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Revue générale de droit

La primauté de l’efficacité dans l’administration d’une justice


en crise : solutions judiciaires dans une perspective
nord-américaine
Shana Chaffai-Parent et Catherine Piché

Volume 51, numéro 1, 2021 Résumé de l'article


Crise d’importance mondiale, la pandémie de COVID-19 a entraîné un
URI : https://id.erudit.org/iderudit/1081840ar ralentissement des activités de la société civile, de l’économie et de la justice. Face
DOI : https://doi.org/10.7202/1081840ar à l’incertitude générée, les tribunaux ont été ralentis, sinon paralysés, en plus de
devoir mettre en place une justice d’urgence par processus hybrides ou spéciaux.
Aller au sommaire du numéro Dans un tel contexte, la recherche de mesures d’efficacité devient vitale. Le
présent article contribue donc à la réflexion entreprise sur l’efficacité du système
judiciaire en temps de pandémie et de post-pandémie. La crise sanitaire semble
avoir encouragé une évolution rapide de l’organisation des services judiciaires.
Éditeur(s)
Cette évolution fera-t-elle place à une transformation durable et profonde de la
Éditions Wilson & Lafleur, inc. justice civile? Le présent article fera état de mesures et de pratiques exemplaires
établies au Québec, et ailleurs au Canada et en Amérique du Nord, visant à
ISSN promouvoir l’efficacité au chapitre de l’administration de la justice et
l’adjudication des litiges, et à réduire les délais judiciaires. Précisément, trois
0035-3086 (imprimé) catégories de mesures et pratiques seront abordées, soit les mesures de gestion
2292-2512 (numérique) efficace des instances (Partie I), les modes privés de règlement des différends
intégrés à l’activité des tribunaux étatiques (Partie II) et les mesures
Découvrir la revue technologiques (Partie III). Nous verrons que chaque système de justice civile
recherche le délicat équilibre entre les garanties procédurales fondamentales, la
qualité et l’efficacité de la justice. Nous conclurons l’article sur la question des
contours d’un système de justice civile efficace et accessible.
Citer cet article
Chaffai-Parent, S. & Piché, C. (2021). La primauté de l’efficacité dans
l’administration d’une justice en crise : solutions judiciaires dans une
perspective nord-américaine. Revue générale de droit, 51(1), 161–199.
https://doi.org/10.7202/1081840ar

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La primauté de l’efficacité dans l’administration
d’une justice en crise : solutions judiciaires
dans une perspective nord-américaine

Shana Chaffai-Parent * et C atherine Piché**

RÉSUMÉ
Crise d’importance mondiale, la pandémie de COVID-19 a entraîné un ralentissement
des activités de la société civile, de l’économie et de la justice. Face à l’incertitude
générée, les tribunaux ont été ralentis, sinon paralysés, en plus de devoir mettre en
place une justice d’urgence par processus hybrides ou spéciaux. Dans un tel contexte,
la recherche de mesures d’efficacité devient vitale. Le présent article contribue donc
à la réflexion entreprise sur l’efficacité du système judiciaire en temps de pandémie
et de post-pandémie. La crise sanitaire semble avoir encouragé une évolution rapide
de l’organisation des services judiciaires. Cette évolution fera-t-elle place à une trans-
formation durable et profonde de la justice civile? Le présent article fera état de
mesures et de pratiques exemplaires établies au Québec, et ailleurs au Canada et en
Amérique du Nord, visant à promouvoir l’efficacité au chapitre de l’administration de
la justice et l’adjudication des litiges, et à réduire les délais judiciaires. Précisément,
trois catégories de mesures et pratiques seront abordées, soit les mesures de gestion
efficace des instances (Partie I), les modes privés de règlement des différends intégrés
à l’activité des tribunaux étatiques (Partie II) et les mesures technologiques (Partie III).
Nous verrons que chaque système de justice civile recherche le délicat équilibre entre

* Shana Chaffai-Parent est avocate depuis 2013 et doctorante en cotutelle à l’Université de


Montréal et à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne sous la double direction des professeurs
Catherine Piché et Loïc Cadiet. Dans sa thèse de doctorat, elle aborde, d’un point de vue com-
paré, l’interaction entre droit processuel et droit de la preuve dans l’application du principe de
la contradiction, avec un intérêt particulier pour la preuve par expertise. En plus de ses activités
de recherche, elle a enseigné le droit judiciaire privé à titre de chargée de cours au baccalauréat
en droit.
** Catherine Piché est professeure titulaire, vice-doyenne à la recherche et aux affaires inter-
nationales à la Faculté de droit de l’Université de Montréal et avocate. Elle est aussi directrice
scientifique de l’Institut québécois de réforme du droit et de la justice, ainsi que du Laboratoire
sur les actions collectives, et membre chercheuse du Centre de recherche en droit public. Elle
est spécialiste de procédure et de preuve civiles, de litiges complexes et actions collectives, et
de droit comparé.

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les garanties procédurales fondamentales, la qualité et l’efficacité de la justice. Nous


conclurons l’article sur la question des contours d’un système de justice civile efficace
et accessible.

MOT S - CLÉS :
Procédure civile, preuve civile, accessibilité à la justice, systèmes judiciaires, administration
de la justice, efficacité.

ABSTR AC T
A crisis of global significance, the COVID 19 pandemic has led to a slowdown in civil
society, economic and justice activities. Faced with general uncertainty, courts around
the world have been slowed down, if not paralyzed, in addition to having to establish
emergency justice through hybrid or special processes. In such a context, the search
for effective measures becomes vital. This article therefore contributes to the reflection
undertaken on the effectiveness of the judicial system in times of a pandemic. The
health crisis seems to have encouraged rapid changes in the organization of judicial
services. Will this development give way to a lasting and profound transformation of
civil justice? This article will report on measures and good practices established in
Quebec, and elsewhere in Canada and North America, aimed at promoting the effi-
ciency of the administration of justice and adjudication of disputes, and at reducing
judicial delays. Specifically, three categories of measures and practices will be dis-
cussed: effective case management measures (Part I), private dispute resolution
methods integrated into the activity of state courts (Part II) and technological
­measures (Part III). We will see that judicial systems seek a delicate balance between
fundamental procedural guarantees, the quality of justice, and the efficiency of justice.
We will conclude the article by asking what the contours of efficient and accessible
civil justice are.

KE Y-WORDS:
Civil procedure, evidence law, accessibility of justice, judicial systems, administration of
justice, efficiency.

SOMMAIRE
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163
I. Gestion efficace des instances sous l’inspiration des principes
de gestion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166
A. Techniques pour contrôler le flux des dossiers judiciaires
dans le système de justice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168

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B. Techniques pour contrôler le rythme procédural


dans les litiges complexes et de masse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 172
1. Gestion particulière pour une instance sur mesure . . . . . 173
2. Réorganisation des ressources humaines dans le cas
des litiges complexes ou de masse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175
C. Nécessité de données empiriques pour la bonne intégration
en justice des principes de gestion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178
II. Disponibilité de modes diversifiés et efficaces de règlement
des différends . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179
A. Mesures applicables à l’étape préjudiciaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 180
B. Intégration de modes privés de règlement des différends
à la pratique des tribunaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182
C. Mesures de globalisation des processus d’indemnisation . . . . . . 184
D. Coûteuse efficacité de la diversification des modes
de règlement des différends . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185
III. Virage technologique pour une résolution efficace des différends . . . . 187
A. Environnement technologique au soutien
de l’activité judiciaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188
1. Procédures et gestion des instances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188
2. Utilisation des technologies pour la tenue d’audiences . 190
B. Modes privés de règlement des différends
sur support technologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193
C. Intelligence artificielle, coup d’œil vers l’avenir . . . . . . . . . . . . . . . . 195
D. Regard sur l’avenir des technologies
dans l’arène judiciaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 196
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 198

INTRODUCTION
« This is a time for science and solidarity ».
António Guterres1

Crise d’importance mondiale, la pandémie de COVID‑19 a entraîné


un ralentissement sans précédent des activités de la société civile et
de l’économie, et l’administration de la justice n’a pas été épargnée.
Or, le contexte d’urgence peut procurer l’impulsion nécessaire pour
stimuler la réflexion et le changement. Face à l’incertitude générée

1. Secrétaire général des Nations Unies, « Time for Science and Solidarity » (14 avril 2020), en
ligne : Organisation des Nations Unies <www.un.org/en/un-coronavirus-communications-team/
time-science-and-solidarity>.

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à l’échelle planétaire, les tribunaux, tant au Québec qu’ailleurs en


Amérique du Nord, ont été ralentis, sinon paralysés, en plus de
devoir mettre en place une justice d’urgence par processus hybrides
ou spéciaux.
Alors que les ressources limitées de bon nombre de systèmes de
justice imposaient déjà des restrictions pour éviter les débordements,
la pandémie a causé une accumulation de délais judiciaires qui, dans
certains cas, a perturbé un équilibre déjà précaire. De prime abord,
la pandémie risque d’avoir amplifié l’éternelle « crise »2 des délais
­judiciaires, et ce, dans une situation où les services de justice sont
d’autant plus indispensables. Dans un contexte de bouleversements,
la recherche de mesures d’efficacité apparaît non seulement néces-
saire, mais vitale. C’est par conséquent du point de vue de l’objectif
d’effi­cacité de l’administration de la justice que nous envisagerons la
­présente étude3.
Soulignons d’emblée que la réflexion sur l’efficacité des tribunaux,
au Québec comme ailleurs, semble éternelle. En 1975, on soulignait la
rentrée judiciaire québécoise par une conférence intitulée : « La célérité
et l’efficacité de la justice au Québec »4. En 2016, un Code de procédure
civile transformé entrait en vigueur, et sa disposition préliminaire réfé-
rait à l’efficience et à la proportionnalité des procédés judiciaires.
En 2020, il est toujours question d’améliorer l’efficacité de tribunaux,
dont les ressources ne semblent jamais suffisantes. Le récent projet de
loi 75, intitulé Loi visant à améliorer l’accessibilité et l’efficacité de la justice,
notamment pour répondre à des conséquences de la pandémie de la
COVID-195, prend acte des répercussions importantes de la pandémie
sur les tribunaux québécois. On y prévoit des mesures axées en majorité

2. Une crise de la justice civile qui perdure depuis des décennies dans les systèmes con­
tradictoires et qui n’est pas en voie d’être réglée, si on en croit les propos d’Adrian Zuckerman
dans son importante étude comparée, Adrian Zuckerman, dir, Civil Justice in Crisis: Comparative
Perspectives of Civil Procedure, Oxford, Oxford University Press, 1999.
3. Mentionnons que certaines portions de la présente étude ont été amorcées dans le cadre
de la réalisation d’un projet pour l’Institut québécois de réforme du droit et de la justice (IQRDJ);
voir Catherine Piché et Shana Chaffai-Parent, « La justice au temps de la COVID-19 — Rapport final »
(15 juin 2020), en ligne  : Institut québécois de réforme du droit et de la justice <www.iqrdj.ca/projets/
rapport_projet_2.pdf>.
4. « La célérité et l’efficacité de la justice au Québec » (1976) 17 C de D 4, en ligne : <doi.
org/10.7202/042081ar>.
5. PL 75, Loi visant à améliorer l’accessibilité et l’efficacité de la justice, notamment pour répondre
à des conséquences de la pandémie de la COVID-19, 42e lég, 1re sess, Québec, 2020 (sanctionné le
11 décembre 2020).

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sur la recherche d’une plus grande efficacité de la procédure civile,


notamment en encourageant l’usage des technologies, en favorisant
l’écrit et en élargissant certains pouvoirs de gestion des instances. Il faut
se questionner sur les effets réels des mesures d’efficacité qu’on intègre
au portrait judiciaire québécois. L’efficacité, une valeur désormais incon-
testable du fonctionnement des institutions publiques, constitue sou-
vent un moyen, mais aussi une fin en soi6. L’objectif d’efficacité rend
ardue la recherche fondamentale d’un équilibre entre la qualité de la
justice et le respect des garanties procédurales fondamentales7.
Comme le clame António Guterres dans la citation en exergue, cette
époque en est une de « science et de solidarité ». Le présent article se
veut un début de contribution à la réflexion entreprise sur l’efficacité
du système de justice en temps de pandémie et au-delà. La crise sani-
taire semble avoir encouragé une évolution rapide de l’organisation
des services judiciaires. La crainte des conséquences de la pandémie
procurera-t-elle l’impulsion nécessaire à une transformation durable
et profonde de la justice civile?
Plutôt que d’apprécier l’efficacité de mesures judiciaires sans point
de comparaison, la présente étude fait état de mesures et de pratiques
exemplaires établies ici et ailleurs en Amérique du Nord. Point de
départ à saveur empirique d’une réflexion basée sur une comparaison
de la poursuite de l’efficacité dans l’administration de la justice québé-
coise, l’étude de ces divers mesures et moyens procéduraux sera axée
sur l’amélioration de l’efficacité de l’action des tribunaux. Les moyens
étudiés ont été classifiés en trois catégories, soit les mesures de gestion
efficace des instances (Partie I), les modes privés de règlement des
différends intégrés à l’activité des tribunaux étatiques (Partie II) et les
mesures technologiques (Partie III). Nous conclurons l’article par une
discussion plus large sur l’accessibilité de la justice et les contours de
cette justice civile que l’on souhaite efficace et accessible.

6. Daniel Mockle, « La justice, l’efficacité et l’imputabilité » (2013) 54 C de D 613, [« Justice,


efficacité, imputabilité »]. Voir aussi Jean-Guy Belley, « Une justice de la seconde modernité :
proposition de principes généraux pour le prochain Code de procédure civile » (2001) 46:2 RD
McGill 317.
7. Mockle, « Justice, efficacité, imputabilité », supra note 6. Voir également Catherine Piché,
« La proportionnalité procédurale : une perspective comparative » (2009) 40:1–2 RDUS 551, en
ligne  : <doi.org/10.17118/11143/10460>.

