L'Invention de La: Mémoires N°13

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Association pour la Promotion de l'Histoire et de l'Archéologie Orientales

Université de Liège

mémoires n°13

L’INVENTION DE LA /8Ƥ$$/)8‫ۙܗ‬Ɩ
UNE HISTOIRE DE L’ARABE PAR LES TEXTES

Pierre LARCHER

PEETERS
L’INVENTION DE LA LUA AL-FU
UNE HISTOIRE DE L’ARABE PAR LES TEXTES
Illustration de couverture : Ab Zayd al-Sar enseignant à un groupe d’élèves en présence d’al-
 ri ibn Hamm m. Miniature extraite des Maqmt d’al-ar r (46e séance) (BnF, Paris, ms. arabe
5847, fol. 148v°).
Association pour la Promotion de l'Histoire et de l'Archéologie Orientales
Université de Liège

mémoires n°13

L’INVENTION DE LA /8Ƥ$$/)8‫ۙܗ‬Ɩ
UNE HISTOIRE DE L’ARABE PAR LES TEXTES

Pierre LARCHER

PEETERS
LOUVAIN – PARIS – BRISTOL, CT
2021
Copyright Université de Liège

A catalogue record for this book is available from the Library of Congress.

© 2021 - Peeters, Bondgenotenlaan 153, 3000 Leuven


D/2021/0602/74
ISBN 978-90-429-4588-3
eISBN 978-90-429-4589-0
Introduction

Ce volume rassemble huit textes, qui ont été présentés, sous le titre général
de « L’invention de la luġa al-fuṣḥā : une histoire de l’arabe par les textes », à l’Uni-
versité de Liège, les 21 et 22 février 2008, dans le cadre du séminaire du Fonds
National de la Recherche Scientifique en textes arabes des universités francophones
de Belgique.
À l’époque de leur présentation, six de ces textes avaient été publiés dans
des revues diverses ou des ouvrages collectifs. Deux étaient inédits. Ils ont été de-
puis publiés. Je reprends ici ces huit textes, mais deux d’entre eux ont été réécrits,
tandis que des corrections et des additions, plus ou moins importantes, ont été ap-
portées à quatre autres.
Hier séances d’un séminaire thématique, ils deviennent aujourd’hui cha-
pitres d’un même ouvrage. Entrons dans le détail de ces chapitres.

Le chapitre I (« Ibn Fāris. Théologie et philologie dans l’islam médiéval »)


expose ce que j’appelle la « thèse théologique » en matière de langue arabe. Poser,
comme le fait Ibn Fāris (m. 395/1004) dans un chapitre célèbre du Ṣāḥibī fī fiqh al-
luġa, que « les Qurayš sont les plus châtiés et les plus purs des Arabes en matière
de langue » (’afṣaḥ al-‘Arab ’alsinatan wa-’aṣfāhum luġatan)1 revient à une double
identification : l’une est celle de la langue du Coran avec la « langue de Qurayš »
(luġat Qurayš) ; l’autre est celle de la luġat Qurayš avec ce qu’on appellera bientôt
al-luġa al-fuṣḥā (à peu près « la manière de parler la plus châtiée »). Cette double
identification en contient en germe une troisième : al-luġa al-fuṣḥā désignant au-
jourd’hui en arabe ce que les arabisants appellent « arabe classique », celle de
l’arabe coranique avec l’arabe classique. La première identification est purement
scripturaire. Elle repose sur Cor. 14, 4 qui proclame « nous n’avons envoyé d’en-
voyé que dans la langue de son peuple, pour qu’il leur rende [les choses] claires [ou
mieux : distinctes] » (mā ’arsalnā min rasūlin ’illā bi-lisāni qawmihim li-yubayyina
lahum). Ce verset a servi de prémisse majeure à un raisonnement de type syllogis-
tique qui, via la prémisse mineure implicite « Mahomet est l’envoyé d’Allah à son
peuple », a abouti à la conclusion que la langue du Coran était la langue même de
Mahomet : Mahomet étant, selon la tradition, natif de La Mecque au Hedjaz, terri-
toire de la tribu des Qurayš, et le Coran consignant la prédication de Mahomet à La
Mecque, puis Médine, cette langue est appelée « langue de Qurayš ». Notons ce-
pendant que cette appellation relaye, en la restreignant, l’appellation tout à la fois

1
IBN FĀRIS, Ṣāḥibī, p. 52.
VIII L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

plus générale et plus ancienne de « langue du Hedjaz » (al-luġa al-ḥiǧāziyya) ou


« langue des gens du Hedjaz » (luġat ’ahl al-Ḥiǧāz). La seconde identification est
purement dogmatique : le Coran étant considéré, d’un point de vue islamique,
comme la « parole d’Allah » (kalām Allāh), on n’imagine pas que celle-ci soit
« descendue » (terme littéralement plus exact que celui de « révélée ») dans une
langue qui ne soit pas la meilleure. Pourtant, Ibn Fāris ne s’en tient pas à l’exposé
de la thèse théologique. Il croit devoir la justifier par ce qu’un linguiste d’au-
jourd’hui appellerait une hypothèse de type sociolinguistique. Cette hypothèse re-
vêt, sous la plume d’Ibn Fāris, la forme d’un scénario. Si la « langue de Qurayš »
est la luġa al-fuṣḥā, c’est parce que les Qurayš sont les gardiens d’un sanctuaire
panarabe : ils ont pu ainsi prendre le meilleur de chaque parler arabe ! Si l’on y
réfléchit, cela revient à faire de la « langue de Qurayš » une « sélection » (taḫayyur :
c’est le terme même qu’emploie Ibn Fāris) dans un ensemble de parlers, autrement
dit une koinè.

Le chapitre II (« Al-Farrā’. Un retour aux sources sur la luġa al-fuṣḥā »)


montre que le scénario exposé par Ibn Fāris sort en fait d’un texte attribué à al-
Farrā’ (m. 207/822) et exhumé par Paul Kahle (1875-1964), qui l’a traduit et com-
menté à plusieurs reprises. Mais il y a entre les deux textes une différence essen-
tielle. Alors qu’Ibn Fāris présente l’opinion selon laquelle « les Qurayš sont les plus
châtiés et les plus purs des Arabes en matière de langue » comme unanime, al-Farrā’
présente celle selon laquelle « le Livre a été révélé dans la plus châtiée des manières
de parler » (nazala/nuzzila bi-’afṣaḥ al-luġāt), qu’il identifie explicitement à « la
langue de Qurayš », comme étant celle des spécialistes du Coran et de la Sunna.
Opinion à laquelle s’opposent les spécialistes des poésies et des « journées »
(’ayyām, c’est-à-dire de l’histoire) des Arabes qui, eux, au contraire, voient la
faṣāḥa (la qualité de faṣīḥ, adjectif dont ’afṣaḥ est l’élatif) dans la langue des Bé-
douins, très exactement dans le registre littéraire de leur langue. Autrement dit, à
l’époque d’al-Farrā’, il y a un débat sur ce qu’est « la plus châtiée des manières de
parler », qui est sans nul doute l’expression à l’origine de l’expression « la manière
de parler la plus châtiée ». Et c’est pour clore ce débat qu’al-Farrā’ propose le scé-
nario repris par Ibn Fāris et expliquant comment, par la sélection du meilleur de
chaque parler, celui des Qurayš « est devenu pur » (fa-ṣafā kalāmuhum). On re-
trouve chez les deux auteurs les deux mêmes idées de « devenir » et de « sélec-
tion ». À la première des deux est lié un bien intéressant présupposé : si les Qurayš
sont ainsi « devenus les plus châtiés des Arabes » chez l’un, « leur parler est devenu
pur » chez l’autre, c’est qu’ils ne l’étaient pas originellement. Mais ils ne le sont
pas devenus exactement de la même façon. Pour Ibn Fāris, les Qurayš sont devenus
les « plus châtiés des Arabes », en ajoutant à leur parler, déjà excellent, le meilleur
de chaque parler arabe ; pour al-Farrā’ « leur parler est devenu pur » par le mélange
du meilleur de chaque parler arabe : c’est le sens de la comparaison faite par al-
Farrā’, mais absente chez Ibn Fāris, entre pureté de la langue des Qurayš et leur
beauté physique, obtenue par la possibilité qu’ils ont de choisir, lors du pèlerinage,
les plus belles femmes, déambulant sans voile autour de la Ka‘ba… Cela corres-
pond, mutatis mutandis, aux deux conceptions de la koinè grecque : pour les uns
INTRODUCTION IX

elle a pour base le dialecte attique, dont on a éliminé les traits typiquement attiques ;
pour les autres elle est le produit du mélange des différents dialectes grecs. Kahle,
reprenant, tout en l’atténuant, l’hypothèse de Karl Vollers (1857-1909) d’une dua-
lité linguistique dans l’Arabie préislamique (VOLLERS, 1906 [1981]), a vu dans le
scénario d’al-Farrā’, repris sous une forme atténuée par Ibn Fāris, une métaphore :
il représente le travail d’adaptation à la langue poétique, par les grammairiens-lec-
teurs du IIe/VIIIe siècle, de la langue coranique. Hypothèse à laquelle le linguiste
arabisant d’aujourd’hui est tenté de souscrire : le ductus (rasm) coranique atteste,
par bien des traits, d’une variété d’arabe qu’il qualifiera de chronologiquement pré-
classique et typologiquement non classique, mais précisément classicisée par les
lectures grammaticales.

Le chapitre III (« Al-Fārābī. Un texte sur la langue arabe réécrit ? ») pré-


sente un texte dont il existe deux versions. La première, qui est sûrement la version
originale, expose ce que j’appelle la « thèse philosophique » en matière de langue
arabe. Philosophique, non seulement parce qu’elle sort du Kitāb al-ḥurūf du philo-
sophe al-Fārābī (m. 339/950) mais encore parce qu’elle est le pur produit d’un rai-
sonnement de type hypothético-déductif. Al-Fārābī pose, par hypothèse, que la
langue d’une « nation » (’umma) est d’autant plus pure que ceux qui la parlent sont
plus isolés tout à la fois socialement et géographiquement. De cette hypothèse, al-
Fārābī déduit que l’arabe le plus pur se trouve chez les nomades du centre de l’Ara-
bie (Nejd), le centre de l’Arabie étant ce qui est le plus éloigné des territoires des
autres nations, d’une part, les nomades étant, de par leur mode de vie, l’élément le
plus isolé d’une société, d’autre part. Dans cette version, Qurayš n’est pas cité. La
seconde version, que l’on trouve, entre autres, dans deux ouvrages d’al-Suyūṭī
(m. 911/1505), le Muzhir et le Iqtirāḥ, se dénonce comme une réécriture de la pre-
mière : Qurayš, absent de la première version, se retrouve en première ligne dans la
seconde ! La question reste ouverte de savoir qui a réécrit le texte. On ne peut ex-
clure que ce soit al-Fārābī lui-même, dans la mesure où la seconde version concilie
la philosophie avec la théologie, en transférant à Qurayš la conclusion de la pre-
mière : « et c’est pourquoi la manière de parler des Qurayš était la plus châtiée et la
plus claire des manières de parler arabes, du fait de leur éloignement du territoire
des non-Arabes de tous côtés » (wa-li-hāḏā kānat luġat Qurayš ’afṣaḥ al-luġāt al-
‘arabiyya wa-’aṣraḥahā li-bu‘dihim ‘an bilād al-’a‘āǧim min ǧamī‘ ǧihātihim)2,
écrit ainsi Ibn Ḫaldūn (m. 808/1406) dans la Muqaddima, visiblement inspiré par
la seconde version du texte.

Tout en se présentant comme un texte sur l’histoire de la grammaire arabe,


le chapitre IV (« Al-Zaǧǧāǧī (1). Les origines de la grammaire arabe selon la tradi-
tion : description, interprétation, discussion ») est aussi bien un texte sur l’histoire
et la sociolinguistique de l’arabe. Selon le Īḍāḥ fī ‘ilal al-naḥw d’al-Zaǧǧāǧī
(m. 337/948 ou 339-340/949-950), la grammaire (naḥw) tire son nom de ce qu’elle
est la « direction » (sens littéral du terme) à suivre pour éviter les fautes. Non pas

2
IBN ḪALDŪN, Muqaddima, ch. VI, section 47, p. 1072.
X L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

d’ailleurs n’importe quelle faute, mais plus particulièrement les fautes concernant
la flexion désinentielle (’i‘rāb), qui seraient d’autant plus graves qu’elles créeraient
des quiproquos. Ce qui revient à considérer le ’i‘rāb comme pertinent et à le mettre
au centre de la langue et, par suite, de la grammaire. Ces fautes constituent ce qu’on
appelle dans la tradition arabe le fasād al-luġa ou « corruption de la langue ». Ce
fasād al-luġa est imputé au mélange des populations arabes et non arabes, s’étant
produit après la conquête islamique, dans les villes nouvellement fondées. On a là
l’origine de ce qu’Ibn Ḫaldūn appellera lisān ou luġa ḥaḍariy(ya) (« langue séden-
taire »), par opposition à luġat al-badw min al-‘Arab (« langue des Arabes bé-
douins »)3, ce que les sociolinguistes arabisants d’aujourd’hui appellent parlers
arabes nomades et sédentaires. Au XIXe siècle, la linguistique historique réinterpré-
tera le fasād al-luġa de la tradition arabe, sur le modèle du latin et des langues alors
appelées néo-latines et aujourd’hui romanes, comme l’évolution d’un type à
l’autre : le type fléchi, synthétique et à ordre des mots plus libre, à la base de l’arabe
classique ; le type non fléchi, analytique et à ordre des mots moins libre, caractéris-
tique des dialectes arabes modernes, les dialectes nomades étant réputés plus « con-
servateurs » que les dialectes sédentaires. Au terme de l’évolution, on aboutit, le
type non fléchi n’ayant pas entièrement remplacé le type fléchi, qui subsiste dans
certains usages, à une situation de dualité linguistique. C’est cette dualité qui sera
appelée, un peu avant la seconde guerre mondiale, par William Marçais (1872-
1956) diglossie, emprunt à la linguistique néo-hellénique, avant d’être théorisée,
après la seconde guerre mondiale, par Charles A. Ferguson (1921-1988), comme la
coexistence, dans une même communauté linguistique, de deux variétés, haute et
basse, aux usages en distribution complémentaire. Décrite et interprétée comme une
préfiguration de la diglossie, la vision d’al-Zaǧǧāǧī n’est pas indiscutable. On peut
discuter de la pertinence de la flexion désinentielle, comme on peut discuter de la
date d’apparition du type non fléchi, la coexistence des deux types étant attestée à
date ancienne par les documents originaux.

C’est justement des parlers arabes nomades et sédentaires, ainsi que de la


situation de diglossie, que traite le texte suivant, objet du chapitre V (« Ibn Ǧinnī.
Parlers arabes nomades et sédentaires et diglossie chez un grammairien du
IVe/Xe siècle : sociolinguistique et histoire de la langue ou discours épilinguis-
tique ? »). Il est extrait des Ḫaṣā’iṣ d’Ibn Ǧinnī (m. 392/1002) et le linguiste arabi-
sant Haïm Blanc (1926-1984), pionnier de la sociolinguistique arabe, y a vu « the
earliest statement of what has come to be known as “Arabic diglossia” » (BLANC,
1979, p. 171). En fait, dans le texte auquel se réfère Blanc, Ibn Ǧinnī ne décrit pas
explicitement une situation de diglossie, mais seulement une différenciation en
cours entre deux types de parlers, distingués sociolinguistiquement par la qualité de
leurs locuteurs (nomades vs sédentaires) et linguistiquement par un trait : la pré-
sence dans l’un et, sinon l’absence, du moins la détérioration dans l’autre du ’i‘rāb ;
nous restons donc dans le fasād al-luġa décrit dans le chapitre précédent. Mais si
l’on observe qu’Ibn Ǧinnī se réfère dans ce chapitre à un grammairien antérieur de

3
IBN ḪALDŪN, Muqaddima, ch. IV, section 22, p. 676.
INTRODUCTION XI

près de deux siècles, mu‘tazilite comme lui, al-Aḫfaš al-Awsaṭ (m. entre 210/825
et 221/835, selon EI2, 215/830 selon EI3) d’une part, et que dans un chapitre précé-
dent, il a avoué qu’on ne voyait pratiquement plus de Bédouin faṣīḥ d’autre part, on
peut dire qu’il décrit implicitement une situation de diglossie au sens exact du
terme, c’est-à-dire la coexistence de deux variétés : l’une, haute, qu’il appelle al-
luġa al-‘arabiyya al-faṣīḥa (« la langue arabe châtiée ») et où fasīḥ est synonyme
de mu‘rab (« désinentiellement fléchi ») et l’autre, basse, comme classe abstraite
des dialectes, tant nomades que sédentaires, tout aussi « corrompus » (fāsid) les uns
que les autres, et où fāsid est synonyme de non mu‘rab. Cette diglossie est illustrée
par une anecdote, racontée par deux fois, où l’on voit une même personne (un
membre du groupe des Tamīm : on verra l’importance de cette notation) alterner
les deux usages et où on rencontre même un nom (sans doute le premier dans la
littérature arabe) pour diglossie : ǧihatā al-kalām (« les deux façons de parler ») …
S’agit-il pour autant vraiment de sociolinguistique et d’histoire de la langue ? Il
s’agit plutôt de « théorie » (naẓar) du langage d’une part, d’un discours de type
épilinguistique d’autre part. Un autre extrait des Ḫaṣā’iṣ montre en effet qu’il s’agit
moins de diachronie que d’entropie, liée à l’utilisation de la langue, la flexion dési-
nentielle étant vue comme un facteur de complication inutile, dont on peut se passer
par d’autres moyens et que seule une élite peut maîtriser. Un autre chapitre des
Ḫaṣā’iṣ, où Ibn Ǧinnī fait allusion à l’opposition Hedjaz/Tamīm s’originant dans le
Kitāb de Sībawayhi (m. 180/796 ?), montre qu’il s’agit encore et toujours de con-
cilier théologie et philologie, théologie et philosophie, trois des mamelles où se
nourrit la pensée islamique classique : la théologie qui oblige à dire que « la langue
du Hedjaz est la luġa al-fuṣḥā » (l’expression apparaît chez Ibn Ǧinnī) ; la philolo-
gie qui amène à reconnaître dans la langue du Coran, telle qu’attestée par le rasm
(ductus), des traits qui ne sont pas ceux de la luġa al-fuṣḥā ; la philosophie qui voit
dans les Bédouins et leur langue les Arabes et l’arabe « authentiques ».

C’est encore Blanc qui nous amène au chapitre VI (« Al-Zaǧǧāǧī (2). Arabe
fléchi vs arabe non fléchi : deux variétés de l’arabe ou deux registres d’une même
variété ? »). Il s’étonne en effet qu’Ibn Ǧinnī ne fasse état que d’une perte partielle
de la flexion désinentielle, alors qu’al-Zaǧǧāǧī, que nous avons déjà rencontré au
chapitre IV, antérieur à Ibn Ǧinnī d’un demi-siècle, fait état, lui, d’une perte totale.
Au chapitre XVII du Īḍāḥ, il se demande à quoi sert d’apprendre la grammaire, « la
plupart des gens parlant naturellement sans flexion désinentielle, qu’ils ne connais-
sent pas, en comprenant les autres et en [se] faisant comprendre d’eux » (’akṯar al-
nās yatakallamūna ‘alā saǧiyyatihim bi-ġayr ’i‘rāb wa-lā maʿrifa minhum bihi fa-
yafhamūna wa-yufhimūna ġayrahum)4. Il est très tentant de voir dans ce texte une
description de la diglossie, avec ses deux variétés : la variété basse, sans flexion
désinentielle, qui est celle de la communication orale spontanée de la majorité ; la
variété haute, avec flexion désinentielle, scolairement acquise, qui est celle de la
communication savante de la minorité. Une relecture critique de ce texte permet de
faire une autre hypothèse. Tout d’abord, on constate que le ’i‘rāb ne concerne que

4
AL-ZAǦǦĀǦĪ, Īḍāḥ, p. 95.
XII L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

trois corpus de référence, dans l’ordre : Coran, hadith, poésie. Ensuite, un rôle de
désambiguïsation est vu au ’i‘rāb. Or, un tel rôle n’est concevable que dans la lec-
ture d’un texte écrit en scriptio defectiva, précisément celle des textes de référence,
mais s’évanouit à l’oral. Enfin, le terme de majorité, qui implique celui de minorité,
est repris dans le texte par celui de ‘āmma, auquel s’oppose explicitement celui de
ḫāṣṣa. Or, ‘āmma et ḫāṣṣa, comme le montre un texte célèbre extrait du Kitāb al-
bayān wa-l-tabyīn d’al-Ǧāḥiẓ (m. 255/869), ne s’opposent nullement comme la
masse illettrée à l’élite lettrée, mais seulement comme le commun des gens lettrés
aux happy few, ayant une parfaite maîtrise de la grammaire. On ne verra donc pas
dans l’arabe avec flexion désinentielle et dans l’arabe sans flexion désinentielle les
deux variétés haute et basse d’une situation de diglossie, mais plutôt les deux re-
gistres, soutenu et relâché, de la variété haute, ce qu’on pourrait appeler une diglos-
sie dans la diglossie…

Avec les deux derniers chapitres, nous quittons les professionnels de la


langue pour une autre catégorie d’informateurs : les géographes et les voyageurs.
Le géographe al-Muqaddasī (m. fin du IVe/Xe siècle), objet du chapitre VII (« Al-
Muqaddasī. Que nous apprend-il vraiment de la situation de l’arabe au
IVe/Xe siècle ? ») est réputé, notamment par Johann Fück (1894-1974), qui lui con-
sacre un chapitre entier de ‘Arabīya5, fournir un très grand nombre de renseigne-
ments linguistiques sur les différentes langues du monde de l’islam, dont il a par-
couru une très grande part. Si l’on collationne l’ensemble des passages où il traite
d’arabe, on constate pourtant qu’il ne mentionne que deux traits d’un parler péri-
phérique, celui d’Aden ! En revanche, il est plus prolixe sur le plan sociolinguis-
tique. Il distingue bien entre deux statuts de l’arabe : d’une part l’arabe, qu’il ap-
pelle al-‘arabiyya, ce qu’on pourrait appeler l’arabe avec un grand A, comme
langue véhiculaire de la culture savante, d’autant mieux maîtrisé qu’il n’est pas en
même temps la langue maternelle de ses utilisateurs ; selon lui le meilleur arabe se
trouve à Nīšāpūr, alors capitale de l’état iranien des Samanides et grand centre de
culture islamique ; à l’inverse, il blâme les fautes de flexion désinentielle du grand
cadi de Bagdad en son maǧlis ; et, d’autre part, l’arabe comme langue vernaculaire
de la partie arabe de l’empire musulman, qu’il appelle lisān al-qawm (« langue du
peuple ») et voit constitué de luġāt muḫtalifa ou « différentes manières de parler »,
toutes plus « corrompues » les unes que les autres. On remarquera qu’al-
Muqaddasī, arabophone, emploie l’expression de lisān al-qawm, qui s’origine dans
Cor. 14, 4, pour désigner l’arabe vernaculaire, tandis qu’Ibn Fāris, de langue ma-
ternelle iranienne, emploie celle, voisine, de luġat al-qawm (« langue du peuple
[arabe] »), par opposition à luġat al-yawm (« langue d’aujourd’hui »), pour dési-
gner, non pas, semble-t-il, les variétés haute et basse de la diglossie, mais plus vrai-
semblablement, comme son compatriote al-Zaǧǧāǧī, les parts référentielle et non
référentielle de la variété haute. On peut voir dans cet usage divergent d’une même
terminologie l’effet de la double arabisation ayant touché le monde musulman :
d’une part une arabisation « par le bas » où l’arabe est devenu la langue maternelle

5
FÜCK, 1955 [1950], ch. XII, p. 163-175.
INTRODUCTION XIII

d’une partie variable, selon les endroits, des habitants et d’autre part une arabisation
« par le haut », où l’arabe n’est jamais que la première langue étrangère d’une petite
élite. Sur le plan sociolinguistique, al-Muqaddasī est également un pionnier du con-
tact des langues, donnant des exemples concrets de code-switching et de code-
mixing arabe-persan. Mais même chez un géographe, parcourant le terrain, on
trouve la trace du discours épilinguistique, et notamment des thèses théologique et
philosophique et de leur conciliation : l’arabe est d’autant moins bon qu’on
s’éloigne du centre vers la périphérie ; il est d’autant meilleur qu’il est isolé…

Avec le second des deux derniers chapitres de l’ouvrage, le chapitre VIII


(« Al-‘Abdarī : le parler des Arabes de Cyrénaïque vu par un voyageur maghrébin
du VIIe/XIIIe siècle »), nous suivons le voyageur al-‘Abdarī, qui, lors de son voyage
pour le pèlerinage commencé à la fin de 688/1289 depuis le Maghreb extrême (l’ac-
tuel Maroc), traverse à l’aller et au retour la Cyrénaïque (Barqa), peuplée depuis la
seconde moitié du XIe siècle et l’invasion dite des Banū Hilāl d’Arabes nomades
(appartenant, en l’espèce, aux Banū Sulaym). Là encore, il faut faire la part de
l’idéologie linguistique. C’est elle qui, après qu’al-‘Abdarī a affirmé que « les
Arabes contemporains de Cyrénaïque sont les plus châtiés des Arabes que nous
ayons vus », lui fait aussitôt ajouter « ceux du Hedjaz sont également châtiés » (wa-
‘Arab Barqa al-yawm min ’afṣaḥ ‘Arab ra’aynāhum wa-‘Arab al-Ḥiǧāz ’ayḍan
fuṣaḥā’)6 ; elle encore qui lui fait expliquer leur faṣāḥa par leur isolement ; elle
enfin qui la lui fait décrire comme le fait qu’« ils ne manquent à la flexion désinen-
tielle que dans une proportion infime par rapport à ce qu’ils fléchissent » (lā
yuḫallūna min al-’i‘rāb ’illā mā lā qadr lahu bi-l-’iḍāfa ’ilā mā yu‘ribūna)7, alors
même qu’il ne donne qu’un seul exemple de flexion désinentielle nominale, d’in-
terprétation non assurée ! Mais, une fois la part faite de l’idéologie linguistique, il
est incontestable qu’al-‘Abdarī nous donne de précieux renseignements sur le parler
des Arabes de Cyrénaïque : phonologiques, morphologiques, voire morphophono-
logiques, et lexicaux. D’autant plus précieux qu’il les donne de manière contrastive,
en opposant l’usage des Arabes de Cyrénaïque à son propre usage, celui des « gens
de l’Occident (arabe) » (’ahl al-ġarb). On a ainsi une idée, à date ancienne, de la
double différenciation, tout à la fois géographique et sociale, des parlers arabes.

Au total, on a ici une histoire de l’arabe, sinon linguistique, pour faire écho
au titre d’un ouvrage de Jonathan Owens (OWENS, 2006), du moins épilinguistique,
pour reprendre une qualification dont on s’est déjà servi, c’est-à-dire concernant
moins la réalité objective que les représentations que l’on s’en fait ou que l’on doit
s’en faire.

6
AL-‘ABDARĪ, Riḥla, p. 81 = ‘ABBĀS et NAǦM, Lībiyā, p. 111.
7
AL-‘ABDARĪ, Riḥla, p. 81 = ‘ABBĀS et NAǦM, Lībiyā, p. 111.
XIV L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

Remerciements
Je ne saurais clore cette introduction sans une action de grâce. Ma gratitude
va d’abord à Frédéric Bauden : c’est lui qui, par son invitation à Liège en 2008, est
à l’origine directe de ce recueil ; lui qui, aujourd’hui, l’accueille dans la collection
des mémoires de l’Association pour la promotion de l’histoire et de l’archéologie
orientales.
J’ai une dette particulière envers deux collègues : Louis-Jean Calvet et Jo-
nathan Owens. Le premier, en me faisant l’insigne honneur d’assister, en 1998, au
cours de sociolinguistique et d’histoire de l’arabe que je professais à Aix-en-Pro-
vence, m’a encouragé à m’aventurer plus avant dans un domaine où je n’avais mis
les pieds que par nécessité pédagogique ; le second, par son invitation à Bayreuth
en 2000, où a été présenté, pour la première fois, un des textes ici recueillis, à per-
sévérer dans la méthode suivie : celle d’une relecture critique de textes médiévaux
arabes sur la langue, les uns connus, voire très connus, les autres méconnus, voire
inconnus, susceptibles de nous renseigner, non seulement sur les états et variétés de
la langue, mais encore, mais surtout, comme il a été dit, sur les représentations que
l’on s’en fait.
Merci également aux éditeurs qui m’ont autorisé à reproduire ici ceux de ces
textes antérieurement publiés et à Manuel Sartori pour sa relecture du manuscrit.
INTRODUCTION XV

Avertissement au lecteur

Les textes ici recueillis ont été rédigés à l’origine, pour six d’entre eux, selon
des feuilles de style très diverses. On a donc procédé à un travail d’homogénéisa-
tion, portant sur la présentation des références et la transcription de l’arabe. Celle-
ci est, pour l’essentiel, celle de la revue Arabica : la hamza est cependant maintenue
à l’initiale devant minuscule (mais non majuscule), ainsi que la voyelle a de l’ar-
ticle, même après un mot se terminant lui-même par une voyelle. Le lecteur cons-
tatera une variation : dans les vers de poésie, les versets coraniques et les exemples
de grammairien, le système adopté est plus proche d’une vraie transcription que
d’une simple translittération. Dans les citations, le système de transcription des au-
teurs est respecté. Les crochets ([…]) signalent des additions ou des corrections.
Enfin, les chapitres de ce livre pouvant se lire en continuité ou chacun indépendam-
ment l’un de l’autre, les dates des auteurs sont données dans chaque chapitre à la
première occurrence de leur nom.
Chapitre I

IBN FĀRIS

THÉOLOGIE ET PHILOLOGIE DANS L’ISLAM MÉDIÉVAL*

1. Introduction

Mon point de départ sera un texte bien connu des arabisants et, surtout,
connu d’eux depuis très longtemps. Ernest Renan (1823-1892) le cite dans la pre-
mière partie, seule parue, de son Histoire générale et système comparé des langues
sémitiques, intitulée Histoire générale des langues sémitiques. Dans la 4e édition
(RENAN, 1863) de ce livre, on le trouve p. 347. Notons cependant que Renan ne le
cite pas directement. Il reproduit en fait p. 347 et 348 la plus grande partie de la 2e
section fī ma‘rifat al-faṣīḥ min al-‘Arab de la 9e espèce ma‘rifat al-faṣīḥ, du Muzhir
de Ǧalāl al-dīn al-Suyūṭī (m. 911/1505), soit les pages 209 à 212 du t. I de notre
édition. L’extrait du Muzhir s’ouvre par le texte qui nous intéresse ici et il se clôt
par un autre texte qui nous intéressera ultérieurement8. Renan le propose comme
« un curieux spécimen des idées des Arabes sur la formation de leur propre
langue », en indiquant lui-même que l’orientaliste anglais Edward Pococke (1604-
1691) « en avait déjà fait usage », dans son ouvrage Specimen Historiae Arabum9.
Cet ouvrage a d’abord été édité en 1650, avant d’être réédité en 1806 par Joseph
White (1745-1814). C’est à cette édition que se réfère Renan. Nous avons pu en
consulter l’exemplaire que possède la Zentralbibliothek de Zürich, lors d’un séjour
Socrates à l’Orientalisches Seminar de cette ville en 2005, et même photographier
les pages 157-15810. Au bas de la page 157 et au haut de la page 158 se trouve bien

*
Version entièrement remaniée de l’article paru sous le titre « Théologie et philologie dans
l’islam médiéval : relecture d’un texte célèbre d’Ibn Fāris (Xe siècle) », in P. SERIOT & A.
TABOURET-KELLER (éd.), Le discours sur la langue sous les régimes autoritaires, Cahiers de
l’ILSL 17, Université de Lausanne, 2004, p. 101-114. Il était lui-même la version écrite de la
communication au colloque du même nom tenu au Louverain, Neuchâtel, Suisse, du 2 au 4
octobre 2003.
8
Cf., ici même, chapitre III.
9
Sur cet important orientaliste anglais du XVIIe siècle qu’est Eduardus Pocockius/Edward Po-
cocke, on se reportera à FÜCK, 1955 [1950], p. 85-90, et sur son ouvrage Specimen Historiae
Arabum, plus particulièrement p. 88.
10
Grâce à l’aide de notre collègue zürichois le Dr. Johannes Thomann et à l’obligeance du con-
servateur du département des livres anciens de la Bibliothèque centrale de Zürich (Zentralbi-
bliothek Zürich) : qu’ils soient ici remerciés.
2 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

un résumé du texte qui nous intéresse ici. Chez Pococke n’apparaît cependant pas
le nom de l’auteur du texte, mais seulement celui de Jallaladdin(us), c’est-à-dire al-
Suyūṭī. En revanche, dans la citation du Muzhir faite par Renan apparaît le nom de
l’auteur et celui de l’ouvrage d’où notre texte est extrait, même si, dans son com-
mentaire, Renan ne mentionne qu’al-Suyūṭī.

2. L’auteur : Ibn Fāris

L’auteur, c’est Ibn Fāris. Son nom complet est Abū al-Ḥusayn Aḥmad b.
Fāris b. Zakariyyā’ b. Muḥammad b. Ḥabīb. D’origine iranienne (comme beaucoup
des philologues dits « arabes »)11, il est né au IVe/Xe siècle (la date précise est in-
connue). Il étudia à Qazwīn, Zanǧān et Bagdad. Il fit le pèlerinage de La Mecque,
avant de s’établir à Hamaḏān où il eut pour élèves le futur vizir al-Ṣāḥib b. ‘Abbād
(m. 385/995)12 – et futur dédicataire du Ṣāḥibī – et Badī‘ al-zamān al-Hamaḏānī
(m. 398/1008)13, l’auteur des Maqāmāt. D’abord attaché à Hamaḏān à l’ancienne
famille vizirale, il était mal vu à Rayy de la nouvelle, celle d’al-Ṣāḥib. Mais quand
sa renommée le fit appeler à Rayy comme précepteur du fils du souverain bouyide,
il devint le protégé du vizir auquel il dédia l’ouvrage dont est extrait le texte ici
proposé à la traduction et au commentaire. C’est à Rayy qu’il mourut en 395/100414.

3. L’ouvrage

Cet ouvrage est l’un des deux plus célèbres ouvrages d’Ibn Fāris, l’autre
étant le Maqāyīs al-luġa, qui est en fait un grand dictionnaire. Le Ṣāḥibī porte en
sous-titre fī fiqh al-luġa wa-sunan al-‘Arab fī kalāmihā. Dans ce sous-titre se re-
connaissent deux mots, fiqh et sunan, pluriel de sunna, qui n’appartiennent pas au
vocabulaire linguistique, mais juridique. Le fiqh, c’est la « science » par excellence
(sens même du mot), c’est-à-dire celle du droit, ce que l’on appelle parfois la juris-
prudence ; la sunna, c’est la Tradition de Mahomet, c’est-à-dire l’ensemble de ses
faits et gestes et propos transmis par le ḥadīṯ (je reviens dans un instant sur celui-
ci) et qui constitue, après le Coran, la seconde des sources (’aṣl) de la législation
islamique (šarī‘a). La présence de ces mots vient rappeler l’étroite connexion qui
existe, dès le départ, pour cause d’exégèse en général et d’herméneutique juridique
en particulier (dérivation de normes à partir des textes fondateurs), entre sciences
linguistiques et sciences théologico-juridiques. L’expression fiqh al-luġa est parfois
traduite de manière tout à fait inadéquate par « philologie » : en fait, il s’agit de

11
Les « grammairiens arabes » ne sont rien d’autre que les gens qui font la grammaire de l’arabe
en arabe. Il en allait de même des « grammairiens latins » (e.g. Priscien [Ve-VIe siècles ap. J.-C],
né à Césarée de Maurétanie, aujourd’hui Cherchell en Algérie, et qui enseigna le latin à Cons-
tantinople).
12
Cf. article Ibn ‘Abbād de EI2, dû à Claude Cahen (1909-1991) et Charles Pellat (1914-1992).
13
Cf. article al-Hamadhānī de EI2, dû à Régis Blachère (1900-1973).
14
Cf. article Ibn Fāris de EI2, dû à Henri Fleisch (1904-1985).
CHAPITRE I 3

transférer à l’étude de la « langue » (luġa, mais le terme a bien d’autres sens) les
principes et méthodes du droit15.

4. La chaîne de garants

Ainsi, et de manière très caractéristique, notre texte s’ouvre-t-il par ce qu’on


appelle en science du ḥadīṯ un ’isnād, c’est-à-dire une chaîne d’autorités garantis-
sant l’authenticité de la tradition rapportée. Ce sont les verbes ’aḫbara (« rappor-
ter ») et ḥaddaṯa (« raconter ») figurant dans le ’isnād qui expliquent le nom de la
chose rapportée : ḥadīṯ ou ḫabar. Mon collègue d’Aix-en-Provence, Claude Gilliot,
islamologue de classe internationale, pense qu’il faut prendre ces ’isnād-s au sé-
rieux et qu’on peut, même si c’est un travail de bénédictin, en identifier le plus
souvent les différents chaînons : c’est le cas ici, où entre Ibn Fāris et la tradition
rapportée, il y a trois personnages, tous identifiables, et dont le plus ancien, Ismā‘īl
b. Abī ‘Ubayd Allāh, est le fils d’un vizir du calife abbasside al-Mahdī (r. 158-
169/775-795). Ismā‘īl est donc mort au plus tard dans la première moitié du
IIIe/IXe siècle, donc un siècle et demi avant Ibn Fāris, ce qui n’est pas sans impor-
tance ici.

5. La « tradition » : la phrase clef

Le récit consiste en une phrase clef – Qurayš ’afṣaḥ al-‘Arab ’alsinatan wa-
’aṣfāhum luġatan – présentée comme l’opinion unanime (’aǧma‘a) des spécialistes
de l’arabe et des Arabes, tout le reste du récit étant une justification de cette opinion.
On notera cependant que ces spécialistes sont répartis en trois catégories : la deu-
xième, s’occupant de poésie, est qualifiée explicitement de « transmetteurs » (ru-
wāt, pl. de rāwī) ; les première et troisième sont qualifiées de « savants » (‘ulamā’,
pl. de ‘ālim) ; la première s’occupe du « langage [ou mieux : parler] des Arabes »
(kalām al-‘Arab) ; la troisième de leurs luġāt, ’ayyām et maḥāll. Le pluriel même
interdit d’interpréter luġa comme « langue » : il s’agit en fait de variantes régio-
nales ou tribales d’une seule et même langue, ce qu’on peut appeler par imitation
de l’allemand Redeweise une « manière de parler » ; par ’ayyām, il faut entendre
l’histoire des Arabes, faite de « journées » mémorables ayant vu s’affronter les tri-
bus, et par maḥāll (« campements ») leur répartition géographique tribale (leurs ter-
ritoires). Dans le contexte, on est donc plus tenté d’interpréter kalām al-‘Arab
comme un terme générique, ensuite détaillé, alors que, dans le contexte du Kitāb de
Sībawayhi (m. 180/796 ?), il désigne plus spécifiquement le langage ordinaire et
naturel des Arabes16, par opposition au langage artificiel de la poésie.

15
Ainsi que l’avait déjà bien vu l’orientaliste hongrois Ignaz Goldziher (1850-1921) dans un ou-
vrage de jeunesse (GOLDZIHER, 1994 [1878]).
16
Dont on ne sait s’il s’agit du parler réel d’Arabes réels ou seulement du parler idéal d’Arabes
idéaux ou encore d’un mixte des deux. Si le fait que certaines des données fournies par Sība-
wayhi se retrouvent dans les parlers arabes d’aujourd’hui incline vers la première interprétation,
la confrontation avec les documents originaux (papyrus, inscriptions…), parfois très antérieurs
au Kitāb, incline vers la seconde.
4 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

La formulation de la phrase clef est un écho de Cor. 28, 34 : wa-’aḫī Hārūnu


huwa ’afṣaḥu minnī lisānan « Et mon frère Aaron, lui, parle mieux que moi », lit-
téralement : « est plus faṣīḥ que moi en matière de langue ». C’est le seul endroit
du Coran où apparaisse un membre de cette famille lexicale. Dans le Coran, ’afṣaḥ,
élatif de fasīḥ, est construit avec un syntagme prépositionnel en min : il est donc
employé comme comparatif. Dans notre texte, le même élatif est construit avec un
complément en état d’annexion : il est donc employé comme superlatif. Mais les
deux textes montrent : 1) que faṣīḥ se dit d’abord du locuteur, non de la langue et
2) qu’il y a des degrés dans la faṣāḥa (nom substantif correspondant au nom adjectif
faṣīḥ) : on peut être plus faṣīḥ qu’un autre ou le plus faṣīḥ de tous. Dans les deux
textes, l’élatif ’afṣaḥ est construit en outre avec le « spécificatif » (tamyīz) lisānan
au singulier dans le Coran, ’alsinatan au pluriel dans notre texte : il s’agit d’un
complément à l’accusatif, constituant une des expansions du nom. C’est ce spécifi-
catif qui sert en fait de pivot à la métonymie de la langue pour le locuteur. Le sin-
gulier et le pluriel s’expliquent respectivement par le fait que ’afṣaḥ est prédiqué
d’un individu dans le premier cas, d’un groupe dans le second. Mais cela veut dire
aussi que lisān a encore son sens de langue, comme organe de la parole, avant même
celui, métonymique, de langage articulé au moyen de cet organe. Dans les deux
textes cependant, faṣīḥ n’a pas exactement le même sens. Dans le contexte cora-
nique, la faṣāḥa est clairement la « facilité de parole » de Aaron, s’opposant à l’em-
barras de langue de Moïse, cf. Cor. 20, 27 wa-ḥlul ‘uqdatan min lisānī « délie le
nœud de ma langue » et 26, 13 lā yanṭaliqu lisānī (« ma langue n’est pas déliée »).
C’est un souvenir de la Bible et, plus particulièrement, Exode, 4, 10 et suivants qui
oppose Moïse et Aaron : Moïse n’est pas « l’homme de paroles » (’ish devarim)
qu’est Aaron, mais au contraire « lourd de bouche et lourd de langue » (khevad pe
ukhevad lashon), respectivement ṣāhib kalām et ṯaqīl al-fam wa-l-lisān dit une tra-
duction arabe moderne de la Bible17. Dans la tradition rapportée par Ibn Fāris le
redoublement même de ’afṣaḥ al-‘Arab ’alsinatan par ’aṣfāhum luġatan montre
que faṣīḥ a déjà entamé son processus de dérivation (certains diront : dérive) sé-
mantique qui le conduit de l’aisance de la parole à la pureté de la langue. C’est en
raison de cette évolution sémantique que nous rendons faṣīḥ par « châtié » (< lat.
castigatus « corrigé » < castus « pur », cf. fr. chaste)18.

6. La thèse théologique

Poser que « les Qurayš sont les plus châtiés en matière de langue » revient
à faire de leur langue (luġat Qurayš), c’est-à-dire en fait de celle du Coran, ce qu’on
appellera bientôt al-luġa al-fuṣḥā (« la manière de parler la plus châtiée »). Cette
double identification résume ce qu’on peut appeler la « thèse théologique » en

17
Al-Kitāb al-muqaddas ’ay kutub al-‘ahd al-qadīm wa-l-‘ahd al-ǧadīd, Ǧam‘iyyāt al-Kitāb al-
muqaddas, 1966, p. 62.
18
En latin même, on a castigare verba « relever des fautes de langage », cf. Félix GAFFIOT, Dic-
tionnaire illustré latin-français, Hachette, Paris, 1934, qui renvoie aux Satires de Juvénal (6,
455).
CHAPITRE I 5

matière de langue arabe. Certes, la première identification, celle de la langue du


Coran et de la langue de Qurayš, est implicite dans le texte même d’Ibn Fāris, mais
elle est tout à fait explicite ailleurs dans le Ṣāḥibī (cf. infra) et dans d’autres textes,
et, par exemple, dans la Ǧamharat ’aš‘ār al-‘Arab fī al-ǧāhiliyya wa-l-’islām.
Comme son nom l’indique, il s’agit d’une anthologie de la poésie arabe archaïque,
due à un certain Abū Zayd al-Qurašī, dont on ne sait rien. La seule chose qu’on
puisse en dire, c’est qu’elle est postérieure au Šarḥ al-qaṣā’id al-tis‘ al-mašhūrāt
(« Commentaire des neuf célèbres poèmes ») d’(Ibn) al-Naḥḥās (m. 338/950). Wei-
pert19 a en effet établi qu’elle se référait à ce dernier, mais sous le nom d’al-Ṣaffār :
naḥḥās et ṣaffār sont l’un comme l’autre des artisans du cuivre (nuḥās), mais, dans
le cas du second, du cuivre jaune (ṣufr) plus particulièrement. Et elle est antérieure
à la ‘Umda d’Ibn Rašīq (m. 456/1063-1064), qui la cite. Or, commentant l’expres-
sion lisān ‘arabī mubīn (« langue arabe claire/manifeste ») qui apparaît dans Cor.
26, 195, l’auteur écrit ou plutôt s’écrie (AL-QURAŠĪ, Ǧamhara, p. 12) :
Nous savons que la langue est la langue de Muḥammad – Allah étende sur lui
ses bénédictions et sa protection ! Allah, le Très Haut, a dit « Nous n’avons envoyé
d’envoyé que dans la langue de son peuple pour qu’il leur rende [les choses] claires/dis-
tinctes ». Et nous savons que les non-Arabes ne sont pas son peuple, mais que son
peuple, c’est cette tribu d’Arabes (wa-qad ‘alimnā ’anna al-lisān lisān Muḥammad
ṣallā llāhu ‘alayhi wa-sallama wa-qāla ta‘ālā wa-mā ’arsalnā min rasūlin ’illā bi-
lisāni qawmihi li-yubayyina lahum wa-qad ‘alimnā ‘anna al-‘Aǧam laysū qawmahu
wa-’anna qawmahu hāḏā al-ḥayy min al-‘Arab).

La première identification, on le voit, est purement scripturaire, reposant sur


Cor. 14, 4. Ce verset a servi de prémisse majeure à un raisonnement de type syllo-
gistique qui, via la prémisse mineure implicite (« Mahomet est l’envoyé d’Allah à
son peuple »), aboutit à la conclusion que la langue du Coran est la langue même
de Mahomet. Celui-ci étant, selon la tradition islamique, né à La Mecque, sise au
Hedjaz et territoire de la tribu de Qurayš, cette langue est appelée « langue de Qu-
rayš », expression qui relaie, en la restreignant, celle, plus ancienne, de « langue du
Hedjaz » (al-luġa al-ḥiǧāziyya) ou « langue des gens du Hedjaz » (luġat ’ahl al-
Ḥiǧāz), qu’on trouve, par exemple, dans le Kitāb de Sībawayhi. La seconde identi-
fication, celle de la langue de Qurayš et de la luġa al-fuṣḥā, explicite chez Ibn Fāris,
même si l’expression même d’al-luġa al-fuṣḥā n’apparaît pas encore, est purement
dogmatique : « c’est qu’Allah les a choisis entre tous les Arabes et les a élus et c’est
parmi eux qu’il a choisi le prophète de la miséricorde, Muḥammad, Allah étende
sur lui ses bénédictions et sa protection ! ». On reconnaît sans peine ici le thème de
l’« élection » d’un peuple par Dieu. On n’imagine pas qu’Allah ait choisi, pour
« faire descendre » (tanzīl) sa parole (kalām) et la « communiquer » (tablīġ) un tru-
chement qui ne soit pas linguistiquement le meilleur.

19
Art. Abū Zayd al-Qurašī de EI3.
6 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

7. L’argumentation : de la justification dogmatique à l’hypothèse sociolinguis-


tique

Et, pourtant, le récit ne s’en tient pas là. Aussitôt après avoir asséné la thèse
théologique et sa justification dogmatique, il développe le thème de l’« élection »
de Qurayš : les Qurayš sont les habitants (quṭṭān) du territoire sacré (ḥaram) de La
Mecque, ils sont les voisins protégés (ǧīrān) et protecteurs (wulāt) du sanctuaire
(al-bayt al-ḥarām). À ce titre, ils reçoivent des délégations (wufūd) des Arabes de
toutes les tribus, qui les prennent, en raison du prestige que leur confère ce titre,
comme arbitres dans leurs affaires. Et à leur langue, déjà excellente, ils ajoutent
encore le meilleur de chaque parler arabe. Le résultat est qu’on ne trouve dans leur
langue aucun des traits spécifiques des autres tribus. Ibn Fāris cite la ‘an‘ana des
Tamīm ; la ‘aǧrafiyya (raucité ?) des Qays, la kaškaša des Asad ; la kaskasa des
Rabī‘a ; la vocalisation i (kasr) des Asad de la première consonne de verbes ou de
noms vocalisée a en arabe classique20.
De telles énumérations se retrouvent dans maint autre ouvrage (cf. RABIN,
1951, p. 21), avec une triple variation, quant au nombre de traits, à leurs dénomina-
tions et aux tribus auxquelles ils sont attribués. On se contentera de citer ici, à titre
d’exemple, celle des Amālī de Ṯa‘lab (m. 291/904), donnée par AL-SUYŪṬĪ, Muzhir,
t. I, p. 211 :

Les Qurayš, a dit Ṯa‘lab dans ses Amālī, se sont élevés, en matière de faṣāḥa, en
évitant la ‘an‘ana des Tamīm, la taltala des Bahrā’21, la kaskasa des Rabī‘a, la kaškaša
des Hawāzin22, le taḍaǧǧu‘ des Qurayš [sic : en fait des Qays]23 et la ‘aǧrafiyya des
Ḍabba24. Il a expliqué la taltala des Bahrā’ par la vocalisation i des initiales des verbes
inaccomplis (wa-qāla Ṯa‘lab fī Amālīhi irtafa‘at Qurayš fī al-faṣāḥa ‘an ‘an‘anat
Tamīm wa-taltalat Bahrā’ wa-kaskasat Rabī‘a wa-kaškašat Hawāzin wa-taḍaǧǧu‘ Qu-
rayš wa-‘aǧrafiyyat Ḍabba wa-fassara taltalat Bahrā’ bi-kasr ’awā’il al-’af‘āl al-
muḍāri‘a).

Certains de ces traits ont déjà été mentionnés, mais non nommés, dans le
chapitre précédent (bāb al-qawl fi iḫtilāf luġāt al-‘Arab « de la divergence des ma-
nières de parler des Arabes », p. 48-51) et plusieurs d’entre elles sont détaillées dans
le chapitre suivant intitulé al-luġāt al-maḏmūma (p. 53-56). Examinons-les.

20
Les Asad occupent le Nord de l’Arabie, les Tamīm et les Rabī‘a l’Est, les Qays le Centre, cf.
cartes données par RABIN, 1951, p. 14 et BLACHÈRE, 1964, p. 248-249. Au demeurant, ces lo-
calisations sont approximatives. Sur ces traits, outre RABIN, 1951, voir KOFLER, 1940-1941-
1942, BLACHÈRE, 1952, p. 66-84 et VERSTEEGH, 1997, p. 37-52 et 2014, p. 42-59.
21
Tribu arabe chrétienne de Syrie, alliée de Byzance, cf. art. Bahrā’ de EI2, dû à Clifford Edmund
Bosworth (1928-2015).
22
Cf. art. Hawāzin de EI2, dû à Montgomery Watt (1909-2006).
23
Le texte est cité et commenté par IBN ǦINNĪ (m. 392/1002), Ḫaṣā’iṣ, t. II, p. 11-12.
24
Cf. art. Ḍabba de EI2, dû à Werner Caskel (1886-1970).
CHAPITRE I 7

8. Les « manières de parler blâmables » (al-luġāt al-maḏmūma)

8.1. La ‘an‘ana

La première est la ‘an‘ana, ainsi décrite par IBN FĀRIS, Ṣāḥibī, p. 53 :


Quant à la ‘an‘ana, qu’on mentionne à propos des Tamīm, elle consiste à ce
qu’ils convertissent parfois, en parlant, la hamza en ‘ayn, disant alors sami‘tu ‘anna
fulānan qāla kaḏā [« J’ai entendu qu’Untel avait dit telle chose »], voulant dire ’anna.
On rapporte dans le hadīṯ de Qayla taḥsibu ‘annī nā’ima [« tu crois que je dors »]. Abū
‘Ubayd [i.e. al-Qāsim b. Sallām, m. 224/838]25 a dit : elle voulait dire taḥsibu ’annī et
c’est la langue des Tamīm. Ḏū al-Rumma26 a dit (mètre basīṭ) : ’a-‘an tarassamta min
Ḫarqā’a manzilatan/mā’u ṣ-ṣabābati min ‘aynayka masǧūmū [« Est-ce d’avoir ima-
giné, de Ḫarqā’, un campement / que l’eau de l’effusion de tes yeux coule ? »]. Il vou-
lait dire ’a-’an, mais a mis à la place de la hamza un ‘ayn (’ammā al-‘an‘ana allatī
tuḏkaru ‘an Tamīm fa-qalbuhum al-hamza fi ba‘ḍ kalāmihim ‘aynan yaqūlūna sami‘tu
‘anna fulānan qad qāla kaḏā yurīdūna ’anna wa-ruwiya fī ḥadīṯ Qayla taḥsibu ‘annī
nā’ima qāla Abū ‘Ubayd ’arādat taḥsibu ’annī wa-hāḏihi luġat Tamīm qāla Ḏū al-
Rumma (basīṭ) ’a-‘an tarassamta min Ḫarqā’a manzilatan/mā’u ṣ-ṣabābati min ‘ay-
nayka masǧūmū ’arāda ’a-’an fa-ǧa‘ala makān al-hamza ‘aynan).

Telle que décrite, la ‘an‘ana apparaît comme une variante de /’/ en [‘]27 :
l’expression fī ba‘ḍ kalāmihim suggère qu’elle n’est pas inconditionnée. Les trois
exemples concernent une hamza initiale (ce qui est noté par AL-SUYŪṬĪ, Muzhir,
t. I, p. 222), vocalisée a (mais al-Suyūṭī donne lui-même l’exemple de ‘uḏn pour
’uḏn, cf. églt. FLEISCH, 1961, p. 78), le troisième exemple faisant penser à un phé-
nomène de dissimilation. La ‘an‘ana se rencontre dans certains parlers arabes mo-
dernes, notamment de l’actuelle Arabie Saoudite28.

8.2. La kaškaša

Le second trait est la kaškaša, ainsi décrite par IBN FĀRIS, Ṣāḥibī, p. 53-54 :
Quant à la kaškaša, qu’on rencontre chez les Asad, certains disent qu’ils substi-
tuent au kāf un šīn et disent ‘alayš dans le sens de ‘alayk. Ils récitent (mètre ṭawīl) : fa-
‘aynāši ‘aynāhā wa-ǧīduši ǧīduhā / wa-lawnuši ’illā ’annahā ġayru ‘āṭilī (« tes yeux
sont ses yeux, ton cou, son cou, / ainsi que ta couleur, mais elle n’est pas sans parure »).
D’autres disent : ils ajoutent au kāf un šīn et disent ‘alaykaš [sic : en fait ‘alaykiš] (wa-
’ammā al-kaškaša allatī fī Asad fa-qāla qawm ’innahum yubdilūna al-kāf šīnan fa-

25
Cf. art. Abū ‘Ubayd al-Ḳāsim b. Sallām de EI2, dû à H.L. Gottschalk.
26
Poète de l’époque omeyyade (m. 117/735-736 ?).
27
Par convention /./ note un phonème et [.] sa réalisation phonétique.
28
EALL, art. Saudi Arabia, t. IV, p. 125, 2009, dû à Bruce Ingham, qui cite sa‘al, à côté de sāl, et
ar‘ih (« see it »), rattachable à un verbe ra‘ā (« to see »). Un étudiant maghrébin, mais d’origine
nomade, m’a assuré que dans son parler, il y avait une réalisation Qur‘ān pour Qur’ān. Dans
tous ces exemples, la ‘an‘ana ne concerne pas une hamza initiale.
8 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

yaqūlūna ‘alayš bi-ma‘nā ‘alayk wa-yunšidūna (ṭawīl) fa-‘aynāši ‘aynāhā wa-ǧīduši


ǧīduhā / wa-lawnuši ’illā ’annahā ġayru ‘āṭilī wa-qāla ’āḫarūna yaṣīlūna bi-l-kāf
šīnan fa-yaqūlūna ‘alaykaš).

Du moins est-ce ainsi que lit l’éditeur du Ṣāḥibī. En fait, les deux phéno-
mènes regroupés sous le nom de kaškaša sont décrits par SĪBAWAYHI, Kitāb, t. IV,
p. 199-200, dans un chapitre intitulé « Du kāf comme marque pronominale » (hāḏā
bāb al-kāf allatī hiya ‘alāmat al-muḍmar). Après avoir observé que -ka et -ki sont
respectivement marques du masculin et du féminin, comme -ta et -ti dans l’accom-
pli du verbe, il observe que « beaucoup de Tamīm et certains Asad » (nās kaṯīr min
Tamīm wa-nās min Asad), pour éviter la confusion de genre qui résulterait, à la
pause, de la suppression de la voyelle brève, -ka et -ki devenant -k, substituent, au
féminin, au k- un š- et disent ’innaši ḏāhibatun (« Oui, tu t’en vas ») et mā laši
ḏāhibatan29 (« Qu’as-tu, en partant ?) ».
Sībawayhi voit donc dans la pause l’origine de la kaškaša, ce que ne note
pas Ibn Fāris. Par suite, les exemples de Sībawayhi doivent être lus ’innaš ḏāhibah
(« Oui, tu es en partance ») et mā laš ḏāhibah (« Qu’as-tu, en partance » ?)30. Le
premier des deux exemples31 confirme que la phrase nominale de l’arabe n’est pas,
pour employer la terminologie du linguiste suisse Charles Bally (1865-1947), une
phrase liée sujet-prédicat, mais une phrase segmentée thème-propos (litt. « oui, toi /
partant »), la segmentation étant marquée par une pause (BALLY, 1965). Sur ce mo-
dèle, le vers donné en exemple par Ibn Fāris devrait être lu fa-‘aynāš ‘aynāhā wa-
ǧīduš ǧīduhā / wa-lawnuš ’illā ’annahā ġayru ‘āṭilī, le premier hémistiche s’analy-
sant en deux phrases nominales coordonnées et le second en une phrase nominale
élidée, suivie d’une phrase adversative. Mais ainsi lu, le vers serait métriquement
faux, le mètre étant le ṭawīl32. Ce qui suggère que le vers mixe en fait le trait clas-
sique, qui est -ki, et le trait non classique, qui est -š, obtenant une forme moyenne
- ši, ni classique, ni dialectale. On retrouve la même structure thème-propos dans le

29
Je suis la vocalisation donnée par l’édition Hārūn, qui reprend elle-même celle de l’édition de
Būlāq (t. II, p. 295). L’édition Derenbourg (t. II, p. 322), en revanche, lit māluši ḏāhibatun (« ton
troupeau s’en va »), lecture suivie par OWENS, 2013. La vocalisation -an a pour but, semble-t-
il, de prévenir, dans le contexte (le premier exemple étant une affirmation), une interprétation
négative (« tu ne pars pas »), en obligeant à une interprétation interrogative (à comprendre sans
doute comme « Pourquoi pars-tu ? »). L’expression négative mā lak(a) paraît cependant
« moyen arabe », cf. BLAU 1967, p. 508 ; HOPKINS, 1984, p. 236. Elle est vivante dans les dia-
lectes arabes modernes, par exemple Damas : mā lī marīḍ (« je ne suis pas malade »), mā lī fāḍī
(« je n’ai pas le temps »), cf. KASSAB, 1970, p. 60 et 138. Mā lī est parfois prononcé mā-nī, ce
qui fait littéralement hurler de rire les autres arabophones, la négation coïncidant pratiquement
avec le mot manī (« sperme »).
30
L’article Kaškaša and Kaskasa de EALL (t. II, p. 555-557, 2007), dû à Munira Ali Al-Azraqi, lit
faussement ’inniš ḏāhiba et māliš ḏāhiba, sans doute par rétroprojection de la situation actuelle
(cf. infra).
31
Et aussi bien le second, si on suit l’éd. Derenbourg, qui doit alors être lu māluš ḏāhibah (« ton
troupeau / partant »).
32
Le ṭawīl est un tétramètre, fait de la reduplication de deux pieds fa‘ūlun et mafā‘īlun, étant
entendu que chacun des deux peut s’écourter, en fa‘ūlu et mafā‘ilun, ce qui est le cas ici.
CHAPITRE I 9

second des deux exemples de Sībawayhi, mais ici le thème est lui-même une phrase
et le propos une expansion, type « complément d’état »33.
Quant à la seconde forme de kaškaša, elle consiste, selon Sībawayhi, à ajou-
ter un š à ki- « pour rendre ainsi distincte la kasra à la pause » (li-yubayyinū bihā
al-kasra fī al-waqf), mais non en liaison, e.g. ’a‘ṭaytukiš (« je t’ai donné ») et ’ukri-
mukiš (« je t’honore[rai] »). On voit que le retour à Sībawayhi permet de corriger
les lectures fautives de l’éditeur du Ṣāḥibī.

8.3. La kaskasa

Le troisième trait est la kaskasa, ainsi décrit par IBN FĀRIS, Ṣāḥibī, p. 54 :
Il en va de même de la kaskasa, qui existe chez les Rabī‘a : elle consiste à affixer
au kāf un sīn et à dire ‘alaykas [sic : en fait ‘alaykis] (wa-kaḏālika al-kaskasa allatī fī
Rabī‘a ’innamā hiya ’an yaṣilū bi-l-kāf sīnan fa-yaqūlūna ‘alaykas).

La kaskasa correspond donc seulement à la seconde forme de kaškaša, avec


s au lieu de š. Là encore, elle sort (moins le nom et l’attribution tribale) de
SĪBAWAYHI, Kitāb, t. IV, p. 199, qui en intercale la description entre les deux formes
de kaškaša :

Sache que des gens, parmi les Arabes, affixent au kāf le sīn pour rendre distincte
la kasra du féminin (…), ainsi ’a‘ṭaytukis et ’ukrimukis, mais s’ils sont en liaison, ils
ne le font pas, car la kasra est distincte (i‘lam ’anna nāsan min al-‘Arab yulḥiqūna al-
kāf al-sīn li-yubayyinū kasrat al-ta’nīṯ (…) wa-ḏālika ’a‘ṭaytukis wa-’ukrimukis fa-’iḏā
waṣalū lam yaǧī’ū bihā li-’anna al-kasra tabīnu).

33
On ne peut suivre FISCHER, 1956, p. 30, dans l’interprétation qu’il fait de ce passage de
SÎBAWAYHI, Livre, t. II, p. 322 et suivantes de l’éd. Derenbourg : « Viele Tamīm und manche
von den Banū Asad ersetzen -ki durch -ši im Suff. der 2.f.sg. (’inna-ši ḏāhiba) in Pausa sowie
in Kontext ». Fischer pense sans doute qu’il n’y a de pause qu’en fin de phrase et, par suite, se
laisse abuser par le fait que -š semble ici en contexte. Le grammairien Raḍī al-dīn AL-
ASTARĀBĀḎĪ (m. après 688/1289), Šarh al-Kāfiya, t. II, p. 409, il est vrai, écrit explicitement
que « la liaison peut suivre le cours de la pause » (qad yaǧrī al-waṣl maǧrā al-waqf), citant le
premier des deux exemples de Sībawayhi, qu’il lit donc comme ’innaši ḏāhibatun, et le même
vers qu’Ibn Fāris, mais avec un second hémistiche différent : siwā ’anna ‘aẓma s-sāqi minši
daqīqū (« sauf que l’os de la jambe, par rapport à toi, est fin ») : la métrique, sinon la syntaxe,
oblige à lire -ši. En revanche, CANTINEAU, 1960, p. 65, suivi par FLEISCH, 1961, p. 81, signalent
bien qu’il s’agit d’un phénomène d’abord pausal, avant de s’étendre en contexte, citant l’un et
l’autre une lecture de Cor. 19, 24 comme ǧa‘ala rabbuši (= rabbuki) taḥtaši (= taḥtaki) sariyyan
(« Ton seigneur a mis sous toi un ruisseau ») : la phrase verbale de l’arabe est une phrase liée,
au sens de BALLY, 1965, c’est-à-dire sans pause entre ses constituants. Avant eux, KOFLER,
1940, p. 118, semble rejeter la liaison faite entre kaškaša et pause, du fait des exemples en
contexte, mais souligne qu’à la pause on ne pourrait avoir que biš et ‘alayš, non biši et ‘alayši.
10 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

En conclusion de son développement, Sībawayhi note qu’

ils [i.e. les Arabes] affixent le sīn et le šīn au féminin, parce qu’ils ont fait de
leur absence la marque distinctive du masculin (wa-’innamā yulḥiqūna al-sīn wa-l-šīn
fī al-ta’nīṯ li-’annahum ǧa‘alū tarkahumā bayān al-taḏkīr).

On ne saurait mieux dire que la marque du masculin, ici, c’est l’absence de


la marque du féminin.
Telles que décrites par Sībawayhi, la première forme de kaškaša (-ki > -š),
la seconde forme de kaškaša (-ki > -kiš) et la kaskasa (-ki > -kis) sont des variantes
doublement conditionnées : du seul pronom affixe de 2e personne féminin singulier
et seulement à la pause. Trois variantes de -ki se rencontrent dans les dialectes
arabes modernes, soit sous la forme de la chuintante -(i)š, soit sous la forme d’une
affriquée -(i)tš ou -(i)ts. JOHNSTONE, 1963, p. 222-225, suggère que la variante -(i)š
prolonge la première forme de kaškaša, les variantes -(i)tš et -(i)ts la seconde forme
de kaškaša et la kaskasa. De son côté, HOLES, 1991, propose une corrélation entre
ces trois variantes de -ki et l’absence ou la présence, et en ce cas, inconditionnée ou
conditionnée, de k (et, dans un cas, de q). WATSON, 1992, quant à elle, rapproche la
seconde kaškaša de la ‘aǧ‘aǧa (réalisation de -iyy ou -iy en -iǧ à la pause) et pense
qu’elle cerne une affrication de -ki en -tš, via un allongement et une palatalisation
(-ki > -kī > -kiǧ > -kç)34. Enfin, au terme d’une étude techniquement très argumen-
tée, OWENS, 2013, conclut que la seconde kaškaša et la kaskasa sont la manière de
Sībawayhi, avec les moyens qui sont les siens, de décrire l’affrication de k, soit en
tš, soit en ts. Il suffit de noter ici que ceux des parlers qui n’ont pas de variante de
- ki maintiennent celui-ci par opposition au masculin -k, par exemple Damas ‘alēk
(m) vs ‘alēki (f), cf. KASSAB, 1970, p. 57. Ce qui confirme indirectement, nous
semble-t-il, la lecture que nous faisons de Sībawayhi, chez qui il n’y a pas en fait
de variante -ši, qui serait redondante, mais seulement -š de -ki.

8.4. Vocalisation i de la consonne initiale du verbe et du nom

Ce trait, que notre texte attribue ici aux Asad et aux Qays, consiste à voca-
liser i (kasr), au lieu de a, la consonne initiale soit du verbe inaccompli, e.g.
ti‘lamūna et ni‘lam, soit de noms, e.g. ši‘īr et bi‘īr. Selon le témoignage de Ṯa‘lab,
dans le premier cas, le phénomène est appelé plus particulièrement taltala.
Le phénomène est décrit par Sībawayhi. Pour les verbes, dans un chapitre
intitulé « De la vocalisation i des initiales des verbes inaccomplis » (hāḏā bāb mā
tuksaru fīhi ’awā’il al-’af‘āl al-muḍāri‘a li-l-’asmā’ (SĪBAWAYHI, Kitāb, t. IV,
p. 110-112). Sībawayhi attribue le trait à l’ensemble des Arabes, sauf les gens du
Hedjaz. Selon lui, est vocalisé i, à l’exception de celui de la 3e personne, le préfixe
de l’inaccompli des verbes fa‘ila des verbes sains (ti‘lam, ’i‘lam, ni‘lam, mais
ya‘lam), des verbes malsains, à 2e ou 3e radicale wāw ou yā’, ou des verbes redou-
blés, soit tišqā, ’iḫsā, niḫāl, ti‘dadna et ti‘addīna. Sībawayhi établit une corrélation

34
/ç/ note en API une palatale fricative sourde. La voyelle i est également palatale.
CHAPITRE I 11

entre voyelle du préfixe et voyelle de la seconde radicale de l’inaccompli


(ḍarabta/taḍribu, mais ‘alimta/ti‘lamu), mais considère la prononciation a comme
la base (’aṣl). Il indique que le phénomène touche aussi les verbes défectueux à 1re
radicale wāw, e.g. waǧila-yawǧal chez les gens du Hedjaz, mais ’īǧal, tīǧal, nīǧal
chez les autres, la troisième personne recevant un traitement variable selon les
groupes (yayǧal, yāǧal, yīǧal). Sont également concernées les formes augmentées
commençant par une hamza instable : tistaġfir (istaġfara), tiḥranǧim (iḥranǧama),
tiġdawdin (iġdawdana), ’iq‘ansis (iq‘ansasa), ainsi que les formes augmentées
commençant par ta- : tafa‘‘ala (V trilitère), tafā‘ala (VI trilitère) et tafa‘lala (II
quadrilitère). L’ensemble des dialectes arabes modernes pratiquent la taltala : sim-
plement, si, en effet, la voyelle du préfixe n’est pas a, son timbre est variable selon
les dialectes (i ici, ǝ là…).
Pour les noms, le phénomène est décrit dans le chapitre qui précède et inti-
tulé « Des six consonnes, quand l’une d’elles est seconde radicale et que la première
radicale est vocalisée a » (hāḏā bāb al-ḥurūf al-sitta ’iḏā kāna wāḥid minhā ‘aynan
wa-kānat al-fā’ qablahā maftūḥatan (SĪBAWAYHI, Kitāb, t. IV, p. 107-109). Tel que
décrit par Sībawayhi, c’est un changement doublement conditionné, par la voyelle
a de la première radicale et la présence, comme seconde radicale, soit de la laryn-
gale /’/ ou /h/, de la pharyngale /‘/ ou /ḥ/ ou de la postvélaire /ġ/ ou /ḫ/. Il vaut non
seulement pour les noms de forme fa‘il (une des quatre variantes existantes, les trois
autres étant fi‘il, fa‘l et fi‘l), mais encore les verbes de forme fa‘ila (une des quatre
variantes existantes, les trois autres étant fi‘ila, fa‘la et fi‘la, cette dernière conser-
vée en arabe classique même par les verbes d’éloge et de blâme ni‘ma et bi’sa). Ce
phénomène d’assimilation vocalique se retrouve avec les formes nominales fa‘īl et
fi‘īl, dont relèvent les exemples donnés par Ibn Fāris. Pour Sībawayhi, il est propre
aux Tamīm, la forme qu’il considère comme la « base » et qui deviendra classique
étant propre aux « gens du Hedjaz ».

8.5. La ‘aǧrafiyya

Si Ibn Fāris a nommé la ‘aǧrafiyya dans le chapitre précédent, il ne la décrit


pas dans le présent chapitre. À cela, il y a peut-être deux raisons. La première est
qu’on ne sait pas exactement ce qu’est la ‘aǧrafiyya, comme le montre la consulta-
tion des dictionnaires arabisants et arabes. KAZIMIRSKI, 1846-1847, art. ‘ǦRF, t. II,
p. 176, enregistre le terme, avec un certain nombre de sens, mais dont aucun n’est
linguistique. LANE, 1863-1893, art. ‘ǦRF, t. V, p. 1959, donne le nom verbal
‘aǧrafa comme synonyme de ‘aǧrafiyya, « also coarseness, roughness or rudeness
in speech », c’est-à-dire grossièreté, brutalité, rudesse, roughness se disant en an-
glais en particulier de la rudesse de la voix. Plus loin, il signale que « ‘aǧrafiyyat
Ḍabba is thought by ISd [i.e. Ibn Sīda (m. 458/1066)] to mean [The tribe of]
Ḍabbeh’s guttural speech (taqa‘‘uruhum fī al-kalām) », en renvoyant au Tāǧ al-
‘Arūs d’al-Zabīdī (m. 1205/1791). Mais la citation, comme l’indique RABIN, 1951,
p. 104, est déjà dans IBN MANẒŪR (m. 711/1311), Lisān al-‘Arab, art. ‘ǦRF, t. II,
p. 690. Ce dernier ouvre son article par une définition de la ‘aǧrafiyya comme al-
ǧafwa fī al-kalām (« dureté en parlant »), ce qui est exactement la définition (et
12 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

d’ailleurs la seule) donnée par le plus vieux dictionnaire arabe, le Kitāb al-‘Ayn
(t. II, p. 321) d’al-Ḫalīl b. Aḥmad (m. 160/776 ou 170/786 ou 175/791). Il semble
donc que ce soit là le sens le plus exact du terme. RABIN, 1951, p. 104, retient quant
à lui l’opinion d’Ibn Sīda et sa paraphrase de ‘aǧrafiyya par taqa‘‘ur « a term which
denoted an affected, drawling manner of speaking », en renvoyant à DOZY, 186935.
C’est en fait au taḍaǧǧu‘ (« nonchalance »), attribué aux Qays, que convient le
terme de drawling.
La seconde raison est que la ‘aǧrafiyya n’est pas un trait objectif parfaite-
ment identifiable mais l’impression subjective, sonore et éventuellement visuelle
(déformation de la bouche) que fait une certaine manière de parler, ce qu’on appelle
un « accent ». Si, comme nous le pensons, elle cerne quelque chose d’assez proche
de ce qu’on appellerait en français la « raucité », tout comme le taḍaǧǧu‘ désigne
l’accent « traînant », sa mention explicite, parmi les défauts que n’ont pas les Qu-
rayš, s’oppose implicitement à la qualité qu’on leur prête : « la délicatesse de leur
élocution ». Et on est alors très tenté de voir dans cette opposition la manifestation
linguistique de celle des nomades (supposés « rudes ») et des citadins (supposés
« policés » : le terme veut bien dire ce qu’il veut dire).

9. Pureté du sang, pureté de la langue ?

Quand on lit une phrase telle que « [les Qurayš] sont (…) les purs descen-
dants d’Ismā‘īl – sur lui le salut ! –, en rien mélangés, que nulle vicissitude n’a fait
déchoir de leurs lignages », on est tenté de penser, comme je l’ai d’abord pensé36,
qu’une corrélation est faite entre pureté du sang et pureté de la langue. Pourtant, si
on a la curiosité, là encore, de regarder le chapitre qui suit, on s’aperçoit que la
revendication « ismaélite » est plus avantageuse sur le plan religieux que sur le plan
linguistique.

