires, non seulement dans le ciel, mais aussi le long des pentes du volcan.
Au cours de toutes les éruptions auxquelles il avait assisté, jamais il
n’avait vu une lave pareille.
Alors même qu’il se précipitait dans le chalet, Mac entendit le bruit
caractéristique des pales d’un hélicoptère. L’hélicoptère que l’armée avait
envoyé pour les récupérer était inutile désormais – il n’avait plus nulle part
où atterrir.
Chapitre 86
Tous les habitants de Hilo avaient été avertis : il fallait se mettre à l’abri
au plus vite. Malgré cela, les jeunes du Canoe Club avaient décidé de se
rendre à South Point, transportant leurs deux pirogues à balancier sur le
camion à plateau appartenant au père de Kimo Nakamura.
« Si c’est la fin du monde, fit Luke Takayama alors qu’ils déchargeaient
leurs OC4, je veux être sur l’eau quand ça arrivera. »
Les dix garçons – quatre pagayeurs et un barreur à bord de chaque
embarcation, Luke dans le premier, Manny Kapua dans l’autre – étaient
tombés d’accord, suivant comme toujours l’exemple de Luke.
Ce dernier savait qu’il allait avoir des ennuis avec son père, le chef de
la Protection civile de Hilo, si jamais celui-ci découvrait ce qu’ils faisaient.
Mais Luke l’avait à peine croisé ces derniers temps. Henry Takayama
passait ses journées – et la plupart de ses nuits – à son bureau, dans l’attente
de l’éruption du Mauna Loa.
Les garçons du Canoe Club étaient donc sur l’eau, à quelques
kilomètres à l’est de South Point, lorsqu’ils entendirent les sirènes.
En digne fils de son père, Luke savait mieux que quiconque ce que cela
signifiait.
Une éruption.
Les rameurs interrompirent leurs efforts. Tous regardèrent derrière eux
et virent la lave tomber en cascade des collines, déferler vers la plage telle
une vague sur le point de s’y briser.
Une lave que personne ne s’attendait à voir couler à cet endroit précis.
« Il faut qu’on rejoigne le camion, s’écria Luke, et qu’on se tire d’ici ! »
Ses amis commencèrent à ramer frénétiquement en direction de la plage
– sauf que leur course avait radicalement changé de nature, désormais.
« Tout le monde disait qu’elle n’était pas censée venir par ici ! hurla
Manny à Luke. Qu’elle n’est jamais venue par ici ! »
Manny avait raison, Luke le savait. Mais il voyait la même chose que
tous les autres : la marée montante orange et rouge qui se rapprochait
toujours plus de South Point Park. Ça leur faisait une belle jambe, en cet
instant, que ça ne se soit jamais produit.
Elle n’était effectivement pas censée venir par ici – pas selon son père,
en tout cas.
Et certainement pas aussi vite. « On se magne ! beugla Luke Takayama
aux deux pirogues. Bougez-vous le cul ! »
Il savait que si la lave était suffisamment chaude, elle pouvait faire
bouillir l’eau de mer et toute la vie qui s’y trouvait ; ils devaient donc sortir
de l’océan avant qu’elle n’en ait l’occasion.
« Allez, allez, allez ! » s’écria Luke, les yeux rivés sur la lave qui
submergeait l’étroite plage et commençait à pénétrer dans l’eau.
Sa pirogue était la plus proche du rivage ; celle de Manny progressait
sur sa gauche.
Alors même que les garçons enfonçaient leurs pagaies dans l’eau à une
vitesse fulgurante, ils voyaient de la vapeur s’élever tout autour d’eux
comme une couche marine.
La lave avait déjà recouvert l’intégralité de la plage.
De l’eau brûlante éclaboussait les deux embarcations. Quand des
vagues gagnèrent brusquement de la hauteur de tous côtés, Luke eut peur
que les pirogues ne chavirent et ne les projettent tous dans un océan qui
semblait être en train de prendre feu.
« Luke ! hurla Manny. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? »
Avant que celui-ci ne puisse répondre, il commença à subir les effets de
l’odeur acide qui essayait de les engloutir au même titre que les vagues ; sa
gorge lui donnait l’impression d’être écorchée par la combinaison de vapeur
et de particules de verre présentes dans l’air.