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I. GESTION EFFICACE DES INSTANCES


SOUS L’INSPIRATION DES PRINCIPES DE GESTION
L’efficacité procédurale est une notion qui évolue selon le contexte
concret dans lequel on l’examine8. Elle se traduit par la recherche de
procédures aux coûts et délais les moins élevés possible, sans toutefois
aller jusqu’à miner le droit à un procès équitable, ainsi que l’accès à
une justice de qualité9. L’efficacité procédurale constitue également
un outil de distribution équitable des ressources judiciaires, autant
entre les justiciables qu’entre les différents tribunaux10.
Cette notion d’efficacité s’approfondit lorsqu’on l’envisage à l’aune
des principes de la « nouvelle gouvernance publique », soit des prin-
cipes de « responsabilité, imputabilité, transparence, efficience, qualité
et efficacité »11. Bien qu’ils constituent une entité étatique indépen-
dante des pouvoirs législatif et exécutif, les tribunaux ne sont pas
imperméables à ces principes, considérant la réduction généralisée du
financement dans certains domaines de l’activité publique12. La mis-
sion des tribunaux de saine gestion des instances constitue une mani-
festation de cette culture13. Au-delà de l’efficacité, les principes de
la nouvelle gouvernance publique appellent à la « calculabilité »
de l’action publique, soit la possibilité d’en faire l’évaluation, quan­
titativement et qualitativement14. Cette recherche de transparence et

8. Une précision terminologique, à ce stade, est nécessaire. En matière de gestion, il est


connu que l’efficience serait liée à l’atteinte d’un objectif avec un usage maximisé des ressources
disponibles, alors que l’efficacité signifierait l’atteinte d’un résultat avec le moins de ressources
possible. Du point de vue de la langue, selon le dictionnaire Le Robert, l’efficacité se définit
comme la « capacité de produire le maximum de résultats avec le minimum d’effort, de dépense »,
alors que l’efficience serait un anglicisme de remplacement du terme efficacité, qui serait à
proscrire. Nous privilégions donc l’usage du terme efficacité dans le présent texte.
9. Gar Y Ng, « Case Management: Procedural Law v Best Practices » dans Cornelis H Van Rhee
et Alan Uzelac, « Civil Justice Between Efficiency and Quality: From Ius Commune to the CEPEJ »,
Antwerp, Oxford, Portland, Intersentia, 2008, 103. Ng explique le caractère variable de la notion
d’efficacité en donnant l’exemple des « délais raisonnables », notion qui varie, notamment, selon
la culture de l’endroit, la nature de l’affaire et les personnes concernées.
10. Ibid.
11. Mockle, « Justice, efficacité, imputabilité », supra note 6 à la p 615, et Johanna Niemi
­Kiesiläinen, « Efficiency and Justice in Procedural Reforms: The Rise and Fall of the Oral Hearing »
dans Van Rhee et Uzelac, supra note 9, à la p 29.
12. Kiesiläinen, supra note 11.
13. Art 9 Cpc.
14. Daniel Mockle, « Le principe général du bon gouvernement » (2019) 60 C de D 1031 [« Bon
gouvernement »].

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d’imputabilité ne cesse de gagner en importance et s’intègre progres-


sivement aux préoccupations du public comme un principe de bonne
gouvernance démocratique15. Elle nécessite, notamment, la mise en
place d’outils de mesure des performances.
L’amalgame heureux entre les cultures judiciaire et managériale n’est
toutefois pas facilement acquis. Les objectifs fondamentaux de la jus-
tice civile incluent la résolution économique et rapide des litiges indi-
viduels par l’intermédiaire d’un système de justice civile juste, équitable
et efficient, et par l’implantation des objectifs, fonctions et politiques
de la société par rapport à la justice16. Plus particulièrement, la procé-
dure civile cherche à permettre le règlement pacifique des conflits
entre citoyens, tout en précisant le droit au bénéfice de l’ensemble
de la société17. L’organisation des activités judiciaires pour permettre
l’atteinte simultanée de ces objectifs constitue une préoccupation de
premier ordre, les moyens permettant leur réalisation étant souvent
opposés18. C’est d’ailleurs l’un des constats du processualiste Adrian
Zuckerman dans une importante étude comparée sur l’accessibilité et
l’efficacité d’une « justice civile en crise », qu’il a fait paraître à la suite
de la réforme anglaise Woolf de la procédure civile19.
Des craintes subsistent quant aux risques d’ingérence de l’exécutif
dans les affaires judiciaires. Or, tant l’administration publique que les
tribunaux judiciaires travaillent à trouver un point d’équilibre entre la
protection des droits constitutionnels et la nécessité de l’efficacité gou-
vernementale, d’importance grandissante20. Plus encore, les tribunaux
souhaitent imposer certaines cibles numériques à atteindre, telles

15. Ibid.
16. Voir Alan Uzelac, « Goals of Civil Justice and Civil Procedure in the Contemporary World »
dans Alan Uzelac, dir, Goals of Civil Justice and Civil Procedure in Contemporary Judicial Systems,
New York, Springer, 2014, 3. Voir aussi Alan Uzelac et Cornelis H Van Rhee, « The Metamorphoses
of Civil Justice and Civil Procedure: The Challenges of New Paradigms — Unity and Diversity »
dans Alan Uzelac et Cornelis H Van Rhee, Transformation of Civil Justice. Unity and Diversity,
New York, Springer, 2018, 3; et Fabien Gélinas, Catherine Piché et al, Foundations of Civil Justice
— Toward a Value-Based Framework for Reform, New York, Springer, 2015.
17. Belley, supra note 6 et Cornelis H Van Rhee, « Dutch Civil Procedure: Reform and Efficiency »
dans Van Rhee et Uzelac, supra note 9 à la p 47. [« Dutch Civil Procedure »].
18. Kiesiläinen, supra note 11.
19. [Notre traduction] Zuckerman, supra note 2. Les recommandations de l’honorable Harry
Woolf se trouvent dans R-U, Lord Chancellor’s Department, Access to Justice: Final Report to the
Lord Chancellor on the Civil Justice System in England and Wales, Harry Woolf, The Stationery Office,
1996.
20. Mockle, « Bon gouvernement », supra note 14.

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celles énoncées dans l’arrêt de la Cour suprême du Canada R c Jordan21.


Toutefois, la mise en place d’outils de mesure nécessite temps, coûts
et expertise, et ces obstacles peuvent ralentir, voire mettre en péril, la
réalisation de changements plus profonds.
L’équilibre pourrait être atteignable et salutaire, mais devrait être
accompagné de changements substantiels au fonctionnement du sys-
tème de justice. L’observation de l’expérience américaine, pour laquelle
la gestion judiciaire a pris une importance considérable et où le débat
classique entre l’imputabilité de la gestion et l’indépendance judi-
ciaire22 semble avoir été résolu, illustre comment le fonctionnement
d’une administration judiciaire peut être amélioré par l’application de
techniques de gestion du flux des dossiers judiciaires. Cette expérience
demeure toutefois critiquable à certains égards.

A. Techniques pour contrôler le flux des dossiers judiciaires


dans le système de justice
Constituant le cœur de la culture judiciaire aux États-Unis depuis
plusieurs décennies, la gestion du flux d’instance (« GFI »), ou caseflow
management, est une technique introduite devant un tribunal pour
assurer le règlement juste et efficace des litiges23. La GFI implique la
supervision de chaque dossier judiciaire, de l’introduction de l’action
jusqu’au jugement final24. On exige du tribunal qu’il soit le plus proactif
possible en créant ou saisissant chaque « évènement procédural »
comme une occasion de réaliser une progression significative dans le
dossier25. En effet, au cœur de la GFI, le tribunal, et non les parties ou
leurs procureurs, contrôle le rythme grâce à un système de suivi adé-

21. Mockle, ibid. Voir les motifs dans R c Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 RCS 631. Voir aussi
S­ téphane Bernatchez, « L’arrêt Jordan, le management de la justice et le droit de la gouvernance »
(2016) 46 RDUS 451.
22. Sur ce débat, voir ibid. Voir également Cornelis H Van Rhee et Alan Uzelac, Truth and
­Efficiency in Civil Litigation, Cambridge, Intersentia, 2012.
23. Thomas H Cohen, « Civil Trial Delay in State Courts: The Effect of Case and Litigant Level
Characteristics » (2012) 95:4 Judicature 158. Voir aussi Thomas M Clarke et Victor E Flango, « Case
Triage for the 21st Century, Future Trends in State Courts 2011 » (2011), en ligne : National Center
for State Courts <www.ncsc.org/__data/assets/pdf_file/0017/18161/clarke-and-flango.pdf >.
24. Collins E Ijoma et Giuseppe M Fazari, « Applying the Case Management CourTools: Findings
From an Urban Trial Court » (2012) 4:2 Intl J for Court Administration 21; Jon Gould et al, « Over-
whelming Evidence » (2011) 95:2 Judicature 61; Holly Bakke et Maureen Solomon, « Case Dif­
ferentiation: An Approach to Individualized Case Management » (1989) 73:1 Judicature 17.
25. David C Steelman et Marco Fabri, « Can an Italian Court Use the American Approach to
Delay Reduction? » (2008) 29:1 Justice System J 1.

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Chaffai-Parent et Piché Primauté de l’efficacité et solutions judiciaires 169

quat des instances, visant à réduire les périodes d’inaction et à décou-


rager les retards26. De manière concrète, le tribunal fera usage de
systèmes de vérification de l’avancement des dossiers visant certains
évènements procéduraux préalablement répertoriés. Les rappels
envoyés et, si nécessaire, la convocation à une conférence de gestion
serviront tous deux à éviter la stagnation des procédures27. Alors que
la gestion de l’instance est souvent utilisée de manière curative, du
moins au Québec28, son usage devient désormais préventif29. L’expé-
rience de la GFI semble avoir constitué pour les Américains l’inspiration
privilégiée pour réduire et éventuellement éliminer les retards judi-
ciaires accumulés, en plus de favoriser une meilleure entente entre les
parties, ainsi que le règlement à l’amiable hâtif des litiges30.
De tels changements font partie de ce que l’on appelle la « réingé-
nierie de processus », puisqu’ils visent d’abord l’optimisation d’une base
de processus préexistants31. Il s’agit de mieux valoriser le travail des
tribunaux32 en décortiquant chacune des étapes du déroulement de
l’instance dans un objectif d’efficacité. On pourra alléger certains types
de procédures ou réduire le nombre d’étapes préalablement recen-
sées, ou encore simplifier ou automatiser ces étapes33. À cet égard, par
le partage des expériences et l’apprentissage commun, et compte tenu
des ressources toujours plus limitées, une version plus sophistiquée
de la GFI est apparue au sein des administrations judiciaires de diffé-
rentes juridictions américaines. La gestion différenciée du flux d’ins-
tance (« GDFI »), ou differenciated case management, est un système de

26. Ijoma et Fazari, supra note 24. Voir aussi Gould et al, supra note 24, et Steelman et Fabri,
supra note 25.
27. Bakke et Solomon, supra note 24.
28. Arts 18(2), 19, 148–60 Cpc.
29. Bakke et Solomon, supra note 24.
30. Hannah E M Lieberman et al, « Meeting the Challenges of High-Volume Civil Dockets,
Trends in State Courts » (2016), en ligne : National Center for State Courts <www.ncsc.org/__data/
assets/pdf_file/0027/25578/meeting-the-challenges.pdf>.
31. Agustina Matos, Business Process Reengineering in the Civil Part Division, Institute for Court
Management, Williamsburg (VA), mai 2011.
32. Greg Berman et John Feingblatt, « Problem-Solving Justice: A Quiet Revolution (Con-
tinued) » (2003) 86:4 Judicature 213.
33. Richard Van Duizend et Kathy Mays Coleman, « Why Not Now? Strategic Planning by Courts
in Challenging Financial Times » (2009), en ligne : National Center for State Courts <ncsc.­
contentdm.oclc.org/digital/collection/ctadmin/id/1487/>. Voir aussi : « Remote Court Operations
Incorporating A2J Principles: A Pandemic Resource From NCSC » (2020), en ligne : National Center
for State Courts <ncsc.contentdm.oclc.org/digital/collection/ctadmin/id/2347>.

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170 Revue générale de droit (2021) 51 R.G.D. 161-199

gestion34 qui considère les différences fondamentales qui peuvent


exister entre les types de litiges35. La GDFI reprend les principes et
méthodes de la GFI pour les établir sous la forme d’un système de
triage des dossiers. Ainsi, dès leur dépôt, les dossiers sont acheminés
dans des voies procédurales distinctes qui correspondent à un niveau
adapté de participation du tribunal36. Le triage peut être effectué selon
une diversité de critères : les spécificités des juridictions; le type de
litige; le nombre de parties; la liste des témoins prévus; la complexité
de l’affaire; la présence de procédures interlocutoires anticipées ou
d’actions reconventionnelles ou en garantie; les montants en litige; la
présence de parties non représentées; la quantité anticipée de preuves;
les méthodes de communication prévues; et les délais prévus37.
À titre d’exemple de GDFI, la New Jersey Supreme Court a établi
trois voies procédurales qui permettent de trier les dossiers selon le
type de litige, la durée prévue avant la résolution, ainsi que le montant
des dommages38. Le tribunal travaille de pair avec les parties pour
imposer certaines échéances et certains délais, et assurer leur respect,
notamment par une communication honnête quant aux difficultés
rencontrées, ainsi que plusieurs actions automatisées. L’évolution pro-
cédurale est suivie attentivement, notamment lorsqu’une possibilité
de règlement à l’amiable est évoquée.
La GFI et la GDFI constituent des applications, au milieu judiciaire,
de techniques mises au point en sciences de la gestion, qui exigent de
fonder les actions de gestion sur une base de données empiriques, et

34. En 2000, c’était plus de 15 États selon une étude du NCST; voir Andreas Lienhard et Daniel
Kettiger, « Caseload Management in the Law Courts: Methodology, Experiences and Results of
the First Swiss Study of Administrative and Social Insurance Courts » (2010) 3:1 Intl J for Court
Administration 31 à la p 33. Voir aussi Erwin J Rooze, « Differentiated Use of Electronic Case
Management Systems » (2010) 3:1 Intl J for Court Administration 51.
35. Bakke et Solomon, supra note 24.
36. Parmi les voies possibles, il y a la voie ordinaire (volume le plus important de dossiers), la
voie rapide (volume important de dossiers simples) ou la voie complexe (faible proportion des
dossiers); Clarke et Flango, supra note 23. Plusieurs tribunaux ont adopté une séparation plus
sophistiquée des voies en fonction de certains besoins précis. On peut donner l’exemple des
State Courts du New Jersey et du Michigan, où les voies procédurales sont gérées grâce à un
système technologique de triage qui soutire certaines données à même des documents déposés
électroniquement; Bakke et Solomon, supra note 24. Voir aussi Paula Hannaford-Agor et Scott
Graves, « Meaningful Criteria for Automated Civil Case Triage » dans Conference CTC 2017, Salt
Lake City, National Center for State Courts, 2017. Voir également Lienhard et Kettiger, supra
note 34.
37. Hannaford-Agor et Graves, supra note 36, et Cohen, supra note 23.
38. Bakke et Solomon, supra note 24.