35
i.e. Reinhart Dozy (1820-1883). Il s’agit du très long compte rendu de la traduction de la Muqad-
dima d’Ibn Ḫaldūn (m. 808/1416), faite sous le titre de Prolégomènes, par William Mac Guckin
de Slane (1801-1878), à partir de l’édition d’Étienne Marc Quatremère (1782-1857). DOZY,
1869, p. 172-174, y commente le terme muqa‘‘ar, qui apparaît à la ligne 8 de la page 380 du
texte et que De Slane traduit par « bas », alors que Dozy pense qu’il signifie presque le contraire,
« prétentieux », en renvoyant au Qāmūs d’al-Fīrūzābādī (m. 817/1415). À l’entrée Q‘R (AL-
FIRUZABADI, Qāmūs, t. II, p. 124), on peut lire en effet qa‘‘ara fī kalāmihi taq‘īran ’aw
taqa‘‘ara tašaddaqa wa-takallama bi-’aqṣā famihi et à l’entrée ŠDQ (AL-FĪRŪZĀBĀDĪ, Qāmūs,
t. III, p. 257) tašaddaqa lawā šidqahu li-l-tafaṣṣuḥ, šidq étant défini comme ṭifṭifat al-fam min
bāṭin al-ḫaddayn. LANE, 1863-1893, art. Q‘R, t. VII, p. 2548, traduit les deux paraphrases : « He
twisted the sides of his mouth in speaking, and spoke with the furthest part of his mouth » (« Il
a tordu les côtés de sa bouche en parlant, et a parlé avec la partie la plus éloignée de sa bouche »)
et, à nouveau (art. ŠDQ, t. IV, p. 1520) : « He twisted (…) the quivering flesh of his mouth,
inside the two cheeks, in order to affect clearness, or distinctness, of speech, or to be more clear,
or distinct, in speech ». En ce sens, la ‘aǧrafiyya est un mixte de gutturalité et d’emphase, mais
c’est une évolution sémantique par rapport à la ‘aǧrafiyya originelle et même contradictoire
avec elle, comme le suggère l’apparition de li-l-tafaṣṣuḥ dans la paraphrase de tašaddaqa : la
‘aǧrafiyya originelle ne relève certainement pas de la faṣāḥa, même affectée.
36
LARCHER, 2004, p. 105.
CHAPITRE I 13

Comme on sait, s’agissant d’Ismā‘īl, le Coran (un peu), la tradition isla-


mique (beaucoup) réécrivent pour partie le récit biblique et pour partie lui donnent
une suite37. Dans la Bible (Gen. 21, 8-21), Abraham, après la naissance d’Isaac, le
fils qu’il a eu de Sarah, renvoie, sur les instances de celle-ci, Agar, la servante égyp-
tienne de Sarah, et Ismaël, le fils qu’il a eu d’Agar. La mère et l’enfant errent dans
le désert de Beer-Schéba. À court d’eau, ils trouvent, grâce à l’intervention divine,
un puits. L’enfant grandit ensuite dans le désert de Paran, où il devient tireur d’arc
et sa mère lui fait épouser une Égyptienne. La tradition islamique fait arriver la mère
et l’enfant dans la vallée de La Mecque, où l’enfant, grattant le sable, fait jaillir
l’eau du puits Zemzem. Arrivé à l’âge d’homme, il épouse une femme de la tribu
arabe des Ǧurhum38. Abraham, ou plutôt Ibrāhīm, qui les avait accompagnés puis
était reparti, revient plusieurs fois en visite et c’est lors de la troisième visite qu’il
demande à Ismā‘īl de l’aider à construire la Ka‘ba : la revendication « ismaélite »
s’inscrit ainsi dans le cadre d’une revendication plus générale qu’on peut qualifier
d’« abrahamique ».
Mais Ibn Fāris est informé de la querelle d’« arabité » opposant à l’époque
omeyyade « Arabes du Nord » (‘Adnān) et « Arabes du Sud » (Qaḥṭān), qui paraît
être une conséquence directe du rôle éminent joué par les Yéménites dans les con-
quêtes islamiques. On en trouve l’écho dans le chapitre des luġāt al-maḏmūma (IBN
FĀRIS, Ṣāḥibī, p. 55-56) :
S’agissant de ceux qui prétendent que les descendants d’Ismā‘īl – sur lui le sa-
lut ! – font honte à ceux de Qaḥṭān de n’être pas des Arabes et arguent contre eux que
leur langue est le ḥimyarite (…)39, la divergence des manières de parler ne contredit
pas les généalogies. Nous, même si nous savons que le Coran est descendu dans la
manière de parler la plus châtiée, nous ne nions pas que chaque peuple a sa manière de
parler. Néanmoins, Qaḥṭān rappelle qu’ils sont les vrais Arabes et que tous les autres
qu’eux sont les Arabes arabisés et que c’est dans leur langue qu’Ismā‘īl – sur lui le
salut ! – s’est exprimé et que c’est de leur idiome qu’il a pris, mais que l’idiome de son
père était l’hébreu. Mais ce n’est pas ici le lieu où nous puissions aller au fond des
choses (’ammā man za‘ama ’anna wuld Ismā‘īl ‘alayhi al-salām yu‘ayyirūna wuld
Qaḥṭān ’annahum laysū ‘Araban wa-yaḥtaǧǧūna ‘alayhim bi-’anna lisānahum al-ḥi-
myariyya (…) fa-laysa iḫtilāf al-luġāt qādiḥan fī al-’ansāb wa-naḥnu wa-’in kunnā
na‘lamu ’anna al-Qur’ān nazala bi-’afṣaḥ al-luġāt fa-lasnā nunkiru ’an takūna li-kull
qawm luġa ma‘a ’anna Qaḥṭān taḏkuru ’annahum al-‘Arab al-‘āriba wa-’anna man
siwāhum al-‘Arab al-muta‘arriba wa-’anna Ismā‘īl ‘alayhi al-salām bi-lisānihim

37
Cf. art. Ismā‘īl de EI2, dû à Rudi Paret (1901-1983).
38
Cf. art. Djurhum de EI2, dû à Montgomery Watt. Les Ǧurhum sont dits être des Arabes du Sud
(donc de « vrais Arabes »), installés dans la région de La Mecque…
39
Entre ’ammā… et fa-, Ibn Fāris cite un certain nombre de mots « ḥimyarites », dont il donne les
équivalents arabes apparaissant dans le Coran, ce qui constitue l’argument donné par les Arabes
du Nord contre la pure « arabité » des Arabes du Sud et, inversement, après fa-, il donne l’argu-
ment des Arabes du Sud contre la pure « arabité » des Arabes du Nord. Sur le ḥimyarite, avant
et après l’islam, cf. art. Ḥimyaritic de EALL (t. II, p. 256-261, 2007), dû à Christian Julien Robin.
14 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

naṭaqa wa-min luġātihim ’aḫaḏa wa-’innamā kānat luġat ’abīhi al-‘ibrāniyya wa-
laysa ḏā mawḍi‘ istiqṣā’ fa-nastaqṣiya).

On voit au passage qu’Ibn Fāris connaît également l’expression de ’afṣaḥ


al-luġāt qui se réécrit plus immédiatement en al-luġa al-fuṣḥā que celle de ’afṣaḥ
al-‘Arab ’alsinatan40. Bien loin de poser une corrélation entre pureté du sang et
pureté de la langue, le scénario exposé par Ibn Fāris semble avoir pour but de con-
cilier, non seulement théologie et philologie, mais encore philologie et généalogies
revendiquées.

10. Conclusion

Il y a, dans ce texte, deux aspects. L’un, qui intéresse l’historien de la tradi-


tion linguistique arabe, est la double identification de la langue du Coran avec la
« langue de Qurayš », qui est une vérité scripturaire, et de la « langue de Qurayš »
avec la luġa al-fuṣḥā, qui est une vérité dogmatique. L’autre, qui intéresse le lin-
guiste, est la conception même de la luġa al-fuṣḥā qui se dégage du scénario pro-
posé par Ibn Fāris. Citons la phrase exposant ce scénario en en soulignant les termes
clefs :
Mais, les Qurayš, ma‘a [réservons la traduction] le caractère châtié de leur
langue, la qualité de leurs manières de parler, la délicatesse de leur élocution, quand
les délégations des Arabes venaient chez eux, choisissaient dans leur parler et dans
leurs poésies les meilleures manières de s’exprimer et le langage le plus pur. Tout ce
qu’ils avaient choisi parmi ces manières de parler s’ajouta à leur nature et à l’empreinte
dont ils étaient marqués et ils devinrent ainsi les plus châtiés des Arabes.

En termes strictement linguistiques, cela revient à faire de la « langue de


Qurayš », la base d’un processus de koinéisation, dont le résultat est la luġa al-
fuṣḥā. La « langue de Qurayš » n’est pas, à l’origine, la luġa al-fuṣḥā, mais l’est
devenue, par l’ajout d’une sélection de traits (ceux considérés comme les meilleurs)
dans l’ensemble des parlers arabes, la luġa al-fuṣḥā éliminant par ailleurs les traits
considérés comme « blâmables ». La luġa al-fuṣḥā est bien une koinè, en ce sens
qu’elle ne coïncide, au départ, avec la langue de personne, même si, à l’arrivée, elle
est identifiée, pour des raisons extra-linguistiques, avec la « langue de Qurayš ».
Notons qu’Ibn Fāris ne mentionne aucun des traits choisis comme étant les meil-
leurs : simplement, la coordination à kalām de ’aš‘ār suggère que la luġa al-fuṣḥā
sollicite moins le parler des Arabes en général que le registre poétique de ce parler
en particulier. Il ne rappelle pas davantage les traits donnés comme spécifiques à la
langue du Coran et qu’il a cités au chapitre précédent (IBN FĀRIS, Ṣāḥibī, p. 49), à
commencer par le plus fameux d’entre eux, al-hamz wa-l-talyīn (« mettre la hamza

40
Si « les Qurayš sont les plus châtiés des Arabes en matière de langue », on peut poser « langue
de Qurayš » = al-luġa al-fuṣḥā et si « le Coran est descendu dans la plus châtiée des manières
de parler », on peut poser langue du Coran = al-luġa al-fuṣḥā et, par suite, langue du Coran =
« langue de Qurayš » = al-luġa al-fuṣḥā.
CHAPITRE I 15

et l’adoucir »), en l’exemplifiant par Cor. 2, 14 : mustahzi’ūn et mustahzūn. La pre-


mière forme est la forme classique, la seconde la forme coranique. Le rasm/ductus
ne notant pas la hamza, on a donc, non un verbe à 3e radicale hamza istahza’a-
yastahzi’u, mais un verbe défectueux istahzā-yastahzī, participe actif mustahzin, pl.
mustahzūn41.
Une question brûle alors les lèvres : si, comme le proclame le texte en son
début, « les Qurayš sont les plus châtiés des Arabes », pourquoi proposer un scéna-
rio exposant comment ils le sont devenus, ce qui présuppose qu’ils ne l’étaient pas ?
Il y a comme une contradiction entre la proposition initiale et le scénario proposé,
bien soulignée par l’ambiguïté de ma‘a (« avec ») qui peut être compris simplement
comme « en sus » (à leur parler, déjà excellent, s’est ajouté le meilleur de chaque
parler arabe) mais, de manière plus polémique, comme « malgré » (bien que déjà
excellent, c’est par l’ajout du meilleur de chaque parler arabe que le leur est devenu
le meilleur de tous).
C’est à cette question que permet de répondre un autre texte, objet du cha-
pitre suivant.

41
Autrement dit, le rasm coranique traite les verbes hamzés exactement comme les dialectes
arabes d’aujourd’hui…
16 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

Annexe
Texte arabe et traduction française d’IBN FĀRIS, Ṣāḥibī, p. 52-53.

   


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CHAPITRE I 17

Des plus châtiés des Arabes

Abū al-Ḥasan Aḥmad b. Muḥammad, client des Banū Hāšim à Qazwīn, m’a
transmis la tradition suivante qu’il tenait d’Abū al-Ḥasan Muḥammad b. ‘Abbās al-
Ḫuškī qui la tenait lui-même d’Ismā‘īl b. Abī ‘Ubayd Allāh : nos savants en matière
de langage des Arabes, les transmetteurs de leurs poésies, les savants dans les do-
maines de leurs manières de parler, de leurs journées, de leurs campements sont
unanimes sur le fait que les Qurayš sont les plus châtiés et les plus purs des Arabes
en matière de langue : c’est qu’Allah – qu’il soit hautement louangé ! – les a choisis,
entre tous les Arabes, et les a élus : c’est parmi eux qu’il a choisi le prophète de
miséricorde, Muḥammad – Allah étende sa bénédiction et sa protection sur lui ! ; il
a fait des Qurayš les habitants de son territoire sacré, les voisins protégés et protec-
teurs de son sanctuaire. Les délégations d’Arabes, pèlerins et autres, venaient à La
Mecque pour le pèlerinage et s’adressaient aux Qurayš pour qu’ils arbitrent entre
eux dans leurs affaires. Les Qurayš leur apprenaient leurs dévotions et arbitraient
entre eux. Toujours, les Arabes reconnaissent aux Qurayš une supériorité sur eux et
les nomment la gent d’Allah : ils sont en effet les purs descendants d’Ismā‘īl – sur
lui le salut ! –, en rien mélangés, que nulle vicissitude n’a fait déchoir de leurs li-
gnages, par une grâce venue d’Allah – qu’il soit hautement louangé ! –, et pour les
honorer, quand il a fait d’eux la parentèle de son prophète vertueux et de sa pieuse
famille. Mais, les Qurayš, malgré le caractère châtié de leur langue, la qualité de
leurs manières de parler, la délicatesse de leur élocution, quand les délégations des
Arabes venaient chez eux, choisissaient dans leur parler et dans leurs poésies les
meilleures manières de s’exprimer et le langage le plus pur. Tout ce qu’ils avaient
choisi parmi ces manières de parler s’ajouta à leur nature et à l’empreinte dont ils
étaient marqués et ils devinrent ainsi les plus châtiés des Arabes. On ne trouve dans
leur parler, n’est-ce pas, ni la ‘an‘ana des Tamīm, ni la ‘aǧrafiyya des Qays, ni la
kaškaša des Asad, ni la kaskasa des Rabī‘a, ni la vocalisation i qu’on entend chez
les Asad et les Qays, par exemple ti‘lamūna [vous savez] et ni‘lam [nous savons]
et, autre exemple, ši‘īr [orge] et bi‘īr [chameau].
Chapitre II

AL-FARRĀ’

UN RETOUR AUX SOURCES SUR LA LUĠA AL-FUṢḤĀ *

1. Introduction

Pourquoi Ibn Fāris fait-il de la luġat Qurayš une espèce de koinè ? La ré-
ponse à cette question se trouve dans un autre texte, qui est resté aussi méconnu que
celui d’Ibn Fāris est archi-connu, alors même qu’il en constitue la source immé-
diate.
Ce texte a été exhumé par Paul Kahle (1875-1964) qui l’a publié et traduit
dans The Cairo Geniza, 1947, p. 79 et suivantes pour la traduction, p. 115 et sui-
vantes pour le texte. Il a repris, avec quelques corrections, cette traduction dans son
article « The Qur’ān and the ‘Arabīya » paru dans Ignace Goldziher Memorial Vo-
lume, Part I, edited by Samuel Löwinger and Joseph Somogyi, Budapest, 1948,
p. 163-182 et p. 179-180 pour la traduction et, l’année suivante, dans son article
« The Arabic Readers of the Koran », Journal of Near Eastern Studies, vol. VIII,
number 2, April 1949, p. 65-71 et p. 69-70 pour la traduction. Le texte a été repris
dans l’Appendix IV de la seconde édition de The Cairo Geniza, Oxford, Basil
Blackwell, 1959, p. 345-346 et une traduction complète et définitive donnée p. 143-
144. C’est à cette dernière que je me référerai.
Kahle a découvert ce texte dans un manuscrit (cote MS AS 705 daté de
525/1130) de la Chester Beatty Collection et l’attribue à al-Farrā’. Dans le catalogue
dressé par John Arberry (1905-1969) de cette collection, il porte le n° 4788 et le
titre ‘Adad ’āy al-Qur’ān (« le nombre des versets du Coran ») et entre crochets « A
treatise on the text of the Qur’ān, perhaps to be attributed to Abū Zakarīyā’ Yaḥyā
b. Ziyād b. ‘Abd Allāh AL-FARRĀʾ al-Dailamī al-Bākilī (d. 207/822) » (ARBERRY,
1963). Si le texte est bien d’al-Farrā’, on le verrait plutôt comme un extrait de son
Kitāb al-luġāt, que Chaim Rabin (1915-1996) attribue à al-Farrā’ (RABIN, 1951),
sur la foi d’IBN AL-NADĪM (m. 385/985), Fihrist, p. 73 de notre édition, c’est-à-dire,
comme l’a compris Régis Blachère (1900-1073) dans l’article al-Farrā’ de EI2,
Kitāb luġāt al-Qur’ān.

*
Version entièrement remaniée de l’article paru sous le titre « D’Ibn Fāris à al-Farrā’ ou un retour
aux sources sur la luġa al-fuṣḥā », Asiatische Studien/Études asiatiques 59/3, 2005, p. 797-814.
Cet article était lui-même la version écrite de la leçon Socrates faite au séminaire du Pr. Dr.
Andreas Kaplony, à l’Orientalisches Seminar de l’Université de Zürich le lundi 18 avril 2005.
20 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

Al-Farrā’, grammairien d’origine iranienne né à Koufa vers 144/761 et mort


sur la route du pèlerinage de La Mecque en 207/822, est présenté par la tradition
ultérieure comme le grand grammairien de l’école de Koufa. En fait, ce précepteur
des deux fils du calife al-Ma’mūn (r. 198-218/813-833), qui a vécu essentiellement
à Bagdad, est un des grands maîtres de ce que l’on appelle en allemand Koranphi-
lologie, auteur d’un monumental Ma‘ānī al-Qur’ān : il s’agit, comme son nom l’in-
dique, d’un commentaire linguistique du Coran, où, comme dans le Kitāb de Sība-
wayhi (m. 180/796 ?), une large place est faite aux différentes luġāt de la ‘arabiyya.
Si l’on compare rapidement les deux textes, celui d’Ibn Fāris et celui d’al-
Farrā’, on retrouve dans ce dernier la même thèse théologique, résumée par la
double équation langue du Coran = langue de Qurayš = al-luġa al-fuṣḥā, justifiée
de la même façon : par le fait que les Qurayš, gardiens d’un sanctuaire objet d’un
pèlerinage panarabe, ont pu ainsi « sélectionner » le meilleur de chaque parler arabe
et leur langue devenir, par suite, la meilleure… Toute la fin du texte en particulier
est quasiment identique à celle d’Ibn Fāris : on y retrouve la même énumération de
traits « blâmables », avec les mêmes noms, les mêmes attributions tribales et les
mêmes exemples. À un manque près : manque la kaškaša des Asad. Et à un ajout
près : la vocalisation i (kasr) des initiales des deux verbes (ti‘lamūna et ti‘lamu)42,
appelée ultérieurement taltala, et des deux noms (bi‘īr et ši‘īr) donnés en exemple,
est détaillée par la mention de chacune de ces initiales (tā’, bā’, sīn et šīn)43. Même
si al-Farrā’ n’est pas nommément cité dans le texte d’Ibn Fāris, on notera que, selon
l’Index nominum (p. 352) de l’édition Chouémi du Ṣāḥibī, il est cité 22 fois dans
cet ouvrage44.
Si maintenant l’on compare en détail les deux textes, on y trouve un certain
nombre de différences. La première et essentielle différence est que la phrase clef
du texte d’Ibn Fāris « les Qurayš sont les plus châtiés et les plus purs des Arabes en
matière de langue » (Qurayš ’afṣaḥ al-‘Arab ’alsinatan wa-’aṣfāhum luġatan) est
présentée comme une opinion unanime, alors que la phrase clef du texte d’al-Farrā’
« il (i.e. le Coran) a été révélé dans la plus châtiée des manières de parler » (na-
zala/nuzzila bi ’afṣaḥ al-luġāt)45 est présentée comme l’opinion unanime d’un

42
Si le texte publié par Kahle donne ti‘lamu, celui d’Ibn Fāris, publié par Chouémi, a ni‘lamu. Les
lettres t et n peuvent être facilement confondues, n’étant distinguées que par un point supplé-
mentaire pour t. L’énumération des initiales semble confirmer la lecture ti‘lamu.
43
Il n’y a pas d’exemple de mot commençant par s dans le texte publié par Kahle. Mais, comme
on sait, il existe un sa‘īr (« brasier »), attesté dans le Coran.
44
Parmi ces citations, l’une est en parfaite contradiction avec ce que dit Ibn Fāris dans le texte
vraisemblablement inspiré par al-Farrā’ et ce que dit al-Farrā’ lui-même dans le texte publié par
Kahle : au chapitre « de la divergence des manières de parler des Arabes » (bāb al-qawl fī iḫtilāf
luġāt al-‘Arab), IBN FĀRIS, Ṣāḥibī, p. 48, indique que l’une de ces divergences concerne les
voyelles, notamment celle de l’inaccompli, où l’on a nasta‘īnu ou nisti‘īnu, avec vocalisation a
ou i du nūn, ajoutant : « al-Farrā’ a dit : il est vocalisé a dans la manière de parler des Qays et
des Asad, mais les autres le disent en vocalisant i le nūn » (qāla al-Farrā’ hiya maftūḥa fī luġat
Qays wa-Asad wa-ġayruhum yaqūlūnahā bi-kasr al-nūn).
45
Nazala (3e personne du masculin singulier de l’accompli actif du verbe de base, litt. « il est
descendu ») et nuzzila (3e personne du masculin singulier de l’accompli passif du verbe de forme
II, factitif du précédent, litt. « on l’a fait descendre ») sont homographes (nzl). On peut donc lire
CHAPITRE II 21

groupe de gens seulement, parfaitement identifié : « les spécialistes de la lecture


(du Coran)46, connaissant le Livre et la Sunna, parmi les maîtres en matière de cor-
rection linguistique » (’ahl al-qirā’a allaḏīna ya‘rifūna al-kitāb wa-l-sunna min
’ahl al-faṣāḥa). Mais al-Farrā’ indique explicitement qu’à cette opinion « s’oppo-
sent » (i‘taraḍa) un certain nombre de « groupes » (’aqwām), spécialistes de la poé-
sie et des ’ayyām (litt. « journées », c’est-à-dire l’histoire) et qui, eux, voient la
faṣāḥa chez les Bédouins, très exactement, compte tenu de la spécialité de ces
groupes, dans le registre littéraire de leur langue. Autrement dit la question de la
luġa al-fuṣḥā fait l’objet, à l’époque d’al-Farrā’, c’est-à-dire à la fin du IIe/VIIIe
siècle et au début du IIIe/IXe siècle, d’une polémique – est-ce la langue du Coran ou
celle du registre littéraire de la langue bédouine ? –, alors qu’à celle d’Ibn Fāris,
c’est-à-dire à la fin du IVe/Xe siècle, soit près de deux siècles plus tard, cette polé-
mique est définitivement close, par une identification pure et simple de la langue
du Coran et de la luġa al-fuṣḥā.
De cette première différence, il suit une seconde. Alors que le scénario, ex-
posé par Ibn Fāris, sert à justifier l’opinion ci-dessus rappelée et présentée comme
unanime, le même scénario, chez al-Farrā’, s’inscrit dans toute une argumentation,
tout à la fois pro et contra chacune des deux thèses en présence, celle de la faṣāḥa
bédouine et celle de la faṣāḥa coranique. Le texte est si bien construit qu’il suffit
de se laisser porter par lui.

2. L’argumentation

2.1. L’argument des tenants de la faṣāḥa bédouine.

À dire vrai, les tenants de la faṣāḥa bédouine ne donnent qu’un argument,


mais quel argument ! Ce n’est pas un argument en faveur de leur thèse, celle de la
faṣāḥa bédouine, mais contre la thèse à laquelle ils s’opposent, celle de la faṣāḥa
coranique, donc un argument non pas direct, mais indirect. On relèvera l’admirable
netteté avec laquelle al-Farrā’ le résume : « Ceux qui proclament la supériorité du
Coran, ont-ils dit, ne le font qu’à cause de l’obligation faite par Allah de magnifier
le Coran » (fa-qālū ’innamā faḍḍala al-Qur’ān man faḍḍalahu limā ’awǧaba Allāh
min ta‘ẓīm al-Qur’ān). Une telle formulation révèle le caractère purement dogma-
tique de la thèse de la faṣāḥa coranique pour les tenants de la thèse opposée de la
faṣāḥa bédouine : c’est parce que le Coran, théologiquement considéré comme pa-
role « révélée » (litt. « descendue [du Ciel] ») d’Allah, est mis au-dessus (tafḍīl) de
toute autre, que sa langue doit elle-même être mise au-dessus de toute autre. Le
caractère indirect de l’argument est confirmé par la phrase finale : « Mais si nous
cherchons la correction linguistique, nous la trouvons parmi les Bédouins [litt. les

soit d’une manière, soit d’une autre, la seule raison de préférer la première lecture à la seconde
étant le principe de facilité : lectio facilior potior.
46
Qirā’a étant au singulier et non au pluriel, on pourrait dire « récitation » : c’est l’idée de « à
voix haute » qui fait le lien entre récitation et lecture, comme le révèle le sens de qara’a construit
avec ‘alā (« étudier auprès de quelqu’un »), l’élève lisant devant le maître un texte que celui-ci
commente.
22 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

gens des steppes] » (wa-’iḏā ṣirnā ’ilā al-faṣāḥa waǧadnāhā fī ’ahl al-bawādī).
C’est le rejet d’une thèse qui amène à l’autre.

2.2. L’argumentation d’al-Farrā’

C’est à cette thèse que s’oppose à son tour al-Farrā’. Son argumentation est
double. Dans un premier temps, il argumente, sur le mode ironique, contre la thèse
de la faṣāḥa bédouine. Dans un second, il argumente, tout à la fois sur le mode
dialectique et en usant d’un raisonnement par analogie (qiyās), en faveur de la thèse
de la faṣāḥa coranique.

2.2.1. Contre la faṣāḥa bédouine

Si ’aqwām est au pluriel, c’est parce qu’il s’agit de différents groupes, non
autrement identifiés, en dehors de leur spécialité, que par le fait qu’ils habitent
(’ahl) dans différentes villes. Al-Farrā’ en cite quatre, dans l’ordre : Koufa et Basra,
Médine et La Mecque. Les deux premières sont deux fondations urbaines, issues de
la conquête islamique de la Mésopotamie (‘Irāq) : elles passent pour le berceau de
la grammaire arabe. Les deux dernières sont les deux villes du Hedjaz considérées
par la tradition islamique comme le berceau de l’islam, Mahomet étant né, selon
cette tradition, à La Mecque où il a d’abord prêché, avant d’émigrer en 622 de notre
ère, future année zéro de l’islam, à Médine où il poursuivit sa prédication jusqu’à
sa mort en 632.
Si ces groupes sont d’accord entre eux sur le fait que la faṣāḥa se trouve
chez les Bédouins, ils sont en désaccord (iḫtalafū) sur ceux des Bédouins chez les-
quels elle se trouve, chacun de ces groupes la voyant (et l’ironie est ici évidente) à
sa porte ! Cela est noté explicitement à propos de Koufa et Médine, mais cela vaut
implicitement pour Basra et La Mecque.
Les gens de Koufa voient la faṣāḥa chez les Asad. À cela rien d’étonnant :
les Asad sont un grand groupe tribal d’Arabie du Nord, d’abord installé à l’ouest,
mais « pendant les guerres de conquête, […] prédominants sur le front ‘irāḳien […],
la plupart [d’entre eux] furent absorbés par al-Kūfa »47.
Les gens de Basra la voient chez « les Tamīm du haut et les Qays du bas,
c’est-à-dire les ‘Ukl et les ‘Uqayl ». Les Tamīm sont un grand groupe tribal d’Ara-
bie centrale et de l’est, touchant dès avant l’islam au Golfe et mordant sur la Méso-
potamie ; après l’islam, ils s’installèrent en nombre à Basra, mais aussi d’ailleurs à
Koufa48. C’est cette progression vers le nord d’une partie des Tamīm dont l’autre
est restée dans sa région d’origine que vise l’expression ‘ulyā Tamīm (littéralement
« les plus hauts des Tamīm »), c’est-à-dire les plus septentrionaux.
Les Qays ne sont pas un groupe tribal à proprement parler, mais un regrou-
pement de tribus (une confédération tribale) constitué à l’époque omeyyade sur une
base généalogique : Qays ‘Aylān est un des deux fils de Muḍar. À ce titre, ils sont

47
EI2, art. Asad, dû à Hans Kindermann.
48
EI3, art. Tamīm b. Murr, dû à Michael Lecker.
CHAPITRE II 23

synonymes d’« Arabes du Nord » (encore appelés ‘Adnānites), par opposition aux
Kalb, synonymes, eux, d’« Arabes du Sud » (encore appelés Qaḥṭānites ou Yémé-
nites). Les tribus membres de cette confédération se sont installées dans toutes les
villes de l’empire. Par l’expression suflā Qays (littéralement « les plus bas des
Qays »), al-Farrā’ vise les éléments les plus méridionaux de cette confédération
installés en Mésopotamie. La mention de deux tribus, les ‘Ukl et les ‘Uqayl vient
le confirmer : selon sa biographie, al-Farrā’ a eu lui-même, entre autres informa-
teurs bédouins, un certain Abū Ṯarwān al-‘Uklī et un certain Abū al-Ǧarrāḥ al-
‘Uqaylī49. Par ailleurs, les ‘Uqayl, originaires du Nejd et qui descendent bien de
Qays via ‘Āmir, fonderont, aux Xe et XIe siècles de notre ère, un émirat chiite dans
le nord de l’actuel Irak et de l’actuelle Syrie (capitale Mossoul).
Les gens de Médine voient la faṣāḥa chez les Ġaṭafān. Là encore, rien
d’étonnant. Les Ġaṭafān sont une confédération tribale appartenant à la descendance
de Qays et dont « l[e] territoire s’étendait entre le Ḥid̲j̲āz et les monts S̲h̲ammar,
dans cette partie du Nad̲j̲d qui est draînée par le Wādī l-Rumma »50, autrement dit
au nord-est de Médine. Les Ġaṭafān ont d’ailleurs joué, selon la tradition islamique,
un rôle dans l’histoire de Médine, tant avant qu’après la mort de Mahomet.
Les gens de La Mecque, enfin, voient la faṣāḥa chez les Kināna et les Ṯaqīf.
Les Kināna sont une « tribu arabe apparentée aux Asad (…) ; son territoire s’éten-
dait autour de La Mekke depuis la Tihāma au Sud-ouest où elle était voisine des
Huḏayl jusqu’au Nord-est où elle l’était des Asad »51. Quant aux Ṯaqīf, qui appar-
tiennent eux aussi à la descendance de Qays, ils sont la tribu de la ville d’al-Ṭā’if,
à proximité de La Mecque52. Par suite, une telle tribu est, au moins pour partie,
sédentaire.

2.2.2. Pour la faṣāḥa coranique

Comme il a déjà été dit, la seconde partie de l’argumentation d’al-Farrā’ est,


pour la forme, dialectique et, pour le fond, une analogie. Elle affecte en effet la
forme d’un dialogue, assurément fictif, entre partisan, en l’espèce al-Farrā’, de la
faṣāḥa coranique et partisans de la faṣāḥa bédouine. C’est al-Farrā’ qui fait la ques-
tion : « Pourquoi donc, avons-nous dit, les Qurayš dépassent-ils les autres, en ce qui
concerne leur beauté plastique, leur acuité intellectuelle, leur aisance physique ? »
(mā bāl Qurayš faḍalat53 al-nās fī ḥusn ṣuwarihā wa-l-nubl fī ra’yihā wa-l-basṭa fī

49
EI3, art. al-Farrā’, dû à Reinhard Weipert.
50
EI2, art. Ġaṭafān, dû à Johann Fück.
51
EI2, art. Kināna, dû à Montgomery Watt (1909-2006).
52
EI3, art Thaḳīf, dû à Michael Lecker.
53
Dans LARCHER, 2005b, une šadda a été subrepticement introduite à cet endroit, qui doit être
supprimée. Il existe un verbe I faḍala transitif de sens « dépasser ou surpasser quelqu’un ». On
pourrait donc avoir un verbe II doublement transitif, factitif du verbe de base, de sens « faire
dépasser ou surpasser quelqu’un à quelqu’un d’autre ». Un tel verbe, dans un tel sens, ne paraît
pas attesté. Paraît seul attesté le verbe II faḍḍalahu ‘alayhi de sens estimatif ou déclaratif « re-
garder ou proclamer quelqu’un ou quelque chose (comme) supérieur(e) à quelqu’un ou quelque
chose d’autre » et qui apparaît d’ailleurs dans le texte (tafḍīl luġat Qurayš ‘alā sā’ir al-luġāt).
24 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

’aǧsāmihā). Cette question est en fait un piège, où ses interlocuteurs tombent d’au-
tant plus facilement qu’elle semble sans rapport avec l’objet de la discussion. Ils
répondent en effet qu’ils en connaissent parfaitement la raison : les Arabes, hommes
et femmes, venaient au sanctuaire (al-bayt al-ḥarām) de La Mecque pour le grand
(ḥaǧǧ) ou le petit (‘umra) pèlerinage ; les femmes tournaient autour de la Ka‘ba
sans voile (ḥawāsir) et assistaient aux différents rites à visage découvert (sawāfir)
– on notera l’usage ici, sur le plan stylistique, du saǧ‘ – ; les Qurayš ont ainsi pu
« sélectionner » (yataḫayyarūna), c’est-à-dire choisir les meilleures (dans
taḫayyara, il y a tout à la fois ḫiyār « choix » et ḫayr « mieux », le choix étant
préférence) de ces femmes comme épouses et surpasser (faḍl) les autres Arabes,
tant en matière de beauté physique (ǧamāl) que d’aptitudes (nubl)…
Une fois qu’il a fait reconnaître à ses interlocuteurs la raison de la supério-
rité, tant physique qu’intellectuelle, des Qurayš, il ne reste plus à al-Farrā’ qu’à
poser, analogiquement, la raison de leur supériorité linguistique : toujours au pèle-
rinage, ils entendaient les différentes manières de parler (luġāt) des différentes tri-
bus arabes (’aḥyā’ al-‘Arab) ; ils ont pu ainsi choisir (iḫtārū) le meilleur de chacune
d’entre elles et leur parler devenir pur (ṣafā), en rien mêlé des vilaines (šani‘a)
manières de parler, qu’il énumère alors.
Deux choses encore. Il n’y a pas de différence significative entre les deux
verbes taḫayyara et iḫtāra54 comme le prouve l’utilisation en chiasme qu’en fait al-
Farrā’ : il utilise d’abord le premier pour les femmes et le second pour le parler,
avant d’utiliser en conclusion le second pour le parler et le premier pour les
femmes : « Ainsi leur est venue la correction linguistique, par la sélection qu’ils ont
faite du parler, semblable à celle qu’ils faisaient des femmes prises en mariage »
(fa-’atathum al-faṣāḥa min taḫayyurihim al-kalām kamā iḫtārū al-manākiḥ). Par
ailleurs, on notera qu’Ibn Fāris ne reprend pas le parallèle d’al-Farrā’, gommant
ainsi entièrement un des aspects de son argumentation, incontestablement ludique.

3. Interprétation

3.1. al-luġa al-fuṣḥā et koinè

Avant de proposer une interprétation de ce texte, signalons qu’il est connu


d’al-Suyūṭī (m. 911/1505), qui le cite dans le Muzhir, au début de la 11e espèce
intitulée « connaissance de ce qui est mauvais et blâmable parmi les manières de
parler » (ma‘rifat al-radī’ al-maḏmūm min al-luġāt), titre qu’il paraphrase par « et
il s’agit des pires et des plus basses en degré des manières de parler » (wa-huwa
’aqbaḥ al-luġāt wa-’anzaluhā daraǧa). Bien qu’il le mette dans le champ d’un qāla
al-Farrā’ (« al-Farrā’ a dit »), ce n’est pas une citation littérale de ce texte, mais un
résumé (AL-SUYŪṬĪ, Muzhir, t. I, p. 221):

54
VIII iḫtāra est le moyen de I ḫāra (« choisir »), V taḫayyara celui de II ḫayyara (« donner le
choix »).
CHAPITRE II 25

Les Arabes assistaient à la saison [du pèlerinage à La Mecque] chaque année et


venaient en pèlerinage au sanctuaire, à l’époque préislamique. Les Qurayš entendaient
les manières de parler des Arabes. Ce qu’ils considéraient comme bon, parmi leurs
manières de parler, ils en usaient et c’est ainsi qu’ils sont devenus les plus châtiés des
Arabes. Leur idiome est exempt de ce qui est considéré comme laid, parmi les manières
de parler, et vilain, parmi les expressions (kānat al-‘Arab taḥḍuru al-mawsim fī kull
‘ām wa-taḥuǧǧu al-bayt fī al-ǧāhiliyya wa-Qurayš yasma‘ūna luġāt al-‘Arab fa-mā
istaḥsanūhu min luġātihim takallamū bihi fa-ṣārū ’afṣaḥ al-‘Arab wa-ḫalat luġatuhum
min mustašba‘ al-luġāt wa-mustaqbaḥ al-’alfāẓ).

Al-Suyūṭī se sert de ce texte comme introduction à l’énumération (wa-min


ḏālika) des traits objet de ce chapitre et qui apparaît clairement comme une compi-
lation de sources, les unes anonymes, les autres nommées, notamment le chapitre
des luġāt al-maḏmūma du Ṣāḥibī d’Ibn Fāris (qu’al-Suyūṭī appelle Fiqh al-luġa),
mais ce qui en est mentionné diffère sensiblement du texte édité55.
Al-Suyūṭī dit explicitement ce qui était seulement impliqué par le texte d’al-
Farrā’ et, à sa suite, celui d’Ibn Fāris, à savoir que la luġa al-fuṣḥā est née non
seulement à La Mecque, mais encore à l’époque préislamique. Cela découlait, chez
al-Farrā’ et Ibn Fāris, de ce que le scénario proposé était placé dans le champ du
verbe kāna, jouant pleinement ici son rôle d’exposant temporel du passé, et d’autre
part de la phrase clef « le Coran est descendu dans la plus châtiée des manières de
parler ». Une telle phrase rend évidemment nécessaire l’existence de la luġa al-
fuṣḥā au temps même de la « catagogie »56 du Livre, c’est-à-dire de la prédication
de Mahomet, qui, selon la tradition musulmane, prend place à La Mecque, puis à
Médine, entre 610 et 632 de notre ère.
Selon la tradition islamique, le pèlerinage de La Mecque, grand et petit,
existait déjà à l’époque préislamique, ainsi que la plupart des rites et cérémonies

55
Voici la mention du Ṣāhībī (AL-SUYŪṬĪ, Muzhir, t. I, p. 222) : « Il a mentionné, parmi elles, la
‘an‘ana, la kaškaša, la kaskasa, la consonne intermédiaire entre le qāf et le kāf dans la langue
des Tamīm, celle intermédiaire entre le ǧīm et le kāf dans la langue du Yémen, la mutation du
yā’ en ǧīm dans l’annexion, ainsi ġulāmiǧ et dans la formation du nom de relation, ainsi Baṣriǧǧ
et Kūfiǧǧ » (fa-ḏakara minhā al-‘an‘ana wa-l-kaškaša wa-l-kaskasa wa-l-ḥarf allaḏī bayna al-
qāf wa-l-kāf fī luġat Tamīm wa-llaḏī bayna al-ǧīm wa-l-kāf fī luġat al-Yaman wa-’ibdāl al-yā’
ǧīm fī al-’iḍāfa naḥw ġulāmiǧ wa-fī al-nasab naḥw Baṣriǧǧ wa-Kūfiǧǧ). Dans le texte édité
d’IBN FĀRIS, Ṣāḥibī, p. 53-54, on trouve la ‘an‘ana, la kaškaša, la kaskasa, puis une articulation
intermédiaire entre b et f (il s’agit d’un p ou d’un v), puis une articulation intermédiaire entre q,
k et ǧ, donnée comme yéménite et illustrée par ǧamal > kamal (il s’agit de la prononciation g
de ǧ), puis une articulation intermédiaire entre š, ǧ et y et illustrée au masculin par ġulāmaǧ et
au féminin par ġulāmiš (il s’agit de la prononciation des pronoms affixes -ka et -ki aboutissant
à une chuintante ou une affriquée, via une palatisation), puis l’articulation intermédiaire entre k
et q des Tamīm (il s’agit de la prononciation g de q), puis une mutation de y en ǧ, donnée deux
fois comme se produisant dans le nasab, mais illustrée la première fois par ġulāmiǧ(ǧ) < ġulāmī
et la seconde fois par Baṣriǧǧ < Baṣriyy- et Kūfiǧǧ < Kūfiyy- : l’exemple et la « citation » d’al-
Suyūṭī permettent de corriger le premier nasab en ’iḍāfa ; on a reconnu la ‘aǧ‘aǧa.
56
Du grec katágô « amener d’en haut, faire descendre », auquel correspondent les deux noms
d’action katagôgé et katogôgía (Dictionnaire grec-français d’Anatole BAILLY, Hachette, Paris,
1950, p. 1030).
26 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

(manāsik) le constituant, notamment la circumambulation (ṭawāf) autour de la


Ka‘ba. Donné comme panarabe, il constitue, sur le plan sociolinguistique, une cir-
constance plausible pour l’émergence d’une interlangue, tout à la fois inter- et su-
pratribale, ce qu’on appelle en termes techniques une koinè. L’emploi de ce terme
invite évidemment à une comparaison avec le domaine où il est né, le domaine grec.
On noterait alors deux choses.
La première est qu’il existait des manifestations panhelléniques, pour partie
comparables au pèlerinage de La Mecque, par leur caractère pannational d’une part,
cultuel d’autre part, même si elles en diffèrent par leur dimension agonistique : il
s’agit des jeux panhelléniques (olympiques, pythiques, isthmiques, néméens). Pour
l’historien, ils ont l’avantage de n’être pas seulement allégués, mais encore avérés,
étant en effet non seulement textuellement, mais encore archéologiquement docu-
mentés. Pourtant, et bien qu’ils existassent, pour les plus anciens, depuis le VIIIe
siècle av. J.-C., ce ne sont pas eux qui sont donnés comme le lieu de naissance de
la koinè, mais, bien plus tard, au IVe siècle av. J.-C., les armées d’Alexandre. Ce qui
suggère que, dans le cas grec, ce sont des circonstances politiques et militaires, et
non cultuelles et culturelles, qui ont été le facteur décisif.
Comparaison n’est pas raison, mais comme il existe dans le domaine arabe
des circonstances comparables, à savoir une conquête militaire suivie de la consti-
tution d’un empire, on fait alors facilement l’hypothèse que le scénario d’al-Farrā’
est en fait anachronique : il constitue la rétroprojection sur le passé préislamique,
pour des raisons théologiques, tout à la fois scripturaires et dogmatiques, et philo-
logiques (la polémique sur les origines de la luġa al-fuṣḥā), d’une situation se con-
cevant en fait mieux après l’islam. Mais, comme on le verra ultérieurement57, dans
la tradition arabe, les conquêtes militaires, les nouvelles fondations urbaines, la
constitution d’un empire, bien loin d’être vues comme les circonstances de l’émer-
gence de la luġa al-fuṣḥā, sont vues au contraire comme celles de sa « corruption »
(fasād), conduisant à ce qui deviendra les dialectes arabes modernes.
Pour autant, les circonstances de l’émergence de la koinè grecque ne sont
pas perdues pour l’histoire et la sociolinguistique arabes : trois spécialistes ont fait,
pour l’arabe, l’hypothèse d’une koinè, au sens grec du terme, chacun l’accommo-
dant à ses vues personnelles. C’est d’abord Heinrich Leberecht Fleischer (1801-
1888), qui a introduit en linguistique arabe les catégories de la linguistique histo-
rique : ancien arabe, moyen arabe et néo-arabe, ceux-ci étant compris, dans le cas
arabe, sur le modèle des langues alors appelées néo-latines et aujourd’hui romanes,
non seulement comme des états, mais encore des types : l’ancien arabe est le type
fléchi de l’arabe et donc plus synthétique et à ordre des mots plus libre ; le néo-
arabe est le type non fléchi et donc plus analytique et à ordre des mots moins libre.
Par suite, Fleischer voit entre les dialectes de l’ancien arabe et le moyen arabe la
même relation qu’entre l’attique et ἡ κοινὴ διάλεκτος (FLEISCHER, 1854, p. 155-
156) : dans les termes de la linguistique historique, le « dialecte commun » constitue
en effet l’état intermédiaire entre grec ancien et grec médiéval, puis moderne.

57
Voir, ici même, ch. IV.
CHAPITRE II 27

C’est ensuite Johann Fück (1894-1974) qui voit dans les camps de la con-
quête où se sont installées les différentes tribus arabes et à l’origine des nouvelles
villes islamiques, le lieu où « leurs dialectes subirent une intégration d’où sortit une
langue arabe bédouine commune qui fournit la base de la ‘Arabīya classique des
siècles postérieurs » (FÜCK, 1955 [1950], p. 7) : Fück voit donc dans ce qu’on peut
appeler une koinè « militaro-urbaine » la base de la langue véhiculaire ultérieure.
Et c’est enfin Charles A. Ferguson (1921-1998) qui, constatant que les dia-
lectes arabes modernes (du moins les dialectes sédentaires d’une part, hors de la
péninsule arabique d’autre part) ont quatorze traits en commun que n’a pas l’arabe
classique, fait lui aussi l’hypothèse d’une koinè militaro-urbaine, mais dans un tout
autre sens que Fück (FERGUSON, 1959b) ! La koinè n’est plus ici la base de la langue
véhiculaire, mais au contraire des vernaculaires. Cette hypothèse, dite de la « mo-
nogenèse » (des dialectes sédentaires), a été très critiquée, entre autres par David
Cohen (1922-2013) (COHEN, 1962) : on parle alors de « polygenèse ».
La deuxième chose est que si Ibn Fāris reprend le scénario d’al-Farrā’, il ne
le reprend que partiellement, lui faisant ainsi subir une inflexion. Chez Ibn Fāris, la
« langue de Qurayš », déjà excellente, est clairement la base du processus de koi-
néisation : elle devient la luġa al-fuṣḥā, donc le résultat de ce processus, par ajout
d’une sélection de traits (les meilleurs) et élimination des traits blâmables. Chez al-
Farrā’, la « langue de Qurayš » est directement le résultat du processus de koinéi-
sation : elle devient la luġa al-fuṣḥā par la sélection du meilleur de chaque parler
arabe (et donc élimination des mauvais traits) ; c’est cette sélection qui la constitue.
Et c’est ici que l’analogie avec la sélection des femmes prises en mariage devient
éclairante. Une telle sélection implique en effet que les Qurayš se sont mélangés
aux autres tribus arabes et ceci explique peut-être cela, qu’Ibn Fāris ne reprenne pas
à son compte l’analogie d’al-Farrā’ dans la mesure où il soutient que « les Qurayš
sont la pure descendance d’Ismā‘īl, en rien mélangés, que nulle vicissitude n’a fait
déchoir de leurs lignages » … Quoi qu’il en soit, ces deux conceptions de la luġa
al-fuṣḥā sont comparables, mutatis mutandis, aux deux conceptions de la koinè
grecque : l’une qui voit dans le dialecte attique la base de la koinè grecque, mais
dont on a retiré les traits typiquement attiques ; l’autre qui voit dans la koinè le
résultat du mélange des quatre dialectes : attique, ionien, éolien, dorien (étant en-
tendu qu’aujourd’hui attique et ionien sont réunis en un ionien-attique). RENAN,
1863, p. 246-247, sûrement influencé par la conception traditionnelle de la koinè
grecque comme « composition des Quatre », interprète le texte d’Ibn Fāris cité par
al-Suyūṭī d’une manière qui, selon moi, convient mieux à celui d’al-Farrā’ : « la
langue arabe, s’il fallait en croire Soyouthi, serait la fusion de tous les dialectes,
opérée par les Koreischites autour de la Mecque ». Mais celui d’Ibn Fāris s’inter-
prète mieux selon l’autre façon : la « langue de Qurayš » est à la luġa al-fuṣḥā ce
que l’attique est à la koinè ; l’attique devient la koinè, quand on passe, pour citer
l’exemple emblématique, de thalatta à thalassa ; la « langue de Qurayš » devient la
luġa al-fuṣḥā, quand on passe, pour citer l’exemple non moins emblématique et en
employant les termes mêmes d’Ibn Fāris, du talyīn ou « adoucissement » de la
hamza au hamz, c’est-à-dire à sa réalisation. La conception d’al-Farrā’ implique en
28 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

fait un bien plus grand écart entre « langue de Qurayš » (et donc du Coran) et luġa
fuṣḥā que celle d’Ibn Fāris.

3.2. Le scénario d’al-Farrā’ et les arabisants

Renan, citant al-Suyūṭī citant lui-même Ibn Fāris, juge « [cette] hypothèse
peu acceptable assurément d’après les principes de la philologie moderne, mais qui,
cependant, mérite d’être prise en considération pour la part de vérité qu’elle ren-
ferme » (RENAN, 1863, p. 346). Mais il est difficile de dire quelle est cette « part de
vérité » pour Renan lui-même. Le scénario laisse Renan sceptique, revenant à anti-
dater, en la plaçant à l’époque préislamique, l’influence de la « langue de Qurayš »
sur la formation de ce qu’il appelle « l’idiome littéral », c’est-à-dire de la langue
écrite, et à l’exagérer par rapport à celle de la poésie préislamique, art où les Qurayš
n’étaient pas réputés, selon la tradition arabe elle-même, exceller. Mais d’un autre
côté il considère que si cette poésie est authentique pour le fond, elle ne l’est pas
par la forme, qui n’est autre que celle de l’époque où elle est recueillie, c’est-à-dire,
après l’islam, celle d’une langue déjà formée, qu’il appelle « l’arabe littéral ». En
définitive, « c’est dans la rédaction du Coran que l’influence du dialecte koreischite
fut décisive » (RENAN, 1863, p. 350), concluant (RENAN, 1863, p. 367) que
la langue du Coran représente bien rigoureusement le dialecte koreischite de l’an
650 environ de l’ère chrétienne. La tribu de Koreisch nous apparaît ainsi comme la
tribu de Juda de l’Arabie, destinée à réaliser l’unité de la nation et à élever son dialecte
particulier au rang de langue sacrée. C’est ce dialecte, en effet, irrévocablement fixé,
qui va devenir, par la conquête musulmane, la langue commune de l’Arabie et l’idiome
religieux d’une fraction si importante du genre humain.

Renan, on le voit, est plus royaliste que le roi, acceptant sans réserve la thèse
théologique en matière de langue coranique, sans même y mettre le bémol qu’y met
le scénario d’Ibn Fāris…
Il en va tout autrement pour Kahle, qui a exhumé le texte d’al-Farrā’. Certes,
pour lui, comme pour Renan (et la tradition musulmane), la langue du Coran est la
« langue de Qurayš », mais elle n’est pas la luġa al-fuṣḥā, du moins à l’origine,
c’est-à-dire au temps de la prédication de Mahomet à La Mecque puis à Médine,
entre 610 et 632, et de sa mise par écrit commencée peu après la mort de Mahomet
et aboutissant à sa forme définitive sous le califat de ‘Uṯmān, autour de 650 : Kahle
accepte sans réserve le récit traditionnel. Et si elle l’est devenue, c’est tout autre-
ment que pour al-Farrā’ la « langue de Qurayš » est devenue la luġa al-fuṣḥā. Kahle
interprète en effet le scénario d’al-Farrā’, non au premier degré, de manière histo-
rique et réaliste, mais au second, de manière fictive et métaphorique, comme « a
valuable testimony to the influence of Bedouin Arabic on the language of the Ko-
ran » (KAHLE, 1959, p. 145) : al-Farrā’ antidate cette influence, en la plaçant direc-
tement sur « la langue de Qurayš » à La Mecque et à l’époque préislamique ; Kahle
la place directement sur la langue du Coran et à l’époque islamique, au moment où
surgit le problème de « how this text was to be read and recited correctly » (KAHLE,
CHAPITRE II 29

1959, p. 142). Bibliste réputé, Kahle le situe précisément : un siècle avant les Mas-
sorètes de Tibériade (première moitié du IXe siècle), soit au IIe/VIIIe siècle, qui est
bien le siècle des « lecteurs » (qurrā’). Si le « squelette consonantique » reflète
l’arabe parlé à La Mecque au temps de Mahomet, la tradition de lecture/récitation
de ce texte (en fait : celle qui a prévalu) reflète l’influence de la langue de la poésie
bédouine. Le scénario d’al-Farrā’ constitue donc un « compromis » (compromise)
entre théologie et philologie.
Kahle se réfère explicitement à Karl Vollers (1857-1909). Et pour cause.
Kahle ne fait que reprendre, en l’atténuant, comme l’a relevé FÜCK, 1955 [1950],
p. 4, n. 4, l’hypothèse formulée, près d’un demi-siècle auparavant, par Vollers. Vol-
lers a d’abord présenté son hypothèse dans une communication, en français, intitu-
lée « La langue littéraire et la langue parlée dans l’ancienne Arabie », au XIVe Con-
grès international des Orientalistes tenu à Alger en 190558. Il ne l’a cependant pas
publiée dans les actes du congrès parus en 4 volumes entre 1906 et 1908, sans doute
parce que l’ouvrage où il développe cette hypothèse est paru entre-temps, en 1906,
sous le titre Volkssprache und Schriftsprache im alten Arabien : dans la préface, il
se contente de renvoyer au résumé qu’en a donné Mohammed Ben Cheneb (1869-
1929) dans la Revue Africaine en 1905 (BEN CHENEB, 1905, p. 319-321).
L’hypothèse de Vollers est et reste révolutionnaire, comme elle reste un re-
père incontournable pour l’histoire de l’arabe et l’histoire même de cette histoire.
Elle est la première en effet à remettre en cause la double identification résumant la
thèse théologique en matière de langue arabe. Elle se laisse résumer tout entière par
la phrase qu’on trouve dès l’introduction : « der Qorān muß nach der alten Poesie
überarbeitet sein » (VOLLERS, 1906 [1981], p. 1), étant entendu que par Coran et
vieille poésie, il faut entendre ici la langue du Coran et celle de la vieille poésie.
Pour Vollers, le Coran a été énoncé dans ce qu’il appelle en français la « langue
parlée » et en allemand Volkssprache (litt. « langue du peuple ») et qu’on appelle
encore, selon les époques, dialecte ou vernaculaire de La Mecque, avant d’être
überarbeitet (litt. « retravaillé »)59 d’après la langue qu’il appelle en français
« langue littéraire » et en allemand Schriftsprache (litt. « langue écrite ») de la poé-
sie.
Vollers croise en fait deux oppositions. L’une est la traditionnelle dualité
linguistique allemande, qu’il projette sur le domaine arabe : c’est dans le domaine
allemand, polydialectal, que l’on distingue entre Volkssprache, le dialecte allemand
qui est la langue maternelle des germanophones, et Schriftsprache, qui est la langue
de l’école, essentiellement écrite, comme son nom même l’indique, issue de l’usage

58
Très exactement le jeudi 20 Avril 1905, cf. Actes du XIVe Congrès international des Orienta-
listes, Alger 1905, Première partie, Paris, Leroux, 1906, p. 8 et 51.
59
Vollers employant aussi à côté de überarbeiten/Überarbeitung, Umarbeitung (VOLLERS, 1906
[1981], p. 162), je lui ai attribué, le citant de mémoire, un concept de Umschreibung (« réécri-
ture »). Über/umarbeiten (celui-ci étant plus fort que celui-là, emportant l’idée d’une transfor-
mation, non d’un simple ajout) peuvent être traduits en français par un ensemble de noms s’or-
donnant du moins au plus : retouche, remaniement, révision, refonte.
30 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

littéraire des grands écrivains allemands (Goethe, Schiller…)60. L’autre, issue de la


tradition linguistique arabe, est celle du Hedjaz et des Tamīm. La première appel-
lation est géographique, la seconde tribale. Une telle dissymétrie n’est sans doute
pas le fruit du hasard. Pourquoi une appellation géographique, alors même que le
Hedjaz est aussi bien organisé, sur le plan social, en tribus ? Pourquoi une appella-
tion tribale, alors même que les Tamīm sont géographiquement synonymes d’Ara-
bie du centre et du nord-est, ce qu’on appelle en arabe même le Nejd ? C’est que le
Hedjaz n’est pas n’importe quelle région : c’est celle de La Mecque et de Médine,
autrement dit celle où, selon la tradition islamique, s’est déroulée la « carrière »
(sīra) de Mahomet. Vollers homogénéise la terminologie en parlant respectivement
de West-Arabisch et de Ost-Arabisch, c’est-à-dire d’arabe de l’ouest et d’arabe de
l’est : RABIN, 1951, lui, parlera de West-Arabian et de East-Arabian, c’est-à-dire
d’ouest-arabique et d’est-arabique. Pour Vollers, qui accepte sans réserve aucune
le récit traditionnel, tant sur le plan géographique que chronologique, le Coran a été
énoncé par Mahomet dans son parler, c’est-à-dire un parler ouest-arabe, dépourvu
de ’i‘rāb, puis überarbeitet d’après un parler est-arabe, véhicule de la poésie,
pourvu de ce ’i‘rāb. L’hypothèse de Vollers revient ainsi à « synchroniser » dans
l’Arabie préislamique les deux types ancien arabe et néo-arabe que la linguistique
historique « diachronise » après l’islam, le type néo-arabe étant issu du type ancien
arabe par disparition du ’i‘rāb.
Un exemple illustre son hypothèse, c’est celui des « derniers mots » de Cor.
19, 3, lus « classiquement » comme wašta‘alarra’su šeiban (wa-šta‘ala r-ra’su
šayban)61, mais qui devraient être lus, selon lui, « d’après la langue des variantes et
l’exigence de la rime » (nach der Sprache der Varianten und der Forderung des
Reims), wašta‘arrrâs šeibā, voire wašta‘arrraš-šeibā, avec wa-šta‘al, plutôt que
wa-šta‘ala, ar-rās, plutôt qu’ar-ra’su et šaybā plutôt que šayban, et, éventuelle-
ment, assimilation du l de wa-šta‘al au r d’(a)r-rās et du s d’ar-rās au š de šaybā
(VOLLERS, 1906 [1981], p. 177-178). Il y a, comme on le verra ci-dessous, à prendre
et à laisser dans un tel exemple.
Si l’idée même d’une Über/Umarbeitung du Coran fit « scandale »62 en mi-
lieu musulman, c’est sur la question du ’i‘rāb que se focalisa le débat chez les ara-
bisants. La réaction la plus connue est venue en 1910 de Theodor Nöldeke (1836-

60
Cette dualité décrit adéquatement la situation linguistique allemande au temps de Vollers. Mais,
depuis, les choses ont changé, du fait du brassage des populations, lié lui-même à leur déplace-
ment, notamment à la fin de la seconde guerre mondiale. Les dialectes ont reculé, la prononcia-
tion de la Schriftsprache s’est davantage standardisée, tandis qu’entre les deux se développaient
des « langues courantes » (Umgangssprache) : pour un aperçu, voir FOURQUET, 1968.
61
« und das Haupt schimmert vom grauen Haar » (« ma tête s’est éclairée par la canitie », tr.
BLACHÈRE, 1980).
62
Voir BEN CHENEB, 1905, qui cite quelques-unes des réactions de participants musulmans à ce
congrès, notamment la plus véhemente d’entre elles, celle d’un certain « cheikh Abdal Aziz
Châouïch ». Ceux-ci, prisonniers de leurs dogmes, ne sont pas en synchronie culturelle avec
Vollers, qui est dans la pensée critique. Depuis, les choses n’ont pas progressé, voire régressé.
Ben Cheneb, qui connaît les sources, ne paraît pas autrement surpris par l’hypothèse de Vollers,
concluant : « Nos lecteurs apprécieront aisément la valeur respective des arguments que MM.
Vollers et Châouïch ont fourni chacun en faveur de leur thèse ».
CHAPITRE II 31

1930) dans son ouvrage intitulé Neue Beiträge zur semitischen Sprachwissenschaft.
Elle figure dans la première partie de cet ouvrage, intitulée « Zur Sprache des
Korāns » et, plus particulièrement, dans la première partie de cette première partie,
intitulée « Der Korān und die ‘Arabīja »63. Et elle est tout entière résumée par la
célèbre phrase, souvent citée (NÖLDEKE, 1910, p. 2) :
und das läßt sich mit Sicherheit sagen : hätten der Prophet und seine gläubigen
Zeitgenossen den Korān ohne I‘rāb gesprochen, so wäre die Tradition davon nicht
spurlos untergegangen (« Et on peut le dire avec certitude : si le Prophète et ses pieux
contemporains avaient énoncé le Coran sans ’i‘rāb, la tradition n’en aurait pas disparu
sans [laisser de] trace »).

Nöldeke récuse l’idée d’une dualité linguistique dans l’Arabie préislamique.


Il croit, comme la tradition arabe, en une ‘arabiyya, certes variable selon les tribus
et régions et admet donc l’existence de « hedjazismes » dans la langue du Coran,
comme il admet, sur la base des incertitudes de la flexion visible64, que celle-ci a
commencé à évoluer vers le type néo-arabe.
L’idée d’une dualité linguistique dans l’Arabie préislamique perdurera ce-
pendant, mais avec une inflexion par rapport à Vollers. Cette hypothèse, qui con-
siste en une rétroprojection de la situation de diglossie, est celle de la coexistence
des dialectes et d’une koinè littéraire : koinè, parce que langue de personne, comme
mélange de traits ouest-arabes et est-arabes, et littéraire, parce que véhicule de la
poésie. C’est dans cette langue qu’aurait été rédigé le Coran (à quelques « hed-
jazismes » près), d’où son nom de koinè poétique ou poético-coranique (cf., en par-
ticulier, BLACHÈRE, 1952).
Kahle se heurta au même tir de barrage de la part de Fück que jadis Vollers
de la part de Nöldeke. FÜCK, 1955 [1950], p. 4-5, s’y emploie dans la longue note
4 de son ouvrage, déjà citée. Et il s’y emploie en des termes islamologiques plus
que linguistiques. Les nombreuses traditions recommandant de réciter le Coran
avec ’i‘rāb extraites du Tamhīd fī ma‘rifat al-taǧwīd d’al-Mālikī (m. 438/1046)
étaient reconnues par la tradition islamique elle-même comme apocryphes : Kahle
avait découvert cet ouvrage dans la même collection Chester Beatty que le texte

63
Cette partie est désormais traduite en anglais dans IBN WARRAQ (éd.), 2008, p. 83-129, la partie
qui nous intéresse plus particulièrement ici se trouvant p. 83-86.
64
La flexion visible comprend dans l’ordre casuel : 1) les « six noms », souvent réduits à cinq, par
pudibonderie (SARTORI, 2010), du fait des connotations sexuelles de han, et dont les trois cas
sont marqués par des voyelles longues ; 2) les masculins pluriels et les duels, tous deux diptotes,
opposant un nominatif (ūn(a)/ān(i)) à un accusatif-génitif (īn(a)/ayn(i)) ; et dans l’ordre modal :
la présence ou l’absence d’un nūn à la 2e personne du féminin singulier (-īna/-ī), et aux 2e et 3e
personnes du masculin pluriel (-ūna/-ū) et du duel (-āni/-ā) de l’inaccompli qui fait la différence
entre mode indicatif et modes subjonctif et apocopé. On peut y ajouter, pour les verbes « mal-
sains », certaines particularités morphophonologiques rendant visible cette flexion, e.g. nabkī
« nous pleurons » vs qifā nabki « arrêtez, vous deux, que nous pleurions… ». On rencontre dans
le texte coranique un certain nombre d’« écarts » de la flexion visible par rapport à la « norme »
classique, dont on soulignera qu’elle n’existe pas encore. Ils sont traités en termes d’« erreurs »
par BURTON, 1988, de traits néo-arabes et de pseudo-corrections par HOPKINS, 2010.
32 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

d’al-Farrā’ et avait proposé une traduction entière du 6e chapitre de cet ouvrage, où


se trouvent ces traditions, dans son article de 1948 (reprise partiellement dans celui
de 1949) avant de donner celle du texte d’al-Farrā’, qui cite lui-même certaines de
ces traditions65. Pour Fück, si elles présupposent qu’il y avait des gens pour réciter
le Coran sans ’i‘rāb ou encore en commettant des fautes de ’i‘rāb dans la récitation
du Coran, à l’époque où ces traditions apparaissent, elles « ne prouvent pas que le
Coran ait été récité sans ’i‘rāb à l’époque de Mohammed dans les cercles de ses
partisans » (FÜCK, 1955 [1950], p. 4, n. 4). Il ajoute que, selon lui, les partisans de
la faṣāḥa bédouine sont des philologues mu‘tazilites, le mu‘tazilisme étant fort ré-
pandu parmi les philologues, mais qu’al-Farrā’, malgré des sympathies mu‘tazilites,
reste partisan de « la thèse sunnite-orthodoxe » de la faṣāḥa coranique.
Plus d’un siècle après Vollers et d’un demi-siècle après Kahle, que peut dire
un linguiste arabisant d’aujourd’hui ?

4. L’exemple de Cor. 19, 3

La première chose, c’est que nul ne sait où et quand, ni comment, ni en


combien de temps a été rédigé le Coran. Ce qu’on peut seulement dire, c’est que les
plus anciennes attestations matérielles du Coran sont parcellaires, épigraphiques
(inscriptions du Dôme du Rocher à Jérusalem) ou manuscrites (fragments de papy-
rus non datés, mais paléographiquement datables de la 2e moitié du VIIe siècle ap.
J.-C.), plus proches de 700 que de 650. Par ailleurs, le désormais fameux palimp-
seste de Sanaa est venu confirmer que l’histoire du texte n’était pas linéaire.
La seconde, c’est que s’il considère le rasm, c’est-à-dire le « tracé » sans
points diacritiques ni vocalisation constituant le texte proprement dit du Coran, une
fois stabilisé (ce qu’on appelle dans la tradition islamique du nom conventionnel de
muṣḥaf ‘Uṯmān) et étant entendu qu’il subsiste jusqu’à aujourd’hui une variation
résiduelle, un linguiste arabisant ne peut que constater, à la suite même des philo-
logues musulmans médiévaux, le considérable décalage qui existe entre ce qui est
écrit d’une part, lu/récité d’autre part. On peut prendre une mesure de ce décalage
en revisitant l’exemple donné ci-dessus de Vollers.
S’il parle de rime, c’est parce qu’il considère wa-šta‘ala r-ra’su šayban
comme les « derniers mots » de 19, 3. Vollers utilise en effet l’édition du Coran de
Gustav Flügel (1802-1870), laquelle place (FLÜGEL, 1881, p. 157) la fin du verset
3 de la sourate 19 après šaybā, là où les autres éditions la placent plus loin, après
šaqiyyā. On a reproché à Vollers son utilisation de cette édition, mais elle a le mérite
de rappeler qu’il existe en fait une variation dans la segmentation des sourates en
versets et par suite qu’il existe plus de rimes possibles que de rimes effectives ou,
encore, à côté des rimes externes, des rimes internes. Un bon exemple est celui du
double découpage de la sourate liminaire : le verset 7 du Coran dit du Caire, basé
sur la lecture de ‘Āṣim (m. fin 127 ou début 128/745) transmise par Ḥafṣ
(m. 180/796), en fait deux (6-7) dans le Coran utilisé au Maghreb, basé sur la lecture

65
Ces traditions sont traduites et commentées dans LARCHER, 2006a, repris dans LARCHER, 2020,
ch. XII, p. 189-201.
CHAPITRE II 33

de Nāfi‘ (m. 169/785) transmise par Warš (m. 197/812). Ce dernier fait donc rimer
sirāṭa llaḏīna ’an‘amta ‘alayhim avec raḥīm et mustaqīm des versets précédents,
révélant au passage qu’en matière de rime la qualité de la voyelle (-i) peut primer
sur sa quantité (brève ici, longue là). Il vaut donc mieux asseoir une lecture šaybā,
non sur une possible rime, mais plutôt sur l’orthographe même du tanwīn-an, en
faisant l’hypothèse qu’à une graphie unique (’alif) correspond une phonie unique
(- ā) et non deux (-an en contexte et -ā à la pause), plusieurs arguments pouvant
être donnés allant dans ce sens.
Tout d’abord, le fait que là où l’on a, dans tous les états et variétés de l’arabe,
une double prononciation d’un élément, en l’espèce le suffixe dit du féminin, on a
bien à l’origine une double graphie : un t en liaison, c’est-à-dire à l’état construit,
mais un h à la pause (en fait et plus généralement à l’état absolu)66 devenant dans
l’orthographe classique un graphème hybride (un h surmonté des deux points du t),
le Coran attestant une situation intermédiaire, avec h, non encore surmonté de
points, tant à l’état absolu qu’à l’état construit, mais conservant encore un certain
nombre de t en liaison67.
Ensuite le fait qu’on connaît une alternance -ā/-an qui, dans un cas, n’a peut-
être, et, dans un autre, n’a rien à voir avec pause/contexte. Le premier cas se ren-
contre dans le Coran même : c’est le suffixe -an de l’énergique orthographié avec
un ’alif, dont on a deux exemples… en contexte ! Bien qu’ils soient tous deux écrits
avec un ’alif et tous deux lus grammaticalement comme -an, l’un (Cor. 12, 32) est
récité sans pause comme la-yakūnam-mina ṣ-ṣāġirīna et l’autre (Cor. 96, 15) récité
avec pause obligatoire comme la-nasfa‘ā / bi-n-nāsiyah. C’est que dans le premier
exemple une pause est inconcevable : on a en effet une phrase verbale liée, au sens
du linguiste Charles Bally (1865-1947), c’est-à-dire prononcée sans pause entre ses
constituants (BALLY, 1965) (« certes, il se trouvera au nombre des misérables ») ;
dans le second exemple, une pause est parfaitement concevable : bien qu’il s’agisse
aussi d’une phrase verbale, marquer une pause entre le verbe et son complément
revient à la faire passer d’une phrase liée (« nous [l’]attraperons par le toupet ») à
une phrase segmentée, au sens de BALLY, 1965, c’est-à-dire à faire du verbe le
thème et du complément le propos (« Nous [l’]attraperons, par le toupet »), autre-
ment dit à focaliser sur ce dernier. Or cette focalisation est prouvée par sa reprise
dans le verset suivant : nāṣiyatin kāḏibatin ḫāṭi’ah (Toupet, menteur, fauteur ! »)68.

66
Un exemple dans l’inscription arabe préislamique du Ǧabal Usays (Sēs en arabe syrien), dans
le SE de l’actuelle Syrie, datée de 423 de l’ère de la province romaine d’Arabie, correspondant,
celle-ci ayant été fondée en 106 ap. J.-C., à 528-529 de notre ère : on y a mslḥh (= maslaḥah
« garde-frontière ») mais snt.. (= « année tant »), voir LARCHER, 2010 et 2015.
67
Voir en dernier lieu, pour un relevé exhaustif, VAN PUTTEN, 2019, mais ce dernier l’utilise pour
une histoire du texte, non une histoire de la langue.
68
À lire selon moi, en se réglant sur le rasm : nāṣiyah / kāḏibah / ḫāṭiyah…, voir LARCHER, 2014,
repris dans LARCHER, 2020, ch. I, p. 31-46. Trompé par Cor. 12, 32, où il y a bien, dans les
corans imprimés, un signe d’assimilation (une šadda sur le mīm de min), j’ai pris en Cor. 96, 15
pour signe d’assimilation ce qui est un signe de pause obligatoire (un petit mīm pour lāzim à la
place d’une des deux fatḥa de la-nasfa‘an) et suivi le grammairien AL-ZAMAḪŠARĪ
(m. 538/1144), Mufaṣṣal, p. 343, pour qui « le nūn léger mute en ’alif à la pause : on dit, dans
34 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

Le second cas, symétrique du précédent, se rencontre en poésie. Celle-ci


pratique la rime « absolue » (muṭlaqa), c’est-à-dire réalise en finale de vers, donc à
la pause, les voyelles brèves, qu’elles soient flexionnelles ou non, et, dans le pre-
mier cas, munies ou non d’un tanwīn, comme des voyelles longues ū, ā, ī. Mais,
selon les grammairiens, les Tamīm réalisaient cette voyelle longue comme… -un,
- an, -in (parfois appelé tanwīn al-tarannum « nunation de modulation »), ainsi dans
ce vers de Ǧarīr (m. 110/728-729 ?) ’aqillī l-lawma ‘āḏila wa-l-‘itāban / wa-qūlī
’in ’aṣabtu laqad ’aṣāban (« Moins de blâme, censeuse, et de reproche ! / Mais dis
donc : si je blesse, il a blessé »), au lieu d’al-‘itābā et de ’aṣābā69. L’alternance ne
peut pas être interprétée ici comme variante contextuelle/variante pausale, mais
comme variante classique/variante non classique.
Enfin le fait que dans les inscriptions archaïques en arabe, mais écrites en
d’autres caractères qu’arabes, on a bien -ā et non -an70 et inversement que l’autre
tanwīn de l’arabe, le tanwīn dialectal, encore appelé « suffixe relateur » (AHMAD
ALI, 1989-1991), parce que marquant la relation mawṣūf/ṣifa, est bien transcrit dans
les textes du moyen arabe (e.g. ’ēš « quoi ? », mais ’ēš-in kān « quoi que ce soit »).
Mieux : on a peut-être un exemple de transcription d’un tel tanwīn dans le Coran
même, avec ka-’ayy-in min… (« Combien de… ! », ductus kāf-’alif-yā’ sans points-
nūn sans point), dont on a sept occurrences71. On pourrait encore ajouter un exemple
d’alternance, non plus intra-, mais interlinguale : alors qu’en hébreu et en araméen
on a Yōḥanan, en arabe on a Yūḥannā, souvent abrégé en Ḥannā (Jean en arabe
chrétien).
Quant à la « langue des variantes », dont parle Vollers, il s’agit essentielle-
ment d’une variante, d’ailleurs parfaitement canonique, comme l’a rappelé
NÖLDEKE, 1910, celle d’Abū ‘Amr b. al-‘Alā’ (m. vers 154-156/770-772). OWENS,
2002, qui l’a étudiée sur la base d’un traité tardif d’Ibn al-Ǧazarī (m. 833/1429),
rappelle qu’Abū ‘Amr autorisait l’assimilation entre consonne finale d’un mot et
consonne initiale du mot suivant, non seulement, à l’instar de ses confrères, quand
la première consonne était « quiescente » (sākin), mais encore « mue » (mutaḥar-
rik), que la « motion » (ḥaraka), c’est-à-dire la voyelle brève finale, soit ou non
flexionnelle. Ibn al-Ǧazarī parle en ce dernier cas de « grande assimilation »
(’idġām kabīr), parlant dans le premier de « petite assimilation » (’idġām ṣaġīr).
C’est de la « grande assimilation » que relève l’exemple donné par Vollers ar-ra’su
šayban > ar-rāš-šaybā.

l’énoncé coranique la-nasfa‘an bi-n-nāṣiyati, lā nasfa‘ā » (al-nūn al-ḫafīfa tubdalu ’alifan ‘inda
al-waqf taqūlu fī qawlihi ta‘ālā la-nasfa‘an bi-n-nāṣiyati lā nasfa‘ā). Après réflexion, il me
semble qu’il s’agit d’une réinterprétation analogique : le tanwīn-an et le suffixe -an de l’éner-
gique léger étant, en arabe classique, homophones, on reconstruit pour le second, à partir du fait
que dans le rasm ils ont une seule et même orthographe, la même alternance phonique -an (con-
texte)/-ā (pause) que pour le premier…
69
Voir IBN YA‘ĪŠ (m. 643/1245), Šarḥ al-Mufaṣṣal, t. IX, p. 29 et 33.
70
Un exemple dans l’inscription non datée, mais préislamique, publiée par AL-JALLAD et AL-
MANASER, 2015, où, à la ligne 6, on a en lettres grecques BAKΛA, soit baqlā (et non baqlan)
« fresh herbage ».
71
Cor. 3, 146 ; 12, 105 ; 22, 45, 48 ; 29, 60 ; 47, 13 ; 65, 8.
CHAPITRE II 35

L’application, cependant, du ’idġām al-kabīr au segment wa-šta‘ala r-ra’su


crée une séquence difficilement prononçable, voire imprononçable de trois r (> wa-
šta‘arrrās) et, d’ailleurs et sauf erreur de notre part, aucune assimilation de ce genre
n’est rapportée dans la tradition arabe. En revanche, on noterait que šta‘al est la
forme pausale de l’arabe classique et la forme normale des dialectes : quand la 3e
personne du masculin singulier de l’accompli fa‘al(a) est suivi d’un syntagme no-
minal défini par l’article, il y a liaison ; en arabe classique, on considère que la
liaison est assurée par la voyelle finale du verbe (wa-šta‘ala r-ra’su) ; en arabe dia-
lectal, par celle de l’article (wa-šta‘al ar-rās)72, mais dans les deux cas le résultat
est le même : wa-šata‘alarra’s/rās…
Une lecture rās est justifiée par l’absence générale de la hamza dans le rasm,
dont la place ou bien n’est pas marquée ou bien marquée par ce qui en deviendra le
support dans l’orthographe classique, ce qui suggère soit qu’elle n’est pas pronon-
cée, soit qu’un autre son est prononcé à sa place : on trouve ainsi successivement
en finale du verset 1 de la sourate 19 Zakariyyā (vs arabe classique Zakariyyā’),
l’absence de la hamza étant prouvée ici, non seulement par le rasm, mais encore par
la rime (ḫafiyyā en 2, šaqiyyā en 3…), puis en 2 le ductus nūn (sans point)-dāl-’alif,
lu et récité nidā’an (avec ajout de la hamza), mais plus vraisemblablement à lire
comme il est écrit : nidā. Il y a bien un ’alif entre le r et le s, le rasm étant ici
compatible aussi bien avec une lecture « classique » ra’s que « dialectale » rās,
mais le ductus du pluriel, simplement rws, fait pencher la balance en faveur d’un
pluriel rūs, face à un singulier rās…
Enfin, le ’idġām al-kabīr, qu’il suppose la perte ou l’absence, comme le
soutient OWENS, 2002, du ’i‘rāb, ne fait qu’en confirmer l’inutilité fonctionnelle,
mettant ainsi le linguiste d’aujourd’hui devant l’alternative suivante : ou bien, s’il
ne sert à rien, on ne le met pas ; ou bien, si on le met, c’est qu’il sert à autre chose.
C’est l’hypothèse que nous sommes tenté de faire : nous le supposons importé de
la langue poétique, où il n’est pas syntaxiquement, mais métriquement pertinent
(sans lui, le vers serait faux) et nous en lions l’importation au taǧwīd, c’est-à-dire à
la récitation psalmodiée du Coran, participant à et de l’« embellissement » (sens
même de taǧwīd) de celle-ci, comme le suggère explicitement une des traditions
rapportées par al-Farrā’73.