Tous suffoquaient, à présent, pris de haut-le-cœur, les yeux remplis de
larmes – des yeux qu’ils ne pouvaient essuyer sous peine d’avoir à lâcher
leurs pagaies. Or ils avaient besoin de voir pour parvenir à progresser dans
cette eau à présent striée d’orange et de rouge.
Il s’agissait d’un tsunami volcanique, un phénomène que Luke
connaissait à travers ses lectures et dont il savait qu’il pouvait être provoqué
par de la lave pénétrant dans l’océan. Voilà qu’à sa grande horreur ça leur
arrivait à eux, dans la vie réelle.
Ils avaient presque rejoint le rivage, désormais.
Encore quelques centaines de mètres…
Si près.
Trop loin.
Ils se sentaient comme pris au piège dans un bâtiment en feu, ces
garçons qui étaient venus sur cette plage en pensant que l’éruption allait
toucher une autre partie de la Grande Île, bien plus près des cieux.
Mais l’éruption les avait suivis jusqu’ici.
Et puis les bateaux se retournèrent dans les airs, au grand dam des
garçons ; la plupart se retrouvèrent dans l’eau bouillante, leur peau prenant
sous leurs yeux la couleur de la lave, leurs poumons saturés de fumées
asphyxiantes et de gaz.
Des jeunes qui se croyaient immortels, incapables de s’imaginer qu’une
telle chose puisse arriver.
Pas à eux.
Pas ici.
Luke avait l’impression de se noyer, même s’il parvenait à garder la tête
hors de cette eau qui les éloignait du rivage.
Ses amis hurlaient autour de lui, certains en pleurs ; ceux qui se
trouvaient encore sur les pirogues lui demandaient quoi faire alors même
que l’eau dans laquelle ils avaient grandi, l’eau qu’ils aimaient, commençait
à tous les brûler vifs.
Chapitre 91
Naalehu, Hawaï
Mac était sûr d’avoir réagi une fraction de seconde trop tard.
Les bras de Rebecca avaient commencé à s’agiter en tous sens, en quête
de quelque chose à quoi s’accrocher ; après quoi elle était tombée en avant,
vers la lave qui bouillonnait à peine vingt mètres en contrebas.
Sans trop savoir comment, Mac avait réussi à attraper son bras gauche
et à l’écarter du trou.
Pourtant, ce n’était pas ça qui l’avait sauvée.
Mais bien la lave.
Rivers était seul dans la cafétéria, une tasse de café fumant devant son
visage. Guère désireux de voir quelqu’un d’autre mourir, le général avait
besoin de s’éloigner des moniteurs. Il leva les yeux, pour découvrir le
Dr John MacGregor devant lui. Le géologue était blanc comme un linge.
« Une nouvelle éruption est en train de se produire, dit Mac. Et elle va
être pire que la première. »
Chapitre 99
En l’espace d’une nuit, heure par heure, minute par minute, les images
de l’éruption illuminant le ciel hawaïen avaient fait le tour du monde. Les
récits intenses qui les accompagnaient parlaient de l’événement le plus
grave de toute l’histoire de Hawaï.
Des dizaines de milliers de kilos de roches avaient été projetés dans les
cieux. Des fragments avaient atteint des centaines de mètres d’altitude. Des
nuages s’élevaient sur des kilomètres en quelques secondes à peine. Des
éclairs zébraient toute une série d’immenses pyrocumulus.
Le monde avait également pris connaissance de ce que les réseaux
sociaux décrivaient comme la mort aussi tragique qu’héroïque de J.P. Brett
et du couple Cutler, qui étaient tous les trois venus de leur propre chef sur la
Grande Île pour participer à sa protection.
Leur vol fatal à bord de l’hélicoptère de Brett était unanimement
dépeint comme une « mission de reconnaissance », qu’ils avaient organisée
pour aider l’armée à arrêter l’écoulement de lave qui se dirigeait vers Hilo.
Une collaboratrice de Brett déclara au New York Times qu’avant de
monter à bord de l’appareil, le milliardaire lui avait dit : « Je vais participer
au sauvetage de cette île, quand bien même je devrais en mourir. »
Briggs avait donné au général Mark Rivers une sortie papier de l’article
en question ; il l’avait lu, avant de conclure : « Qui sait ? Il est bien capable
d’avoir sorti un truc pareil. »
* * *
Chaque fois que les ouvriers sentaient les secousses d’un nouveau
tremblement de terre, ils se tournaient vers le sommet, avant de se remettre
aussitôt au travail. Ils ignoraient complètement dans quel délai la lave allait
arriver jusqu’à eux, dans quel délai ils risquaient de mourir.