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Chaffai-Parent et Piché Primauté de l’efficacité et solutions judiciaires 171

non seulement sur des impressions, habitudes ou expériences préa-


lables39. En cela, elles s’inscrivent dans la mouvance précédemment
mentionnée de nouvelle gouvernance publique, selon laquelle la
réduction des délais judiciaires ne constitue pas un objectif suffisant,
si l’on n’en définit pas le point de départ ainsi qu’une cible réaliste à
atteindre, compte tenu des ressources disponibles. Il n’est pas non plus
suffisant de fixer des objectifs; ceux-ci doivent être évalués à la lumière
d’une collecte de données empiriques40. L’utilisation des technologies
est généralement au cœur de ces processus41.
Ainsi, la quantification est intrinsèque aux techniques du GFI et du
GDFI. Par exemple, en 2007, 38 États américains ont mis en place une
ligne directrice quant aux délais judiciaires types42. À partir de tels
standards, il est possible, selon la voie procédurale choisie, d’élaborer
un calendrier procédural qui s’inscrit dans la réalisation des objectifs
de réduction des délais judiciaires. La gestion de chaque dossier se
fera ainsi en fonction de la distribution équitable des ressources effec-
tivement disponibles, selon la complexité des dossiers43. À titre de
ressource spécialisée dans la gestion judiciaire, le National Center for
State Courts (NCST) a créé des outils de mesure de performance, les
courtools44. Avec ces renseignements disponibles, le tribunal peut
contrôler activement la cadence des activités judiciaires et réagir plus
efficacement aux imprévus45.

39. John M Greacen, « Administrator’s Perspective: Developing Performance Measures for


Trial and Appellate Courts » (2002) 41:2 Judges’ J 40, et Gould et al, supra note 24.
40. Soit à la manière du benchmarking; voir ibid.
41. Notamment, Lieberman et al, supra note 30. Voir aussi Hannah E M Lieberman et al,
­Problems and Recommendations for High-Volume Dockets: A Report of the High-Volume Case
Working Group, Civil Justice Improvements Committee, National Center for State Courts, États-
Unis, 2016; et Evaluation of the Civil Justice Initiative Pilot Project, Civil Justice Improvements Com-
mittee, National Center for State Courts, États-Unis, avril 2019.
42. Steelman et Fabri, supra note 25.
43. Ibid.
44. À titre d’exemple, les indicatifs courtools peuvent prendre la forme de mesures quant à
l’âge des dossiers en cours, le nombre de dossiers décidés, la fiabilité et l’intégrité des dossiers,
le délai jusqu’à la résolution du dossier, l’utilisation effective de jurés, le degré de satisfaction
des employés de la cour, le coût par dossier traité, etc. Les courtools, ainsi que de la documen-
tation explicative destinée aux tribunaux, sont disponibles en ligne au : <www.courtools.org/>.
Le site regroupe également des rapports quant à l’implantation de ces indicateurs de perfor-
mance à travers les États-Unis. Voir également Ijoma et Fazari, supra note 24, et Gould et al, supra
note 24.
45. Ibid.

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172 Revue générale de droit (2021) 51 R.G.D. 161-199

L’expérience américaine permet l’intégration de solutions de type


GFI et GDFI, lesquelles engagent le système de justice, ainsi que les
pouvoirs législatif et exécutif, afin de les rendre prioritaires. Ces
mesures transcendent le fonctionnement des instances et nécessitent
un effort soutenu et réel dans la réalisation d’objectifs d’efficacité. On
peut toutefois s’interroger sur la mise en œuvre de ces mesures qui
exige nécessairement une réduction des ressources octroyées à cer-
tains types de dossiers. À cet égard, la détermination des objectifs et
le choix des critères de tri et d’évaluation sont des exercices sensibles
puisqu’ils peuvent exiger de privilégier certains justiciables au détri-
ment d’autres. C’est ainsi que la considération du seul critère du
­montant en litige pourra, notamment, avoir l’effet de limiter l’accès
des individus aux ressources judiciaires en favorisant plutôt celui des
­justiciables constitués en entreprises.

B. Techniques pour contrôler le rythme procédural


dans les litiges complexes et de masse
La pandémie de la COVID-19 laisse présager l’introduction devant
les tribunaux de litiges complexes et de masse, que l’on définit ainsi
en raison de leur degré de difficulté sur les plans procédural, proba-
toire, juridique ou logistique46. Ces dossiers ont un « cycle de vie » plus
difficilement prévisible et sont susceptibles d’entraîner des retards
et un dépassement des coûts envisagés47. Pour cela, ils peuvent exiger
un niveau disproportionné d’attention des tribunaux, privant, par le
fait même, des dossiers moins complexes de leur part de ressources
judiciaires. Pour progresser efficacement à travers les étapes du

46. Le nombre de parties impliquées, l’attitude conflictuelle des parties, la complexité et le


nombre de questions en litige, les enjeux financiers, la preuve volumineuse nécessaire, ainsi que
le fait de procéder par la voie de l’action collective sont quelques indices pointant vers la ­catégorie
des litiges complexes ou de masse; voir Francis McGovern, « Mass Torts: Lessons in Competing
Strategies and Unintended Consequences », Civil Action 2:1 (2003) 1, en ligne : National Center
for State Courts <cdm16501.contentdm.oclc.org/cdm/ref/collection/civil/id/51>. Au Québec,
­plusieurs actions collectives ont été intentées depuis le début de la pandémie. Voir, notamment,
au Canada : Conseil pour la protection des malades c Centre intégré de santé et de services sociaux de
la Montérégie-Centre, 2020 QCCS 1663; Conseil pour la protection des malades c Centre intégré de
santé et de services sociaux de la Montérégie-Centre, 2020 QCCS 158.
47. Ibid. Donnons l’exemple des litiges de masse intentés à la suite des attentats du 11 sep-
tembre 2001 au World Trade Center (WTC) de New York; voir Alvin K Hellerstein et al, « The 9/11
Litigation Database: A Recipe for Judicial Management » (2013) 90:3 Wash U LR 653. Voir aussi
McGovern, supra note 46, et Adam S Zimmerman, « Surges and Delays in Mass Adjudication »
(2019) 53:4 Ga L Rev 1335.

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Chaffai-Parent et Piché Primauté de l’efficacité et solutions judiciaires 173

­ rocessus judiciaire, les affaires complexes et les litiges de masse


p
exigent un traitement particularisé.

1. Gestion particulière pour une instance sur mesure


La participation active du tribunal dans la gestion des litiges favorise
un règlement plus simple, rapide et économique des différends. Per-
mettre au juge d’être gestionnaire de l’instance a constitué le fer de
lance de la réforme anglaise de la procédure civile, orchestrée par
le juge Woolf dans les années 9048, tout en étant l’une des mesures de
réforme de la procédure civile ayant fait couler le plus d’encre49. Vus
au départ d’un œil sceptique par le milieu de la pratique, en raison des
traditions d’autonomie propres aux systèmes contradictoires, les pou-
voirs de gestion font désormais partie intégrante de l’arsenal de
moyens dont disposent les juges50. Les litiges complexes ou de masse
constituent le terrain de jeu idéal pour que le tribunal déploie cet
arsenal procédural dans sa quête d’efficacité.
Prenons l’exemple de l’affaire de la pyrrhotite, un litige complexe
d’une valeur de 158 millions de dollars qui a été intenté il y a quelques
années en Cour supérieure du Québec, impliquant près de 1 000
demandeurs, en majeure partie des particuliers, et plus de 60 défen-
deurs51. Ce recours ne pouvait être exercé, sur le plan procédural, par
voie d’action collective en raison de la complexité des liens de droit
entre les parties et l’absence de similarités entre les réclamations. Les
882 actions ont donc fait l’objet d’une jonction d’instances, supervisée
par le même juge gestionnaire. Pour l’ensemble des actions, les parties
et le tribunal ont consenti à un « contrat judiciaire », une entente par-
ticularisée par laquelle certaines règles procédurales ont été adaptées
à la complexité du dossier, ainsi qu’aux divers obstacles pratiques
inhérents à une cause de cette envergure. Plus particulièrement, une

48. Woolf, supra note 19.


49. Voir, notamment, Denis Ferland et Benoît Emery, Précis de procédure civile, 5e éd, Cowans-
ville, Yvon Blais, 2015; Catherine Piché, « Un juge extraordinaire » dans Sylvette Guillemard, dir,
Le Code de procédure civile : quelles nouveautés?, coll « Cahiers de droit, Montréal », Yvon Blais,
2016; Pierre Noreau et Mario Normandin, « L’autorité du juge au service de la saine gestion de
l’instance » (2012) 71 R du B 207; Yves-Marie Morissette, « Gestion d’instance, proportionnalité
et preuve civile : état provisoire des questions » (2009) 50: C de D 381.
50. Prévus majoritairement à l’article 158 Cpc.
51. Deguise c Montminy, 2014 QCCS 2672. L’affaire est présentement en appel, et les défendeurs
condamnés ont annoncé qu’ils feront appel du jugement de la Cour d’appel en Cour suprême
du Canada.

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174 Revue générale de droit (2021) 51 R.G.D. 161-199

entente pour simplification des procédures et limitation des défenses


a été conclue et un dossier phare a été retenu, auquel toutes les autres
actions ont été automatiquement jointes52. Les parties ont convenu
de produire une expertise commune concernant l’évaluation des dom-
mages, rattachée à un protocole négocié quant aux méthodes de prise
de données. Certaines défenderesses ont également procédé par
expertise commune à l’égard de certaines questions reliées à la faute.
Une collaboration serrée entre les parties, sous la supervision et les
encouragements du tribunal, a également mené à la réalisation d’une
importante liste d’admissions et à un protocole commun de gestion
électronique de la preuve, soit 20 000 pièces comprenant plus de
600 000 pages. Ces mesures de gestion ont permis une mise en état
rapide et la tenue d’un procès de 68 jours comportant l’audition de
185 témoins, dont 30 experts53. La conduite particulièrement expé­
ditive de cette affaire en première instance la distingue et démontre
qu’une gestion active et créative par le tribunal encourage la colla­
boration des parties et promeut l’efficacité de la justice civile et de
son administration.
La gestion particulière, bien qu’elle soit a priori procédurale, a tout
avantage à encadrer également les modes de communication et d’ad-
ministration de la preuve lors des étapes préalables à l’instance. Ces
échanges entre les parties sont connus pour être coûteux et longs, en
plus d’exacerber les inégalités de moyens entre les parties54. Pour cette
raison, une réflexion individualisée pourra assurer une gestion de la
preuve proportionnée et efficace. À titre d’exemple d’une telle gestion,
il est utile de mentionner un projet pilote mené dans l’État du New
Hampshire, intitulé Proportional Discovery / Automatic Disclosure Rules55.
Ce projet, axé sur la bonne volonté et la collaboration, préconise la
tenue d’interrogatoires préalables écrits plutôt qu’oraux, la divulgation

52. Cette mesure est fréquemment utilisée dans les litiges de masse américains, lorsqu’une
action collective est impossible. Ce fut, notamment, le cas dans l’affaire des travailleurs du chan-
tier de Ground Zero à la suite des attentats terroristes du 11 septembre 2001 à New York, ainsi
que dans une affaire impliquant un grand nombre de demandeurs au prise avec des problèmes
liés à une hanche artificielle défectueuse. Voir à cet égard Zimmerman, supra note 47.
53. Ibid, voir les paragraphes 12 et suivants sur la gestion de l’instance.
54. Ils constituent, au Québec, une des deux causes de la prolongation des coûts et délais
(l’autre étant les expertises); Québec, Ministère de la Justice, Rapport d’évaluation de la Loi portant
réforme du Code de procédure civile, Québec, Publications du Québec, 2006.
55. Paula Hannaford-Agor et al, « New Hampshire: Impact of the Proportional Discovery –
Automatic Disclosure (PAD) Pilot Rules » (19 août 2013) en ligne : National Center for State Courts
<ncsc.contentdm.oclc.org/digital/collection/civil/id/115>.

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Chaffai-Parent et Piché Primauté de l’efficacité et solutions judiciaires 175

volontaire et rapide, par chacune des parties, du nom et des coordon-


nées des individus possédant de la preuve, ainsi que de tous
­documents, renseignements stockés électroniquement et éléments
matériels liés aux procédures. Une ventilation des dommages réclamés
par catégorie, avec preuve à l’appui, doit aussi être fournie, ainsi que
tous les renseignements pertinents en matière d’assurances. Bien
qu’une telle gestion de la preuve soit plus exigeante que les règles
ordinaires de constitution préalable de la preuve énoncées au Code de
procédure civile, il faut souligner qu’elle pourrait néanmoins respecter
la lettre et l’esprit du principe directeur de coopération de l’article 20
du Code de procédure civile56.