5. Conclusion

On voit donc qu’il y a beaucoup de bons arguments pour faire l’hypothèse


que le rasm coranique transcrit une variété d’arabe que l’on peut qualifier, pour
reprendre une formule dont je me suis déjà servi, de chronologiquement préclas-
sique et typologiquement non classique, mais classicisée par le biais des lectures

72
Le timbre de la voyelle peut varier en fonction des dialectes et du contexte.
73
En l’espèce la n° 5, attribuée à Ibn Mas‘ūd (m. 32/652 ou 33/653) : ǧawwīdū l-Qur’āna wa-
zayyinūhu bi-’aḥsani l-’aṣwāti wa-’a‘ribūhu « psalmodiez le Coran, ornez-le des plus beaux
sons et mettez-y la flexion désinentielle… », voir LARCHER, 2006a, repris LARCHER, 2020, ch.
XII, p. 189-201.
36 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

grammaticales (LARCHER, 2020, p. 15). Ce qui revient bien à restaurer l’hypothèse


Vollers-Kahle d’une part, donne du crédit à l’interprétation que fait le second des
deux du scénario d’al-Farrā’ d’autre part, c’est-à-dire rapprocher autant que faire se
peut la langue du Coran de celle de la poésie (on pourrait parler, en utilisant la
terminologie arabe, de fuṣḥāïsation de la langue coranique).
Simplement, un linguiste arabisant d’aujourd’hui ne se risquera pas à iden-
tifier la variété d’arabe transcrite par le rasm à un hypothétique dialecte ou verna-
culaire de La Mecque ou du Hedjaz, dans la mesure même où les traits qui lui sont
attribués ne découlent nullement d’une enquête de terrain, mais seulement d’un
examen objectif du rasm. Il ne se risquera pas davantage à voir dans un parler est-
arabe la base de la langue poétique : les traits qui en sont rapportés sont tout à la
fois souvent encore attestés dans les dialectes arabes d’aujourd’hui et, on l’a vu,
rejetés comme non classiques ; ni d’ailleurs à faire l’hypothèse d’une koinè litté-
raire : même si les données fournies par les grammairiens sont moins fiables que
les documents originaux (inscriptions, manuscrits…), n’étant pas brutes de décof-
frage, elles suffisent néanmoins à montrer, dans la mesure où les particularités des
anciens dialectes arabes sont illustrées par des vers de poésie, qu’il n’y a pas in-
compatiblité entre langue polydialectale et poésie, pas plus qu’il n’y en avait, par
exemple, dans le domaine grec ancien ou encore le domaine roman médiéval.
Il s’y risquera d’autant moins que si la faṣāḥa coranique apparaît comme
une construction théologique, la faṣāḥa bédouine apparaît comme une construction
philosophique, ainsi que le montre le chapitre suivant.
38 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

Annexe
Texte arabe et traduction française d’al-Farrā’, d’après KAHLE, 1959, p. 345-346.

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CHAPITRE II 39

Al-Farrā’ a dit : Nous avons vu ceux des spécialistes de la lecture [du Co-
ran], connaissant le Livre et la Sunna, et maîtres en matière de correction linguis-
tique, s’accorder sur le fait qu’il a été révélé dans le plus châtié des parlers. Mais à
ce point de vue se sont opposés certains groupes [de gens] qui considèrent les poé-
sies et les journées des Arabes. « Ceux qui proclament la supériorité du Coran, ont-
ils dit, ne le font qu’à cause de l’obligation faite par Allah de magnifier le Coran.
Mais si nous cherchons la correction linguistique, nous la trouvons parmi les Bé-
douins ». Mais ces groupes sont en désaccord là-dessus. Pour les gens de Koufa, la
correction linguistique réside chez les Asad, du fait qu’ils sont proches [et] 74 voi-
sins d’eux. Pour ceux de Basra, elle réside chez les Tamīm du haut et les Qays du
bas, à savoir les ‘Ukl et les ‘Uqayl. Pour ceux de Médine, elle réside chez les
Ġaṭafān, parce qu’ils sont leurs voisins et pour ceux de La Mecque, elle réside chez
les Kināna b. Sa‘d b. Bakr et les Ṯaqīf. Nous voudrions les ramener, par les tradi-
tions, la raison et la réflexion, à la supériorité du parler de Qurayš sur tous les
autres : « Pourquoi donc, avons-nous dit, les Qurayš dépassent-ils les autres, en ce
qui concerne leur beauté plastique, leur capacité intellectuelle, leur aisance phy-
sique ? — Personne mieux que nous ne le sait, ont-ils répondu ; capacité et beauté
leur sont venues ainsi : les Arabes, femmes et hommes, venaient au sanctuaire pour
le grand et le petit pèlerinage ; les femmes tournaient autour du sanctuaire, sans
voile ; elles assistaient aux cérémonies, visage découvert ; aussi pouvaient-ils les
sélectionner visuellement et rechercher noblesse et beauté. C’est de là que leur est
venue leur supériorité, en plus de leurs caractères propres. — Eh bien, avons-nous
dit, de la même façon, ils entendaient, des différentes tribus arabes, leurs manières
de parler et pouvaient choisir, dans chaque manière de parler, ce qu’il y avait de
meilleur : ainsi, leur parler est-il devenu pur, sans être contaminé en rien par les
vilaines manières de parler. Ne vois-tu pas que tu ne trouves dans leur parler ni la
‘an‘ana des Tamīm, ni la raucité des Qays, ni la kaskasa des Rabī‘a, ni la vocalisa-
tion i qu’on entend, de la part des Qays et des Tamīm, dans, par exemple, ti‘lamūna
[et] ti‘lam, ou, encore, bi‘īr et ši‘īr, avec vocalisation i du tā’, du bā’, du sīn et du
šīn ? Ainsi leur est venue la correction linguistique, par la sélection qu’ils ont faite
du parler, semblable à celle qu’ils faisaient des femmes prises en mariage. Et, ainsi,
se trouve définitivement réfuté ce que disent ces groupes et est-on ramené à ce que
disent ceux qui connaissent le Coran bien mieux qu’eux ».

74
Le wa- manque dans le texte arabe tel que publié par Kahle.
Chapitre III

AL-FᾹRᾹBĪ

UN TEXTE SUR LA LANGUE ARABE RÉÉCRIT ?*

1. Introduction

Il est un texte sur la langue arabe, connu des arabisants depuis au moins cent
cinquante ans (et peut-être depuis plus longtemps encore) et dont l’auteur est
quelqu’un dont on ne s’attend pas a priori à ce qu’il ait traité d’un tel sujet.
Les arabisants d’expression française le connaissent généralement à travers
la traduction partielle en français qu’en donne Régis Blachère (1900-1973) dans le
chapitre de son Histoire de la littérature arabe qu’il consacre à la formation d’un
idiome littéraire (BLACHÈRE, 1952, p. 71). Mais en note Blachère indique que ce
texte a été utilisé avant lui par RENAN, 1863, et BLAU, 1869, ainsi que par RABIN,
1951, p. 193sq.
Ce texte sort du Muzhir d’al-Suyūṭī (m. 911/1505)75, mais est en fait une
citation d’al-Fārābī (m. 339/950), extraite d’un ouvrage désigné par le Muzhir
comme étant le Kitāb al-’alfāẓ wa-l-ḥurūf.
Ernest Renan (1823-1892), comme on l’a vu au chapitre I, cite en fait la plus
grande partie de la 2e section (fī ma‘rifat al-faṣīḥ min al-‘Arab « De ceux des Arabes
qui sont châtiés ») de la 9e espèce (ma‘rifat al-faṣīḥ « De ce qui est châtié ») du
Muzhir, soit les pages 209 à 212 du tome I de notre édition (RENAN, 1863, p. 347-
348) : la citation commence avec le célébrissime extrait du Ṣāḥibī d’Ibn Fāris
(m. 395/1004), intitulé bāb al-qawl fī ’afṣaḥ al-‘Arab (« Des plus châtiés des
Arabes »)76 et étudié au chapitre I, et s’achève avec celui d’al-Fārābī. Entre les
deux, on trouve une longue citation d’Abū ‘Ubayd, i.e. Abū ‘Ubayd al-Qāsim b.
Sallām (m. 224/838), et une, plus brève, de Ṯa‘lab (m. 291/904).
Renan indiquant en note (RENAN, 1863, p. 346-347) : « voici le passage en-
tier de Soyouthi, que nous donnons comme un curieux spécimen des idées des
Arabes sur la formation de leur propre langue. Pococke en avait déjà fait usage

*
Paru sous le titre « Un texte d’al-Fārābī sur la “langue arabe” réécrit ? », in L. EDZARD & J.
WATSON (éd.), Grammar as a Window onto Arabic Humanism. A Collection of Articles in Hon-
our of Michael G. Carter. p. 108-129, Wiesbaden, ©Harrassowitz, 2006. Entre crochets ([…])
figurent un certain nombre d’additions.
75
AL-SUYŪṬĪ, Muzhir, t. I, p. 211-212.
76
IBN FĀRIS, Ṣāḥibī, p. 52-53.
42 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

(Specimen hist. Arab. p. 157-158) », nous sommes donc retournés, une nouvelle
fois, à cet ouvrage, en l’examinant de plus près. De la page 155 à la page 168, de la
partie Notae, on trouve une longue note sur la langue et la littérature arabes intitulée
Eruditio autem Arabum &c. linguae suae peritia, sermonis proprietas &c., dont
l’une des sources essentielles est bien le Mezhar de Jallalo’ddin(us) Assuyuti(us),
ce dernier étant également cité dans la Nomenclatura Authorum, p. 349-350. Il est
clairement fait allusion, p. 157-158, au texte d’Ibn Fāris, mais comme étant d’al-
Suyūṭī lui-même, non d’Ibn Fāris, qui n’est pas nommé. De même ni à cet endroit
ni à un autre endroit de la même note n’apparaissent le nom et les idées d’al-Fārābī,
et alors même que Pococke connaît ce dernier : il le cite comme philosophe, p. 128 ;
cf. également la Nomenclatura Authorum, p. 357. Renan, non plus, ne reprend d’ail-
leurs aucun des noms d’auteur apparaissant dans l’extrait du Muzhir, ce qui, s’agis-
sant d’al-Fārābī, peut paraître surprenant chez un savant par ailleurs spécialiste de
la falsafa.
Le diplomate orientaliste Otto Blau (1828-1879)77, dans un article intitulé
« Arabien in sechten [sic : sechsten dans les en-têtes] Jahrhundert. Eine ethnogra-
phische Skizze (mit einer Karte) » et paru en 1869 dans la Zeitschrift der deutschen
morgenländischen Gesellschaft, traduit en allemand le texte d’al-Fārābī (BLAU,
1869, p. 592). Celui-ci est donné, indique-t-il en note, par Renan d’après al-Suyūṭī,
p. 348 de la 4e édition d’Histoire des langues sémitiques. Il n’est pas d’accord avec
les opinions exprimées par RENAN, 1863, p. 349 (« un système d’idées artificielles
et conçues a priori… »). En fait Blau ne traduit que la seconde moitié du texte d’al-
Fārābī, tel que donné par Renan d’après al-Suyūṭī, et, qui plus est, en transformant
le fa-’innahu lam yu’ḫaḏ lā min Laḫm wa-lā min Ǧuḏām (« en effet on n’a rien pris
ni des Laḫm ni des Ǧuḏām ») du texte arabe en « Die Sprache des Qorans konnte
nicht kommen von Lachm noch von Godām… ».
RABIN, 1951, p. 194 et p. 209 n. 3, auquel se réfère enfin Blachère, apporte
une information intéressante. Il indique en effet qu’il a trouvé le texte d’al-Fārābī,
non dans le Muzhir, mais dans le Iqtirāḥ du même al-Suyūṭī. Je l’ai bien retrouvé
dans l’édition que j’ai de cet ouvrage (AL-SUYŪṬĪ, Iqtirāḥ, p. 19-20). Le texte d’al-
Fārābī est globalement le même, mais présente quelques variantes de détail (d’ail-
leurs intéressantes) et ajoute quelques lignes : on trouvera le résultat de la collation
des deux citations dans l’annexe I.
En 1969, Muhsin Mahdi (1926-2007) éditait l’ouvrage désigné par al-Suyūṭi
comme le Kitāb al-’alfāẓ wa-l-ḥurūf sous le titre de Kitāb al-ḥurūf78. Son édition se
fonde sur un manuscrit unique d’une collection d’œuvres philosophiques, apparte-
nant à un érudit iranien et offert par celui-ci à la bibliothèque de l’Université de

77
On trouvera sans problème sur le web une notice bio-bibliographique basée sur l’article de
Wikipedia. Die freie Enzykopädie.
78
Charles E. Butterworth m’avait informé (c.p. du 24/3/2005) de son intention de publier une
traduction anglaise de l’ouvrage. Sa page personnelle (2014) annonce en effet : « Alfarabi, The
Book of Letters, translated and annotated, with an introduction plus a new Arabic text by Mu-
hsin Mahdi (Ithaca: Cornell University Press, forthcoming) ». Mais l’ouvrage, à ce jour, n’a pas
paru. On peut néanmoins lire une traduction de la seconde partie du Kitāb al-ḥurūf (ch. 19-25)
sur le site http://www.leneshmidt-translations.com.
CHAPITRE III 43

Téhéran en 1328/1910. L’ouvrage d’al-Fārābī occupe les fol. 3-52 du manuscrit, et


se trouve donc inclus dans les fol. 1-118, copiés par un certain Naṣīr al-dīn Ḥusayn
al-Ḥurr al-Ḥusaynī en 1076/1664-1665.
Parmi les « attestations » (šawāhid) qu’on a de l’ouvrage, Mahdi ne manque
pas de citer al-Suyūṭī, déclarant qu’« il est évident que ce qui suit cette expression
[i.e. Abū Naṣr al-Fārābī a déclaré au début de son ouvrage intitulé « Les expressions
et articulations79 »] est un résumé de ce qu’a dit al-Fārābī avec des choses qu’al-
Suyūṭī a ajoutées de lui-même » (wa-l-ẓāhir ’anna mā ya’tī ba‘da hāḏihi huwa al-
talḫīṣ mā qālahu al-Fārābī ma‘a ’ašyā’ ’aḍāfahā al-Suyūṭī min ‘indihi) (MAHDI,
1969, p. 40) . À la p. 231, Mahdi considère plus précisément que le texte d’al-Suyūṭī
résume les alinéas 134 et 135 du Kitāb al-ḥurūf.
À ma connaissance, seul Jacques Langhade a attiré l’attention sur le fait que
la version du Muzhir était très différente de celle du Kitāb al-ḥurūf. Dans son ou-
vrage Du Coran à la philosophie paru en 1994, il consacre une dizaine de pages à
la question (LANGHADE, 1994, p. 248-258). Son interprétation est globalement sa-
tisfaisante, même si, nous semble-t-il, il s’agit moins de deux conceptions, respec-
tivement religieuse et historique, de la langue, que de deux thèses, respectivement
théologique et « philosophique ».
Nous nous proposons de reprendre ici l’ensemble de la question. Dans une
première partie, nous montrerons que la version du Muzhir n’est pas un simple ré-
sumé du Kitāb al-ḥurūf, même si l’on y retrouve des idées et même des phrases du
Kitāb al-ḥurūf. La collation des deux versions (désormais : Fārābī 1 pour l’édition
Mahdi du Kitāb al-ḥurūf et Fārābī 2 pour le Muzhir) montre qu’il s’agit en fait d’une
véritable réécriture. Dans une seconde partie nous examinerons les raisons de cette
réécriture. Dans une troisième et dernière partie, nous examinerons plusieurs hypo-
thèses sur l’auteur des adjonctions en quoi consiste ce travail de réécriture.
[Un dernier mot : Mahdi projetait une nouvelle édition du Kitāb al-ḥurūf,
sur la base de deux nouveaux manuscrits qu’il avait trouvés, à Bakou (B) et à Qom
(Q). La mort (en 2007) l’a empêché de mener ce projet à terme. Mais une copie de
l’édition projetée a pu être utilisée par Aziz Hilal dans la thèse qu’il a consacrée au
Kitāb al-ḥurūf d’al-Fārābī (HILAL, 1998). Aziz Hilal a bien voulu nous communi-
quer l’alinéa 135 de ce projet d’édition. La collation avec l’édition de 1969 montre
quelques variantes de forme, que nous signalerons en note à l’annexe II, mais qui
ne changent rien quant au fond. Selon Hilal, B copie un archétype A, perdu. Téhéran
(T), seul utilisé par Mahdi dans son édition de 1969, et Q sont des copies d’une
version C, également perdue. Mais T, tout en lisant C, intégrait des éléments de B.]

79
La traduction de ḥurūf par letters (Mahdi) me paraît inadéquate : par ḥarf-ḥurūf, al-Fārābī en-
tend à la fois le ḥarf lafẓ (articulation phonique) et le ḥarf ma‘nā (articulation sémantique, i.e.
particule), mais en donnant à cette dernière, en y incluant certains mots catégorisés comme noms
par les grammairiens, une extension proche de ce qu’on appelle en logique « opérateur ».
44 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

2. Une réécriture

La collation des deux textes montre une fracture qui se produit de part et
d’autre d’une ligne commune. Cette ligne, c’est la citation faite d’un certain nombre
de tribus. Fārābī 1 cite « les Qays, les Tamīm, les Asad et les Ṭayy80, puis les
Huḏayl ». Fārābī 2 cite « les Qays, les Tamīm, les Asad », et, plus loin, « puis les
Huḏayl, une partie des Kināna et certains Ṭā’iyy ». Mais surtout Fārābī 1 ne cite
aucune autre tribu ni avant, ni après. Autrement dit, pour Fārābī 1, le domaine de
l’arabe châtié est exclusivement le centre de la péninsule arabique (le Nejd), à l’ex-
ception d’un groupe hedjazien, mis en seconde ligne, celui des Huḏayl, qui a toute-
fois la double particularité d’être bédouin d’une part et d’occuper le versant oriental
du Hedjaz d’autre part. Fārābī 2, au contraire, cite une tribu avant, celle de Qurayš,
qu’il met au premier rang du groupe de tribus qu’il nomme comme étant celles dont
on a tiré l’arabe (Qays, Tamīm et Asad) : le passage des Ṭayyi’ à une partie des
Ṭayyi’ et leur relégation en seconde ligne revient à limiter le domaine vers le Nord ;
l’adjonction d’une partie des Kināna, groupe hedjazien, à étendre le domaine vers
le Hedjaz et à atténuer le caractère artificiel de l’adjonction du seul groupe hedja-
zien des Qurayš (tribu de La Mecque) à un noyau dur, purement bédouin et central,
en restaurant, via Huḏayl et Kināna, une continuité territoriale entre Qurayš et les
tribus du Nejd.
Si la délimitation du domaine de l’arabe châtié constitue la différence es-
sentielle entre Fārābī 1 et Fārābī 2 (Fārābī 1 ne mentionne pas les Qurayš que Fārābī
2 met en première ligne), ce n’est pas la seule différence entre les deux textes. Une
seconde apparaît, après la ligne de fracture. Fārābī 2 maintient ce qu’affirme Fārābī
1, à savoir qu’on n’a rien pris des sédentaires (’ahl al-ḥaḍar dans Fārābī 1, ḥaḍarī
dans Fārābī 2), et, parmi les nomades (sukkān al-barārī, dans les deux textes), de
ceux de la périphérie (’aṭrāf al-bilād dans les deux textes), où ils avoisinent d’autres
nations, avec lesquelles ils se mélangent (les deux textes emploient les mêmes
verbes ǧāwara et ḫālaṭa et leurs dérivés). Mais alors que Fārābī 1 se contente d’af-
firmer qu’on n’a rien pris aux autres tribus que celles qu’il a nommées, du fait de
leur mélange avec des nations non arabes (qui, elles, sont nommées), Fārābī 2 cite
nommément ces tribus, ainsi que les différentes nations avec lesquelles elles se mé-
langent. Mais cette différence est accessoire : Fārābī 2 ne fait ici que détailler Fārābī
1. Deux remarques, cependant : 1) les Qurayš, à tout le moins une partie d’entre
eux, peuvent difficilement passer, comme habitants de La Mecque, pour un groupe
nomade : on a ici un argument très fort en faveur de l’ajout ; 2) corollairement, les
Qurayš étant ajoutés, la mention « les plus grossiers et sauvages » (’ašadduhum
tawaḥuššan wa-ǧafā’an) disparaît du centre du texte pour réapparaître à la fin, sinon
dans la citation du Muzhir, du moins dans celle du Iqtirāḥ (cf. Annexe II).

80
L’édition Mahdi donne Ṭayy. IBN MANẒŪR (m. 711/1311), Lisān al-‘Arab, article ṬWY, t. II,
p. 632, indique que ce nom de tribu est de schème fay‘il, le yā’ étant une radicale, donc Ṭayyi’,
orthographe adoptée par RABIN, 1951, et que nous adopterons. Le même article indique que
l’adjectif de relation correspondant est ṭā’iyy.
CHAPITRE III 45

Enfin une troisième et dernière différence apparaît : l’activité, en matière


linguistique, datée (entre 90 et 200 de l’Hégire) des métropoles de Koufa et Basra,
mentionnée au début de Fārābī 1 est rejetée à la fin de Fārābī 2 (et l’élément histo-
rique disparaît).

3. Pourquoi le texte a-t-il été réécrit ?

Que le texte ait été réécrit découle immédiatement du contexte. Fārābī 1,


c’est-à-dire l’alinéa 135 du Kitāb al-ḥurūf, s’articule parfaitement avec l’alinéa 134,
comme l’alinéa 134 avec l’alinéa 133. En bon philosophe aristotélicien, qui préfère
la déduction à l’induction, al-Fārābī présente en effet à l’alinéa 135 le cas arabe
comme une illustration particulière de la proposition générale formulée à l’alinéa
134, qui répond elle-même à la question posée à l’alinéa 133. Pour une « nation »
(’umma) donnée, « il faut en effet savoir de qui on doit prendre la langue » (wa-qad
yaǧibu (…) ’an yu‘lama man allaḏīna yanbaġī ’an yu’ḫaḏa ‘anhum lisān tilka al-
’umma), écrit al-Fārābī à l’alinéa 133, avant de détailler les qualités requises : une
« habitude affermie » (‘āda mumakkana), « à travers le temps » (‘alā ṭūl al-zamān)
à articuler les sons de cette langue, les « expressions » composées de ces sons et les
« énoncés » (’aqāwīl) composés de ces expressions, qui « prémunit » (yuḥaṣṣinu)
d’en articuler aucun autre qu’eux ! Ces qualités (en fait un rigoureux monolin-
guisme), ajoute-t-il à l’alinéa 134, sont remplies d’une manière générale par les
populations installées au centre du territoire de ladite « nation » et, mieux encore,
quand une « nation » connaît les deux « catégories » (ṭā’ifa), par l’élément nomade.
Le centre, à la différence de la périphérie, ne jouxte pas d’autres nations. Les no-
mades, plus que les sédentaires, sont imperméables, du fait de leur « grossièreté et
sauvagerie », aux influences extérieures. On voit alors que la limitation du domaine
de l’arabe châtié de l’alinéa 135 au centre de l’Arabie nomade correspond exacte-
ment à la thèse développée à l’alinéa 13481.
Si donc l’on admet que le texte a été réécrit, il faut alors se demander pour-
quoi il l’a été. Pour nous, la raison ne fait pas de doute. Ne pas mentionner Qurayš
dans le domaine de l’arabe châtié implique que la langue du Coran n’est elle-même
pas châtiée, autrement dit contredit formellement la thèse théologique, en matière
de langue coranique82 ! Cette thèse est justement formulée par Ibn Fāris dans le
chapitre déjà cité du Ṣāḥibī. Elle se résume en une double identification : de la
langue du Coran avec la luġat Qurayš d’une part, de la luġat Qurayš avec la luġa
al-fuṣḥā d’autre part. Si la première identification est scripturairement fondée (sur
Cor. 14, 4, cf. Annexe III), la seconde ne reçoit pas d’autre justification que dog-
matique : « c’est, dit Ibn Fāris, qu’Allah (…) les a choisis entre tous les Arabes et
les a élus : c’est parmi eux qu’il a choisi le prophète de miséricorde, Muḥammad
(…) » (ḏālika ’anna Allāh iḫtārahum min ǧamī‘ al-‘Arab wa-ṣṭafāhum wa-ḫtāra

81
Dans le détail, on montrerait que les qualités attribuées à Qurayš dans Fārābī 2 sont les qualités
générales requises par Fārābī 1 à l’alinéa 133.
82
Sur celle-ci et les différents points de vue dont elle est l’objet, cf. GILLIOT et LARCHER, 2003.
46 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

minhum nabī al-raḥma Muḥammad)83. Autrement dit, la langue du Coran est la


luġat Qurayš et la luġat Qurayš est la luġa al-fuṣḥā parce que c’est celle du Coran !
C’est en vertu de cette double identification que BLAU, 1869, réécrivait la phrase
de Fārābī 2 « on n’a rien pris ni aux Laḫm ni aux Ǧuḏām » en « la langue du Coran
n’a pas pu venir des Laḫm ni des Ǧuḏām »…
La faiblesse de cette thèse, sur le plan logico-linguistique, n’avait pas
échappé aux philologues arabes. À commencer par Ibn Fāris lui-même, qui, aussitôt
après avoir asséné la thèse théologique, la double par ce qu’un linguiste d’au-
jourd’hui appellerait une hypothèse sociolinguistique. Si la luġat Qurayš est la luġa
al-fuṣḥā, ce n’est plus seulement parce que c’est la langue du Coran, mais aussi
parce que La Mecque est le centre d’un pèlerinage intertribal, qui a permis aux Qu-
rayš de « sélectionner » (taḫayyur) et d’intégrer le meilleur de chaque parler arabe.
Dans les termes de la linguistique occidentale moderne, cela revient à faire de la
luġat Qurayš la base d’un processus de koinéisation (LARCHER, 2004)84.
En même temps, nous avons signalé (ce qui ne semblait pas avoir été fait)
la source immédiate du texte d’Ibn Fāris. Cette source n’est autre que le texte attri-
bué à al-Farrā’ (m. 207/822) et publié par Paul Kahle (1875-1964) dans The Cairo
Geniza (KAHLE, 1959 [1947], p. 345-346). Ce texte a une importance historique
considérable : non seulement parce qu’il est antérieur de deux siècles à celui d’Ibn
Fāris, mais encore parce qu’il restitue le contexte où l’hypothèse est faite. Ce con-
texte est polémique. Il oppose deux groupes : d’une part celui des lecteurs, « una-
nimes sur le fait que le Coran a été révélé dans le plus châtié des parlers » (iǧtama‘ū
‘alā ’annahu nazala/nuzzila bi-’afṣaḥ al-luġāt)85, et d’autre part certains philo-
logues qui voient la faṣāḥa86 chez les Bédouins et, plus particulièrement, dans le
registre littéraire de leur langue (poésie et ’ayyām « journées »). L’hypothèse d’al-
Farrā’, reprise par Ibn Fāris, n’a en fait qu’un but, concilier deux vérités : la vérité
théologique (i.e. langue du Coran = luġat Qurayš = al-luġa al-fuṣḥā) et la vérité
philologique (i.e. le fait que si l’on ne trouve pas dans la luġa al-fuṣḥā certains traits
donnés comme est-arabiques, on n’y trouve pas non plus certains traits donnés
comme ouest-arabiques, à commencer par le fameux « allégement de la hamza »
[taḫfīf al-hamza], propre aux gens du Hedjaz). Pour un linguiste arabisant d’au-
jourd’hui, la vision de la luġa al-fuṣḥā comme le produit d’une sélection de traits
dans un ensemble de parlers est parfaitement acceptable. L’identification de ce pro-
duit avec un parler en particulier est, à l’inverse, contestable.
Fārābī 1 et Fārābī 2 s’articulent sans problème sur les termes de ce débat et
la solution théologico-philologique qui lui a été apportée. Fārābī 1, en limitant stric-
tement le domaine de l’arabe châtié au Nejd et au versant oriental du Hedjaz, incline
pour la faṣāḥa bédouine, même si cette stricte délimitation s’inscrit dans une thèse
philosophique qui lui est propre. Fārābī 2, en rajoutant à ce domaine une partie du
Hedjaz (Qurayš et certains Kināna) va dans le même sens qu’al-Farrā’ et Ibn Fāris :

83
IBN FĀRIS, Ṣāḥibī, p. 52.
84
Cf., ici même, chapitre I.
85
IBN FĀRIS, Ṣāḥibī, p. 52. C’est cette expression qui, par réécriture, donne al-luġa al-fuṣḥā.
86
C’est le substantif correspondant à l’adjectif faṣīḥ.
CHAPITRE III 47

même si la luġat Qurayš est posée comme la luġa al-fuṣḥā, cette dernière n’en a
pas moins à voir aussi avec les parlers est-arabiques…

4. Qui a réécrit le texte ?

À cette question trois réponses sont a priori possibles : 1) al-Fārābī lui-


même ; 2) al-Suyūṭī et 3) un auteur x entre al-Fārābī et al-Suyūṭī. En l’état actuel de
mon enquête, je peux déjà exclure l’hypothèse 2).
Une première porte s’est ouverte, très vite refermée. Nous avons sans peine
reconnu une traduction partielle de Fārābī 2 dans la longue citation que fait RABIN,
1951, p. 22-23, d’AL-NĪSĀBŪRĪ (m. 730/1329), Ġarā’ib al-Qur’ān, t. I, p. 2087. Dans
sa bibliographie, Rabin n’indique cependant pas quelle édition de ce texte il utilise.
Mais, comme un peu plus haut (p. 22 § o), il cite AL-ṬABARĪ (m. 310/923), Tafsīr,
t. I, p. 23, qu’il ne mentionne pas davantage dans sa bibliographie, il s’agit évidem-
ment de l’édition de Būlāq (1323-1329H). Celle-ci donne, en son centre, le com-
mentaire d’al-Ṭabarī et, en marge, celui d’al-Nīsābūrī. Une lecture attentive du dé-
but de cette édition ne nous a pas permis d’y retrouver le texte arabe dont Rabin
donne la traduction anglaise, mais nous a amené à la conclusion que Rabin faisait
une bien curieuse confusion. Rabin présente ce texte comme exprimant une opinion
souvent formulée, et qui lui semble émaner du Ṣāḥibī d’Ibn Fāris (p. 23, éd. du
Caire, 1910). Chez AL-NĪSĀBŪRĪ, Ġarā’ib al-Qur’ān, t. I, p. 21, on trouve un texte,
dont nous donnons la traduction en annexe, et qui est bien, pour partie, un résumé
de la thèse d’Ibn Fāris formulée dans le bāb al-qawl fī ’afṣaḥ al-‘Arab, déjà cité.
Ce texte prend place dans la 3e muqaddima, au début de la 3e question, consacrée
aux « sept articulations dans lesquelles a été révélé le Coran » (al-sab‘at al-’aḥruf
allatī nazala/nuzzila al-Qur’ān) et à l’interprétation, qui a fait couler beaucoup
d’encre88, à donner à cette tradition prophétique.
La confusion de Rabin est d’autant plus curieuse qu’il connaît le texte d’al-
Fārābī, auquel il fait allusion à la p. 194 de son ouvrage (il faut donc croire que
l’illustre savant a mélangé ses fiches !)89. À la p. 209, n. 3, ainsi qu’on l’a déjà dit,
il nous apprend qu’il le connaît, non d’après le Muzhir, mais d’après le Iqtirāḥ. Or,
dans le Iqtirāḥ, al-Suyūṭī indique sa source immédiate : « cela a été transmis par
Abū Ḥayyān dans le commentaire du Tashīl pour s’opposer ainsi à Ibn Mālik, étant
donné que celui-ci a pris soin, dans ses ouvrages, de transmettre la manière de parler
des Laḫm, des Ḫuzā‘a, des Quḍā‘a et autres, ce qui n’est pas, a-t-il dit, dans l’habi-
tude des maîtres en la matière » (wa-naqala ḏālika Abū Ḥayyān fī Šarḥ al-Tashīl
mu‘tariḍan bihi ‘alā Ibn Mālik ḥayṯu ‘anā fī kutubihi bi-naql luġat Laḫm wa-

87
Sur cet auteur, cf. GILLIOT, 1999. Une phrase de la traduction de Rabin (« Their idiom [i.e. de
Qurayš] was adopted by the Qais, Tamīm and ’Asad ») constitue cependant un contre-sens.
88
Pour une vue d’ensemble, cf. GILLIOT, 1985-1986.
89
Il a pu aussi être abusé par les noms des sept tribus arabes figurant dans al-Nīsābūrī et dont six
sont dans Fārābī 2.
48 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

Ḫuzā‘a wa-Quḍā‘a wa-ġayrihim wa-qāla laysa ḏālika min ‘ādat ’a’immat hāḏā al-
ša’n)90.
Ibn Mālik (m. 672/1274) est bien l’auteur d’un Tashīl, qui a été édité. Parmi
les commentaires de cet ouvrage, outre celui commencé par l’auteur lui-même et
poursuivi par son fils Badr al-dīn (m. 686/1287), mais demeuré inachevé91, en existe
bien un d’Abū Ḥayyān al-Ġarnaṭī (m. 745/1344). Celui-ci a été édité récemment
sous le titre al-Taḏyīl wa-l-Takmīl fī Šarḥ Kitāb al-Tashīl (éd. Ḥasan Hindāwī, Da-
mas, Dār al-qalam, 4 vols 1997-2000). Al-Suyūṭī connaissait bien cet ouvrage : on
en trouve des citations également dans al-Ašbāh wa-l-naẓā’ir (e.g. t. III, p. 85, 88).
Mieux : dans le Buġyat al-Wu‘āt, al-Suyūṭī consacre une longue notice à Abū
Ḥayyān92 ; il signale, sous son titre, l’existence du commentaire du Tashīl et celle
d’une « contraction » (muḫtaṣar), le Irtišāf, ajoutant : « On n’a pas composé sur
l’arabe d’ouvrage plus considérable que ces deux-là, ni plus compréhensif ni plus
exhaustif, sur le plan de la controverse et de la description, et c’est sur eux que je
me suis fondé dans mon ouvrage Ǧam‘ al-ǧawāmi‘ » (wa-lam yu’allaf fī al-‘ara-
biyya ’a‘ẓam min hāḏayni al-kitābayni wa-lā ’aǧma‘ wa-lā ’aḥṣā li-l-ḫilāf wa-l-
’aḥwāl wa-‘alayhimā i‘tamadtu fī kitābī Ǧam‘ al-ǧawāmi‘)93. À l’heure où j’écris
ces lignes [i.e. 2006], je n’ai pas encore pu consulter le Šarḥ al-Tashīl d’Abū
Ḥayyān94. Tout ce que je vais maintenant dire est donc susceptible d’être remis en
cause par une information nouvelle se trouvant, soit dans le texte même d’Abū
Ḥayyān, soit dans une note de son éditeur95.
Grâce au Iqtirāḥ, nous remontons le temps, par rapport au Muzhir, de plus
de cent cinquante ans. Néanmoins quatre cents ans séparent al-Fārābī d’Abū
Ḥayyān et on se demande a priori comment un faylasūf d’Orient du IVe/Xe siècle se
retrouve cité sous la plume d’un grammairien andalou du VIIIe/XIVe siècle. Ce fay-
lasūf et ce grammairien, il est vrai, présentent, dans leur itinéraire personnel, des
traits remarquables.

90
AL-SUYŪṬĪ, Iqtirāḥ, p. 20.
91
Cf. notre compte rendu (LARCHER, 1996).
92
AL-SUYŪṬĪ, Buġya, p. 121-123.
93
AL-SUYŪṬĪ, Buġya, p. 122.
94
Arnaud Chabrol, étudiant boursier à l’IFPO-IFEAD, l’a cherché en vain pour nous, jusque chez
l’éditeur. Celui-ci l’a informé que la première édition, tirée à 500 exemplaires, était épuisée. Un
autre étudiant d’Aix-en-Provence, Julien Leers, en stage à Damas, a constaté que la Maktabat
al-Asad ne possédait que le tome I. Enfin, notre collègue Reinhard Weipert, qui a signalé cette
édition dans sa bibliographie (WEIPERT, 2002) a bien voulu consulter pour nous l’exemplaire
qu’en possède la Staatsbibliothek de Munich. Il nous a informé que l’ouvrage ne contenait pas
d’index : la raison en est que les quatre volumes ne couvrent que les 14 premiers chapitres du
Tashīl, qui en compte 80. S’agissant d’une édition partielle et sans index, il est vain, en l’état de
la publication, d’y rechercher le texte d’al-Fārābī ! Que tous, collègue et étudiants, soient re-
merciés de leurs efforts.
95
[Note de relecture : un cinquième volume est paru à Damas en 2002, neuf autres à Riyadh entre
2005 et 2018. J’ai pu consulter les quatorze volumes parus de cette édition sur le
site https://www.waqfeya.com/book.php?bid=10697, le quatorzième s’arrêtant au ch. 60 (sur
80) du Tashīl. Je n’ai trouvé qu’une mention d’al-Fārābī, à propos de rubba, cf. infra].
CHAPITRE III 49

Si Versteegh n’utilise pas dans sa thèse (VERSTEEGH, 1977) le Kitāb al-


ḥurūf d’al-Fārābī, il lui consacre en revanche un chapitre entier dans l’anthologie
qu’il a faite sur la tradition linguistique arabe (VERSTEEGH 1997a, p. 76-87). Dans
ce chapitre deux informations attirent l’attention : d’une part (p. 78) l’existence
d’une relation entre al-Fārābī et le grammairien Ibn al-Sarrāǧ (m. 316/929) ; d’autre
part, le fait que cet échange n’a pas eu de conséquence sur la diffusion de l’œuvre
d’al-Fārābī parmi les grammairiens (p. 84 : « no grammatical work quotes him by
name »). La citation d’Abū Ḥayyān relativise l’affirmation de Versteegh, mais le
fait apparaître cependant comme une rara avis.
Or, ce grammairien andalou mourut au Caire, après y avoir longtemps sé-
journé. Et c’est ce long séjour dans le Caire mamelouk qui le conduisit à écrire une
grammaire du turc, al-Idrāk li-lisān al-Atrāk (cf. VERSTEEGH 1997a, p. 166-178, et,
surtout, ERMERS, 1999). Abū Ḥayyān est ainsi un des très rares grammairiens arabes
à s’être intéressé à d’autres langues que l’arabe. Al-Fārābī étant lui-même d’origine
turque, se peut-il qu’il y ait une « turkic connection » ? Le Kitāb al-ḥurūf (cf. index
de l’édition Mahdi, p. 253) mentionne des mots grecs, persans et sogdiens. Seul le
sogdien (al-suġdiyya), langue indo-européenne parlée en Sogdiane jusqu’au IXe
siècle, a un rapport indirect au turc : son alphabet a servi à noter le turc ouïgour.
Les origines andalouses d’Abū Ḥayyān semblent donc plus décisives. Sur la dizaine
de citations du Kitāb al-ḥurūf relevées par Mahdi, plus de la moitié proviennent de
l’œuvre d’Ibn Rušd (m. 595/1198). Il est donc vraisemblable que c’est par l’œuvre
du philosophe cordouan qu’Abū Ḥayyān connaissait l’ouvrage. D’autant qu’on a
des indications sur le fait que la falsafa, notamment dans le domaine linguistique
(poétique et rhétorique), n’était pas aussi définitivement morte dans l’Occident mu-
sulman (Andalousie et Maghreb) avec la mort d’Ibn Rušd qu’on veut bien le dire :
outre la Muqaddima d’Ibn Ḫaldūn (m. 808/1406), le Minhāǧ d’al-Qarṭāǧannī (m.
684/1285) en porte la marque (cf. LARCHER, 1998).
Grâce au Iqtirāḥ, nous connaissons également le contexte de la citation. Ce-
lui-ci est polémique. Abū Ḥayyān utilise Fārābī 2 contre Ibn Mālik, qui cite des
variantes (luġāt) n’appartenant pas au domaine de l’arabe châtié. De fait, le Tashīl
mentionne les particularités linguistiques d’un très grand nombre de tribus, qu’on
n’est plus habitué à voir citées dans les ouvrages de l’époque, généralement resser-
rés autour du couple Hedjaz/Tamīm. Peut-être est-ce là l’effet d’une fierté des ori-
gines : Ibn Mālik, né en Andalousie et mort à Damas, se revendiquait comme ap-
partenant aux Ṭayyi’, groupe tribal arabe qaḥṭānite, représenté en Andalousie (et si
important, notamment à l’époque préislamique, qu’il fait le nom générique des
Arabes dans les sources syriaques, cf. RABIN, 1951, p. 193). Ni le Tashīl, ni le Šarḥ
al-Tashīl d’Ibn Mālik ne contiennent d’index des noms de tribus. Grâce cependant
à RABIN, 1951, qui utilise un manuscrit du Tashīl d’Ibn Mālik, j’ai pu, en regardant
sous les trois noms de tribus cités par Abū Ḥayyān, retrouver au moins quelques-
uns des passages du Tashīl visés : rien, certes, sous Laḫm (3 mentions), ni sous
Quḍā‘a (13 mentions) ; mais sous Ḫuzā‘a (3 mentions), RABIN, 1951, p. 157, écrit
« The Ḫuzā‘a dialect had lika, etc. instead of laka ‘to thee’ (Ibn Mālik, Tashīl , f. 56
b) ». Et on peut lire en effet dans IBN MĀLIK, Tashīl, p. 145 « et la vocalisation a
50 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

du lām avec le pronom est la manière de parler des autres tribus que Ḫuzā‘a » (wa-
fatḥ al-lām ma‘a al-muḍmar luġat ġayr Ḫuzā‘a) et Šarḥ al-Tashīl, t. III, p. 149 :
Tous les Arabes vocalisent a la préposition li- devant un pronom, sauf les
Ḫuzā‘a, qui la vocalisent i avec le pronom, comme elle l’est ailleurs qu’avec le pronom
dans tous les parlers (wa-kull al-‘Arab yaftaḥūna lām al-ǧarr al-dāḫila ‘alā muḍmar
’illā Ḫuzā‘a fa-’innahā taksiruhā ma‘a al-muḍmar kamā tuksaru ma‘a ġayrihi fī al-
luġāt kullihā).

Le sommaire détaillé du Tashīl m’a permis par ailleurs de retrouver la


‘aǧ‘aǧa des Quḍā‘a, décrite comme un cas particulier de ’ibdāl (mutation) du yā’
en ǧīm (IBN MĀLIK, Tashīl, p. 317-318) : « le cas le plus fréquent est que le yā’
muté en ǧīm soit géminé, affecté de la pause ou précédé d’un ‘ayn et c’est la ‘aǧ‘aǧa
des Quḍā‘a » (wa-l-’akṯar kawn al-yā’ al-mubdal minhā al-ǧīm mušaddada maw-
qūfan ‘alayhā ’aw masbūqatan bi-‘ayn wa-hiya ‘aǧ‘aǧat Quḍā‘a). Il s’agit donc
d’une variante conditionnée de ‘iy réalisé en ‘iǧ par les Quḍā‘a96.
Cette utilisation polémique de Fārābī 2 rend très peu vraisembable un arran-
gement de Fārābī 1 à cette fin par un grammairien tel qu’Abū Ḥayyān (Fārābī 1 ne
pouvant pas l’être de cette manière). Plus vraisemblable est une utilisation par ce
dernier d’un texte qu’il connaissait, sous cette forme. Un autre argument va dans le
même sens. Mon collègue Claude Gilliot me signale que dans l’index d’un autre
ouvrage d’Abū Ḥayyān aujourd’hui édité, Irtišāf al-ḍarab fī Lisān al-‘Arab et qui
est, selon al-Suyūṭī (cf. supra), une « contraction » du Šarḥ al-Tashīl, il y a une
référence au Kitāb al-ḥurūf d’al-Fārābī. Il existe deux éditions de cet ouvrage :
l’édition Muṣṭafā Aḥmad al-Nammās, Le Caire, al-Ḫānǧī, 2 vols, 1984 et 1987 (cf.
GILLIOT, 1989, n°1) et l’édition Raǧab ‘Uṯmān Muḥammad, 4 vols, Le Caire, al-
Ḫānǧī, 1418/1998 (cf. GILLIOT, 2000, n° 18). Dans la première de ces deux éditions,
on peut lire en effet, dans un développement consacré à rubba, et, plus particuliè-
rement à son sens (marque-t-il le peu (taqlīl) ou le prou (takṯīr) ?) ceci : « Abū al-
Naṣr al-Fārābī a dit dans son Kitāb al-ḥurūf : sa valeur la plus fréquente est de mar-
quer le peu » (wa-qāla Abū Naṣr al-Fārābī fī Kitāb al-ḥurūf lahu ’akṯar mā yakūnu
li-l-taqlīl)97.
[Dans la foulée, Michael G. Carter m’a signalé une citation du Kitāb al-
ḥurūf d’al-Fārābī dans le Kitāb al-masā’il wa-l-’aǧwiba d’Ibn al-Sīd al-Baṭalyawsī
(m. 521/1107) publié dans Rasā’il fī al-luġa (édition Ibrahīm al-Samarrā’ī, Bagdad,
Maṭba‘at al-Iršād, 1964), sans pouvoir me dire quelle en était l’objet. Mais mon

96
Pas de commentaire, évidemment, dans le Šarḥ al-Tashīl, arrêté avant ce chapitre. RABIN (1951)
connaît la ‘aǧ‘aǧa des Quḍā‘a, qu’il cite trois fois (p. 10, 104, 199), mais qu’il décrit (p. 104),
non d’après le Tashīl, mais d’après le Šarḥ al-Alfiyya d’al-Ušmūnī (m. vers 900/1495) (édition
du Caire, t. IV, p. 211 [= t. IV, p. 82-83 de notre édition]).
97
ABŪ ḤAYYĀN, Irtišāf, t. II, p. 456. [Cf. églt. ABŪ ḤAYYĀN, Taḏyīl, t. XI, p. 286 : wa-qāla ba‘ḍ
’aṣḥābinā ’akṯar mā yaqa‘u li-l-taqlīl wa-bi-naḥw hāḏā qāla Abū Naṣr al-Fārābī fī Kitāb al-
ḥurūf lahu (« Un de nos maîtres a dit : dans la plupart de ses occurrences, il marque le peu ;
ainsi a dit Abū Naṣr al-Fārābī dans son Kitāb al-ḥurūf »).]
CHAPITRE III 51

collègue Weipert (Munich) m’a envoyé une photocopie de cette citation, qui con-
cerne également rubba. Mais ici a surgi un nouveau problème.
Al-Baṭalyawsī attribue à al-Fārābī l’opinion suivante (AL-BAṬALYAWSĪ,
Masā’il, p. 138) : wa-ra’aytu al-Fārābī qad ḏakara fī Kitāb al-ḥurūf ’annahā
takūnu takṯīran wa-taqlīlan, opinion répétée plus loin (AL-BAṬALYAWSĪ, Masā’il,
p. 140) : ’innahā takūnu takṯīran wa-taqlīlan kamā qāla Abū Naṣr al-Fārābī. Mon
collègue Salvador Peña Martin m’a fait parvenir une photocopie du manuscrit 1518
de l’Escorial (non utilisé par al-Samarrā’ī, qui utilise un manuscrit tunisois daté de
1299H) qui confirme la lecture d’al-Samarrā’ī.
Bien que la citation sur rubba faite par Abū Ḥayyān ne coïncide pas avec
celle faite sur ce même rubba par Ibn al-Sīd, elles ne sont pas cependant contradic-
toires : on peut en effet soutenir sans contradiction que rubba peut marquer le peu
et le prou, tout en marquant le plus souvent le peu. Les deux citations sur rubba
peuvent donc appartenir à un même développement sur rubba. Or, ce qu’il faut
remarquer, c’est que ce passage sur rubba (dans l’un ou l’autre des extraits) ne
figure pas dans l’édition Mahdi du Kitāb al-ḥurūf. Il faut donc conclure :
qu’al-Fārābī et son Kitāb al-ḥurūf étaient connus des grammairiens anda-
lous, depuis longtemps (au moins le début du VIe/XIIe siècle) ;
que la version qu’ils utilisent (et qui a quelque chance d’être la même, dans
la mesure où il y a un passage chez les deux sur rubba) est très différente de celle
publiée par Mahdi : c’est une version plus longue (dans la mesure où elle contient
des passages absents de l’autre). C’est une version postérieure (dans la mesure où
le texte sur la langue arabe a été réécrit).]
MAHDI (1969, p. 40-43) ne manque pas de relever qu’al-Suyūṭī met au début
de l’ouvrage d’al-Fārābī ce qui, dans le texte publié par lui, se trouve vers le milieu,
ce qui implique : soit que l’ouvrage cité par al-Suyūṭī est incomplet (il y manquerait
ce qui correspond à la partie I de l’édition Mahdi), soit que ce dernier ait été rejeté
après les parties II et III de l’édition Mahdi. Le nom même qu’al-Suyūṭī donne à
l’ouvrage Kitāb al-’alfāẓ wa-l-ḥurūf va dans le sens de la seconde hypothèse en
suggérant qu’il a sous les yeux un texte commençant par ce qui correspond à la
partie II de l’édition, qui traite de ’alfāẓ, et se poursuivant par ce qui correspond
aux parties I et III de l’édition, qui traitent tous deux de ḥurūf. On pourrait aussi
faire l’hypothèse de deux ouvrages réunis en un seul, un Kitāb al-’alfāẓ d’une part
et un Kitāb al-ḥurūf d’autre part.
Mais si l’hypothèse d’un arrangement différent suffit pour expliquer le nom
de l’ouvrage et la place du texte chez al-Suyūṭī, elle est insuffisante pour en expli-
quer les deux versions. Mahdi, qui a d’abord présenté Fārābī 2 comme le produit
tout à la fois d’un résumé de Fārābī 1 et d’adjonctions d’al-Suyūṭī (p. 40) ou de sa
source (p. 41), observant (p. 42) que Fārābī 2 est « plus détaillé » (’akṯar tafṣīlan)
que Fārābī 1, émet, sans crainte de se contredire, l’hypothèse d’une version origi-
nale du Kitāb al-ḥurūf « plus développée ». L’hypothèse de deux versions semble
appuyée par le fait que la collation du Kitāb al-ḥurūf avec les citations qui en sont
faites ultérieurement ne donne de concordance qu’avec le philosophe juif ibérique
52 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

Shem-Tov ben Josef (Ibn) Falaquera (vers 1225-vers 1290)98. Mais, par rapport à
notre texte sur la langue arabe, une telle hypothèse revient à dire que ce ne serait
plus Fārābī 2 qui résume Fārābī 1, mais Fārābī 1 qui résume Fārābī 2 ! Ce qui nous
amène à la conclusion.

5. Conclusion

Sans prétendre résoudre ici l’« énigme » du Kitāb al-ḥurūf, il nous semble
cependant que les deux versions du texte sur la langue arabe sont susceptibles d’ap-
porter une lumière nouvelle. Dans la mesure où Fārābī 1, compte tenu de l’absence
de la « langue de Qurayš », ne peut pas être un résumé de Fārābī 2, où celle-ci, à
l’inverse, occupe la première place, on est peu tenté de faire l’hypothèse de deux
versions du Kitāb al-ḥurūf, l’une brève et l’autre développée ; on est beaucoup plus
tenté de faire celle de deux versions successives, faites par al-Fārābī lui-même à des
âges différents de sa vie. Fārābī 1 serait l’œuvre d’un homme jeune, élève de l’école
philosophique, essentiellement chrétienne, de Bagdad et qui développe, sur le lan-
gage, une thèse philosophique, sans se soucier des implications de cette thèse pour
la théologie islamique. Fārābī 2 serait celle d’un homme mûr ou déjà vieux, qui,
tout philosophe qu’il est, est en relation avec des philologues arabes et n’oublie pas
qu’il est musulman. Il corrige alors son texte pour le rendre conforme à l’ortho-
doxie99. D’autant que cette mise en conformité préserve l’essentiel de sa thèse phi-
losophique. Si, comme nous le pensons, al-Fārābī est à l’origine de la thèse qui lie
faṣāḥa et isolement (celui-ci préservant du « mélange » entraînant la « corruption »
de la langue)100, alors l’adjonction de Qurayš n’a aucun effet, comme le montre la
Muqaddima d’Ibn Ḫaldūn. Celui-ci reprend la thèse « fārābienne » en l’appliquant
à Qurayš : « et c’est pourquoi, la manière de parler des Qurayš était la plus châtiée
et la plus claire des manières de parler arabes, du fait de leur éloignement du terri-
toire des non-Arabes de tous côtés » (wa-li-hāḏā kānat luġat Qurayš ’afṣaḥ al-luġāt
al-‘arabiyya wa-’aṣraḥahā li-bu‘dihim ‘an bilād al-A‘āǧim min ǧamī‘ ǧihātihim),
écrit-il ch. 6, section 46 « De ce que la langue est un habitus technique » (fī ’anna
al-luġa malaka ṣinā‘iyya)101. On sent, dans tout ce chapitre, une inspiration
fārābienne (l’« habitus technique » rappelant l’ « habitude affermie » d’al-Fārābī),

98
Mon collègue d’hébreu Philippe Cassuto me signale deux sites où on peut trouver des rensei-
gnements sur Šem-Tov Falaquera (ou Palquera) : http://www.jewišencyclopaedia.com et
http://www.mith.umd.edu/steinschneider/english/Steinheb2.htm [malheureusement au-
jourd’hui disparus].
99
Le IVe/Xe siècle est celui de ces conflits. Cf., dans un ordre un peu différent, le cas du grammai-
rien al-Rummānī (m. 384/994), étudié par CARTER, 1984.
100
Bien que l’histoire de cette idée reste à faire, elle apparaît par exemple dans le Īḍāḥ (p. 89) d’al-
Zaǧǧāǧī (m. 337/948 ou 339-340/949-950), grammairien contemporain d’al-Fārābī et ayant étu-
dié à Bagdad, qui lie la naissance de la grammaire à la « corruption de la langue » due elle-
même au « mélange » des populations arabes et non arabes à Basra, cf., ici même, ch. IV.
101
IBN ḪALDŪN, Muqaddima, p. 1072. Antoine-Isaac Silvestre de Sacy (1758-1838) a traduit ce
chapitre (SILVESTRE DE SACY, 1829 [1973], p. 408-410), ainsi d’ailleurs que les autres chapitres
de la Muqaddima traitant de l’arabe (p. 410-432).
CHAPITRE III 53

et tout particulièrement, dans le dernier paragraphe : la source directe est Fārābī 2,


même s’il n’en est pas une citation littérale, mais plutôt une nouvelle inflexion102.
Pour Ibn Ḫaldūn, l’arabe est de moins en moins pur, au fur et à mesure qu’on
s’éloigne du centre (les Qurayš) vers la périphérie. Après les Qurayš, viennent donc
les tribus qui les entourent : Ṯaqīf, Huḏayl, Ḫuzā‘a, Kināna, Ġaṭafān, Asad et
Tamīm (Fārābī 2 ne cite pas Ḫuzā‘a et Ġaṭāfān et exclut même Ṯaqīf). Puis celles
dont « l’habitus linguistique n’était pas parfait du fait de leur mélange avec les non-
Arabes » (lam takun luġatuhum tāmmat al-malaka bi-muḫālaṭat al-A‘āǧim) :
Rabī‘a, Laḫm, Ǧuḏām, Ġassān, Iyād, Quḍā‘a et Arabes du Yémen, i.e. « ceux qui
sont voisins des nations perse, grecque et abyssine » (al-muǧāwirīn li-’umam al-
Furs wa-l-Rūm wa-l-Ḥabaša) (Fārābī 2 ne cite pas Rabī‘a, mais ajoute d’autres tri-
bus et d’autres nations). Et Ibn Ḫaldūn de conclure :
… et c’est à proportion de leur éloignement de Qurayš que l’on tirait argument
de leurs manières de parler, en matière de correction et de corruption linguistiques,
chez les maîtres de l’art grammatical arabe (wa-‘alā nisbat bu‘dihim ‘an Qurayš kāna
al-iḥtiǧāǧ bi-luġātihim fī al-ṣiḥḥa wa-l-fasād ‘inda ’ahl al-ṣinā‘a al-‘arabiyya)103.

On voit comment la théologie a ici récupéré la philosophie ! [Nous allons


voir, dans le chapitre suivant, que la thèse « philosophique », qui lie la faṣāḥa à
l’isolement géographique n’est jamais que le corollaire d’une thèse « philologique »
qui lie la « corruption de la langue » (fasād al-luġa) au mélange des populations].

102
Ibn Ḫaldūn connaissait bien al-Fārābī qu’il cite six fois dans la Muqaddima, dont plusieurs en
l’associant aux « philosophes d’Andalousie ». Par ailleurs son autobiographie (IBN ḪALDŪN,
Ta‘rīf, p. 16) mentionne explicitement le Tashīl d’Ibn Mālik comme un des ouvrages utilisés
dans sa formation. De par sa nature, cet ouvrage ne peut pas être utilisé sans commentaire [et le
Ta‘rīf (p. 17) en cite un, celui de l’un de ses maîtres, Abū ‘Abd Allāh Muḥammad Ibn al-‘Arabī
al-Ḥasāyirī (ou, selon une autre leçon, al-Ḥasā’idī). Ni l’éditeur du Ta‘rīf, ni son traducteur (IBN
ḪALDŪN, Voyage, p. 46) ne donnent la moindre information sur lui. GAL I, 359 signale 29 com-
mentaires du Tashīl et GAL S I, 522 cite nommément dix d’entre eux, mais non celui-là. S’agis-
sant de l’Ifrīqiyya d’une part, d’un contemporain d’Ibn Ḫaldūn d’autre part, on peut penser que
ce commentaire, qualifié d’« exhaustif » (mustawfā) par Ibn Ḫaldūn, se référait, entre autres, au
commentaire d’Abū Ḥayyān. Ce dernier peut donc être la source indirecte d’Ibn Ḫaldūn pour le
dernier paragraphe et une connaissance indirecte du Kitāb al-ḥurūf, via les « philosophes d’An-
dalousie », celle du reste du chapitre.]
103
IBN ḪALDŪN, Muqaddima, p. 1072.
54 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

Annexe I
Texte arabe et traduction française d’al-Fārābī, d’après AL-SUYŪṬĪ, Muzhir, t. I,
p. 211-212

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 ^& LA6? 'F&¦ D'$ Ae "‰† 6& ?H_  ^& M6A L&G' xF A
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 ^& YM6 L2g& MO6+)   ^& M1-& +J? "JVW„ 6 7  ^& .0O&
'w LE §Z D¨)  ^& "+, p6„ 6 F¤y "JVW„ ŠlW 7 & Š6*
Y"JV+©# s & Y"E  "]b W (  #MH L?+' &GV p) " aN M;H? ?A
D - 07 " M,+N& ªˆ?[, 6 Ve JV-;ˆ*#& G^ž , 8 L#?& #MH? 7A |w&
rJVA . F  p  n M 2&
CHAPITRE III 55

Abū Naṣr al-Fārābī a dit au début de son ouvrage intitulé « Les expressions
et les articulations » : les Qurayš étaient les plus avisés des Arabes, en ce qui con-
cerne les expressions les plus châtiées ; ceux dont la langue a l’articulation la plus
aisée ; ceux dont l’usage est le meilleur; ceux exprimant le plus distinctement leurs
pensées ; ceux dont a été transmise la langue arabe et qu’on a pris pour modèle ;
ceux dont on a tiré le langage arabe, parmi les tribus arabes, qui sont les Qays, les
Tamīm, les Asad ; ce sont eux, en effet, d’où vient la plus grande part de qui a été
pris, eux dont on se recommande en ce qui concerne les mots étranges, la flexion
désinentielle et la syntaxe. [Viennent] ensuite Huḏayl, une partie des Kināna et cer-
tains Ṭā’iyy, mais on n’a rien pris à d’autres qu’eux parmi le reste des tribus arabes.
En somme, on n’a rien pris à un sédentaire, ni à ceux des habitants des steppes, qui
habitaient les confins du domaine arabe jouxtant les autres nations environnantes104.
On n’a rien pris, en effet, ni des Laḫm ni des Ǧuḏām, du fait de leur voisinage avec
les gens d’Égypte et les Coptes105 ; ni des Quḍā‘a, des Ġassān et des Iyād, du fait
de leur voisinage avec les gens de Syrie106, et dont la plupart sont chrétiens et ont
pour langue [liturgique] l’hébreu ; ni des Taġlib [et des Namir]107, car ceux-ci-
étaient, dans la Djéziré, voisins des Grecs108 ; ni des Bakr, du fait de leur voisinage
avec les [Nabatéens] et les Perses109 ; ni des ‘Abd al-Qays, parce qu’ils étaient les
habitants du Bahrein, mélangés avec les Indiens et les Perses110 ; ni des Azd de
Oman, du fait de leur mélange avec les Indiens et les Perses ; ni des gens du Yé-
men111, du fait de leur mélange avec les Indiens et les Abyssins112 ; ni des Banū
Ḥanīfa et des habitants113 de la Yamāma, ni des Ṯaqīf et des gens de Ṭā’if, du fait
de leur mélange avec les commerçants du Yémen114, qui résident chez eux ; ni des

104
Muzhir : al-muǧāwira li-sā’ir al-’umam ; Iqtirāḥ : allatī tuǧāwir sā’ir al-’umam.
105
Muzhir : li-muǧāwaritihim li-’ahl Miṣr ; Iqtirāḥ : fa-’innahum kānū muǧāwirīn li-’ahl Miṣr.
106
Muzhir : wa-lā min Quḍā‘a wa-Ġassān wa-Iyād li-muǧāwaritihim li-’ahl al-Šām ; Iqtirāḥ : wa-
lā min Quḍā‘a wa-lā min Ġassān wa-lā min Iyād fa-’innahum kānū muǧāwirīn li-’ahl al-Šām.
107
Muzhir : wa-lā min Taġlib wa-l-Yaman ; Iqtirāḥ : wa-lā min Taġlib wa-l-Namir. Le Iqtirāḥ per-
met ici de corriger une erreur manifeste des éditeurs du Muzhir. BLAU, 1869, a al-Namir, alors
même que RENAN, 1863, a al-Yaman : pour cette correction, confirmée par le Iqtirāḥ, et des
références, cf. BLAU, 1869, p. 582 et n. 7.
108
Muzhir : al-Yūnān ; Iqtirāḥ : al-yūnāniyya.
109
Muzhir : al-Qibṭ wa-l-Furs ; Iqtirāḥ : al-Nabaṭ wa-l-Furs. La leçon du Iqtirāḥ est meilleure.
110
Muzhir : wa-lā min ‘Abd al-Qays wa-Azd ‘Umān li-’annahum kānū bi-l-Baḥrayn muḫālaṭin li-
Hind wa-l-Furs « ni des ‘Abd al-Qays et des Azd d’Oman, parce qu’ils étaient, au Bahrein,
mélangés aux Indiens et aux Perses »; Iqtirāḥ : wa-lā min ‘Abd al-Qays li-’annahum kānū
sukkān al-Baḥrayn muḫālaṭin li-Hind wa-l-Furs wa-lā min Azd ‘Umān li-muḫālaṭihim li-l-Hind
wa-l-Furs. Nous suivons la version du Iqtirāḥ évidemment meilleure sur le plan géographique.
111
Iqtirāḥ ajoute ici ’aṣlan.
112
Iqtirāḥ ajoute ici wa-li-wilādat al-Ḥabaša fīhim (« et du fait de la naissance d’Abyssins parmi
eux »).
113
Muzhir : ’ahl ; Iqtirāḥ : sukkān.
114
Muzhir : tuǧǧār al-Yaman ; Iqtirāḥ : tuǧǧār al-’umam.
56 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

sédentaires du Hedjaz, parce que ceux qui ont transmis la langue des Arabes, les
ont trouvés, quand ils ont entrepris de le faire, déjà mélangés à d’autres nations que
la leur et ayant un langage corrompu. Et ceux qui ont transmis le lexique et la langue
arabe de ceux-ci et l’ont fixée dans un ouvrage, l’ayant fait devenir ainsi une science
et un art, ce sont seulement les gens de Koufa et de Basra, entre les métropoles des
Arabes. Fin. [Iqtirāḥ : Les activités, dont vivaient ces gens-là, sont l’élevage, la
chasse et le brigandage. Ce sont eux qui avaient l’âme la plus forte et le cœur le
mieux endurci, qui étaient les plus sauvages, dont le flanc était le plus inaccessible
et dont la protection était la plus forte, les préférés de la victoire et non de la défaite,
les plus difficiles à se soumettre aux rois, qui avaient les mœurs les plus grossières
et étaient les moins sujets à l’injustice et à l’humiliation. Fin]115.

Annexe II
Texte arabe et traduction française d’AL-FĀRĀBĪ, Kitāb al-ḥurūf, § 135, p. 147

|F LK2g "J6 KL† .G6!E Uw   `?~_ « RQ 6-V_ `A & (135)
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.  7 & C1 7 & p6A'& .O& +m& M1-  "‡

115
Voici ce passage en transcription : wa-kānat ṣanā’i‘ hā’ulā’i allatī bihā ya‘īšūna al-ri‘āya wa-
l-ṣayd wa-l-luṣūṣiyya wa-kānū ’aqwāhum nufūsan wa-’aqsāhum qulūban wa-’ašaddahum ta-
waḥuššan wa-’amna‘ahum ǧāniban wa-’ašaddahum ḥimyatan wa-’aḥabbahum li-’an yaġlibū
wa-lā yuġlabū wa-’a‘sarahum inqiyādan li-l-mulūk wa-’aǧfāhum ’aḫlāqan wa-’aqallahum
iḥtimālan li-l-ḍaym wa-ḏilla.
CHAPITRE III 57

135. Et, toi, tu percevras cela distinctement, quand tu auras réfléchi à la si-
tuation des Arabes en la matière. Car, chez eux, il y a des habitants des steppes et il
y a des habitants des villes116. On s’en est surtout préoccupé, de l’an 90117 à l’an
200, et ceux à s’y être investis, parmi leurs métropoles, sont les habitants de Koufa
et de Basra, en Mésopotamie. Ils ont appris118 leur langue et ce qui en est châtié de
ceux des Arabes qui habitent les steppes et non des sédentaires, et, parmi les habi-
tants des steppes, de ceux qui se trouvent au centre de leur domaine et de ceux qui
sont les plus grossiers et sauvages et les moins soumis et dociles, à savoir les Qays,
les Tamīm, les Asad et les Ṭayy, puis les Huḏayl. Ce sont eux qui constituent la très
grande majorité de ceux dont a été transmis la langue des Arabes. Les autres, on ne
leur a rien pris, parce qu’ils se trouvaient aux confins de leur domaine, mêlés à119
d’autres nations que la leur et rapidement entraînés à soumettre leur langue aux
expressions de toutes les autres nations les entourant : Abyssins, Indiens, Perses,
Syriaques, gens de Syrie et gens d’Égypte.

116
Le projet d’édition de Mahdi a en plus wa-l-qurā wa-btada’ū yaǧ‘alūna lisānahum fī ṣinā‘a
munḏu istaqarrū fī al-’amṣār (« et des villages et ils ont commencé à disposer leur langue en un
art, depuis qu’ils se sont fixés dans les villes »).
117
Le projet ajoute min sinīhim (« de leur ère »).
118
Le projet a naqalū (« ils ont transféré ») au lieu de ta‘allamū.
119
Le projet a bi- au lieu de li-(ġayrihim).
58 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

Annexe III
Texte arabe et traduction française d’al-NĪSĀBŪRĪ, Ġarā’ib al-Qur’ān, t. I, p. 21.

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( \A "?g& \6?, < r?N \ „ MOV ”OE MO?V¯  sH  `Ae MH | 
."JVH? C( 7e ²( L ± >g&
CHAPITRE III 59

Selon la plupart des savants, il s’agit [i.e. les sept ’aḥruf] de sept manières
de parler des Qurayš, qui ne discordent pas ni ne s’opposent, mais s’accordent sur
le plan du sens. Il est impossible, selon eux, qu’il y ait dans le Coran une manière
de parler que ne connaissent pas les Qurayš du fait qu’Allah – le Très-Haut – a dit
« nous n’avons envoyé d’envoyé que dans la langue de son peuple pour leur rendre
[les choses] distinctes ». C’est que les Qurayš sont les voisins [protégés] du sanc-
tuaire. Les différentes tribus arabes venaient chez eux pour le pèlerinage. Ils enten-
daient leurs manières de parler et choisissaient ce qu’il y a de meilleur dans cha-
cune. Ainsi leur parler est-il devenu pur et s’est-il ajoutée, pour eux, avec cela, la
connaissance de la manière de parler des autres. Et ce qui montre que les sept arti-
culations sont sept manières de parler s’accordant sémantiquement, c’est, à ce que
rapporte Ibn Sīrīn120, ce qu’a dit Ibn Mas‘ūd121 : « Récitez le Coran selon sept arti-
culations, car c’est comme, pour quelqu’un, dire halumma, ta‘āl, ’aqbil122 ». On a
dit : il s’agit de sept tribus arabes : Qurayš, Qays, Tamīm, Huḏayl, Asad, Ḫuzā‘a et
Kināna, du fait de leur voisinage avec les Qurayš. On a dit : il s’agit de sept, quelles
qu’elles soient, des manières de parler des Arabes, divergentes sur le plan de l’ex-
pression, mais convergentes sur celui du sens, du fait que le Prophète – Allah étende
ses bénédictions et sa protection sur lui ! – a dit : « il m’est possible de faire réciter
chaque peuple dans sa manière de parler ».

120
Traditionniste mort en 110/728.
121
‘Abdallāh b. Mas‘ūd, appelé aussi Ibn Umm ‘Abd, compagnon du Prophète, auquel est attribué
une recension du Coran, m. 32/652 ou 33/653, cf. EI2.
122
Les trois expressions sont synonymes et ont le sens de « Viens ! ».
Chapitre IV

AL-ZAǦǦĀǦĪ (1)

LES ORIGINES DE LA GRAMMAIRE ARABE, SELON LA TRADITION

DESCRIPTION, INTERPRÉTATION, DISCUSSION*

1. Introduction

Le texte, bien connu, que nous citons et traduisons en annexe, est extrait du
Kitāb al-Īḍāḥ fī ‘ilal al-naḥw d’al-Zaǧǧāǧī.
Al-Zaǧǧāǧī « le Zaǧǧāǧien » est le surnom sous lequel est connu Abū al-
Qāsim ‘Abd al-Raḥmān b. Isḥāq. Ce grammairien d’origine iranienne du IVe/Xe
siècle doit son surnom au fait qu’il étudia à Bagdad auprès du grammairien Ibrāhīm
b. al-Sarī al-Zaǧǧāǧ (m. 311/923-924). Il s’installa ensuite en Syrie, à Alep, puis à
Damas, avant de se rendre en Palestine, à Tibériade, où il mourut en 337/948 [ou
339-340/949-950].
On connaît un peu moins d’une vingtaine d’ouvrages d’al-Zaǧǧāǧī. Une di-
zaine environ ont été publiés. Parmi ceux-ci, deux se distinguent :
- le Kitāb al-Ǧumal, qui est un ouvrage de grammaire devant son nom au
fait, non qu’il traite de phrases, mais qu’il est constitué de « notes de synthèse »
(ǧumal) sur les différents chapitres de la grammaire. Il a été publié en 1926 à Alger
par Mohammed Ben Cheneb (1869-1929) et republié à Paris en 1957 ;
- le Kitāb al-Īdāḥ fī ‘ilal al-naḥw, qui n’est pas un ouvrage de grammaire,
mais sur la grammaire. Il a été publié par Māzin Mubārak au Caire en 1959, puis
republié à Beyrouth en 1973 et 1979.
Vers la fin des années 1960 et le début des années 1970, il y eut, avec l’ex-
plosion de la linguistique, celle d’une sous-discipline : l’histoire de la linguistique.
Le mouvement atteignit même les arabisants. De par sa nature même, le Īḍāḥ d’al-
Zaǧǧāǧī attira l’attention, en particulier celle de Kees Versteegh, qui le traduisit

*
Paru sous le titre « Les origines de la grammaire arabe, selon la tradition : description, interpré-
tation, discussion », in E. DITTERS & H. MOTZKI (éd.), Approaches to Arabic Linguistics, Pre-
sented to Kees Versteegh on the Occasion of his Sixtieth Birthday (Studies in Semitic Languages
and Linguistics 49), p. 113-134, Leiden, ©Brill, 2007. C’était la version écrite de la leçon So-
crates faite au séminaire du Pr. Dr. Andreas Kaplony, à l’Orientalisches Seminar de l’Université
de Zürich, le mardi 19 avril 2005. Que les collègues et étudiants de l’Orientalisches Seminar
soient remerciés pour leurs remarques et questions, dont a bénéficié la version finale.
62 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

dans le cadre de son MA (1971), et l’utilisa abondamment dans sa thèse Greek Ele-
ments in Arabic Linguistic Thinking (1977).
Néanmoins, c’est seulement en 1995 que Versteegh publia cette traduction,
sous le titre de The Explanation of Linguistic Causes. Az-Zaǧǧāǧī’s Theory of
Grammar.
L’ouvrage est typique du IVe/Xe siècle, en ce que s’y révèle partout l’in-
fluence de la falsafa (ou philosophie hellénisante), à commencer sur la forme même
de l’ouvrage : celle, dialectique, héritée de l’Antiquité grecque, par question et ré-
ponse.
Notre texte constitue le chapitre XIV (p. 89-90) de l’ouvrage. Il répond à la
question de savoir pourquoi la grammaire a été nommée naḥw en arabe. Notons que
c’est le même mot de ‘illa, pluriel ‘ilal, qui apparaît dans le titre du chapitre et dans
le titre de l’ouvrage. En revanche, dans la formulation de la question, au début du
chapitre, apparaît celui de sabab. Cela peut amener à penser que les deux termes
sont synonymes. Et c’est sûrement ce qui détermine Versteegh à traduire ‘ilal par
causes dans le titre de l’ouvrage et ‘illa et sabab dans le texte du chapitre par le
même mot de reason. Il existe cependant entre sabab et ‘illa la même différence
qu’en français entre cause et justification. La cause est objective et relève de l’ordre
logique : A parce que B. La justification en revanche est intersubjective et relève
de l’ordre dialectique : A car/puisque B. N’oublions jamais que le rapport des
autres disciplines à la falsafa est dialectique : par les questions qu’elle pose, la fal-
safa les oblige à répondre, en se justifiant.
Ce texte est capital, non seulement pour l’histoire de la grammaire arabe,
mais encore celle de la langue arabe. Telle qu’elle a été comprise par la tradition
arabe, la première tire en effet son origine de la « corruption » (fasād) de la seconde.