Mais le message que Mac leur avait délivré était de la même teneur que
la réponse qu’il avait faite à Rivers : le temps pressait.
« Tous ces gens courageux – des hommes, des femmes, même des
enfants – pensent qu’ils sont en train de sauver leur ville, fit Rivers.
— Ils sont peut-être en train de sauver le monde, lui rappela Mac. Ça
calme un peu, non ? » Son téléphone satellite se mit alors à sonner. « Il faut
que je réponde. »
C’était Rebecca, qui appelait de la base militaire. « J’ai de mauvaises
nouvelles, dit-elle.
— Vous pouvez vous les garder.
— Comme si vous aviez le choix.
— Mauvaises à quel point ?
— Impossible à dire comme ça. Il faut que vous le voyiez de vos
propres yeux. Je vais vous envoyer une capture d’écran. »
Ce qu’elle fit aussitôt. Mac l’étudia un instant. Les capteurs de la base
et de l’OVH relevaient la vitesse de la lave, et indiquaient un changement
de direction désastreux.
Mac évita une pelleteuse, puis rejoignit Rivers aussi vite qu’il le put. Le
géologue lui saisit le bras alors que le général s’apprêtait à brandir à
nouveau son porte-voix.
Rivers commença à aboyer quelque chose, mais s’interrompit en voyant
l’expression de Mac.
« Qu’est-ce qui se passe ? lui demanda-t-il.
— On risque de devoir sacrifier Hilo. »
Chapitre 100
Le pilote que Rivers avait choisi pour cette mission était le meilleur
qu’il puisse trouver à Hawaï, voire dans le monde entier : le colonel Chad
Raley.
Il avait servi pour la première fois sous ses ordres pendant la seconde
guerre du Golfe. Et rebelote cinq ans plus tôt, quand Rivers était devenu
chef de l’état-major interarmées. Cette mission dans la mer d’Arabie, à
partir de l’USS Nimitz, avait visé à « dissuader », pour reprendre le terme
de Raley, toute agression de la part de l’Iran.
« Et c’est ce que nous avons fait – de la dissuasion », fit Raley tout en
retirant ses lunettes de soleil.
Il avait le physique de l’emploi : grand, large d’épaules. Des cheveux
argentés coupés en brosse. Des yeux d’un bleu si clair qu’ils semblaient
assortis à sa chevelure.
Raley s’était porté volontaire pour venir à Hawaï avant même que
Rivers ne lui ait expliqué pourquoi il avait besoin de lui.
Un homme peu loquace, songea Mac. Non, un homme presque mutique.
« Et donc, lui lança Raley, c’est vous mon copilote aujourd’hui.
— Considérez-moi plutôt comme un bombardier débutant, fit Mac.
— Vous avez déjà volé à bord d’un de ces engins ?
— Uniquement dans mes rêves.
— Le général ne saute pas de joie à l’idée que je vous emmène là-haut,
dit Raley. Mais si j’ai bien compris, personne sur cette île ne sait mieux que
vous où ces bombes doivent tomber.
— Pour peu qu’il nous faille les larguer, le corrigea Mac. On n’a pas
besoin d’une débauche de puissance, aujourd’hui. Trop risqué. Ce qu’il
nous faut, c’est de la précision. » Il le gratifia d’un large sourire. « Et
d’après le général, vous êtes l’homme de la situation.
— Affirmatif », répondit le pilote.
Dix minutes plus tard, ils avaient décollé. Raley inclina l’Eagle en
direction du sud. Le plan de vol les faisait passer par le centre de l’île, de
sorte qu’ils puissent rapidement évaluer la situation au sol.
C’est une pure folie, se dit Mac une fois la lave en vue. Je dois donc
être fou.
« Je sais que c’est vous le spécialiste des volcans, lui dit Raley à travers
son masque à oxygène. Mais de ce que je vois, la lave ne va vraiment pas
tarder à atteindre cette grotte. »
Pour ajouter, sans laisser à Mac le temps de répondre : « Et je suis au
courant pour ces bonbonnes, docteur MacGregor. Le général Rivers m’a
briefé. »
Mac baissa les yeux en direction de l’est, où se trouvaient les demeures
de Kaumana Estates – entre Saddle Road et Hilo. Il devait y avoir des gens
là-bas qui n’avaient pas évacué les lieux. Forcément. Ces ferries n’avaient
pas pu emmener l’intégralité de la ville.