2. Réorganisation des ressources humaines dans le cas


des litiges complexes ou de masse
Plusieurs solutions visant une plus grande efficacité de la justice
récessitent une réorganisation du travail, des modalités et du contexte
dans lequel ce travail s’effectue. L’efficacité du système de justice sup-
pose que les juges consacrent majoritairement, voire uniquement,
leur temps de travail à des tâches à haute valeur ajoutée57. Ainsi, la
formation d’équipes de gestion des litiges permet de profiter de l’ex-
pertise particulière de certains juges et de déléguer à d’autres les actes
moins spécialisés, comme ceux liés à la gestion de l’instance, permet-
tant ainsi au juge de se consacrer surtout à l’adjudication de questions
juridiques complexes et à celle du bien-fondé58. Les systèmes de jus-
tice doivent valoriser et maximiser le travail de chacun des membres
de l’équipe judiciaire59.
Dans plusieurs tribunaux américains, des coordonnateurs de dossiers
sont nommés et ont pour responsabilité d’effectuer le suivi des dossiers
qui ne progressent pas et d’assister les parties dans la résolution de

56. En effet, l’article 20 Cpc mentionne que les parties « se doivent de coopérer notamment
en s’informant mutuellement, en tout temps, des faits et des éléments susceptibles de favoriser
un débat loyal et en s’assurant de préserver les éléments de preuve pertinents », et qu’elles
doivent « s’informer des faits sur lesquels elles fondent leurs prétentions et des éléments de
preuve qu’elles entendent produire ». D’autres exemples de gestion différenciée ont eu cours
dans les litiges ayant suivi les attentats du 11 septembre 2001 à New York. Voir Zimmerman,
supra note 47.
57. Clarke et Flango, supra note 23, et Lieberman et al, supra note 30.
58. Ibid.
59. Ng, supra note 9.

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176 Revue générale de droit (2021) 51 R.G.D. 161-199

certains problèmes procéduraux60. Ces acteurs particuliers voient leur


rôle adapté en fonction des renseignements empiriques amassés au
sein des tribunaux. C’est de cette manière que certains tribunaux de
l’État d’Utah ont revu la structure de leurs équipes judiciaires, notam-
ment afin d’automatiser des tâches de moindre importance, relatives
à la gestion du greffe61. Les employés du greffe ont ainsi été formés
pour exécuter certaines tâches visant à encourager la progression
des parties dans le cadre d’une GFI. En Ontario, des coordonnateurs
des tribunaux unifiés de droit de la famille ont également été nommés
pour assurer le bon déroulement des dossiers en effectuant certaines
tâches de gestion et en intervenant en cas de demandes urgentes pour
faciliter l’organisation et le déroulement rapide des auditions devant
le tribunal.
Enfin, certaines juridictions de common law permettent de nommer,
dans des « circonstances exceptionnelles », un special master ou
referee62, pour assister le juge dans la gestion d’une affaire particu-
lière63. Nommé à la demande des parties ou suivant l’ordre du tribunal,
et rémunéré par les parties64, il s’agit généralement d’un avocat expé-
rimenté ou d’un juge à la retraite. À mi-chemin entre une mesure de
gestion et la nomination d’un arbitre, on fait appel au special master
le plus souvent dans les litiges complexes, comme les litiges de masse

60. Bakke et Solomon, supra note 24. L’introduction de ces acteurs dans l’équipe de gestion
des litiges peut aussi être avantageuse en ce qui a trait au contact avec les personnes non
représentées. Voir également Lynn Jokela et David F Herr, « Special Masters in State Court
­Complex Litigation: An Available and Underused Case Management Tool » (2005) 31:3 William
Mitchell LR 1299.
61. Clarke et Flango, supra note 23.
62. Pour alléger le texte, et parce qu’il n’y a pas de réel équivalent en français, nous utiliserons
uniquement l’expression anglaise special master.
63. Jokela et Herr, supra note 60.
64. Ibid; Richard Lee, « Appointing a Discovery Referee in California State Court », LA Lawyers
27:9 (décembre 2004) 10, en ligne : <www.lacba.org/docs/default-source/lal-back-issues/2004-
issues/december-2004.pdf>; Cary Ichter et S Paul Smith, « Special Masters: Mastering the Pre-
trial Discovery Process », Georgia Bar Journal 12:6 (avril 2007) 22, en ligne : <www.gabar.org/
newsandpublications/georgiabarjournal/loader.cfm?csModule=security/getfile&pageID=4646>;
Howard R Marsee, « Utilizing Special Masters in Florida, Unaswered Questions, Practical Con-
siderations and the Order of Appointment », Florida Bar Journal 81:9 (octobre 2007) 12, en ligne :
<www.floridabar.org/the-florida-bar-journal/utilizing-special-masters-in-florida-­unanswered-
questions-practical-considerations-and-the-order-of-appointment/>; Ron Kilgard, « Discovery
Masters: When They Help—and When They Don’t », Arizona Attorney 40:8 (avril 2004) 30.

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Chaffai-Parent et Piché Primauté de l’efficacité et solutions judiciaires 177

ou les actions collectives65. Sa participation est considérée comme


étant une mesure d’efficacité puisqu’elle permet une économie de
temps et d’argent, ainsi qu’un déroulement simplifié des procédures
et une réduction du nombre de débats devant la cour66. Étant nommé
spécifiquement pour le dossier, le special master peut assister les par-
ties dans la négociation d’une entente à l’amiable67 ou pour trancher
les différends procéduraux. En outre, en cas de désaccord sur des
objections, le special master pourra intervenir pour les trancher, à la
manière d’un arbitre et d’une façon non contraignante pour les par-
ties68 . Les parties peuvent donc s’entendre pour volontairement
déclarer la décision contraignante ou exiger une audition pour la faire
entériner par le tribunal69. Il est à noter, toutefois, qu’une partie qui
abuserait de cette possibilité pourrait se voir condamnée à des frais
de justice70.
À titre d’exemple, deux special masters ont été nommés dans les
litiges découlant du 11 septembre 2001 et impliquant des travailleurs
de Ground Zero à New York, afin de structurer l’ensemble du processus
de communication de masse de la preuve (la phase du discovery)71.
Pour y arriver, ils ont élaboré un questionnaire obligatoire pour tous
les demandeurs, collecté les renseignements personnels de ceux-ci et
conservé de façon sécuritaire et confidentielle les dossiers médicaux.
Les special masters ont également proposé certains ajustements aux
règles procédurales pour satisfaire aux particularités de l’affaire. Ils ont
entendu et tranché certaines demandes interlocutoires72. Mention-
nons également l’action collective américaine relative à la consomma-
tion de produits de tabac, l’affaire relative à l’herbicide toxique agent

65. Clarke et Flango, supra note 23, et Zimmerman, supra note 47.
66. JAMS, « Using Special Masters and Referees Effectively », Academy of Court-Appointed
Masters, en ligne : <www.courtappointedmasters.org/acam/assets/file/public/resources/Using-
Special-Masters-and-Referees.pdf>.
67. McGovern, supra note 46.
68. Jokela et Herr, supra note 60; Lee, supra note 64; Ichter et al, supra note 64; Marsee, supra
note 64.
69. Dans certains cas, selon le mandat du special master, la décision de l’arbitre ne sera
contraignante que si les parties ne s’y opposent pas dans un délai donné. Elle deviendra alors
exécutoire. S’il y a opposition, la recommandation du special master sera soumise au juge pour
être tranchée.
70. Jokela et Herr, supra note 60; Lee, supra note 64; Ichter et al, supra note 64.
71. McGovern, supra note 46.
72. Ibid.

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178 Revue générale de droit (2021) 51 R.G.D. 161-199

Orange et celle relative au contraceptif Dalkon Shield, qui ont toutes


trois été conduites sous la gouverne de special masters73.

C. Nécessité de données empiriques pour la bonne intégration


en justice des principes de gestion
Bon nombre des moyens répertoriés dans cette première partie
visent une distribution optimale des ressources judiciaires. Or, la simple
existence de ces mesures dans un système n’est pas suffisante pour en
récolter les fruits. D’un point de vue managérial, le constat est qu’une
justice efficace semble se réaliser par une gestion active à deux
niveaux. La poursuite de l’efficacité exige nécessairement une inter­
action précise entre des mesures « macros » de contrôle du flux des
dossiers et des mesures « micros » pouvant être adaptées aux particu-
larités des dossiers, surtout ceux qui risquent potentiellement de sur-
charger le système. Les ressources du système judiciaire étant limitées,
les mesures doivent être utilisées stratégiquement et non disséminées
aléatoirement. Les mesures propres aux litiges complexes ou de masse
participent également d’une allocation contrôlée des ressources pour
rétablir l’équilibre entre les différents types de dossiers judiciaires.
Mesurer de manière empirique l’efficacité de l’action judiciaire
conduit à une meilleure appréciation des délais, à un habile équilibrage
entre la distribution des ressources judiciaires disponibles, à la fixation
de cibles réalistes à atteindre et, ultimement, à une réduction des
délais74. Autrement dit, les ressources judiciaires étant limitées, un sys-
tème fonctionnel de collecte de données permet de maximiser l’utili-
sation efficace des ressources75.
Mesurer empiriquement l’administration de la justice et l’activité
judiciaire pose son lot de défis, tant d’un point de vue juridique qu’au
chapitre des choix politiques et budgétaires. Ces systèmes de collecte
de données sont souvent onéreux, en termes de coûts et de temps.

73. Justice John G Farrell, « Administrative Alternatives to Judicial Branch Congestion » (2007)
27:1 J. Nat’l Ass’n Admin L Judiciary 1.
74. C’est un constat qui semble généralisé tant aux États-Unis qu’en Europe; voir à ce sujet
Pim Albers, « Judicial Systems in Europe Compared » dans Van Rhee et Uzelac, supra note 9 à la
p 9, qui cite les travaux de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ), ainsi
que ceux de la National Association for Court Management in America. Nous citerons également
les travaux importants du National Center for State Courts
75. Interrelation décrite dans Ng, supra note 9.

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Chaffai-Parent et Piché Primauté de l’efficacité et solutions judiciaires 179

De même, il est parfois complexe de structurer un système qui


­permette l’équilibre entre indépendance, efficacité, transparence et
imputabilité.

II. DISPONIBILITÉ DE MODES DIVERSIFIÉS


ET EFFICACES DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS
L’augmentation du nombre de règles en droit substantiel et la com-
plexification des rapports sociaux ont contribué, entre autres choses,
à la multiplication des litiges76. Depuis les années 70, pour faire face
à l’expansion du flux des dossiers judiciaires, l’intérêt envers la diver-
sification des modes de règlement des différends a été cultivé, le
Québec ne faisant pas exception à la tendance77. Les dernières années
ont vu une reconnaissance progressive des modes consensuels de
règlement des différends et de leurs avantages, notamment par la
participation des juges à la conciliation des parties, ainsi que par l’in-
tégration expresse de ces modes au Code de procédure civile78. Ainsi,
le rôle du juge « adjudicateur »79 a évolué, celui-ci devant désormais
autant stimuler la conciliation des intérêts des parties que favoriser la
participation des justiciables à la résolution de leurs problèmes juri-
diques80. Bon nombre de ces modes offrent des avantages indéniables
du point de vue des justiciables. Volontaires, consensuels, participatifs
et plus informels que les procédures judiciaires81, ils favorisent la
­responsabilisation des parties par rapport à leur différend, en plus de
leur permettre d’en choisir l’issue eux‑mêmes82. Le choix de les inté-
grer à la plus récente réforme du Code de procédure civile, voire de les
privilégier83, tient plus de la poursuite de l’efficacité et de la réduction

76. Belley, supra note 6.


77. Pierre-Claude Lafond, « Introduction » dans Pierre-Claude Lafond, dir, Régler autrement les
différends, Montréal, Lexis Nexis, 2015, 1.
78. Le Code de procédure civile intègre officiellement les modes privés par leur évocation dans
sa disposition préliminaire, par la formulation de principes directeurs leur étant applicables
(arts 1–7 Cpc), par leur intégration dans la mission des tribunaux (art 9 Cpc), ainsi qu’à travers le
mécanisme de conférence de règlement à l’amiable et l’intégration d’un livre complet sur les
modes privés de prévention et de règlement des différends (arts 161–165 et 605–655 Cpc).
79. Belley, supra note 6.
80. Art 10 Cpc.
81. Lafond, supra note 77.
82. Ibid.
83. Jean-François Roberge, S Axel-Luc Hountohotegbè et Elvis Grahovic, « L’article 1er du
nouveau Code de procédure civile du Québec et l’obligation de considérer les modes de PRD : des
recommandations pour réussir un changement de culture » (2015) 2: 49 RJTUM 487.

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180 Revue générale de droit (2021) 51 R.G.D. 161-199

du nombre d’affaires entendues par les tribunaux que du désir d’ex-


ploiter le plein potentiel de ces modes84. Aux fins de la présente étude,
les catégories de mesures répertoriées dans cette seconde partie se
limitent aux modes autres que l’adjudication par un juge, lesquels sont
néanmoins intégrés à l’activité des tribunaux étatiques85.