2. Description

Le texte nous dit où, quand et comment ce processus a lieu et il nous dit
aussi en quoi il consiste.
Où : à Basra, c’est-à-dire dans une des villes nouvelles créées à la suite de
la conquête islamique, ce qui répond en même temps à la question du quand : Basra
a été fondée en 16/637.
Comment : par un double processus de sédentarisation des Bédouins et de
mélange des populations arabes avec des populations non arabes. Apparaissent dans
le texte quelques termes fondamentaux. D’abord celui de ‘Arab, dans l’expression
’abnā’ al-‘Arab (littéralement « fils, enfants des Arabes »), opposé tout à la fois à
al-ḥāḍira et ’abnā’ al-‘Aǧam (littéralement « fils, enfants des non-Arabes »). Cela
veut dire que ‘Arab ne s’oppose pas seulement ici à ‘Aǧam comme Arabes à non-
Arabes (et, plus particulièrement, dans le contexte local, à Persans), mais encore
comme Bédouins à sédentaires. Au témoignage même d’IBN MANẒUR (m.
711/1311), Lisān al-‘Arab, art. ḤḌR, t. I, p. 658, « al-ḥaḍar, al-ḥaḍra et al-ḥāḍira
sont le contraire de al-bādiya et il s’agit des villes, des villages et de la campagne »
(al-ḥaḍar wa-l-ḥaḍra wa-l-ḥāḍira ḫilāf al-bādiya wa-hiya al-mudun wa-l-qurā wa-
CHAPITRE IV 63

l-rīf). Al-ḥāḍira désigne donc bien le pays sédentaire par opposition à al-bādiya ou
pays bédouin.
Voilà pour la sédentarisation. Venons-en maintenant au mélange des popu-
lations. Celui-ci n’est pas évoqué explicitement à travers le terme habituel de
muḫālaṭa, mais implicitement à travers celui de muwalladūna-īna. On traduit ordi-
nairement par « métis » (< lat. mixticius « mélangé »). On a voulu voir dans muwal-
lad l’étymon de « mulâtre » (KAZIMIRSKI, 1846-1847, art. WLD, t. II, p. 1603), via
l’espagnol mulato, mais ce dernier terme se rapporte peut-être plus simplement au
latin mulus/mula (« mule(t) », cf. en espagnol même, outre mulo/mula « mule(t) »,
muleto/muleta « jeune mule(t) »), à tout le moins a subi une contamination de cette
famille lexicale. Dans la même veine l’article MUWALLAD de EI2 indique qu’il
s’agit d’un « terme appartenant au vocabulaire des éleveurs et désignant le produit
d’un croisement (tawlīd) entre deux races animales différentes, donc un hybridé, un
sang mêlé » et que c’est par analogie que le terme a été étendu aux humains. Mais
l’article ne donne aucune référence pour ce sens, que nous ne trouvons pas, par
exemple, dans IBN MANẒŪR, Lisān al-‘Arab, art. WLD, t. III, p. 980-981. La ques-
tion se pose donc au linguiste de l’articulation de la désignation historique du terme
et de sa signification. Morphologiquement, muwallad est le participe passif du
verbe wallada. Wallada est le factitif du verbe de base, mais il renvoie à l’actif ou
au passif de celui-ci, donc à walada-yalidu ou à wulida-yūladu, selon qu’il est dou-
blement ou simplement transitif. Le verbe de base walada-yalidu, simplement tran-
sitif, signifie « engendrer un enfant » (et plus particulièrement « accoucher d’un
enfant », s’il se dit d’une femme, ou « mettre bas un petit », s’il se dit d’une fe-
melle). Le verbe doublement transitif walladahā -hu signifie « faire en sorte qu’une
femme accouche ou qu’une femelle mette bas », c’est-à-dire l’aider à accoucher ou
à mettre bas. Muwallida est un des noms de la sage-femme (qābila). Le verbe sim-
plement transitif wallada signifie « faire naître quelqu’un » ou « générer quelque
chose ». Dans les deux cas, cependant, muwallad signifie, comme seul objet ou se-
cond des deux objets de wallada, « engendré ». C’est sûrement par l’idée de « mis
au monde » que le terme muwallad a pris, tout à la fois par métaphore et générali-
sation, le sens de « tout ce qui est nouveau, moderne » (al-muḥdaṯ min kull šay’,
IBN MANẒŪR, Lisān al-‘Arab, art. WLD, t. III, p. 981). Il peut se dire, soit de
quelqu’un, soit de quelque chose : il se dit en particulier des « poètes modernes »
(al-muwalladūn min al-šu‘arā’) et des néologismes (summiya al-muwallad min al-
kalām muwalladan ’iḏā istaḥdaṯūhu wa-lam yakun min kalāmihim fīmā maḍā « ce
qu’il y a de muwallad dans le parler a été ainsi appelé, quand on le produit, sans
qu’il ait existé dans le parler auparavant »). Comme tout ce qui est nouveau, le
terme peut s’entendre en mauvaise part comme quelque chose de fabriqué, con-
trouvé, apocryphe. C’est sans doute par une extension de ce dernier sens que très
tôt le terme a pris le sens de « non purement arabe », pouvant se dire, là encore, soit
de quelqu’un soit de quelque chose, cf. IBN MANẒŪR, Lisān al-‘Arab, art. WLD,
t. III, p. 981 : ‘arabiyya muwallada wa-raǧul muwallad ’iḏā kāna ‘arabiyyan ġayr
maḥḍ « de l’arabe ou un homme muwallad(a), s’il n’est pas purement arabe ». His-
toriquement, le terme s’est dit des enfants nés, à la suite des conquêtes islamiques,
64 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

d’unions mixtes, généralement entre des pères arabes et des mères non arabes. Si
donc l’on suit le mouvement sémantique suggéré par Lisān al-‘Arab, le sens de
« métis » n’est pas à mettre au départ, mais au contraire à l’arrivée d’un processus
d’évolution sémantique… Notons que ce dernier sens pourrait aussi s’atteindre par
un simple et banal processus de taḍmīn, consistant à « faire entrer » dans un mot le
sens de toute une collocation, muwallad étant mis pour muwallad min muḫālaṭat
al-‘Arab al-‘Aǧam (« issu/produit du mélange des Arabes et des non-Arabes »)123.
Maintenant, en quoi consiste précisément ce processus de « corruption de la
langue » ? Celui-ci est décrit à travers une anecdote mettant en scène Abū al-Aswad
al-Du’alī et sa fille.
La tradition a vu dans ce personnage du Ier/VIIe siècle le « père » de la gram-
maire arabe. Pourquoi lui plutôt qu’un autre ? D’abord, parce qu’il est d’origine
arabe : sa généalogie complète, telle que donnée par AL-ZUBAYDĪ (m. 379/989-
990), Ṭabaqāt, p. 21, le rattache aux Kināna, tribu de la région de La Mecque. Il
serait né vers 606 de notre ère et aurait séjourné chez les Qušayr d’Arabie centrale
(nous verrons ultérieurement l’importance de ces notations). Ensuite, rallié à ‘Alī,
il est nommé par ce dernier cadi puis gouverneur de Basra, en 36/656, mais la dis-
parition de ‘Alī en 41/661 ne l’empêche pas, comme le montre notre texte (et
d’autres sources) d’entretenir des relations avec le gouverneur omeyyade Ziyād b.
Abīhi (m. 53/673). Il serait mort vers 69/688. Enfin, il était également poète. Le
personnage est donc le prototype de l’Arabe sédentarisé, que son origine et son
parcours désignent comme un maître et un gardien de la langue. Il est de Basra,
dont la tradition ultérieure fera le siège de l’école dominante de la grammaire arabe,
et voir dans un Basrien le père de la grammaire arabe n’est rien d’autre qu’une
manière de signaler l’ancienneté du travail grammatical dans cette ville et surtout
son antériorité par rapport à l’école rivale de Koufa. ll est consensuel socialement
et politiquement : nomades et sédentaires, partisans de ‘Alī comme des Omeyyades
peuvent s’en réclamer.
Venons-en maintenant à l’anecdote elle-même. La fille dit à son père mā
’ašaddu l-ḥarri. Celui-ci interprète le propos comme une question sur la chaleur la
plus intense (« Quelle est la chaleur la plus intense ? ») et répond, par suite, al-
ramḍa’u fī l-hāǧira, c’est-à-dire « la canicule en plein midi ». Mais la fille rejette
cette interprétation lam ’as’alka ‘an hāḏā « je ne t’ai pas demandé cela », ajoutant
« je me suis étonnée de l’intensité de la chaleur » (’innamā ta‘aǧǧabtu min šiddati
l-ḥarri). « Alors dis, rétorque son père, mā ’ašadda l-ḥarra (« Quelle chaleur in-
tense ! ») ».
Autrement dit le père reproche à sa fille d’avoir confondu les structures in-
terrogative (istifhām) et exclamative (ta‘aǧǧub) et d’avoir employé l’une pour
l’autre. C’est cela un laḥn, autre terme fondamental apparaissant dans le texte : non

123
C’est un processus fondamental, tant dans le lexique de l’arabe classique (e.g. ǧihād « guerre
sainte » mis pour ǧihād fī sabīli llāh « combat pour Allah », siyāsa « politique », mis pour siyāsa
madaniyya (« gouvernement de la cité ») que dans celui de l’arabe moderne (ṭālib « étudiant »
mis pour ṭālib al-‘ilm « celui qui cherche le savoir », ’amīn « secrétaire » mis pour ’amīn al-sirr
« dépositaire du secret »).
CHAPITRE IV 65

pas une faute de langage en général, mais une faute contre la flexion désinentielle,
casuelle et modale, en particulier. C’est cette flexion qu’on appelle en arabe même
’i‘rāb. Une telle faute serait d’autant plus grave qu’elle créerait un quiproquo.
De cette anecdote, il existe plusieurs versions (comme le reconnaît le texte
lui-même) : VERSTEEGH (1997b, p. 58)124 cite la version donnée par al-Sīrāfī
(m. 368/979), dans son Aḫbār (éd. Krenkow, p. 19) avec les exemples de mā
’aḥsanu l-samā’i « What is the most beautiful thing in the sky ? » / mā ’aḥsana l-
samā’a « How beautiful is the sky ! ».
À travers cette anecdote, il s’agit en fait de mettre au centre de la ‘arabiyya
ou « langue des Arabes » le ’i‘rāb (mot étymologiquement lié à ‘Arab) et de sug-
gérer que ce ’i‘rāb est pertinent, en ce qu’il distingue des significations (muwaḍḍiḥ,
mubayyin, mufarriq, munabbi’… li-ma‘ānī al-luġa), pour citer ici quelques-uns des
mots que l’on relève dans les sources.
Et c’est l’aggravation de la situation qui amène à la constitution de la gram-
maire, son nom arabe de naḥw étant justifié par le fait que le grammairien se fait
l’indicateur de la « voie à suivre » (’unḥū hāḏā al-naḥw). Naḥw est en effet le
maṣdar du verbe naḥā-yanḥū, qu’on emploie toujours comme circonstanciatif, figé
à l’accusatif (naḥwa), de sens « vers ».
Peu importe si cette étymologie est fantaisiste ou non. Ce qui nous intéresse
ici, ce sont les différentes interprétations qu’un linguiste est susceptible de faire de
ce texte pour l’histoire de la langue.

3. Interprétation

3.1. De l’histoire…

Au XIXe siècle, la linguistique, née au tournant du XVIIIe et du XIXe, sous


forme de la grammaire comparée (des langues indo-européennes), devient histo-
rique. On ne cherche plus seulement à reconstruire en amont des protolangues (Ur-
sprache). Plus modestement, on cherche à retracer en aval l’évolution des langues
existantes.
La linguistique historique est une spécialité essentiellement allemande. On
ne s’étonnera donc pas que ce soient les arabisants allemands qui, les premiers, se
sont intéressés à l’histoire de l’arabe. Ils réinterpréteront le fasād al-luġa de la tra-
dition arabe, caractérisée par les laḥn ou fautes de ’i‘rāb, comme le signe d’une
évolution d’un type ancien arabe (en allemand Altarabisch et en anglais Old Arabic)
vers un type néo-arabe (en allemand Neuarabisch et en anglais New ou Neo-Ara-
bic). Le type ancien arabe est évidemment caractérisé par l’existence d’une flexion
désinentielle, casuelle et modale, le type néo-arabe par la disparition de cette
flexion. Le type ancien arabe est donc plus synthétique et le type néo-arabe plus
analytique. Corollairement, dans le type ancien arabe, l’ordre des mots est plus
libre, mais, dans le type néo-arabe, moins libre. Quand le type ancien arabe com-
mence à se dégrader en type néo-arabe, nous entrons dans le moyen arabe (en

124
Non repris dans VERSTEEGH, 2014.
66 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

allemand Mittelarabisch et en anglais Middle Arabic). C’est Heinrich Leberecht


Fleischer (1801-1888) qui projettera, implicitement dans un article de 1847, expli-
citement dans un article de 1854, sur l’arabe cette tripartition célèbre en linguistique
historique. Voici ce qu’écrit FLEISCHER, 1854, p. 2-3 :

Als heilige Sprache des Islam, Organ der Gelehrsamkeit und höhern Wissen-
schaftlichkeit, Mittelpunkt oder vielmehr ausschliesslicher Gegenstand aller Schulphi-
lologie, steht das Altarabische seinem Abkömmling, dem Neuarabischen, in der An-
schauung des Morgenlandes selbst schroff gegenüber. Nur jenes heisst bei den Ge-
lehrten al-lughah, die Sprache, al-‘arabiyyah, das Arabische schlechthin, dieses al-lisān
al-‘āmm oder al-‘āmmī, die gemeine Mundart, la lingua volgare.

Il est clair, d’après la description même qu’en donne Fleischer, que l’ancien
arabe est l’arabe classique et le néo-arabe l’arabe dialectal et non moins clair que si
les deux variétés coexistent en synchronie, l’arabe dialectal est explicitement com-
pris comme étant historiquement le « descendant » (Abkömmling) de l’arabe clas-
sique.
Un peu plus loin (p. 4), il mentionne le moyen arabe. Il l’avait déjà exacte-
ment décrit (du point de vue de la linguistique historique) en 1847, à propos de la
langue d’un codex gréco-arabe, qu’il compare à celle des Mille et une nuits, aux-
quelles il avait consacré sa dissertatio en 1836 : « Wie in der Tausend und Einen
Nachten sind auch hier einzelne jener ältern Formen mit der neuern gleichsam noch
im Kampfe begriffen ; willkürlich tritt bald die eine, bald die andere ein »
(FLEISCHER, 1847, p. 155). L’état moyen d’une langue se caractérise en effet par
l’alternance, en synchronie, d’éléments interprétables, en diachronie, comme rele-
vant encore de l’état ancien (älter) ou déjà de l’état moderne (neuer).
Un de ses élèves, Ignaz Goldziher (1850-1921), dans un écrit de jeunesse
rédigé en hongrois et aujourd’hui traduit en anglais, compare explicitement la rela-
tion entre ancien arabe et néo-arabe à celle du latin et des langues romanes, appelées
jadis néo-latines (GOLDZIHER, 1994 [1878], p. 20) :

As French abandoned the case inflection of Latin and developed the Roman
synthesis into analysis, making de l’homme from hominis, so did the living Arabic of
today dissolve the old raǧulin into metā‘ r-raǧul ; as latin scrip-si developed into
French j’ai écrit (…), so was Old Arab[ic] aktubu turned into biddi aktub or bi-aktub.

Cette conception « allemande » de l’histoire de l’arabe se retrouve au


XXe siècle, en particulier chez Johann Fück (1894-1974) dans son grand ouvrage
‘Arabīya (FÜCK, 1955 [1950]), et, aujourd’hui encore, chez Joshua Blau, le grand
maître du moyen arabe (e.g. BLAU, 2002, p. 16).
Objectivement, cette conception rejoint celle que s’en faisait au
VIIIe/XIVe siècle Ibn Ḫaldūn (m. 808/1406) et qu’il expose à deux reprises dans la
Muqaddima : une première fois dans la section 22 (p. 675-677), intitulée fī luġāt
’ahl al-’amṣār (« Des parlers des habitants des villes »), du chapitre IV, consacré
aux « villes et pays », et une seconde aux chapitres 47 et 48 (p. 1073-1080), consa-
crés respectivement aux parlers nomades et aux parlers sédentaires de son temps,
CHAPITRE IV 67

du chapitre VI, lui-même consacré aux « sciences ». Pour Ibn Ḫaldūn, ce qu’il ap-
pelle « langue de Muḍar » (luġat Muḍar, al-lisān al-muḍarī) est la « langue pre-
mière » (al-lisān al-’awwal) et « originelle » (al-lisān al-’aṣlī) de l’Arabie et la
langue du Coran et du ḥadīṯ. Cette langue est parlée de manière d’autant plus châtiée
(faṣāḥa) que ceux qui la parlent sont plus éloignés des autres nations, « la manière
de parler des Qurayš étant pour cette raison la plus châtiée et la plus pure des ma-
nières de parler arabes » (wa-li-hāḏā kānat luġat Qurayš ’afṣaḥ al-luġāt125 al-‘ara-
biyya wa-’aṣraḥahā) : si l’on retraduit en termes géographiques la généalogie, l’ap-
pellation « langue de Muḍar » revient à désigner le centre et l’ouest de l’Arabie
comme le domaine de l’arabe faṣīḥ. Ibn Ḫaldūn fait ici la synthèse de deux thèses,
sur lesquelles nous reviendrons ci-dessous : d’une part la thèse philologique (qui
voit ce domaine comme constitué de deux sous-domaines dits Hedjaz et Tamīm)126,
et d’autre part la thèse théologique (qui identifie, sur la base de Cor. 14, 4, la langue
du Coran à la luġat Qurayš et, sur une base dogmatique, la luġat Qurayš à la luġa
al-fuṣḥā), tout en les croisant avec une thèse philosophique, issue du Kitāb al-ḥurūf
d’al-Fārābī (m. 339/950)127, et qui est le corollaire de la thèse liant « corruption »
et « mélange ». À l’inverse, cette langue est déjà corrompue dès l’époque préisla-
mique, là où les Arabes sont en contact avec d’autres nations, et se corrompt encore
davantage après la conquête islamique et les nouvelles fondations urbaines, et donc
en milieu sédentaire plus encore que nomade, jusqu’à donner naissance à de nou-
velles langues. L’originalité d’Ibn Ḫaldūn est en effet de ne pas considérer les dia-
lectes comme de simples formes dégradées de la « langue de Muḍar », mais comme
des variétés autonomes par rapport à celle-ci et distinctes d’elle, en ce qu’elles ont
substitué à la syntaxe basée sur la flexion désinentielle une syntaxe de position (al-
taqdīm wa-l-ta’rīḫ)128.

3.2. … à la sociolinguistique

En citant l’expression italienne de lingua volgare, certes attirée par celle


d’al-lisān al-‘āmm(ī)129, Fleischer montre qu’il n’a pas seulement en tête la linguis-
tique historique, mais aussi le modèle italien. Or, dans ce modèle, la « langue vul-
gaire » n’est évidemment pas désignée en termes diachroniques, c’est-à-dire

125
C’est cette expression qui donne, par réécriture, celle d’al-luġa al-fuṣḥā.
126
Sur cette subdivision, cf. RABIN, 1951. On comprend pourquoi Abū al-Aswad al-Du’alī, natif
du Hedjaz, est dit avoir fait un détour par l’Arabie centrale…
127
Du moins la version de ce texte connue par AL-SUYŪṬĪ (m. 911/1505), Muzhir, t. I, p. 211-212
ou, mieux, Iqtirāḥ, p. 20, non celle publiée par Mahdi en 1969. Sur les deux versions de ce texte,
cf. LANGHADE, 1994, p. 248-258, et LARCHER, 2006a, repris, ici même, ch. III.
128
Sur Ibn Ḫaldūn et l’histoire de l’arabe, cf. VERSTEEGH, 1997a, p. 153-165, et LARCHER, 2006b.
129
Fleischer ne donne aucune référence pour ces deux expressions. C’est dommage, car si, à
l’époque où il écrit (milieu du XIXe siècle), l’expression al-‘arabiyya est, comme il le note, cou-
ramment utilisée, par une métonymie significative, pour désigner l’arabe classique, c’est l’ex-
pression d’al-luġa al-dāriǧa qui est utilisée pour désigner l’arabe dialectal. L’expression d’al-
luġa al-‘āmmiyya (vs al-luġa al-fuṣḥā) n’apparaîtra que vers la fin du XIXe siècle, du moins
comme nom de cette variété, mais dès le Moyen Âge, on la rencontre pour désigner un « vulga-
risme » au sein de la langue.
68 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

historiques, comme « descendant » du latin ; elle l’est au contraire, en termes syn-


chroniques et sociolinguistiques, comme langue du vulgum pecus, par opposition
au latin « langue des clercs »130. Mais, là encore, cette conception, qui, pour l’arabe,
sera baptisée ultérieurement par les arabisants diglossie131, rejoint objectivement
celle que se font les auteurs de langue arabe, à commencer d’ailleurs par al-Zaǧǧāǧī
lui-même. Au chapitre XVII, intitulé bāb ḏikr al-fā’ida fī ta‘allum al-naḥw132, il
demande (AL-ZAǦǦĀǦĪ, Īḍāḥ, p. 95) :
à quoi sert d’apprendre la grammaire, la plupart des gens parlant naturelle-
ment133 sans flexion désinentielle, qu’ils ne connaissent pas, tout en comprenant les
autres et en [se] faisant comprendre d’eux (fa-mā al-fā’ida fī ta‘allum al-naḥw wa-
’akṯar al-nās yatakallamūna ‘alā saǧiyyatihim bi-ġayr ’i‘rāb wa-lā ma‘rifa minhum
bihi fa-yafhamūna wa-yufhimūna ġayrahum miṯl ḏālika).

Il revient sur ce point à la fin du chapitre (p. 96) :

Quant aux gens du commun qui parlent l’arabe sans flexion désinentielle, on les
comprend. Mais cela est seulement possible pour ce qui est bien connu et d’usage cou-
rant, ce dont on a une connaissance familière et est usité. Mais si, d’aventure, l’un d’eux
se risquait à éclaicir une ambiguïté, sans le faire comprendre au moyen de la flexion
désinentielle, il ne le pourrait pas (fa-’ammā man takallama min al-‘āmma bi-l-‘ara-
biyya bi-ġayr ’i‘rāb fa-yufhamu ‘anhu fa-’innamā ḏālika fī al-muta‘āraf al-mašhūr
wa-l-musta‘mal al-ma’lūf bi-l-dirāya wa-law iltaǧa’a ’aḥaduhum ’ilā al-’īḍāḥ ‘an
ma‘nā multabis min ġayr fahmihi bi-l-’i‘rāb lam yumkinhu ḏālika).

Alors que le chapitre XIV concerne le Ier/VIIIe siècle, le chapitre XVII con-
cerne l’époque d’al-Zaǧǧāǧī lui-même, c’est-à-dire le IVe/Xe siècle. La situation dé-
crite dans ce chapitre semble pouvoir être interprétée comme l’aboutissement du
processus décrit au chapitre XIV. Au Ier/VIIIe siècle le type ancien arabe commence
à se dégrader en type néo-arabe. Trois siècles plus tard, cette dégradation a abouti,
non à une substitution d’un type à l’autre, mais, le type ancien arabe subsistant, à
une coexistence des deux, chaque type étant caractérisé non seulement

130
La comparaison avec la situation italienne ne peut d’ailleurs être poussée trop loin sans aporie.
Le domaine arabe n’a pas connu la révolution qu’a connue le domaine roman (et, mutatis mu-
tandis, l’Europe entière), à savoir la promotion des langues « vulgaires » au rang de langues
littéraires, ce qui fera du latin (et seulement pour un temps, plus ou moins long selon les pays)
le véhicule de la seule culture savante. Ainsi, après Il cantico delle creature (1226) de Saint
François d’Assise (1182-1226), Dante Alighieri (1265-1321), logiquement, écrit La Divine Co-
médie en langue vulgaire, mais traite de celle-ci en latin (De vulgari eloquentia).
131
Ce terme, venu de la linguistique néo-hellénique (1885), a été explicitement introduit en lin-
guistique arabe par William Marçais (1874-1956), dans un article de 1930 (MARÇAIS, 1930)
avant que le concept ne soit théorisé, à partir de l’arabe et d’autres langues, par Charles A.
Ferguson (1921-1998), dans un article de 1959 (FERGUSON, 1959a). Pour le détail, cf. LARCHER,
2003a.
132
[Sur ce chapitre, cf. LARCHER, 2018a, repris ici même ch. VI.]
133
BLANC, 1979, p. 165, n. 20, traduit par « spontaneously » et VERSTEEGH, 1995, par « intuiti-
vely ».
CHAPITRE IV 69

linguistiquement par la présence/absence du ’i‘rāb, mais encore socialement et cul-


turellement : dire que le type non fléchi est l’expression « naturelle » de « la plupart
des gens » revient à dire que le type fléchi est celle non seulement d’une minorité,
mais encore l’expression artificielle de cette minorité (artificielle, puisque scolaire-
ment apprise et non naturellement acquise et pratiquée !). Qualifier explicitement
la majorité de ‘āmma revient non seulement à qualifier implicitement la minorité
de ḫāṣṣa, mais encore semble préfigurer l’appellation d’al-luġa al-‘āmmiyya, au-
jourd’hui utilisée pour désigner l’arabe dialectal. Enfin reconnaître par deux fois
que l’absence de flexion désinentielle ne nuit en rien à la communication explique
que, pour sauver cette flexion (son gagne-pain !), le grammairien distingue entre
communication quotidienne et communication savante et cherche, voire fabrique,
des structures ambiguës, que seule la flexion, censément pertinente, est à même de
désambiguïser (on voit tout de suite que l’exemple proposé au chapitre XIV relève
exactement de ce cas de figure et, comme tout arabisant en a fait l’expérience, ce
petit jeu perdure, jusqu’à aujourd’hui, dans certains milieux « puristes » !).
La vérité oblige cependant à dire qu’il subsiste un doute sur cette interpré-
tation. On doit se rappeler ce que dit AL-ǦĀḤIẒ (m. 255/869), Bayān, t. I, p. 137. Il
n’oppose nullement ‘āmma à ḫāṣṣa comme la masse illettrée à l’élite lettrée, mais
seulement, parmi les gens lettrés, les gens ordinaires aux happy few. C’est exacte-
ment le sens que les spécialistes donnent à ‘āmma dans la littérature spécialisée des
ouvrages de laḥn al-‘āmma134. Il n’y a rien là que de logique : laḥn présuppose
’i‘rāb ; par suite, s’il n’y a pas ’i‘rāb, il n’y a pas laḥn ! Si l’on projette le sens
« ǧāḥiẓien » de ‘āmma sur le texte d’al-Zaǧǧāǧī, il ne s’agirait plus alors de deux
variétés d’arabe, mais seulement de deux registres d’une même variété : l’un « sou-
tenu » (avec réalisation du ’i‘rāb) et l’autre « relâché » (sans réalisation de ce
’i‘rāb). Jusqu’à aujourd’hui l’école enseigne le ’i‘rāb qui « terrorise » (’irhāb) les
apprenants, parce que sa réalisation est source de laḥn, d’où le sage conseil iǧzim
taslam « Supprime la voyelle brève finale, tu seras préservé de l’erreur ! ». Un seul
élément du texte d’al-Zaǧǧāǧī peut faire pencher la balance en faveur de la première
interprétation, plutôt que de la seconde : c’est la notation que les locuteurs de
l’arabe sans flexion désinentielle « n’ont pas connaissance de celle-ci ». La ‘āmma,
au sens d’al-Ǧāḥiẓ, ne l’ignore pas ; elle en a seulement une connaissance impar-
faite135…

134
On lira avec profit l’article Laḥn al-‘āmma, de EI2, dû à Charles Pellat (1914-1992).
135
[Cf., ici même, ch. VI]. On notera que dans l’unique manuscrit, daté de 617H, qui sert de base
à l’édition du Īḍāḥ, il y a dans l’avant-dernier paragraphe de ce chapitre XVII, une magnifique
faute de ’i‘rāb : lan yumkin ’aḥad [corrigé par l’éditeur en ’aḥadan] min al-muwalladīn ’iqāmat-
hu ’illā bi-ma‘rifat al-naḥw (« Nul, parmi les muwalladīn, ne pourrait l’établir (la poésie), sauf
par la connaissance de la grammaire »). L’absence du ’alif révèle au minimum qu’il n’est pas
prononcé, voire suggère que ’aḥad a été traité comme le sujet de yumkin et par suite ’iqāma
comme l’objet, ce que peut également suggérer le masculin yumkin.
70 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

4. Discussion

On le voit : tout tourne autour du ’i‘rāb, tant dans le texte d’al-Zaǧǧāǧī que
dans l’interprétation, tout à la fois historique et sociolinguistique, qui en est faite.
Pourtant, dès avant le XIXe siècle et l’essor de la linguistique historique, une tout
autre tendance était apparue chez certains arabisants. Dès le XVIIIe siècle, des arabi-
sants, également allemands d’ailleurs, comme Johann Davis Michaelis (1717-1791)
et Johann Gottfried Hasse (1759-1806), avaient développé ce que GRUNTFEST,
1991, qui l’a étudiée, appelle « An Early Theory of Redundancy of Arabic Case
Endings ». Notons qu’ils réinterprétaient des idées déjà exprimées, au XVIIe siècle,
par l’Italien Antonius ab Aquila (Antonio dell’Aquila), Franciscain envoyé en mis-
sion auprès des Chrétiens d’Alep et auteur de la première grammaire de la « langue
(arabe) vulgaire » (1650)136. Notons également que tous les arabisants du temps
savaient le latin et le grec : quand on a souffert dans sa jeunesse sur une version
grecque ou latine, on voit tout de suite la différence entre grec et latin classiques et
arabe classique. En grec et en latin, c’est la déclinaison qui permet de construire la
phrase ; en arabe, c’est la construction de la phrase qui permet de restituer la décli-
naison… Les grammairiens arabes le reconnaissent eux-mêmes implicitement, en
couplant, dans leur théorie, le ’i‘rāb au ‘amal : le ’i‘rāb est l’effet de l’« action »
d’un élément dit ‘āmil sur un autre dit ma‘mūl, ainsi lan, dit nāṣib, qui détermine le
naṣb (subjonctif) du muḍāri‘ (inaccompli) dit manṣūb. Par ailleurs, le fait même
que les grammairiens arabes cherchent des cas où cette flexion serait pertinente
suffit à prouver qu’elle ne l’est pas ! On voit tout de suite le caractère artificiel de
l’exemple proposé par al-Zaǧǧāǧī. Dans beaucoup de langues, structures interroga-
tives et exclamatives sont confondues, étant distinguées par l’intonation, ainsi en
français ou en allemand Quel artiste/Welche Künstler ? vs Quel artiste/Welche
Künstler !137.
Les exemples donnés de l’« aggravation de la situation », qui font défaut
chez al-Zaǧǧāǧī lui-même, mais qu’on trouve chez d’autres auteurs, ne sont guère
plus convaincants. Ainsi le fameux tuwuffiya ’abānā wa-taraka banūna (« notre
père est mort et a laissé des fils ») est si peu probant pour un fasād al-luġa interprété
en termes historiques que VERSTEEGH, 1997b, p. 51 et 2014, p. 57, qui le cite
d’après le Nuzha d’Ibn al-Anbārī (m. 577/1181), l’interprète en termes sociolin-
guistiques (alors même que l’anecdote concerne le temps de Ziyād, donc le
Ier/VIIIe siècle). En termes historiques, on se serait en effet attendu à l’emploi des
formes néo-arabes ’abū et banīn (respectivement nominatif de la flexion triptote

136
Cf. FÜCK, 1955 [1950], p. 78. Fück considère que la Fabrica overo Dittioniario della lingua
volgare arabica et italiana (1636) de Dominicus Germanus de Silesia (1588-1670) n’est pas,
malgré son titre, un dictionnaire, mais une introduction, presque sans valeur, à l’arabe vulgaire.
En tout cas, on voit que ce sont des clercs, Italiens ou liés à l’Italie, qui, sous l’appellation, valant
signature, de « langue vulgaire », sont les « inventeurs » de l’arabe dialectal. Cette double qua-
lité, jointe au fait qu’ils étaient des hommes de terrain et non de cabinet, les y prédisposait.
137
Ce dernier exemple est donné par le Dictionnaire général français-allemand/allemand français
de Pierre GRAPPIN et al. (Larousse, 1994), qui donne aussi en ce sens la structure, syntaxique-
ment contrastive, de Welch ein Künstler !.
CHAPITRE IV 71

’abū/ā/ī et cas régime de la flexion diptote banū/ī(na) du type ancien arabe), de


sorte qu’avec la phrase donnée en exemple, il n’y aurait pas eu de « faute » ! En
termes sociolinguistiques, en revanche, la coexistence de deux types dont l’un a
plus de prestige que l’autre peut amener le locuteur, dans une circonstance formelle,
à substituer à l’unique forme du type néo-arabe, qu’il emploie ordinairement, mais
pense fautive, l’autre forme du type ancien arabe, qu’il n’emploie pas et pense cor-
recte : pour éviter une faute, il en commet une autre !
Certes, ces arabisants voyaient dans les désinences casuelles une invention
des grammairiens arabes, position encore défendue au XIXe siècle par Aloïs Spren-
ger (1813-1893). Si personne aujourd’hui ne croit plus cela, en revanche la redon-
dance de la flexion en arabe classique amène beaucoup d’arabisants à douter que
l’histoire de l’arabe consiste en une évolution du type ancien arabe vers le type néo-
arabe, caractérisés respectivement par la présence et l’absence de cette flexion.
Deux positions se sont fait jour. L’une est très répandue chez les arabisants.
L’akkadien possédant une flexion casuelle triptote et d’autres langues sémitiques
exhibant des restes de flexion casuelle, les arabisants admettent que la flexion ca-
suelle de l’arabe classique est un trait de haute antiquité, qui s’est maintenu dans le
seul registre poétique de la langue. Sous l’influence de la représentation diglossique
de l’arabe, rétroprojetée sur l’histoire de la langue, ce registre poétique est souvent
vu comme une langue commune (koinè), véhiculaire, opposé aux vernaculaires que
sont les anciens dialectes arabes. Cette koinè serait également la langue du Coran,
à quelques « hedjazismes » près. Malgré les apparences, cette hypothèse arabisante
n’est pas si différente de la thèse théologique ! Celle-ci, on l’a vu, se résume en une
double identification : l’une, opérée sur une base scripturaire, de la langue du Coran
avec la « langue de Qurayš » et l’autre, opérée sur une base purement dogmatique,
de la langue de Qurayš avec al-luġa al-fuṣḥā. Il y a un siècle, VOLLERS, 1906
[1981], acceptait la première identification, mais refusait la seconde. Il supposait en
effet que le Coran avait d’abord été énoncé et écrit dans le vernaculaire de La
Mecque, parler ouest-arabique dépourvu de ’i‘rāb, avant d’être réécrit dans la
langue véhiculaire de la poésie, parler est-arabique pourvu de ce ’i‘rāb. KAHLE,
1959 [1947], reprit cette hypothèse en l’atténuant : si le ductus coranique (rasm)
reflète le vernaculaire de La Mecque, les qirā’āt, elles, reflètent la langue véhicu-
laire de la poésie. La plupart des arabisants (cf. BLACHÈRE, 1952, p. 66-82) refusent
la première identification et, par suite, la seconde, mais acceptent la troisième, dé-
coulant de la suppression du moyen terme, i.e. langue du Coran = al-luġa al-fuṣḥā.
Or, si l’on relit le célèbre texte d’IBN FĀRIS (m. 395/1004), Ṣāḥibī, p. 52-53, dont
la source n’est autre que celui attribué à al-Farrā’ (m. 207/822) et jadis exhumé par
KAHLE, 1959 [1947], on s’aperçoit que pour concilier vérité théologique et vérité
philologique (i.e. le fait que la langue du Coran, identifiée à la luġat Qurayš, exhibe
des traits, les fameux « hedjazismes », qui ne sont pas ceux de la luġa al-fuṣḥā) ces
auteurs imaginaient un scénario expliquant comment la luġat Qurayš était devenue
la luġa al-fuṣḥā : comme produit d’un processus de koinéisation justifié par le fait
72 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

que, La Mecque étant un centre de pèlerinage intertribal, les Qurayš avaient ainsi
pu « sélectionner » (taḫayyur) le meilleur de chaque parler arabe138 !
Mais une autre position, originale et marginale, est en train de gagner du
terrain. La poésie archaïque pratique la qāfiya muṭlaqa (« rime absolue »), c’est-à-
dire réalise les voyelles brèves u, a et i, avec ou sans tanwīn, uniformément comme
des voyelles longues ū, ā, ī. C’est dire si le tanwīn ne sert à rien139 ! La récitation
psalmodiée du Coran (taǧwīd) va plus loin : elle pratique généralement la qāfiya
muqayyada (« rime liée »), c’est-à-dire supprime les voyelles brèves u, a et i en
finale. Elle supprime également -un et -in, et réalise -an comme -ā. Cette pronon-
ciation pausale de -an en -ā est la seule trace de flexion casuelle qui apparaisse dans
le maigre matériel épigraphique conservé140 et c’est aussi sa seule manifestation
dans les dialectes modernes (marḥaban ou ’ahlan wa-sahlan prononcés marḥabā
et ’ahlā w-sahlā). Le cas du suffixe relateur -(V)n qu’on trouve dans maint dialecte
ancien et moderne est à disjoindre, dans la mesure où sa fonction (marquer la rela-
tion mawṣūf/ṣifa, celle-ci pouvant être un nom, un syntagme prépositionnel ou une
phrase) ne le relie en rien au tanwīn de l’arabe classique et amène à penser que c’est
la conservation d’un trait archaïque (cf. FERRANDO, 2000).
Qu’on doive supprimer les voyelles brèves en finale (y compris donc les
voyelles flexionnelles) est évidemment un argument en faveur de la non-pertinence
de cette flexion sur le plan syntaxique141. En revanche, qu’en dehors de la pause,
elle soit réalisée, suggère que cette flexion n’est pas syntaxique, mais prosodique.
L’idée était déjà émise au XIXe siècle par Johann Gottfried Wetzstein (1815-1905),
dans un article paru en 1868 (WETZSTEIN, 1868). Les historiens de la grammaire
arabe savent aujourd’hui, grâce à VERSTEEGH, 1981 [1983], qu’il s’est trouvé au
moins un grammairien arabe, Quṭrub (m. 206/821), pour anticiper cette idée. Nous
connaissons sa théorie grâce à AL-ZAǦǦĀǦĪ, Īḍāḥ, ch. VII, p. 69-71, bāb al-qawl fī
al-’i‘rāb limā daḫala fī al-kalām (« pourquoi la flexion s’est-elle introduite dans le
discours ? »), qui explique que pour Quṭrub les voyelles de flexion sont liées à l’en-
chaînement (waṣl) des mots dans la phrase. Des idées, sinon identiques, du moins
comparables sont défendues aujourd’hui par OWENS, 1998.
Un bon argument en faveur de la conception prosodique et non syntaxique
de la flexion peut être trouvé dans le traitement contradictoire de Ṯamūd dans le
Coran. Contradictoire, dans la mesure où il est traité partout comme un diptote sans
tanwīn Ṯamūd-u/a, sauf en 11, 68 ; 25, 38 ; 29, 38 ; 53, 51, où apparaît un ’alif.
Alors que Ḥafṣ (m. 180/796) ‘an (« transmetteur de ») ‘Āṣim (m. fin 127 ou début

138
Sur ces deux textes, cf. LARCHER, 2004 et 2005b et, ici même, ch. I et II.
139
Comme le suggère en outre la réalisation du ā long résultant de la qāfiya muṭlaqa comme …- an
(tanwīn al-tarannum) attribuée aux Tamīm, dans la récitation poétique (’inšād). Dans les deux
cas, on peut donc avoir l’article et voir et/ou entendre ā/an.
140
Un exemple dans l’inscription d’Umm al-Ǧimāl (Ve ou VIe siècle ap. J.C. ?), avec un mot lu
successivement par LITTMANN, 1929 et 1949, comme ġiyāran et ġafran. Nous parlons bien sûr
ici de la seule flexion marquée par des voyelles brèves.
141
Cf. l’analyse qui est proposée de Cor. 85, 21-22 dans LARCHER, 2005a [repris dans LARCHER,
2020, ch. III, p. 59-71].
CHAPITRE IV 73

128/745) (Coran du Caire) « neutralise » ce ’alif, Warš (m. 197/812) ‘an Nāfi‘
(m. 169/785) (Coran du Maghreb) le traite bien, en ces endroits, comme un triptote
avec tanwīn et lit Ṯamūdan. Pourquoi, donc, deux déclinaisons pour un même mot,
alors qu’aucune des deux ne sert à rien sur le plan syntaxique (en 17, 59, nous avons
un Ṯamūd complément d’objet sans ’alif) ? On a tôt fait d’observer que dans trois
des quatre cas où apparaît ce ’alif, Ṯamūd est coordonné à ‘Ād, également muni de
ce ’alif (et partout traité, lui, comme un triptote ‘Ād-u/a/i-n). L’apparition du ’alif
peut s’expliquer par un simple et banal ajustement forme/sens : c’est la coordination
syntaxique de deux mots qui, sémantiquement, vont ensemble, comme noms de
peuples « réprouvés », qui explique qu’on donne au second le traitement syntaxique
du premier. L’explication ne vaut cependant pas pour le quatrième cas (11, 68), où
Ṯamūd apparaît seul : (ka-’al-lam yaġnaw fīhā) ’a-lā ’inna Ṯamūda (Ḥafṣ)/an
(Warš) kafarū rabbahum ’a-lā bu‘dal-li-Ṯamūd[a]. Sauf à lire ce ’alif comme il est
écrit, c’est-à-dire non comme -an, mais bien comme -ā, auquel cas il forme aussitôt
assonance avec les nombreux -ā de son environnement syntaxique immédiat, que
nous avons mis en gras… On peut aller plus loin. Le début du verset, que nous
mettons entre parenthèses, va avec ce qui précède. Le reste s’organise en un paral-
lélisme marqué par l’anaphore de ’a-lā. On voit que si on lit, non bu‘dan, d’où, par
assimilation (’idġām) du nūn au lām bu‘dal-li-, mais bu‘dā, on n’a plus seulement
alors une assonance en ā, mais encore une rime interne en -dā, soit : ’a-lā ’inna
Ṯamūdā kafarū rabbahum ’a-lā bu‘dā li-Ṯamūd « Holà ! Oui, les Thamoud, ils ont
été infidèles à leur seigneur ! Holà ! Arrière aux Thamoud ! »142.
On ne perdra pas de vue que l’histoire de l’arabe est toujours dépendante
des idées du moment. Ainsi VERSTEEGH, 1984, surfant sur la vague des études
créoles, a proposé de réinterpréter le fasād al-luġa dans les termes d’un processus
de pidginisation-créolisation. La conquête islamique a pour effet de mettre en con-
tact des populations arabophones et des populations non arabophones. On peut donc
imaginer, pour les besoins de la communication, l’émergence de langues de contact
hétérogènes, ce qu’on appelait jadis des sabirs et qu’on appelle aujourd’hui des pid-
gins (FÜCK, 1955 [1950], p. 8, en fait déjà l’hypothèse). Si les enfants qui naissent
d’unions mixtes (les muwalladūn) la prennent pour langue maternelle, cette langue
de contact devient un créole. Et, enfin, si au contact de l’arabe, le créole se réarabise
(ou se décréolise), ce pidgin-créole décréolisé peut être vu comme le point de départ

142
Ṯamūd est loin d’être un cas unique. On peut également citer salāsilā de Cor. 76, 4 et qawārīrā
de Cor. 76, 15-16. Par ailleurs on a compris que, pour ma part, je ne considère pas -ā comme la
prononciation pausale de -an, mais -an comme une réinterprétation ultérieure d’un -ā « fonda-
mental ». L’inscription du Ǧabal Usays (528-529 ap. J.-C.) montre qu’avant l’invention du tā’
al-marbūṭa les deux réalisations d’un même morphème se traduisent par deux graphies : -h à la
pause, mais -t en liaison (il reste des traces de cet état de choses dans le ductus coranique, avec
des exemples de raḥmat ou ni‘mat). On voit d’autant moins pourquoi les deux réalisations pho-
niques du tanwīn-an de l’arabe classique auraient donné lieu dans le matériel préclassique à une
graphie unique (correspondant à -ā) que, dans les textes du moyen arabe, le suffixe relateur
- (V)n se traduit dans la graphie par un nūn.
74 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

des dialectes arabes, sur le modèle du Juba-Arabic au Soudan du Sud143. L’hypo-


thèse de Versteegh suscita un vaste débat et fut généralement rejetée (cf. HOLES,
1995, p. 19-24 et 2001, p. 23-29). Il me semble néanmoins qu’on ne devrait pas
jeter le bébé avec l’eau du bain144 ! On ne peut exclure a priori que des processus
de ce genre aient joué, localement, un rôle. Pour ma part, je me contenterai de si-
gnaler et souligner ici une phrase de la Muqaddima d’Ibn Ḫaldūn qui m’a fait parler,
pour tenter une comparaison éloquente, de « case de l’Oncle Tom sur les bords du
Tigre et de l’Euphrate »145. Traitant de la genèse des parlers sédentaires dans les
différentes régions du monde musulman (Maghreb, Machrek, Andalousie), il écrit
à propos du second (IBN ḪALDŪN, Muqaddima, ch. VI, section 48, p. 1079-1080) :
De même, quand les Arabes eurent vaincu les nations de l’Orient, Persans et
Turcs, et se furent mélangés à eux, les langues de ceux-ci se diffusèrent parmi eux, par
l’intermédiaire des laboureurs, des paysans et des captifs qu’ils prenaient comme in-
tendants, sage-femmes, pères nourriciers et nourrices : leur langue se corrompit du fait
de la corruption de l’habitus, au point de muter en une autre langue (wa-kaḏā al-Mašriq
lammā al-‘Arab ġalaba ‘alā ’umamihi min Fāris wa-l-Turk fa-ḫālaṭahum wa-tadāwa-
lat baynahum luġātuhum fī al-’akara wa-l-fallāḥīn wa-l-subiyy allaḏīna ittaḫadūhum
ḫawalan wa-dāyātin wa-’adḥāran wa-marāḍi‘ fa-fasudat luġatuhum bi-fasād al-ma-
laka ḥattā inqalabat luġa ’uḫrā).

Il serait évidemment intéressant de remonter ici aux sources mêmes d’Ibn


Ḫaldūn. Bien sûr, la notation va dans le sens de l’argumentation d’Ibn Ḫaldūn (in-
terruption du processus « naturel » d’apprentissage de la langue de Muḍar, par
transmission d’une génération à l’autre d’Arabes, qui seule crée l’« habitus »). Mais
même le plus « intégriste » des créolistes ne peut nier que la phrase soulignée décrit
ce que ce genre de créolistes considère être la base objective, sur le plan social, d’un
processus de créolisation : une population servile, parlant une ou d’autres langues
que celle de ses maîtres. En outre deux, voire trois, des quatre catégories mention-
nées renvoient à l’étymologie même de créole (< lat. criare « nourrir, élever »),
terme qui peut désigner aussi bien les enfants blancs que les esclaves noirs et leurs
langues (généralement le parler des Noirs, mais au moins en un cas, celui de Saint-
Barthélemy dans les Antilles, celui des Blancs).
La linguistique arabe est aujourd’hui sous l’influence de la sociolinguistique
américaine « variationniste », issue des travaux de William Labov (né en 1927).
Cela a amené au dépassement de la représentation diglossique de l’arabe. Mais cela
a aussi amené, en matière d’histoire de la langue, à renouer avec la vision des plus
anciens grammairiens arabes, notamment Sībawayhi (m. 180/796 ?) et al-Farrā’.
Ceux-ci concevaient l’arabe tout à la fois comme une langue une et plurielle, luġa
faite de luġāt, c’est-à-dire non pas de variétés autonomes, mais de variantes, tribales

143
Ma collègue Catherine Miller, consultée, m’indique qu’à l’heure actuelle le Juba-Arabic est
encore loin d’être un dialecte arabe. En outre les choses vont un peu dans tous les sens, mani-
festant des tendances contradictoires.
144
Cf., d’ailleurs, VERSTEEGH, 2004, lui-même.
145
Cf. LARCHER, 2006b.
CHAPITRE IV 75

ou régionales, bonnes ou mauvaises (cette hiérarchie suffit bien sûr pour ne pas en
faire des « variationnistes » avant l’heure !). Aujourd’hui, l’arabe dit classique est
généralement compris, non comme un état de la langue, mais comme une langue
standardisée, c’est-à-dire retenant certaines luġāt et en éliminant d’autres. Elle est
un aboutissement, non un point de départ, et, par suite, les dialectes arabes mo-
dernes ne sauraient en être des « corruptions ».
Dans la mesure où beaucoup des traits décrits par les grammairiens arabes
(notamment les plus anciens d’entre eux : Sībawayhi et al-Farrā’) se retrouvent,
identiques ou analogues, dans les parlers arabes d’aujourd’hui, il n’y a pas de raison
de penser qu’ils ne prolongent pas les anciens parlers arabes, selon des modalités
complexes en fonction des lieux et des temps (c’est le travail de la dialectologie
historique que de débrouiller l’écheveau). Simplement, même si les parlers arabes
d’aujourd’hui relèvent uniformément de ce qui est pour la linguistique historique le
type néo-arabe, on se gardera bien de croire qu’ils descendent uniformément d’un
type ancien arabe. L’opposition des deux types, compte tenu de la non-fonctionna-
lité de la flexion désinentielle en arabe classique même, apparaît très largement ou-
trée et, par suite, ils ont pu très bien coexister à date ancienne et, non pas en oppo-
sition, mais en continuité… Un argument en ce sens peut d’ailleurs être trouvé dans
la « faute » relevée dans l’un des deux plus vieux papyrus datés (22 de l’Hégire),
où l’on a Abū Qīr pour Abī Qīr (cf. DIEM, 1984, p. 271). Abū Qīr n’est pas un nom
arabe, mais l’arabisation d’un nom grec, qui est Apa Kyros. Pour parvenir à Abū
Qīr, il faut donc bien passer par Abā Qīr, réinterprété comme l’accusatif d’une
flexion triptote Abū/ā/ī. Cela n’empêche pourtant pas le scripteur d’utiliser le « no-
minatif » Abū Qīr à une place réclamant le « génitif » ! Le papyrus étant contempo-
rain de la conquête de l’Égypte (celle-ci, commencée en 18 de l’Hégire, s’achève
en 25 avec l’occupation définitive d’Alexandrie) et, plus précisément, de la fonda-
tion de Fusṭāṭ (22H), il paraît difficile, pour ne pas dire impossible, de voir dans ce
fait le signe d’une évolution d’un type à l’autre, liée au « métissage » des popula-
tions dans les centres urbains nouvellement créés à la suite de la conquête ! Et si on
a donc bien ici, en même temps, référence implicite au type ancien arabe et utilisa-
tion explicite du type néo-arabe, il vaut mieux y voir la continuation d’une situation
de langue « plurielle », non encore standardisée. Un autre argument dans le même
sens peut être trouvé dans le Coran même, avec les incertitudes de la flexion visible,
casuelle ou modale (pour des exemples et une analyse, cf. LARCHER, 2005a, repris
dans LARCHER, 2020, ch. III, p. 59-71).

5. Conclusion

Le récit traditionnel des origines de la grammaire arabe, née de la « corrup-


tion de la langue », a l’apparence d’un récit historique. Les orientalistes du
XIXe siècle, siècle d’histoire et d’esprit critique, s’y sont laissé prendre, même si, en
1906, Karl Vollers jeta un fameux pavé dans la mare ! Plus de cent ans après, les
linguistes arabisants voient dans l’arabe dit classique, comme dans toute autre
langue classique, une construction. Ils verront alors ce récit comme une reconstruc-
tion, ayant pour seul but la légitimation de cette construction.
76 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

Annexe
Texte arabe et traduction française d’AL-ZAǦǦĀǦĪ, Īḍāḥ, p. 89-90

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CHAPITRE IV 77

Pourquoi cette sorte de science a été appelée naḥw

Si l’on demande pour quelle raison cette sorte de science a été appelée naḥw
et s’est vue attribuer ce nom, on répondra : la raison en est l’histoire rapportée au
sujet d’Abū al-Aswad al-Du’alī. Lorsqu’il entendit parler les métis d’Arabes à Bas-
ra, il réprouva les fautes de langage qu’ils commettaient, du fait de leur contact avec
la vie sédentaire et les enfants des non-Arabes. Une fille à lui lui dit un jour : « Papa,
mā ’ašaddu l-ḥarri ? [quelle est la chaleur la plus intense ?] — La canicule en plein
midi, ma petite fille, lui répondit-il, ou quelque chose de ce genre, car il y a diver-
gence dans le récit. — Je ne t’ai pas demandé cela, lui dit-elle, je me suis seulement
étonnée de la chaleur intense. — Alors dis, reprit-il, mā ’ašadda l-ḥarra ! [quelle
chaleur intense !] ». Et d’ajouter : « Nous appartenons à Dieu ; la langue de nos
enfants s’est corrompue ». Il songea à faire un ouvrage, où il rassemblerait les fon-
dements de l’arabe, mais Ziyād l’en empêcha. « Nous ne croyons pas, dit-il, que les
gens se fient à ce livre, ni qu’ils abandonnent la [bonne] langue et cessent de tirer
la pureté [linguistique] de la bouche des Arabes ». Et, ce, jusqu’à ce que les fautes
de langage se répandent, deviennent nombreuses et affreuses. Alors, il lui ordonna
de faire ce qu’il lui avait interdit. Et Abū al-Aswad fit un livre contenant la syntaxe
de l’arabe et dit aux gens : « Suivez cette voie », c’est-à-dire allez dans ce sens ;
naḥw signifie direction et c’est pourquoi la grammaire a été appelée naḥw.
On dit qu’il fut le premier à écrire dans un ouvrage que le discours est nom,
verbe et particule, dotée d’une valeur sémantique. Interrogé à ce sujet, il déclara :
« Je l’ai emprunté au commandeur des croyants ‘Alī b. Abī Ṭālib (Allah étende ses
bénédictions et son salut sur lui !) ».
Il arrive qu’un nom, un qualificatif ou un surnom l’emporte pour une chose.
Celle-ci est alors connue sous ce nom spécifiquement, à l’exclusion de tout autre
objet entrant dans la compréhension de ce nom. Le fiqh, on le sait, est l’intelligence
des choses. On dit « faqihtu le récit » aussi bien que « je [l’]ai compris » et un
homme faqīh ou faqih, c’est-à-dire qui comprend. Puis le fiqh est devenue la science
religieuse, spécialement. Et quand on dit un homme faqīh, on vise seulement
l’homme savant en matière de Loi, même si toute personne qui comprend une
science et y excelle est un faqīh en cette science. Et, de même, ṭibb est l’habileté.
C’est de là que l’on dit un homme de ṭibb et ṭabīb, s’il est habile. Puis ṭabīb est
devenu inséparable de ceux qui s’intéressent à la science des philosophes ayant pour
effet la conservation de la santé et, plus spécialement, permettant de la recouvrer.
Les exemples de ce genre de choses abondent.
Chapitre V

IBN ǦINNĪ

PARLERS ARABES NOMADES ET SÉDENTAIRES ET DIGLOSSIE

CHEZ UN GRAMMAIRIEN ARABE DU IVe/Xe SIÈCLE

SOCIOLINGUISTIQUE ET HISTOIRE DE LA LANGUE

OU DISCOURS ÉPILINGUISTIQUE ?*

1. Introduction

Dans un article de 1979, intitulé « Diachronic and synchronic ordering in


Medieval Arab Grammatical Theory », le grand linguiste arabisant Haïm Blanc
(1926-1984), surtout connu pour ses travaux en sociolinguistique arabe, présente,
entre autres textes levant l’ambiguïté existant selon lui entre diachronie et synchro-
nie chez les grammairiens arabes, un extrait des Ḫaṣā’iṣ (t. II, p. 28-29) d’Ibn Ǧinnī
(m. 392/1002). Selon Blanc, dans ce texte, Ibn Ǧinnī « turns his attention to the
question of continuity vs. change in Arabic », ajoutant : « In so doing, Ibn Ǧinnī
(…) gives us the earliest statement of what has come to be known as ‘Arabic di-
glossia’ » (BLANC, 1979, p. 171).
L’objet du présent chapitre est triple :
1) montrer qu’Ibn Ǧinnī ne décrit pas explicitement une situation de diglos-
sie, au sens classique du terme, mais seulement un processus de différenciation en
cours entre deux types de parlers, caractérisés tout à la fois linguistiquement et so-
ciolinguistiquement : linguistiquement par la présence dans l’un et, sinon l’absence,
du moins l’altération dans l’autre, de la flexion désinentielle (’i‘rāb) ; sociolinguis-
tiquement par la condition sociale de ses utilisateurs : nomades vs sédentaires ;
2) suggérer que si un lien peut être fait avec une situation de diglossie, c’est
implicitement, comme résultat (donc et en principe en synchronie) de ce processus
(donc et en principe diachronique) de différenciation : le parler des nomades, à tout

*
Paru sous le titre « Parlers arabes nomades et sédentaires et diglossie chez Ibn Ǧinnī
(IVe/Xe siècle). Sociolinguistique et histoire de la langue vs discours épilinguistique », Al-
Qanṭara 39/2, 2018, p. 359-389 ©CSIC. Ce texte a fait l’objet de la 5e séance du séminaire de
Liège et d’une communication à ICHoLS XI (11th International Conference on the History of
the Language Sciences, Université de Potsdam (Allemagne), 28 août-2 septembre 2008).
80 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

le moins de certains d’entre eux, est vu comme la base de celui des sédentaires et
est devenu, à l’époque d’Ibn Ǧinnī, la variété haute (al-luġa al-‘arabiyya al-faṣīḥa
« la langue arabe châtiée ») dans l’exacte mesure où, comme il l’écrit (IBN ǦINNĪ,
Ḫaṣā’iṣ, t. II, p. 5), « nous ne voyons pratiquement pas de Bédouin faṣīḥ » (lā
nakādu narā badawiyyan faṣīḥan) ;
3) se demander, dans la mesure même où Ibn Ǧinnī cite une source anté-
rieure de près de deux siècles, s’il s’agit vraiment de sociolinguistique et d’histoire
de la langue ou seulement d’un discours de type épilinguistique : nous employons
ce dernier terme au sens littéral de discours sur (épi-) la langue, mais qui, du fait de
son opposition à (méta)linguistique, a gagné le sens technique de discours subjectif
et non pas objectif, concernant non la réalité, mais l’idée qu’on s’en fait.

2. Le texte dans son contexte

Le texte qui intéresse Blanc et qu’il traduit page 171 (et que nous donnons
pour notre part en arabe et en traduction française en annexe comme texte n°1) ne
constitue que les onze premières lignes d’un long chapitre des Ḫaṣā’iṣ (t. II, p. 28-
40) intitulé « De cette langue : est-ce en un seul temps qu’elle a été instituée ou bien
une partie postérieure s’est-elle rattachée à une partie antérieure ? » (bāb fī hāḏihi
al-luġa : ’a-fī waqt wāḥid wuḍi‘at ’am talāḥaqa tābi‘ minhā bi-fāriṭ). Ibn Ǧinnī
indique lui-même qu’il a déjà traité de l’origine du langage au début de son ouvrage
(Ḫaṣā’iṣ, t. I, p. 40-47), dans les termes de l’alternative islamique : révélation
(’ilhām, également appelée waḥy « inspiration » ou tawqīf « arrêt » divin) ou mu-
tuelle institution (tawāḍu‘), encore appelée iṣṭilāḥ (« convention »). Alternative très
différente de l’alternative grecque, puisqu’elle exclut l’origine « naturelle » (phu-
sei), pour ne retenir que l’origine « institutionnelle » (thései), mais en subdivisant
celle-ci en divine vs humaine. La position d’Ibn Ǧinnī est que la langue a commencé
(ibtidā’) par une partie (ba‘ḍ) des deux façons mentionnées, mais qu’ensuite elle
s’est développée (taṣarruf, ziyāda), la partie initiale servant de « modèle » (qiyās,
litt. « mesure ») aux parties successives. Ce modèle concerne : 1) les ḥurūf (les ar-
ticulations) ; 2) le ta’līf (l’activité combinatoire) ; 3) le ’i‘rāb (la flexion désinen-
tielle casuelle pour les noms et modale pour le verbe inaccompli). Dans une telle
conception, il n’y a pas de place pour l’évolution et le changement. Les parlers
nomades sont donnés comme argument en faveur de cette conception. L’argument
est une analogie : de la même façon qu’une partie de la langue suit l’autre en l’imi-
tant, l’Arabe « châtié » (faṣīḥ) affirme ne rien faire d’autre qu’« imiter » (yaḥkī) son
père. Et c’est la mention des parlers nomades qui attire celle des parlers sédentaires.
À première vue, ils semblent être un contre-argument à la conception de la langue
comme imitation, à travers le temps, d’un modèle immuable. En fait, ils servent de
« repoussoir » : leur existence n’est absolument pas pensée en termes d’évolution
et de changement linguistiques, mais seulement d’abandon (tark), de contravention
(muḫālafa), de détérioration (’aḫallū)… En outre, l’altération ne concerne qu’un
des trois points, le ’i‘rāb, à l’exclusion des deux autres, les ḥurūf et le ta’līf. Il y a
donc focalisation sur le ’i‘rāb et, celui-ci étant posé comme pertinent (mubīn ‘an
CHAPITRE V 81

al-ma‘ānī), on comprend pourquoi les laḥn (les mauvais « sons », les dissonances)
sont considérées comme source de quiproquo.

3. Parlers nomades et parlers sédentaires

C’est dans ce contexte que prend place la partie du texte qui nous intéresse
directement ici. Dans cette partie, une distinction est faite entre deux types de po-
pulations et deux types de parlers. Il s’agit donc bien d’une description sociolin-
guistique, au sens exact du terme, dans la mesure où une corrélation est faite entre
variété de langue et mode de vie de ses utilisateurs.
Ces deux types de populations sont, d’une part, al-‘Arab « les Arabes » et
d’autre part ’ahl al-ḥaḍar « les sédentaires ». Cette opposition suffit à spécifier ici
les « Arabes », non seulement dans le sens ethnique du terme, mais encore dans son
sens social, c’est-à-dire comme nomades (Bédouins). Ce sens s’est conservé dans
maint dialecte arabe d’aujourd’hui. Je me souviens d’avoir entendu, lors de mon
premier voyage en Syrie en 1969, un farouche nationaliste arabe du pays me dire
« qu’il avait des parents chez les Arabes » (‘indī qawārib ‘inda al-‘Arab) et avoir
mis quelque temps à comprendre que le ‘Arab du panarabisme s’exprimant en arabe
classique n’avait pas le même sens que le ‘Arab des dialectes… La traduction que
fait Blanc de ’ahl al-ḥaḍar par « townspeople » est trop restrictive. IBN MANẒŪR
(m. 711/1311), Lisān al-‘Arab, article ḤḌR, t. I, p. 658, indique explicitement que
« al-haḍar, al-ḥaḍra ou al-ḥāḍira sont le contraire de al-bādiya et il s’agit des
villes, des villages et de la campagne » (al-ḥaḍar wa-l-ḥaḍra wa-l-ḥāḍira ḫilāf al-
bādiya wa-hiya al-mudun wa-l-qurā wa-l-rīf).
Les deux types de parlers, quant à eux, sont distingués par l’étiquette de
faṣīḥ. Cette étiquette vaut cependant à la fois pour les locuteurs et pour leur langue.
On la trouve deux fois collée aux premiers, une fois sous forme de qualification (al-
‘Arab al-fuṣaḥā’) et une autre fois sous forme d’annexion (fuṣaḥā’ al-‘Arab)146.
Sous ses deux formes, cette étiquette dit la même chose : si seuls les « Arabes »
sont faṣīḥ, tous les « Arabes » ne le sont pas. Cela est confirmé par la seule fois où
faṣīḥ qualifie, non le locuteur, mais la langue, c’est-à-dire quand il est dit que « les
sédentaires ont délaissé le parler de ceux qui se rattachent à la langue arabe faṣīḥa
et y ont contrevenu » (qad tarakū wa-ḫālafū kalām man yantasibu ’ilā al-luġa al-
‘arabiyya al-faṣīḥa). Dans le contexte, cette périphrase (« ceux qui se rattachent à
la langue arabe faṣīḥa ») désigne tout à la fois les nomades (par opposition aux
sédentaires), mais seulement une partie d’entre eux. La corrélation entre variété de
langue et mode de vie de ses utilisateurs n’est donc pas parfaite et il faut, en bonne
logique, distinguer non seulement entre parlers nomades et sédentaires, mais en-
core, parmi les parlers nomades, entre ceux qui sont faṣīḥ et ceux, qui à l’instar des
parlers sédentaires, ne le sont pas.

146
Les deux expressions apparaissent dans le Kitāb de Sībawayhi, mais, selon l’article « Faṣīḥ »
de EALL (t. II, p. 87, 2007), dû à Georgine Ayoub, « The fuṣaḥā’ al-‘Arab are quoted for turns
of phrases which are marginal but nevertheless used by them, and which must therefore be taken
into account ». Si cela est, le sens de l’expression a évolué entre Sībawayhi et Ibn Ǧinnī…
82 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

Maintenant, que signifie, dans le contexte, faṣīḥ ? Le parler des sédentaires


est comparé à celui des nomades faṣīḥ. Le premier « ressemble » (muḍāhī) à celui
des seconds, en ce qui concerne leurs ḥurūf d’une part, leur ta’līf d’autre part. Ici
ḥurūf et ta’līf sont les premiers termes d’une annexion, dont le second est le pronom
affixe -hum renvoyant à « sédentaires ». Précédemment, les deux mêmes termes
étaient construits avec un pronom affixe renvoyant dans le contexte à « langue »
(exactement la partie de la langue existant déjà). Autrement dit ḥurūf et ta’līf
comme faṣīḥ peuvent se dire aussi bien du locuteur que de la langue. Blanc inter-
prète ḥurūf comme « sounds » et ta’līf comme « combinations », parce qu’il lit au
pluriel (ta’ālīf, BLANC, 1979, p. 172, n. 35), alors que le mot arabe ainsi traduit est
au singulier. Nous suivons Blanc dans l’interprétation qu’il fait de ḥurūf, non
comme lettres, mais comme sons, même si, pour notre part, nous préférons traduire
le terme par « articulations ». Quant à ta’līf, au singulier, il nous semble qu’il dé-
signe non les combinaisons comme résultat, mais l’activité combinatoire elle-
même : dans le contexte, il peut s’agir aussi bien de la combinaison des « articula-
tions » en mots que des mots (pouvant être eux-mêmes appelés ḥurūf) en phrases.
En revanche, les sédentaires « ont porté atteinte en quelque manière à la flexion
désinentielle du parler faṣīḥ » (’aḫallū bi-’ašyā’ min ’i‘rāb al-kalām al-faṣīḥ). Cette
formulation explicite ce que la précédente (« les sédentaires ont délaissé le parler
de ceux qui se rattachent à la langue arabe faṣīḥa et y ont contrevenu ») laissait dans
l’ombre. Le terme de ’aḫallū fait écho à celui de ḫālafū, en présentant le trait ca-
ractéristique des parlers sédentaires, non comme un abandon pur et simple du
’i‘rāb, mais plutôt une détérioration ou une altération. Celui de ’ašyā’ confirme
d’ailleurs que celle-ci n’est pas totale, mais seulement partielle. Dans ce contexte,
la seule interprétation possible de faṣīḥ comme trait caractéristique des parlers no-
mades est bien mu‘rab « fléchi ».
Si l’on entend « diglossie » au sens classique du terme, issu de la linguis-
tique néo-hellénique, puis arabe, d’expression française, avant d’être théorisé par
FERGUSON, 1959a, à partir de quatre cas, dont celui de l’arabe, alors Ibn Ǧinnī ne
décrit pas une situation de diglossie. Pour qu’il y ait diglossie, il faut non seulement
qu’il y ait coexistence de deux variétés, mais encore une distribution fonctionnelle
de leurs usages, telle que l’une sera vue comme « haute » et l’autre « basse ». Nous
n’en sommes pas là, tant s’en faut. Nous n’en sommes même pas à une situation de
dualité linguistique achevée, mais plutôt à une différenciation en cours de deux
types de parlers, selon un double critère social (nomades vs sédentaires) et linguis-
tique (+/- ’i‘rāb), les parlers nomades étant vus comme la base des parlers séden-
taires.

4. D’une différenciation dialectale à la diglossie ?

Si un lien peut être fait avec une situation de diglossie, ce n’est pas synchro-
niquement, mais diachroniquement. Ibn Ǧinnī ne prétend pas décrire la situation de
l’arabe à son époque. Il ne fait que citer une « opinion » (ra’y) qu’il approuve (wa-
huwa al-ṣawāb) de l’un de ses devanciers, Abū al-Ḥasan, kunya (teknonyme) du
grammairien al-Aḫfaš al-Awsaṭ (m. entre 210/825 et 221/835, selon EI2, 215/830
CHAPITRE V 83

selon EI3)147 et, qui, par suite, concerne (ou concernerait) une situation antérieure
de près de deux siècles. Mais pourquoi, se demandera-t-on, Ibn Ǧinnī fait-il un tel
retour en arrière ? La réponse se trouve dans un chapitre précédent des Ḫaṣā’iṣ (t. II,
p. 5-10), intitulé « On ne prend pas des sédentaires, comme on a pris des nomades »
(bāb fī tark al-’aḫḏ ‘an ’ahl al-madar kamā ’uḫiḏa ‘an ’ahl al-wabar) : nomades et
sédentaires sont désignés respectivement comme « gens du poil (de chameau) » et
« gens de la glaise », par allusion au matériau de base de leur habitat. Au début de
ce chapitre, Ibn Ǧinnī indique qu’il est impossible de prendre des sédentaires, du
fait de la « corruption » de leur langue, ajoutant que « si on savait que les habitants
d’une cité ont conservé leur faṣāḥa et qu’il n’est advenu aucune corruption dans
leur langue, il faudrait prendre d’eux comme on prend des nomades » (wa-law
‘ulima ’anna ’ahl madīna bāqūna ‘alā faṣāḥatihim wa-lam ya‘tariḍ šay’ min al-
fasād li-luġatihim la-waǧaba al-’aḫḏ ‘anhum kamā yu’ḫaḏu ‘an ’ahl al-wabar)
(IBN ǦINNĪ, Ḫaṣā’iṣ, t. II, p. 5). Autrement dit, pour Ibn Ǧinnī, les parlers séden-
taires sont uniformément « corrompus ». Dans le contexte, fasād est l’antonyme de
faṣāḥa et la faṣāḥa désignant le respect du ’i‘rāb, fasād désigne donc son non-res-
pect. Mais voici ce qu’Ibn Ǧinnī déclare à l’alinéa suivant :
Et, de même, aussi, si s’était répandu chez les nomades ce qui a diffusé dans la
langue des sédentaires, à savoir la confusion et la détérioration linguistiques, la dispa-
rition de l’habitude, largement répandue, à bien parler, il aurait fallu rejeter leur langue
et ne pas accepter ce qui en vient. C’est d’ailleurs ce que nous faisons en ce temps qui
est nôtre, parce que nous ne voyons presque pas de Bédouin faṣīḥ. Et si, nous, nous
trouvons chez lui de la correction dans son parler, ne nous fait pour ainsi dire pas défaut
ce qui le gâte et le pourrit, lui ôte et l’amoindrit148.

Autrement dit, les parlers nomades contemporains d’Ibn Ǧinnī sont tout
aussi « corrompus » que les parlers sédentaires. Par suite, ce qu’Ibn Ǧinnī appelle
al-luġa al-‘arabiyya al-faṣīḥa, même si elle est à l’origine celle des « Arabes »
fuṣaḥā’, n’est plus la langue de personne (ou « presque ») : elle est bien devenue,
dans les termes de Ferguson, la variété « haute » d’une diglossie, dont les parlers,
tant sédentaires que nomades, constituent la variété « basse ». Toujours dans les
termes de Ferguson, cela veut dire que les parlers des nomades constituent non seu-
lement les « parlers primaires de la langue » (les parlers sédentaires étant des dia-
lectes secondaires), mais encore la variété qui s’est superposée à ces parlers. Et
alors que pour Ferguson, cette variété vient soit d’une époque antérieure, soit d’une
autre communauté linguistique, elle viendrait ici et d’une époque antérieure et
d’une autre communauté linguistique.

147
EI2 rappelle qu’il était l’élève du mu‘tazilite Abū Šamr. Ibn Ǧinnī étant lui-même mu‘tazilite, il
semble y avoir ici une « mu‘tazilite connection ».
148
IBN ǦINNĪ, Ḫaṣā’iṣ, t. II, p. 5. Ce passage (depuis « nous ne voyons plus… ») est cité par
CORRIENTE, 1976, p. 66, n. 1.
84 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

5. Sociolinguistique et histoire de la langue vs discours épilinguistique

5.1. Une anecdote révélatrice

Ce n’est donc pas le texte n°1 ici traduit et commenté qui constitue la des-
cription explicite d’une situation de diglossie. C’est seulement ce texte et celui qui
précède (que nous donnons en arabe et en traduction française en annexe comme
texte n° 2) qui constituent la reconnaissance implicite d’une telle situation.
Une telle reconnaissance correspond sûrement à la réalité. Pour la seconde
moitié du IVe/Xe siècle, nous avons le témoignage du géographe al-Muqaddasī
(m. après 378/988), qui oppose deux statuts (assimilables à deux variétés) de
l’arabe : d’une part l’arabe comme langue véhiculaire, véhicule de la culture sa-
vante, d’autant mieux maîtrisée par ses utilisateurs qu’ils ne sont pas eux-mêmes
de langue maternelle arabe ! La palme revient aux gens de Nišāpūr, capitale de l’état
iranien des Samanides et alors grand centre de culture islamique (à l’inverse il
blâme les fautes de flexion que fait le grand cadi de Bagdad dans son maǧlis, sans
que personne n’y trouve rien à redire : autrement dit, c’est toute une caste qui n’a
pas la maîtrise de la variété d’arabe normalement utilisée dans une situation « for-
melle »). Et d’autre part, l’arabe comme langue vernaculaire, variété qu’il appelle
lisān al-qawm (« langue du peuple ») et qu’il voit éclatée en luġāt muḫtalifa (« dif-
férentes manières de parler »)149.
Mais la meilleure image de la diglossie est donnée par… Ibn Ǧinnī lui-
même, à travers l’anecdote racontée par deux fois (IBN ǦINNĪ, Ḫaṣā’iṣ, t. I, p. 76 et
p. 250), avec des variantes. BLANC, 1979, p. 172, n. 38, passe à côté d’elle, n’en
citant qu’une phrase, pour s’extasier de ce qu’un grammairien, cas qu’il pense
unique, « us[es] uninflected Arabic (…) in his discussions with his informants, to
see whether they use ’i‘rāb ». Par suite, il n’en tire pas tous les renseignements et
enseignements qu’on en peut tirer. Nous suivrons la seconde version, dont nous
donnons le texte arabe et la traduction en annexe comme texte n° 3, mais en signa-
lant en note les variantes de la première, la collation des deux versions permettant
une bonne interprétation de l’anecdote. Cette anecdote a un caractère ludique et,
plus encore, dialectique, un des deux interlocuteurs (Ibn Ǧinnī) cherchant à mettre
l’autre (que son nom complet, donné t. I, p. 76, désigne comme un Bédouin appar-
tenant à un groupe de Tamīm)150 en contradiction avec lui-même, en usant du pro-
cédé connu en français sous le nom de « plaider le faux pour savoir le vrai ». Il
commence en effet par lui demander « Comment peux-tu dire ḍarabtu
’aḫāka [« j’ai battu ton frère »] ? », suggérant ainsi que c’est la forme « incor-
recte ». À quoi l’autre répond « c’est ainsi que je dis » (c’est en effet la forme

149
Nous résumons ici LARCHER, 2006b, repris ici même chapitre VI.
150
Comme il apparaît sous un autre nom t. I, p. 250, l’éditeur des Ḫaṣā’iṣ (t. I, p. 250, n. 2) se
demande s’il s’agit du même ou d’une anecdote répétée avec deux personnages différents.
FÜCK, 1955 [1950], p. 136, se fondant sans doute sur le fait que le personnage dans les deux cas
est interpellé par la même kunya de Abū ‘Abdallāh, croise les deux noms et l’appelle Muḥam-
mad b. al-‘Assāf al-Šaǧarī, en renvoyant à des sources arabes. Curieusement, Fück ne s’intéresse
pas à cette anecdote.
CHAPITRE V 85

« correcte »). Le premier lui demande alors « Dirais-tu ḍarabtu ’aḫūka ? », qui a le
même sens, mais en substituant au cas accusatif, de règle en arabe dit classique, le
nominatif, fautif par rapport à l’arabe dit classique, mais usuel dans les dialectes,
où il n’y a plus qu’un cas, généralement le nominatif, et donc plus de cas. Il s’attire
la réponse « je ne dirai jamais ’aḫūka ». Il ne faut jamais dire jamais ! Le premier a
alors beau jeu de faire observer au second qu’il dit pourtant : ḍarabanī ’aḫūka
(« Ton frère m’a frappé »), forme correcte de l’arabe dit classique. Le second con-
firmant que c’est bien ce qu’il dit, le premier enfonce alors le clou : « N’as-tu pas
prétendu que tu ne disais jamais ’aḫūka ? ». Celui-ci alors explose et, notons-le,
d’une manière fort peu classique : ’ayš ḏā (« Qu’est-ce donc là ? »). L’éditeur a
beau vocaliser ’ayšin, y voyant sans doute la contraction de ’ayyu šay’in, les docu-
ments originaux151 montrent que la réalisation ’ayšin existe, mais écrite ’yšn, avec
nūn inscrit : il s’agit alors non du tanwīn de l’arabe classique, mais du « suffixe
relateur »152 apparaissant dans le contexte syntaxique nom qualifié/qualification
(mawṣūf/ṣifa), la qualification étant soit un syntagme nominal soit un syntagme pré-
positionnel, soit une phrase (e.g. ’ayšin kān « quoi que ce soit »). Ce qui n’est pas
le cas ici où ḏā est un des deux constituants majeurs d’une phrase nominale, au sens
de la grammaire arabe, c’est-à-dire à tête nominale, laquelle est une phrase segmen-
tée, au sens du linguiste suisse Charles Bally (1865-1947), la segmentation étant
marquée par une pause entre les deux constituants (BALLY, 1965)153. Dans la phrase
de conclusion (« les deux façons de parler ont divergé etc. »), apparaissent même
un nom pour diglossie (ǧihatā al-kalām) et la description de ce en quoi ces « deux
façons de parler » ont divergé (iḫtalafat). Dans l’une, celle que nous appelons
« classique », le nom apparaît au nominatif quand il est sujet et à l’accusatif quand
il est objet. L’arabe pratiquant la scriptio defectiva, les grammairiens donnent gé-
néralement comme exemple de nom fléchi l’un des « six noms » (al-’asmā’ al-
sitta)154 : les cas étant marqués par des voyelles longues, la flexion est non seule-
ment audible, mais encore visible et, par suite, incontestable. Dans l’autre, celle que
nous appelons « dialectale », le nom apparaît sous la même forme qu’il soit sujet
ou objet. Cette forme est généralement pour les « six noms » celle du nominatif,
même si ponctuellement on trouve dans tel ou tel dialecte, celle de l’accusatif155 ou

151
Cf. BLAU, 1966, p. 141. On trouve aussi ’šn. Pour les différentes interprétations possibles, voir
LARCHER, 2002-2003.
152
Selon la terminologie de AHMAD ALI, 1989-1991. Il existe sur ce tanwīn une riche littérature,
où se distingue tout particulièrement FERRANDO, 2000. Cf., également, en dernier lieu, LA
ROSA, 2016. Cette littérature montre : 1) que la voyelle de ce tanwīn est variable ; 2) que son
orthographe est variable et 3) que deux thèses s’opposent : résidu de l’arabe classique ou trait
archaïque, antérieur à l’arabe classique ?
153
Sur la phrase nominale de l’arabe comme phrase segmentée, cf. LARCHER, 2017, p. 25-27 : aux
éléments donnés comme preuves d’une pause traduisant la segmentation, on peut d’ailleurs
ajouter les exemples de kaškaša donnés par Sībawayhi dans le Kitāb, cf. infra 5.3.
154
Souvent réduits à cinq, han, du fait de ses évidentes connotations sexuelles, étant exclu par
« pudibonderie » : sur ce point, cf. SARTORI, 2010.
155
Spécialement dans les parlers bédouins à date ancienne. Sur ce point, cf. CORRIENTE, 1975,
p. 52.
86 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

du génitif156, alors que pour les autres formes de flexion visible de l’arabe dit clas-
sique (pluriel externe masculin et duel), c’est le cas régime (accusatif-génitif) qui
l’emporte dans les dialectes sur le cas sujet (nominatif), comme le montrent les
emprunts anciens (e.g. assassins) ou modernes (e.g. fedayin) à l’arabe. Enfin, le fait
même que le second interlocuteur, censé parler l’arabe fléchi, explose d’une ma-
nière fort peu classique suggère que des « deux façons de parler », l’une, la fléchie,
est l’expression surveillée et l’autre, la non fléchie, l’expression spontanée et, par
suite, que « les deux façons de parler » ne correspondent pas à des usagers, mais à
des usages différents, le même usager pouvant alterner les deux usages…

5.2. Diachronie ou entropie ?

Du même coup, c’est la façon même dont la diglossie serait apparue dans
l’histoire de la langue qui devient éminemment douteuse. Ce que dit Ibn Ǧinnī peut-
il vraiment être interprété comme une description linguistique, relevant de la socio-
linguistique et de l’histoire de la langue, ou doit-il l’être seulement comme une
construction épilinguistique, relevant d’une histoire de ses représentations ?
Ibn Ǧinnī, on l’a dit, on le redit, ne se comporte pas en historien de la langue.
Simplement, il cite une source, antérieure de près de deux siècles, faisant état d’une
dégradation partielle de la flexion désinentielle dans les parlers sédentaires.
Comme, par ailleurs, il laisse entendre qu’à son époque les parlers nomades sont
tout aussi « corrompus » que les parlers sédentaires, ce qui devait arriver arriva : au
XIXe siècle, la linguistique historique, essentiellement allemande, réinterprétera, sur
le modèle des langues romanes (alors appelées « néo-latines »), le fasād al-luġa des
grammairiens arabes comme l’évolution d’un type ancien arabe (caractérisé par une
flexion désinentielle et donc plus synthétique et à ordre des mots plus libre) vers un
type néo-arabe (caractérisée par cette absence de flexion et donc plus analytique et
à ordre des mots moins libre), l’appellation de « moyen arabe » étant alors utilisée
pour désigner la période où cette évolution prend place (à partir du Ier siècle de
l’Hégire, achevée au IVe siècle) : l’expression achevée de cette thèse se trouve dans
‘Arabīya (FÜCK, 1955 [1950]) de Johann Fück (1894-1974), mais elle est formulée,
dès le milieu du XIXe siècle, par Heinrich Leberecht Fleischer (1801-1888), cf.
FLEISCHER, 1847, 1854. On peut également se reporter à Ignaz Goldziher (1850-
1921) (GOLDZIHER 1994 [1878], p. 20)157. Alors que pour la linguistique historique,
il y a changement de système linguistique, pour Ibn Ǧinnī, il y a seulement dégra-
dation du système existant : il faudra attendre Ibn Ḫaldūn (m. 808/1406) pour voir
les parlers, tant nomades que sédentaires, reconnus comme des systèmes à part en-
tière (cf. VERSTEEGH, 1997c, LARCHER, 2006d).
Outre les éléments des deux textes précités, d’autres éléments chez Ibn
Ǧinnī vont dans le sens de cette thèse et, notamment, la remarque faite plus avant
dans le même chapitre d’où nous avons extrait le texte n°1, à savoir que (IBN ǦINNĪ,
Ḫaṣā’iṣ, t. II, p. 32) :

156
Conservé dans l’onomastique libanaise, cf. les patronymes d’Abiaad, Abizaid etc.
157
Pour une critique radicale de cette thèse et une hypothèse alternative, cf. OWENS, 2006.
CHAPITRE V 87

ils [i.e. les « Arabes »] ont (…) laissé une partie du discours figé, non fléchi (...).
Ils ont toléré ce qui ne s’accompagne pas sûrement d’ambiguïté, parce qu’eux, s’ils
craignent cela, ajoutent un mot ou deux (…). Ne vois-tu pas que qui ne fléchit pas et,
par suite, dit ḍaraba ’aḫūk li-’abūk peut parvenir, au moyen du lām, à distinguer le
sujet de l’objet ?