La gorge sèche, il s’efforçait d’oublier que seul un masque à oxygène le
protégeait du dioxyde de soufre qui contaminait le système de ventilation
du jet.
Rebecca, depuis la base militaire, et Kenny Wong, depuis l’OVH, lui
envoyaient les dernières projections sur l’évolution de la situation. Il y avait
trop de lave qui se dirigeait vers le Tunnel de glace. Ils allaient devoir
diviser la coulée en deux bras, l’un étant censé partir vers l’est, l’autre vers
l’ouest. Pour peu qu’ils y parviennent.
Sauf qu’à l’est se trouvait la ville ; les maisons qu’il apercevait en bas
allaient donc être détruites, et davantage d’innocents allaient périr.
Son regard toujours braqué en direction de Kaumana Estates, Mac
songea à nouveau à ses fils. Au fil de la journée, il avait pensé de plus en
plus à eux – pour ensuite s’en empêcher activement, histoire de pouvoir
rester focalisé sur la tâche qu’il avait à accomplir.
« Je connais quelqu’un qui vit dans le coin », informa-t-il Raley.
Le colonel garda le silence, totalement concentré sur sa tâche. Raley les
fit descendre suffisamment bas pour que Mac parvienne à distinguer la
célèbre formation de lave connue sous le nom de « profil de Charles de
Gaulle ». Le nouveau courant de lave avait franchi la route inachevée
menant à Kona, et poursuivait sans relâche sa progression en direction de
Saddle Road et du Tunnel de glace.
Mac crevait d’envie de fermer les yeux pour éviter d’avoir à affronter la
scène en contrebas, la réalité de la tragédie imminente. Mais le géologue
n’y parvenait pas, parce qu’il savait exactement ce qui était sur le point de
se produire – ou du moins ce que lui et le colonel Chad Raley espéraient
forcer à se produire ; ils n’avaient aucune marge d’erreur, et aucune garantie
de parvenir au résultat qu’ils escomptaient.
« Si la lave se rapproche encore de la grotte…, commença Mac.
— Game over, termina Raley à sa place. J’en suis bien conscient. »
Mac jeta un rapide coup d’œil à sa carte, bien qu’il sache parfaitement
où les bombes devaient tomber. Ils devaient absolument scinder la lave en
deux, même si cela signifiait la fin de Hilo.
Il la voyait s’orienter légèrement vers le nord.
Pas assez d’espace.
Ils avaient décrit un cercle autour de la zone cible pour un ultime
examen. Mac jeta à nouveau un coup d’œil en direction de Kaumana
Estates.
Et pria le ciel que le garçon et sa mère soient partis.
« Vous pouvez nous faire descendre encore plus bas ? » hurla Mac.
Il essayait de gagner un peu de temps avant d’avoir à faire son choix, il
le savait.
Raley le lui confirma d’un pouce levé.
« Il faut que je soir sûr ! s’exclama Max. J’ai besoin d’un visuel ! »
Ensuite, plus rien ne leur fut visible, car le brouillard en provenance de
l’ouest les engloutit.
Ce qui signifiait également que plus personne n’était en mesure de les
voir.
Chapitre 102
Lono observait le ciel depuis son jardin. Il avait peur de cligner des
yeux. Le garçon s’était précipité dehors dès qu’il avait entendu le jet.
Immédiatement, il s’avisa que l’engin volait à très basse altitude.
C’était un appareil militaire.
Un chasseur-bombardier.
Mac l’avait initié à l’univers des avions, tout comme il l’avait initié à
tellement d’autres choses. Mac avait fait de lui un lecteur, un excellent
élève, et un meilleur surfeur.
Lono avait l’impression de voler sans visibilité, en cet instant. N’ayant
plus Internet, il n’avait aucun moyen d’entrer dans le système informatique
de l’OVH pour découvrir où se situait la lave après la deuxième éruption
qu’il avait entendue, puis vue, en ce jour infernal.
Sa mère, Aramea, avait obstinément refusé de quitter leur maison,
d’aller faire la queue avec ses amis au port de Hilo, de monter à bord d’un
de ces ferries censés les emmener à Maui, où vivait pourtant une de ses
sœurs.