A. Mesures applicables à l’étape préjudiciaire


Les processus de la justice consensuelle débutent bien avant le
dépôt de procédures judiciaires devant les tribunaux. Au Québec, par
l’article premier du Code de procédure civile, qui énonce l’obligation des
parties de considérer les modes privés avant le dépôt de procédures
judiciaires, on a voulu remplacer le réflexe de la confrontation judiciaire
par celui de la collaboration amiable et conciliatrice. Cette obligation
de considération, bien qu’intéressante, semble être plutôt de l’ordre
du vœu pieux que de la contrainte lorsque prise individuellement. Or,
l’utilisation d’un protocole préjudiciaire offre la possibilité de concré-
tiser la réflexion prescrite à l’article premier du Code de procédure civile
en encourageant à discuter et, donc, à « considérer » la possibilité de
régler le différend à l’amiable avant le dépôt de procédures judiciaires.
Le protocole préjudiciaire permet ainsi l’échange de renseignements
qui, autrement, sont souvent communiqués à un stade relativement
avancé du processus judiciaire. Les parties peuvent donc évaluer
de manière plus éclairée l’opportunité de régler leur différend à
l’amiable86. Il nécessite idéalement l’échange d’offres de règlement
dès le stade préjudiciaire et, en cela, il amorce la négociation. Il pose
également les bases d’une conduite plus expéditive du litige, si celui-
ci, ultimement, se rend au dépôt de procédures87. Fréquemment utilisé
dans certains États américains88, le protocole préjudiciaire, au Québec,

84. Voir à ce sujet ibid, ainsi que Belley, supra note 6, qui aborde la question en vue d’une
réforme potentielle.
85. Excluant ainsi les modes privés auxquels le recours ou le déroulement n’implique aucune
participation des tribunaux judiciaires, comme la négociation, la médiation ou la conciliation
privées et l’arbitrage privé.
86. Van Rhee, « Dutch Civil Procedure », supra note 7.
87. Voir les propos théoriques dans Alan Uzelac, « Reforming Mediterranean Civil Procedure:
Is There a Need for Shock Therapy? » dans Van Rhee et Uzelac, supra note 9, 71.
88. Tania Sourdin et Naomi Burstyner, « Australia’s Civil Justice System: Developing a Multi-­
Option Response » dans Trends in State Courts (2003), en ligne : National Center for State Courts
<ncsc.contentdm.oclc.org/cdm/ref/collection/civil/id/106>.

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Chaffai-Parent et Piché Primauté de l’efficacité et solutions judiciaires 181

aide à réduire le nombre d’interrogatoires, expertises et demandes en


irrecevabilité, lesquels contribuent aux délais judiciaires89.
Approche sophistiquée des modes privés, le modèle à portes mul-
tiples (« MPM »), ou multi-door model, s’inscrit dans une vision plurielle
de la justice, selon laquelle le justiciable peut choisir l’option la plus
appropriée parmi plusieurs pour régler son problème90. La mise en
place d’un MPM nécessite une certaine « réingénierie » des instances
judiciaires, notamment à l’étape de l’introduction de la demande
en justice et même à l’étape préjudiciaire. Un exemple de MPM réussi,
voire exemplaire91, est le Civil Resolution Tribunal (« CRT ») de la
Colombie-Britannique, premier tribunal entièrement en ligne au
Canada92. Le CRT est un outil axé sur les besoins du justiciable, sa
mission étant « d’amener » la justice vers les justiciables. Il a juridiction
pour trancher des litiges a) relatifs à un accident de véhicule à moteur
(moins de 50 000 $); b) portant sur une créance de moins de 5 000 $;
c) liés à la propriété de condominiums; et d) impliquant certaines
sociétés et associations corporatives enregistrées auprès du registraire
des entreprises de la Colombie-Britannique93. Le CRT utilise un pro-
cessus de triage94 pour orienter les justiciables vers différentes avenues
de règlement. Au niveau opérationnel, le processus commence par un
solution explorer, soit un outil de triage libre-service. Diverses questions
sont automatiquement posées au justiciable pour lui proposer des
avenues potentielles de résolution du conflit. Par exemple, si un justi-
ciable répond négativement lorsqu’on lui demande s’il a mis en
demeure la partie adverse, on le redirigera vers des modèles de mises

89. Voir, notamment : Louis Marquis, Droit de la prévention et du règlement des différends (PRD),
principes et fondements : une analyse dans la perspective du nouveau Code de procédure civile du
Québec, Sherbrooke, Éd Revue de droit de l’Université de Sherbrooke, 2015. Voir aussi Comité
d’action sur l’accès à la justice en matière civile et familiale, L’accès à la justice en matière civile et
familiale : une feuille de route pour le changement, Ottawa, 2013; Hon Guy Gagnon, Le « Pre-Action
Protocol » fait-il partie de la solution?, Cour du Québec, mars 2009; Trevor Farrow et al, Addressing
the Needs of Self-Represented Litigants in the Canadian Justice System, Livre blanc préparé pour
l’Association of Canadian Court Administrators, Toronto et Edmonton, 2012.
90. Sourdin et Burstyner, supra note 88.
91. Richard Rogers a qualifié le Civil Resolution Tribunal de « système public de résolution des
litiges en ligne le plus connu et le plus avancé au monde »; en ligne : <www.cyberjustice.
ca/2020/04/27/crtwebinar/>.
92. L’ensemble de l’information sur le CRT a été obtenue dans le cadre du webinaire Improving
Access to Justice Through User-Focused ODR, organisé par le Laboratoire de cyberjustice de l’Uni-
versité de Montréal avec Richard Rogers, directeur exécutif et registraire du CRT, le 20 mai 2020,
en ligne : <www.cyberjustice.ca/2020/04/27/crtwebinar/>.
93. Civil Resolution Tribunal, en ligne : <civilresolutionbc.ca/>.
94. Sourdin et Burstyner, supra note 88.

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182 Revue générale de droit (2021) 51 R.G.D. 161-199

en demeure. Il lui sera ensuite proposé de négocier en direct ou en


différé par l’intermédiaire d’une plateforme en ligne, avec ou sans
l’aide d’un facilitateur. Si, après un échange entièrement en ligne des
positions et des moyens de preuve, ces moyens de rechange échouent,
un juge du CRT pourra présider une audience virtuelle et rendre
une décision. Un justiciable qui le souhaite peut aussi demander une
audience « au vu » du dossier, par téléphone ou en personne, bien que
l’usage des technologies soit préconisé. Les statistiques sur l’utilisation
du CRT sont édifiantes. Le temps moyen de résolution d’une affaire
est de 79,3 jours95. Il est également intéressant de constater que sur
54 680 justiciables ayant franchi la première étape, soit le solution
explorer, seulement 5 880 ont introduit plus formellement une procé-
dure au CRT. De ces 5 880 justiciables, seulement 1 274 se sont rendus
à l’étape de l’adjudication.

B. Intégration de modes privés de règlement des différends


à la pratique des tribunaux
Parce qu’ils permettent l’atteinte d’une entente négociée de
consentement entre les parties, les modes privés sont souvent pré-
sentés comme constituant une solution idéale au problème de l’engor-
gement des tribunaux. Ultimement, ils favoriseraient un emploi plus
efficace des ressources judiciaires uniquement dans les affaires qui
nécessitent réellement l’intervention d’un juge96. À ce titre, le système
de justice québécois est précurseur en la matière avec ses conférences
de règlement à l’amiable offertes aux parties qui en font la demande
dans le cadre de tout litige devant ses tribunaux97. Les mesures que
nous aborderons ci-après regroupent certaines mesures intégrées aux
pratiques des tribunaux de différentes juridictions pour encourager,
parfois même imposer la participation à un mode privé de règlement
des différends98.

95. Les données utilisées ont été recueillies du 1er avril 2019 au 31 mars 2020.
96. Lafond, supra note 77. Voir également les propos théoriques dans Van Rhee, « Dutch Civil
Procedure », supra note 7.
97. Art 161 Cpc. Voir également Jean-François Roberge et Elvis Grahovic, « L’accès à la justice
et le succès en conférence de règlement à l’amiable : mythes et réalités » (2014) 73 R du B 439.
98. Soulignons d’emblée que l’étude effectuée s’est limitée aux exemples de modes de règle-
ment des différends qui ont un point de contact avec les activités institutionnelles du système
de justice. Elle n’inclut donc pas les modes qui ne concernent que l’action privée des parties,
comme la négociation, la conciliation ou la médiation privée.

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Chaffai-Parent et Piché Primauté de l’efficacité et solutions judiciaires 183

Dans le même esprit que la conférence de règlement à l’amiable


québécoise, la Cour supérieure de la Californie sert d’exemple en
encourageant les parties à participer volontairement à une séance de
conciliation supervisée par un avocat expérimenté, qui les aidera
à cheminer vers un règlement à l’amiable99. Cette mesure est avan­
tageuse, car elle épargne la charge déjà lourde des juges en ­désignant
un conciliateur issu de la profession juridique. Elle doit également être
tenue durant les six premiers mois de l’instance, encourageant d’autant
le règlement hâtif des différends et libérant du coup des ­ressources
judiciaires100.
Toujours dans l’optique d’encourager les règlements à l’amiable le
plus tôt possible au cours de l’instance, l’évaluation préliminaire neutre
(« EPN »), ou early neutral evaluation, est un processus d’appréciation
des chances de succès de chacune des parties, réalisé par un évaluateur
expérimenté et neutre101. Par ce processus, on tentera de prédire com-
ment un tribunal tranchera le jugement à intervenir tout en indiquant
les forces et les faiblesses de part et d’autre102. Cette méthode est pré-
conisée pour les dossiers complexes, « hors de contrôle », ou lorsque
les parties ont des attentes irréalistes envers le processus judiciaire103.
À la suite d’un projet pilote implanté dans le Northern District of
­California, plusieurs États américains ont intégré un programme d’EPN
à l’offre de modes privés déjà en place104.
Dans le même esprit que l’EPN, le mini-procès, ou mini-trial, est à
mi-chemin entre la médiation et l’arbitrage classique105. Il s’agit de
simuler, de manière sommaire, la tenue du procès devant un tiers
neutre, soit quant à une question précise, soit quant à l’ensemble d’une

99. The Superior Court of California, voir en ligne : <www.scscourt.org/self_help/civil/adr/


adr_early_settlement.shtml>.
100. Ibid. De telles conférences de règlement à l’amiable, mais celles-ci obligatoires, sont éga-
lement prévues pour certains types d’affaires particulières. Il est intéressant de noter qu’à la
question : « What should I expect from my mandatory settlement conference? », il est indiqué
que « the purpose of the Mandatory Settlement Conference is to settle your case. Be prepared
for serious discussions of how your case can be resolved. »
101. Bernard Chao, Christopher Robertson et David Yokum, « The New Settlement Tools » (2018)
102:3 Judicature 63.
102. Norman Zakiyy JT Chow et Kamal Halili Hassan, « Integrating Early Neutral Evaluation Into
Mediation of Complex Civil Cases in Malaysia » (2014) 7:4 J Politics & L 138.
103. [Notre traduction] ibid à la p 142.
104. Ibid.
105. Michael F Hoellering, « The Mini-Trial » (1982) 37:4 Arb J 48.

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184 Revue générale de droit (2021) 51 R.G.D. 161-199

affaire. Cette simulation sera suivie par un avis non contraignant sur
l’issue potentielle d’un procès. Les parties, à l’aide ou non du tiers
neutre, pourront subséquemment tenter de négocier un règlement à
l’amiable106. Cette méthode, surtout utilisée dans le cadre d’actions
complexes sur le plan factuel107, bien qu’elle soit généralement choisie
à l’initiative privée des parties ou à la demande du tribunal, peut être
employée dans le contexte judiciaire, avec certaines variantes. Par
exemple, la Court of Queen’s Bench albertaine offre informellement et
gratuitement la tenue de mini-procès aux parties, le juge agissant infor-
mellement comme tiers neutre et, au besoin, comme médiateur108.
La Superior Court of California a intégré un processus d’arbitrage
judiciaire à mi-chemin entre le mini-procès et l’arbitrage109, par lequel
les parties présentent d’abord leur théorie de la cause et les principaux
éléments de leur preuve à un arbitre qui est un avocat expérimenté
ou un juge à la retraite. La décision rendue par l’arbitre n’est ni con­
traignante ni finale pour les parties, lesquelles peuvent s’y opposer
dans les 30 jours suivant son dépôt au dossier. En l’absence d’opposi-
tion, la décision sera considérée comme exécutoire et sans appel. S’il
y a opposition, une date de procès sera fixée. Fait important, le tribunal
couvre l’équivalent des cinq premières heures des frais de l’arbitre110.

C. Mesures de globalisation des processus d’indemnisation


Dans un esprit de justice distributive, opter pour la mise sur pied
d’un fonds d’indemnisation ou d’un programme global d’indemni­
sation dans le cadre d’un règlement à l’amiable est bénéfique pour les
parties. En restreignant la responsabilité des fautifs potentiels, ou
encore le montant de l’indemnisation, ces solutions permettent
d’éviter la multiplication ou la prolongation des litiges, les délais et
les frais judiciaires et extrajudiciaires qui y sont associés111. Pour ces

106. Voir sur le mini-trial, en ligne : <www.justice.gc.ca/eng/rp-pr/csj-sjc/dprs-sprd/res/drrg-


mrrc/05.html>.
107. Hoellering, supra note 105. Ces mini-trials semblent maintenant être offerts sous la
forme générale de judicial dispute resolution, qui offre toujours la possibilité au tribunal de
rendre informellement une opinion non contraignante sur une affaire; voir en ligne : <www.
albertacourts.ca/qb/areas-of-law/jdr>.
108. Voir, à ce sujet, W K Moore, « Mini-Trials in Alberta » (1995) 34:1 Alta LR 194.
109. Superior Court of California, supra note 99.
110. Il est mentionné que les séances d’arbitrage durent en moyenne trois heures.
111. Le fait de formuler une réclamation ou de recevoir une prestation d’un fonds d’indemni-
sation constituera le plus souvent une renonciation à son droit d’intenter une action en justice;
voir Farrell, supra note 73.