Une telle remarque emporte certainement une reconnaissance implicite du


caractère analytique des langues non flexionnelles (cf. FÜCK, 1955 [1950], p. 94)…
Il y aurait lieu cependant de se demander qui sont « ceux qui ne fléchissent
pas ». Si, comme il semble, ils sont contemporains d’Ibn Ǧinnī, cela répond à la
question posée en note par BLANC, 1979, p. 172, n. 36, à propos du texte n°1 :
Was there a partial, gradual loss of ’i‘rāb, or were ’Abū-l-Ḥasan and Ibn Ǧinnī
unwilling to recognize its complete loss, as implied by az-Zaǧǧāǧī (cf. […] his words
on p. 96 of the ’Īḍāḥ, man takallama… bi-l-‘arabiyyati bi-ġayri ’i‘rābin, ‘those who
speak Arabic without inflections’) [?]158

et confirme l’interprétation que nous avons faite des textes n°1 et 2 : Ibn Ǧinnī pose
bien une perte progressive de la flexion désinentielle, partielle à l’époque anté-
rieure, mais devenue totale à la sienne. Compte tenu de l’exemple même qu’il donne
(ḍarab(a) ’aḫūk(a) li-’abūk(a) « ton frère a frappé ton père »), on serait tenté de
dire que « ceux qui ne fléchissent pas » sont des sédentaires, d’origine non arabe,
mais arabisés, peut-être bilingues, parlant un arabe non seulement non fléchi mais
encore influencé par un substrat (ou adstrat) araméen : le lām arabe apparaît ici
comme le correspondant du lomad araméen, qui introduit le complément d’objet
déterminé (cf. BLAU, 1966-1967, p. 413-419). On pense d’ailleurs ici à ce que dit
Élie (975-1046), évêque nestorien de Nisibe, dans le sixième des sept débats qu’ils
a eus en 417/1026 avec le vizir Abū al-Qāsim al-Ḥusayn b. ‘Alī al-Maġribī (m.
418/1027) et consacré en son début aux mérites comparés des grammaires syriaque
et arabe (ÉLIE de NISIBE, Maǧlis, p. 366-372 de l’édition Cheikho). À la question
du vizir de savoir comment le syriaque distingue le sujet et l’objet du verbe,
l’évêque répond qu’il les distingue, du moins quand ils sont du même « genre »
(c’est-à-dire ont par exemple comme ici le même trait + humain), au moyen du
lām…
Pourtant, Ibn Ǧinnī, bien que natif de Mossoul, au centre d’une zone ara-
méophone, ne dit rien qui aille dans ce sens. Au contraire, il donne cet énoncé
comme argument dans la discussion, toute théorique, sur les deux opinions d’al-
Aḫfaš al-Awsaṭ, sur le changement, ou mieux, l’« altération » (taġyīr), concernant
spécialement la question de la flexibilité/inflexibilité (binā’) des noms (texte n°4).
Les noms inflexibles étaient-ils anciennement flexibles et sont-ils devenus

158
Le point d’interrogation manque à la fin de la note de Blanc. Blanc fait ici référence au chapitre
XVII du Īḍāḥ où al-Zaǧǧāǧī (m. 337/948 ou 339-340/949-950) distingue entre deux types
d’arabe, fléchi et non fléchi, comme étant respectivement ceux de la minorité (ou élite) et de la
majorité (ou masse). Il n’est pas sûr cependant qu’il s’agisse de deux variétés, haute et basse,
de la langue : il peut s’agir seulement de deux registres, soutenu et relâché, de la variété haute
(cf. LARCHER, 2018a, repris ici même chapitre VI).
88 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

inflexibles du fait de leur fréquence d’emploi (seconde opinion) ? Ou bien, celle-ci


rendant l’altération inéluctable, étaient-ils inflexibles dès l’origine (première opi-
nion) ? Ibn Ǧinnī préfère la première opinion, aussi anhistorique que la seconde
peut passer en quelque manière pour historique (et qui peut sembler contradictoire
avec l’idée de la perte progressive de la flexion !). En fait, la position d’Ibn Ǧinnī
n’est pas sans ressembler, mutatis mutandis, à celle qui, dans la linguistique occi-
dentale, a précédé la linguistique historique, à savoir celle de la grammaire compa-
rée et de sa thèse bien connue du « déclin des langues »159. Pour lui, comme pour
elle, il existe un principe d’entropie de la langue, lié à son utilisation, et qui pousse
les utilisateurs au moindre effort. Dans ce cadre, la flexion désinentielle est vue
comme un facteur de complication inutile, dans la mesure où on peut s’en passer
par d’autres moyens, et source d’erreur : cf. le terme de taǧaššama (« s’infliger
quelque chose ») et ceux de zayġ (« déviation ») et zalal (« faux pas ») employés
par Ibn Ǧinnī, qui annoncent la comparaison de la conclusion, celle du passage
d’une flexion désinentielle à l’autre avec la marche précautionneuse du cheval met-
tant ses pattes l’une après l’autre entre les pierres (munāqala)160. Ibn Ǧinnī ajoutant
qu’en est seul capable le cheval de race, on comprend ainsi que l’utilisateur de la
langue fléchie appartient à une élite. Et c’est dans ce cadre qu’Ibn Ǧinnī mentionne,
sans les référencer, « ceux qui ne fléchissent pas » et l’exemple de ḍarab ’aḫūk li-
’abūk. Il est donc clair qu’il ne se comporte ni en historien de la langue ni en socio-
linguiste, mais bien plutôt en représentant de cette élite d’une part, en « théoricien »
du langage d’autre part, pour employer un terme qu’il emploie lui-même dans un
autre chapitre dont on va maintenant parler.

5.3. Hedjaz/Tamīm : Ibn Ǧinnī et Sībawayhi

Si la question se pose de la nature exacte du discours d’Ibn Ǧinnī, c’est parce


que la tradition linguistique arabe nous propose une autre opposition, qui n’est pas
sans rapport avec la précédente, et dont on est tenté de donner en première analyse
une interprétation linguistique, mais où l’on est bien obligé de voir en dernière ana-
lyse une simple construction épilinguistique…
On a vu que les deux expressions d’al-‘Arab al-fuṣaḥā’ et de fuṣāḥā’ al-
‘Arab impliquaient que, même à date ancienne, tous les « Arabes » n’étaient pas
faṣīḥ. C’est, nous semble-t-il, un écho direct de la délimitation géographique tradi-
tionnelle du domaine de la ‘arabiyya faṣīḥa à l’Ouest (Hedjaz) et au Centre (Nejd)
de la péninsule arabique, symbolisée par le fameux couple Hedjaz/Tamīm161.

159
Ducrot dans DUCROT et TODOROV, 1972, p. 24-27, ou DUCROT et SCHAEFFER, 1995, p. 24-25.
160
Le participe munāqil apparaît au vers 28 du poème en rā’ ‘ūǧū fa-ḥayyū (« Un détour, pour
saluer… ») du poète préislamique al-Nābiġa al-Ḏubyānī, mais Ibn Ǧinnī cite, pour sa part, ce
participe dans un vers de Ǧarīr (m. 110/728-729 ?).
161
La thèse selon laquelle, dès avant l’islam, tous les parlers arabes ne sont pas faṣīḥ, notamment
au Nord ceux des confins syro-mésopotamiens et au Sud ceux du Yémen est particulièrement
bien exprimée par IBN ḪALDŪN, Muqaddima, ch. VI, section 46, dernier alinéa, p. 1072. Cette
thèse, qui fragilise celle du fasād al-luġa comme conséquence de la conquête islamique, est
CHAPITRE V 89

Or, Ibn Ǧinnī fait justement une référence remarquable à ce couple dans un
autre chapitre des Ḫaṣā’iṣ, intitulé fī marātib al-’ašyā’ wa-tanzīlihā taqdīran wa-
ḥukman lā zamānan wa-waqtan, à peu près « de la hiérarchie des choses et du fait
que la place qu’on leur donne est affaire de statut virtuel, non de moment et de
temps » (IBN ǦINNĪ, Ḫaṣā’iṣ, t. I, p. 256-264, cf. annexe, texte n° 5). De ce chapitre,
on cite ordinairement le début et, dans ce début, plus particulièrement une phrase :
Ibn Ǧinnī indiquant, pour citer ici le premier exemple qu’il donne, à savoir que
qāma a pour « base » (’aṣl) qawama, ajoute (IBN ǦINNĪ, Ḫaṣā’iṣ, t. I, p. 257) :
« Quant au fait qu’elle ait été employée à un moment du temps ainsi, puis qu’on
s’en soit détourné par la suite pour cette forme, c’est une erreur, à laquelle ne croit
aucun théoricien ».
On conçoit que ce passage ait fait jadis les délices des lectures « générati-
vistes » de la grammaire arabe traditionnelle. Il semble établir, en effet, de la ma-
nière la plus nette qui soit, que par ’aṣl, il faut entendre une base théorique et non
pas historique, bref ce qu’en grammaire générative on appelait une structure sous-
jacente abstraite et non une structure de surface concrète162. Mais on oublie qu’Ibn
Ǧinnī ajoute un peu plus loin (IBN ǦINNĪ, Ḫaṣā’iṣ, t. I, p. 259-260) :
Sache, malgré cela, qu’une partie de ce que nous prétendons basique en ce sens
peut être articulée en l’état que nous prétendons tel, et c’est là le meilleur indice que la
représentation des états premiers que nous croyons être est juste. Ainsi les manières de
parler divergentes de deux tribus, comme celle du Hedjaz et des Tamīm. Nous disons,
n’est-ce pas, de l’impératif du verbe redoublé dans la manière de parler tamīmite, par
exemple šudd- (…) que la base est ušdud (…). Or, malgré ce [que nous avons dit pré-
cédemment de la base], telle est la manière de parler des gens du Hedjaz, qui est la
manière la plus châtiée et la plus ancienne.

Ibn Ǧinnī donne ici l’exemple des deux formes de l’impératif du verbe re-
doublé, toujours enseignées à l’école et que les anciens grammairiens appelaient
« tamīmite » et « hedjazienne ». Pour Ibn Ǧinnī, la forme tamīmite šudd- (l’éditeur
ne met pas de voyelle : on verra plus loin pourquoi) a pour « base », au sens qu’il a
défini, ušdud. Mais cette forme est en même temps celle employée par les gens du
Hedjaz. Elle n’est donc pas une structure abstraite, mais concrète et la « base » n’a
pas seulement une antériorité logique, mais historique, Ibn Ǧinnī qualifiant la « ma-
nière de parler du Hedjaz » de fuṣḥā et qudmā, où qudmā est à qadīm ce que fuṣḥā
est à faṣīḥ, le féminin de l’élatif. Attardons-nous un peu sur ce passage.
Qudmā est un écho direct du Kitāb de Sībawayhi (m. 180/796 ?), d’où sort
tout droit le couple Hedjaz/Tamīm. S’il s’est imposé à la postérité, c’est parce que :
1) ce sont les deux groupes que Sībawayhi cite le plus, respectivement 54 et 62 fois
selon l’index de l’édition Hārūn du Kitāb, laissant ainsi loin derrière eux tous les

reprise, à titre d’hypothèse, par d’éminents linguistes, cf., notamment, Corriente et son concept
de Nabati Arabic (CORRIENTE, 1976 et, en dernier lieu, CORRIENTE, 2010).
162
Cf. CORRIENTE, 1976, p. 68, n. 1, qui traduit en anglais cette phrase avec le commentaire sui-
vant : « What Ibn Ǧinnī had in mind was a generative transformational phonology, not a histor-
ical phonetics with room for a succession of actual forms in usage ».
90 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

autres groupes, avec moins de vingt mentions pour quelques-uns et moins de dix
pour tous les autres (remarque : on a noté qu’Ibn Ǧinnī qualifiait Hedjaz, qui dé-
signe une région, de tribu, par métonymie pour l’expression qu’emploie Sībawayhi,
celle de « gens du Hedjaz » et qu’emploie lui-même Ibn Ǧinnī à la fin du passage
cité) ; 2) Sībawayhi les cite très souvent (25 fois, soit près de la moitié des fois,
selon ce même index, et ceci est plus important que cela) en opposition l’un avec
l’autre, l’un faisant en matière de phonologie, morphologie ou syntaxe ce que
l’autre ne fait pas et vice-versa : ainsi Ibn Ǧinnī donne-t-il comme autre exemple
de « base » qui est en même temps une forme concrète le participe passif du verbe
creux (e.g. mabyū‘ « vendu », vs mabī‘, qui est la forme « classique »)163. Mais alors
que SĪBAWAYHI, Kitāb, t. IV, p. 348, lui-même note que « certains Arabes le pro-
duisent selon la base » (wa-ba‘ḍ al-‘Arab yuḫriǧuhu ‘alā al-’aṣl), sans autre préci-
sion, Ibn Ǧinnī l’attribue expressément aux Tamīm, ce qui, soit dit entre paren-
thèses, relativise et fragilise l’idée de la langue (des gens) du Hedjaz comme « la
plus ancienne » ! Plusieurs arabisants ont valorisé cette opposition, dont ils ont
donné des interprétations linguistiques, notamment VOLLERS, 1906 [1981], avec
son concept de Umschreibung164 (le Coran, d’abord proféré dans le vernaculaire,
Volkssprache, de La Mecque, aurait été « réécrit » dans un parler est-arabique, à
l’origine de la langue écrite, Schriftsprache)165 ou RABIN, 1951, avec son concept
de West-Arabian. À l’inverse, nous proposerons une lecture plus épilinguistique
que linguistique du couple Hedjaz/Tamīm.
De toute évidence, Sībawayhi n’a pas une expérience personnelle directe de
la « langue des gens du Hedjaz », alors qu’il fait état d’une telle expérience pour
celle des Tamīm. En effet, alors qu’il peut dire « j’ai entendu un Tamīmite
dire… »166, il ne cite jamais « les gens du Hedjaz » que par ouï-dire167 et exemplifie
toujours leur langue, en dehors d’exemples de grammairiens, par des versets cora-
niques. D’où un linguiste conclura que la « langue des gens du Hedjaz » n’est rien
d’autre que le nom islamique de la langue du Coran et que les traits qui lui sont
attribués ne sont nullement des traits enregistrés sur le terrain, mais en fait ceux
résultant de l’examen objectif du ductus consonantique coranique (rasm). Ainsi la
forme hedjazienne de l’impératif (et, plus largement d’ailleurs, du jussif) du verbe

163
Cette forme se rencontre dans les dialectes contemporains : quel arabisant ne connaît pas le
célébrissime manyūk ?
164
[Note de relecture : en fait Umarbeitung (VOLLERS, 1906 [1981], p. 162), Vollers employant
généralement überarbeiten et ses dérivés (überarbeitet, Überarbeitung…)].
165
L’hypothèse d’une « réécriture » est cependant inutile. Il vaut mieux faire avec Paul Kahle
(1875-1964) celle d’une « classicisation » de la langue coranique par le biais des lectures gram-
maticales (qirā’āt) (Kahle 1948, 1949, 1959 [1947]). Un linguiste arabisant d’aujourd’hui ajou-
terait cependant que si ce sont les plus « classicisantes » de ces lectures qui l’ont emporté, la
Koranphilologie, au premier rang de laquelle les Ma‘ānī al-Qur’ān d’al-Farrā’ (m. 207/822),
exhibe une multitude de « lectures » non classiques…
166
Par exemple SĪBAWAYHI, Kitāb, t. IV, p. 180 sami‘nā ba‘ḍ banī Tamīm min banī ‘Adī ya-
qūlūna… (« nous avons entendu certains Banū Tamīm, des Banū ‘Adī, dire… »).
167
Par exemple SĪBAWAYHI, Kitāb, t. III, p. 555 wa-qad balaġanā ’anna qawman min ’ahl al-
Ḥiǧāz… (« il nous est revenu qu’un groupe des gens du Hedjaz… »).
CHAPITRE V 91

redoublé provient du fait qu’en ce cas le rasm exhibe deux consonnes identiques
successives. Outre l’impératif ušdud même, qu’on trouve dans Cor. 10, 88 et 20,
31, on peut citer le jussif fa-l-yamdud, qu’on trouve dans Cor. 19, 75. À l’inverse,
Cor. 3, 120 met les « lecteurs » (qurrā’) dans l’embarras. On a en effet le ductus y
(sans points)-ḍ (sans point)-r dans un contexte, l’apodose d’un système potentiel en
’in, où on a régulièrement en arabe coranique l’apocopé yaf‘al à la forme positive
et lā yaf‘al à la forme négative : on s’attendrait donc à avoir lā yaḍrur (ductus y-ḍ-
r-r). ‘Āṣim (m. fin 127 ou début 128/745), transmis par Ḥafṣ (m. 180/796), respecte
le ductus mais fait violence à la syntaxe en lisant yaḍurru (inaccompli indicatif),
tandis que Nāfi‘ (m. 169/785) transmis par Warš (m. 197/812) respecte la syntaxe,
mais fait violence à la morphologie, en lisant yaḍir, c’est-à-dire comme l’apocopé
d’un verbe creux ḍāra-yaḍīru, qu’on ne rencontre par ailleurs qu’une seule fois dans
le Coran, en 26, 50, sous la forme du nom d’action ḍayr168…
Pour la tradition islamique, cette identification n’a nul besoin d’être linguis-
tiquement fondée de manière indépendante : en fait, elle est scripturairement fondée
et, en particulier par Cor. 14, 4 qui proclame « nous n’avons envoyé d’envoyé que
dans la langue de son peuple pour qu’il leur rende [les choses] claires, distinctes »
(mā arsalnā min rasūlin ’illā bi-lisāni qawmihi li-yubayyina lahum). Ce verset a
servi de prémisse à un raisonnement de type syllogistique, qui, via la prémisse im-
plicite « Mahomet est l’envoyé d’Allah à son peuple », a conduit à la conclusion
que la langue du Coran était la langue même de Mahomet, c’est-à-dire le vernacu-
laire de La Mecque, ville natale de Mahomet, sise au Hedjaz, et territoire de la tribu
de Qurayš (c’est pourquoi cette langue est appelée, outre « langue (des gens) du
Hedjaz », « langue de Qurayš »), mais Sībawayhi lui-même n’emploie jamais cette
dernière expression, mais toujours et seulement la première. On a évidemment noté
l’origine coranique de l’expression lisān al-qawm dont se servait al-Muqaddasī
pour désigner l’arabe vernaculaire.
Mais cette langue étant celle choisie par Allah pour « faire descendre »
(tanzīl) le Livre, cette langue est en même temps posée comme al-luġa al-fuṣḥā.
Notons que Sībawayhi lui-même n’emploie jamais cette expression. Qudmā est
couplé chez lui (SĪBAWAYHI, Kitāb, t. III, p. 278) à ’ūlā (« première »), à propos
d’un autre trait « hedjazien », l’indéclinabilité des noms de forme fa‘ālī, quand ils
sont employés comme noms propres féminins, que les Tamīm à l’inverse déclinent,
sauf quand ils se terminent en rā’ (e.g. Faǧāri) : cette indéclinabilité étant considé-
rée comme la « base » (’aṣl), Sībawayhi en conclut que « la langue du Hedjaz est
la langue la plus ancienne et première » (wa-l-ḥiǧāziyya hiya al-luġa al-qudmā al-
’ūlā). Mais Sībawayhi n’emploie que l’expression de luġa qadīma ǧayyida
(« langue ancienne excellente ») à propos de la forme « hedjazienne » du jussif
(SĪBAWAYHI, Kitāb, t. IV, p. 473). Et il emploie celle d’« excellente langue du Hed-
jaz » (wa-hiya al-hiǧāziyya al-ǧayyida) à propos de la forme watid, qu’il considère
implicitement comme la « base », notant que les Tamīm par contraste, font subir

168
L’alternance dans le même sens d’un verbe redoublé (majoritaire) et d’un verbe creux (minori-
taire : une seule occurrence, deux avec la lecture de Warš ‘an Nāfi‘) pose alors le problème de
l’homogénéité de la langue coranique…
92 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

une syncope (’iskān, litt. « amuïssement ») à la voyelle médiale et assimilent


(’idġām) le t au d, i.e. watid > wadd (SĪBAWAYHI, Kitāb, t. IV, p. 482)169. Le fait
que Sībawayhi n’emploie pas l’expression d’al-luġa al-fuṣhā qu’emploie Ibn Ǧinnī
deux siècles plus tard montre les progrès intervenus dans le processus de dogmati-
sation entre le IIe/VIIIe et le IVe/Xe siècle. Cette expression désigne aujourd’hui en
arabe ce que les arabisants appellent eux-mêmes arabe classique. On se gardera de
l’anachronisme consistant à rétroprojeter cette acception contemporaine sur le passé
de la langue et conduisant au raccourci linguistiquement inacceptable, ainsi qu’on
va voir : arabe coranique = arabe classique. Dans la terminologie médiévale, al-
luġa al-fuṣḥā ne s’oppose pas, comme aujourd’hui, à al-luġa al-‘āmmiyya, mais est
en fait une réécriture de l’expression ’afṣaḥ al-luġāt al-‘arabiyya : il ne s’agit pas
encore d’une variété, seulement de « la manière de parler la plus châtiée », dans un
ensemble constituant le domaine de la luġa al-faṣīḥa170.
C’est bien ce qui alerte : pourquoi en effet, si la « langue (des gens) du Hed-
jaz » et, en son sein, la « langue de Qurayš », est la luġa al-fuṣḥā, étendre le do-
maine de la luġa al-‘arabiyya al-faṣīḥa à l’est ? Parce qu’il y a, dans la langue du
Coran, des traits, les fameux « hedjazismes », qui, justement, ne seront pas ceux
retenus par la langue classique, au sens technique du terme, c’est-à-dire le produit
de la standardisation entreprise par les grammairiens à partir du IIe/VIIIe siècle à
partir d’un arabe marqué de toute évidence par une importante variation dialectale.
Le plus fameux de ces traits est l’« allégement de la hamza » (taḫfīf al-hamza), dont
la place n’est pas marquée dans le rasm et/ou dont la rime coranique (fāṣila) suggère
qu’il n’est pas « réalisé » : hamza que les Tamīm à l’inverse « réalisent » (taḥqīq
al-hamza)171…
Et ce qui est vrai de la phonologie l’est tout autant de la morphologie ou de
la syntaxe. Ce n’est pas la forme « hedjazienne » du jussif du verbe redoublé, mais
bien la forme « tamīmite » qu’a retenue l’arabe classique, qui en a fixé la voyelle
(- a), confondant ainsi jussif et subjonctif, alors que celle-ci était variable en arabe
ancien. Si l’éditeur ne vocalise pas šudd- , c’est parce qu’Ibn Ǧinnī cite en fait trois
impératifs de verbes redoublés : šudd-, ḍann- et firr-. Cela sort tout droit de
SĪBAWAYHI, Kitāb, t. III, p. 532-533, qui cite les trois impératifs rudd-, ġaḍḍ- et
firr- en indiquant que parmi les Arabes, autres que les gens du Hedjaz, « il en est
qui en vocalisent la finale à l’instar de celle qui précède » (minhum man yuḥarriku
al-’āḫir ka-taḥrīk mā qablahu), donc ruddu, ġaḍḍa et firri : il s’agit clairement
d’une voyelle d’appui, fonction de celle du radical. Du même coup, il devient

169
À l’inverse, Régis Blachère (1900-1973) parle d’anaptyxe, sans parler d’assimilation (donc
*watd > watid) (BLACHÈRE, 1952, p. 74)… Un linguiste parlerait plus prudemment de la coexis-
tence de variantes, dont l’une, watid, est devenue « classique ».
170
Sur l’archéologie du concept d’al-luġa al-fuṣḥā, cf. LARCHER, 2008.
171
Cf. SĪBAWAYHI, Kitāb, t. III, p. 541 et suivantes (bāb al-hamz). Sībawayhi indique explicitement
que le taḫfīf al-hamza regroupe trois cas : le taḫfīf proprement dit se traduisant par une hamza
bayna bayn, c’est-à-dire intermédiaire entre une vraie hamza (e.g. sa’ala) et une simple voyelle
longue (i.e. sāla, variante dont il a ouï dire l’existence), donc quelque chose comme saala ; sa
« mutation » (badal), par exemple ḫaṭiyya pour ḫaṭī’a, et sa « suppression » (ḥaḏf), par exemple
ḥawaba pour ḥaw’aba.
CHAPITRE V 93

difficile pour ne pas dire impossible de voir dans ušdud la « base » de šudd-. Même
si les verbes redoublés de l’arabe dit classique ont deux radicaux, -šdud en syllabe
fermée, mais šudd- en syllabe ouverte, une syllabe fermée est une syllabe se termi-
nant par une consonne, mais une consonne, comme son nom même l’indique, ne
« sonne » qu’avec l’appui d’une voyelle… : il vaut donc mieux voir dans šudd- un
impératif fait (ou refait) sur le radical majoritaire de l’inaccompli. Et de même ce
n’est pas le mā « hedjazien », gouvernant apparemment172 l’accusatif, qu’a retenu
l’arabe classique, mais le mā « tamīmite », gouvernant apparemment le nominatif,
SĪBAWAYHI, Kitāb, t. I, p. 59, indiquant en effet explicitement que c’est celui-ci,
non celui-là, qui est la « règle » (qiyās)…
Cela étant, il y a tout autant de « tamīmismes », qui ne sont pas davantage
les traits de la langue classique, mais qui ont l’avantage, sur les « hedjazismes »
seulement attestés par le rasm coranique, d’être, au moins pour certains d’entre eux,
toujours attestés par les dialectes arabes modernes : ainsi, la taltala (le fait de voca-
liser i le préfixe de l’inaccompli) ou la kaškaša (le fait de transformer à la pause le
pronom affixe de 2e personne du féminin singulier -k(i) en š pour le distinguer du
masculin -k(a))173. D’une certaine manière, les grammairiens arabes ultérieurs, tout
en étant obligés, pour des raisons théologiques, de poser langue du Coran = langue
de Qurayš = al-luġa al-fuṣḥā ont parfaitement compris que celle-ci, en fait, était
une sélection de traits dans un ensemble de parlers… Le terme souligné apparaît
dans le scénario, proposé par al-Farrā’ et repris par IBN FĀRIS (m. 395/1004),
Ṣāhibī, p. 52-53, pour expliquer comment les Qurayš sont devenus les plus châtiés
des Arabes et, donc, leur langue al-luġa al-fuṣḥā : parce que, comme gardiens d’un
sanctuaire objet d’un pèlerinage panarabe, ils ont pu ainsi « choisir » (taḫayyur) le
meilleur de chaque parler arabe174.

172
Du fait de la présence d’un ’alif dans le rasm, comme dans Cor. 12, 31 « lu » mā hāḏā bašaran
(« ce n’est pas un homme »). Si le -ā est une certitude, le -an, lui, n’est qu’une hypothèse, voire
une construction de grammairien, provenant de la réinterprétation de plusieurs faits : l’un, in-
discutable, est la prononciation -ā de segments -an, n’ayant rien à voir avec le tanwīn de l’arabe
classique, comme le -an de l’énergique : prononciation attestée par Cor. 96, 15 où la-nasfa‘an
est en fait écrit la-nasfa‘ā (on pourrait éventuellement y ajouter le Yōḥanan de l’hébreu-araméen
donnant Yūḥannā en arabe) ; l’autre, issu de la tradition grammaticale arabe, est l’alternance
ā/an, certains Arabes dans certains registres prononçant -an ce que d’autres prononcent -ā (tan-
wīn al-tarannum). On pourrait y ajouter un phénomème d’entrecroisement avec l’état empha-
tique du syriaque : DYE, 2017, p. 352-353, a rappelé que dans la formule millata Ibrāhīma
ḥanīfan (> ā), ḥanīfan se comprenait mieux comme un calque syntaxique de l’état emphatique
du syriaque que comme un tanwīn de l’arabe classique…
173
Comme pour le suffixe relateur, il existe une riche littérature sur la kaškaša, cf., en dernier lieu,
OWENS, 2013, qui a le mérite de proposer une interprétation originale de l’autre kaškaša, celle
consistant, non à remplacer -ki par š à la pause, mais à lui ajouter š (-ki > -kiš). Les exemples
donnés par SĪBAWAYHI, Kitāb, t. IV, p. 199, de la kaškaša qui nous intéresse ici confirment que
la phrase nominale de l’arabe est bien une phrase segmentée, la segmentation se traduisant par
une pause entre thème et propos : ’innaki ḏāhibatun > ’innaš ḏāhibah (« Oui, tu es en par-
tance »).
174
Sur le texte d’al-Farrā’, exhumé par Kahle et plusieurs fois commenté par lui (KAHLE, 1948,
1949, 1959 [1947]), et celui d’Ibn Fāris, cf. LARCHER, 2004, 2005b, repris ici même ch. I et II.
94 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

L’inclusion des Tamīm n’est pas davantage linguistique. Ce n’est que le co-
rollaire de la thèse liant la « corruption de la langue » à la sédentarisation et au
mélange des populations arabes et non arabes : si la langue se corrompt au contact
des non-Arabes, alors elle sera d’autant plus pure que ceux-ci sont plus isolés des
non-Arabes. Le Nejd, situé au centre de l’Arabie, se désigne lui-même comme ce
lieu idéal… Nous avons qualifié cette thèse de « philosophique », par rapport à la
précédente, que nous avions qualifiée de « théologique », parce qu’elle a été for-
mulée de manière particulièrement explicite par le philosophe al-Fārābī
(m. 339/950) dans le Kitāb al-ḥurūf. Celui-ci, poussant le raisonnement jusqu’à son
terme, omet même, très logiquement, les Qurayš, qui peuvent difficilement passer
pour un groupe nomade, de la zone de l’arabe châtié. Du moins dans la version de
son ouvrage publiée par MAHDI (1969, § 135, p. 147) et qui est très certainement la
version originale ; dans la version rapportée par AL-SUYŪṬĪ (m. 911/1505), Muzhir,
t. I, p. 211-212 et Iqtirāḥ, p. 19-20, les Qurayš, à l’inverse, occupent la première
place. Il y a eu très certainement une réécriture, peut-être par al-Fārābī lui-même,
de la première version pour concilier philosophie et théologie175. Du même coup,
on comprend mieux l’existence de « traditions » (ḥadīṯ) dont la plus célèbre fait
dire à Mahomet « je suis le plus châtié de ceux qui prononcent le ḍād bayda ’anna
je suis de Qurayš » (’anā ’afṣaḥu man naṭaqa bi-l-ḍādi bayda ’annī min Qurayšin),
avec bayda ’anna au sens controversé : dans le contexte, il devrait s’interpréter
comme « parce que », alors qu’ailleurs il signifie « bien que »176…
La conjonction du Hedjaz et des Tamīm est donc celle de la théologie d’une
part, de l’idéologie linguistique d’autre part, et, notamment, de l’idée que si la
langue « classique » n’est plus la langue de personne, elle l’a été, avec son trait
caractéristique, le ’i‘rāb, que les grammairiens doivent d’autant plus justifier que,
sur le plan linguistique, il ne sert strictement à rien…

6. Conclusion

Les extraits ici cités des Ḫaṣā’iṣ d’Ibn Ǧinnī emportent sans conteste une
double reconnaissance : celle, explicite, d’une différenciation entre parlers nomades
et sédentaires ; celle, implicite, d’une situation de diglossie. Notions dont conti-
nuent de se réclamer la dialectologie et la sociolinguistique arabes.
Le linguiste sera beaucoup plus réservé sur la caractérisation linguistique de
cette différenciation et la représentation de l’histoire de la langue qu’elle implique.
Il sera d’autant plus réservé sur cette caractérisation, résumée par le mot de faṣīḥ
(« châtié »), interprétable contextuellement comme mu‘rab (« fléchi »), qu’Ibn
Ǧinnī reconnaît explicitement deux choses : 1) aucun parler arabe nomade de son

175
Sur les différentes versions de ce texte, cf. LARCHER, 2006a, repris ici même ch. III.
176
Cf., en dernier lieu, BAALBAKI, 2014, p. 9. C’est comme si l’on avait voulu souligner malicieu-
sement le caractère apocryphe de telles traditions et controuvé de la thèse qu’elle véhicule, ce
qui pose une intéressante question : jusqu’à quel point les auteurs médiévaux sont-ils dupes des
thèses théologiques et ne pratiquent-ils pas en quelque manière un double langage, propre aux
univers dogmatiques ?
CHAPITRE V 95

temps ne relève plus du type « fléchi » ; 2) même à date ancienne, tous n’en rele-
vaient pas.
Qui ne voit la conséquence fâcheuse de 2) pour une « histoire » de la langue,
résumée par le concept de fasād al-luġa (« corruption de la langue »), interprétable
comme une évolution d’un type à l’autre ? Le point 2) veut dire en effet que les
deux types coexistaient déjà !
Par suite, la « territorialisation » de la luġa al-faṣīḥa (et la désignation, en
son sein, de la luġat ’ahl al-Ḥiǧāz ou al-luġa al-ḥiǧāziyya comme la luġa al-fuṣḥā)
apparaît comme une construction mi-théologique, mi-idéologique, poursuivant plu-
sieurs buts : l’un, spécifique, est de justifier la « classicisation », par les lectures
grammaticales (qirā’āt) du ductus coranique, de la langue du Coran et mettre ainsi
un terme au débat sur l’origine de l’arabe classique (est-ce la langue du Coran ou
celle de la poésie bédouine ?) ; l’autre, qui ne l’est pas, est de donner une base géo-
graphique à ce qui deviendra, après standardisation, l’arabe classique (ce que font
généralement les langues classiques), histoire de faire oublier leur caractère artifi-
ciel…
96 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

Annexe
Textes arabes et traductions françaises d’IBN ǦINNĪ, Ḫaṣā’iṣ

Texte n°1, t. II, p. 28-29

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E & >(& L2' L  ^ ‰† @V Le 'E | r?,&  j _ Š6e& 6=
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CB2 ºUk k 7 CBe L ]b Mc6 O M6 MH? 4 V+'  CBe O& e_
| F w& 6 O CB2 ,4  G6!~ K? "‰ ^4 "JO6~_& "J &)  Gc
.  &  8

Texte n° 2, t. II, p. 5

& 7W& aO& BV^  F„ 7 & D¨ sH? €,  RQ ’+V MK?,
"J+, wE T "JVH? aO  G3! €V' i& "JV) r?, L( M+' 7 L "?,
W¨  F„ 7 MH ’!   7 1  k' Rwe&  7 , wž' e
J+, a'  3K?_ »_& JVH ¢ F T F1VA& M) O Da, €VA& m-& M+E
M) \+ +Aƒ Œ L4& c6 '& xA a2A ^ AE w +V(& 7 RQ r?,&
.\+ ¢9H';& +'& \6 ¼'& RQ O'  CA 2A i \Be
CHAPITRE V 97

Nous avons déjà parlé au début de l’ouvrage de la langue : est-ce convention


qu’elle est ou bien révélation ? Nous avons cité et tenu pour possible, en la matière,
les deux choses ensemble. Mais comment la situation a-t-elle évolué et selon la-
quelle des deux choses a-t-elle commencé ? En effet, il est nécessaire qu’en soit
d’abord apparue une partie. Puis, besoin il y eut, ultérieurement, de davantage que
cela, une raison se présentant pour cela, et elle se trouva alors augmentée peu à peu.
Mais cela se fit sur le modèle de ce qui en existait déjà auparavant, en ce qui con-
cerne ses articulations, sa composition et la flexion désinentielle en distinguant les
significations, la seconde partie ne divergeant pas de la première, ni la troisième de
la seconde, le tout s’étant ainsi formé de manière successive et continue. Il n’est
aucun des Arabes au langage châtié qui ne dise qu’il imite le parler de son père et
de ses ancêtres, lesquels se le sont transmis en héritage, l’un de l’autre et un suc-
cesseur d’un prédécesseur. Il n’en va pas ainsi des sédentaires : en effet, ils ne se
cachent pas, entre eux, d’avoir laissé le parler de ceux qui se rattachent à la langue
arabe châtiée et de s’en être écartés. Toutefois, le parler des sédentaires est identique
à celui des Arabes à la langue châtiée, en ce qui concerne ses articulations et sa
composition. Mais ils ont porté atteinte, en quelque manière, à la flexion désinen-
tielle du parler châtié. Telle est l’opinion de Abū al-Ḥasan et c’est ce qui est juste.

La cause de l’impossibilité de cela est ce qui est advenu aux manières de


parler des sédentaires en fait de dégradation, corruption et désordre. Si on savait
que les habitants d’une cité ont conservé leur correction et qu’il n’est advenu aucune
corruption dans leur langue, il faudrait prendre d’eux comme on prend des no-
mades. Et, de même, aussi, si s’était répandu chez les nomades ce qui a diffusé dans
la langue des sédentaires, à savoir la confusion et la détérioration linguistiques, la
disparition de l’habitude, largement répandue, à bien parler, il aurait fallu rejeter
leur langue et ne pas accepter ce qui en vient. C’est d’ailleurs ce que nous faisons
en ce temps qui est nôtre, parce que nous ne voyons presque pas de Bédouin [au
parler] châtié. Et si, nous, nous trouvons chez lui de la correction dans son parler,
ne nous fait pour ainsi dire pas défaut ce qui le gâte et le pourrit, lui ôte et l’amoin-
drit.
98 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

Texte n° 3, t. I, p. 250

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Texte n° 4, t. II, p. 31-32

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CHAPITRE V 99

J’ai demandé un jour à al-Šaǧarī177 : « ô Abū ‘Abdallāh, comment peux-tu


dire : ḍarabtu ’aḫāka ? » — C’est ainsi [que je dis]178, répondit-il — Dirais-tu donc
ḍarabtu ’aḫūka ?, dis-je179. — Je ne dirai jamais ’aḫūka, répondit-il. — Comment
peux-tu alors dire ḍarabanī ’aḫūka ?, demandai-je. — C’est ainsi [que je dis], ré-
pondit-il180. — Mais n’as-tu pas prétendu que tu ne disais jamais ’aḫūka ?, dis-je.
— Qu’est-ce là ?, dit-il. Les deux façons de parler ont divergé : cette expression
[i.e. ḍarabtu ’aḫūka] n’est-elle pas, en ce qui concerne son sens, semblable à ce que
nous disons, nous [i.e. ḍarabtu ’aḫāka] : l’objet est devenu un sujet, même s’il ne
l’est absolument pas dans cette expression, car il en est un, [d’objet], sans aucun
doute181 ».

Abū al-Ḥasan était d’avis que ce qui a été changé du fait de sa fréquence
d’emploi a été conçu par les Arabes avant même son institution. Ils ont su que cela
devait être fréquemment employé par eux et ils l’ont changé dès le début, sachant
que cette fréquence motivant le changement était inéluctable (…). Mais il [i.e. Abū
al-Ḥasan] avait également tenu pour possible qu’ils [i.e. les noms inflexibles] aient
été anciennement fléchis : lorsqu’ils ont été fréquemment [employés], ils ont été
ultérieurement altérés. Mais le [meilleur] dire est selon moi le premier, parce qu’il
prouve mieux leur sagesse [i.e. celle des Arabes] et atteste mieux de la connaissance
qu’ils ont du devenir des choses. Ils ont donc laissé une partie du discours figé, non
fléchi, ainsi ’amsi, hā’ulā’i, ’ayna, kayfa, kam, ’iḏ. Ils ont toléré ce qui ne s’accom-
pagne pas sûrement d’ambiguïté, parce qu’eux, s’ils craignent cela, ajoutent un mot
ou deux : cela a été pour eux plus léger que de s’infliger la différenciation de la
flexion et leur crainte de la déviation et du faux pas en cela. Ne vois-tu pas que qui
ne fléchit pas et, par suite, dit ḍaraba ’aḫūk li-’abūk peut parvenir, au moyen du
lām, à distinguer le sujet de l’objet, sans s’infliger la différence de flexion désinen-
tielle pour faire connaître le sens ? Car le fait, pour la flexion, de passer successi-
vement d’un type à l’autre, c’est comme, pour le cheval, poser alternativement ses
membres [entre les pierres] : seul en est capable, parmi les chevaux, le cheval racé
et bon marcheur, non le cheval de vile race et lourd.

177
P. 76 : Abū ‘Abdallah b. al-‘Assāf al-‘Uqaylī al-Ǧuṯī al-Tamīmī, des Tamīm de Ǧuṯa.
178
P. 76 : fa-qāla ’aqūlu ḍarabtu ’aḫāka (« “je dirai ḍarabtu ’aḫāka”, répondit-il »).
179
P. 76 : fa-’adartuhu ‘alā raf‘ fa-’abā wa-qāla… (« je l’invitai à mettre au nominatif, mais il
refusa et dit… »).
180
P. 76 fa-rafa‘a (« il mit au nominatif »).
181
P. 76 fa-hal hāḏā ’illā ’adall šay’ ‘alā ta’ammulihim mawāqi‘ al-kalām wa-’i‘ṭā’ihim ’iyyāhu
fī kull mawḍi‘ ḥaqqahu wa-ḥiṣṣatahu min al-’i‘rāb (« N’est-ce pas la meilleure preuve qu’ils
réfléchissent aux cas du discours et qu’ils lui donnent, en tout lieu, son dû et sa part de la flexion
désinentielle ? »).
100 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

Texte n° 5, t. I, p. 256-257, puis 259-260

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CHAPITRE V 101

Ce sujet engendre beaucoup d’illusion chez la plupart des gens qui l’enten-
dent, sans que dessous il y ait de réalité. C’est, par exemple, le fait que nous disions :
la base dans qāma est qawama ; dans bā‘a, baya‘a ; dans ṭāla, ṭawula ; dans ḫafa,
nāma et hāba, ḫawifa, nawima et hayiba ; dans šadda, šadada ; dans istaqāma, is-
taqwama ; dans yasta‘īnu, yasta‘winu ; dans yasta‘iddu, yasta‘didu. Cela crée l’il-
lusion que ces expressions et ce qui va dans leur sens, parmi ce dont nous préten-
dons qu’il a une base différente de sa forme apparente, pouvaient se dire et, par
suite, qu’on disait au lieu de qāma Zaydun qawama Zaydun et, de même, nawima
Ǧa‘far, ṭawula Muḥammad, šadada ’aḫūka yadahu, ista‘dada l-’amīru li-‘aduw-
wihi. Mais il n’en va pas ainsi, bien au contraire. En effet, on ne les a jamais énoncés
que sous la forme où tu les vois et les entends. Quand nous disons « ceci a pour
base telle chose », voici ce que cela signifie : que si cette chose apparaissait sous la
forme saine, sans subir de mutation, il faudrait que son apparition se fasse selon ce
que nous avons mentionné. Quant au fait qu’elle ait été employée à un moment du
temps ainsi, puis qu’on s’en soit détourné par la suite pour cette forme, c’est une
erreur, à laquelle ne croit aucun théoricien. (…) Sache, malgré cela, qu’une partie
de ce que nous prétendons basique en ce sens peut être articulée en l’état que nous
prétendons tel, et c’est là le meilleur indice que la représentation des états premiers
que nous croyons être est juste. Ainsi les manières de parler divergentes de deux
tribus, comme celle du Hedjaz et des Tamīm. Nous disons, n’est-ce pas, de l’impé-
ratif du verbe redoublé dans la manière de parler tamīmite, par exemple šudda,
ḍanna, firra, ista‘idda, iṣṭibba yā raǧul, iṭma’inna yā ġulām que la base est ušdud,
iḍnan, ifrir, ista‘did, iṣṭabib, iṭma’nin. Or, malgré ce [que nous avons dit précédem-
ment de la base], telle est la manière de parler des gens du Hedjaz, qui est la manière
la plus châtiée et la plus ancienne.
Chapitre VI

AL-ZAǦǦĀǦĪ (2)

ARABE FLÉCHI vs ARABE NON FLÉCHI

DEUX VARIÉTÉS OU DEUX REGISTRES D’UNE MÊME VARIÉTÉ ?*

1. Introduction

L’éminent linguiste arabisant Haïm Blanc (1926-1984) a vu dans un extrait


des Ḫaṣā’iṣ (t. II, p. 28-29) d’Ibn Ǧinnī (m. 392/1002) « the earliest statement of
what has come to be known as “Arabic diglossia” » (BLANC, 1979, p. 171). Dans
ce texte, Ibn Ǧinnī, se référant à une source antérieure, le grammairien al-Aḫfaš al-
Awsaṭ (m. 215/830), indique que « les sédentaires (…) ont porté atteinte en quelque
manière à la flexion désinentielle du parler châtié » (’ahl al-ḥaḍar (...) ’aḫallū bi-
’ašyā’ min ’i‘rāb al-kalām al-faṣīḥ) (IBN ǦINNĪ, Ḫaṣā’iṣ, t. II, p. 29). Un peu plus
loin, Blanc, dans un commentaire en forme de question de ce texte, ajoute en
note (BLANC, 1979, p. 172, n. 35) :
Was there a partial, gradual loss of ’i‘rāb, or were ’Abū l-Ḥasan and Ibn Ǧinnī
unwilling to recognize its complete loss, as implied by az-Zaǧǧāǧī (cf. […] his words
on p. 96 of the ’Īḍāḥ, man takallama… bi ‘arabiyyati bi-ġayri ’i‘rābin, ‘those who
speak Arabic without inflections’) [?]182.

VERSTEEGH, 1995, p. 167, n. 11, qui a traduit et commenté le Īḍāḥ fī ‘ilal


al-naḥw d’al-Zaǧǧāǧī (m. 337/948 ou 339-340/949-950) note, à la suite de sa

*
Paru sous le titre « Une relecture critique du chapitre XVII du Īḍāḥ d’al-Zaǧǧāǧī », in L.
EDZARD, M. SARTORI & P. CASSUTO (éd.), Case and Mood Endings in Semitic Languages –
Myth or Reality ?/Désinences casuelles et modales dans les langues sémitiques – Mythe ou ré-
alité ?, Abhandlungen für die Kunde des Morgenlandes 113, p. 45-67, Wiesbaden, ©Harrasso-
witz, 2018. C’est la version écrite de la communication faite au colloque du même nom tenu à
Aix-en-Provence, MMSH, le 27 mai 2016. L’hypothèse de lecture ici faite a été proposée une
première fois dans LARCHER, 2007, repris ici même ch. IV, avant de faire l’objet de la 6e séance
du séminaire de Liège et d’être ensuite développée à plusieurs reprises dans le séminaire Lin-
guistique arabe et sémitique du Master2 Recherche Mondes arabe, musulman, hamito-sémitique
d’Aix-Marseille Université.
182
Le point d’interrogation manque à la fin de la note de Blanc. Comme le note Blanc, Ibn Ǧinnī
se réfère lui-même à un autre endroit de son ouvrage (IBN ǦINNI, Ḫaṣā’iṣ, t. II, p. 32) à « ceux
qui ne fléchissent pas » (man lā yu‘ribu).
104 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

traduction du chapitre XVII (p. 96-97), d’où est extraite l’expression relevée par
Blanc : « This is one of the few references to everyday speech in Arabic gramma-
rians » [c’est nous qui soulignons], ajoutant :
there is very little information about the normal speech of common people. The
disappearance of the case-endings –one of the most obvious caracteristics of the mod-
ern Arabic dialects– is sometimes mentioned in connection with discussions about the
virtues of Bedouin speech.

De toute évidence, Blanc se place dans le cadre traditionnel de la linguis-


tique historique, qui se représente l’histoire de l’arabe comme celle de l’évolution
d’un type ancien arabe (fléchi) vers un type néo-arabe (non fléchi). Dans ce cadre,
la situation de diglossie résulte du fait que ce qui est, en diachronie, deux états d’une
même langue devient, en synchronie, deux variétés de cette langue, l’état plus ré-
cent n’ayant pas supplanté l’état plus ancien dans tous ses usages : celui-ci, au con-
traire, perdure, pour des raisons extra-linguistiques, dans certains usages.
Bien que ce cadre soit aujourd’hui contesté (e.g. OWENS, 2006), l’objet du
présent article est de proposer une relecture critique de ce chapitre (dont on trouvera
le texte arabe et une traduction française en annexe) et de montrer que, même en se
plaçant dans ce cadre, l’interprétation qu’en fait Blanc n’est pas assurée et qu’on ne
peut tenir pour certain, avec Versteegh, que l’expression d’« arabe sans flexions »
de ce chapitre est une simple périphrase pour « dialecte »183.

2. Deux variétés…

Comme tous les chapitres du Īḍāḥ, le chapitre XVII s’ouvre par une ques-
tion : « À quoi sert d’apprendre la grammaire ? » (mā fā’idat ta‘allum al-naḥw). Si
la question se pose, c’est parce que « la plupart des gens parlent naturellement sans
flexion désinentielle, qu’ils ne connaissent pas, tout en comprenant les autres et en
[se] faisant comprendre d’eux ».
Les termes soulignés permettent de dessiner positivement, tout à la fois lin-
guistiquement et sociolinguistiquement, les contours de cette variété et, négative-
ment, ceux de l’autre variété.
« La plupart des gens » (’akṯar al-nās) : c’est donc le parler de la majorité.
« Naturellement » (‘alā saǧiyyatihim) : c’est donc le parler spontané : c’est
d’ailleurs par « spontaneously » que BLANC, 1979, traduit l’expression,
VERSTEEGH, 1995, choisissant pour sa part « intuitively ».

183
Ce qui ne veut pas dire que ce ne puisse pas l’être ailleurs, à commencer par Ibn Ǧinnī, qui
illustre son expression de man lā yu‘ribu par ḍarab(a) ’aḫūk(a) li-’abūk(a) « ton frère a frappé
ton père » : ce n’est pas de l’arabe dit classique (ce serait ḍaraba ’aḫūka ’abāka), mais un arabe
qu’on peut dire dialectal, avec sans doute un substrat syriaque (le lomad s’emploie en syriaque
avec un complément d’objet déterminé, cf. COSTAZ, 1992, p. 185 et ici même ch. V. En re-
vanche, il n’y a aucun exemple d’arabe non fléchi dans le texte d’al-Zaǧǧāǧī.
CHAPITRE VI 105

« Sans flexion désinentielle (bi-ġayr ’i‘rāb) » : cette variété se caractérise


principalement par une totale absence de la flexion désinentielle, casuelle et mo-
dale.
« Ils n’en ont pas connaissance, tout en comprenant les autres et en se faisant
comprendre d’eux » (lā ma‘rifa minhum bihi fa-yafhamūna wa-yufhimūna ġayra-
hum) : l’absence du ’i‘rāb, due à son ignorance, ne nuit en rien à la communication,
littéralement à l’intercompréhension. L’arabe pratiquant la scriptio defectiva,
yafhamūna et yufhimūna sont homographes (yfhmwn). C’est la répétition de la
même forme graphique qui amène à la lire une fois comme yafhamūna et une autre
comme yufhimūna. On a un autre exemple du même phénomène au chapitre I (bāb
’aqsām al-kalām) avec al-muḫāṭab et al-muḫāṭib, eux aussi homographes (mḫ?ṭb)
(AL-ZAǦǦĀǦĪ, Īḍāḥ, p. 42)184. S’il n’y en avait qu’un, on lirait automatiquement al-
muḫāṭab, participe passif du verbe ḫāṭaba, seul utilisé dans un emploi nominal.
Mais, comme il y en a deux, on lit le second, après réflexion, al-muḫāṭib, participe
actif du même verbe. Le caractère réfléchi de la lecture du second, contrastant avec
le caractère spontané de la lecture du premier, est démontré par le fait que l’éditeur
vocalise al-muḫāṭab wa-l-muḫāṭib, ce qui est pourtant contraire à l’ordre logique.
Si cette variété est celle de la majorité, alors l’autre est celle de la minorité.
Si la première est naturelle, intuitive, spontanée, la seconde est artificielle et sur-
veillée. Elle se caractérise essentiellement par la présence du ’i‘rāb. Si celui-ci est
employé, c’est parce qu’il est connu, et s’il est connu, c’est parce qu’il est appris.
Ainsi dès le IVe/Xe siècle, apprendre la grammaire, c’est apprendre le ’i‘rāb. Comme
on sait, le terme de naḥw est équivoque, se disant à la fois de la grammaire comme
tout et, par opposition à ṣarf/taṣrīf, qui, dans la tradition arabe, regroupe à la fois
morphologie et phonologie, de l’une de ses deux parties, en l’espèce la syntaxe. Si
l’on veut lever l’ambiguïté, on substitue à ‘ilm al-naḥw ‘ilm al-’i‘rāb. La variété
« fléchie » est donc une variété scolairement acquise.
Al-Zaǧǧāǧī ayant explicitement noté que l’absence de flexion ne nuisait en
rien à la communication, il lui faut donc en justifier l’apprentissage. C’est l’objet
de la réponse à la question, se décomposant elle-même en trois volets.
Le premier volet (« parvenir à parler le langage des Arabes véritablement et
exactement, sans changement ni altération ») ne justifie pas à proprement parler
l’apprentissage du ’i‘rāb. C’est en fait une concession à l’idéologie linguistique, en
vertu de laquelle l’arabe fléchi a été jadis la langue parlée d’authentiques Arabes,
même si elle ne l’est plus aujourd’hui.
Il en va autrement des deux autres volets : « établir le Livre d’Allah » et
« connaître les traditions du Prophète ». Autrement dit, l’apprentissage du ’i‘rāb ne
concerne que des discours « extraordinaires », en l’espèce le Coran et la Tradition
de Mahomet. Pour le premier, la chose est justifiée de par son statut : « Le Livre
d’Allah est le fondement de la religion et de la vie sur terre et la référence ». C’est
une claire allusion au rôle du Coran comme premier des fondements du droit, ré-
glant non seulement les « services » (al-‘ibādāt) que les hommes doivent à Dieu

184
Par convention, ? note ici le ’alif.
106 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

(« la religion »), mais encore les « relations » (al-mu‘āmalāt) des hommes entre eux
(« la vie sur terre »). C’est seulement pour le second qu’al-Zaǧǧāǧī apporte une
justification proprement linguistique : « en fixer le sens exactement : en effet, les
significations ne s’en comprennent correctement qu’en leur payant l’intégralité des
droits qu’elles ont à la flexion désinentielle ». Autrement dit, la flexion désinen-
tielle, via une métaphore financière, est posée comme jouant un rôle dans l’inter-
prétation même de la tradition.
La réponse à la question est appuyée par un certain nombre de citations co-
raniques d’une part, de traditions d’autre part. Les citations coraniques, logique-
ment, précèdent les traditions. Tradition ne doit pas être entendu ici au sens, comme
précédemment, de tradition de Mahomet (’aḫbār al-nabī, ’aḥādīṯihi), mais à celui,
général, de propos rapporté de tel ou tel personnage. Les traditions, en ce sens, sont
classées grosso modo par ordre chronologique, en remontant le temps, et ordre
croissant d’importance des personnages auxquels elles sont attribuées : grammai-
riens, puis compagnons de Mahomet, parmi lesquels trois des quatre premiers ca-
lifes, Mahomet lui-même. Grosso modo, parce que la citation d’une tradition de
Mahomet n’empêche pas qu’elle soit suivie par celle d’un « ancien » (ba‘ḍ al-sa-
laf), non nommé, et une autre de ‘Alī, cousin et gendre de Mahomet et quatrième
calife « orthodoxe » (r. 35-40/656-661).
Commençons par les citations coraniques. On a d’abord le verset 2 de la
sourate 12 Yūsuf ’anzalnāhu qur’ānan ‘arabiyyan (« nous l’avons fait descendre en
un Coran arabe »), où le pronom affixe -hu du verbe ’anzalnā réfère à al-kitāb du
verset précédent : tilka ’āyātu l-kitābi l-mubīn (« ce sont là les versets du Livre
clair »). Ces deux versets résument la conception islamique de ce qu’on appelle
improprement « révélation », mais qui serait, la métaphore arabe n’étant pas celle
du « dévoilement », mais de la « descente », plus proprement appelé « catago-
gie »185 : catagogie d’un livre céleste en un Coran, transmis oralement avant que
d’être retranscrit.
On a ensuite bi-lisānin ‘arabiyyin mubīn, où l’on retrouve ce même mot de
mubīn. Il constitue le verset 195 de la sourate 26 al-šu‘arā’ (« les poètes »). Mais,
comme syntagme prépositionnel, il se rattache syntaxiquement au verset 193 dont
il est séparé par le verset 194, le verset 193 se rattachant lui-même au verset 192,
soit : 192 wa-’innahu la-tanzīlu rabbi l-‘ālamīn / 193 nazala bihi r-rūḥu l-’amīn /
194 ‘alā qalbika li-takūna mina l-munḏirīn / 195 bi-lisānin ‘arabiyyin mubīn « Oui,
c’est une révélation [cf. commentaire supra] du seigneur des mondes / qu’a fait
descendre l’esprit fidèle / sur ton cœur pour que tu sois au nombre des avertisseurs
/ en une langue arabe claire… ».
Le même syntagme, mais sans la préposition bi-, se trouve au verset 103 de
la sourate 16 al-naḥl (« Les abeilles ») : wa-la-qad na‘lamu ’annahu yaqūlūna ’in-
namā yu‘allimuhu bašarun lisānu llaḏī yulḥidūna ’ilayhi ’a‘ǧamiyyun wa-hāḏā
lisānun ‘arabiyyun mubīn : « nous savons bien qu’ils disent : c’est en fait un homme
qui l’instruit ; la langue de celui auquel ils font allusion est barbare, alors que celle-

185
Cf., ici même, ch. II, n. 56.
CHAPITRE VI 107

ci est une langue arabe claire ». En opposant lisān ‘arabī mubīn à lisān ’a‘ǧamī,
c’est-à-dire deux termes qualificatifs à un seul, le verset 103 désigne ’a‘ǧamī
comme une espèce de croisement de ‘aǧamī (« non arabe ») et ’a‘ǧam (« non
clair »).
Mubīn, traduit ordinairement par « clair », usage que nous avons suivi ici,
ne peut cependant pas signifier directement « clair ». C’est le participe actif d’un
verbe ’abāna que sa forme ’af‘ala désigne comme le factitif du verbe de base bāna
(« être clair, distinct »), donc de sens « rendre clair, distinct », mais qui, employé
intransitivement, peut se comprendre de deux manières : soit comme un verbe à
objet implicite, comme l’est le verbe apparenté bayyana dans le verset 14, 4 mā
’arsalnā min rasūlin ’illā bi-lisāni qawmihim li-yubayyina lahum (« nous n’avons
envoyé d’envoyé que dans la langue de son peuple, pour qu’il leur rende [les
choses] claires, distinctes »), soit comme un verbe implicitement réfléchi de sens
« (se) montrer clair ». C’est cette dernière interprétation qui a les faveurs du lin-
guiste, dans la mesure où, dans la langue ancienne, existe un grand nombre de paires
IV/X dans la relation d’implicitement à explicitement réfléchi et que l’on trouve
justement une fois dans le Coran mustabīn qualifiant kitāb (37, 117) : wa-’ātaynā-
humā l-kitāba l-mustabīn (« nous leurs avons apporté (à Moïse et Aaron) le livre se
montrant clair »)186.
On a encore qur’ānan ‘arabiyyan ġayra ḏī ‘iwaǧin, qui, complété par
la‘allahum yattaqūn, constitue le verset 28 de la sourate 39 al-zumar (« Les
groupes »), à comprendre syntaxiquement, selon Tafsīr al-Ǧalālayn (p. 388),
comme un « complément d’état corroboratif » (ḥāl mu’akkida) du verset précédent
wa-la-qad ḍarabnā li-n-nāsi fī hāḏā l-qur’āni min kulli maṯalin la‘allahum ya-
taḏakkarūn, soit : « nous avons donné aux hommes dans ce Coran des exemples de
toute sorte – peut-être se souviendront-ils / [étant, en tant que] un Coran arabe sans
tortuosité – peut-être feront-ils montre de révérence ». Comme le note al-Zaǧǧāǧī
lui-même, ce verset ajoute à l’idée de « clarté » celle de « rectitude » (istiqāma),
qui, à son tour, par un glissement de l’expression au sens, amène à celle de ‘adl (à
la fois justesse et justice) appuyée par la quatrième et dernière citation coranique
wa-kaḏālika ’anzalnāhu ḥukman ‘arabiyyan. C’est là le verset 37 de la sourate 13
al-ra‘d (« Le tonnerre »), à comprendre, selon Tafsīr al-Ǧalālayn (p. 209) : (’an-
zalnāhu) ’ay al-Qur’ān (ḥukman ‘arabiyyan) bi-luġat al-‘Arab taḥkumu bihi bayna
al-nās (« ’anzalnāhu, c’est-à-dire le Coran, ḥukman ‘arabiyyan, dans la langue des
Arabes, par lequel tu arbitres entre les hommes »). Le verset s’adresse en effet à
Mahomet, aux prises avec les « factions » (’aḥzāb), d’où notre traduction « et, ainsi,
nous l’avons fait descendre en une sentence [en langue] arabe ».
Venons-en maintenant aux traditions. Les trois premières traditions, bien
qu’ayant « l’arabe » (al-‘arabiyya) pour objet, n’ont pas d’intérêt sur le plan

186
Tout ce développement sur lisān ‘arabī mubīn reprend dans une large mesure LARCHER, 2003b
[développé dans LARCHER, 2020, Ch. VI, p. 107-119]. Sur lisān ‘arabī mubīn, voir en dernier
lieu KROPP, 2015, qui propose une interprétation originale.
108 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

linguistique, mais elles en ont un très grand sur le plan épilinguistique187. ‘Arabiyya
est un mot féminin comme adjectif épithète (ṣifa) d’un substantif (mawṣūf) sous-
entendu, qui est luġa (« langue »). La ‘arabiyya, adjectif de relation (nisba) formé
sur ‘Arab, désigne donc l’arabe comme « langue des Arabes », ce qui se dit égale-
ment lisān al-‘Arab. Que l’arabe soit une langue « humaine » est pour ainsi dire
confirmé par ce qui en est d’abord dit, à savoir qu’elle est « la vertu manifeste ».
On aura reconnu dans « vertu » une traduction littérale et pour ainsi dire étymolo-
gique de l’arabe murū’a : vertu vient du latin virtus, désignant la qualité de vir,
exactement comme murū’a désigne celle de mar’ (« homme »). Ce qui est « divin »,
ce n’est donc pas la langue, mais la parole (kalām), l’expression kalām Allāh (« pa-
role d’Allah ») désignant le Coran. Or, ici, la tradition rapportée par al-Zaǧǧāǧ
(m. 311/923), le maître d’al-Zaǧǧāǧī, comme venant d’al-Mubarrad (m. 285/898 ou
286/900), la rapportant lui-même d’un « ancien » non autrement nommé, affirme
directement de la ‘arabiyya qu’elle est la « parole d’Allah (…), ainsi que de ses
prophètes et de ses anges ». Prédiquer kalām de luġa rend impossible de traduire
kalām par parole et oblige le traducteur à se rabattre sur « parler ». Sur le plan lin-
guistique, les choses restent cependant cohérentes : l’arabe est la langue mise en
parole par Allah. Il n’en reste pas moins que la divinisation du discours contient en
germe celle de la langue même, étape qui sera franchie à l’époque moderne, où l’on
entend couramment dire que l’arabe est la « langue de Dieu »…
L’arabe est aussi la langue parlée par les prophètes et les anges et, ici, une
tradition attribuée à Ibn ‘Abbās (m. 68/687-688), compagnon de Mahomet, expli-
cite ce qu’il faut entendre par là : elle en fait la langue-mère de la prophétie, « tra-
duite » par chaque prophète à son peuple. C’est un écho de Cor. 14, 4, que nous
avons déjà cité. En tout cas, c’est une tradition qui aurait été digne de figurer dans
OLENDER, 2002 [1989] ! Avec la tradition suivante, attribuée au deuxième calife
‘Umar b. al-Ḫaṭṭāb (r. 13-23/634-644), on revient à la fois à l’arabe comme véhicule
de la « vertu » et comme véhicule de la « raison » (‘aql).
Les six traditions suivantes ont toutes un intérêt linguistique, certaines plus
encore que d’autres. Les deux premières concernent le Coran. La seconde, attribuée
à la fois à Abū Bakr, le premier calife (r. 11-13/632-634), et ‘Umar, met la flexion
désinentielle au-dessus même de la « lettre » du Coran ; la première, attribuée au
seul ‘Umar, en donne la raison. La comparaison des deux traditions, justifiée par
leur parallélisme formel (le même prédicat ’aḥabb ’ilayya/-nā min, affirmé de deux
arguments x et y), montre que les verbes ’aḫṭa’a et laḥana de la première concernent
respectivement les ḥurūf et le ’i‘rāb de la seconde. Ḫaṭa’, auquel renvoie le verbe
’aḫṭa’a, est une erreur contre l’expression, dont on peut se reprendre, tandis que
laḥn, auquel renvoie le verbe laḥana, est ici une erreur contre le sens, irrémédiable
en ce qu’elle crée un nouveau sens indésirable (« une forgerie »). Il suffit de se
souvenir ici des classiques exemples de lectures fautives du Coran, notamment 9, 3
*’anna llāha barī’un mina l-mušrikīna wa-rasūlihi (« qu’Allah est délié à l’égard
des assocationnistes et de son envoyé »), au lieu de rasūluhu (« qu’Allah est délié

187
Au sens de discours ordinaire sur la langue, par opposition à métalinguistique, comme discours
technique sur la langue.
CHAPITRE VI 109

à l’égard des assocationnistes, ainsi que son envoyé »), pour le vérifier : la lecture
fautive est grammaticalement correcte, mais islamiquement incorrecte. Et c’est ce
même sens de laḥn qu’on retrouve dans l’anecdote citée par AL-ZAǦǦĀǦĪ, Īḍāḥ, ch.
XIV, p. 89-90, intitulé bāb ḏikr al-‘illa fī tasmiyat hāḏā al-naw‘ min al-‘ilm naḥwan
(« Pourquoi cette sorte de science a-t-elle été appelée naḥw ? »), cf. LARCHER,
2007188 : la réalisation mā ’ašaddu l-ḥarri est syntaxiquement correcte, mais sé-
mantiquement incorrecte, s’interprétant comme une interrogation (« Quelle est la
chaleur la plus intense ? »), alors que le locuteur, ayant en vue une exclamation,
aurait dû dire mā ’ašadda l-ḥarra (« Quelle chaleur intense ! »).
La troisième tradition est sans doute celle qui a le plus grand intérêt linguis-
tique. Nous l’avons déjà rencontrée dans un texte attribué à al-Farrā’ (m. 207/822)
et commentée ailleurs (LARCHER, 2006a, repris dans LARCHER, 2020, ch. XII,
p. 189-201), mais dans une version moins détaillée, en ce qu’elle ne comporte pas
l’exemple que donne la version citée par al-Zaǧǧāǧī. Passant près d’un groupe
d’hommes (qawm) en train de tirer, et de tirer mal, ‘Umar s’écrie : « Que vous tirez
mal ! ». À quoi ils répliquent : ’innā qawm(un) muta‘allimīn(a) (« Nous sommes
des hommes à l’entraînement »), mettant au cas régime ou accusatif-génitif (-īn) ce
qui, si l’on applique les règles de l’arabe dit classique, devrait être au cas sujet ou
nominatif (-ūn), comme épithète (ṣifa) d’un substantif (mawṣūf) lui-même au no-
minatif. À quoi ‘Umar réplique à son tour « Vous parlez encore plus fautivement
que vous ne tirez ! ». Cela est présenté par ‘Umar comme une « faute », ḫaṭa’, et
non, bien qu’il s’agisse d’une faute de flexion, laḥn, confirmant ainsi que ḫaṭa’ et
laḥn sont bien ici respectivement des fautes contre l’expression et contre le sens.
Mais, pour un linguiste, ce n’est pas une « faute » quelconque. Employer en effet
le cas régime pour le cas sujet, d’un paradigme flexionnel qui n’en compte que deux
(déclinaison diptote), d’une part, et dans un contexte où cela n’a aucun effet séman-
tique, d’autre part, c’est en fait exhiber un trait typiquement « néo-arabe ». Or, ici,
nous sommes à l’époque de ‘Umar, donc au Ier/VIIe siècle et au Hedjaz, ‘Umar étant
le deuxième calife, à la tête d’un empire dont la capitale était encore Médine. Ce
même Hedjaz dont on nous dit qu’il est non seulement inclus dans la zone de l’arabe
« châtié », mais qu’il en constitue même « le plus châtié du châtié » ! Je ne sais si
la contradiction a été relevée et je suppose qu’il y a toujours moyen de s’en tirer, en
supposant que les hommes en question viennent d’une zone de la péninsule où
l’arabe n’est pas « châtié ». Ce qui confirmerait la conclusion se tirant des sources
arabes, à savoir que, même à date ancienne, tous les parlers arabes n’étaient pas
« châtiés » (cf., entre autres, LARCHER, 2006b)189. Ce qui implique, à son tour,
« châtié » incluant « fléchi », comme le montre la citation d’Ibn Ǧinnī faite en in-
troduction, que les deux types coexistaient déjà.
Or, cette coexistence est attestée par des documents originaux et, en parti-
culier, par le plus vieux papyrus gréco-arabe, datée de 22/643 (PERF 558), où nous
avons, par deux fois, Ibn Abū Qīr (vs classique Ibn Abī Qīr). S’il s’agit d’une
« faute », celle-ci n’est pas imputable au mélange des populations arabes et non

188
Repris ici même ch. IV.
189
Repris ici même ch. III.
110 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

arabes : nous sommes en effet en 22 de l’Hégire, année de la fondation de Fuṣṭāṭ,


‘Umar étant encore calife, et alors que la conquête de l’Égypte n’est pas terminée.
En outre, le scribe répond au nom d’Ibn Ḥadīdū, avec un wāw que l’on trouve à la
fois dans l’onomastique arabe des inscriptions nabatéennes (CANTINEAU, 1934-
1935) et l’inscription arabe préislamique de Ḥarrān, en Syrie, datée de 463 de l’ère
de la province romaine d’Arabie (= 568-569 ap. J.-C.)190 : évidemment, là encore,
on pourrait dire que le scribe est originaire de la zone que CORRIENTE, 2010, appelle
« Nabati Arabic »… Ce qui en dissuade, c’est qu’Abū Qīr n’est pas un nom arabe,
mais l’arabisation d’un nom gréco-copte qui est Apa Kyros. Pour parvenir à Abū
Qīr, il a donc bien fallu passer par Abā Qīr, réinterprété comme l’accusatif de la
flexion triptote ’abū/’abā/’abī. Autrement dit, il y a ici tout à la fois référence im-
plicite au type ancien arabe et utilisation explicite du type néo-arabe (LARCHER,
2010)…
Cette coexistence des deux types, à date ancienne, permet de faire une autre
hypothèse sur l’histoire de l’arabe, dans le sens de laquelle va d’ailleurs la fin de la
tradition attribuée à ‘Umar, quand il enjoint aux tireurs, via une tradition attribuée
à Mahomet lui-même, d’« arranger » leur langage (terme qu’on pourrait également
traduire par « amender » ou « réformer »)191 : non plus une évolution d’un type vers
l’autre, aboutissant aux dialectes d’une part, à une situation de diglossie d’autre
part, mais une involution de l’arabe ancien (hétérogène) à l’arabe « classique » (ho-
mogène)192, le type dont relève ce dernier étant en fait celui d’un autre discours
extraordinaire, la poésie. Dans cette vision, ce ne sont plus les dialectes qui sont des
formes dégradées de l’arabe classique, c’est inversement l’arabe classique qui est
une forme épurée de l’arabe ancien193…
C’est justement à la poésie qu’est consacré l’alinéa suivant. On notera la
mutation qui s’est produite entre le IIe et le IVe siècle de l’Hégire. Alors que chez
Sībawayhi (m. 180/796 ?), selon le décompte fait par CARTER, 2004, les citations
poétiques l’emportent très largement sur les citations coraniques, les citations du
ḥadīṯ étant presque inexistantes, ici à l’inverse la poésie vient après Coran et ḥadīṯ…
Dans cet alinéa se rencontrent plusieurs expressions remarquables. Tout d’abord
celle de muwallad(ūn), qui désigne les métis. Comme participe passif du verbe II
wallada, muwallad ne peut signifier directement métis. II wallada est lié lui-même

190
Cf. en dernier lieu ROBIN, 2006, p. 332-336, reproduction p. 357. On a Ṭ/ẒLMW, lu bizarrement
Ẓālim, alors que dans la partie grecque de l’inscription on a Saraèlos Talémou. Le w ne reflète
pas le génitif de filiation du grec dans la mesure où celle-ci est marquée par bn/r qui précède
Ẓ/ṬLMW. On lirait donc mieux BR ṬLMW et l’on y verrait l’arabisation de Bar Tâlmi, lui-
même araméisation du grec Ptolémée et dont on a fait Barthélemy… [Cf. LARCHER et CASSUTO,
2020].
191
Il est vrai qu’en raison du min qui suit on pourrait lire, non comme verbe, mais comme élatif à
l’accusatif et, par suite, comprendre comme « Allah fasse miséricorde à un homme plus ver-
tueux que sa langue ! ».
192
« Passage de l’hétérogène à l’homogène, du divers au même, du multiple à l’un »
(http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/involution/44153#0IqbcgI3ReatVl0M.99).
193
Notons que dans le domaine indien une des interprétations du couple prâkrit/sanskrit est celle
du brut et du raffiné.
CHAPITRE VI 111

à l’actif du verbe I walada (« mettre au monde ») quand il est doublement transitif


et a alors le sens d’« aider à mettre au monde » : le participe actif muwallida est un
des noms de la sage-femme. Mais il est lié à son passif wulida (« être mis au monde,
naître ») quand il est simplement transitif et a alors le sens de « faire naître, engen-
drer ». En fait, muwallad signifie indirectement métis comme s’étant « incorporé »
(taḍmīn) le contenu de toute une collocation, qui est quelque chose comme muwal-
lad (min muḫālaṭat al-‘Arab wa-l-‘Aǧam), c’est-à-dire issu du mélange des Arabes
et des non-Arabes. C’est aux métis que la tradition arabe en général et al-Zaǧǧāǧī
en particulier attribuent le processus de « corruption de la langue », lui-même donné
à son tour comme à l’origine de la constitution de la grammaire arabe. On a vu ci-
dessus ce qu’il fallait en penser… La cause des métis n’est pas pour autant déses-
pérée. L’alinéa dit en effet très clairement qu’on ne peut « établir » (’iqāma) la poé-
sie des Arabes sans connaissance de la grammaire, c’est-à-dire du ’i‘rāb, et qu’une
telle connaissance n’est pas innée, mais acquise et que sans cette « maîtrise »
(’itqān) de la grammaire, apanage de l’élite (al-ḫāṣṣa), on irait à l’aveuglette. Pour
al-Zaǧǧāǧī, qui est d’origine persane, l’apprentissage de la grammaire est (implici-
tement) un facteur d’égalisation entre Arabes et non-Arabes… Apparaît ici la se-
conde expression remarquable de l’alinéa, celle de ḫāṣṣa. Dans la terminologie
arabe, ḫāṣṣa s’oppose à ‘āmma à peu près comme l’élite à la masse (litt. le « com-
mun » des gens, le vulgum pecus, le vulgaire) : on trouvera ce dernier terme un peu
plus loin. Mais l’expression la plus remarquable est sans doute la troisième, celle
de ḫabaṭa fī l-‘ašwā’ : celle-ci paraît l’évolution d’une expression idiomatique ori-
ginelle ḫabaṭa ḫabṭa l-‘ašwā’, c’est-à-dire « frapper le sol à la manière de la (cha-
melle) aveugle », où ‘ašwā’ est le féminin de l’adjectif ’a‘šā (« malvoyant »), mais
devient, dans la forme évoluée de l’expression, un substantif (d’où notre traduction
par « aller à l’aveuglette » : on pourrait dire aussi « aller à tâtons »). IBN MANẒŪR
(m. 711/1311), Lisān al-‘Arab, art. ḪBṬ, t. I p. 785, cite une expression fulān
yaḫbiṭu fī ‘amyā’, où ‘amyā’, féminin de l’adjectif ’a‘mā (« aveugle »), devient pa-
reillement un substantif, avec la paraphrase ’iḏā rakiba mā rakiba bi-ǧahāla, c’est-
à-dire agir inconsidérément (littéralement « monter tout ce qu’il monte », méta-
phore pour entreprendre, « en méconnaissance de cause »). Métaphore pour ainsi
dire filée par le terme de ‘awār : avec une voyelle longue, il signifie « vice, défaut »,
mais avec une voyelle brève, ‘awar désigne le fait d’être borgne. Soulignons par
anticipation sur le développement qui suit qu’une telle métaphore concerne un
sens : la vue.

