Attracted Marzia Myers 2024 L - Opportun Anna's Archive

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sont éditées par les Éditions de l’Opportun

16, rue Dupetit-Thouars


75003 Paris

www.editionsopportun.com

Direction éditoriale : Stéphane Chabenat


Édition : Charlotte Sperber
Conception graphique de la couverture : Charlotte Thomas

ISBN: 978-2-380-15917-1

Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo.


Je dédie mon tout premier roman aux personnes
qui ne se sont jamais fait comprendre.
Celles qui auraient voulu avoir une personne
en qui avoir confiance. Je dédie ce livre aux personnes
dont le passé est leur plus gros secret.
SOMMAIRE
Titre

Copyright

Dédicace

Playlist

Avertissements

Prologue

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11
Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Chapitre 30

Chapitre 31

Chapitre 32

Chapitre 33

Chapitre 34

Chapitre 35
Chapitre 36

Chapitre 37

Chapitre 38

Chapitre 39

Chapitre 40

Chapitre 41

Chapitre 42

Chapitre 43

Chapitre 44

Chapitre 45

Chapitre 46

Épilogue

Fin - Bonus

Remerciements
Playlist

Tu peux retrouver la playlist sur Spotify sous le nom de Attracted, playlist officielle !

Softcore – The Neighbourhood


You Get Me So High – The Neighbourhood
Reflections – The Neighbourhood
A Little Death – The Neighbourhood
Afraid – The Neighbourhood
Sweater Weather – The Neighbourhood
Sweater Weather – Instrumental Sped Up
Daddy Issues – The Neighbourhood
Cry Baby – The Neighbourhood
Snowfall – Neheart, Reidenshi
Déjà vu – Olivia Rodrigo
Jealousy, jealousy – Olivia Rodrigo
Pacify Her – Melanie Martinez
ND – Billie Eilish
TV – Billie Eilish
I love you – Billie Eilish
Bored – Billie Eilish
Mirrorball – Taylor Swift
My Tears Ricochet – Taylor Swift
Cardigan – Taylor Swift
Seven – Taylor Swift
Exile – Taylor Swift
Willow – Taylor Swift
Champagne problems – Taylor Swift
Call It What You Want – Taylor Swift
Snow On The Beach – Taylor Swift
Maroon – Taylor Swift
Family Line – Conan Gray
Car’s Outside – James Arthur
Brother – Kodaline
Falling – Harry Styles
Cry – Cigarettes After Sex
Everything I Wanted – Billie Eilish
Moral of the Story – Ashe
Christmas kids – Roar
We fell in love in october – Girl in red
Heather – Conan Gray
Atlantis – Seafret
I Wanna Be Yours – Arctic Monkeys
Why’d You Only Call Me When You’re High – Arctic Monkeys
Young And Beautiful – Lana Del Rey
Middle of the night – Elley Duhé
Harleys in Hawaii – Katy Perry
Waves – Dean Lewis
One More I Love You – Alex Warren
Clocks – Coldplay
The Side of Paradise – Coyote Theory
Viva La Vida – Coldplay
Avertissements

Avant que tu n’ailles plus loin dans ta lecture, je m’engage à t’avertir


sur quelques points !
Attracted est une romance psychologique qui suit deux personnages
brisés. Ils seront aussi détestables qu’attachants, mais surtout, j’ai voulu
transmettre à travers eux des sujets qui sont malheureusement présents dans
notre société.

Ce livre abordera donc des sujets sensibles tels que les violences
sexuelles, physiques et morales, des traumatismes, des tentatives de suicide
et de scarification.
Bonne lecture,
Marzia.
Prologue