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Chaffai-Parent et Piché Primauté de l’efficacité et solutions judiciaires 185

raisons, et également parce qu’elles sont facilement adaptables aux


particularités d’une affaire, ces formules négociées sont parfois encou-
ragées par les tribunaux112.
Ainsi, le September 11th Victims Compensation Fund, qui a servi à
indemniser les victimes des attentats du World Trade Center à New York
ainsi que leurs familles, a aussi évité des poursuites judiciaires aux com-
pagnies aériennes impliquées113. Ainsi, près de sept milliards de dollars
américains114 ont été remis à 5 560 victimes et à leurs familles pendant
les deux années d’activité du fonds115. À cette fin, un avocat et média-
teur spécialisé a été nommé pour préparer une procédure de fonction-
nement lors de la création d’un fonds et pour évaluer l’admissibilité
des milliers de réclamations présentées selon des critères déterminés
à l’amiable par les parties116. De la même manière, plusieurs affaires
complexes relatives à des prothèses de hanche défectueuses, qui
étaient en cours devant les tribunaux américains117, se sont soldées
par la création d’un programme global de règlement à l’amiable sur
mesure118 . Dix-huit mois après l’introduction de la majorité des
demandes judiciaires, 95 % des demandeurs avaient choisi d’être
indemnisés en vertu du programme de règlement, et ce, même si le
montant à recevoir était susceptible d’être moins élevé119.

D. Coûteuse efficacité de la diversification des modes


de règlement des différends
Au Québec, l’accueil renouvelé et enthousiaste que la réforme de
2016 du Code de procédure civile a réservé aux modes privés était
­principalement lié à la plus grande efficacité espérée du système de

112. McGovern, supra note 46.


113. Elizabeth M Schneider, « Grief, Procedure and Justice: The September 11th Victim Com-
pensation Fund » (2003) 53 DePaul LR 457.
114. Soit 250 000 $ US par victime, 100 000 $ US pour l’époux ou chaque enfant d’une victime,
ainsi que des montants calculés selon une formule particulière pour les victimes blessées.
115. Farrell, supra note 73.
116. Ibid. Voir aussi Schneider, supra note 113.
117. Zimmerman, supra note 47.
118. Désigné dans la littérature comme le Bellwether Settlement Process. Il s’agit d’un processus
de règlement à l’amiable fondé sur des indicateurs de tendance; voir ibid.
119. Ibid.

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186 Revue générale de droit (2021) 51 R.G.D. 161-199

justice120. La promotion des modes privés vise, de fait, la réduction du


nombre d’affaires qui progressent devant les tribunaux et du nombre
de procès, économisant d’autant les ressources judiciaires. Bien sûr, les
modes privés offrent aux parties une solution de rechange plus rapide
et moins coûteuse, en comparaison avec le procès.
Ce positionnement ne considère toutefois pas le « mérite propre »121
des modes privés. Il promeut plutôt une vision qui se limite aux poten-
tielles économies de ressources dans le système de justice122. Il est
également problématique d’envisager les modes privés comme une
solution de rechange nécessairement économique ou plus efficace
pour les parties, alors que cela n’est pas toujours le cas123. Certains
risques sont d’ailleurs liés à l’usage grandissant des modes privés en
présence de parties aux forces asymétriques, risque auquel le Code de
procédure civile n’apporte pas de réelle réponse. En bref, pour être
exploités en toute profondeur, les modes privés doivent nécessaire-
ment être réfléchis et intégrés aux processus de la justice dans des
formes nouvelles, qui s’accommodent de leurs réels attributs, et non
seulement d’une conception idéalisée de leur efficacité.
Or, l’examen des solutions répertoriées permet de constater que les
mesures les plus ingénieuses, notamment le CRT, ne sont pas simples
à implanter. Mises en place avec l’ambition d’exploiter les forces des
modes privés, elles ont nécessité, en contrepartie, créativité, réflexion
et investissements considérables, en plus d’exiger de se détacher
de la culture et des attentes particulières des professionnels du droit.
Toutefois, elles semblent, à moyen ou long terme, fournir un résultat
effectivement plus efficace. Ainsi, il devient bénéfique de se détacher
de la recherche d’économie et d’efficacité pour répondre à d’autres

120. Sylvette Guillemard et Séverine Menétrey, Comprendre la procédure civile québécoise,


2e éd, coll « CÉDÉ », Montréal, Yvon Blais, 2017. Voir aussi Belley, supra note 6. C’est d’ailleurs une
réflexion qui est globale; voir à ce sujet Van Rhee et Uzelac, supra note 9.
121. Belley, supra note 6.
122. Voir les propos, dans la portion théorique, des travaux de A De Roo et R Jagtenburg,
« Mediation and Employment Disputes: European Traditions and Global Pressure » dans Van Rhee
et Uzelac, supra note 9, 229.
123. Belley, supra note 6. Belley mentionne que les modes privés nécessitent parfois un inves-
tissement émotionnel important de la part du justiciable, en plus d’exiger, dans certains cas,
une quantité considérable de temps, d’efforts et de fonds.

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Chaffai-Parent et Piché Primauté de l’efficacité et solutions judiciaires 187

besoins des justiciables, tels l’autodétermination, la simplicité des


­processus et le désir d’être traités avec respect124.

III. VIRAGE TECHNOLOGIQUE POUR UNE


RÉSOLUTION EFFICACE DES DIFFÉRENDS
Selon Richard Susskind, l’avenir des tribunaux passe par les techno-
logies125. Or, ce virage technologique dans l’instance civile est amorcé
au Québec, au Canada et dans le monde depuis plusieurs années
déjà126. Le Code de procédure civile a codifié, à l’article 26, un principe
de priorisation de « tout moyen technologique […], qui est disponible
tant pour les parties que pour le tribunal, en tenant compte, pour ce
dernier, de l’environnement technologique qui soutient l’activité des
tribunaux »127. Malgré cela, la réalité ne représente pas nécessairement
le vœu du législateur. Bien que certaines avancées technologiques
aient contribué à faciliter l’administration de la justice au Québec, plu-
sieurs obstacles demeurent. Pensons, notamment, aux contraintes
budgétaires128, ainsi qu’à l’attachement aux rituels judiciaires exigeant
la présence physique des parties au tribunal129. Est-il possible de
penser une justice rendue autrement, ou hors des palais de justice?
Une telle justice serait-elle à la fois équitable et efficace?

124. Au sujet de ces besoins, voir notamment Jean-François Roberge, « Sense of Access to
Justice as a Framework for Civil Procedure Justice Reform » (2016) 17:2 Cardozo J Conflict &
Resolution 323. Voir aussi Guillemard et Menétrey, supra note 120.
125. Richard Susskind, « The Future of Courts » (août 2020), en ligne : The Practice <thepractice.
law.harvard.edu/article/the-future-of-courts/>; et Richard Susskind, Online Courts and the Future
of Justice, Oxford, Oxford University Press, 2019.
126. Il s’agit bien souvent de cas où les technologies sont utilisées comme des initiatives
individuelles ou pour des raisons d’efficacité, et moins parce qu’une utilisation est exigée par
la loi ou effectuée systématiquement, ce qui nous intéresse davantage dans le cadre de la
présente recension. Voir la recension de Jane Bailey, « Digitization of Court Processes in Canada »
(2012) Laboratoire de cyberjustice document de travail no 2, en ligne : <www.cyberjustice.ca/
publications/digitization-of-court-processes-in-canada/>.
127. Art 26 Cpc.
128. Colin Rule et Mark James Wilson, « Online Resolution and Citizen Empowerment: Tax
Appeals and Court Resolutions in North America » dans Sam B Edwards III et Diogo Santos, Digital
Transformation and Its Role in Progressing the Relationship Between States and Their Citizens, Her-
shey, IGI Global, 2020, 94.
129. Fabien Gélinas, Clément Camion et Karine Bates, « Forme et légitimité de la justice —
Regard sur le rôle de l’architecture et des rituels judiciaires » (2014) 73:2 RIÉJ 37.

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A. Environnement technologique au soutien


de l’activité judiciaire
1. Procédures et gestion des instances
Un changement réel est désormais en cours avec l’établissement
récent du Greffe numérique judiciaire du Québec (GNJQ)130, mais il
est surprenant que l’intégration des technologies dans les activités
des greffes québécois soit aussi récente. Les formulaires automatisés
et le dépôt électronique des actes de procédure, pièces et autres
documents au greffe constituent des solutions efficaces pour pallier
le manque de personnel dans les palais de justice, en plus de per-
mettre la collecte de précieux renseignements empiriques sur le fonc-
tionnement de la justice. L’utilisation de moyens technologiques
constitue également une solution aux difficultés liées à la conservation
et à la circulation adéquate d’une masse de documents131. Ainsi,
en 2016, 39 % des tribunaux québécois et canadiens utilisaient systé-
matiquement ou ponctuellement différentes méthodes de dépôt
électronique, selon une étude du Laboratoire de cyberjustice de l’Uni-
versité de Montréal132. La Colombie-Britannique possède une plate-
forme centralisée de dépôt électronique d’actes de procédure et de
pièces133. La Cour d’appel de la Saskatchewan exige, quant à elle,
le dépôt des procédures et pièces électroniquement134. Par le fait
même, des renseignements sont tirés à même les dépôts pour amé-
liorer son système interne de gestion à l’aide des données nécessaires
à son fonctionnement.

130. L’annonce en a été faite en juin 2020. Le GNJQ est accessible en ligne au : <gnjq.justice.
gouv.qc.ca/>.
131. Ronald W Staudt, « Self-Represented Litigants and Electronic Filing », 8th National Court
Technology Conference, présentée à Kansas City, Missouri, octobre 2003. Voir également Roger
Winters, « Controversy and Compromise on the Way to Electronic Filing », dans Future Trends
in State Courts, National Center for State Courts, États-Unis, 2005, 127, en ligne : <cdm16501.
contentdm.oclc.org/cdm/ref/collection/tech/id/586>.
132. Cela inclut plusieurs possibilités, de l’envoi de procédures par courriel à des plateformes
plus sophistiquées; voir Nicolas Vermeys et Emmanuelle Amar, « Le dépôt technologique des
documents », Étude préparée à la demande du ministère de la Justice du Québec (mars 2016),
en ligne : Laboratoire de cyberjustice <www.cyberjustice.ca/files/sites/102/WP15-1.pdf>.
133. British Columbia, Court Services Online, en ligne : <justice.gov.bc.ca/cso/index.do>.
134. Heather Douglas, « Why the Saskatchewan Court of Appeal Has Barely Missed a Beat During
the Pandemic » (22 avril 2020), en ligne : Slaw <www.slaw.ca/2020/04/22/why-the-
saskatchewan-court-of-appeal-has-barely-missed-a-beat-during-the-pandemic/>.

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Chaffai-Parent et Piché Primauté de l’efficacité et solutions judiciaires 189

En aval du dépôt électronique des actes de procédures, pièces et


autres documents judiciaires, la gestion technologique de l’instance
(« GTI ») peut soutenir et automatiser la fonction de gestion de l’ins-
tance des juges et du personnel judiciaire, leur permettant ainsi
de consacrer le temps épargné à des tâches à valeur ajoutée135. La
technologie nécessaire à la GTI sert à gérer l’information judiciaire
­efficacement et à indiquer au tribunal qu’un dossier nécessite une
intervention136. Un tel système n’est pas sans rappeler l’esprit de la GFI
et de la GDFI précédemment discutées. Selon le niveau de sophistica-
tion de l’outil créé ou choisi137, la GTI pourra permettre de compiler
les données judiciaires manuellement ou à partir d’un système de
dépôt électronique des procédures. Elle pourra, notamment, per-
mettre d’organiser les dossiers, de procurer un accès électronique à
l’ensemble des procédures, pièces, procès-verbaux, jugements, com-
munications, notes et autres, d’acheminer automatiquement les divers
dossiers dans la voie procédurale appropriée, de gérer les échéances,
de générer des listes de tâches à effectuer ou de faciliter la communi-
cation entre le tribunal et les parties138. Par ailleurs, en plus de favoriser
l’efficacité et la transparence, la GTI participe d’une meilleure prévisi-
bilité de la durée des instances et contribue ainsi à une plus grande
équité procédurale dans la répartition des ressources entre les dos-
siers139. La plupart des tribunaux américains qui utilisent le GDFI
­disposent d’un système de GTI pour les appuyer dans les tâches de
gestion140. Les tribunaux de l’État du Michigan, notamment, se sont
dotés d’un tel système141. Ils y différencient quatre voies procédurales
distinctes et les dossiers judiciaires y sont classés selon certaines carac-
téristiques prédéterminées. Trois de ces voies sont majoritairement
gérées de manière autonome, les parties se voyant imposer des délais
qui respectent les normes fixées par le tribunal. Au Canada, la Cour
d’appel de la Saskatchewan a mis en place, en 2012, un système de GTI
pour ses activités de gestion, ainsi que pour le dépôt électronique des

135. Rooze, supra note 34.


136. McGovern, supra note 46.
137. Rooze, supra note 34.
138. Ibid.
139. Ibid.
140. Ibid. Voir aussi Clarke et Flango, supra note 23. Plusieurs autres juridictions utilisent des
systèmes de GTI, notamment l’Angleterre, l’Inde et la Malaisie.
141. Bakke et Solomon, supra note 24.

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190 Revue générale de droit (2021) 51 R.G.D. 161-199

procédures142. Par l’entremise du logiciel eCourt, elle automatise plu-


sieurs gestes de gestion, en plus d’être accessible 24 heures sur 24.