3. … ou deux registres d’une même variété ?

En conclusion, al-Zaǧǧāǧī revient à son point de départ. La phrase « Quant


aux gens du commun qui parlent l’arabe sans flexion, on les comprend » fait écho
à celle de l’introduction « la plupart des gens parlent naturellement sans flexion,
dont ils n’ont pas connaissance, tout en comprenant les autres et en se faisant com-
prendre d’eux ». Mais ici al-Zaǧǧāǧī substitue à la détermination purement quanti-
tative (« la plupart des gens »), qui désigne ceux qui parlent un arabe non fléchi
comme la majorité, une détermination non seulement quantitative, mais encore
112 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

qualitative (al-‘āmma), qui les désigne comme le « commun », la « masse », et, par
opposition, désigne implicitement ceux qui parlent un arabe fléchi, non seulement
comme la minorité, mais encore l’« élite » (al-ḫāṣṣa), terme que l’on a déjà rencon-
tré à propos de la poésie.
Il y a plus. Al-Zaǧǧāǧī ne pose pas seulement une corrélation entre arabe
non fléchi/arabe fléchi et majorité/minorité, masse/élite, mais encore avec deux
types de communication, que nous proposons d’appeler « ordinaire » et « sa-
vante » : dans celle-ci, la flexion désinentielle est nécessaire ; dans celle-là, super-
flue.
Le fait même qu’al-Zaǧǧāǧī traite non seulement des usagers, mais encore
des usages respectifs de l’arabe fléchi et de l’arabe non fléchi peut sembler un ar-
gument de poids en faveur de l’interprétation faite de ce texte par BLANC, 1979,
comme une anticipation du concept de diglossie. Dans la conception, devenue clas-
sique, que s’en fait FERGUSON, 1959a, ce ne sont pas en effet les usagers, mais les
usages des variétés haute et basse, auxquelles on est tenté d’assimiler l’arabe fléchi
et l’arabe non fléchi, qui sont en distribution complémentaire. La variété basse n’est
pas celle de la majorité, ni la variété haute celle de la minorité. La variété basse est
en fait celle de la totalité de la communauté linguistique dans au moins un usage :
la communication orale spontanée. La variété haute est celle d’un nombre x de
membres de la communauté linguistique dans au moins deux usages : la communi-
cation écrite bien sûr194 et la communication orale surveillée. Un nombre x, parce
que la détermination de ce nombre dépend en fait du taux d’alphabétisation de la
communauté linguistique : dans une société développée comme la Suisse aléma-
nique, pour prendre un des quatre exemples de situation diglossique donnés par
Ferguson, ce taux est de (ou avoisine les) 100%, de sorte que tous les membres de
la communauté ou presque au minimum lisent la variété haute, voire l’écrivent et
la parlent avec plus ou moins d’aisance. Mais, bien sûr, historiquement, les lettrés
constituent généralement des minorités, voire des castes (comme les brahmanes de
l’Inde), de sorte qu’on peut voir dans la présentation faite de l’arabe fléchi comme
celui d’une minorité ou élite une métonymie banale de l’usager pour l’usage : mé-
tonymie du même type, pour prendre ici d’autres exemples de dualité linguistique,
que celle qui fait dire que le latin est la langue des clercs par opposition à la lingua
volgare, langue du vulgum pecus, ou que le sanskrit est la langue des brahmanes,
par opposition aux prâkrits langues des autres castes. En réalité, lingua volgare et
prâkrits sont les langues de tous, latin et sanskrit n’étant que celles de quelques-uns
dans des usages très particuliers… La terminologie arabe actuelle va d’ailleurs dans
le sens de cette métonymie, qui appelle al-luġa al-‘āmmiyya (litt. « langue vul-
gaire ») ce qu’on appelle en français « arabe dialectal » (dialecte < grec diálektos
« conversation ») et en anglais Colloquial Arabic. Les étiquettes française et an-
glaise mettent l’accent sur l’usage, l’étiquette arabe sur l’usager…

194
En n’oubliant pas cependant que la variété basse peut elle-même s’écrire, à tout le moins se
mêler à l’écrit à la variété haute, le domaine arabe ne faisant pas exception et, ce, depuis long-
temps !
CHAPITRE VI 113

Il y a néanmoins des contre-arguments. L’usage de l’arabe fléchi, tel que


décrit par al-Zaǧǧāǧī, peut-il être assimilé à celui de la variété haute de la diglossie
arabe ? Il me semble que non, ni en extension, ni en intension. En extension, il est
limité en fait à trois discours de référence, dans l’ordre : Coran, ḥadīṯ et poésie. En
intension, il est restreint à un rôle, celui de désambiguïsation. Ce rôle est décrit dans
la phrase « Si quelqu’un se risquait à éclaircir une ambiguïté (littéralement « éclair-
cir un sens s’embrouillant avec un autre ») sans le faire comprendre au moyen de la
flexion, il ne le pourrait pas ».
VERSTEEGH, 1995, p. 165, comprend min ġayr fahmihi bi-l-’i‘rāb comme
without understanding the declension. Il comprend donc fahmihi comme un génitif
subjectif, où -hi renvoie à « quelqu’un », mais, en ce cas, fahm étant le maṣdar d’un
verbe transitif, le complément serait construit directement et non indirectement195.
Il vaut donc mieux comprendre fahmihi comme un génitif objectif, où -hi renvoie
soit à ’īḍāḥ soit, mieux, à ma‘nā, et par suite fahm comme ayant un sens passif et
donc comprendre comme « sans que cela (l’explication ou, mieux, la signification)
soit compris au moyen de la flexion »196.
Or, si l’on y réfléchit, on verra qu’un tel rôle ne se conçoit que dans un seul
contexte : celui de la lecture d’un texte écrit en scriptio defectiva. C’est même ce
rôle qui explique l’élargissement qu’al-Zaǧǧāǧī fait subir au concept de ’i‘rāb au
chapitre VII (p. 69-71) du Īḍāḥ. À la question, qui fait le titre du chapitre (bāb al-
qawl fī al-’i‘rāb lima daḫala fī al-kalām « Pourquoi la flexion désinentielle s’est-
elle introduite dans le discours ? »), il répond (AL-ZAǦǦĀǦĪ, Īḍāḥ, p. 69) :

du fait que les fonctions sont interchangeables entre les noms, lesquels peuvent
être sujet et objet, premier et second termes d’une annexion, sans qu’il y ait dans la
forme et la structure de ces noms de marques de ces fonctions, ces noms étant au con-
traire équivoques, les voyelles de flexion ont été mises pour annoncer ces fonctions
(’inna al-’asmā’ lammā kānat ta‘tawiruhā al-ma‘ānī fa-takūnu fā‘ila wa-maf‘ūla wa-
muḍāfa wa-muḍāf ’ilayhā wa-lam takun fī ṣuwarihā wa-’abniyatihā ’adilla ‘alā hāḏihi
al-ma‘ānī bal kānat muštaraka ǧu‘ilat ḥarakāt al-’i‘rāb fīhā tunabbi’u ‘an hāḏihi al-
ma‘ānī).

Autrement dit, pour al-Zaǧǧāǧī, le ’i‘rāb se justifie par sa pertinence. Il en


donne trois exemples. Le premier et le troisième illustrent les différentes fonctions
des noms, marquées par les différents cas : on ne peut pas dire qu’ils soient très…
pertinents pour la pertinence du ’i‘rāb ! Le premier est celui du sujet et de l’objet
ḍaraba Zaydun ‘Amran « Zayd a frappé ‘Amr » (on note que l’accusatif ici est non
seulement audible, mais visible…) ; le troisième est celui de l’annexion ġulāmu
Zaydin « l’esclave de Zayd » (on pourrait dire que ce n’est pas le génitif -in qui

195
On a d’ailleurs deux exemples de cette construction dans le texte, l’un dans le premier para-
graphe bi-tawfiyatihā ḥuqūqahā min al-’i‘rāb (« en leur payant l’intégralité des droits qu’elles
ont à la flexion désinentielle ») et l’autre dans le sixième bi-’itqānihi wuǧūha l-‘arabiyya (« par
sa maîtrise des aspects de l’arabe »).
196
On rencontre d’ailleurs dans le premier paragraphe tufhamu ma‘ānīhā (« leurs sens se compren-
nent… »).
114 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

désigne Zayd comme second terme d’une annexion, mais sa postposition par rap-
port à un N non muni de l’article, et par suite que le cas est purement redondant…).
Il en va tout autrement du second exemple ḍuriba Zaydun « Zayd a été
frappé », ainsi commenté (AL-ZAǦǦĀǦĪ, Īḍāḥ, p. 69) : « On a marqué par le chan-
gement de l’initiale du verbe [c’est moi qui souligne] et en mettant au nominatif
Zayd que le verbe est au passif et que l’objet a pris la place du sujet » (fa-dallū bi-
taġyīr ’awwal al-fi‘l wa-raf‘ Zayd ‘alā ’anna al-fi‘l mā lam yusamma fā‘iluhu wa-
’anna al-maf‘ūl qad nāba manābahu). La phrase par moi soulignée montre un élar-
gissement du ’i‘rāb de la flexion désinentielle à la flexion tout court : cet élargisse-
ment est conforme à l’usage persan du terme (en persan le terme désigne la vocali-
sation en général) et s’explique sûrement par le fait que les marques de la flexion
désinentielle sont, au premier chef, les voyelles brèves. Dans ḍaraba/ḍuriba, la
flexion (lato sensu) est pertinente et c’est bien l’apophonie qui distingue entre actif
et passif. Ensuite, si l’on se demande quelle « ambiguïté » la flexion (lato sensu)
vient en ce cas « éclaircir », la seule réponse est une ambiguïté graphique, liée à la
scriptio defectiva. Dans ce cadre, en effet, ḍaraba et ḍuriba sont homographes :
ḍrb.
C’est en le liant à la langue écrite en scriptio defectiva qu’on peut sauver un
’i‘rāb pertinent, alors qu’il s’évanouit à l’oral. Reprenons l’exemple de laḥn donné
par al-Zaǧǧāǧī comme à l’origine de la grammaire arabe. Si on est à l’oral, ce qu’il
dit néglige deux choses : 1) à la pause, en application même des règles de l’orthoé-
pie de l’arabe dit classique, la voyelle brève finale sera supprimée, ainsi que la gé-
mination et on aura donc mā ’ašaddu l-ḥar vs mā ’ašadda l-ḥar197 : la distinction
des deux significations interrogative et exclamative ne repose plus que sur la
voyelle brève de ’ašadd- et, par suite, on n’imagine pas que la réalisation orale ne
s’accompagne pas de moyens suprasegmentaux ; 2) or, al-Zaǧǧāǧī, comme tous les
grammairiens arabes, sauf erreur de notre part, néglige ces moyens, ce qui suggère
ou plutôt confirme que la langue qu’étudient et enseignent lesdits grammairiens
n’est en aucune manière une langue de communication orale spontanée, mais bien
plutôt une langue non seulement écrite, mais encore écrite en scriptio defectiva. Il
existe néanmoins une exception. Cette exception, c’est celle d’Élie (975-1046),
évêque nestorien de Nisibe, dans le sixième des sept entretiens qu’il a eus en
417/1026 avec le vizir Abū al-Qāsim al-Ḥusayn b. ‘Alī al-Maġribī (m. 418/1027)
et partiellement consacré aux mérites comparés des grammaires du syriaque et de
l’arabe (ÉLIE de NISIBE, Maǧlis, p. 366-372 de l’édition Cheikho). Mais comme
l’un des deux protagonistes est chrétien et l’autre musulman, ce dialogue a été étu-
dié dans le cadre classique des controverses islamo-chrétiennes (SAMIR, 1975-1976
[1996] et 1991-1992, BERTAINA, 2011), alors que, pour notre part, nous en propo-
sons une analyse strictement linguistique (LARCHER, à paraître). Donnant, entre
autres exemples, un exemple comparable à celui d’al-Zaǧǧāǧī, mais plus parfait que
le sien, d’ambiguïté interrogation/exclamation, à savoir kayfa ḫurribati l-madīna, il
indique qu’à l’oral (mušāfaha, littéralement « de lèvre à lèvre »), l’arabe, comme le

197
Cf. FLEISCH, 1961, p. 173 et 175.
CHAPITRE VI 115

syriaque, distinguerait entre les deux significations possibles de cet énoncé (« Com-
ment la ville a-t-elle été détruite ? » ou « Comme la ville a été détruite ! ») au moyen
de « gestes » (’išārāt ) et d’« intonations » (naġamāt al-ṣawt), mais qu’à l’écrit
(kitāba) le syriaque ferait ce que l’arabe ne fait pas : il mettrait des signes de ponc-
tuation198… Si l’on revient à l’exemple d’al-Zaǧǧāǧī, il devient clair qu’à l’oral des
moyens suprasegmentaux distingueraient plus efficacement entre mā ’ašaddu l-ḥar
et mā ’ašadda l-ḥar que la seule voyelle brève de flexion (stricto et lato sensu) de
’ašadd- ! En revanche à l’écrit, les deux structures sont homographes (m? ’šd ?lḥr)
et c’est en les vocalisant qu’on peut les distinguer.
On retrouve la même chose avec les lectures coraniques. Celles-ci sont bien
les lectures d’un texte écrit en écriture défective. On peut citer l’exemple de Cor.
85, 21-22, également donné par JONES, 1996, p. 60, bal huwa qur’ānun maǧīdūn /
fī lawḥin maḥfūẓ-, lu maḥfūẓun ou maḥfūẓin. Au nominatif, maḥfūẓ est une épithète
(ṣifa) de qur’ān et les versets signifient « au contraire, c’est un Coran glorieux / sur
des tables préservé ». Au génitif, c’est toujours une épithète, mais de lawḥ, et les
versets signifient « au contraire, c’est un Coran glorieux, sur des tables préservées
(sous-entendu : des démons) ». Ici la flexion est non seulement pertinente, distin-
guant entre deux significations, mais encore a pour corollaire la déplaçabilité des
syntagmes, le syntagme prépositionnel fī lawḥin étant antéposé au participe
maḥfūẓun dont il dépend syntaxiquement. Mais la pertinence de la flexion s’éva-
nouit dès que l’on récite ces versets, car qu’on « lise » maḥfūẓun ou maḥfūẓin on
« dit » maḥfūẓ : bal huwa qur’ānum-maǧīd/fī lawḥim-maḥfūẓ… Autrement dit, il
n’y a plus moyen de distinguer à l’oral entre les deux significations distinguées par
les lectures grammaticales du texte écrit. Et ce n’est évidemment pas par hasard si,
sur les sept lecteurs canoniques, six lisent maḥfūẓin, contre un seul qui lit
maḥfūẓun : ils se règlent, non sur l’invisible et inaudible flexion désinentielle, mais
sur la nature et la position relative des syntagmes, qui leur fait interpréter le parti-
cipe passif maḥfūẓ suivant le substantif lawḥ comme étant dans la relation de ṣifa à
mawṣūf.
En faveur de notre interprétation, on peut invoquer le témoignage du lexi-
cographe al-Azharī (m. 370/980) à l’article NḤW du Tahḏīb. Après avoir rappelé
l’étymologie traditionnelle de naḥw dans son sens technique de « grammaire », fon-
dée sur l’emploi du verbe naḥā-yanḥū naḥwan avec un complément d’objet interne
ou résultatif (maf‘ūl muṭlaq) et qui fait de la grammaire la direction à suivre pour
éviter les fautes, il en ajoute une autre, comme venant d’Ibn al-Sikkīt (m. 244/858),
via al-Ḥarrānī199 et son maître al-Munḏirī (m. 329/940) (AL-AZHARĪ, Tahḏīb, art.
NḤW, t. V, p. 352) :

naḥā naḥwahu yanḥūhu quand il se tourne dans un sens et naḥā al-šay’ yanḥāhu
et yanḥūhu quand il tourne la chose, et c’est de là que le grammairien tire son nom,

198
Un point supralinéaire marque l’interrogative et l’impératif et deux points supralinéaires mar-
quent l’étonnement.
199
Sans doute Abū ‘Arūba al-Ḥusayn b. Muḥammad al-Ḥarrānī (m. 318/930-931), cf. WEIPERT,
2002, p. 51.
116 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

parce qu’il convertit l’énoncé dans les (différents) aspects de la flexion désinentielle
(naḥā naḥwahu yanḥūhu ’iḏā qaṣadahu wa-naḥā al-šay’ yanḥāhu wa-yanḥūhu ’iḏā
ḥarrafahu wa-minhu summiya al-naḥwī li-’annahu yuḥarrifu al-kalām ’ilā wuǧūh al-
’i‘rāb).

Avec cette étymologie, fondée sur l’emploi du même verbe avec un com-
plément d’objet externe, le grammairien n’est plus un guide indiquant la direction
à suivre pour éviter les fautes : c’est lui-même qui imprime la (bonne) direction au
discours ! Qui peut croire qu’avec une telle interprétation de naḥw(ī), le ’i‘rāb con-
cerne la communication orale ? Il ne peut que concerner la lecture grammaticale
d’un texte écrit en scriptio defectiva…
Du fait même de la double restriction de l’arabe fléchi en extension à la
partie « référentielle » de la variété haute et en intension à un rôle de désambiguïsa-
tion, seulement concevable dans la lecture d’un texte écrit en scriptio defectiva,
nous ne verrions pas dans l’usage de l’arabe non fléchi celui de la variété basse,
mais plutôt et seulement celui de la partie non référentielle de la variété haute. Par
suite, on parlerait mieux de l’arabe fléchi d’al-Zaǧǧāǧī, en reprenant une suggestion
terminologique de GRÉVIN, 2012, comme de la « langue référentielle »…
Dans ce contexte, on se souviendra de la façon dont al-Ǧāḥiẓ (m. 255/869)
interprète ‘āmma et ḫāṣṣa. Croisant cette opposition avec celle de lafẓ/ma‘nā et
distinguant donc entre ma‘ānī al-ḫāṣṣa et ma‘ānī al-‘āmma (les thèmes de l’élite et
ceux du commun) d’une part, lafẓ ḫāṣṣī et lafẓ ‘āmmī (l’expression de l’élite et celle
du commun) d’autre part, il ajoute (AL-ǦĀḤIẒ, Bayān, t. I, p. 136-137) :
Quand vous m’entendez mentionner les ‘awāmm [pluriel de ‘āmma], je n’en-
tends pas les paysans, la populace, les artisans et les commerçants. Je n’entends pas
non plus les Kurdes dans les montagnes et les habitants des îles dans les mers. Je n’en-
tends pas des nations telles que les Babir et les Tîlisân, telles que Mûqân et Jîlân, et
telles que les Zanj et assimilés : les nations dignes de mention, parmi les hommes, sont
au nombre de quatre : les Arabes, les Persans, les Indiens et les Byzantins. Toutes les
autres ne sont rien ou presque. Quant aux ‘awāmm, parmi les gens de notre commu-
nauté et de notre foi, de notre langue, de notre morale et de nos mœurs, c’est la couche
de gens dont l’esprit et l’éthique surpassent ces nations, sans atteindre à la position de
notre ḫāṣṣa, bien que celle-ci se hiérarchise également en couches (wa-’iḏā
sami‘tumūnī ’aḏkuru al-‘awāmm fa-’innī lastu ’a‘nī al-fallāḥīna wa-l-ḥušwa wa-l-
ṣunnā‘ wa-l-bā‘a wa-lastu ’a‘nī ’ayḍan al-Akrād fī l-ǧibāl wa-sukkān al-ǧazā’ir fī al-
biḥār wa-lastu ’a‘nī min al-’umam miṯl al-Babir wa-l-Ṭīlisān wa-miṯl Mūqān wa-Ǧīlān
wa-miṯl al-Zanǧ wa-’ašbāh al-Zanǧ wa-’innamā al-’umam al-maḏkurūna min ǧamī‘
al-nās ’arba‘ al-‘Arab wa-Fāris wa-Hind wa-l-Rūm wa-l-bāqūna hamǧ wa-’ašbāh al-
hamǧ wa-’ammā al-‘awāmm min ’ahl millatinā wa-da‘watinā wa-luġatinā wa-’ada-
binā wa-’aḫlāqinā fa-l-ṭabaqa allatī ‘uqūluhā wa-’aḫlāqihā fawq tilka al-’umam wa-
lam yabluġū manzilat al-ḫāṣṣa minnā ‘alā ’anna al-ḫāṣṣa tatafāḍalu fī ṭabaqāt
’ayḍan).
CHAPITRE VI 117

Il est donc clair que ‘āmma ne s’oppose nullement à ḫāṣṣa comme la masse
illettrée à l’élite lettrée, mais seulement comme le commun des gens lettrés aux
happy few, ayant une maîtrise parfaite de la grammaire.

4. Conclusion

Ce n’est donc pas une image de la diglossie que nous verrions dans ce texte,
mais plutôt une image de ce que nous avions appelé, il y a déjà fort longtemps, une
diglossie dans la diglossie (LARCHER, 1991, p. 154, n. 26) : non pas la coexistence
de deux variétés, haute et basse, mais plutôt celle de deux registres, soutenu et re-
lâché, de la variété haute, entre lesquelles l’apprenant et l’usager sont tiraillés. Dans
le registre soutenu, qui est celui des textes de référence, ne manque aucune marque
de flexion désinentielle, réserve faite des règles de l’orthoépie de l’arabe dit clas-
sique, qui oblige à les supprimer ou à les transformer dans la récitation de la poésie
ou celle du Coran. Bien que ce registre soit celui de l’école, ces règles ne sont pas
toujours apprises, à tout le moins appliquées, notamment hors du monde arabe : en
témoigne le prénom féminin Nafīsatu donné en Afrique noire musulmane, forme
typiquement grammaticale, là où dans le monde arabe on entendra Nafīsa200. Dans
le registre relâché, à l’inverse, il y a multiplication des formes pausales, ce qui a un
double avantage ; l’un est littéraire : cette multiplication sert de fondement au style
dit saǧ‘, c’est-à-dire à la prose rythmée et rimée ; l’autre, plus trivial, est bien ré-
sumé par l’adage iǧzim (ou sakkin) taslim (« supprime la voyelle brève finale, tu
seras préservé [de l’erreur] »), dont il serait sûrement intéressant de rechercher la
date d’apparition201. Et de la même façon qu’entre les variétés haute et basse de la
diglossie il existe des variétés mixtes, de la même façon, entre les deux registres de
cette diglossie au sein de la diglossie il existe des formes intermédiaires : on va du
plus soutenu au plus relâché, comme on va du plus classique au plus dialectal…

200
[Note de relecture : en haoussa, si -at- représente le suffixe de l’arabe, -u n’en représente pas
simplement le nominatif, dans la mesure où il y a une corrélation entre ton final et longueur de
la voyelle. On a ainsi Ràhīlā (ar. Rāḥīl(u) « Rachel »), cf. NEWMAN, 2000, p. 339].
201
[Note de relecture : IBN ǦINNĪ, Ḫaṣā’iṣ, t. II, p. 31-32, décrit le ’i‘rāb comme un facteur de
complication inutile, cf. LARCHER, 2018b, repris ici même chapitre V].
118 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

Annexe
Texte arabe et traduction française d’AL-ZAǦǦĀǦĪ, Īḍāḥ, p. 95-96

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CB \6?, 3?, p+ž„ ] (& ± ZV9' ‫ أّلا‬j~ `+c? s,a ÁF Š? ¢ (&
."? L+ >T ( w& ¹  ² 7e M6(
CHAPITRE VI 119

De l’intérêt d’apprendre la grammaire

Si quelqu’un dit : « À quoi sert d’apprendre la grammaire, la plupart des


gens parlant naturellement sans flexion désinentielle, qu’ils ne connaissent pas, tout
en comprenant les autres et en [se] faisant comprendre d’eux ? », on répondra en
lui disant : l’intérêt est de parvenir à parler le langage des Arabes, véritablement et
exactement, sans changement ni altération ; à établir le Livre d’Allah, qui est le
fondement de la religion et de la vie sur terre et la référence ; de connaître les tra-
ditions du Prophète – Allah étende sa bénédiction et sa protection sur lui ! – et d’en
fixer le sens exactement : en effet, les significations ne s’en comprennent correcte-
ment qu’en leur payant l’intégralité des droits qu’elles ont à la flexion désinentielle.
C’est une chose que ne peut réfuter personne, parmi ceux qui s’intéressent à ses
traditions – Allah étende sa bénédiction et sa protection sur lui ! – et à ses propos.
Allah, le Puissant, l’Élevé, a dit, concernant la description de son Livre : « Nous
l’avons fait descendre en un Coran arabe » ; il a dit : « en une langue arabe claire » ;
il a dit : « en un Coran arabe, sans tortuosité ». Il l’a donc caractérisé par la recti-
tude, comme il l’a caractérisé par la clarté en disant : « en une langue arabe claire »
et comme il l’a caractérisé par l’équité en disant : « et de même, nous l’avons fait
descendre en une sentence arabe ».
Abū Isḥāq al-Zaǧǧāǧ nous a informé : « J’ai entendu Abū al-‘Abbās al-Mu-
barrad dire : « Un ancien disait : “Attention à votre arabe, car c’est la vertu mani-
feste, c’est le parler d’Allah, le Puissant, l’Élevé, ainsi que de ses prophètes et de
ses anges” ».
Ibn ‘Abbās a dit : « Allah, le Très-Haut, n’a révélé de livre qu’en arabe,
traduit ensuite pour chaque prophète dans la langue de sa nation ». ‘Umar b. al-
Ḫaṭṭāb a dit : « Attention à votre arabe, car c’est lui qui fixe la raison et augmente
la vertu ».
‘Umar a dit aussi : « Que je me trompe en récitant [le Coran] est préférable
à mes yeux que de faire des fautes de flexion désinentielle en le récitant, car, si je
me trompe, je me reprends, mais si je fais des fautes de flexion, je fais une forge-
rie ».
Abū Bakr et ‘Umar ont dit : « Apprendre la flexion désinentielle du Coran
est préférable à nos yeux que d’en apprendre les articulations ». ‘Umar a dit à un
groupe d’hommes ayant tiré et tiré mal : « Que vous tirez mal ! — Nous sommes
des hommes à l’entraînement (qawmun muta‘allimīn pour muta‘allimūn), répondi-
rent-ils — Par Allah, reprit-il, vous parlez encore plus fautivement que vous tirez !
J’ai entendu l’Envoyé d’Allah – Allah étende sa bénédiction et sa protection sur
lui ! – dire : “Allah fasse miséricorde à un homme, qui aurait arrangé en quelque
manière son langage !” ». Un ancien a dit : « Quelquefois, en priant, j’ai fait des
fautes de flexion désinentielle, craignant alors de n’être pas exaucé ». Le comman-
deur des croyants, ‘Alī – sur lui le salut ! – a dit : « Chaque homme vaut par ce qu’il
fait bien ». C’est là un propos embrassant toutes les branches du savoir.
120 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

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.\6 MvŸ 4 ÉVc9' L  ¨& w& RQ \+2À
CHAPITRE VI 121

De plus, la culture des Arabes est recueillie dans la poésie. Personne, parmi
les métis, ne pourra l’établir, si ce n’est en connaissant la grammaire. Et personne,
parmi ceux qui se chargent de dire la poésie, ne peut s’y adonner qu’après avoir
maîtrisé les différents aspects de l’arabe. Si quelqu’un s’y essayait, sans connaître
l’arabe, il irait à l’aveuglette et son incompétence apparaîtrait aussitôt distinctement
à l’élite lettrée.
C’est là un chapitre, où l’on peut s’étendre beaucoup, je veux dire l’éloge
de l’arabe et de la grammaire. Mais ce que j’en ai mentionné est suffisant ici. Quant
aux gens du commun qui parlent l’arabe sans flexion désinentielle, on les com-
prend. Mais cela est seulement possible pour ce qui est bien connu et d’usage cou-
rant, ce dont on a une connaissance familière et est usité. Mais si, d’aventure, l’un
d’eux se risquait à éclaircir une ambiguïté, sans le faire comprendre au moyen de la
flexion désinentielle, il ne le pourrait pas. C’est trop évident pour qu’on ait besoin
de s’étendre là-dessus.
Chapitre VII

AL-MUQADDASĪ

QUE NOUS APPREND-IL VRAIMENT

DE LA SITUATION DE L’ARABE AU IVe/Xe SIÈCLE ?*

1. Introduction

Il y a plus de cinquante ans, Johann Fück (1894-1974) consacrait un chapitre


entier de ‘Arabīya à « l’exposé par [al-]Muqaddasī de la situation linguistique du
domaine islamique au 4e/10e siècle » (FÜCK, 1955 [1950], ch. XII, p. 163-175). De
fait, l’ouvrage de ce géographe, Kitāb ’aḥsan al-taqāsīm fī ma‘rifat al-’aqālīm,
achevé en (ou autour de) 375/985, « contient un grand nombre de renseignements
sur les questions de langue » (FÜCK, 1955 [1950], p. 163). André Miquel, dans le
tome I (MIQUEL, 1967 [1973], p. 358-362) de son grand œuvre, a proposé une éva-
luation critique de certains de ces renseignements. À la fin du tome IV (MIQUEL,
1988, p. 333-344), il consacre un développement aux « langues », dont une des
sources principales est al-Muqaddasī. Il reviendra plus précisément sur ce dernier à
date ultérieure (MIQUEL, 2003). Nous voudrions reprendre le dossier là où Miquel
l’a laissé, et, où, sauf erreur de notre part, personne n’est intervenu depuis202, en
nous posant la question : qu’est-ce qu’un linguiste arabisant d’aujourd’hui peut
vraiment tirer de ce que dit al-Muqaddasī ? Nous limiterons notre enquête à l’arabe
(alors même qu’al-Muqaddasī s’intéresse au moins autant, sinon plus, au persan),
ne traitant d’autres langues que quand celles-ci sont au contact de l’arabe (ou l’arabe
à leur contact).

2. Description

Dès la page 1 de son ouvrage, al-Muqaddasī indique qu’il se propose une


science, consistant, entre autres choses, « en la mention de la différenciation des

*
Paru sous le titre « Que nous apprend vraiment [al-]Muqaddasī de la situation de l’arabe au
IVe/Xe siècle ? », Annales Islamologiques 40, p. 53-69, 2006, Le Caire, ©Institut Français d’Ar-
chéologie Orientale. Entre crochets ([…]) figurent un certain nombre d’additions.
202
VERSTEEGH, 1997, p. 130-131 et 2014, p. 173, auteur toujours très bien informé, cite al-
Muqaddasī sans donner aucune référence : le jugement élogieux qu’il porte sur lui nous semble
devoir tout à Fück.
124 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

habitants des pays, en ce qui concerne leur parler, leurs sons et leurs langues, ainsi
que leurs couleurs » (wa-huwa ḏikr (…) iḫtilāf ’ahl al-buldān fī kalāmihim wa-
’aṣwātihim wa-’alsinatihim wa-’alwānihim)203. Des trois termes employés, kalām,
’aṣwāt (pl. de ṣawt) et ’alsina (pl. de lisān), le plus global est le premier, qui dénote
la parole, le discours. Le troisième désigne la langue, comme organe, et, par méto-
nymie, le langage articulé au moyen de cet organe. Enfin le deuxième renvoie, sans
conteste, à l’aspect phonique de la langue. À la page suivante, il précise « qu’il n’a
parachevé la collecte de cette science qu’après (…) avoir considéré les langues et
les couleurs afin de les classer » (wa-mā tamma lī ǧam‘uhu ’illā ba‘da (…) tafaṭṭunī
fī al-’alsun wa-l-’alwān ḥattā rattabnāhā). On retrouve le couplage de la langue et
de la « race »204.
De la page 24 à la page 30, al-Muqaddasī a un long développement intitulé
ḏikr al-’asāmī wa-ḫtilāfihā (littéralement : « Mention des noms et de leur différen-
ciation »), où il traite d’abord des homonymes, en matière de toponymie (tattaqif
’asmā’uhā wa-tatabāyan mawāḍi‘uhā), i.e. de lieux différents portant le même nom
(par exemple Tripoli de Syrie et Tripoli de Barbarie) ou le même surnom ou encore
de lieux qui ont plus d’un nom ou encore sont appelés de manière métonymique. Et
c’est à la suite de ce développement qu’il traite « des choses, où divergent les habi-
tants des provinces » (al-’ašyā’ allatī yaḫtalifu fīhā ’ahl al-’aqālīm), c’est-à-dire
des différents noms qui sont donnés, selon les lieux, à une même chose, par exemple
(premier exemple de la liste), pour le boucher laḥḥām, ǧazzār et qaṣṣāb.
Et c’est en conclusion de ces deux pages de synonymes (p. 30-32) qu’AL-
MUQADDASĪ, Descriptio, p. 32, l. 3-7, écrit :
de tels exemples sont nombreux : si l’on embrassait le tout, l’ouvrage s’allonge-
rait. Nous parlerons de chaque province dans la langue de ses habitants, nous dispute-
rons selon leur méthode et nous citerons de leurs proverbes, pour faire connaître leur
manière de parler et les usages reçus de leurs jurisconsultes, mais si nous sommes ail-
leurs que dans les provinces, comme dans ces chapitres-ci, nous parlerons la langue de
la Syrie : c’est ma province, celle où j’ai grandi et où j’ai disputé selon la méthode du
cadi Abū al-Ḥusayn al-Qazwīnī, le premier maître auprès duquel j’ai étudié (wa-’in
istaw‘abnāhu ṭāla al-kitāb wa-sanatakallamu fī kull al-’aqālīm bi-lisānihim wa-
nunāẓiru ‘alā ṭarīqatihim wa-naḍribu min ’amṯālihim li-tu‘rafa luġatuhum wa-rusūm
fuqahā’ihim fa-’in kunnā fī ġayr al-’aqālīm miṯl hāḏihi al-’abwāb takallamnā bi-luġat
al-Šām li-’annahā ’iqlīmī allaḏī bihi naša’tu wa-nāẓartu ‘alā ṭarīqat al-qāḍī Abī al-
Ḥusayn al-Qazwīnī li-’annahu ’awwal ’imām ‘alayhi darastu).

203
[Cette association est coranique (30, 22) : wa-min ’āyātihi ḫalqu l-samawāti wa-l-’arḍi wa-
ḫtilāfu ’alsinatikum wa-’alwānikum « et, parmi ses signes, la création des cieux et de la terre et
la différenciation de vos langues et de vos couleurs ».]
204
Al-Muqaddasī emploie ici l’autre pluriel de lisān. En arabe coranique n’apparaît que le pluriel
’alsina. En arabe moderne, ’alsina et ’alsun distinguent entre les deux sens de lisān, ’alsina
renvoyant à lisān comme organe et ’alsun à lisān comme langue articulée au moyen de cet
organe.
CHAPITRE VII 125

Pris à la lettre, le propos d’al-Muqaddasī est excessif : il ne s’assimile évi-


demment pas l’usage linguistique de chaque province décrite, arabophone et moins
encore non arabophone. Tout au plus donne-t-il une idée sommaire de la situation
linguistique de chacune. Une fois la part faite du procédé rhétorique, on peut alors
tirer certains enseignements de ce qu’il dit. Ainsi, quand il poursuit (AL-
MUQADDASĪ, Descriptio, p. 32, l. 7-10) :
ne vois-tu pas notre éloquence, s’agissant de la province du Machrek, parce
qu’ils sont les plus corrects des gens, en matière de [langue] arabe, parce qu’ils se la
sont imposée vraiment et l’ont apprise de fond en comble, puis la défectuosité de notre
discours, s’agissant de l’Égypte et du Maghreb, et sa grossièreté, s’agissant de la région
des Marais, parce que c’est la langue du peuple ? » (’a-lā tarā ’ilā balāġatinā fī ’iqlīm
al-Mašriq li-’annahum ’aṣaḥḥ al-nās ‘arabiyyatan li-’annahum takallafūhā takallufan
wa-ta‘allamūhā talaffufan ṯumma ’ilā rakākat kalāminā fī Miṣr wa-l-Maġrib wa-
qubḥihi fī nāḥiyat al-Baṭā’iḥ li-’annahu lisān al-qawm),

ce n’est pas al-Muqaddasī lui-même qui est « éloquent », « défectueux » ou « gros-


sier » selon qu’il parle du Machrek, de l’Égypte et du Maghreb ou des Marais. C’est
l’arabe de (ou dans) ces provinces qu’il qualifie de tel. Ces qualifications seraient
purement impressionnistes, si al-Muqaddasī ne prenait soin de les justifier.
Commençons par rappeler qu’al-Muqaddasī écrit à une époque où Bagdad
est le centre du monde musulman. Par suite, Orient (Šarq) et Occident (Ġarb) y
désignent, par rapport à Bagdad, les parties orientale et occidentale de ce monde.
Et, par suite encore, le Machreq est inclus dans le Šarq, où il désigne précisément
l’état iranien des Samanides (capitale Nīšāpūr) (AL-MUQADDASĪ, Descriptio, p. 7,
l. 20-21), de même que le Maghreb (qui inclut l’Andalousie) est inclus, avec la Sy-
rie et l’Égypte, dans le Ġarb. La partie orientale constitue les six « provinces des
non-Arabes » (’aqālīm al-‘Aǧam ou al-A‘āǧim ou al-‘aǧamiyya) du mamlakat al-
’islām ; la Basse et la Haute-Mésopotamie et la partie occidentale du monde mu-
sulman en constituent les huit « provinces des Arabes » (’aqālīm al-‘Arab ou al-
‘arabiyya)205.
La balāġa du « Machrek » (au sens ci-dessus rappelé) est vue comme une
conséquence de l’« extrême correction, en matière d’arabe » (’asaḥḥ al-nās ‘ara-
biyyatan) de ses utilisateurs, elle-même vue comme la conséquence d’un apprentis-
sage, tout à la fois soigné et détaillé (takallafūhā takallufan wa-ta‘allamūhā talaffu-
fan)206. À l’inverse, la « défectuosité » (rakāka) de l’arabe en Égypte et au Maghreb
et sa « grossièreté » (qubḥ) dans la région des Marais y est présentée comme une
conséquence de ce qu’il est « la langue du peuple » (lisān al-qawm).

205
Cf. AL-MUQADDASĪ, Descriptio, p. 7 et aussi p. 9, p. 10, 16, 37, 63…, pour cette division et
l’apparition des différents termes.
206
Lecture donnée par la version B(erlin) et préférable à talaqqufan, donnée par C(onstantinople),
retenue par De Goeje. L’idée de promptitude de ce dernier terme nous paraît contradictoire avec
takallafa, avec lequel talaffuf (qui renvoie au fait de s’envelopper dans un manteau) est au con-
traire cohérent.
126 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

L’emploi explicite de cette expression remarquable207, à propos de ces pro-


vinces, implique qu’au « Machrek » l’arabe n’est pas « la langue du peuple ». Rap-
pelons que qawm désigne étymologiquement, comme nom lié au verbe qāma (« se
dresser »), les guerriers de la tribu (cf. français goum), puis, par une première ex-
tension, les hommes de la tribu (par opposition aux femmes)208 et, par une seconde
extension, l’entièreté du groupe tribal. Dans la mesure où qawm est un ensemble
d’individus ayant un ancêtre en commun, on comprend qu’à l’époque moderne,
même si le terme de ’umma lui a été préféré pour désigner la nation, les dérivés
qawmī et qawmiyya n’en ont pas moins été employés pour dire « national » et « na-
tionalisme ». Par contraste, l’arabe au « Machrek » est donc présenté implicitement
comme une langue étrangère (et non pas « nationale »), de quelques-uns (et non pas
de tous ou d’un groupe important).
Ainsi, dès le départ, al-Muqaddasī oppose en fait deux statuts de l’arabe.
D’une part celui d’une langue véhiculaire, langue apprise d’une minorité lettrée en
milieu non arabophone209, se caractérisant par sa correction grammaticale (ṣiḥḥa)
et l’élévation du style (balāġa). Et d’autre part celui d’une langue vernaculaire, se
caractérisant à l’inverse par sa « défectuosité » (rakāka), en Égypte et au Maghreb,
voire sa « grossièreté » (qubḥ), dans la région des Marais. Dans le contexte, on peut
considérer que rakāka s’oppose à ṣiḥḥa comme l’incorrection à la correction gram-
maticale. Nous verrons un peu plus loin le sens exact de qubḥ.
On retrouve quelques-unes des notations faites ici dans les chapitres qu’al-
Muqaddasī consacre à chacune des provinces, et, plus particulièrement, dans l’ap-
pendice à chacune intitulé ǧaml210 šu’ūn hāḏā al-’iqlīm (« L’état général de cette
province »).
Ainsi, à propos de l’Égypte (AL-MUQADDASĪ, Descriptio, p. 203, l. 5), est-il
dit que « leur langue est arabe, mais elle est défectueuse et relâchée, et leurs “pro-
tégés” conversent en copte » (luġatuhum ‘arabiyya ġayra ’annahā rakīka riḫwa
wa-ḏimmatuhum yataḥaddaṯūna bi-l-qibṭiyya)211. Le nom-adjectif rakīk fait écho
au nom-substantif rakāka, même si al-Muqaddasī ajoute ici une autre notation :
l’existence d’un double clivage linguistique et confessionnel. Le même adjectif
riḫw se retrouve un peu plus loin, dans l’alinéa consacré aux « défauts » (‘uyūb) de
la province et, notamment, ceux attribués aux Égyptiens par les Syriens, mais qua-
lifiant cette fois kalām (AL-MUQADDASĪ, Descriptio, p. 205-206) : « Ils parlent yā

207
L’association des deux termes est coranique, apparaissant en 14, 4 : mā ’arsalnā min rasulin
’illā bi-lisāni qawmihi li-yubayyina lahum « nous n’avons envoyé d’envoyé que dans la langue
de son peuple pour leur rendre [les choses] claires/distinctes ». C’est ce verset qui sert de fon-
dement scripturaire à l’identification de la langue du Coran avec la luġat Qurayš. [Cf., ici même,
ch. I et II].
208
Cor. 49, 11 donne un exemple de cette opposition, cf. églt. IBN MANẒŪR (m. 711/1311), Lisān
al-Arab, art. QWM, t. III, p. 195.
209
Cf. AL-MUQADDASĪ, Descriptio, p. 334, où sont décrites les différentes variétés de persan du
Ḫurāsān. Celui de Nīsāpūr est le premier mentionné : al-Muqaddasī le décrit comme « châtié »
(faṣīḥ) et « intelligible » (mafhūm), quoique présentant certaines particularités qu’il énumère.
210
Le point étant presque invisible sous le ǧīm dans l’édition De Goeje, j’avais d’abord lu ḥaml.
211
Sur l’interprétation qu’un linguiste peut faire de ḏimma, voir, en dernier lieu, ZABORSKI, 2004.
CHAPITRE VII 127

sīdī mollement, comme les femmes. Dieu te garde d’être ainsi ! » (kalāmuhum yā
sīdī riḫw miṯl al-nisā’ ’a‘azzaka llāhu mā laka kaḏā)212.
En revanche, à propos du Maghreb (AL-MUQADDASĪ, Descriptio, p. 243,
l. 6), il va plus loin, notant que « leur langue est arabe, mais est fermée [à la com-
préhension, i.e. difficile à comprendre]213, différente de ce que nous avons men-
tionné à propos des [autres] provinces » (luġatuhum ‘arabiyya ġayra ’annahā
munġaliqa muḫālifa limā ḏakarnā li-l-’aqālīm). En outre, l’arabe, au Maghreb, y
coexiste au moins avec deux autres langues (AL-MUQADDASĪ, Descriptio, p. 243,
l. 6-7, puis l. 9-10) : « ils ont une autre langue, proche de celle des Romains » (wa-
lahum lisān ’āḫar yuqāribu al-rūmī), d’une part, et d’autre part, « la majorité des
habitants, dans les campagnes de cette province, sont des Berbères (…) dont la
langue est incompréhensible » (wa-l-ġālib ‘alā bawādī hāḏā al-’iqlīm al-Barbar
(…) lā yufhamu lisānuhum). Si al-Rūm, pour des raisons historiques (le fait que la
conquête islamique, au Levant et en Afrique du Nord, se soit faite au détriment de
Byzance), désigne généralement les Romains d’Orient, les meilleurs auteurs de
langue arabe n’ignorent pas que la romanité, linguistiquement, est duelle, grecque,
bien sûr, mais aussi latine. Ainsi Ibn Ḫaldūn (m. 808/1406), traitant des différentes
écritures écrit-il (IBN ḪALDŪN, Muqaddima, ch. VI, section 35, p. 1025) : « on y
compte l’écriture latine, l’écriture de ceux des Rūm qui sont Latins, et qui ont aussi
une langue qui leur est propre » (wa-minhā al-ḫaṭṭ al-laṭīnī ḫaṭṭ al-laṭīniyyīn min
al-Rūm wa-lahum ’ayḍan lisān muḫtaṣṣ bihim). Si l’on observe qu’AL-MUQADDASĪ,
Descriptio, p. 219, l. 7-8, nous dit lui-même qu’il n’a pas visité l’Andalousie et qu’il
mentionne en même temps le berbère, il s’agit donc probablement ici des parlers
romans d’Afrique du Nord, alors encore vivants (cf. LEWICKI, 1953). En outre, le

212
COLLINS, 2001, p. 174, interprète yā sīdī dans le champ de kalām comme une citation (norma-
lement, elle devrait être introduite par qawl « dire ») et par suite comprend « their speech when
they say ‘yā sīdī’ is languid like that of women ». [MIQUEL, 1972, p. 128, va dans le même sens,
mais plus loin, traduisant en effet par « Ils disent (p. 206) “Monsieur !” avec des molesses [sic]
de femme et “Que Dieu vous honore ! qu’avez-vous ?” n’est pas différent ».] Dans la mesure
où il s’agit des Égyptiens vus par les Syriens, il vaut mieux imaginer un dialogue entre Syriens :
par suite, yā sīdī s’adresse à l’interlocuteur fictif (c’est le terme toujours employé en Syrie dans
une situation de ce genre), comme s’adresse à lui le souhait conjuratoire qui suit. [Trois locu-
trices natives de parlers syriens, ma collègue Katia Zakharia, Su‘ād ‘Īsā et Sihām Fandī, aux-
quelles j’ai demandé comment elles interpréteraient spontanément la phrase d’al-Muqaddasī,
dont deux en aveugle, l’ont toutes interprétée de la même façon : « Leur manière de parler est
aussi douce/molle/indolente que des femmes. Mais toi, que Dieu te renforce dans ta puissance,
tu n’as pas cette façon de parler », pour citer ici Katia Zakharia (c.p. du 17/2/2009). Cette der-
nière a poussé l’obligeance jusqu’à relever, par l’intermédiaire du site alwarraq, les autres oc-
currences de kalāmuhum chez al-Muqaddasī : aucune des quatre qu’elle a trouvées n’introduit
une citation.] Si notre interprétation est correcte, on peut alors dire qu’à cet endroit al-
Muqaddasī parle en quelque manière « la langue de la Syrie », [notamment par l’emploi d’une
négation typiquement « syrienne » (cf. KASSAB, 1970, p. 60 et p. 138 : mā lī marīḍ « je ne suis
pas malade » ; mā lī fāḍī « je ne suis pas libre »)]. Notre interprétation n’exclut pas que yā sīdī
puisse être en même temps mimétique, [al-Muqaddasī singeant un locuteur égyptien : il a noté
que les Syriens ne cessaient de se moquer des Égyptiens et de les censurer…].
213
Nous suivons l’interprétation de DE GOEJE, 1967, p. 311, dans son Glossaire, pour la forme VII,
également retenue par FÜCK, 1955 [1950], p. 165.
128 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

berbère étant explicitement présenté comme rural, le roman est implicitement pré-
senté comme urbain. Bien sûr, le Maghreb incluant la Sicile et l’Andalousie, l’ex-
pression « langue proche de celle des Romains » peut s’appliquer également à ceux
de l’île et de l’Espagne musulmane214.
Quant aux Marais, il y revient en conclusion du développement qu’il con-
sacre aux langues du ‘Irāq (Basse-Mésopotamie) (AL-MUQADDASĪ, Descriptio,
p. 128, l. 7-9) :
Leurs manières de parler diffèrent : la plus correcte est celle de Koufa, du fait
de leur proximité de la steppe et de leur éloignement des Nabatéens ; au-delà, elles sont
belles, mais corrompues, spécialement (à) Bagdad. Quant aux Marais, ce sont des Na-
batéens, sans langue ni raison » (wa-luġātuhum muḫtalifa ’aṣaḥḥuhā al-kūfiyya li-
qurbihim min al-bādiya wa-bu‘dihim min al-Nabaṭ ṯumma hiya ba‘da ḏālika ḥasana
fāsida bi-ḫāṣṣatin Baġdād wa-’ammā al-Baṭā’iḥ fa-Nabaṭ lā lisān wa-lā ‘aql)215.

Le fait que les luġāt peuvent être qualifiées à la fois de ḥasana fāsida montre
que ḥasan doit être tiré du côté du « beau » et non du « bon ». Du même coup, qubḥ,
qui est l’antonyme habituel de ḥusn, doit être compris comme « laideur » et l’on
peut supposer que les deux termes qualifient, non le degré de correction grammati-
cale (auquel renvoient les termes de ṣiḥḥa, rakāka, fasād), mais l’impression
(agréable ou désagréable) que fait le parler à l’oreille. En ce sens ces qualifications
concernent ce qu’al-Muqaddasī appelait p. 1 ’aṣwāt.
De l’Aqūr (Haute-Mésopotamie), il dit (AL-MUQADDASĪ, Descriptio, p. 146,
l. 2-3) que « leur langue est une belle langue, plus correcte que celle du Šām, parce
qu’ils sont Arabes, la plus belle étant celle de Mossoul » (wa-luġatuhum luġa
ḥasana ’aṣaḥḥ min luġat al-Šām li-’annahum ‘Arab ’aḥsanuhā al-mawṣiliyya). Par
« Arabes », il faut entendre des populations, sinon bédouines, du moins d’origine
bédouine, AL-MUQADDASĪ, Descriptio, p. 137, indiquant qu’il a divisé l’Aqūr, selon
les groupements arabes, en trois : Diyār Rabī‘a, Diyār Muḍar et Diyār Bakr. En fait,
la population était plus hétérogène, mais al-Muqaddasī n’en souffle mot, à l’excep-
tion des Sabéens (en réalité se prétendant tels) de Ḥarrān.
De la même façon qu’il a traité par anticipation de la Syrie, à propos de la
Mésopotamie, il revient sur celle-ci, quand il traite de la Syrie, notant (AL-
MUQADDASĪ, Descriptio, p. 183, l. 3-6) :

214
LEWICKI, 1953, renvoie à une occurrence de Rūm chez al-MUQADDASĪ, Descriptio, p. 216, pour
désigner l’Europe méridionale. À cet endroit, al-Muqaddasī parle de « l’Andalousie, au-delà de
la mer, sur la terre des Romains » (wa-l-Andalus warā’ al-baḥr ‘alā ’arḍ al-Rūm) …
215
Certaines de ces appréciations avaient déjà été données dans la section consacrée aux « particu-
larités des provinces », notamment linguistiques (AL-MUQADDASĪ, Descriptio, p. 34, l. 14-16) :
« pas de langue plus belle que celle des habitants de Bagdad (…) ni plus flatulents que les ha-
bitants des Marais » (wa-lā ’aḥsan lisānan min ’ahl Baġdād (…) wa-lā ’a‘faṭ min ’ahl al-
Baṭā’iḥ). Sur la « flatulence » verbale, synesthésie pour grossièreté, voir MIQUEL, 1963, p. 78,
n. 15, 1988, p. 340, n. 59, 2003, p. 500, qui renvoie au Lisān al-‘Arab d’Ibn Manẓūr (m.
711/1311). Celui-ci définit ‘afaṭa fī kalāmihi comme takallama bi-l-‘arabiyya wa-lā yufṣiḥu
(« parler l’arabe de manière non châtiée ») ou takallama bi-kalām lā yufhamu (« parler de ma-
nière incompréhensible ») (IBN MANẒŪR, Lisān al-‘Arab, art. ‘FṬ, t. II, p. 824).
CHAPITRE VII 129

Très rarement on y voit un jurisconsulte, faisant montre d’innovation [héré-


tique], ou un Musulman occupant un emploi de fonctionnaire, sauf à Tibériade, car
cette ville n’a cessé de fournir des fonctionnaires. En fait, les fonctionnaires, en Syrie
et en Égypte, sont des Chrétiens : on s’en est remis à leur langue, car on ne s’est pas
donné la peine de se cultiver, au contraire des non-Arabes. J’avais honte, quand j’as-
sistais à l’assemblée du grand cadi de Bagdad, de ses nombreuses fautes de flexion,
sans que les gens y voient un défaut (’aqalla mā tarā bihi faqīhan lahu bid‘a ’aw mus-
liman lahu kitāba ’illā bi-Ṭabariyya fa-’innahā mā zālat tuḫriǧu al-kuttāb wa-’innamā
al-kataba bihi wa-bi-Miṣr naṣārā li-’annahum ittakalū ‘alā lisānihim fa-lam yata-
kallafū al-’adab ka-l-A‘āǧim wa-kuntu ’iḏā ḥaḍartu maǧlis qāḍī al-quḍāt bi-Baġdād
’aḫǧalu min kaṯrat mā yalḥunu wa-lā yarawna ḏālika ‘ayban).

Si l’arabe de l’Aqūr est « plus correct que celui de Syrie, du fait que les
habitants sont Arabes », cela implique, à l’inverse, que celui de la Syrie est moins
correct, du fait que les habitants ne sont pas Arabes ! Pourtant, al-Muqaddasī ne
souffle mot des populations de la Syrie, ni de leurs langues actuelles, ou originelles,
dont il paraît ne rien savoir. Juste avant le passage ci-dessus cité, il mentionne cor-
rectement et dans l’ordre les mois du calendrier syriaque, mais en les qualifiant de
rūmiyya. C’est seulement à propos de la Basse-Mésopotamie qu’on a vu une allu-
sion au substrat/adstrat araméen, à travers l’appellation, de « Nabatéens » : [on dis-
tingue en arabe entre « Nabatéens de Syrie » (Nabaṭ al-Šām), qui sont « nos » Na-
batéens, et « Nabatéens d’Irak » (Nabaṭ al-‘Irāq), araméophones de Basse-Méso-
potamie, qui sont ceux de la célèbre « agriculture nabatéenne » (al-filāḥa al-
nabaṭiyya), cf. EI2, art. Nabaṭ).]
S’agissant de la Syrie, al-Muqaddasī change en fait de paradigme, qui n’est
plus ethnique, ni linguistique, mais confessionnel. Il note que la Syrie est qalīl al-
‘ilm kaṯīr al-ḏimma « de peu de science et aux “protégés” nombreux » (AL-
MUQADDASĪ, Descriptio, p. 179, l. 15). Il y a évidemment une corrélation entre les
deux notations : les « sciences » (islamiques) sont d’autant moins représentées que
le christianisme y est un fait massif. L’importance du fait chrétien est reconnue par
al-Muqaddasī, quand il signale que les Musulmans ont adopté l’usage des fêtes
chrétiennes pour marquer les saisons (Noël, Pâques, Pentecôte, Sainte Barbara).
Dans ce contexte, on ne s’étonne donc pas que les fonctionnaires soient chrétiens
(de même qu’en Égypte).
On n’en sent pas moins une réticence à l’égard de cette situation, doublée
d’une critique à l’égard des Musulmans. Certes, le passage est difficile à interpréter,
dans la mesure où al-Muqaddasī emploie partout les marques de 3e personne du
masculin pluriel. Mais, dans le contexte, il se comprend bien comme : « ils (= les
Musulmans) s’en sont remis à leur langue (= celle des fonctionnaires chrétiens), car
ils (= les Musulmans) ne se sont pas donné la peine de se cultiver, à l’inverse des
non-Arabes » : la critique ne s’arrête pas aux frontières de la Syrie, mais s’étend au
‘Irāq, où les fautes de flexion du grand cadi de Bagdad viennent en quelque sorte
l’appuyer.
Visiblement, al-Muqaddasī s’irrite de ce que des non-Arabes, voire des non-
Musulmans, semblent mieux maîtriser l’arabe formel que des Musulmans
130 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

arabophones ! Dans le second cas, cependant, je ne pense pas que A‘āǧim désigne
autrement les fonctionnaires chrétiens. Certes, ‘Aǧam et A‘āǧim désignent les non-
Arabes en général et peuvent, selon les lieux et les temps, s’appliquer à telle ou telle
population en particulier : s’il est vrai qu’en Orient, ils désignent ordinairement les
Persans, LEWICKI, 1953, rappelle que dans l’Occident musulman, ils peuvent dési-
gner les populations chrétiennes et de langue romane. Certes, ’a‘āǧim est formelle-
ment le pluriel de ’a‘ǧamī216, qui, plus que ‘aǧamī, renvoie à la caractérisation lin-
guistique, mais sémantiquement il n’en fonctionne pas moins comme le synonyme
de ‘aǧam, comme cela ressort d’IBN MANẒŪR, Lisān al-‘Arab, art. ‘ǦM, t. II,
p. 697 :
hāḏā raǧul ’a‘ǧamī ’iḏā kāna lā yufṣiḥu kāna min al-‘Aǧam ’aw min al-‘Arab
wa-raǧul ‘aǧamī ’iḏā kāna min al-A‘āǧim faṣīḥan kāna ’aw ġayr faṣīḥ « c’est un indi-
vidu ’a‘ǧamī, s’il ne parle pas de manière châtiée, qu’il appartienne aux Arabes ou aux
non-Arabes et un individu ‘aǧamī, s’il appartient aux non-Arabes, qu’il parle de ma-
nière châtiée ou non ».

Al-Muqaddasī employant ‘Aǧam et A‘āǧim de cette manière (cf. note 205),


ce dernier terme désigne plus sûrement ici les Persans, dont al-Muqaddasī a vanté
précédemment le zèle linguistique : on a noté qu’al-Muqaddasī employait ici le
même verbe takallafa « s’imposer quelque chose » qu’il employait à propos du
« Machrek ». Mais alors que pour celui-ci il mettait dans son champ le pronom af-
fixe et anaphorique -hā ayant pour antécédent ‘arabiyya, il met ici le nom ’adab :
mais on ne peut évidemment oublier que le ’adab désigne, historiquement, au pre-
mier chef, le ’adab al-kātib et est une création persane (Ibn al-Muqaffa‘ et alii).
Force par ailleurs est de constater qu’il n’apporte pas, pour les Chrétiens de Syrie,
la précision qu’il apporte pour ceux d’Égypte, à savoir « qu’ils conversent en
copte », le verbe employé (yataḥaddaṯūna) désignant le copte comme la langue ver-
naculaire de ces Chrétiens et, par conséquent, l’arabe comme une langue véhicu-
laire. Al-Muqaddasī ne dit rien, et sans doute ne sait rien, de l’utilisation du copte
comme langue liturgique et littéraire, pas plus qu’il ne dit quoi que ce soit des dif-
férents statuts de l’araméen en général et du syriaque en particulier.
Nous ne suivons donc pas MIQUEL, 1963, p. 225, dans l’interprétation qu’il
fait de ce passage : « (…) le Šām et l’Égypte ont des fonctionnaires chrétiens. Car
les Musulmans leur font confiance pour [la correction du] langage… ». Qu’on se
fie à leur langue n’implique pas, pour al-Muqaddasī, qu’elle soit fiable, ce qui ca-
drerait mal avec ses préventions anti-chrétiennes, qui se manifestent à plusieurs re-
prises dans la description du Šām. Ainsi la notation ci-dessus relevée que la Syrie
est qalīl al-‘ilm kaṯīr al-ḏimma s’accompagne-t-elle d’un zeugma bien peu amène :
wa-l-muǧaḏḏamīn : « de peu de science et aux nombreux “protégés” et

216
[Note de relecture : à strictement parler de ’a‘ǧam, que ’a‘ǧamī est venu relayer dans le sens de
« au parler non châtié ».]
CHAPITRE VII 131

lépreux »217 ! La même notation se retrouve, à propos de Jérusalem, dans un déve-


loppement consacré aux « défauts » de la ville et, là encore accompagnée d’une
appréciation peu flatteuse (AL-MUQADDASĪ, Descriptio, p. 167) : qalīlat al-‘ulamā’
kaṯīrat al-naṣārā wa-fīhim ǧafā’ ‘alā al-raḥba « peu de savants, mais beaucoup de
chrétiens et fort brutaux » (tr. MIQUEL, 1963, p. 188) ; « Few are the learned there,
many are the Christians, and these make themselves distateful in the public places »
(tr. COLLINS, 2001, p. 141)218. Et encore, en conclusion de ce développement :
L’homme victime d’une injustice n’y a pas de secours ; le vertueux est à la
peine, le riche envié, le jurisconsulte délaissé, le lettré sans public. Point d’assemblée
où l’on spécule ni d’enseignement. Les Chrétiens et les Juifs y sont majoritaires. La
mosquée est vide de rassemblements et de séances… (wa-laysa li-l-maẓlūm ’anṣār wa-
l-mastūr mahmūm wa-l-ġanī maḥsūd wa-l-faqīh mahǧūr wa-l-’adīb ġayr mašūd lā
maǧlis naẓar wa-lā tadrīs qad ġalaba ‘alayhā al-naṣārā wa-l-yahūd wa-ḫalā al-
masǧid min al-ǧamā‘āt wa-l-maǧālis).

N’oublions pas qu’al-Muqaddasī décrit sa province et sa ville. Il ne faut


donc pas prendre au pied de la lettre ce qu’il dit, mais y voir plutôt l’effet d’un
syndrome fort répandu dans ce type de sociétés, où l’« autre » le plus proche est le
plus lointain… Mais, dans ce contexte, il paraît difficile, pour ne pas dire tout à fait
impossible, de voir dans la notation d’al-Muqaddasī un éloge des fonctionnaires
chrétiens (MIQUEL, 1988, p. 340 ; 2003, p. 500). En revanche, la critique des Mu-
sulmans est bien réelle. Comme est réel le fait que l’activité des fonctionnaires,
ainsi que leur nom même en arabe l’indique (kuttāb ou kataba), concerne la langue
écrite d’une part, ne concerne pas leurs seuls coreligionnaires d’autre part. En-
semble, les deux faits doivent, une fois de plus, nous inciter à la plus grande pru-
dence, dans le maniement du critère confessionnel en matière linguistique. Notam-
ment, on ne peut suivre Heinrich Leberecht Fleischer (1801-1888), l’inventeur tout
à la fois du « moyen arabe » (au sens historique) et de sa « confessionnalisation »
(arabe chrétien, judéo-arabe), quand il supposait (FLEISCHER, 1847) que, comme
langue écrite, il avait touché « en particulier les non-Mahométans, lesquels se pas-
saient plus ou moins de la formation scolaire philologique musulmane » (besonders
bei Nicht-Muhammadanern, welche der muslimlischen philologischen Schulbil-
dung mehr oder weniger entbehrten)…
C’est finalement à propos de la péninsule arabique qu’al-Muqaddasī donne
le plus de renseignements. Nous trouvons (AL-MUQADDASĪ, Descriptio, p. 96-97)
un développement d’une dizaine de lignes. Selon sa description, la péninsule ara-
bique n’est homogène, ni ethniquement, ni linguistiquement et il n’y a pas néces-
sairement de corrélation entre les deux paramètres. Ainsi est-il noté que « les habi-
tants de cette province ont pour langue l’arabe, sauf à Ṣuḥār [‘Umān], car on inter-
pelle et on parle en persan » (wa-’ahl hāḏā al-’iqlīm luġatuhum al-‘arabiyya ’illā

217
Le ǧuḏām désigne bien la lèpre et non, comme on le voit parfois écrit, l’éléphantiasis filarien,
appelé dā’ al-fīl par les médecins arabes médiévaux, ainsi qu’a bien voulu me le confirmer mon
collègue Floréal Sanagustin.
218
L’interprétation de ‘alā al-raḥba n’est pas assurée.
132 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

bi-Ṣuḥār fa-’innahum nidāhum wa-kalāmuhum bi-l-fārisiyya). Le fait que le ma-


nuscrit C ajoute, après nidā, fī al-’aswāq (« sur les marchés ») suggère que, par
nidā, il faut bien entendre ici les cris des marchands et que c’est d’abord le persan
comme langue commerciale qui a frappé le visiteur.
En revanche, bien que « la majorité des habitants d’Aden et de Djeddah
soient Persans, la langue n’en est pas moins arabe » (wa-’akṯar ’ahl ‘Adan wa-
Ǧadda Furs ’illā ’anna al-luġa ‘arabiyya). Dommage, cependant, qu’al-Muqaddasī
ne précise pas si ces Persans parlent par ailleurs persan : s’il le faisait, on pourrait
alors dire que l’arabe est ici langue véhiculaire, non plus à la façon du « Machrek »,
mais à celle dont aujourd’hui, par exemple, le wolof l’est sur les marchés du Séné-
gal, ce que FÜCK, 1955 [1950], p. 164, appelle une « langue de relation ».
De même al-Muqaddasī note-t-il qu’« à l’extrémité du [pays de] Ḥimyar, il
y a une tribu d’Arabes, dont le parler est incompréhensible » (wa-bi-ṭaraf al-Ḥi-
myarī qabīla min al-‘Arab lā yufhamu kalāmuhum). Ledit pays est ainsi défini (AL-
MUQADDASĪ, Descriptio, p. 87, l. 4-5) : « et [le pays] de Ḥimyar est celui de Qaḥṭān,
entre Zabīd et Ṣan‘ā’ » (wa-l-Ḥimyarī huwa balad Qaḥṭān bayna Zabīd wa-Ṣan‘ā’).
La triple caractérisation géographique, ethnique et linguistique autorise à y voir une
allusion à la « langue de Ḥimyar », qui, selon l’interprétation de Christian Julien
Robin219, est « un parler intermédiaire entre le sabéen et l’arabe ».
Le parler arabe d’Aden est le seul pour lequel al-Muqaddasī cite deux traits,
un morphologique et un phonologique (AL-MUQADDASĪ, Descriptio, p. 96, l. 13-
14) :

Les gens d’Aden disent pour riǧlayhi riǧlaynihi et pour yadayhi yadaynihi et
ainsi de suite et ils font du ǧīm un kāf et disent pour raǧab rakab et pour raǧul rakul
(wa-’ahl ‘Adan yaqūlūna li-riǧlayhi riǧlaynihi wa-li-yadayhi yadaynihi wa-qis ‘alayhi
wa-yaǧ‘alūna al-ǧīm kāfan fa-yaqūlūna li-raǧab rakab wa-li-raǧul rakul).

En arabe classique, duel et masculin pluriel sont des déclinaisons diptotes


(ā/ay pour le premier, ū/ī pour le second), connaissant en outre une variation con-
textuelle : la suffixation d’un nūn à l’état absolu, vocalisé i pour le duel et a pour le
masculin pluriel, et qui disparaît à l’état construit. L’intérêt de la notation, présentée
comme un phénomène régulier, est cependant très limité, du fait même de son uni-
cité : on n’a pas d’élément de comparaison en synchronie. Je n’en ai pas trouvé en
diachronie, du moins en amont, car en aval les dialectes arabes modernes qui ont
un duel ont ce nūn à l’état construit, cf., par exemple, Damas : šaqəftēn laḥme « deux
morceaux de viande », nō‘ēn ǧəbne « deux espèces de fromage » (KASSAB, 1970,
p. 43).
Quant au trait phonologique, il s’agit très certainement d’une réalisation du
/ǧ/ en [g] (cf. églt. RABIN, 1951, p. 31). Cette prononciation est connue de
SĪBAWAYHI (m. 180/796 ?), Kitāb, t. IV, p. 432, qui la range parmi « les articula-
tions qu’on ne tient pas pour bonnes et qui ne sont pas fréquentes dans le langage

219
Qui me l’a confirmée récemment, cf., pour une vue d’ensemble, l’article « Ḥimyaritic » de EALL
(vol. II, p. 256-261, 2007), dû à Christian Julien Robin.
CHAPITRE VII 133

de ceux dont l’arabe est agréé et qu’on ne tient pas pour bonnes dans la récitation
du Coran, ni en poésie » (ḥurūf ġayr mustaḥsana wa-lā kaṯīra fī luġat man turtaḍā
‘arabiyyatuhu wa-lā tustaḥsanu fī qirā’at al-Qur’ān wa-lā fī al-ši‘r). La formula-
tion de Sībawayhi est intéressante, en ce qu’elle met un bémol à la vision « conti-
nuiste » et « variationniste » de l’arabe, aujourd’hui à la mode, et qu’on projette
sans précaution sur les anciens grammairiens. Sībawayhi oppose ici le Coran et la
poésie, à l’orthoépie desquels cette réalisation n’appartient pas, et le « parler des
Arabes », où elle n’est pas exclue, même si elle n’y est pas fréquente, de la pronon-
ciation des locuteurs les plus fiables …
Sībawayhi ne donne pas de localisation régionale ou tribale, mais parle du
« kāf qui est entre le ǧīm et le kāf » et, selon certains manuscrits, du « ǧīm qui est
comme le kāf », avant de parler du « ǧīm qui est comme le šīn » (al-kāf allatī bayna
al-ǧīm wa-l-kāf wa-l-ǧīm allatī [ka-l-kāf wa-l-ǧīm allatī] ka-l-šīn). FLEISCH, 1961,
p. 217, renvoyant à Ibn Ya‘īš (m. 643/1245), dit que « les deux reviennent au
même ». Contextuellement, il doit bien en effet s’agir de deux descriptions d’une
même articulation, car si l’on y voyait deux articulations différentes, on atteindrait
non pas 42, mais 43 articulations. Le chiffre de 42, donné par le Kitāb, représente
l’addition des 29 articulations « primaires » (’aṣliyya) et de 13 secondaires
(far‘iyya) : six considérées comme bonnes dans la récitation coranique et la poésie,
contre sept, dont celle qui nous intéresse ici, qui ne le sont pas.
Ibn Ya‘īš commente AL-ZAMAḪŠARĪ (m. 538/1144), Mufaṣṣal, p. 394, qui
ne reprend pas la formulation de Sībawayhi, mais compte huit articulations « con-
sidérées comme mauvaises » (mustahǧana), atteignant 43, les trois premières étant
al-kāf allatī ka-l-ǧīm wa-l-ǧīm allatī ka-l-kāf wa-l-ǧīm allatī ka-l-šīn « le kāf qui est
comme le ǧīm, le ǧīm qui est comme le kāf et le ǧīm qui est comme le šīn ». C’est
sur la base d’al-Zamaḫšarī qui fait trois articulations des deux de Sībawayhi, que
CANTINEAU, 1960, voit non seulement un ǧīm prononcé comme un kāf (qu’il inter-
prète bien comme g, p. 57-58) mais encore un kāf prononcé comme un ǧīm (qu’il
interprète comme une variante tš inconditionnée, p. 64-65).
Bien que commentant al-Zamaḫšarī, IBN YA‘ĪŠ, Šarḥ al-Mufaṣṣal, t. X,
p. 127, n’en revient pas moins à la formulation de Sībawayhi :

Quant au kāf, qui est entre le ǧīm et le kāf, écrit-il, c’est, selon Ibn Durayd220,
une variante dialectale du Yémen, où l’on dit, pour ǧamal, kamal, et, pour raǧul, rakul.
Elle existe aussi chez le commun des habitants de Bagdad, où elle est répandue et sem-
blable à la luṯġa (fa-’ammā al-kāf allatī bayna al-ǧīm wa-l-kāf fa-qāla Ibn Durayd hiya
luġa fī al-Yaman yaqūlūna fī ǧamal kamal wa-fī raǧul rakul wa-hiya fī ‘awāmm
Baġdād fāšiya šabīha bi-l-luṯġa)221.

On aura noté que cette réalisation est présentée une fois comme une variante
régionale, et, une autre fois, comme une variante « sociale », s’apparentant (šabīha)

220
Célèbre lexicographe, m. en 321/933, auteur de la Ǧamhara.
221
[Note de relecture : pour une complète réinterprétation de la description de Sībawayhi, voir
maintenant OWENS, 2013].
134 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

à un défaut de langue. La luṯġa est définie par IBN MANẒŪR, Lisān al-‘Arab, art.
LṮĠ, t. III, p. 341, comme « le fait de dévier une articulation en direction d’une
autre » (’an ta‘dila al-ḥarf ’ilā ḥarf ġayrihi), par exemple l’incapacité à prononcer
le /r/, alors réalisé [ġ] ou [l], ou encore le /ṣ/ prononcé [f] ou le /s/ [ṯ]222. La compa-
raison avec la luṯġa, qui est par définition un fait individuel223, est évidemment con-
tradictoire avec sa caractérisation comme une réalisation répandue dans le peuple
de Bagdad. Elle confirme le soupçon qu’on a d’une prévention de lettré, qui se
pense comme appartenant à une « élite » miraculeusement préservée d’un « dé-
faut » n’atteignant que le vulgum pecus224.
La réalisation [g] du /ǧ/ est un phénomène bien attesté dans les dialectes
arabes modernes et, notamment, en Égypte. Contrairement à ce que croit FÜCK,
1955 [1950], p. 164, la tradition que cite al-Muqaddasī ne constitue certainement
pas un « parallèle », interprétation par trop linguistique. En fait, c’est un moyen
d’attester l’ancienneté et, par suite, l’authenticité du trait. Voici cette tradition, telle
que citée par AL-MUQADDASĪ, Descriptio, p. 97 : wa-qad ruwiya ’anna al-nabiyya
ṣallā llāhu ‘alayhi wa-sallam ’utiya bi-rawṯa ‘inda al-istiǧmār fa-’alqāhā wa-qāla
hiya riks. La même tradition est transmise, indique en note l’édition De Goeje en
renvoyant au Fā’iq d’al-Zamaḫšarī, avec istinǧā’ à la place de istiǧmār. Fück ne la
traduit pas, se contentant de renvoyer à l’alinéa 21 de la section wuḍū’ d’al-Buḫārī
(m. 252/870) et à la Concordance de WENSINCK, 1936-1969, s.v. riks. COLLINS,
2001, p. 82, traduit ainsi : « In fact it is related concerning the Prophet – God’s
peace and blessings be upon him – that a piece of dung was brought him in connec-
tion with a ceremony of purification, and this he threw from him saying, “it is ‘rikṣ’”
[instead of “riǧs”] (filth) ». On ne saurait pas cependant ce qu’est cette « cérémonie
de purification », si les grands dictionnaires arabes traditionnels, comme le Lisān
al-‘Arab, ou arabisants comme le Kazimirski, n’étaient heureusement plus con-
crets ! Istinǧā’ désigne étymologiquement la défécation et, par métonymie, le geste
suivant, appelé istiǧmār, qui est dérivé de ǧimār, mot qui désigne les petits cailloux
qu’on utilise pour s’essuyer (tamasaḥḥa bi-l-ǧimār) (IBN MANẒŪR, Lisān al-‘Arab,
art. ǦMR, t. I, p. 496). Aucun geste, fût-ce le plus quotidien, n’échappe au fiqh…
La Concordance de WENSINCK (1936-1969, t. II, p. 220, p. 298) donne
comme majoritaire la transmission avec riks (outre le wuḍū’ d’al-Buḫārī, la section
ṭahāra d’al-Tirmiḏī [m. 279/892] et celle d’al-Nasā’ī [m. 303/915], ainsi que le
Musnad d’Aḥmad b. Ḥanbal [m. 241/855]). En revanche la transmission avec riǧs
est dans Ibn Māǧa (m. 273/887) (section ṭahāra). Dans ces conditions, on doit se
demander, ce qui de riǧs ou riks, est primaire. Si l’on opte pour riǧs comme le fait

222
C’est le défaut connu en espagnol sous le nom de ceceo, le défaut contraire s’appelant seseo.
223
C’est ce qui ressort du long développement que lui consacre AL-ǦĀḤIẒ, Bayān, t. I, 34sq. Cf.
églt. FÜCK, 1955 [1950], p. 99.
224
Il peut cependant arriver qu’en un lieu et un temps déterminés, ce qui serait un défaut de pro-
nonciation soit adopté comme signe distinctif d’un groupe. On se souvient par exemple des
Incroyables (et Merveilleuses) du Directoire qui « devaient leur surnom à leur habitude de ré-
péter à tout propos : c’est inc(r)oyable [ẽkəjabl] » (Petit Robert).
CHAPITRE VII 135

implicitement al-Muqaddasī225, riks est-il, comme il le pense (cf. infra), une va-
riante régionale, ou n’est-il pas plutôt une variante combinatoire, due à la présence
d’une sifflante (i.e. riǧs > riks), phénomène bien connu dans les dialectes arabes
modernes (pour des exemples cf. CANTINEAU, 1960, p. 61, c) ?
Enfin, un linguiste relèvera ce qu’AL-MUQADDASĪ, Descriptio, p. 418, dit du
Ḫūzistān, zone de contact entre persan et arabe :
Souvent, ils mélangent leur persan à l’arabe et disent ’īn kitāb waṣlā kun et ’īn
kār qaṭ‘ā kun ; mieux : les voit-on parler persan, qu’ils passent à l’arabe et, quand ils
parlent une des deux langues, on pense qu’ils ne maîtrisent pas l’autre (wa-kaṯīran mā
yamzuǧūna fārisiyyatahum bi-l-‘arabiyya wa-yaqūlūna ’īn kitāb waṣlā kun wa-’īn kār
qaṭ‘an kun wa-’aḥsan mā tarāhum yatakallamūna bi-l-fārisiyya ḥattā yantaqilūna ’ilā
al-‘arabiyya wa-’iḏā takallamū bi-’aḥad al-lisānayn ẓananta ’annahum lā yuḥsinūna
al-’āḫar).