« La déesse a toujours subvenu à nos besoins, avait-elle dit à Lono.
C’est la volonté de Pélé qui est à l’œuvre aujourd’hui. Pas la mienne, ni la
tienne. Ni celle de ton ami, le Dr MacGregor.
— Si je comprends bien, avait demandé son fils, c’est sa volonté que
nous restions dans cette baraque pour y mourir ?
— Il faut que tu gardes la foi. Tu as été élevé dans les voies du monde
naturel autant que dans celles du monde spirituel. »
Mais je grandis dans le monde de la science, avait-il failli répliquer.
Dans le monde réel.
Il s’en était abstenu. Ça n’aurait servi à rien. Elle n’allait pas quitter
cette maison, la seule que Lono ait jamais connue. Et lui-même n’allait pas
quitter sa mère. Même si cela signifiait leur mort à tous deux.
Il se retourna, et vit son doux visage presque collé à la fenêtre de la
cuisine. Lono savait qu’elle regardait le sommet lointain, les nuages
boursouflés, les flammes qui léchaient le ciel – qu’elle considérait le Mauna
Loa comme une sorte de divinité.
Les yeux de Lono revinrent rapidement au jet. Qui effectua un long
virage vers l’est, avant de rebrousser chemin et de se diriger droit sur lui.
La tête inclinée en arrière, le garçon se demanda si la déesse des
volcans allait pouvoir les protéger, lui et sa mère, des bombes de l’armée.
Je ne veux pas mourir comme ça. Je ne veux pas que ma mère meure.
Mais ce chasseur-bombardier était si proche…
Chapitre 103
* * *
Raley parvint, sans trop savoir comment, à sortir l’avion de son piqué.
Il vira à droite, puis à gauche, pour se retrouver face à la cible.
« Maintenant on est à court de temps ! beugla le pilote.
— Qu’est-ce qu’on fait ? hurla Mac à son tour.
— Je ne vois qu’une seule façon de générer cette avalanche de feu.
— Et comment vous comptez faire ça sans bombes ? »
Raley se tourna alors vers Mac. « En crashant cet appareil, lui dit-il
d’une voix mesurée, étrangement calme.
— Allez-y. »
Chapitre 106
Sherri Crichton
James Patterson
RETOUR SUR LA GENÈSE DU ROMAN
The Black Zone, le titre provisoire de Michael, avait trouvé son origine
dans un sujet qui le fascinait depuis de nombreuses années. Michael parlait
rarement de ses idées ou de ses projets, pas même à sa famille ou à ses amis
les plus proches ; il évoquait néanmoins souvent son futur roman en lien
avec les volcans. Lors d’un voyage en Italie, nous avons donc fait une
excursion spéciale à Pompéi afin qu’il puisse approfondir ses recherches sur
le récit qu’il comptait situer à Hawaï. Après son décès, je suis tombée sur le
manuscrit inachevé dans ses archives, et ça m’a vraiment scotchée de
découvrir à quel point il était parvenu – à sa manière inimitable – à faire de
cette histoire un tout cohérent. L’exhumation de ce trésor a donné lieu à un
projet de recherche intensif, consistant entre autres à parcourir ses
innombrables disques durs et documents, afin d’en extraire toute la
documentation pertinente.
Michael était certes du genre méticuleux en matière de recherches et
d’organisation, mais recouper et mettre à jour ses dossiers disséminés un
peu partout n’a quand même pas été une mince affaire. Ce que cette tâche a
dévoilé, néanmoins, s’est révélé remarquable : son histoire était déjà là,
brillamment esquissée. Il avait rassemblé des quantités considérables de
données scientifiques, de notes et d’ébauches – et même des séquences
vidéo le montrant sur le terrain en train de mener des entretiens avec un
volcanologue. Comme c’était grisant ! Il ne restait alors plus qu’à trouver
quelqu’un d’aussi doué que Michael pour achever ce qu’il avait créé.
Pendant des années, j’ai réfléchi à de possibles collaborateurs, mettant le
projet en pause le temps que se manifeste le partenaire idéal. J’allais
patiemment attendre que quelqu’un puisse honorer le travail de mon époux
et poursuivre son histoire.
Jusqu’à ce qu’on me présente James Patterson.
Jim, vous avez été le partenaire idéal.
Je vous en suis éternellement reconnaissante.
MICHAEL CRICHTON
DU MÊME AUTEUR