2. Utilisation des technologies pour la tenue d’audiences


Bon nombre de juridictions ont choisi, certaines en réponse à la
pandémie de COVID-19 et d’autres, bien avant cette réalité nouvelle,
de tenir leurs activités à distance, parfois uniquement pour les affaires
urgentes ou par nécessité, et parfois dans des cas, à plus grande
échelle143. Alors que plusieurs tribunaux, sans attendre, se sont adaptés
en utilisant les fournisseurs de services de conférences téléphoniques
ou de visioconférences, offerts au grand public144, d’autres avaient déjà
mis en place des systèmes permettant facilement l’adjudication à dis-
tance. Pour faciliter l’organisation des auditions à distance, certaines
juridictions utilisent un système de calendrier ou de prise de rendez-
vous virtuel, notamment la Colombie‑Britannique et son service
­électronique de planification d’auditions téléphoniques145. La tenue
d’audiences à distance représente une importante évolution par rap-
port aux procès nord-américains traditionnels. À cet égard, plusieurs
s’interrogent quant à l’équivalence entre l’appréciation des témoi-
gnages virtuels et celle des témoignages en personne et, en général,
s’inquiètent des conséquences d’éventuels problèmes techniques
durant les audiences virtuelles146. Notons les risques, que certains
entrevoient, de miner le caractère solennel de l’activité judiciaire, en

142. Douglas, supra note 134.


143. La reprise des auditions à distance est plutôt la norme que l’exception; voir, notamment,
la recension : General Services Unit, Office of the State Courts Administrator, « Strategy for
­Pandemic Influenza Keeping the Courts Open in a Pandemic » (mars 2006, dernière révision le
27 février 2020), en ligne : Florida State Courts <www.flcourts.org/content/download/608358/
file/strategy-for-pandemic-influenza-2020.pdf>. Voir aussi Douglas, supra note 134; Catherine
Piché et al, « COVID-19 and Civil Justice », conférence internationale, ­p résentée en ligne,
15 mai 2020 [non publiée].
144. Comme Zoom, Skype, Skype Business, Microsoft Teams ou WhatsApp.
145. En ligne : <justice.gov.bc.ca/scjob>.
146. Jean-Pierre Douglas-Henry et Ben Sanderson, « Empirical Evidence from Our Global Experi-
ence: Virtual Hearings » (14 mai 2020), en ligne : DLA Piper <www.dlapiper.com/en/uk/insights/
publications/2020/05/virtual-hearings-report/>; R-U, Civil Justice Council, The Impact of COVID-19
Measures on the Civil Justice System (Report and Recommendations), par Nathalie Byrom,
Sarah Beardon et Abby Kendrick, Civil Justice Council, mai 2020, en ligne : <www.judiciary.uk/
wp-content/uploads/2020/06/CJC-Rapid-Review-Final-Report-f.pdf>. Voir également Jacquelyn
Burkell et Lisa di Valentino, « Videoconferencing Literature Review Summary » (2012) Laboratoire
de cyberjustice Document de travail n° 4, en ligne : <www.cyberjustice.ca/publications/literature-
review-summary/>.

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Chaffai-Parent et Piché Primauté de l’efficacité et solutions judiciaires 191

plus de créer des interférences potentiellement néfastes dans l’évalua-


tion de la crédibilité des témoins à une audience à distance147. Au final,
une réflexion approfondie sera nécessaire quant aux avantages et défis
liés à la tenue de témoignages à distance, en prenant en considération
des critères comme la nature des actions, ainsi que les caractéristiques
propres aux témoins148.
La nécessité d’utiliser les technologies dans le cadre d’audiences,
tant en personne qu’à distance, est de plus en plus pressante, particu-
lièrement compte tenu de la pandémie. Selon les moyens disponibles,
différentes solutions technologiques sont utilisées pour un déroule-
ment des audiences plus efficace. Le dépôt et la présentation de la
preuve électroniquement, avec ou sans copie papier, sont des moyens
qui facilitent la tenue d’audiences dans bon nombre de juridictions.
À cet égard, on parle de procès virtuel, ou e-trial, lorsque la majorité
de la preuve est déposée et présentée au tribunal au moyen d’outils
technologiques149. Des salles d’audience entièrement équipées pour la
tenue de ces procès virtuels sont mises en place, avec écrans pour
présenter la preuve, connexion Internet, ordinateurs personnels pour
le juge et les employés du tribunal et points de connexion à la dispo-
sition des parties pour brancher leurs propres ordinateurs portables150.
La présentation électronique de la preuve permet, quant à elle, de
réduire le temps nécessaire d’audition en éliminant les manipulations
papier. Dans l’affaire 1159465 Alberta Ltd v Adwood Manufacturing Ltd151,
les procureurs ont estimé avoir réduit de 40 % le temps d’audience
nécessaire grâce à la tenue d’un procès virtuel. Dans l’affaire Hutchison

147. Amy Salyzyn, « A New Lens: Reframing the Conversation About the Use of Video Confer-
encing in Civil Trials in Ontario » (2012) 50:2 Osgoode LJ 429.
148. Voir Burkell et di Valentino, supra note 146. Voir également Penelope Gibbs, « Defendants
on Video — Conveyor Belt Justice or a Revolution in Access? » (2017), en ligne : Transform Justice
<www.transformjustice.org.uk/wp-content/uploads/2017/10/Disconnected-Thumbnail-2.pdf>.
149. Cette définition est inspirée de la définition donnée dans 1159465 Alberta Ltd v Adwood
Manufacturing Ltd, 2010 ABQB 133 [Atwood Manufacturing].
150. Kate Gower, « National “Model PD” on Technology in Civil Litigation » (13 mars 2019), en
ligne (blogue) : Gower Modern Law <gowermodernlaw.com/2019/03/technology-civil-litigation/>.
Voir également le texte détaillé de William G MacLeod, Electronic Trials—Counsel’s Perspective
After a Trial With CaseLines, Pacific Legal Technology Conference, 15 novembre 2019. Un exemple
d’un tel tribunal est le Laboratoire de cyberjustice de l’Université de Montréal, en ligne : <www.
cyberjustice.ca/>.
151. Atwood Manufacturing, supra note 149.

32346_RGD_vol51_no1_2021.indb 191 2021-08-19 14:01:43


192 Revue générale de droit (2021) 51 R.G.D. 161-199

v Moore152, l’un des procureurs au dossier a calculé que le choix d’un


procès virtuel pour la gestion d’une preuve de 56 539 pages avait
permis de réduire le temps d’audience de 10 à 20 %, et celui de prépa-
ration de la preuve, de 80 %153. Autre illustration au Québec, la Cour
supérieure a pu considérer électroniquement une preuve de plus de
20 000 pièces et de plus de 600 000 pages de texte dans le dossier
de la pyrrhotite, évoqué précédemment154. À cette occasion, une salle
d’audience a été spécialement équipée pour permettre la tenue du
procès. Les parties se sont entendues pour partager les frais d’un tech-
nicien informatique pour gérer électroniquement un dossier judiciaire
virtuel par l’intermédiaire de l’application Dropbox. Le contenu intégral
du dossier a été subséquemment récupéré pour conservation par le
ministère de la Justice du Québec. Les manipulations de dossiers en
format papier ont été restreintes au minimum, de consentement entre
les parties, ce qui a toutefois soulevé des questions quant à la possibi-
lité, pour le public, de consulter les documents en cours d’instance.
À cet égard, la tenue d’audiences virtuelles en permet également la
diffusion à plus grande échelle, ce qui pourrait substantiellement redé-
finir les pourtours du principe de la publicité des débats. Aux États-
Unis, la division d’appel du Federal Circuit permet au public d’accéder
en ligne à la diffusion audio de toutes ses auditions155. La Cour suprême
du Canada s’est adressée au public canadien et a invité les citoyens à
s’inscrire comme observateurs de sa première audience à distance,
tenue sur la plateforme Zoom156. Au Québec, les audiences de la Régie
de l’énergie, dont la diffusion audio est normalement accessible en
direct sur son site Internet, sont désormais retransmises par l’intermé-
diaire de la plateforme YouTube157.

152. Hutchison v Moore, 2019 BCSC 1479.


153. MacLeod, supra note 150.
154. Deguise c Montminy, 2014 QCCS 2672, aux para 96 et s.
155. United States Courts, « Judiciary Preparedness for Coronavirus (COVID-19) » (12 mars 2020),
en ligne : United States Courts <www.uscourts.gov/news/2020/03/12/judiciary-preparedness-­
coronavirus-covid-19>.
156. Cristin Schmitz, « SCC Poised for First Virtual Appeal Hearing; Zoom ‘Observers’ to See
Novel Contract, Criminal Cases » (5 juin 2020), en ligne : The Lawyer’s Daily <www.thelawyersdaily.
ca/articles/19410/scc-poised-for-first-virtual-appeal-hearing-zoom-observers-to-see-novel-
contract-criminal-cases?category=news>. Notons que la Cour suprême du Canada a diffusé
l’évènement sur les médias sociaux.
157. Régie de l’énergie, en ligne : <www.regie-energie.qc.ca/>.

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Chaffai-Parent et Piché Primauté de l’efficacité et solutions judiciaires 193

B. Modes privés de règlement des différends


sur support technologique
Le règlement des différends en ligne (« ODR »), ou online dispute reso-
lution, réfère à un ensemble de nouveaux moyens de résolution des
différends qui misent sur l’utilisation des technologies de l’informa-
tion158. Au-delà de la négociation, de la médiation ou de l’arbitrage en
ligne, la résolution des différends en ligne peut inclure des mécanismes
d’offres à l’aveugle159 ou l’utilisation de formulaires préprogrammés,
le tout par l’entremise de clavardage, de courriels, de visioconférences
ou encore de plateformes offrant des fonctionnalités particulières. En
expansion rapide à l’échelle de la planète160, ces modes de résolution
permettent de considérer la résolution de différends « autrement »161,
notamment par des processus simplifiés162. Plus proche de chez nous,
le CRT de la Colombie-Britannique, précédemment décrit, doit être
mentionné de nouveau comme étant non seulement le premier
­tribunal entièrement en ligne au Canada, mais également parce qu’il
offre plusieurs méthodes de règlement à l’amiable en ligne préalable-
ment à l’étape de l’adjudication163. Sur le plan technologique, y accéder

158. Andra Leigh Nenstiel, « Online Dispute Resolution: A Canada-United States Initiative »
(2006) 32 Can-US LJ 313. Voir aussi Nicolas Vermeys, « Les modes privés de prévention et de
règlement des différends en ligne », dans Lafond, supra note 77, 309.
159. Ce mécanisme nécessite l’utilisation d’une plateforme particulière, par laquelle on
demande aux parties d’indiquer confidentiellement le montant qu’elles espèrent obtenir dans
le cadre du règlement. Si ces montants sont identiques, les parties seront notifiées, et une
entente standardisée pourra même être produite à même la plateforme. Sinon, les parties seront
invitées à soumettre un second montant, jusqu’à ce qu’elles s’entendent. Voir à ce sujet Nicolas
Vermeys dans Lafond, supra note 77, 309.
160. Danielle Linneman, « Online Dispute Resolution for Divorce Cases in Missouri: A Remedy
for the Justice Gap » (2018) 2018-1 J Dispute Resolution 281.
161. Ilona Bois-Drivet, Paul Embley et Catherine Lawrence, « Justice and Fast Technological
Shift — Canada and USA Situation », conférence virtuelle, Laboratoire de cyberjustice, Université
de Montréal, 21 mai 2020, en ligne : <www.ajcact.org/en/publications/justice-and-fast-­
technological-shift-canada-and-usa-situation/>.
162. Melisse Stiglich et al, « Online Dispute Resolution and the Courts » dans Conference
CTC 2017, Salt Lake City, National Center for State Courts, 2017. Voir aussi Melisse Stiglich, Utah
Online Dispute Resolution Pilot Project, Technical Assistance Grant: Final Report, National Center for
State Courts, décembre 2017.
163. Le développement technologique de la plateforme a coûté 13,5 millions de dollars, sans
compter les coûts annuels de licence et de stockage infonuagique, selon l’information fournie
par Rogers, supra note 92. Les détails quant au montage financier complet n’ont toutefois pas
été divulgués. Pour plus d’information sur les coûts de fonctionnement du CRT, voir Civil Reso-
lution Tribunal supra note 93.

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194 Revue générale de droit (2021) 51 R.G.D. 161-199

est extrêmement simple, et ce, à partir de plusieurs outils, tels l’ordi-


nateur, la tablette ou le téléphone intelligent164. La plateforme est
facile d’utilisation et son contenu est rédigé en langage clair. L’accès
au CRT est possible en tout temps, ce qui constitue un avantage impor-
tant pour son accessibilité. Selon un sondage visant à mesurer la satis-
faction des utilisateurs du CRT datant de 2019, 84 % des répondants
ont indiqué avoir ressenti qu’ils avaient été traités équitablement,
78 % ont trouvé que la résolution de leur différend avait été rapide, et
74 % ont mentionné la facilité d’utilisation du CRT165. Plusieurs États
américains ont également intégré des processus de règlement en ligne
en matières civile, familiale, fiscale, pénale et dans le domaine de la
sécurité routière166. Au Nevada, la plateforme MODRIA, pour Modular
Online Dispute Resolution Implementation Assistance, est recommandée
par certains tribunaux pour faciliter le processus de médiation fami-
liale167. Cette plateforme permet aux couples en instance de divorce
d’amorcer un processus de négociation en ligne, en vue de se préparer
à leur rencontre avec un médiateur familial, pour ensuite poursuivre
les discussions en utilisant la plateforme. En plus de permettre une
résolution beaucoup plus rapide que la voie judiciaire, il faut remarquer
que la justice en ligne a l’avantage de permettre de conclure 85 % des
ententes à l’extérieur des heures normales de bureau. Au Québec, la
plateforme PARLe, créée par le Laboratoire de cyberjustice de l’Uni-
versité de Montréal et utilisée en matière de protection du consom-
mateur, est également digne de mention, son concept ayant même
été exporté pour utilisation à l’extérieur du pays168.

164. Rogers, supra note 92.


165. Voir Shannon Salter, « Civil Resolution Tribunal, Technical Briefing for Media » (29 mars 2019),
en ligne : Civil Resolution Tribunal <civilresolutionbc.ca/wp-content/uploads/2019/03/Technical-
Briefing-March-29-2019.pdf>.
166. Bois-Drivet, Embley et Lawrence, supra note 161.
167. Les services de médiation sont référés par le tribunal, ibid. Pour plus d’information, voir
en ligne : <www.tylertech.com/products/modria>. Voir Nussen Ainsworth et al, « Piloting Online
Dispute Resolution Simulations for Law Students Studying Alternative Dispute Resolution: A
Case Study Using Modria Software » (2019) 8 JCivLP 95, en ligne : Colin Rule <www.colinrule.com/
writing/victoria.pdf>.
168. PARLe, voir en ligne : <www.opc.gouv.qc.ca/a-propos/parle/>. Voir également Laboratoire
de cyberjustice, en ligne : <www.cyberjustice.ca/logiciels-cyberjustice/nos-etudes-de-cas/
medicys/>.