La seconde phrase décrit assez bien ce qu’on appelle code-switching (ou


« alternance codique »). La première donne deux exemples de phrases persanes,
mais où apparaissent bien des formes de « mixité » : dans le premier, il y a un em-
prunt à l’arabe (kitāb « livre ») ; dans les deux la formation d’un verbe dénominatif,
avec le verbe persan kardan (« faire »), ici à l’impératif kon (« fais »), mais une
base nominale arabe, waṣlan et qaṭ‘an : « relie ce livre » (litt. ce livre reliure fais)
et « cesse ce travail » (litt. ce travail cessation fais). On peut risquer ici le terme de
code-mixing226. Sur ce point, al-Muqaddasī est très supérieur à un auteur tel qu’IBN
ḪALDŪN, Muqaddima, ch. VI, section 48, p. 1079, qui, notant qu’au Maghreb
l’arabe, au contact du berbère, a évolué en « une autre langue mélangée » (luġa
’uḫrā mumtaziǧa), ne donne cependant aucun exemple, rendant par la même im-
possible toute interprétation dudit « mélange ».

3. Interprétation

Ce double statut de l’arabe peut évidemment s’interpréter comme l’exis-


tence de deux variétés. Bien qu’al-Muqaddasī emploie ‘arabiyya comme nom gé-
nérique de l’arabe, l’expression lisān al-qawm introduit sans nul doute une discon-
tinuité, et, dans le contexte, c’est bien l’arabe comme lisān al-qawm, et non l’arabe
total, qui est vu comme constitué de luġāt muḫtalifa. Nous ne sommes donc plus
dans la conception ancienne, où ces luġāt étaient vues comme de simples variantes,

225
Sans doute à cause des dix occurrences coraniques du terme, qui apparaît comme un doublet de
riǧz.
226
Ma collègue de persan, Homa Lessan-Pezechki, consultée, a attiré mon attention sur le fait
qu’actuellement en persan pour avoir l’interprétation « relie » et « cesse », il faudrait que waṣlan
et qaṭ‘an soit écrits sans ’alif (i.e. wṣl et qṭ‘, prononcés approximativement comme vasl et rat‘).
Dans le second cas, avec un ’alif, le mot serait prononcé qaṭ‘an (ratan) et interprété comme un
adverbe de sens « sûrement » et la phrase comme « fais-le, sûrement ». Si l’on observe que le
manuscrit C a justement qaṭ‘ sans ’alif, on soupçonne une faute d’interférence : waṣl et qaṭ‘
ayant été reconnus comme des bases arabes et, en quelque sorte, les compléments d’objet direct
du verbe kardan, ont été munis du tanwīn-an qui apparaîtrait dans ce cas en arabe classique.
136 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

bonnes ou mauvaises, d’une seule et même langue : (al-luġa) al-‘arabiyya. En ce


sens, la situation linguistique décrite par al-Muqaddasī ne relève en rien du « moyen
arabe », en un sens historique de ce terme. Elle relève en fait soit d’une situation de
diglossie, soit d’une situation de bi- ou plurilinguisme, selon qu’on a affaire à des
arabophones ou non arabophones, avec possibilité d’ailleurs que les deux phéno-
mènes se combinent.
Al-Muqaddasī ne parle pas des luġāt ou variétés locales d’arabe en termes
linguistiques. En tout et pour tout, sont mentionnés un trait phonologique et un trait
morphologique, pour un seul parler arabe, celui d’Aden ! Aucun trait syntaxique
n’est mentionné, hormis, bien sûr, celui qu’implique le terme de fāsid, participe
correspondant au nom d’action fasād, c’est-à-dire une « altération » ou une « dis-
parition » des désinences casuelles et modales : nous verrons cependant ci-dessous
ce qu’il faut en penser. Quant au lexique, même FÜCK, 1955 [1950], p. 166, est
obligé d’admettre qu’« il n’y indique pas la région dans laquelle le terme est em-
ployé » et, par suite, qu’il n’est exploitable que recoupé avec d’autres sources…
Ces luġāt sont vues en fait de manière épilinguistique, comme le montre le
fait qu’elles font l’objet d’une hiérarchie. Cette hiérarchie est fonction de deux pa-
ramètres, l’un géographique et l’autre humain : leur distance par rapport au
« centre » (on a donc, dans l’ordre, Hedjaz et Nejd qui constituent ce « centre » (cf.
infra), puis la Mésopotamie et la Syrie, enfin l’Égypte et le Maghreb) ; l’arabité ou
la non-arabité des locuteurs. Les deux critères peuvent se combiner : l’arabe de
Haute-Mésopotamie est meilleur que celui de Syrie parce que les habitants sont des
Arabes ; le meilleur arabe de Basse-Mésopotamie est celui de Koufa, compte tenu
de la proximité géographique de cette ville avec la bādiya et de son éloignement
des « Nabatéens ».
Auteur du IVe/Xe siècle, al-Muqaddasī se fait en réalité l’écho, dans ses re-
présentations, des différentes thèses en présence sur la langue arabe, ce qui entraîne,
plus qu’anachronisme, un écrasement de la diachronie. Ainsi, au chapitre des « par-
ticularités des provinces », il cite al-Ǧāḥiẓ (m. 255/868), qui, interrogé par le neveu
d’al-Aṣma‘ī (m. 213/828) sur les métropoles, indique, pour Koufa, la faṣāḥa227 ;
AL-MUQADDASĪ, Descriptio, p. 33, l. 15, tout en lui donnant raison, n’en ajoute pas
moins bi-Makka faṣāḥa : comment ne pas voir dans cette rectification (’illā ’anna)
un écho direct de la thèse théologique, qui identifie, sur une base scripturaire (Cor.
14, 4), la langue du Coran avec la luġat Qurayš, et y voit, dogmatiquement
(i.e. comme langue du Coran), la luġa al-fuṣḥā ?
De même quand il rapporte la variante riks du ḥadīṯ, le commentaire qu’il
fait montre qu’il connaît la et même les thèses philologiques (AL-MUQADDASĪ, Des-
criptio, p. 96-97) :
Les jurisconsultes se sont préoccupés de cela : ce qu’ils ont dit est possible,
comme est possible qu’il (Mahomet) ait employé cette manière de parler et toutes les
manières de parler des Arabes, existant dans les déserts de cette péninsule, mais ce qui

227
Ce qui d’ailleurs ne va pas de soi, al-Ǧāḥiẓ comme al-Aṣmā‘ī étant connus pour leur relation
avec Basra…
CHAPITRE VII 137

y est plus correct, c’est la manière de parler des Huḏayl, puis des deux Nejd, puis du
reste du Hedjaz, hormis les Aḥqāf, car leur langue est sauvage (wa-qad ta‘annā al-
fuqahā’ hāḏā fa-yaǧūzu mā qālūhu wa-yaǧūzu ’an yakūna ista‘mala hāḏihi al-luġa
wa-ǧamī‘a luġāt al-‘Arab mawǧūda fī bawādī hāḏihi al-ǧazīra ’illā ’anna ’aṣaḥḥ bihā
luġat Huḏayl ṯumma baqiyyat al-Ḥiǧāz ’illā al-Aḥqāf fa-’inna lisānahum waḥš)228.

Ce texte est connu de RABIN, 1951, p. 20, qui l’interprète mal :

The dialect of Huḏayl is the most correct among all Arabs. After this comes the
language of the two (?) Nejd, then that of the remainder (sic) of Hijaz, except that of
the Aḥqāf, for their speech is savage.

Rabin229 ne prête pas attention au fait que le texte a, non pas al-’aṣaḥḥ, mais
seulement ’aṣaḥḥ. Par suite, le dialecte de Huḏayl n’est nullement désigné comme
« le plus correct », mais seulement comme « plus correct », lui et ce qui est énuméré
à sa suite, que les autres dialectes de la péninsule arabique. Par suite encore, l’ex-
pression « le reste du Hedjaz », dont s’étonne Rabin, s’explique par la référence
implicite à la luġat Qurayš comme al-luġa al-fuṣḥā (cf. supra). Enfin, l’expression
« les deux Nejd » s’explique par le fait qu’AL-MUQADDASĪ, Descriptio, p. 94, dis-
tingue un « Naǧd al-Ḥiǧāz » et un « Naǧd al-Yaman », distinction qui a pu être
favorisée par l’expression coranique al-naǧdayn (Cor. 90, 10).
Visiblement, al-Muqaddasī fait sienne la position dominante, qui, tout en
proclamant (pour des raisons théologiques) la lugat Qurayš al-luġa al-fuṣḥā, n’en
définit pas moins un domaine de l’arabe faṣīḥ plus large, puisqu’il comprend, avec
une partie du Hedjaz, l’Arabie centrale (luġat Tamīm de la tradition arabe). Cet
élargissement est rendu nécessaire par le fait que la luġa al-fuṣḥā a des traits qui
sont ceux rapportés de la luġat Tamīm mais non de la luġa al-ḥiǧāziyya (à laquelle
appartient la luġat Qurayš) et vice-versa. L’exemple le plus célèbre est le fameux
taḫfīf al-hamza (« allégement de la hamza »), pratiqué, nous dit-on, par les gens du
Hedjaz, à l’encontre du taḥqīq al-hamza (« réalisation effective de la hamza »), pra-
tiqué par les autres Arabes et qui est aussi le trait retenu par l’arabe classique. La
délimitation du domaine de l’arabe faṣīḥ à laquelle fait allusion al-Muqaddasī est
exactement celle donnée par un texte célèbre, souvent cité, d’Abū Naṣr al-Fārābī
(m. 339/950) : du moins par la version de ce texte, transmise par AL-SUYŪṬĪ
(m. 911/1505), Muzhir, t. I, p. 211-212, mais aussi Iqtirāḥ, p. 19-20230, et qui s’est

228
Al-Aḥqāf ne sont pas les côtes (FÜCK, 1955 [1950], p. 164), mais les « Dunes », région (nāḥiya)
qu’AL-MUQADDASĪ, Descriptio, p. 94, voit située dans ce qu’il appelle Naǧd al-Yaman, donc au
sud-est du Hedjaz. Fück relève comme fréquent l’emploi de waḥš chez al-Muqaddasī. Ce der-
nier l’a déjà employé pour qualifier (p. 34, l. 15) « la langue de Ṣaydā [Sidon] ». Sauf erreur, le
terme renvoie à ce qu’al-Muqaddasī appelle p. 1 ’aṣwāt.
229
Non plus d’ailleurs que FÜCK, 1955 [1950], p. 164.
230
Le texte du Iqtirāḥ est généralement meilleur que celui du Muzhir, sans doute parce que moins
souvent copié. En outre, al-Suyūṭī y indique sa source immédiate : le commentaire fait par Abū
Ḥayyān al-Ġarnaṭī (m. 745/1344) sur le Tashīl d’Ibn Mālik (m. 672/1274). Ce commentaire est
en cours d’édition, par Ḥasan Hindāwī, sous le titre al-Taḏyīl wa-l-Takmīl fī Kitāb al-Tashīl.
Quatre volumes en ont paru à Damas, à Dār al-Qalam (1997-2000). Claude Gilliot nous a
138 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

imposée (car, dans le Kitāb al-ḥurūf, d’où sort ce texte, tel qu’édité par Muhsin
Mahdī en 1969, on trouve en fait une autre version du même texte, ce qui n’est pas
sans poser quelques problèmes qu’on ne peut aborder ici)231. Mais dans les deux
versions du texte est développée une même thèse que l’on peut qualifier de « phi-
losophique » : pour une « nation » (’umma) donnée, la langue est d’autant plus pure
que ceux qui la parlent sont plus éloignés des autres nations (et quand une nation
connaît les deux éléments nomade et sédentaire, chez les nomades plus que chez les
sédentaires, du fait de leur plus grand isolement). Cette thèse sera reprise par des
grammairiens du IVe/Xe siècle comme AL-ZAǦǦĀǦĪ (m. 337/949 ou 339-340/949-
950), Īḍāḥ, p. 89, et, abondamment, par IBN ḪALDŪN, Muqaddima, notamment ch.
IV, section 22, p. 675-677 et ch. VI, section 46, p. 1071-1072. C’est bien cette thèse
qu’al-Muqaddasī adopte, éventuellement en l’adaptant, comme dans le cas de
Koufa (cf. supra).
Mais al-Muqaddasī fait aussi allusion à une autre position, à laquelle peut
introduire le chapitre du Ṣāḥibī d’Ibn Fāris (m. 395/1004), intitulé bāb al-qawl fī
al-luġa allatī nuzzila bihā al-Qur’ān (« De la langue, dans laquelle a été révélé le
Coran ») (IBN FĀRIS, Ṣāḥibī, p. 57-62), et symbolisée par la fameuse tradition, qui
a fait couler beaucoup d’encre : nuzzila al-Qur’ān ‘alā sab‘at ’aḥruf (variante :
luġāt) « le Coran a été révélé selon sept articulations (ou manières de parler) ».
Cette position, où ’aḥruf = luġāt, n’est pas gratuite. Elle a été élaborée pour rendre
compte de certaines « bizarreries », grammaticales ou lexicales, de la langue cora-
nique. Ainsi Cor. 20, 63 ’inna hāḏāni la-sāḥirāni (« ce sont deux magiciens »), où
apparaît dans le champ de ’inna un nominatif (au lieu du « classique » accusatif)
n’est-il plus expliqué comme une « faute » (ḫaṭa’), elle-même reflet d’un laḥn, due
à un copiste (kātib), explication appuyée sur une tradition attribuée à ‘Ā’iša : il est
expliqué comme une variante (luġa) de l’arabe, appartenant aux Banū al-Ḥāriṯ b.
Ka‘b (groupe Maḏḥiǧ du Yémen occidental). Nous résumons ici ce que dit AL-
FARRĀ’ (m. 207/822), Ma‘ānī, t. II, p. 183-184, à propos de ce verset. Pour concilier
la thèse théologique, qui identifie, sur une base scripturaire, la langue du Coran à la
luġat Qurayš et l’hypothèse philologique de l’occurrence dans le Coran de luġāt
autres que celle de Qurayš, les philologues donnent l’argument suivant, qui remonte
au moins à al-Farrā’232 : La Mecque étant un centre de pèlerinage intertribal, les
Qurayš ont pu ainsi connaître toutes les luġāt. Le même argument est utilisé par al-
Farrā’ lui-même et, à sa suite, IBN FĀRIS, Ṣāḥibī, p. 52-53, pour justifier que la luġat
Qurayš soit la luġa al-fuṣḥā : connaissant toutes les luġāt, les Qurayš ont pu choisir
le meilleur de chaque parler arabe. La double fonction du même argument est

informé, depuis le Caire, qu’un 5e en avait paru, toujours à Damas, en 2002, et un 6e à Riyadh
en 2005. Ces 6 volumes ne représentent environ qu’un quart du commentaire. [Depuis, huit
autres volumes ont paru à Riyadh entre 2008 et 2018, cf. ici même ch. III.]
231
Sur les deux versions de ce texte, cf. LANGHADE, 1994, p. 248-258. Pour une autre interpréta-
tion, cf. LARCHER 2006b, repris ici même chapitre III.
232
Dans un texte exhumé par Paul Kahle (1875-1964) (KAHLE, l959 [1947], p. 345-346). Sur ce
texte, cf. LARCHER, 2005b, repris ici même chapitre II.
CHAPITRE VII 139

parfaitement résumée dans un texte postérieur, mais reprenant évidemment des


sources antérieures (AL-NĪSĀBŪRĪ [m. 730/1329], Ġarā’ib al-Qur’ān, t. I, p. 21) :
C’est que les Qurayš sont les voisins [protégés] du sanctuaire. Les différentes
tribus arabes venaient chez eux pour le pèlerinage. Ils entendaient leurs manières de
parler et choisissaient ce qu’il y a de meilleur dans chacune. Ainsi leur parler est-il
devenu pur et s’est-il ajoutée, pour eux, avec cela, la connaissance de la manière de
parler des autres (wa-ḏālika ’anna Qurayš tuǧāwiru al-bayt wa-kānat ’aḥyā’ al-‘Arab
ta’tī ’ilayhim li-l-ḥaǧǧ wa-yastami‘ūna luġātihim wa-yaḫtārūna min kulli luġa ’aḥsa-
nahā fa-ṣafā kalāmuhum wa-ǧtama‘a lahum ma‘a ḏālika al-‘ilm bi-luġat ġayrihim).

C’est bien à cette thèse que fait allusion al-Muqaddasī en considérant le riks
du ḥadīṯ comme un « yéménisme ».

4. Conclusion

Un linguiste arabisant d’aujourd’hui ne saurait donc partager l’enthou-


siasme qu’al-Muqaddasī a parfois suscité en matière linguistique. Mais si : 1) l’on
fait la part de ce qui revient à la théologie, à laquelle nul ne peut échapper dans un
univers dogmatique ; 2) si l’on pointe la cohérence d’al-Muqaddasī, qui se souvient
p. 183 ou p. 203 de ce qu’il a écrit p. 32 (exemples de rakīk/rakāka, takallafa) et
que l’on tire les conséquences, implicites, mais logiques, de ce qu’il dit explicite-
ment, on arrive à la conclusion, plus sociolinguistique qu’historique, que l’arabe est
à la fois langue véhiculaire et langue vernaculaire et, surtout, que, comme langue
véhiculaire, il est d’autant mieux maîtrisé qu’il n’est pas en même temps langue
vernaculaire de ceux qui l’emploient.
Tel est le sens des notations faites à propos du « Machrek » d’une part, du
grand cadi de Bagdad d’autre part, même s’il faut sans doute faire la part de la
flatterie233 ici, de la polémique là. Si l’on observe que la seule mention explicite de
laḥn, terme qui présuppose ’i‘rāb, est faite à propos de ce haut dignitaire religieux
dans son maǧlis, et qu’elle prend place après et dans le prolongement même de la
mention des fonctionnaires (litt. « scribes »), on posera que le couple laḥn/’i‘rāb
concerne le seul arabe véhiculaire, et, plus précisément, un usage oralisé de la
langue écrite234. En outre l’observation que l’assistance n’y trouve rien à redire

233
Cf. MIQUEL, 1963, p. 72, n. 4.
234
Un grammairien comme AL-ZAǦǦĀǦĪ, Īḍāḥ, p. 95, reconnaît explicitement que « la plupart des
gens parlent spontanément sans ’i‘rāb, qu’ils ne connaissent pas, comprenant ainsi les autres et
se faisant comprendre d’eux » (’akṯar al-nās yatakallamūna ‘alā saǧiyyatihim bi-ġayr ’i‘rāb
wa-lā ma‘rifa minhum bihi fa-yafhamūna wa-yufhimūna ġayrahum miṯl dālika). Dans la mesure
où « la plupart des gens » devient à la page suivante la ‘āmma, l’arabe avec ’i‘rāb est l’apanage
de la ḫāṣṣa, même si le caractère « spontané » de l’arabe sans ’i‘rāb restreint l’arabe avec ’i‘rāb
à un usage « surveillé » (ce que nous avons appelé ci-dessus, par imitation de l’anglais formal,
formel). Cette conception subsiste dans la terminologie arabe de la diglossie : al-luġa al-
‘āmmiyya (vs al-luġa al-fuṣḥā). On voit combien l’expression d’al-Muqaddasī, lisān al-qawm,
dépasse cette fiction.
140 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

montre qu’il ne s’agit pas d’un cas d’espèce, concernant un individu en particulier,
mais en fait toute une caste (même si al-Muqaddasī lui-même se voit épargné !).
En ce sens, nous sommes très loin, au IVe/Xe siècle, du fasād al-luġa des Ier-
II /VII -VIIIe siècles, caractérisé par ces mêmes laḥn, mais donné comme une consé-
e e

quence de la sédentarisation et du mélange de populations consécutives à la con-


quête islamique et concernant (réalité ou fiction, ce n’est pas le lieu d’en débattre)
la langue parlée235. Par suite, le fasād al-luġa des Ier-IIe/VIIe-VIIIe siècles a été régu-
lièrement interprété (à tort ou à raison) depuis le XIXe siècle par la linguistique his-
torique, essentiellement allemande, comme du « moyen arabe », c’est-à-dire une
évolution en cours d’un type ancien arabe (caractérisé par la flexion désinentielle
et donc plus synthétique et à ordre des mots plus libre) vers un type néo-arabe (ca-
ractérisé par la disparition de cette flexion et donc plus analytique et à ordre des
mots moins libre). Celui du IVe/Xe siècle ne peut plus l’être que comme de l’« arabe
moyen », c’est-à-dire le reflet de la tension dialectique existant entre deux variétés
d’arabe. Si notre interprétation est correcte, cela veut dire qu’al-Muqaddasī consti-
tue un maillon important dans la reconnaissance, suggérée par l’emploi de l’expres-
sion lisān al-qawm, d’une situation linguistique qui sera pleinement reconnue par
IBN ḪALDŪN, Muqaddima, ch. VI, sections 47 et 48, p. 1073-1080 : celui-ci pose
trois luġāt (luġat Muḍar « langue de Muḍar » i.e. notre arabe « classique », luġat
al-‘Arab li-hāḏā al-‘ahd « langue des Bédouins de ce temps » et luġat ’ahl al-ḥaḍar
« langue des sédentaires », i.e. nos dialectes nomades et sédentaires) explicitement
présentées comme des variétés séparées les unes des autres.

235
Cf. notamment AL-ZAǦǦĀǦĪ, Īḍāḥ, p. 89.
Chapitre VIII

AL-‘ABDARĪ

LE PARLER DES ARABES DE CYRÉNAÏQUE

VU PAR UN VOYAGEUR MAGHRÉBIN DU VIIe/XIIIe SIÈCLE*

1. Introduction

[Le texte, que nous citons et traduisons en annexe et commentons dans le


présent chapitre, est, là encore, connu depuis très longtemps des arabisants. Benja-
min Vincent236 en a fourni une citation et une traduction partielles (jusqu’à ‘alā
saǧiyyatihim) dans le Journal Asiatique, quatrième série, tome V, avril-mai 1845,
dans la rubrique « Observations », sous le titre « Au sujet d’une note jointe, par M.
Reinhart Dozy, à sa traduction de l’Histoire des Benou-Ziyan de Tlemcen »
(VINCENT, 1845, p. 404-408). Dans un article intitulé « Histoire des Benou-Ziyan
de Tlemcen, traduite sur un manuscrit arabe et accompagnée de notes », paru en
deux parties dans le Journal Asiatique, quatrième série, tome III, en mai 1844,
p. 378-404, et juin 1844, p. 405-416, Reinhart Dozy (1820-1883) citait « un voya-
geur africain, Abou Mohammed al-‘Abdowî, qui visitait cette ville [i.e. celle de
Tlemcen] en 688 », renvoyant en note à son Voyage, manuscrit de Leyde n° 11 (b)
(DOZY, 1844, p. 394). C’est cette note qui fait réagir VINCENT, 1845, p. 405, où il
déclare qu’il a reconnu dans la citation de Dozy un extrait d’un ouvrage désigné par
le manuscrit Escorial n° 1733 comme la Riḥla Maġribiyya d’El-Abderi et non El-
Abdowi. Mais Vincent fait d’une pierre deux coups. Il ne rectifie pas seulement une
erreur factuelle de Dozy. Pour illustrer le fait qu’al-‘Abdarī « y a consigné des ob-
servations et des détails curieux et qui ne sont pas sans intérêt pour la science », il
indique (VINCENT, 1845, p. 405-406) :

*
Paru sous le titre « Le parler des Arabes de Cyrénaïque vu par un voyageur marocain du XIIIe
siècle », Arabica, 48/3, 2001, p. 368-382, Leiden, ©Brill. Cet article était lui-même tiré d’une
conférence faite à la section Arabistik de l’Université de Bayreuth (Allemagne), le 31 octobre
2000. Entre crochets ([…]) figurent un certain nombre d’additions.
236
La base Opale de la BNF ne connaît ni le prénom ni les dates de cet auteur. Nous avons trouvé
son prénom dans PREIßLER, 2008, qui le présente comme un « ami d’étude » à Paris de Fleischer,
i.e. Heinrich Leberecht Fleischer (1801-1888). Ce dernier a séjourné à Paris entre 1824 et 1828,
où il a été l’élève d’Antoine-Isaac Silvestre de Sacy (1758-1838).
142 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

Je crois utile d’en reproduire, dès à présent un passage, parce qu’il me semble
fournir, par des faits irrécusables, la démonstration d’une proposition à laquelle s’est
livré M. J. Derenbourg dans le numéro du Journal Asiatique du mois d’août dernier ;
savoir que les cas en arabe n’étaient point une invention des grammairiens et qu’ils
avaient été en usage dans la langue parlée.

En août 1844, Joseph Derenbourg (1811-1895) publiait en effet dans le


Journal Asiatique, quatrième série, tome IV, un article intitulé « Quelques re-
marques. Sur la déclinaison arabe » (DERENBOURG, 1844, p. 209-220). Derenbourg
n’y traitait d’ailleurs pas seulement de la déclinaison (i.e. de la flexion désinentielle
du nom), mais bien plus généralement du ’i‘rāb, qui touche également le verbe
inaccompli.
Toutes les citations ultérieures du texte d’al-‘Abdarī que nous connaissons
s’inscrivent dans ce cadre : le texte d’al-‘Abdarī y est donné comme un argument
supplémentaire en faveur de la flexion désinentielle comme trait de la langue parlée.
C’est le cas, en particulier, du comte Carlo de Landberg (1848-1924) dans sa com-
munication au XIVe congrès international des orientalistes à Alger, intitulée « La
langue arabe et ses dialectes » et publiée à part chez Brill en 1905. À l’appui de son
affirmation (LANDBERG, 1905, p. 14) que « le tanwîn et les désinences vocaliques
des noms et même des verbes s’y trouvent (dans les dialectes du Soudan) à l’état
confus comme dans tous les autres dialectes bédouins », il déclare : « le voyageur
el-‘Abdarî constate ces désinences chez les Bédouins du pays de Barqah en
688 H », renvoyant au Journal asiatique, « et je ne vois pas pourquoi elles ne se
seraient pas conservées jusqu’à notre époque ». On notera que Landberg assimile
au tanwīn de l’arabe classique celui des dialectes bédouins qui a pourtant une tout
autre fonction (il marque en effet la relation étiquetée en grammaire arabe comme
mawṣūf/ṣifa). On notera également qu’al-‘Abdarī ne souffle mot d’un éventuel tan-
wīn (cf., cependant, ci-dessous n. 242).
En 1994, la traduction en anglais sous le titre de On the History of Grammar
among the Arabs d’un écrit de jeunesse en magyar d’Ignaz Goldziher (1850-1921)
montrait que ce dernier (GOLDZIHER, 1994 [1878], p. 20-21) utilisait de la même
manière le texte d’al-‘Abdarī, publié par Vincent. Enfin, en 1995, le savant belge
Jacques Thiry dans Le Sahara libyen dans l’Afrique du Nord médiévale, cite égale-
ment le texte d’al-‘Abdarī, d’après Das Nordafrikanische Itinerar des ‘Abdarî vom
Jahre 688/1289 de Wilhelm Hoenerbach (HOENERBACH, 1940)237, dans le même
sens (THIRY, 1995, p. 304-305). Bien entendu, c’est aussi dans ce sens qu’est utilisé

237
Ce dernier réimprimé avec des traductions partielles en français d’Auguste Cherbonneau (1813-
1882) (CHERBONNEAU, 1854 et 1880) et un résumé d’Adolphe de Calassanti Motylinski (1854-
1907) (MOTYLINSKI, 1900) dans SEZGIN et al., 1994. MOTYLINSKI, 1900, p. 75, résume le texte
ainsi : « Les Arabes de Bark’a parlent très purement l’arabe et emploient des formes gramma-
ticales et des expressions de la vieille langue aujourd’hui perdues dans le Mar’reb ». La traduc-
tion partielle de Hoenerbach complète celle de Cherbonneau. Notre texte en traduction alle-
mande se trouve dans HOENERBACH, 1940, p. 150-152, sous le titre « Die Sprache der Araber
von Barqa ».
CHAPITRE VIII 143

ce texte dans le monde arabe. Ainsi, dans un ouvrage238 intitulé Ta’rīḫ al-luġa al-
‘arabiyya fī Miṣr wa-l-Maġrib al-’adnā (Le Caire, ‘Ᾱlam al-kutub, 1992), l’auteur,
Aḥmad Muḫtār ‘Umar, cite pratiquement in extenso le texte d’al-‘Abdarī, présenté
comme « l’un de ceux qui se sont émerveillés de l[a] faṣāḥa [des Arabes de Cyré-
naïque] dans le passé et l’ont vue comme un phénomène digne d’être enregistré »
(mimman ’u‘ǧiba bi-faṣāḥatihim fī al-qadīm wa-ra’āhā ẓāhira tastaḥiqqu al-tasǧīl)
(‘UMAR, 1992, p. 299-300).
Pour notre part, nous connaissions ce texte, depuis un séjour effectué en
Libye dans les années 1970, à travers l’anthologie de textes géographiques procurée
par Iḥsān ‘Abbās (1920-2003) et Muḥammad Yūsuf Naǧm (‘ABBĀS et NAǦM,
Lībiyā)239. Compte tenu de l’importance historique de ce texte (que nous avons dé-
couverte ultérieurement), le temps est venu pour nous d’en proposer une relecture.]
L’auteur, c’est Muḥammad b. Muḥammad b. ‘Alī b. Aḥmad b. Sa‘ūd al-
‘Abdarī. L’ouvrage, c’est la relation d’un voyage, celui du pèlerinage, qu’il com-
mença le 25 ḏū al-qa‘da 688/11 décembre 1289. Cette relation, connue sous le nom
2
de al-Riḥla al-Maġribiyya (cf. EI , q.v.), a été éditée par Aḥmad b. Ǧaddū à Alger.
Les passages concernant le territoire de l’actuelle Libye (AL-‘ABDARĪ, Riḥla p. 69-
82, puis 89-91) ont été reproduits, d’après cette édition, par ‘ABBĀS et NAǦM,
Lībiyā, p. 98-115. Dans la suite du présent article, nous donnerons les deux pagina-
tions.
Au cours de ce voyage, al-‘Abdarī traversa, à l’aller, la Cyrénaïque (Barqa),
par une route qu’il ne précise pas, et la retraversa, au retour, par une route qu’il
qualifie d’« intermédiaire » (al-ṭarīq al-wusṭā) entre « la route de la forêt » (ṭarīq
al-ġāba) et « la route du Sud » (ṭarīq al-qibla). La « route intermédiaire », d’est en
ouest, passe par al-Ḥaṣwī (?), la source d’Abū Šimāl, Ǧarsūn (?), Marāwa, laisse
sur sa droite la route d’al-Marǧ, de Qubbat Hayb (?) et de Ṭulmayṯa, avant d’arriver
sur le « territoire de Barnīq », à Qamīnis (AL-‘ABDARĪ, Riḥla, p. 89-90 = ‘ABBĀS et
NAǦM, Lībiyā, p. 113-114, cf. Annexe II, carte). Beaucoup de ces noms de lieux
sont toujours utilisés. D’autres, comme Abū Šimāl, sont repérables sur des cartes
plus anciennes : BERTARELLI, 1929, p. 465, donne un Aïn Bu Scimàl à cinq kilo-
mètres au Sud de l’actuelle al-Gubba.
Al-‘Abdarī nous indique lui-même que la « terre de Barnīq » – nom arabisé
de Bérénikè, lui-même nom donné par les Ptolémées à la cité nouvelle construite à
proximité immédiate de l’antique Euhespérides, l’actuelle Benghazi – constitue la
limite occidentale de la terre de Barqa pour ses habitants. La limite orientale est al-
Ḥaṣwī, que je ne puis localiser précisément, mais qu’al-‘Abdarī présente comme
étant en même temps la limite occidentale d’al-Baṭnān, c’est-à-dire de la Marma-
rique. Les autres limites qu’ils donne à la terre de Barqa, celles de la « forêt », bor-
dée par le littoral et la qibla, indiquent qu’il s’agit du Ǧabal-al-Aḫḍar (« Montagne

238
Que m’a signalé Nadia Anghelescu, qui en a fait un compte rendu dans la Revue Roumaine de
Linguistique (ANGHELESCU, 1993).
239
‘Abbās et Naǧm ont également proposé une anthologie de textes historiques sur la Libye (1967)
et ‘Abbās écrit une Histoire de la Libye (1967).
144 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

verte ») (AL-‘ABDARĪ, Riḥla, p. 80 = ‘ABBĀS et NAǦM, Lībiyā, p. 110-111, cf. An-


nexe II, carte, zone en relief).
C’est après la présentation générale de la terre de Barqa que la Riḥla contient
une assez longue digression sur le parler des Arabes de Cyrénaïque de l’époque
(AL-‘ABDARĪ, Riḥla, p. 81-82 = ‘ABBĀS et NAǦM, Lībiyā, p. 111-112). Le fait que,
dans ce texte, al-‘Abdarī pose, à al-Ḥaṣwī, une question sur Abū Šimāl donne à
penser, compte tenu de ce qui est dit ci-dessus, que ses observations ont été faites,
non à l’aller, mais au retour.
Le texte d’al-‘Abdarī est très bien construit, allant du général au particulier.
Nous avons suivi ce mouvement dans notre commentaire. Il est également très vi-
vant, fourmillant d’anecdotes, qui constituent un tableau remarquable d’une cara-
vane de pèlerins sédentaires traversant un pays nomade : traversée propice à des
échanges commerciaux, et, par là-même, verbaux.

2. Description et commentaire

2.1. Traits généraux

Al-‘Abdarī décrit une population exclusivement nomade. C’est le sens de


‘Arab, comme le montre le fait qu’au singulier il emploie, outre ‘arabī, badawī (=
bédouin) et ’a‘rābī, formé sur A‘rāb, pluriel de ‘Arab, et que, pour cette raison,
nous rendons par « authentique Arabe ».
D’emblée, il pose les Arabes contemporains de Cyrénaïque comme étant
parmi « les plus châtiés des Arabes » (min ’afṣaḥ al-‘Arab), plus châtiés encore que
ceux du Hedjaz, du fait de leur isolement, qui explique que leur parler n’est « mêlé »
(iḫtilāṭ) d’aucun autre et, par suite, peu « corrompu » (fasād).
Al-‘Abdarī projette en fait sur la situation linguistique de la Cyrénaïque de
son temps le schéma d’explication traditionnellement240 avancé pour ... le Hedjaz,
tel qu’il apparaît, par exemple, chez IBN ḪALDŪN, Muqaddima, ch. VI, section 46,
p. 1072 : « Et c’est pourquoi le parler de Qurayš était le plus pur et le plus clair des
parlers arabes, du fait de leur éloignement, de toutes parts, du territoire des non-
Arabes... » (li-hāḏā kānat luġat Qurayš ’afṣaḥ al-luġāt al-‘arabiyya wa-’aṣraḥahā
li-bu‘dihim ‘an bilād al-‘Aǧam min ǧamī‘ ǧihātihim).
Tout le reste du texte est consacré à détailler cette faṣāḥa.

2.2. Traits particuliers

2.2.1. Traits morphosyntaxiques

Le grand trait « syntaxique » proposé par al-‘Abdarī, c’est le maintien de la


flexion désinentielle (’i‘rāb) : « ils ne manquent à la flexion que dans une propor-
tion infime par rapport à ce qu’ils fléchissent » (lā yuḫallūna min al-’i‘rāb ’illā mā
lā qadr lahu bi-l-’iḍāfa ’ilā mā yu‘ribūna). Dans la tradition grammaticale arabe,

240
Ou, plus exactement, devenu traditionnel à l’époque d’al-‘Abdarī. Il n’en va pas de même aux
premiers siècles de l’Hégire.
CHAPITRE VIII 145

le ’i‘rāb relève de la « syntaxe » (naḥw vs ṣarf). Dans notre propre tradition, elle
relève tout autant de la morphologie, dans la mesure où elle a des marques (‘alāmāt
al-’i‘rāb). Ces marques ne sont pas seulement les voyelles des cas du nom ou des
modes du verbe. Ce peut être encore des voyelles longues ou des consonnes ou
encore une absence de marque (pour le détail, cf. AL-ĠALĀYĪNĪ, Ǧāmi‘, t. I, p. 20sq).
Cela nous a conduit à poser des traits morphosyntaxiques, plutôt que syntaxiques
ou morphologiques, mais en distinguant entre la flexion nominale et la flexion ver-
bale.

2.2.1.1. Flexion nominale

Le seul exemple de flexion nominale qu’al-‘Abdarī donne concerne toute-


fois un cas marqué par une voyelle longue. Alors que lui-même demande si la ca-
ravane passera par Abū Šimāl (en employant le nominatif -ū, pour le génitif [ḫafḍ]
-ī Abī Šimāl), il s’entend répondre par le Bédouin qu’il interroge « oui, vous foule-
rez [le sol de] Abā Šimāl », avec accusatif (naṣb) -ā, voulu par la fonction de com-
plément d’objet (maf‘ūl [bihi]) du verbe waṭa’a-yaṭa’. L’intérêt de la notation est
essentiellement contrastif. Al-‘Abdarī reconnaît en effet explicitement, que dans
son propre usage linguistique, celui des « gens d’Occident » (‘ādat ’ahl al-ġarb),
on emploie partout la forme Abū, autrement dit que la flexion a entièrement disparu.
Peut-on en conclure pour autant que la flexion s’est maintenue chez les Bédouins
de Cyrénaïque ? On notera qu’al-‘Abdarī fait produire à son Bédouin, non un géni-
tif, mais un accusatif, le seul « cas » dont on trouve par ailleurs des traces dans les
dialectes241. Enfin, même si dans l’idéologie des lettrés arabes les Bédouins, bien
qu’illettrés, ont la maîtrise « naturelle » de la ‘arabiyya, on ne peut toutefois entiè-
rement exclure une « correction » facétieuse. En tout cas, il serait imprudent de
conclure, de cette seule anecdote, à un maintien, même résiduel, de la flexion dans
le parler des Arabes de Cyrénaïque au XIIIe siècle...
À titre de comparaison, on citera une nouvelle fois Ibn Ḫaldūn qui, dans la
Muqaddima, consacre une section à « Du fait que la langue des Arabes (= Bédouins)
de ce temps est une langue indépendante, différente de la langue de Muḍar et de
celle de Ḥimyar » (fī ’anna luġat al-‘Arab li-hāḏā al-‘ahd luġa mustaqilla li-luġat
Muḍar wa-luġat Ḥimyar) (IBN ḪALDŪN, Muqaddima, ch. VI, section 47, p. 1073-
1078) et dont la première phrase est : « En effet, nous constatons que, pour com-
muniquer la pensée et exprimer ses idées, elle est respectueuse des usages de la
langue de Muḍar, dont elle n’a perdu que la désignation par les voyelles brèves
finales du sujet et de l’objet, qu’elle a compensée par l’antépostion [de l’un] et la
postposition de [l’autre]... » (ḏālika ’annā naǧiduhā fī bayān al-maqāṣid wa-l-
wafā’ bi-l-dalāla ‘alā sunan al-lisān al-muḍarī wa-lam yufqad minhā ’illā dalālat

241
Je mets « cas » entre guillemets, car il va de soi que s’il n’y a plus qu’un cas, il n’y a pas de cas.
Dans la synchronie des dialectes modernes on a, par exemple, N + an/ā vs N + ø, qui fait la
différence entre un emploi adverbial ou formulaire d’un N et un emploi ordinaire de ce N. Mais
il ne s’agit plus alors d’un cas, mais d’un suffixe. [Abā pourrait également être interprété comme
le reflet de « the well-known preference of Bedouin Arabic for defunctionalized Old accusa-
tives, like /bā/ for ab(ū) » (CORRIENTE, 1975, p. 52). À l’heure actuelle, on a bū].
146 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

al-ḥarakāt ‘alā ta‘ayyun al-fā‘il min al-maf‘ūl fa-‘tāḍū minhā bi-l-taqdīm wa-l-
ta’ḫīr) (IBN ḪALDŪN, Muqaddima, ch. VI, section 47, p. 1073) ... Par « langue de
Muḍar » (du nom d’un des ancêtres des Arabes du Nord), Ibn Ḫaldūn entend (p.
1079) la « langue première » (al-lisān al-’awwal) ou « originelle » (al-lisān al-
’aṣlī), dans laquelle est « révélé » le Coran et « transmis » le ḥadīṯ (p. 1075).

2.2.1.2. Flexion verbale

Al-‘Abdarī est beaucoup plus prolixe s’agissant de la flexion verbale. Le


grand trait qu’il note est le maintien (’aṯbata) du nūn à la 2e personne du féminin
singulier et au masculin pluriel de l’inaccompli indicatif242. Dans les termes de la
grammaire arabe traditionnelle, ce nūn est considéré comme ‘alāmat al-raf‘, car il
fait la différence entre la forme libre qu’est l’indicatif (al-muḍāri‘ al-marfū‘) et les
formes liées que sont l’inaccompli subjonctif (al-muḍāri‘ al-manṣūb) et apocopé
(al-muḍāri‘ al-maǧzūm) : taktubīna/taktubūna « tu écris/vous écrivez » vs lan/lam
taktubī/taktubū « tu n’écriras pas/vous n’écrirez pas//tu n’as pas écrit/vous n’avez
pas écrit » (cf. AL-ĠALĀYĪNĪ, Ǧāmi‘, t. I, p. 21).
Que penser de ce trait ? Un dialectologue moderne noterait évidemment le
maintien de l’autre nūn, dit nūn al-’ināṯ (cf. IBN HIŠĀM AL-ANṢĀRĪ, Muġnī al-labīb
t. I, p. 379), marque purement morphologique, comme son nom l’indique, du fémi-
nin pluriel (taktubna /yaktubna/uktubna) et qui subsiste en cyrénaïque/libyen orien-
tal (cf. OWENS, 1984, p. 105 : ’tikitban/’yikitban/’iktiban). Il constaterait en re-
vanche la disparition du nūn, marque de l’indicatif (cf. OWENS, 1984, p. 105 : ’ti-
kitbi, ’tikitbu, ’yikitbu, ’iktibi, ’ikitbu).
Faut-il considérer la notation d’al-‘Abdarī comme un pur phantasme ? Peut-
être pas, car il prend soin de noter qu’« en Occident, il n’y a aucun nomade ni sé-
dentaire qui ferait cela » (wa-laysa fī al-ġarb ‘arabī wa-lā ḥaḍarī yaf‘alu ḏālika).
Autrement dit, il reconnaît explicitement que dans les dialectes du Maghreb occi-
dental, tant sédentaires que nomades, les formes de l’indicatif sont l’équivalent de
taktubī/taktubū/yaktubū. C’est la caractérisation contrastive qui oblige à ne pas en-
tièrement dédaigner sa notation. D’autant, chose parfois ignorée des arabisants eux-

242
[Dans le résumé qu’il fait de l’itinéraire Kairouan-Alexandrie, CHERBONNEAU, 1854, p. 171,
repris dans CHERBONNEAU 1880, p. 59, écrit : « Remarque. S’il faut en croire El-Abdery, les
gens du pays de Barka parlent l’arabe aussi purement que les habitants du Hedjaz. Un enfant de
la campagne, s’étant approché du bivac de la caravane, s’écria : yā ḥuǧǧāǧun ’a-ma‘akum
šay’un tabī‘ūnah « Pèlerins, avez-vous quelque chose à vendre » ? Il fit sentir la fatḥa sur le
noun et un soukoun sur le ha ». Or, HOENERBACH, 1940, p. 150, traduit le passage ainsi : « (Ein
andermal) kamen wir an spielenden Kindern vorbei, da sagte eines zu uns : « Yā ḥuǧǧāǧ, ’a-
ma‘akum šai’un tabī‘ūnah ? » (Ihr Pilger, habt ihr etwas zu verkaufen ?), indem es das Tanwīn
(des Wortes šai’un) sowie das Nūn (des Verbes) ausprach und das Hā’ wegen der Pause vokallos
liess ». Autrement dit, il interprète le « maintien du nūn » comme étant à la fois le maintien de
celui du nom (tanwīn) et de celui de l’indicatif de l’inaccompli. Bien qu’une telle interprétation
paraisse difficile dans le contexte, du fait du parallélisme avec les exemples précédent et suivant,
un éventuel tanwīn serait ici, non celui de l’arabe classique, mais le suffixe relateur, marque,
dans un certain nombre de dialectes, de la relation mawṣūf (šay’)/ṣifa (tabī‘ūnah, catégorisé
comme ǧumla ṣifa ou « phrase qualificative »).]
CHAPITRE VIII 147

mêmes, qu’il existe aujourd’hui encore des dialectes arabes dont l’inaccompli a
conservé ce nūn : c’est le cas, par exemple, de certains dialectes de Mésopotamie
(cf. FISCHER et JASTROW, 1980, p. 153 ; VERSTEEGH, 1997b, p. 157 et 2014, p. 203,
qui donne le paradigme du dialecte musulman de Bagdad : tikitbīn/yikitbūn /tikit-
būn)243. On ne s’étonnera pas qu’al-‘Abdarī fasse état, pour l’« Occident », d’une
différenciation entre parlers sédentaires et nomades, qui sera si fortement soulignée
un siècle plus tard par IBN ḪALDŪN, Muqaddima, ch. VI, sections 47 et 48, p. 1073-
1080 : bien qu’AL-‘ABDARĪ, Riḥla, p. 5, nous dise lui-même être parti du pays des
Ḥāḥa (entre les actuelles Essaouira et Agadir), on n’oubliera pas que les Banū Hilāl
ont pénétré dans les plaines atlantiques depuis la seconde moitié du XIIe siècle
(IDRIS, 1962, p. 365-374, cf. églt. ABUN-NASR, 1987, p. 93).
[Alors que, par trois fois, al-‘Abdarī note le maintien du nūn de l’indicatif
et, par deux fois, la suppression de la voyelle brève du pronom affixe de 3e personne
du masculin singulier, on aura peut-être remarqué que, dans le troisième exemple
(mā taḏūqīnah « tu ne la goûteras pas ! »), il ne relevait pas l’emploi de la négation
mā. L’emploi de mā avec l’inaccompli indicatif existe en arabe classique, mais est
décrit par les grammairiens arabes comme marquant exclusivement une négation
du présent (nafy al-ḥāl). Dans le contexte, mā taḏūqīnah a nettement une valeur de
futur, ce qui suffit à le désigner comme un emploi conforme à celui des dialectes.
On peut supposer que c’est parce que cet emploi ne contraste pas avec son propre
usage qu’al-‘Abdarī ne le remarque pas…].

2.2.2. Traits phonologiques

Al-‘Abdarī signale deux traits. Le premier trait, c’est la suppression de la


voyelle brève (taskīn) à la pause (waqf). Bien qu’il s’agisse d’une règle de l’orthoé-
pie classique, on n’en noterait pas moins que la consonne concernée est dans les
deux cas la même, hā’, et qu’il s’agit en fait, dans les deux cas, du pronom affixe
de 3e personne masculin singulier. On peut alors se demander s’il s’agit vraiment
de phonologie ou s’il ne s’agit pas plutôt de morphologie, i.e. des variantes contex-
tuelles de ce pronom, qui, dans maint dialecte, se prononce -h après voyelle, mais
voyelle après consonne : par exemple à Damas ‘aṭā(h) maṣārī « il lui a donné de
l’argent », mais sa’alto « je l’ai interrogé » et, de même, en libyen oriental (OWENS,
1984, p. 93) yalga:h « he will find it » vs ’ḥawsha « his house ». Comme nous
sommes à la pause, on peut imaginer une variante où ce -h est bien marqué (et par
suite remarqué par al-‘Abdarī), alors qu’en liaison une simple voyelle longue suffit
à le marquer, variante possible aujourd’hui tant en arabe oriental (Damas, cf. supra)
qu’en libyen oriental (OWENS, 1984, p. 93 : yalga:).
Le second trait, à travers l’anecdote racontée par al-‘Abdarī, concerne sûre-
ment le traitement du groupe consonantique (consonant cluster) -CC en fin de mot.

243
Ceci explique cela : le caractère globalement périphérique des dialectes où se rencontre ce trait
(en dehors de l’Irak, le Yémen, l’Arabie, le Sud de la Turquie, l’Afghanistan et l’Ouzbékistan...)
fait qu’il passe inaperçu des arabisants classicisants et/ou ayant une expérience des dialectes du
noyau dur (Afrique du Nord, Syrie/Égypte).
148 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

Quelqu’un racontant qu’un pèlerin a bu de l’eau du puits Zemzem, à La Mecque, et


dit « cette eau sent la corde » (fī hāḏā al-mā’ rā’iḥat al-ḥabal), en mettant une
voyelle (taḥrīk) au bā’, « selon la manière de parler des gens d’Occident » (‘alā
luġat ’ahl al-ġarb), un Bédouin lui demande d’où l’eau sentait al-ḥabal. Et la per-
sonne lui ayant répondu « de la corde » (al-rišā’), il corrige al-ḥabal en al-ḥabl.
En arabe classique al-ḥabl désigne la corde, tandis que al-ḥabal, maṣdar du
verbe ḥabila « être plein, rempli, gros de quelque chose » désigne, de manière abs-
traite, soit un sentiment dont on est plein (tristesse ou colère), soit, concrètement,
un fœtus.
Au-delà de l’anecdote, un traitement phonologique différent a conduit à un
quiproquo, [le Bédouin ayant compris (ou feint de comprendre) : « la corde sentait
le fœtus »]. Si l’on rapporte à la phonologie actuelle des dialectes maghrébins, on
aurait, en libyen oriental, l’épenthèse d’une voyelle i, soit ḥabl > ḥabil (cf. OWENS,
1984, p. 13) ; en marocain, on aurait non seulement épenthèse d’une voyelle, mais
encore syncope de la première voyelle. Par ailleurs le timbre de la voyelle ne serait
pas a, mais ǝ, soit ḥabl > ḥbǝl (cf. VERSTEEGH, 1997b, p. 166 et 2014, p. 213 ;
PRÉMARE et alii, 1993-1999, art. ḤBL).
Accessoirement, al-‘Abdarī note encore un ou deux autres traits, dans un
autre passage de la Riḥla, à propos du lieu-dit al-Qamānis : « il s’agit de trois châ-
teaux voisins les uns des autres, dont l’un est Qamīnis : ainsi le prononcent-ils, se-
lon leur manière de parler connue pour le qāf et il s’agit de noms non arabes » (wa-
hiya ṯalāṯat quṣūr mutaqāriba wāḥiduhā Qamīnis hākaḏā yanṭiqūna bihi ‘alā
luġatihim al-ma‘rūfa bi-l-qāf wa-hiya ’asmā’ ’a‘ǧamiyya) (AL-‘ABDARĪ, Riḥla,
p. 90 = ‘ABBĀS et NAǦM, Lībiyā, p. 114)244.
L’interprétation de ce passage est loin d’être assurée. Actuellement, ce lieu,
situé à 50km au Sud de Benghazi, est orthographié sur les cartes libyennes QMYNS
(Qamīnis sur la carte américaine) et serait transcrit, phonologiquement, comme
Gimīnis, avec harmonisation vocalique (cf. OWENS, 1984, p. 36sq) : l’orthographe
italienne, reprise par la carte Michelin [n° 153 (Afrique Nord et Ouest, 7e édition,
1971)], Ghemínes, suggère néanmoins l’existence, sur le plan phonétique, d’une
corrélation entre timbre et quantité de la voyelle (il n’y a pas de phonème /e/ en
cyrénaïque, selon OWENS, 1984). Il s’agit de l’antique Kamínos. Par sa périphrase,
al-‘Abdarī vise très certainement la réalisation [g] du /q/, caractéristique des parlers
nomades.
La difficulté tient en fait à la cooccurrence d’al-Qamānis/Qamīnis. La pré-
sence de l’article devant Qamānis suggère qu’al-‘Abdarī y voit une forme de pluriel,

244
L’interprétation de ce passage par HOENERBACH, 1940, p. 160, est surprenante, qui comprend
al-qāf comme un nom de lieu : « von diesen [Burgen] heisst die erste al-Qamānīs und besteht
aus drei zusammengehörenden Burgen, vowon eine Qamnīs heisst ; so sprechen sie es aus in
ihrer unter dem Namen « al-Qāf » bekannten Sprache und das sind seltsame Namen ! », ajoutant
en note (n. 3) : « al-Kāf oder Aqāf ist eigentlich ein topographischer Name, und zwar der von
arabischen Geographen dem Ptolemäus entlehnte afrikanische Gebirgsname Kafas ».
CHAPITRE VIII 149

justifiée par la pluralité des qaṣr-s245. Qamīnis est le nom de l’un de ces qaṣr-s,
voire, si on lit wāḥiduhā en seconde et non en première imposition, le singulier d’al-
Qamānis. La remarque finale d’al-‘Abdarī (« ainsi prononcent-ils etc. ») suggère
cependant qu’il a réinterprété la forme effectivement prononcée comme étant celle
d’un pluriel : en ce cas, al-‘Abdarī aurait involontairement enregistré un phénomène
de ’imāla (la présence du yā’ est tout à fait compatible avec la ’imāla « à la li-
byenne » : gimíǝnis < qamānis, cf. OWENS, 1993).

2.2.3. Traits lexicaux

Les traits lexicaux sont de deux sortes :


(1) l’emploi propre des formes verbales
(2) l’emploi de mots « rares » (nādir) et « étranges » (ġarīb).
(1) est illustré par l’anecdote d’un loueur de montures, cherchant des clients
dans la caravane (je pense qu’il ne faut pas lire, comme le font ‘Abbās et Naǧm,
riḥāla, qui désigne une « selle de chameau », mais, compte tenu de la paraphrase
par zāmila, rāḥila, qui désigne une monture pour voyager : cette lecture est d’ail-
leurs confirmée par l’hésitation de l’édition Ǧaddū de la Riḥla, qui aboutit à
*rāḥāla, croisement de riḥāla et de rāḥila).
Le loueur dit, selon al-‘Abdarī, man yukrī zāmila (« Qui veut louer une mon-
ture ? »). Un Bédouin, l’ayant entendu, lui demande « est-ce toi qui as la mon-
ture ? ». Le loueur lui ayant répondu oui, le Bédouin ajoute : « alors dis man yas-
takrī et non man yukrī ».
En français, « louer » est ambigu, s’interprétant aussi bien comme donner
en location ou à bail (all. vermieten) que prendre en location ou à bail (all. mieten).
En arabe classique, on distingue par la forme du verbe. IV ’akrā signifie en principe
« donner à bail » et X istakrā, comme moyen de IV, « prendre à bail ». Dans le texte
même apparaît aussi le participe actif du verbe VIII iktarā qui s’emploie, en arabe
classique, dans le même sens que X istakrā, ainsi que cela apparaît dans IBN
MANẒŪR (m. 711/1311), Lisān al-‘Arab, art. KRY, t. III, p. 251 : yuqālu iktaraytu
minhu dābba wa-istakraytuhā fa-’akrānīhā. Iktarā et istakrā signifient clairement
ici « prendre en location » une bête, par opposition à ’akrā, qui signifie la « donner
en location ». VIII iktarā est morphologiquement le moyen de I karā. Mais celui-ci
ne s’emploie pas en arabe classique. En revanche, il est couramment employé dans
les dialectes maghrébins, et notamment en marocain (cf. PRÉMARE et alii, 1993-
1999, art. KRY), tant dans le sens de « donner quelque chose en location à
quelqu’un » (X kra/ikri y l Z) que de « prendre quelque chose en location de
quelqu’un » (X kra/ikri y men Z). Il s’agit donc d’un marocanisme, le loueur ayant
dit quelque chose comme man (y)ikri.... Celui-ci ne constitue une « faute » que

245
BERTARELLI, 1929, p. 447, n’en compte que deux qu’il appelle respectivement il Castello ro-
mano et il Castello berbero. Peut-être al-‘Abdarī y a-t-il ajouté le Casr el-Chéil (castello ro-
mano) situé à quelques kilomètres au Nord.
150 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

parce qu’il ne peut être rapporté, phonologiquement, qu’au classique yukrī (vs yas-
takrī), *yakrī n’existant pas246. Au total, on a :

donner en location (vermieten) prendre en location (mieten)


kra
* I karā VIII iktarā
IV ’akrā X istakrā

(2) est illustré par quatre exemples :


1) le verbe ẓahara dans le sens de ḫaraǧa
2) le nom ṣafīf dans le sens de qadīd/muqaddad
3) le nom ġadaq dans le sens de ma‘īn
4) enfin tanaḥḥaw ‘an al-darb, sans qu’on sache de prime abord si
c’est le verbe tanaḥḥā ou le nom darb qui intéresse al-‘Abdarī.
1) est illustré par deux anecdotes et pour attester l’ancienneté du terme, al-
‘Abdarī cite un ḥadīṯ, cf. MĀLIK (m. 179/795), Muwaṭṭa’, p. 32.
Il fait de même pour 2), en renvoyant explicitement au Muwaṭṭa’ de Mālik
(al-‘Abdarī étant marocain, il est évidemment malékite), mais sans citer le ḥadīṯ. Il
s’agit sans doute du ḥadīṯ de Zubayr partiellement cité par IBN MANẒŪR, Lisān al-
‘Arab, art. ṢFF, t. II, p. 451: kāna yatazawwadu ṣafīfa l-waḥš wa-huwa muḥrim ’ay
qadīdahā (« il se munissait de [viande], découpée en tranches [et séchée], d’ani-
maux sauvages, quand il était en état de consécration, c’est-à-dire qadīd »)247.
3) est une expression coranique, pour laquelle al-‘Abdarī renvoie au Ġarīb
d’Abū ‘Ubayd : il s’agit certainement d’Abū ‘Ubayd al-Qāsim b. Sallām (m.
224/838), auquel est attribué, entre autres, un Ġarīb al-Qur’ān (cf. EI2, q.v. : AL-
ZUBAYDĪ, m. 379/989-990, Ṭabaqāt, p. 199, signale son Ġarīb al-Ḥadīṯ). On trouve
en effet cette expression dans Cor. 72, 16 : wa-an law [> al-law] istaqāmū ‘alā l-
ṭarīqa la-’asqaynāhum mā’an ġadaqan « que s’ils se maintenaient sur la voie
droite, nous les abreuverions d’une eau abondante » (tr. MASSON, 1980)248. IBN
MANẒŪR, Lisān al-‘Arab, art. ĠDQ, t. II, p. 961, paraphrase ġadaq par kaṯīr.

246
En libyen oriental, la forme IV ’af‘ala ne semble exister que par emprunt à l’arabe classique (cf.
OWENS, 1984, p. 125, qui la relègue dans la dernière des classes de verbes dérivés en donnant
le seul exemple de ’akram). Ajoutons que l’inaccompli d’un tel verbe ’yikrim est identique à
celui d’un verbe de base (e.g.’yiktib). On ne peut donc rien conclure de la notation d’al-‘Abdarī,
sinon l’emploi d’un même verbe dans les deux sens dans un cas, de deux verbes apparentés pour
chacun de ces deux sens dans un autre cas.
247
MĀLIK, Muwaṭṭa’, p. 151, le cite sous la forme ... Zubayr ... kāna yatazawwadu ṣafīfa l-ẓibā’i fī
l-’iḥrām. Notre édition ne contient pas le commentaire de Mālik. La signification, métonymique,
de « séchée » est celle de gǝddīd en arabe marocain.
248
[Observons incidemment que s’il n’y a pas de divergence majeure entre les deux grandes « lec-
tures » encore en usage, il y a en a une, concernant le… rasm. Le Coran du Caire a ’alif-lām-
wāw, « lu » ’al-law, avec gémination du lām, tandis que le Coran du Maghreb a ’alif-nūn et lām-
wāw (donc ’an law), « récité » ’al-law, avec assimilation (’idġām) du nūn de ’an au lām de lāw,
CHAPITRE VIII 151

Quant à 4), si l’on se reporte une fois encore à IBN MANẒŪR, Lisān al-‘Arab,
art. DRB, t. I, p. 96, on verra qu’il est écrit : ’aṣl al-darb al-maḍīq fī al-ǧibāl « le
sens de base de darb est passage étroit dans les montagnes ». Autrement dit, al-
‘Abdarī note ici, non pas l’emploi d’un mot archaïque, mais plutôt l’emploi d’un
mot dans son sens ancien, là encore sans doute par contraste avec la façon d’em-
ployer ce mot dans les dialectes maghrébins (darb est un chemin et même une rue).
L’archaïsme du lexique nomade, pour un sédentaire, est sûrement le trait le
moins controuvé. Mobiles dans l’espace, les nomades sont immobiles dans le
temps. Un exemple de cet « immobilisme » : dans le célèbre poème d’excuse
adressé par al-Nābiġa al-Ḏubyānī au roi de Ḥīra al-Munḏir b. Nu‘mān (VIe siècle
ap. J.-C.), il y a une scène de réfection d’un fossé et du muret de protection contre
les eaux, entourant la tente, avec la notation que « la petite esclave (...) l’a haussé
vers les portières et vers le bagage empilé » (wa-raffa‘athu ’ilā l-siǧfayni fa-l-
naḍadi). Or BOUCHEMAN, 1934, note que le terme apparenté de neḏị̄ d est toujours
employé en ce sens par les nomades syriens (cloison faite avec les bagages séparant
les deux compartiments de la tente, celui des hommes et celui des femmes : cf. « les
deux portières » du vers).

3. Conclusion

Même si ce texte, notamment en son début, est imprégné de l’idéologie lin-


guistique arabe (faṣāḥa des Bédouins d’autant mieux préservés de la « corruption »
(fasād) qu’ils sont plus isolés), il n’en présente pas moins à nos yeux deux qualités :
1) une vision globale du parler qui n’est pas limité à quelques traits lexi-
caux : ceux-ci, au contraire, sont mentionnés après d’autres traits, grammaticaux
(morphosyntaxiques) et phonologiques ;
2) une caractérisation contrastive de ce parler, par rapport au propre usage
linguistique de l’auteur, et qui, en quelques points, donne du crédit à sa description,
bien qu’au total on soit mieux renseigné sur les parlers du Maghreb occidental que
sur celui des Arabes de Cyrénaïque !
Même s’il convient de le lire avec des yeux critiques, ce texte mérite d’être
considéré avec attention, s’agissant d’une zone où les témoignages font défaut.

marquée par une šadda sur le lām. Cette divergence, remarquable, montre deux choses : 1) con-
trairement à ce qui est affirmé, tant par la tradition musulmane que par les islamologues, il
subsiste encore une variation résiduelle du rasm même ; 2) le rapport oral/écrit est moins simple
qu’on veut bien le dire : si la forme synthétique suggère une simple transcription de l’oral, la
forme analytique suggère à l’inverse la primauté de l’écrit, puis une tradition de récitation de la
forme écrite. Voir LARCHER, 2013, repris dans LARCHER, 2020, ch. II, p. 47-55].
152 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

Annexe I.
Texte arabe et traduction française d’AL-‘ABDARĪ, Riḥla, p. 81-82.
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` ( "J+ Ç6, `' F& Š(? Gm 2g& L+ `-* & \A6-_ G3! "2 ÉZ) ' "J+
`-* & \JT& r?, M-v„ ]k r_~ \+6(&w_  <& m  \ Cv  \~_ D  \6?,
\ M?§ |2'  '& M?)F |V2 e 1+' Æ ! `5& Gm 2g& L+
¢ ± eQ& |2V'  7(& |2'  7_ B ( "A  M?$ »+, \  |&
r?, G- »)& 7- MclF G„ Uw  C$§  ! Æ ! L + d)  +cN
4 7-; MclF sGT ' & \  8, \ \ rV„ G! ' H 7 MH
Da, sT & MH? ”O FaA  & 7-; 7_ ^& 7%- 7( \  G! 4 \ F!~ G„
Š(& "J+ Æ ! L RQ  "JV6Zg r?, \ L&F&cV' L‹ «) "J U]OV H 7
' Jà ,_ |6g ' ±  D6 \+ M,V `Ae& e M?  ±&$A >¨Á 3?,
Q4 ' we N &w MH  ÌJà Q4 ±  š'W , "J+ Æ ! `~g& É
 \+, < 3¨F ]$  D&, ( ]O_ 'H 7 \6 }e ( ¸O? w& J+ "VT
"?g& \6?, < r?N < gF L "?g& \6?, < r?N X+ É&§ J+, < 3¨F M1l, V*)
Ç6-N `5& } & 1 \6?, _ & J‚_ L 7-( IZ) {1&   3? ' Le
"c? \ `? .+ }e \+, "JO' "? Š6O  |V1'  ÉZ) ' e |a+' "J+
CHAPITRE VIII 153

Les Arabes contemporains de Cyrénaïque sont parmi les plus châtiés des
Arabes que nous ayons vus. Ceux du Hedjaz sont également châtiés, mais, chez
ceux de Cyrénaïque, il vient si peu de gens que leur langage ne s’est mêlé d’aucun
autre. Jusqu’à maintenant, ils maintiennent leur arabe. De leur langage, il n’est que
peu qui se soit gâté et ils ne manquent à la flexion que dans une proportion infime
par rapport à ce qu’ils fléchissent. J’ai interrogé un Bédouin, que j’avais rencontré
en train de faire boire ses chameaux à al-Ḥaṣwī, sur une source appelée Abū Šimāl :
« Est-ce que nous passerons par elle ? », dis-je en mentionnant son nom avec un
wāw, là où il faudrait le génitif, selon l’habitude des gens du Maghreb. « Oui, vous
foulerez Abā Šimāl » [taṭa’ūna Abā Šimāl], me répondit-il, en mettant le nūn au
verbe et l’accusatif à l’objet : il n’y a en Occident aucun nomade ni sédentaire qui
fasse cela ! Nous sommes passés auprès d’enfants à eux [i.e. des Arabes] en train
de jouer : « Pèlerins, avez-vous quelque chose à vendre ? » [tabi‘ūnah], nous dit
l’un d’eux, en mettant le nūn et sans vocaliser le hā’, à la pause. J’ai vu, entre autres,
un authentique Arabe, à qui une femme demandait instamment de la nourriture qu’il
avait avec lui. « Par Dieu, tu ne la goûteras pas » [mā taḏūqīnah], lui dit-il en pro-
duisant le pronom de l’allocutée comme il faut, en mettant le nūn et sans vocaliser
le hā’ à la pause. J’ai entendu quelqu’un chercher, dans la caravane, des gens qui
louent une monture, en disant : « Qui veut louer un mulet ? ». Un Bédouin l’enten-
dit et lui dit : « Est-ce toi qui as la bête ? — Oui !, répondit-il. — Alors ne dis pas
man yukrī, mais dis man yastakrī ! ». L’un de nos compagnons, d’entre ceux qui
faisaient le pèlerinage avec nous, me raconta qu’une personne avait bu de l’eau de
Zemzem et dit : « Cette eau sent le ḥabal », en mettant une voyelle au bā’, selon la
façon de parler des gens d’Occident, et en voulant dire la corde [du seau] avec la-
quelle on puise [l’eau]. Mais un Arabe l’entendit et lui dit : « Et comment donc
l’eau sentait-elle le fœtus [ḥabal] ? ». Il lui indiqua que c’était par la corde. « Alors
dis al-ḥabl, lui rétorqua-t-il, et ne dis pas al-ḥabal ! ». Quant aux expressions lexi-
cales rares et à tout ce que les gens d’Occident se font habituellement expliquer,
eux, jusqu’à maintenant, les utilisent, de manière naturelle, dans leurs conversa-
tions. De cela relève le fait suivant : une personne, parmi ces Arabes, s’arrêta auprès
de moi, à l’endroit où je m’étais installé dans le campement de la caravane et dont
le bassin était éloigné. Il me dit : « Maître, me laisses-tu aller [chercher de l'eau] ? »,
voulant dire ’aḫruǧu [sortir]. J’ai questionné l’un d’eux sur la route et il m’a dit
« quand vous sortirez de la forêt, prenez telle direction », voulant dire ’iḏā
ḫaraǧtum minhā [quand vous en sortirez]. De cette expression, les spécialistes des
mots étranges ont abondamment traité, dans le commentaire du propos de ‘Urwa b.
al-Zubayr (Allah soit satisfait de lui !) : « ‘Ā’iša – Allah soit satisfait d’elle ! –,
épouse du Prophète – Allah étende sur lui ses bénédictions et son salut ! – m’a ra-
conté que l’Envoyé d’Allah – Allah étende sur lui ses bénédictions et son salut !
– faisait la prière du milieu de l’après-midi, quand le soleil était dans sa cellule,
avant qu’il n’[en] sorte ». Et ils ont produit là-dessus des citations probantes et des
exemples. J’ai entendu un jeune garçon, d’entre eux, crier dans la caravane : « Pè-
lerins, qui veut acheter le ṣafīf ? ». Mais la plupart des gens ne le comprirent pas et
154 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

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CHAPITRE VIII 155

je lui dis : « Tu as la viande ? — Oui », me répondit-il et il présenta de la viande


d’antilope découpée (muqaddad). Cette expression a été mentionnée par Mālik dans
le Muwaṭṭa’ et il s’est préoccupé de l’expliquer. Il dit en effet à la suite du ḥadīṯ :
« Mālik – Allah soit satisfait de lui ! – a dit : al-ṣafīf est ce qui est découpé (qadīd) ».
J’ai demandé à quelqu’un, à propos d’une source d’eau, si elle était jaillissante. Il
me dit : « c’est une eau ġadaq [abondante] ». Cette expression a été expliquée par
Abū ‘Ubayd dans son Ġarīb. J’ai entendu une autre personne dire, alors que les
gens se pressaient dans un passage étroit : « Écartez-vous du passage [tanaḥḥaw
‘ani-l-darb] ! ». Les mots étranges qu’ils prononcent sont trop nombreux pour être
recensés. C’est par Allah le Très Haut que se fait la conciliation.
156 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

Annexe II
Carte
Références bibliographiques

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160 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

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WEIPERT R., 2002 : Classical Arabic Philology & Poetry. A Bibliographical Hand-
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WENSINCK A. J., 1936-1969 : Concordance et indices de la Tradition Musulmane :
les six livres, le Musnad d’al-Dārimī, le Muwaṭṭa’ de Mālik, le Musnad d’Aḥmad
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(éd.), Words, Texts and Concepts cruising the Mediterranean sea, Studies on the
sources, contents and influences of Islamic civilization and Arabic philosophy
and science dedicated to Gerhard Endress on his sixty-fifth birthday, Louvain,
p. 143-147.
Index nominum

Aaron : 4, 107 (voir Hārūn) Aḫfaš (al-) al-Awsaṭ : 82, 87, 103
‘Abbās, Iḥsān : 143-144, 148-149 Aḥmad b. Ǧaddū : 143, 149
‘Abd al-Qays : 55 Aḥmad b. Ḥanbal : 134
‘Abdarī (al-) : 141-152 Aḥqāf : 137
Abiaad, Abizaid : 98 Aïn Bu Scimàl : 143 (voir Abū Šimāl)
Abraham : 13 ‘Ā’iša : 138, 153
Abū ‘Amr b. al-‘Alā’ : 34 Aix-en-Provence : 3, 48, 103
Abū al-Aswad al-Du’alī : 64, 67, 77 Al-Azraqi : 8
Abū Bakr : 108, 119 Alep : 62, 70
Abū al-Ǧarrāḥ al-‘Uqaylī : 23 Alexandre : 26
Abū al-Ḥasan : 83, 97, 103 (voir Aḫfaš (al-) Alexandrie : 75, 146
al-Awsaṭ)
Alger : 29, 61, 142-143
Abū al-Ḥasan Aḥmad b. Muḥammad : 17
Algérie : 2
Abū Ḥayyān al-Ġarnaṭī : 47-51, 53, 137
‘Alī b. Abī Ṭālib : 64, 77, 106, 119
Abū al-Ḥusayn al-Qazwīnī : 124
Al-Jallad : 34
Abū al-Qāsim al-Ḥusayn b. ‘Alī al-Maġribī :
Allemagne : 79, 141
87, 114
Al-Manaser : 34
Abū Qīr : 75, 109-110 (voir Apa Kyros)
‘Āmir : 23
Abū Šamr : 83
Andalousie : 49, 53, 74, 125, 127-128
Abū Šimāl : 143-145, 153 (voir Aïn Bu
Scimàl) Anghelescu : 143
Abū Ṯarwān al-‘Uklī : 23 Antilles : 74
Abū ‘Ubayd al-Qāsim b. Sallām : 7, 41, 150, Antonio dell’Aquila, Antonius ab Aquila : 70
155
Apa Kyros : 75, 110 (voir Abū Qīr)
Abun-Nasr : 147
Aqūr : 128-129
Abyssins : 53, 55, 57
Arabes : 1, 3, 5-6, 12, 14-15, 17, 19-20, 23-
‘Ād : 73 25, 27-28, 39, 44-47, 52-53, 55, 59, 67,
71-72, 91-94, 126, 136-139, 144
Aden : 132, 136
Arabes du Nord : 13, 23
‘Adnān, ‘Adnānites : 13, 23
Arabes du Sud : 13, 23
Afghanistan : 147
Arabie : 6, 22, 28-31, 42, 45, 64, 67, 94, 137,
Afrique du Nord : 127, 142, 147-148
147
Afrique noire : 117
Arabie (province romaine d’) : 33, 110
Agadir : 147
Arabie Saoudite : 7
Agar : 13
Arberry : 19
Ahmad Ali : 34, 85
174 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

Asad : 6-10, 17, 20, 22-23, 39, 44, 47, 53, 55, Ben Cheneb : 29, 30, 61
57, 59
Benghazi : 143, 148
‘Āṣim : 32, 72, 91
Benou-Ziyan : 141
Aṣma‘ī (al-) : 136
Berbères : 127
Astarābāḏī (al-), Raḍī al-dīn : 9
Bérénikè : 143 (voir Barnīq)
Ayoub : 81
Berlin : 125
Azd (Oman) : 55
Bertaina : 114
Azharī (al-) : 115
Bertarelli : 149
Beyrouth : 62
Baalbaki : 94
Bible : 4, 13
Babir : 116
Blachère : 2, 6, 19, 30-31, 41-42, 71, 92
Badr al-dīn Ibn Mālik : 48
Blanc : 68, 79-82, 84, 87, 103-104, 112
Bagdad : 2, 20, 50, 52, 61, 84, 125, 128-129,
Blancs : 74
133-134, 139, 147
Blau, J. : 8, 66, 85, 87
Bahrā’ : 6
Blau, O. : 41-42, 46, 55
Bahrein: 55
Bosworth : 6
Bailly : 25
Boucheman : 151
Bakr : 39, 55, 128
Brill : 62, 141-142
Bakou : 43
Budapest: 19
Bally : 8, 9, 33, 85
Buḫārī (al-) : 134
Banū ‘Adī : 90
Būlāq : 8, 47
Banū al-Ḥāriṯ b. Ka‘b : 138
Burton : 31
Banū Ḥanīfa : 55
Butterworth : 42
Banū Hāšim : 17
Byzance : 6, 127
Banū Hilāl : 147
Byzantins : 116
Barnīq : 143 (voir Bérénikè)
Barqa : 142-144 (voir Cyrénaïque)
Cahen : 2
Bar Tâlmi : 110
Cantineau : 9, 110, 133, 135
Barthélemy : 110
Carter : 41, 50, 52, 110
Basra : 22, 39, 45, 52, 56-57, 62, 64, 77, 136
Caskel : 6
Basse-Mésopotamie : 125, 128-129, 136
Casr el-Chéil : 149
Baṭalyawsī (al), Ibn al-Sīd : 50-51
Cassuto : 52, 103, 110
Baṭnān (al-) : 143 (voir Marmarique)
Castello berbero (il) : 149
Bayreuth : 141
Castello romano (il) : 149
Bédouins : 21-22, 39, 46, 62, 81, 140, 145,
151 Césarée de Maurétanie : 2
Beer-Schéba : 13 Chabrol : 48
INDEX NOMINUM 175