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Chaffai-Parent et Piché Primauté de l’efficacité et solutions judiciaires 195

C. Intelligence artificielle, coup d’œil vers l’avenir


L’utilisation de l’intelligence artificielle (« IA ») en justice civile fait
actuellement l’objet de débats animés. Elle pourrait permettre d’auto-
matiser certaines tâches répétitives et ainsi libérer des ressources judi-
ciaires169. Or, pour l’instant, l’obtention des données de qualité
nécessaires à la mise au point d’algorithmes sous-tendant l’IA170 reste
complexe et limitée, constituant ainsi l’un des plus grands défis à son
implantation et à son développement. Le marché américain com-
mence toutefois à utiliser des technologies d’IA, notamment pour pré-
dire les chances de succès d’une action171, fournir de l’information
juridique et des réponses à certaines questions juridiques précises,
analyser et synthétiser des documents, aider à la recherche et à l’ana-
lyse de sources172, extraire des renseignements précis de lots de docu-
ments173, évaluer la qualité d’une banque de données et y retracer les
erreurs, retranscrire une audience, effectuer des tâches de sténogra-
phie174, ou encore aider aux tâches de gestion des instances des tribu-
naux175. L’IA a aussi été utilisée pour soutenir les parties dans leur
processus d’échange de preuves, l’étape du discovery176. Dans la déci-
sion Commissaire de la concurrence c Live Nation Entertainment inc177, le
Tribunal de la concurrence du Canada a encouragé les parties à se
servir d’un « système d’examen de la preuve assisté par la technologie »,
lequel a permis de répertorier 55 000 documents pertinents dans une
banque en comptant 2,5 millions. L’application INSIGHT, outil d’IA
qu’utilisent actuellement des fonctionnaires en matière de sécurité

169. Bois-Drivet, Embley et Lawrence, supra note 161.


170. C’est ce que l’on appelle l’apprentissage machine, ou l’apprentissage profond; voir Karl
Branting et Margaret Hagan, « Big Data, AI, and the Future of Court Management », NACM Annual
Conference, présentée à Arlington, Virginie National Association for Court Management, juillet
2017; Jeff Ward, « 10 Things Judges Should Know About AI » (2019) 103:1 Judicature 12.
171. Yannick Meneceur, « Quel avenir pour la justice prédictive? Enjeux et limites des algo-
rithmes d’anticipation des décisions de justice » 7 [2018] Sem Jur.
172. Richard B Hoffman et Barry Mahoney, « Managing Caseflow in State Intermediate Appellate
Courts: What Mechanisms, Practices, and Procedures Can Work to Reduce Delay » (2002) 35:2 Ind
L Rev 467. Voir aussi George Socha, « What Will AI Mean for You » (2017) 101:3 Judicature 6.
173. Christian Gideon, « Predictive Coding: Adopting and Adapting Artificial Intelligence in
Civil Litigation » (2019) 97:3 R du B can 486.
174. Hoffman et Mahoney, supra note 172. Les tribunaux d’appel américains subissent des
retards en raison des délais de retranscription des sténographes, lesquels pourraient être dimi-
nués par l’utilisation de l’intelligence artificielle.
175. Ibid, et Socha, supra note 172.
176. Notamment aux États-Unis; Gideon, supra note 174.
177. Commissaire de la concurrence c Live Nation Entertainment inc, 2018 CACT 17.

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196 Revue générale de droit (2021) 51 R.G.D. 161-199

sociale pour les aider dans leur prise de décisions administratives178,


permet notamment d’évaluer si une blessure décrite par un deman-
deur correspond effectivement aux critères d’octroi de la prestation.
L’application My Open Court permet, quant à elle, à un travailleur ayant
perdu son emploi de calculer le montant d’indemnisation anticipé
selon les normes du travail179. Le montant y est déterminé en compa-
rant, grâce à un algorithme, la situation du travailleur avec celles des
décisions précédentes ainsi qu’avec les montants offerts dans le cadre
d’un règlement à l’amiable.

D. Regard sur l’avenir des technologies dans l’arène judiciaire


L’utilisation des technologies transforme substantiellement l’ins-
tance. Un examen des moyens répertoriés révèle que ces transforma-
tions se situent surtout au niveau des rituels et traditions judiciaires.
Historiquement, les rituels avaient pour fonction d’asseoir le pouvoir
judiciaire sur un solide socle de solennité, facilitant d’autant l’accepta-
tion par les justiciables de l’autorité des tribunaux180. Or, les technolo-
gies révolutionnent certains principes et coutumes bien ancrés dans
notre système de justice accusatoire et contradictoire. Le décorum de
la salle d’audience tend à s’amenuiser en mode virtuel, ainsi que la
solennité des plaidoiries prononcées en présence d’un juge à l’écoute
souvent passive. La publicité de l’audience est également remise en
cause, les audiences virtuelles n’étant actuellement accessibles qu’aux
parties. Or, elles peuvent être transmises très facilement à un nombre
important d’observateurs, en temps réel et en différé, ouvrant ainsi les
portes — virtuelles — des palais de justice plus grandes que jamais et
redéfinissant, par le fait même, la relation du justiciable et de la société
entière avec les tribunaux.
Les technologies constituent sans nul doute un outil fondamental
d’efficacité et d’accès à la justice. En contrepartie, elles contribuent très
certainement à la redéfinition d’une justice aux attributs transformés.
Contrairement aux mesures de gestion qui, bien que transformatrices,
s’intègrent relativement harmonieusement dans les traditions

178. Zimmerman, supra note 47.


179. Mark Witten, « Championing AI for Social Justice » (19 mai 2020), en ligne : Queen’s Research
<wwwqueensu.ca/research/features/championing-ai-social-justice>.
180. Catherine Piché, « Le futur de la preuve : perspective canadienne en temps de pandémie »
(2020–21) Revue internationale de droit processuel, accepté pour publication mais non encore
publié au moment de la rédaction du présent texte.

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Chaffai-Parent et Piché Primauté de l’efficacité et solutions judiciaires 197

j­ udiciaires, les technologies, probablement parce qu’elles procurent une


justice plus expéditive et économique, se voient pardonnées de bon
nombre d’atteintes aux principes et rituels qui fondent le système judi-
ciaire. Pensons aux effets de l’utilisation des technologies sur l’oralité,
historiquement un outil d’accès à la justice pour une population majo-
ritairement analphabète, qui demeure proéminente dans nos systèmes
nord-américains181. Pour l’avocat et son client, procéder virtuellement
en étant situés en des lieux différents aura très certainement des effets
difficilement prévisibles quant à leur relation et leurs communications,
potentiellement transformées. Des changements sont aussi à prévoir
quant aux obligations déontologiques de l’avocat et aux attentes des
justiciables. L’accès du client à la justice pourra être transformé s’il
doit communiquer avec le tribunal et avec son avocat par l’intermédiaire
de nouvelles méthodes ou plateformes de communication.
Malgré ces préoccupations, plusieurs juridictions espèrent que la
crise de la COVID-19 servira de fondement à la construction d’un sys-
tème de justice dans lequel les technologies seront davantage pré-
sentes. Fort de l’expérience en cours, le Civil Justice Council anglais a
publié un sondage, réalisé en 2020 auprès d’avocats et de justiciables
ayant participé à des audiences à distance, afin de mieux comprendre
leur appréciation de ce nouveau contexte et des nouvelles pratiques182.
L’une des conclusions les plus notables du sondage est que les avocats
se considèrent généralement encore plus satisfaits que les justiciables
ayant participé à l’expérience183. Nous sommes d’avis que l’utilisation
des technologies dans la justice, en plus de soulever plusieurs ques-
tions, doit être réfléchie et implantée selon une structure et des para-
mètres qui ne sont pas nécessairement conformes aux cadres et
structures judiciaires actuels. Néanmoins, la continuité et la simplicité
semblent constituer des facteurs d’importance facilitant l’acceptation
et l’intégration des technologies dans les processus judiciaires184.

181. Michel Morin, Introduction historique au droit romain, au droit français et au droit anglais,
Montréal, Thémis, 2004.
182. Byrom et al, supra note 146.
183. Ibid. Il faut toutefois noter que d’autres auteurs concluent autrement et mentionnent que
les justiciables questionnés dans le cadre de leurs travaux ont fort apprécié l’expérience des
audiences à distance, ces justiciables étant cependant des entreprises; voir Douglas-Henry et
Sanderson, supra note 146.
184. Paula Hannaford-Agor, « Civil Justice Initiative: A Guide to Building Civil Case Management
Teams » (2017), en ligne : National Center for State Courts et State Justice Institute <ncsc.contentdm.
oclc.org/cdm/ref/collection/civil/id/141>. Voir aussi Douglas, supra note 134.

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198 Revue générale de droit (2021) 51 R.G.D. 161-199

CONCLUSION
Nous avons fait état de bon nombre de moyens utilisés par diffé-
rentes juridictions nord-américaines pour promouvoir l’efficacité dans
l’administration de la justice et l’adjudication des litiges, ainsi que pour
réduire les délais judiciaires. Par l’entremise de différents agencements
de moyens, chaque juridiction cherche à créer des trajectoires au sein
desquelles les justiciables pourront régler leurs conflits grâce à des
méthodes de résolution variées et, surtout, en faisant usage de diverses
plateformes numériques. Plus encore, chaque juridiction recherche, à
sa manière, le délicat équilibre entre les garanties procédurales fonda-
mentales que sont la qualité de la justice et son efficacité. Il demeure
difficile de déterminer si leur implantation a pris ces paramètres en
compte, en plus des considérations relatives à l’accessibilité de la jus-
tice, au traitement des justiciables vulnérables et des parties non repré-
sentées, ainsi qu’aux limites budgétaires à court, moyen et long terme.
Certaines des mesures répertoriées se situent loin des traditions
judiciaires fortement implantées et souvent ritualisées. Ainsi, en réac-
tion au changement, plusieurs observateurs ont encensé ou critiqué
cette poursuite de l’efficacité en justice. Nous sommes d’avis que les
différents moyens répertoriés favorisent, du moins en apparence, un
règlement plus rapide et efficace des litiges, tout en réduisant le far-
deau des systèmes de justice. Permettent-ils toutefois l’atteinte des
objectifs fondamentaux de la justice civile? Sont-ils appropriés pour
conduire à l’accomplissement d’une justice de qualité et équitable?
Les principaux efforts de recherche d’efficacité dans la justice qué-
bécoise semblent avoir principalement été orientés vers la réforme du
cadre législatif, plus particulièrement celle du Code de procédure civile
et, tout dernièrement, le projet de loi 75185. Vraisemblablement, ces
changements législatifs, s’ils ne sont pas combinés avec des mesures
administratives adéquates, voire drastiques, ne seront pas nécessaire-
ment suffisants pour réaliser les objectifs d’efficacité annoncés186.
L’implantation d’un système visant à mesurer empiriquement la per-
formance des tribunaux constituerait, notamment, une avancée impor-

185. Québec, PL 75, 2020, supra note 5.


186. C’est d’ailleurs un commentaire récurrent dans plusieurs études sur l’efficacité en justice;
voir, notamment, les travaux de Paul Oberhammer et Tanja Domej, « Improving the Efficiency
of Civil Justice: Some Remarks From an Austrian Perspective » dans Van Rhee et Uzelac, supra
note 9, 61. Voir aussi les travaux de Ng, supra note 9 et ceux de Zuckerman, supra note 2.

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Chaffai-Parent et Piché Primauté de l’efficacité et solutions judiciaires 199

tante. Pour l’instant, on constate avec déception qu’au Canada, il


n’existe à notre connaissance aucun réel effort systématique et orga-
nisé de collecte de données fiables et accessibles au public sur la justice
ou sur les systèmes judiciaires des provinces.
Le système de justice canadien est d’une qualité indéniable, entre
autres, en raison de l’importance accordée aux garanties procédurales
fondamentales187, tel le principe de contradiction188. L’importance des
pouvoirs des tribunaux à titre d’institution publique exige, à cet égard,
des standards élevés en termes de qualité et d’accessibilité189. Or, les
obstacles à l’accès à la justice, aussi équitable soit-elle, constituent éga-
lement un déni de justice190. Comme l’indiquait habilement le juge
Frédéric Bachand, « [n]ous avons […] réussi à bâtir un système de justice
civile très performant, mais nous l’avons malheureusement fait au
détriment de son accessibilité »191. À cet égard, la Cour suprême du
Canada mentionnait, dans ce désormais célèbre passage de l’arrêt
Hryniak c Mauldin, que « garantir l’accès à la justice constitue le plus
grand défi à relever pour assurer la primauté du droit au Canada »192.
Au final, il faudra peut-être définir encore plus précisément les contours
de cette justice efficace à laquelle nous voulons garantir l’accès.

187. Les principes fondamentaux de la justice civile incluent communément le principe de la


contradiction, l’unicité du procès, la maîtrise du dossier par les parties et la recherche de la vérité;
voir Technologie Labtronix inc c Technologie Micro Contrôle inc, 1998 Can LII 130 (QC CA), [1998]
RJQ 2312 (CA); et Pétrolière impériale c Jacques, 2014 CSC 66, [2014] 3 RCS 287.
188. Pour une illustration, voir, notamment, Webasto c Transport TFI 6, 2019 QCCA 342.
189. Ng, supra note 9.
190. Comme le mentionne la Cour suprême du Canada dans Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7,
[2014] 1 RCS 87, invitant les acteurs de la justice à poursuivre ensemble cet équilibre difficile à
atteindre.
191. Frédéric Bachand, « Les principes généraux de la justice civile et le nouveau Code de
­procédure civile » (2015) 60:2 McGill LJ 447 à la p 448.
192. Hryniak c Mauldin, supra note 190 au para 1.

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