Châouïch : 30 Dozy : 12, 141


Cheikho : 87, 114 Ḏū al-Rumma : 7
Cherbonneau : 142, 146 Ducrot : 88
Cherchell : 2 Dye : 93
Chester Beatty : 19, 31
Chouémi : 20 Edzard : 41, 103
Chrétien(s) : 55, 70, 114, 129-131 Égypte : 55, 57, 75, 110, 125-126, 129-130,
136, 147
Cohen : 27
Égyptiens : 126-127
Collins : 127, 131, 134
Élie de Nisibe : 87, 114
Constantinople : 2, 125
Ermers: 49
Coptes : 55
Escorial : 51, 141
Coran : 4-5, 9, 13-15, 19-21, 25, 28-36, 39,
43, 45-47, 59, 67, 71-73, 75, 90-93, 95, Espagne (musulmane) : 128
105-108, 110, 113, 115, 117, 119, 126,
Essaouira : 147
133, 136-138, 146, 150
Euhespérides : 143
Corriente : 83, 85, 89, 110, 145
Euphrate : 74
Costaz : 104
Europe : 68, 128
Cyrénaïque : 141, 143-146, 151, 153 (voir
Barqa) Exode : 4

Ḍabba : 6, 11 Fandī, Sihām : 127


Damas : 8, 10, 48-49, 61, 132, 137-138, 147 Fārābī (al-) : 41-56, 67, 94, 137
Dante Alighieri : 68 Farrā’ (al-) : 19-29, 32, 35-36, 38-39, 46, 71,
74-75, 90, 93, 109, 138
De Goeje : 125-127, 134
Ferguson : 27, 68, 82-83, 112
Derenbourg, J. : 142
Ferrando : 72, 85
Derenbourg, H. : 8-9
Fīrūzābādī (al-) : 12
De Slane: 12
Fischer : 9, 147
Diem : 75
Fleisch : 2, 7, 9, 114, 133
Directoire : 134
Fleischer : 38, 66-67, 86, 131, 141
Djeddah : 132
Flügel : 32
Ditters : 62
Fourquet : 30
Diyār Bakr : 128
Fück : 1, 23, 27, 29, 31-32, 66, 70, 73, 84, 86-
Diyār Muḍar : 128
87, 123, 127, 132, 134, 136-137
Diyār Rabī‘a : 128
Fusṭāṭ : 75, 110
Djéziré : 55
Dôme du Rocher : 32
Ǧabal (al-) al-Aḫḍar (Montagne verte) : 143
Domenicus Germanus de Silesia : 70
Ǧabal Usays (Sēs) : 33, 73
176 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

Gaffiot : 4 Hasse : 70
Ǧāḥiẓ (al-) : 69, 116, 134, 136 Ḥaṣwī (al-) : 143-144, 153
Ġalāyīnī (al-) : 145-146 Haute-Mésopotamie : 125, 128, 136
Ġarb : 125 (Ouest de Bagdad) ; 145-146, 148 Hawāzin : 6
(Occident musulman)
Hedjaz : 5, 10-11, 22, 30, 36, 44, 46, 49, 56,
Ǧarīr : 34, 88 67, 71, 88-92, 94, 101, 109, 136-137,
144, 146, 153
Ǧarsūn : 143
Hégire : 45, 75, 86, 110, 144
Ġassān : 53, 55
Hilal : 43
Ġaṭafān : 23, 39, 53
Ḥimyar : 132, 145
Genèse : 13
Hindāwī : 48, 137
Ghemínes : 148
Ḥīra : 151
Gilliot : 3, 45, 47, 50, 137
Hoenerbach : 142, 146, 148
Gimīnis : 148
Holes : 10, 74
Goethe : 30
Hopkins : 8, 31
Goldziher : 3, 19, 66, 86, 142
Huḏayl : 23, 44, 53, 55, 57, 59, 137
Golfe : 22
Ḫurāsān : 126
Gottschalk : 7
Ḥusaynī (al-) : 43
Grappin : 70
Ḫuškī (al-) : 17
Grecs : 55
Ḫuzā‘a : 47-50, 53, 59
Gruntfest : 70
Ḫūzistān : 135
Gubba (al-) : 143
Ǧuḏām : 42, 46, 53, 55
Ibn ‘Abbās : 108, 119
Ǧurhum : 13
Ibn al-Anbārī : 70
Ibn Durayd : 133
Ḥafṣ : 32, 72-73, 91
(Ibn) Falaquera : 52
Ḥāḥa : 147
Ibn Fāris : 1-9, 11, 13-14, 16, 19-21, 24-25,
Ḫalīl (al-) b. Aḥmad : 12
27-28, 41-42, 45-47, 71, 93, 138
Hamaḏān : 2
Ibn al-Ǧazarī : 34
Hamaḏānī (al-) : 2
Ibn Ǧinnī : 6, 79-84, 86-90, 92, 94, 96, 103-
Ḥarrān (Anatolie) : 128 104, 109, 117
Ḥarrān (Syrie) : 110 Ibn Ḥadīdū : 110
Ḥarrānī (al-) : 115 Ibn Ḫaldūn : 12, 49, 52-53, 66-67, 74, 86, 88,
127, 135, 138, 140, 144-147
Ḫarqā’ : 7
Ibn Hišām al-Anṣārī : 146
Hārūn : 4 (voir Aaron)
Ibn Māǧa : 134
Hārūn, ‘Abd al-Salām : 20, 90
Ibn Mālik : 47-50, 53, 137
Ḥasā’idī (al-) ou Ḥasāyirī (al-) : 53
INDEX NOMINUM 177

Ibn Manẓūr : 11, 44, 62-63, 81, 111, 126, 128, Jones : 115
130, 134, 149-151
Juda : 28
Ibn Mas‘ūd : 35, 59
Juif(s) : 51, 131
Ibn al-Muqaffa‘ : 130
(Ibn) al-Nadīm : 19
Ka‘ba : 13, 24, 26
(Ibn) al-Naḥḥās : 5
Kahle : 19-20, 28-29, 31-32, 36, 38-39, 46,
Ibn Rašīq : 5 71, 90, 93, 138
Ibn Rušd : 49 Kairouan : 146
Ibn al-Sarrāǧ : 49 Kalb : 23
Ibn Sīda : 11-12 Kamínos : 148
Ibn al-Sikkīt : 115 Kaplony : 19, 61
Ibn Sīrīn : 59 Kassab : 8, 10, 127, 132
Ibn Ya‘īš : 34, 133 Kazimirski : 11, 63, 134
Ibrāhīm : 13, 93 (voir Abraham) Kināna : 23, 39, 44, 46, 53, 55, 59, 64
Ibrāhīm, M. : 159 Kindermann : 22
Idris : 147 Kofler : 6, 9
Ifrīqiyya : 53 Koran, Korān : 19, 28, 31 (voir Coran)
Incroyables et Merveilleuses : 134 Koufa : 20, 22, 39, 45, 56-57, 64, 128, 136,
138
Indiens : 55, 57, 116
Krenkow : 65
Ingham : 7
Kropp : 107
Irak (état) : 23, 147
Kūfa (al-) : 34
‘Irāq : 22, 128-129, 141 (voir Mésopotamie,
Basse-Mésopotamie)
‘Īsā, Su‘ād : 127 Labov : 74
Isaac : 13 Laḫm : 42, 46-47, 49, 53, 55
Ismaël : 13 La Mecque : 2, 5-6, 13-14, 17, 20, 22-30, 36,
39, 44, 46, 64, 71-72, 90-91, 138, 148
Ismā‘īl : 12-13, 17, 27
Landberg : 142
Ismā‘īl b. Abī ‘Ubayd Allāh : 3, 17
Langhade : 43, 67, 138
Ithaca : 42
Lane : 11-12
Iyād : 53, 55
Larcher : 12, 23, 32-33, 35-36, 45-46, 48-49,
67-68, 72, 74-75, 84-87, 92-94, 103,
Jastrow : 147 107, 109-110, 114, 117, 138, 151
Jean : 34 La Rosa : 85
Jérusalem : 32, 131 Latins : 127
Jîlân : 116 Le Caire : 32, 47, 49-50, 61, 73, 123, 138,
143, 150
Johnstone : 10
Lecker : 22-23
178 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

Leers : 48 Mohammed : 32 (voir Mahomet)


Leiden : 62, 141 Mossoul : 23, 87, 128
Le Louverain : 1 Motylinski : 142
Lessan-Pezechki : 135 Motzki : 62
Levant : 127 Mubārak, M. : 62
Lewicki : 127-128, 130 Mubarrad (al-) : 108, 119
Leyde : 141 Muḍar : 22, 67, 74, 140, 145-146
Libye : 143 Muḥammad : 5, 17, 45-46 (voir Mahomet)
Liège : 79, 103 Muḥammad, Raǧab ‘Uṯmān : 50
Littmann : 72 Munḏir (al-) b. Nu‘mān : 151
Löwinger : 19 Munḏirī (al-) : 115
Munich : 48, 51
Maḏḥiǧ : 138 Muqaddasī (al-) : 84, 91, 123-132, 134-140
Machrek : 74, 125-126, 130, 132, 139 Mûqân : 116
Maghreb : 32, 49, 73-74, 125-128, 135-136, Musulman(s) : 129-131
146, 150, 153
Ma’mūn (al-) : 20
Nabatéens : 55, 128, 129, 136
Mahdī (al-) : 3
Nabatéens de Syrie : 129
Mahdi, M. : 42-44, 49-51, 57, 67, 94, 138
Nabatéens d’Irak : 129
Mahomet : 2, 5, 22-23, 25, 28, 30, 91, 94,
Nābiġa (al-) al-Ḏubyānī : 88, 151
105-108, 110, 136
Nāfi‘ : 33, 73, 91
Mālik b. Anas : 150, 155
Nafīsa, Nafīsatu : 117
Mālikī (al-) : 31
Naǧd al-Ḥiǧāz : 137
Marais : 125-126, 128
Naǧd al-Yaman : 137
Marāwa : 143
Naǧm, Muḥammad Yūsuf : 143-144, 148-
Marçais : 68
149
Marǧ (al-) : 143
Namir : 55
Marmarique : 143
Nammās (al-) : 50
Massorètes : 29
Nasā’ī (al-) : 134
Médine : 22-23, 25, 28, 30, 39, 109
Nejd : 23, 30, 44, 46, 88, 94, 136-137
Mésopotamie : 22-23, 57, 128, 136, 147
Nejd (les deux) : 137
Michaelis : 70
Neuchâtel : 1
Michelin : 148
Newman : 117
Miller : 74
Nīsābūrī (al-) : 47, 58, 139
Miquel : 123, 127-128, 130-131, 139
Noël : 129
Moïse : 4, 107
Noirs : 74
INDEX NOMINUM 179

Nöldeke : 30-31, 34 Qayla : 7


Occident (musulman) : 49, 125, 130, 145- Qays : 6, 10, 12, 17, 20, 22-23, 39, 44, 47, 55,
148, 153 57, 59 ; Qays ‘Aylān : 22
Olender : 108 Qays du bas (suflā Qays) : 22, 23, 39
Oman : 55 Qom : 43
Omeyyades : 64 Qoran : 29 (voir Coran)
Oncle Tom : 74 Quatremère : 12
Orient : 48, 74, 125, 127, 130 Qubbat Hayb : 143
Ouzbékistan : 147 Quḍā‘a : 47-50, 53, 55
Owens : 8, 10, 34-35, 72, 86, 93, 104, 133, Qur’ān : 8, 13, 19-21, 35, 47, 58, 90, 106-107,
146, 148-150 115, 133, 138-139, 150 (voir Coran)
Oxford : 19 Qurašī (al-), Abū Zayd : 5
Qurayš : 3-6, 12, 14-15, 17, 19-20, 23-25, 27-
28, 39, 44-47, 52-53, 55, 59, 67, 71-72,
Palestine : 62
91-94, 126, 136-139, 144
Pâques : 129
Qušayr : 64
Paris : 4, 26, 29, 61, 141
Quṭrub : 72
Pellat : 2, 69
Peña Martin : 51
Rabī‘a : 6, 9, 17, 39, 53
Pentecôte : 129
Rabin : 6, 11-12, 19, 30, 41-42, 44, 47, 49-50,
Persans : 62, 74, 116, 130-132 67, 90, 132, 137
Perses : 53, 55, 57 Rāḥīl(u), Rachel : 117
Pococke : 1-2, 42 Rayy : 2
Prémare : 148-149 Renan : 1-2, 27-28, 41-42, 55
Preißler : 141 Riyadh : 48, 138
Priscien : 2 Robin : 13, 110, 132
Prophète (le) : 5, 17, 31, 57, 59, 105, 119, 153 Rūm (« Romains ») : 53, 116, 127-128
(voir Mahomet)
Rummānī (al-) : 52
Ptolémée (nom) : 110
Ptolémée (géographe) : 148
Sabéens : 128
Ptolémées : 143
Ṣaffār (al-) : 5 (voir (Ibn) al-Naḥḥās)
Šaǧarī (al-) : 84, 99
Qaḥṭān, Qaḥṭānites : 13, 23, 49, 132 (voir
Ṣāḥib (al-) b. ‘Abbād : 2
Arabes du Sud, Yéménites)
Saint-Barthélemy : 74
Qamānis (al-) : 148-149 (voir Qamīnis)
Saint François d’Assise : 68
Qamīnis : 143, 148-149 (voir Qamānis (al-))
Sainte Barbara : 129
Qarṭāǧannī (al-) : 49
Samanides : 84, 125
Qazwīn : 2, 17
Samarrā’ī (al-) : 50-51
180 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

Ṣan‘ā’, Sanaa : 32, 132 Ṯa‘lab : 6, 10, 41


Sarah : 13 Tamīm : 6-9, 11, 17, 22, 25, 30, 34, 39, 44,
47, 49, 53, 55, 57, 59, 67, 72, 84, 88-92,
Šām (Syrie géographique, Levant) : 55, 124,
94, 99, 101, 137
128-130
Tamīm du haut (‘ulyā Tamīm) : 22, 39
Samir : 114
Ṯamūd : 72-73
Saraélos Talémou : 110
Ṯaqīf : 23, 39, 53, 55
Šarq : 125
Ṭayyi’, Ṭayy : 44, 49, 57
Sartori : 31, 85, 103
Téhéran : 43
Schaeffer : 88
Tibériade : 29, 61, 129
Schiller : 30
Tigre : 74
Sénégal : 132
Tihāma : 23
Sezgin : 142
Tilisân: 116
Sériot : 1
Tirmiḏī (al-) : 134
S̲h̲ammar (monts) : 23
Thiry : 142
Sībawayhi : 3, 5, 8-11, 20, 74-75, 81, 85, 88-
93, 110, 133 Thomann : 1
Sicile : 128 Tlemcen : 141
Silvestre de Sacy : 52, 141 Todorov : 88
Sīrāfī (al-) : 65 Tripoli de Barbarie: 124
Sogdiane : 49 Tripoli de Syrie : 124
Somogyi : 19 Ṭulmayṯa : 143
Soudan du Sud : 74 Turcs : 74
Sprenger : 71 Turquie : 147
Ṣuḥār : 131 (voir Oman, ‘Umān)
Suisse : 1 ‘Ukl : 22-23, 39
Suyūṭī (al-) : 1-2, 6-7, 24-25, 27-28, 41-43, ‘Umar b. al-Ḫaṭṭāb : 108-110, 119
47-48, 50-51, 54, 67, 94, 137
‘Umar, Aḥmad Muḫtār : 143
Syriaques : 57
‘Umān : 55, 131
Syrie (état) : 33, 81, 110, 127
Umm al-Ǧimāl : 72
Syrie (géographique) : 6, 23, 55, 57, 61, 124-
‘Uqayl : 22-23, 39
125, 127-130, 136, 147
‘Urwa b. al-Zubayr : 153
Syriens : 126-127
Ušmūnī (al-) : 50
‘Uṯmān : 28, 32
Ṭabarī (al-) : 47
Tabouret-Keller : 1
Van Putten : 33
Ṭā’if : 23, 55
Versteegh : 6, 49, 61-62, 65, 68, 70, 72-74,
Taġlib : 55
86, 103-104, 113, 123, 147-148
INDEX NOMINUM 181

Vincent : 141-142
Vollers : 29-32, 34, 36, 71, 75, 90

Wādī l-Rumma : 23
Warš : 33, 73, 91
Watson : 10, 42
Watt : 6, 13, 23
Weipert : 5, 23, 49, 51, 117
Wensinck : 134
Wiesbaden : 41, 103
White : 1

Yamāma : 55
Yémen : 25, 53, 55, 88, 133, 138, 147
Yéménites : 13, 23
Yōḥanan : 34, 105
Yūḥannā (Ḥannā) : 34, 105

Zabīd : 132
Zabīdī (al-) : 11
Zaborski : 126
Zaǧǧāǧ (al-) : 62, 108, 119
Zaǧǧāǧī (al-) : 52, 61-62, 68-70, 72, 76, 87,
103-109, 111-116, 118, 138-140
Zakariyyā(’) : 35
Zakharia : 127
Ẓālim : 110
Zamaḫšarī (al-) : 33, 133-134
Zanj : 116
Zanǧān : 2
Zemzem : 13, 148, 153
Ziyād b. Abīhi : 64, 70, 77
Zubaydī : 64, 150
Zürich : 1, 19, 61
Index rerum

’abāna (« rendre distinct » ou « [se] rendre


’ahl al-bawādī (litt. « gens des steppes », Bé-
distinct », factitif ou factitif implicite-
douins) : 22
ment réfléchi de bāna « être distinct ») :
107 ’ahl al-ḥaḍar (sédentaires) : 44, 81, 103, 140
Abkömmling (« descendant ») : 66 ’ahl al-madar (litt. « gens de la glaise », sé-
dentaires) : 83
’abnā’ al-‘Arab, ’abnā’ al-‘Aǧam (« fils, en-
fants des Arabes, des non-Arabes ») : 62 ’ahl al-wabar (litt. « gens du poil de cha-
meau », nomades) : 83
absence de flexion : 86, 105
ajustement forme/sens : 73
accusatif : 4, 31, 65, 75, 85-86, 93, 109-110,
113, 118 akkadien : 71
accusatif-génitif : 31, 86, 109 ’akrā (« donner à bail ») : 149-150
’adab, ’adab al-kātib : 116, 129-130 ‘alā saǧiyyatihim (naturellement, spontané-
ment, intuitivement) : 68, 104, 139, 142
adstrat : 87, 129
’alif (note ā) : 33, 69, 72-73, 105, 135
adverbe : 135
‘alāma pl. ‘alāmāt (« marque ») : 8, 145-146
‘afaṭa fī kalāmihi (litt. « flatuler verbale-
ment », métaphore pour parler de ma- ‘alāmat al-muḍmar (« marque du pro-
nière grossière et inintelligible) : 128 nom ») : 8
affixe (pronom personnel) : 10, 25, 50, 82, ‘alāmat al-raf‘ (« marque de l’indicatif ») :
93, 106, 130, 147 146
affrication, affriquée : 10, 25 ‘alāmāt al-’i‘rāb (« marques de la flexion dé-
sinentielle ») : 145
’afṣaḥ (élatif de faṣīḥ) : 4, 94
‘ālim, pl. ‘ulamā’ (« savant ») : 3, 131
’afṣaḥ al-‘Arab (’alsinatan) (« les plus châ-
tiés des Arabes (en matière de alphabétisation : 112
langue) ») : 4, 14, 20, 25, 41, 47, 144
Altarabisch : 65-66
’afsaḥ al-luġāt (al-‘arabiyya) (« la plus châ-
alternative grecque/islamique sur l’origine du
tiée des manières de parler arabes ») :
13-14, 20, 46, 52, 67, 92, 144 langage : 80

‘aǧ‘aǧa (-iy(y) > -iǧ(ǧ)) : 10, 25, 50 ‘amal (litt. « action », rection) : 70
ambiguïté : 15, 68-69, 79, 87, 99, 105, 113-
‘aǧam (non-Arabes en général et Persans en
114
particulier) : 5, 62, 64, 111, 125, 130,
144 ambiguïté graphique : 114
‘aǧamī (non arabe) : 107, 130 ‘āmil, ma‘mūl (régissant, régi) : 70
’a‘ǧam(ī), pl. ’a‘āǧim (non arabophone) : ‘āmma, pl. ‘awāmm (masse, commun, vul-
106-107, 130, 148 gaire, vulgum pecus) : 68-69, 111-112,
116-117, 139
’aǧma‘a (« être unanime ») : 3
anachronique (caractère) : 26
‘aǧrafiyya (raucité ?) : 6, 11-12, 17
anachronisme : 92, 136
’aḥādīṯ al-nabī (traditions du Prophète) : 106
analogie : 22-23, 27, 63, 80
’aḫbara (rapporter une tradition) : 3
analytique (type) : 26, 65, 86-87, 140 ; (gra-
phie) : 151
184 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

‘an‘ana (/’/ > [‘]) : 6, 7, 17, 25, 39 arabe classique : 6, 11, 27, 34-35, 64, 66-67,
70-73, 75, 81, 85-86, 92-93, 95, 104,
anaphore (figure de style) : 73
109-110, 114, 117, 132, 135, 137, 140,
anaphorique (pronom) : 130 142, 146-150
anaptyxe : 92 arabe coranique : 91-92, 124
ancien arabe (état, type) : 26, 30, 65-66, 68, arabe de l’ouest, de l’est : 30
71, 75, 86, 104, 110, 140
arabe dialectal : 35, 66-67, 69-70, 104, 112
annexion : 4, 25, 81-82, 113-114
arabe écrit en caractères non arabes : 34
antériorité historique, logique : 89
arabe fléchi, non fléchi ; avec, sans ’i‘rāb,
apocopé : 31, 91, 146 flexion désinentielle : 68, 70, 86-87,
103-105, 111-113, 121
apophonie : 114
arabe formel : 129, 139
’aqāwīl (« énoncés ») : 45
arabe libyen oriental ou cyrénaïque : 146-149
’aqsām al-kalām (« parties du discours ») :
105 arabe littéral : 28
‘arab (Arabes en général ou Arabes nomades arabe marocain : 148-150
en particulier), sg ‘arabī : 2-6, 9, 13-14,
arabe moderne : 64, 124
20, 24-25, 41, 45, 47, 50, 62, 64-65, 74,
81, 90, 107-108, 111, 116, 125, 128, arabe moyen : 140
130, 132, 137, 139-140, 144-146
arabe oriental : 147
‘arab ‘āriba et muta‘arriba (« vrais Arabes »
arabe parlé à La Mecque au temps de Maho-
et « Arabes arabisés ») : 13
met : 29
al-‘arab al-fuṣaḥā’ (« les Arabes châtiés ») :
arabe syrien : 33, 127, 151
81, 88
arabe total : 135
‘arabiyya (al-) (sous-entendu al-luġa)
(l’arabe en général ou l’arabe classique arabe véhiculaire : 139
en particulier) : 20, 31, 48, 65-66, 68,
107-108, 113, 125-128, 130-133, 135- arabe vernaculaire : 91
136, 143, 145 arabe vulgaire : 70
‘arabiyya bi-ġayr ’i‘rāb (« arabe arabisant(s) : 1, 12, 28, 30, 32, 36, 41, 47, 61,
sans ’i‘rāb ») : 68, 87, 103 65, 68-71, 75, 79, 90, 92, 103, 123, 134,
‘arabiyya muwallada (« arabe non pur ») : 63 139, 141, 146-147

’a‘rāb, sg ’a‘rābī (« authentique Arabe ») : arabité : 13, 136


144 araméen : 34, 87, 93, 129-130
arabe (langue) : 2-3, 5, 8-9, 26-27, 29-30, 33- argumentation : 6, 21-24, 74
36, 41-42, 44, 48-49, 51-53, 55-56, 62,
65-71, 77, 80, 82, 84-86, 92-93, 104- ’aṣfā al-‘Arab luġatan (« les plus purs des
105, 107-108, 110, 113-115, 117, 119, Arabes en matière de langue ») : 3-4, 20
121, 123, 125-127, 129-133, 135-136, ’aṣl : source (droit) : 2 ; base (grammaire) :
138-140, 142, 146, 153 11, 89-91
arabe ancien : 92, 110 al-’asmā’ al-sitta (« les six noms ») : 31, 85
arabe châtié : 44-45, 49, 67, 94, 97, 109, 126, assimilation (vocalique) : 11 ; (consonan-
137 ; non châtié : 109 tique) : 30, 33-35, 92
arabe chrétien : 34, 131 ’aṭrāf al-bilād (litt. « confins du pays », péri-
phérie) : 44
INDEX RERUM 185

attique : 26-27 communauté linguistique : 83, 112


’ayš vs ’ayšin kān : 85 communication : 69, 73, 105
’ayšin (< ’ayyu šay’in ?) : 85 communication écrite : 112
’ayyām (« journées ») : 3, 21, 46 communication orale : 116 ; spontanée : 112,
114 ; surveillée : 112
communication ordinaire : 112
badal (« mutation ») : 92
communication quotidienne : 69
badawī (« bédouin ») : 80, 144
communication savante : 69, 112
bādiya, pl. bawādī (steppe, pays bédouin) :
22, 62-63, 81, 127-128, 136-137 comparatif : 4
basīṭ (mètre) : 7 complément : 4, 33, 113
balāġa (élévation du style) : 125-126 complément d’état : 9, 107
base historique, théorique : 89 complément d’objet : 73, 87, 104, 145 ; ex-
terne : 116 ; interne : 115
bayda ’anna : 94
confessionnel (caractère) : 126, 129, 131
bayyana (« rendre distinct », factitif de bāna
« être distinct ») : 107 confessionnalisation : 131
berbère : 127-128, 135 consonant cluster : 147
bilinguisme : 87, 136 constituant : 4, 9, 33, 85
binā’ (inflexibilité) : 87 contexte (vs pause) : 9, 33-34
bizarreries grammaticales ou lexicales : 138 controverses islamo-chrétiennes : 114
copte : 110, 126
calque syntaxique : 93 créole : 73-74
cas (déclinaison) : 31, 65, 66, 71-72, 80, 85, créolisation, décréolisation : 73-74
99, 104-105, 113-114, 136, 142
créoliste : 74
cas régime : 71, 86, 109
cas sujet : 86, 109
dā’ al-fīl (éléphantasis filarien) : 131
castus, castigare, castigatus : 4
darb dans le sens de maḍīq (« passage
catagogie : 25, 106 étroit ») : 150-151, 155
ceceo : 134 déclin des langues : 88
changement (linguistique) : 11, 80, 86-87, 99, déclinaison : 70, 73, 109, 132, 142
105, 119
déduction et induction : 45
chiasme : 24
déplaçabilité des syntagmes : 115
chuintante : 10, 25
désambiguïsation : 69, 113, 116
classicisation : 90, 95 ; classicisante (lec-
désinence : 71, 103, 136, 142
ture) : 90 ; classicisée (langue) : 35
diachronie : 30, 66-67, 79, 86, 104, 132, 136
code-mixing : 135
dialecte de La Mecque : 29, 36
code-switching : 135
dialecte koreischite : 28
collation : 42-44, 51, 84
dialecte musulman de Bagdad : 147
Colloquial Arabic : 112
186 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

dialectes allemands : 29-30 East-Arabian : 30


dialectes arabes anciens : 26-27, 31, 36, 71- école philosophique de Bagdad : 52
72
écriture : 127 ; défective : 113 ; latine : 127
dialectes arabes modernes : 8, 10-11, 15, 26-
élatif : 4, 89, 110
27, 35-36, 67, 72, 74-75, 81, 85-86, 90,
93, 110, 132, 134-135, 145-147 élection d’un peuple par Dieu : 5-6
dialectes bédouins, nomades : 140, 142, 146 emploi adverbial ou formulaire (vs ordinaire)
d’un nom : 145
dialectes de la péninsule arabique : 137
emprunt : 86, 135, 150
dialectes de Mésopotamie : 147
entropie : 86, 88
dialectes du Soudan : 142
éolien : 27
dialectes grecs : 27
épenthèse : 148
dialectes maghrébins : 146, 148-149, 151
épilinguistique (caractère) : 79-80, 84, 86, 88,
dialectes périphériques, du noyau dur : 147
90, 108, 136
dialectes sédentaires : 27, 140, 146
’ēš vs ’ēš-in kān : 34
dialectique : 22-23, 62, 84, 140
espagnol : 63, 134
dialectologie : 75, 94 ; dialectologue : 146
état (de langue) : 26, 33, 66, 75, 104
diálektos (« conversation ») : 26, 112
état (syntaxe) : 4 (d’annexion) ; 33, 132 (ab-
dictionnaire : 2, 4, 11-12, 25, 70, 110, 134 solu) ; 33, 132 (construit) ; 93 (empha-
tique)
diglossie : 31, 68, 71, 74, 80, 82-86, 94, 103-
104, 110, 112-113, 117, 136, 139 ethnique (caractère) : 81, 129, 131-132
diglossie dans la diglossie : 117 étymologie : 65, 74, 108, 115-116, 126
ḏimma (protégés) : 126, 129-130 étymon : 63
diplomate : 42 everyday speech : 104
diptote (déclinaison, flexion) : 31, 71-72, évolution (linguistique) : 65, 80
109, 132
évolution d’un type linguistique à l’autre : 65,
dissimilation : 7 71, 75, 86, 95, 104, 110, 140
distribution : 82 (fonctionnelle) ; 112 (com- évolution sémantique : 4, 12, 64, 111
plémentaire)
exclamation : 64, 70, 109, 114
divinisation : 108
exégèse : 2
dogmatique (caractère) : 5-6, 14, 21, 26, 45,
expansion : 4, 9
67, 71, 94, 136, 139
expression spontanée, surveillée : 86
dogmatisation : 92
extension : 43, 63, 113, 116, 126
dorien : 27
double langage : 94
faḍala (« dépasser ») : 23 ; faḍḍala (« mettre
dualité linguistique : 29-31, 82, 112
au dessus ») : 21, 23
ductus : 15, 71, 90
falsafa (philosophie hellénisante) : 42, 62
duel : 31, 86, 132
famille lexicale : 4, 63
INDEX RERUM 187

faqīh, pl. fuqahā’ (jurisconsulte) : 77, 129, ġadaq dans le sens de ma‘īn (eau de source
131, 136-137 abondante) : 150, 155
fasād al-luġa (« corruption de la langue ») : ġarīb (« étrange », mot) : 149-150, 155
26, 53, 65, 70, 73-74, 83, 86, 88, 95, 140
ǧazzār, laḥḥām, qaṣṣāb (« boucher »,
faṣāḥa (éloquence du locuteur, correction de exemple de synonymie) : 124
la langue) : 4, 6, 12, 21-24, 32, 36, 46,
gémination : 50, 114, 150
52-53, 67, 83, 136, 143-144, 151
généalogie :13-14, 22, 64, 67
faṣīḥ, pl. fuṣaḥā’ (« châtié ») : 4, 41, 46, 67,
80-83, 88-89, 94, 103, 126, 130, 137 générativiste : 89
fatḥa (voyelle a) : 33, 146 génitif : 75, 86, 113, 115, 145, 153
faute d’interférence : 135 génitif de filiation (grec) : 110
faute de flexion : 32, 65, 84, 109, 119, 129 génitif subjectif et objectif : 113
faute de langage : 4, 65, 69, 71, 75, 77, 115- géographe : 84, 123, 148
116, 138, 149
ǧihatā al-kalām (« les deux façons de par-
faylasūf (philosophe hellénisant) : 48 ler ») : 85
fuṣaḥā’ al-‘arab (« les Arabes châtiés ») : 81, al-ǧīm allatī ka-l-kāf (« le ǧīm qui est comme
88 le kāf ») : 133
fāṣila (« séparateur », rime coranique) : 92 al-ǧīm allatī ka-l-šīn (« le ǧīm qui est comme
le šīn ») : 133
al-filāḥa al-nabaṭiyya (« agriculture naba-
téenne ») : 129 goum : 126
fiqh (droit, jurisprudence) : 2, 77, 134 grammaire comparée : 88
fiqh al-luġa (méthodes du droit appliquées à grammaire générative : 89
la langue) : 2, 25
grammairien(s) andalou(s) : 48, 49, 51
flexion : 69, 70-72, 88, 99, 104, 109, 111,
grammairien(s) arabe(s) : 2, 9, 20, 33-34, 36,
113-115, 140, 144-145, 153
43, 49-50, 52, 61, 65, 69-72, 75, 79, 82,
flexion désinentielle : 35, 55, 65, 67-69, 75, 84-86, 89-90, 92-94, 103, 106, 114-116,
79-80, 82, 86-88, 97, 99, 104-108, 112- 133, 138-139, 142, 147
114, 116-117, 119, 121, 140, 142, 144 ;
grammairiens latins : 2
casuelle et modale : 65, 71-72, 75, 80,
103, 105, 136 graphème : 33
flexion (in)audible : 85, 115 ; (in)visible: 31, grec : 25-27, 34, 36, 49, 53, 66, 70, 75, 80,
75, 85-86 110, 112, 127
flexion stricto et lato sensu : 114-115 gréco-arabe : 66, 109
flexion nominale, verbale : 142, 145-146 gréco-copte : 110
flexion syntaxique, prosodique : 72 ǧuḏām, muǧaḏḏām (« lèpre, lépreux ») : 130-
flatterie : 139 131
ǧumal (notes de synthèse) : 61
forgerie : 108, 119
forme libre (vs liée) : 146
ḫabar, pl. ’aḫbār (tradition) : 3
fricative : 10, 74
’aḫbār al-nabī (« traditions du Prophète ») :
fuṣḥāïsation : 36
106
ḥabl, ḥabil, ḥbǝl (« corde ») : 148
188 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

ḥabal (« fœtus ») : 148 histoire de la langue : 26, 29, 33, 65-67, 71,
74, 79-80, 84, 86, 94-95, 104, 110
ḥaḍar, ḥaḍra, ḥāḍira (pays sédentaire) : 62,
81 histoire de la grammaire arabe : 14, 62
ḥaḍarī (« sédentaire ») : 44, 146 histoire de la linguistique : 62
ḥaddaṯa (rapporter une tradition) : 3 homographe : 20, 105, 114-115
ḥaḏf (« suppression ») : 92 homonyme : 124
ḥadīṯ, pl. ’aḥādīṯ (tradition) : 2, 3, 7, 67, 94, homophone : 34
106, 110, 113, 136, 139, 146, 150, 155
hongrois, magyar : 66, 142
ḫafḍ (génitif) : 145
ḥusn (beauté de la langue) : 128
ḥaǧǧ (grand pèlerinage) : 24, 139
hypothèse : 6, 26-29, 33, 35, 43, 46-47, 51-
ḥāl mu’akkida (« complément d’état corrobo- 52, 71, 73, 86, 89, 93, 103, 110, 138
ratif ») : 107
hypothèse de Vollers : 29-31
al-hamz wa-l-talyīn (« mettre la hamza et
hypothèse de Vollers et Kahle : 36, 71, 90
l’adoucir ») : 14-15, 27
hypothèse de Versteegh : 74
hamza : 7, 11, 14-15, 27, 35, 92, 137
hamza bayna bayn : 92
‘ibādāt (« services », une des deux parties du
haoussa : 117
fiqh) : 105
ḥaraka (« motion », voyelle brève) : 34, 113,
’ibdāl (mutation du yā’ en ǧīm) : 50
146
’iḍāfa (annexion) : 25
ḥarf, pl. ḥurūf (articulation) : 25, 43, 51, 80,
82, 108, 133 idéologie linguistique : 94, 105, 145, 151
ḥarf lafẓ (articulation phonique) : 43 ’idġām kabīr (« grande assimilation ») : 34-
35
ḥarf ma‘nā (articulation sémantique, parti-
cule) : 43 ’idġām (ṣaġīr) (« (petite) assimilation ») : 34,
92, 150
ḥurūf ’aṣliyya (articulations primaires) : 133
idiome : 13, 25 ; littéraire : 41 ; littéral : 28 ;
ḥurūf far‘iyya (articulations secondaires) :
religieux : 28
133
iḫtāra (« choisir », moyen de ḫāra) : 24, 45
ḥurūf ġayr mustaḥsana (articulations non
considérées comme bonnes) : 133 iḫtilāf luġāt al-‘Arab (« diversité des ma-
nières de parler des Arabes ») : 6, 13, 20
ḥurūf mustahǧana (articulations considérées
comme mauvaises) : 133 iḫtilāṭ (« mélange ») : 144
al-ḥurūf al-sitta (« les six consonnes ») : 11 iktarā, istakrā (« prendre à bail ») : 149-150
harmonisation vocalique : 148 ’ilhām (« inspiration ») : 80
ḫāṣṣa (élite) : 69, 111-112, 116-117, 139 ‘illa (« justification ») : 62, 109
ḫaṭa’ (faute, erreur contre l’expression) : illettré : 69, 117, 145
108-109, 138
‘ilm al-’i‘rāb : 105
hedjazisme : 31, 71, 92-93
‘ilm al-naḥw : 105, 109
herméneutique juridique : 2
’imāla (« faire pencher (le a vers le i) ») : 149
ḥimyarite : 13, 132
impératif : 89-93, 101, 115, 135
INDEX RERUM 189

imposition (première, seconde) : 149 justification : 3, 6, 45, 62, 106


indicatif : 31, 91, 146-147
’inšād (« déclamation ») : 72 ka-’ayy-in min (« Combien de… ! ») : 34
inscriptions : 3, 34, 36 al-kāf allatī bayna al-ǧīm wa-l-kāf (« le kāf
qui est entre le ǧīm et le kāf ») : 133
inscriptions du Dôme du Rocher : 32
al-kāf allatī ka-l-ǧīm (« le kāf qui est comme
inscriptions nabatéennes : 110
le ǧīm ») : 133
inscription du Ǧabal Usays (Sēs) : 33, 73
kalām (parole, parler, discours, langage) : 4,
inscription de Ḥarrān : 110 7, 11-12, 14, 24, 63, 72, 81-82, 99, 104,
108, 113, 116, 124-128, 132, 139
inscription d’Umm al-Ǧimāl : 110
kalām vs ši‘r (langage ordinaire et naturel vs
institution (du langage) : 80 langage artificiel de la poésie) : 3
intension : 113, 116 kalām Allāh (« parole d’Allah ») : 5, 108
interlangue : 26
kalām al-‘Arab (« parler des Arabes ») : 3
interrogation : 8, 64, 70, 109, 114-115
kaškaša (-ki > š ou -kiš) : 6-10, 17, 20, 25, 85,
involution : 110 93
ionien : 27 kaskasa (-ki > -kis) : 6, 8-10, 17, 25, 39
ionien-attique : 27 kasr (vocalisation i) : 6, 10, 20
’iqlīm, pl. ’aqālīm (« province ») : 123-125, kasra (voyelle i) : 9
127
katágô (« amener d’en haut, faire des-
’i‘rāb (flexion désinentielle) : 30-32, 35, 65, cendre »), katagôgé, katogôgía (« ac-
68-72, 80, 82-84, 87, 94, 99, 103, 105, tion de faire descendre ») : 25
108, 112-114, 116-117, 139, 142, 144- kātib, pl. kataba, kuttāb (litt. « scribe ») : 129,
145 131 (fonctionnaires) ; 138 (copiste)
’i‘rāb stricto et lato sensu : 114 khevad pe ukhevad lashon (« lourd de bouche
ironie : 22 et lourd de langue ») : 4
’išārāt (« gestes ») : 115 kitāba (litt. « écriture ») : 115 (communica-
tion écrite) ; 129 (fonction de scribe)
’ish devarim (« homme de paroles ») : 4
koinè : 14, 19, 24, 26-27, 31
’iskān (litt. « amuïssement ») : 92
koinè grecque: 26-27
interlocuteur : 24, 84, 86, 127
koinè militaro-urbaine : 27
’isnād (chaîne de garants) : 3
koinè littéraire: 31, 36
istifhām (« interrogation ») : 64
koinè poétique, poético-coranique : 31, 71
istiǧmār (« s’essuyer avec de petits cailloux,
ǧimār ») : 134 koinéisation : 14, 27, 46, 71
iṣṭilāḥ (« convention ») : 80 Koranphilologie : 20, 90
istinǧā’ (« défécation ») : 134 kra-ikri (« prendre ou donner en location ») :
149-150
kunya (teknonyme) : 82, 84
Juba-Arabic : 74
judéo-arabe : 131
lafẓ, pl. ’alfāẓ (« expression ») : 43, 51
jussif : 90-92
190 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

lafẓ ‘āmmī (« expression du vulgaire ») : 116 langue nationale : 126


lafẓ ḫāṣṣī (« expression de l’élite ») : 116 langue parlée : 29, 140, 142
laḥn (faute de langage, solécisme, erreur langue plurielle : 74-75
contre le sens) : 64-65, 69, 81, 108-109,
langue polydialectale : 36
114, 129, 138-139, 146
langue référentielle : 116
laḥn al-‘āmma : 69
langue sacrée : 28
lām (devant complément d’objet) : 87, 99
langue standardisée : 75
langage : 3-4, 14, 17, 52, 55-56, 65, 77, 88,
97, 105, 110, 119, 124, 130, 132, 153, langue vulgaire : 68, 70, 72
voir lisān, luġa et kalām
langues non-flexionnelles : 87
langue, voir lisān et luġa
langues indo-européennes : 49, 65
langue classique : 75, 92-95
langues néo-latines ou romanes : 26, 66, 86
langue commerciale : 132
langues sémitiques : 1, 42, 71, 103
langue commune : 71
laryngale : 11
langue courante : 30
latin : 2, 4, 63, 66, 68, 70, 108, 112, 127
langue de contact : 73
lawn, pl. ’alwān (litt. « couleur », race) : 124
langue de communication orale spontanée :
114 lectio facilior potior : 21

langue de Dieu : 108 lettré : 69, 112, 117, 121, 126, 131, 134, 145

langue de la poésie bédouine : 21, 27 ; poé- lexicographe : 115, 133


tique : 35-36 lexique : 56, 64, 136, 138, 151, 153
langue de Mahomet : 5, 91 liaison : 9, 33, 35, 73, 147
langue de quelques-uns, langue de tous : 112 li-ka (pour la-ka) : 49-50
langue de relation : 132 lingua volgare : 66-67, 70, 112
langue des brahmanes : 112 linguistique arabe : 26, 68, 74, 103
langue des clercs : 68, 112 linguistique historique : 26, 30, 65-67, 70, 75,
langue des prophètes et des anges : 108 86, 88, 104, 140

langue des variantes : 30, 34 linguistique néo-hellénique : 68, 82

langue du Coran : 5, 14, 20-21, 28-29, 31, 36, linguistique occidentale moderne : 46, 61, 65,
45-46, 67, 71, 90-93, 95, 126, 136, 138 88

langue écrite : 28-29, 90, 114, 131, 139 linguistique sémitique : 103

langue étrangère : 126 lisān, pl. ’alsina (« langue ») : 4-5, 13, 45, 49,
57, 124, 127-129, 135 ; pl. ’alsun : 124
langue humaine : 108
lisān ’a‘ǧamī (« langue de Barbare ») : 107
langue intertribale, supratribale : 26
lisān ’āḫar yuqāribu al-rūmī (« autre langue
langue littéraire : 29, 68, 130 proche de celle des Romains ») : 127-
128
langue liturgique : 130
al-lisān al-‘āmm ou al-‘āmmī (« langue vul-
langue maternelle : 29, 73, 84
gaire ») : 66
langue-mère de la prophétie : 108
lisān al-‘Arab (« langue des Arabes ») : 108
INDEX RERUM 191

lisān ‘arabī mubīn (« langue arabe claire ou luġa qadīma ǧayyida (« langue ancienne et
manifeste ») : 5, 106-107 excellente ») : 91
al-lisān al-’aṣlī (« langue originelle ») : 67, al-luġa al-qudmā al-’ūlā (« langue la plus an-
146 cienne et première ») : 91
al-lisān al-’awwal (« langue première ») : 67, luġa rakīka (« manière de parler incor-
146 recte ») : 126, 139
al-lisān al-muḍarī (« langue de Muḍar ») : luġa riḫwa (« manière de parler molle ») :
67, 145 126
lisān al-qawm (« langue du peuple luġa ’uḫrā (arabe mutant en « une autre
[arabe] ») : 5, 84, 91, 107, 125-126, 135, langue ») : 74
137, 139-140
luġa ’uḫrā mumtaziǧa (« autre langue mélan-
locuteur : 4, 69, 71, 81-82, 109, 127, 133, 136 gée ») : 135
logique : 43, 62, 89, 105, 139 luġāt ’ahl al-’amṣār (« les manières de parler
des citadins ») : 66
lomad (devant complément d’objet) : 87, 104
luġat ’ahl al-ġarb (« langue des gens de l’oc-
louer (« prendre ou donner en location ») :
cident (musulman) ») : 148
149-150
luġat ’ahl al-ḥaḍar (« langue des séden-
ludique (caractère) : 24, 84
taires ») : 140
luġa, pl. luġāt (manière de parler, variante,
luġat al-Aḥqāf : 137
idiome, dialecte, variété, langue) : 3, 13-
14, 19-20, 23-24, 49-50, 52-53, 65, 74- luġāt al-‘Arab (« les manières de parler des
75, 80, 108, 116, 125-128, 132-133, Arabes ») : 25, 107, 137, 139
135-138, 148
luġat al-‘Arab li-hāḏā al-‘ahd (« langue des
al-luġa al-‘āmmiyya (« langue vulgaire ») : Arabes [bédouins] de ce temps ») : 140,
67, 69, 92, 112, 139 146
al-luġa al-‘arabiyya al-faṣīḥa (« langue luġat Asad : 20
arabe châtiée ») : 80-81, 83, 92, 95
luġat Ḥimyar : 146
al-luġa al-dāriǧa (« langue courante ») : 67
luġat Huḏayl : 137
luġa fāsida (« manière de parler corrom-
luġat Ḫuzā‘a : 48
pue ») : 128
luġat Laḫm : 47
al-luġa al-fuṣḥā (« la manière de parler la
plus châtiée ») : 4-5, 14, 19-21, 24-28, al-luġāt al-maḏmūma (« les manières de par-
45-47, 67, 71, 91, 136-139 ler blâmables ») : 6, 7, 13, 24-25
luġa ḥasana (« manière de parler belle ») : 28 luġat Muḍar : 67, 140, 146
al-luġa al-ḥiǧāziyya ou luġat ’ahl al-Ḥiǧāz luġāt muḫtalifa (« diverses manières de par-
(« langue du Hedjaz ou des gens du ler ») : 84, 128, 135
Hedjaz ») : 5, 91, 95, 137
luġat Qays : 20
al-luġa al-kūfiyya (« langue de Koufa ») :
luġat Quḍā‘a : 48
128
luġat Qurayš : 4, 19, 23, 25, 45-47, 52, 67,
al-luġa al-mawṣiliyya (« langue de Mos-
71, 126, 136-138, 144
soul ») : 128
luġat Ṣaydā (« langue de Sidon ») : 137
luġa munġaliqa (litt. « fermée (à la compré-
hension) », inintelligible) : 127 luġat al-Šām (« langue de la Syrie ») : 124,
128
192 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

luġat Tamīm : 7, 25, 137 métonymie : 4, 67, 90, 112, 124, 134, 150
luġat al-Yaman (« langue du Yémen ») : 55, métrique : 8, 9, 35
133
mieten, vermieten (« prendre, donner à bail
luṯġa (défaut de langue) : 133-134 ou en location ») : 149-150
Middle Arabic : 66
mā hedjazien, tamīmite : 93 Mittelarabisch : 66
mā (négation dialectale) : 147 mixticius (« mélangé ») : 63
mā l- (négation syrienne) : 8, 127 mode du verbe : 31, 145
maf‘ūl (bihi) (complément d’objet du verbe) : monogenèse, polygenèse (des dialectes sé-
113-114, 145-146 dentaires) : 27
maf‘ūl muṭlaq (complément d’objet interne morphologie : 90-92, 105, 145, 147
ou résultatif) : 115
moyen arabe (état, type) : 8, 26, 34, 65-66,
maǧlis (« assemblée ») : 84, 129, 131, 139 73, 86, 131, 136, 140
malaka (« habitus ») : 52-53, 74 mu‘āmalāt (« transactions », une des deux
parties du fiqh) : 106
ma‘nā (vs lafẓ), pl. ma‘ānī (sens, objet,
thème) : 8, 68, 113, 116 mubīn ‘an al-ma‘ānī (litt. « qui distingue les
significations », sémantiquement perti-
ma‘ānī al-‘āmma (« thèmes de la masse ») :
nent) : 80-81
116
muḍāri‘ (litt. « qui ressemble », inaccompli) :
ma‘ānī al-ḫāṣṣa (« thèmes de l’élite ») : 116
6, 10, 70, 146
maḥāll (« campements ») : 3
al-muḍāri‘ al-maǧzūm (inaccompli apocopé):
mamlakat al-’islām (empire musulman) : 125 146
man lā yu‘ribu (« ceux qui ne fléchissent al-muḍāri‘ al-manṣūb (inaccompli subjonc-
pas ») : 103-104 tif) : 70, 146
manāsik (rites, cérémonies) : 26 al-muḍāri‘ al-marfū‘ (inaccompli indicatif) :
146
manī (« sperme », quasi-homonyme de mā-
nī, variante de mā lī, négation sy- al-muḫāṭab wa-l-muḫāṭib (les interlocu-
rienne) : 8 teurs) : 105
mar’ (« homme »), murū’a (« vertu ») : 108 muḫtaṣar (« contraction », résumé) : 48
marocanisme : 149 mula (« mule »), mulus (« mulet ») : 63
marque de flexion : 114, 117, 145 mula (« mule »), mulo (« mulet ») : 63
marque de la 3e p. du pl. : 129 mulato (« mulâtre ») : 63
marque de l’indicatif : 146 muleto (« jeune mulet »), muleta (« jeune
mule ») : 63
marque du masculin, du féminin : 8, 10
mu‘rab (désinentiellement fléchi) : 82, 94
marque pronominale : 8
mušāfaha (litt. « de lèvre à lèvre », communi-
maṣdar (litt. « source », nom verbal) : 65, 77,
cation orale) : 114
148
muṣhaf ‘Uṯmān (codex de ‘Uṯmān) : 32
métaphore : 63, 106, 111
mustabīn (litt. « se rendant distinct », parti-
métis, métissage : 63-64, 75, 77, 110-111,
cipe actif d’istabāna, factitif
121
INDEX RERUM 193

explicitement réfléchi de bāna « être nūn al-’ināṯ (-na, marque du féminin plu-
distinct ») : 107 riel) : 146
mustawfā (« exhaustif ») : 53
mutaḥarrik (« mû », qui a une voyelle Old Arabic : 65
brève) : 34
onomastique : 86 (libanaise), 110 (arabe des
mu‘tazilisme, mu‘tazilite : 32, 83 inscriptions nabatéennes)
muwallad (métis) : 63-64, 69, 75, 110-111 ordre des mots (plus ou moins libre) : 65, 86,
140
orientaliste : 1, 3, 29, 42, 75, 142
Nabati Arabic : 89, 110
origine du langage : 80
nādir (« rare », mot) : 149
orthodoxie : 52
nafy al-ḥāl (« négation du présent ») : 147
orthoépie : 114, 117, 133, 147
naġamāt al-ṣawt (« intonations ») : 115
orthographe : 33-35, 44, 85, 148
nāḥiya (« région ») : 125, 137
Ost-Arabisch : 30
naḥḥās (« artisan du cuivre ») : 5 ; nuḥās
(« cuivre ») : 5
naḥw (litt. « direction », grammaire en géné- palatale, palatisation : 10, 25
ral ou syntaxe en particulier) : 62, 65,
palimpseste de Sanaa : 32
68-69, 104-105, 109, 115-116, 145
papyrus : 3, 22, 75, 109
naḥwī (« grammairien ») : 116
papyrus gréco-arabe PERF 558 : 109
nasab (formation d’une nisba) : 25
paraphrase : 12, 24, 111, 149
naṣb (mettre un nom à l’accusatif ou un verbe
au subjonctif) : 70, 145 parler : 3, 4, 6-7, 14-15, 17, 24, 39, 46, 50, 59,
63, 72, 93, 124, 128, 138-139
nāṣib, manṣūb (régissant l’accusatif/subjonc-
tif, régi à l’accusatif/subjonctif) : 70 parler arabe d’Aden : 132, 136
naḍad, neḏị̄ d (« bagage empilé ») : 151 parler faṣīḥ : 82, 88, 104, 109, 128, 130
négation : 8, 127, 148 parler du qāf (réalisé [g]) : 148
néo-arabe (état, type) : 26, 30-31, 65-66, 68, parler est-arabe, est-arabique : 30, 36, 47, 71,
70-71, 75, 86, 104, 109-110, 140 90
Neuarabisch : 65-66 parler incompréhensible : 132
New ou Neo-Arabic : 65 parler intermédiaire entre le sabéen et
l’arabe : 132
nidā (cris des marchands) : 132
parler ouest-arabe, ouest-arabique : 30, 71
nisba (nom de relation) : 108
parler réel, idéal : 3
nomades : 12, 44-45, 64, 79, 81-83, 97, 138,
151 parler spontané : 104
nominatif : 31, 70, 75, 85-86, 93, 99, 109, parlers arabes : 14, 20, 27, 46
114-115, 117, 138
parlers arabes d’aujourd’hui, modernes : 3, 7,
nūn (préfixe de l’inaccompli) : 20 ; (suffixe 75
de l’énergique) : 33-34 ; (suffixe de
parlers arabes nomades, sédentaires : 66, 74,
l’inaccompli indicatif) : 31, 147, 153 ;
79-80, 83, 85-86, 94, 97, 147-148
(suffixe du duel et du pluriel) : 132 ;
(tanwīn dialectal) : 73, 85 parlers des Blancs, des Noirs : 74
194 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

parlers citadins : 66 poète : 7, 63, 64, 88, 106


parlers primaires, secondaires de la langue : poétique (art) : 49
83
point d’interrogation : 87, 103
parlers romans d’Afrique du Nord : 127
point diacritique : 20, 32-35, 91, 126
parlers sans variante de -ki : 10
point supralinéaire : 115
parlers syriens : 127
polémique : 15, 49-50, 139
participe actif, passif : 15, 63, 88, 90, 105,
polémique sur les origines de la luġa al-
107, 111, 136, 149
fuṣḥā : 21, 26, 46
pause : 8-10, 33-34, 50, 72-73, 85, 93, 114,
ponctuation : 115
146-147, 153
postvélaire : 11
pèlerinage : 2, 17, 20, 24-26, 39, 46, 59, 72,
93, 138-139, 143, 153 prâkrit : 110, 112
périphrase : 81, 104, 149 prédicat et arguments : 108
persan : 49, 114, 126, 131-132, 135 préfixe (de l’inaccompli) : 10-11, 93
pertinence : 35, 65, 69-70, 80, 113-115 prémisses et conclusion (d’un raisonne-
ment) : 5, 91
pharyngale : 11
prononciation a de la voyelle du préfixe de
philologie : 1, 3, 14, 28-29, 66
l’inaccompli : 11
philologue(s) : 2, 32, 46, 52, 138
prononciation ā de -an et an de -ā à la pause :
philosophe : 42, 45, 49, 51-53, 77, 94 72-73, 93
philosophie : 42, 62, 94 prononciation de -ka et -ki comme une chuin-
tante ou une affriquée : 25
phonème : 7, 148
prononciation [g] du /q/ : 25, 148
phrase : 9, 12, 14, 21, 25, 29, 31, 43, 46-47,
61, 70-72, 74, 81-82, 84-85, 89, 111, prononciation [g] du /ǧ/ : 25, 132-133
113-114, 127, 135, 145
prononciation [ǧ] ([tš] ?) du /k/ : 133
phrase adversative : 9
prononciation mā-nī de mā lī : 8
phrase clef : 20, 25, 34
pseudo-correction : 31
phrase élidée : 8
pudibonderie : 31, 85
phrase liée, segmentée : 8, 9, 33, 85, 93
pureté de la langue : 4, 12, 14, 138
phrase nominale, verbale : 8-9, 33, 85, 93
pureté du sang : 12, 14
phrase qualificative : 146
puriste : 69
phrases coordonnées : 8
phusei, thései (« par nature », « par institu-
qadīd/muqaddad, gǝddīd (viande découpée
tion ») : 80
en morceaux et séchée) : 151
pidgin : 73
qāfiya (« rime ») muṭlaqa (« absolue ») : 34,
pidginisation : 73 72 ; muqayyada (« liée ») : 72
plaider le faux pour savoir le vrai : 84 qawm, pl. ’aqwām (litt. « ceux qui se dressent
(pour combattre) », guerriers, hommes
plurilinguisme : 136
de la tribu, puis tribu, peuple) : 5, 13, 90,
poésie : 3, 5, 14, 17, 21, 28-31, 34, 36, 39, 46, 109, 119, 126 ; (groupe de gens) : 7, 21-
69, 71-72, 95, 110-113, 117, 121, 133 22
INDEX RERUM 195

qawmī, qawmiyya (national, nationalisme au riǧs, riks (« saleté », exemple de /ǧ/ > [k]) :
sens panarabe) : 126 134-136
qibla (direction de La Mecque, sud) : 143 rime (coranique) : 30-33, 35
qirā’a, pl. qirā’āt (« lecture (coranique) ») : rime (poétique) : 34
21, 71, 90, 95, 133
rime effective/possible ou externe/interne :
qiyās (« mesure ») : 22 (raisonnement par 32, 33, 73
analogie) ; 92-93 (règle, norme)
romanité : 127
qualification : 81, 85
rubba : 48, 50-51
qualité (voyelle) : 33
rūmī (« romain ») : 127, 129
quantité (voyelle) : 33, 148
qubḥ (grossièreté, laideur de la langue) : 125-
sabab (« cause ») : 62
126, 128
al-sab‘at al-’aḥruf ou luġāt (les sept articula-
quiproquo : 65, 81, 148
tions) : 47, 59, 138
qurrā’ (« lecteurs ») : 29, 91
sabir : 73
šadda (marque de la gémination) : 23, 33, 151
radical : 92-93
ṣaffār (« artisan du cuivre jaune ») : 5 ; ṣufr
radicale : 10-11, 15, 44 (« cuivre jaune ») : 5
rāḥila (« monture ») : 149 ṣafīf (dans le sens de qadīd/muqaddad) : 150,
153, 155
raisonnement par analogie : 22 ; de type syl-
logistique : 5, 91, 94 saǧ‘ (prose rythmée et rimée) : 24, 117
rakāka (défectuosité, incorrection de la ṣāḥib kalām : 4
langue) : 125-126, 128, 139
sākin (« quiescent », sans voyelle) : 34
rasm (« tracé, dessin ») : 15, 32-36, 71, 90-
sanskrit : 110, 112
93, 150-151
ṣarf ou taṣrīf (litt. « variation », partie de la
rāwī, pl. ruwāt (« transmetteur ») : 3
grammaire qui s’occupe de morpholo-
réalisation phonétique : 7 gie et phonologie) : 105, 145
Redeweise : 3 šarī‘a (Loi) : 2
redondance : 10, 71-72, 114 šawāhid (« attestations ») : 43
réécriture : 29, 43-44, 46, 67, 90, 92, 94 ṣawt, pl. ’aṣwāt (litt. « son », aspect phonique
de la langue) : 35, 124, 128, 137
registre (de langue) : 14, 69, 93, 103, 111
scénario sur les origines de la luġa al-fuṣḥā :
registre de l’école : 117
14-15, 21, 25-29, 36, 71, 93
registre littéraire : 21, 46
Schriftsprache (« langue écrite ») : 29, 30, 90
registre poétique : 14, 71
scriptio defectiva : 85, 105, 113-114, 116
registre relâché : 87, 117
sciences linguistiques : 2
registre soutenu : 87, 117
sciences théologico-juridiques : 2
relation mawṣūf/ṣifa (« objet qualifié/qualifi-
scripturaire (caractère) : 5, 14, 26, 45, 71, 91,
cation ») : 34, 72, 85, 108-109, 115, 142
126, 136, 138
rhétorique : 49 (art) ; 125 (procédé)
sédentaires : 44-45, 56-57, 62, 64, 79, 81-83,
87, 97, 103, 138, 144
196 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

sédentarisation : 62-63, 94, 140 syncope : 92, 148


segmentation (phrase) : 8, 35, 93 ; (sourate) : synesthésie : 128
32
synonyme : 11, 25, 30, 59, 62, 124, 130
seseo : 134
syntagme : 106, 115 ; nominal : 35, 85 ; pré-
ṣiḥḥa (correction de la langue) : 53, 126, 128 positionnel : 4, 72, 85, 106, 115
ši‘r, pl. ’aš‘ār (« poésie ») : 5, 14, 133 syntaxe : 9, 35, 55, 67, 70, 72-73, 77, 85, 90,
91-93, 105-107, 109, 115
sīra (« carrière ») : 30
syntaxe de position : 67
situation linguistique : 36, 30-31, 68, 80, 82-
84, 94, 104, 110, 112, 123-125, 136, 140 synthétique (type) : 26, 65, 86, 140
sociolinguistique : 6, 26, 46, 67-68, 70-71, syriaque : 49, 87, 93, 104, 114-115, 129-130
74, 79, 80-81, 84, 86, 94, 104, 139
sourde : 10
tā’ al-marbūṭa (« tā’ lié », graphème hybride
standardisation : 92, 95 ; standardisée de tā’ et hā’) : 73
(langue) : 75
ta‘aǧǧub (litt. « étonnement », exclamation) :
statut (linguistique) : 84, 126, 130, 135 64
structure de surface concrète : 89 tablīġ (« communiquer ») : 5
structure sous-jacente abstraite : 89 taḍaǧǧu‘ (accent traînant) : 6, 12
subjonctif : 31, 70, 92, 146 taḍmīn (incorporation dans un mot du sens de
plusieurs) : 64, 111
substrat : 87, 104, 129
tafḍīl (nom verbal de faḍḍala) : 21
sujet (du verbe) : 69, 85, 87, 99, 113-114,
145 tafḍīl luġat Qurayš ‘alā sā’ir al-luġāt
(« mettre la langue de Qurayš au dessus
sujet-prédicat : 8
de toutes les autres ») : 23
suffixe adverbial : 145
taǧwīd (litt. « embellissement », récitation
suffixe -an de l’énergique : 33-34 psalmodiée du Coran) : 31, 35, 72
suffixe du féminin : 33, 117 taġyīr (litt. « altération », changement) : 87
suffixe relateur : 34, 72-73, 85, 93, 146 taḥaddaṯa (« converser ») : 126, 130
al-suġdiyya (sogdien) : 49 ṭahāra (« pureté ») : 134
sukkān al-barārī (« habitants des déserts », taḫayyara (« choisir », moyen de ḫayyara
nomades) : 44 « donner le choix ») : 24
sukūn (« quiescence ») : 146 taḫayyur (« choix, sélection ») : 24, 46, 72,
93
sunna, pl. sunan (tradition) : 2
taḫfīf al-hamza (« allégement de la hamza ») :
Sunna : 21, 39 46, 92, 137
sunnite-orthodoxe : 32 taḥqīq al-hamza (« réalisation de la hamza »):
superlatif : 4 92, 137
suprasegmental (moyen) : 114-115 taḥrīk (mettre une voyelle brève) : 148
surnom : 62, 77, 124, 134 ṭā’ifa (catégorie de population) : 45
syllabe ouverte, fermée : 93 takallafa (« se donner la peine »), takalluf
(zèle à l’étude de l’arabe) : 125, 130,
synchronie : 30, 66, 68, 79, 82, 104, 132, 136 139
INDEX RERUM 197

takṯīr (marquer le prou, une des valeurs de thèse théologique : 4, 6, 20, 28-29, 46, 67, 71,
rubba) : 50-51 136, 138
ta’līf (activité combinatoire) : 80, 82 timbre (voyelle) : 11, 35, 148
tamīmisme : 93 toponymie : 124
tamyīz (« spécificatif ») : 4 type (linguistique) : 26, 30-31, 65, 68-69, 71,
75, 79, 81, 86-87, 95, 99, 104, 109-110,
taltala (vocalisation i du préfixe de l’inac-
140
compli) : 6, 10-11, 20, 93
tradition linguistique arabe : 14, 30, 49, 88
tanzīl (« faire descendre », catagogie, révéla-
tion) : 5, 91, 106 trait est-arabe, est-arabique : 31, 46
tanwīn (« nunation ») : 34, 72-73, 75, 93, trait grammatical : 151
142, 146
trait lexical : 149, 151
tanwīn-an : 33-44, 73, 135
trait morphophonologique : 31
tanwīn al-tarannum (« nunation de modula-
trait morphosyntaxique : 144-145, 151
tion ») : 34, 72, 93
trait ouest-arabe, ouest-arabique : 31, 46
tanwīn dialectal : 34, 85, 146 (voir suffixe re-
lateur) trait phonologique : 132, 136, 147, 151
taqa‘‘ur (accent tout à la fois guttural et em- trait syntaxique : 136, 144-145
phatique) : 11-12
triptote (déclinaison, flexion) : 70-71, 73, 75,
al-taqdīm wa-l-ta’rīḫ (« antéposition et post- 110
position ») : 67, 146
turc : 49
ṯaqīl al-fam wa-l-lisān (« lourd de bouche et
lourd de langue ») : 4 turc ouïgour : 49

taqlīl (marquer le peu, une des valeurs de turkic connection : 49


rubba) : 50-51
ṭarīq al-ġāba (« route de la forêt ») : 143 überarbeiten, überarbeiten, Überarbeitung :
ṭarīq al-qibla (« route du Sud ») : 143 29-30, 90

al-ṭarīq al-wusṭā (« route intermédiaire ») : Umgangssprache (« langue courante ») : 30


143 ’umma : 45, 126, 138
taskīn (suppression de la voyelle brève) : 147 ‘umra (petit pèlerinage) : 24
tawāḍu‘ (« institution mutuelle ») : 80 Umschreibung (« réécriture ») : 29, 90
ṭawāf (« circumambulation ») : 26 Ursprache (« protolangue ») : 65
ṭawīl (mètre) : 7-8 usage (linguistique) : 29, 55, 68, 82, 86, 104,
tawqīf (« arrêt ») : 80 112-113, 116, 121, 125, 145, 147, 151

territorialisation : 95 usage oralisé de la langue écrite : 139

tétramètre : 8 usage surveillé : 139

thème-propos : 8-9, 33, 93 usager (de la langue) : 86, 112, 117

théologie : 1, 14, 29, 52, 53, 94, 139


thèse philologique : 53, 67, 13, 138 variante (linguistique) : 3, 7, 10-11, 30, 49,
74, 92, 135-136, 138
thèse philosophique : 36, 43, 46, 52, 67, 138
variante classique, non classique : 34
198 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

variante combinatoire : 135 verbe implicitement réfléchi : 107


variante conditionnée, inconditionnée : 50, verbe kāna comme exposant temporel : 25
133
verbe malsain : 10, 31
variante contextuelle, pausale : 34, 147
verbe moyen : 24, 149
variante régionale : 3, 75, 133, 135
verbe quadrilitère : 11
variante sociale : 133
verbe redoublé : 10, 89, 91-93, 101
variante tribale : 3, 74, 133
verbe sain : 10
variante (textuelle) : 42-43, 84, 138
verbe transitif : 63, 113
variantes de -ka et de -ki : 8-10, 29, 93
verbe trilitère : 11
variation : 6, 32, 92, 132, 151
verbes d’éloge et de blâme ni‘ma et bi’sa : 11
variationniste : 74-75
vernaculaire (langue, arabe) : 27, 29, 36, 71,
variété (d’arabe) : 33, 35-36, 66-67, 69, 81- 84, 90-91, 126, 130, 139
84, 92, 103-104, 111, 135-136, 140
vir (« homme »), virtus (« vertu ») : 108
variété autonome : 67, 74 ; séparée : 140
Volkssprache (« langue du peuple ») : 29, 90
variété basse : 82-83, 87, 112, 116-117
voyage, voyageur : 53, 81, 141-143, 149
variété fléchie : 86, 88, 105 ; non fléchie : 86
voyelle : 89, 147-148, 153
variété haute : 80, 82-83, 87, 112-113, 116-
voyelle brève : 8, 33-34, 72, 111, 114, 147
117
voyelle brève du pronom affixe : 147
variété mixte : 117
voyelle brève finale : 34, 69, 144, 117
variété scolairement acquise : 117
voyelle brève flexionnelle, non flexionnelle :
variété de la majorité : 112 ; de la minorité :
34, 72, 113, 115, 145
105, 112
voyelle d’appui : 92-93
variété de persan : 126
voyelle de la 1re radicale : 11, 20
véhiculaire (langue, arabe) : 27, 71, 84, 126,
130, 132, 139 voyelle de la 2e radicale : 11
verbe : 3, 6-8, 10, 20, 33, 35, 44, 65, 77, 87, voyelle du préfixe : 11, 20
105-108, 110, 114-116, 126, 130, 142,
voyelle du tanwīn dialectal : 85
145-146, 150, 153
voyelle finale du verbe : 35, 92
verbe à objet implicite : 107
voyelle i : 10, 148
verbe creux : 91-90
voyelle longue : 31, 33, 34, 72, 85, 92, 111,
verbe de base : 20, 23, 63, 107, 111, 150
117, 145, 147
verbe de sens estimatif ou déclaratif : 23
voyelle médiale : 92
verbe défectueux : 11, 15
vulgarisme : 67
verbe dénominatif : 135
verbe dérivé : 20, 23-24, 63, 110, 150
waḥš (« sauvage », qualifiant la langue) : 137
verbe doublement transitif : 23, 63
waḥy (« inspiration », révélation) : 80
verbe factitif : 20, 23, 63, 107
walada (« mettre au monde »), wulida
verbe hamzé : 15 (« naître ») : 63, 111
INDEX RERUM 199

wallada, transitif une fois, factitif de wulida


(« générer ») ou transitif deux fois, fac-
titif de walada (« aider une femme à ac-
coucher ou une femelle à mettre bas ») :
63, 111
waqf (« pause ») : 9, 34, 147
waṣl (« liaison ») : 9
wāw : 10, 11 (radicale) ; 110 (inscriptions na-
batéennes) ; 153 (nominatif)
West-Arabian : 30
West-Arabisch : 30
wolof : 132
wuḍū’ (« ablutions ») : 134

yā sīdī : 126-127
yéménisme : 139

ẓahara dans le sens de ḫaraǧa (« sortir ») :


150
zāmila (« monture ») : 149
zeugma : 130
Table des matières

Introduction VII
Remerciements XIV
Avertissement au lecteur XV

Chapitre I. IBN FĀRIS : THÉOLOGIE ET PHILOLOGIE DANS L’ISLAM


MÉDIÉVAL
1. Introduction 1
2. L’auteur : Ibn Fāris 2
3. L’ouvrage 2
4. La chaîne de garants 3
5. La « tradition » : la phrase clef 3
6. La thèse théologique 4
7. L’argumentation : de la justification dogmatique à l’hypothèse
sociolinguistique 6
8. Les « manières de parler blâmables » (al-luġāt al-maḏmūma) 7
8.1. La ‘an‘ana 7
8.2. La kaškaša 7
8.3. La kaskasa 9
8.4. Vocalisation i de la consonne initiale du verbe et du nom 10
8.5. La ‘aǧrafiyya 11
9. Pureté du sang, pureté de la langue ? 12
10. Conclusion 14
Annexe. Texte arabe et traduction française d’IBN FĀRIS, Ṣāḥibī, p. 52-53 16

Chapitre II. AL-FARRĀ’ : UN RETOUR AUX SOURCES SUR LA LUĠA AL-


FUṢḤĀ
1. Introduction 19
2. L’argumentation 21
2.1. L’argument des tenants de la faṣāḥa bédouine 21
2.2. L’argumentation d’al-Farrā’ 22
2.2.1. Contre la faṣāḥa bédouine 22
2.2.2. Pour la faṣāḥa coranique 23
3. Interprétation 24
3.1. al-luġa al-fuṣḥā et koinè 24
3.2. Le scénario d’al-Farrā’ et les arabisants 28
4. L’exemple de Cor. 19, 3 32
5. Conclusion 35
Annexe. Texte arabe et traduction française d’al-Farrā’, d’après KAHLE, 1959,
p. 345-346 38

Chapitre III. AL-FᾹRᾹBĪ : UN TEXTE SUR LA LANGUE ARABE RÉÉCRIT ?


1. Introduction 41
2. Une réécriture 44
202 L’INVENTION DE LA LUĠA AL-FUṢḤĀ

3. Pourquoi le texte a-t-il été réécrit ? 45


4. Qui a réécrit le texte ? 47
5. Conclusion 52
Annexe I. Texte arabe et traduction française d’al-Fārābī, d’après AL-SUYŪṬĪ,
Muzhir, t. I, p. 211-212 54
Annexe II. Texte arabe et traduction française d’AL-FĀRĀBĪ, Kitāb al-ḥurūf, § 135,
p. 147 56
Annexe III. Texte arabe et traduction française d’AL-NĪSĀBŪRĪ, Ġarā’ib al-Qur’ān,
t. I, p. 21 58

Chapitre IV. AL-ZAǦǦĀǦĪ (1) : LES ORIGINES DE LA GRAMMAIRE


ARABE, SELON LA TRADITION. DESCRIPTION, INTERPRÉTATION,
DISCUSSION
1. Introduction 61
2. Description 62
3. Interprétation 65
3.1. De l’histoire… 65
3.2. … à la sociolinguistique 67
4. Discussion 70
5. Conclusion 75
Annexe. Texte arabe et traduction française d’AL-ZAǦǦĀǦĪ, Īḍāḥ, p. 89-90 76

Chapitre V. IBN ǦINNĪ : PARLERS ARABES NOMADES ET SÉDENTAIRES


ET DIGLOSSIE CHEZ UN GRAMMAIRIEN ARABE DU IVe/Xe SIÈCLE.
SOCIOLINGUISTIQUE ET HISTOIRE DE LA LANGUE OU DISCOURS
ÉPILINGUISTIQUE ?
1. Introduction 79
2. Le texte dans son contexte 80
3. Parlers nomades et parlers sédentaires 81
4. D’une différenciation dialectale à la diglossie ? 82
5. Sociolinguistique et histoire de la langue vs discours épilinguistique 84
5.1. Une anecdote révélatrice 84
5.2. Diachronie ou entropie ? 86
5.3. Hedjaz/Tamīm : Ibn Ǧinnī et Sībawayhi 88
6. Conclusion 94
Annexe. Textes arabes et traductions françaises d’IBN ǦINNĪ, Ḫaṣā’iṣ
Texte n°1, t. II, p. 28-29 96
Texte n° 2, t. II, p. 5 96
Texte n° 3, t. I, p. 250 98
Texte n° 4, t. II, p. 31-32 98
Texte n° 5, t. I, p. 256-257, puis 259-260 100

Chapitre VI. AL-ZAǦǦĀǦĪ (2) : ARABE FLÉCHI vs ARABE NON FLÉCHI.


DEUX VARIÉTÉS OU DEUX REGISTRES D’UNE MÊME VARIÉTÉ ?
1. Introduction 103
TABLE DES MATIÈRES 203

2. Deux variétés… 104


3. … ou deux registres d’une même variété ? 111
4. Conclusion 117
Annexe. Texte arabe et traduction française d’AL-ZAǦǦĀǦĪ, Īḍāḥ, p. 95-96 118

Chapitre VII. AL-MUQADDASĪ : QUE NOUS APPREND-IL VRAIMENT DE


LA SITUATION DE L’ARABE AU IVe/Xe SIÈCLE ?
1. Introduction 123
2. Description 123
3. Interprétation 135
4. Conclusion 139

Chapitre VIII. AL-‘ABDARĪ : LE PARLER DES ARABES DE CYRÉNAÏQUE


VU PAR UN VOYAGEUR MAGHRÉBIN DU VIIe/XIIIe SIÈCLE
1. Introduction 141
2. Description et commentaire 144
2.1. Traits généraux 144
2.2. Traits particuliers 144
2.2.1. Traits morphosyntaxiques 144
2.2.1.1. Flexion nominale 145
2.2.1.2. Flexion verbale 146
2.2.2. Traits phonologiques 147
2.2.3. Traits lexicaux 149
3. Conclusion 151
Annexe I. Texte arabe et traduction française d’AL-‘ABDARĪ, Riḥla, p. 81-82 152
Annexe II. Carte 156

Références bibliographiques 157

Index nominum 173

Index rerum 183

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