Sierra, Jacksonville
Présent
— J’arrive !
Ma voix résonne dans la pièce. Et voilà… Comme tous les vendredis
depuis que mon frère s’est fait des amis, le chaos règne dans la maison. Et
comme tous les vendredis, je m’enferme dans ma chambre en espérant ne
pas entendre leur vacarme.
En déménageant aux États-Unis, je n’aurais jamais imaginé que l’Italie
me manquerait autant. Même si j’adore la Floride et encore plus
Jacksonville. Une ville où tout le monde se croise sans porter une
quelconque attention aux autres. C’est calme et en même temps agité. Tout
ce qu’auparavant j’aurais détesté. Là d’où je viens, les gens étaient
hypocrites, mais ne manquaient jamais l’occasion de vous saluer. Va savoir
pourquoi.
Et quand j’y repense…
— Sierra descends, mia cara !
— J’arrive, répété-je.
Je sors de ma chambre rapidement et dévale les escaliers. Je sais que ma
mère m’appelle pour préparer le dîner et j’adore cuisiner. Mais bon…
Aimer ne veut pas dire être doué, apparemment. Je traverse le salon et
croise les quatre garçons affalés sur le canapé d’angle. J’aime voir leurs
têtes autant que j’apprécie les cours d’histoire… Notez l’ironie.
— Salut Sierra ! Comment ça va ?
Hunter Jones. Un des trois meilleurs amis de mon frère, le mec gentil et
attentionné avec tout le monde. Vous voyez le genre ? Je m’entends plutôt
bien avec lui, et c’est le seul de la bande avec qui c’est le cas d’ailleurs.
Essayant de ravaler ma gêne, je lui adresse un sourire qui se veut aimable.
— Ça allait bien jusqu’à maintenant…
— Tu sors enfin de ta chambre, toi.
Je tourne lentement la tête vers la gauche. J’espérais intérieurement que
sa voix ne se ferait pas entendre, mais on n’a pas toujours ce qu’on veut
dans la vie, n’est-ce pas ?
— Toujours un plaisir de te voir, Logan…
Logan me sourit de toutes ses dents et je grimace, me concentrant sur
autre chose.
Mais lorsque je croise le regard de Jayden, un frisson désagréable me
parcourt l’échine. Je me demande toujours comment il a réussi à se faire
une place aussi importante dans le cœur de mon frère… Il me fait penser à
lui. À chaque fois que je regarde ses yeux gris, je n’y vois rien. Aucune
émotion. Son regard est vide, totalement inexpressif. Sa peau est recouverte
de tatouages et ses cheveux noirs lui tombent sur les yeux. Aussi
mystérieux qu’il soit, son mutisme volontaire me laisse croire qu’il partage
le même sentiment d’appréhension à mon égard. Son regard parle pour lui.
Et pour une raison qui m’est inconnue, il a redoublé son année, conservant
son statut d’élève au lycée.
J’inspire profondément et pars en direction de la cuisine sans un mot de
plus. Ma mère me propose de dresser la table et je le fais sans rechigner.
Être active me permet de me changer les idées.
Parce que lorsque viendra l’heure de manger, j’avalerai tout ce que je
peux avaler pour tenter de combler le vide au fond de moi. Je suis si
fatiguée de faire semblant... Je me rapproche de mon frère, la seule
personne capable de m’apaiser, un peu.
Il ne dit rien lorsque ma tête vient se poser sur son épaule pendant que
les autres sont concentrés à regarder le match diffusé à la télé. Il me
demande si je vais bien et je réponds par l’affirmative. Parce que ce ne
serait pas naturel de dire : « Je me sens tellement mal que je n’arrive plus à
m’exprimer. »
Alors je mens, comme tout le monde. Parce que le mensonge fait partie
de l’humain, aussi bon soit-il.
Il soupire et n’insiste pas. Pourtant, il sait ce qui me ronge de l’intérieur.
— Il n’est pas comme ça… Je te le promets.
Je ne réponds pas, même si je sais qu’il a raison. En sentant mes yeux se
fermer de fatigue, je me lève d’un bond et tape des deux mains ; leurs têtes
se tournent alors dans ma direction.
— Bon, ce n’est pas tout, mais c’est l’heure de manger !
— Je sens d’ici la bonne cuisine d’Isabella ! s’exclame Hunter.
Nous nous rendons dans la salle à manger, les garçons riant de bon
cœur. Malgré tout, je sens que depuis notre arrivée dans cette ville les
choses ont changé. Ma relation avec mon frère, celle avec mes parents
aussi… Et ma façon de voir les choses.
C’est triste, mais c’est seulement lorsque l’on perd tout qu’on apprend à
aimer les petites choses.
Je prends place aux côtés de mon frère quand ma mère décide de se
lancer à la pêche aux infos. C’est comme ça toutes les fins de semaine.
Nous sommes tous là… enfin, tous, sauf mon père. Il ne rentrera pas avant
minuit, comme d’habitude.
Je regarde Logan et Hunter se lancer des piques de temps en temps et
me demande comment ils font pour se supporter tous les jours. Mais ils
réussissent à m’arracher un sourire quand Logan tire sur les cheveux blonds
de Hunter.
— Dis-moi, Jayden, j’ai appris que tu reprenais finalement les études.
Est-ce vrai ? demande ma mère, calmement.
Un silence pesant s’installe autour de la table. Même les deux débiles
ont arrêté de se chamailler.
— Maman…
Le ton de mon frère résonne étrangement. Comme si ce n’était ni le bon
moment ni le bon endroit pour parler de ça.
Mais ça n’empêche pas Jayden de relever la tête vers ma mère et de lui
afficher un beau sourire. Je baisse rapidement les yeux pour chasser cette
image qui me fait remonter des souvenirs douloureux.
— Laisse-la, Esteos… Je prévoyais effectivement d’arrêter les études,
mais finalement j’ai changé d’avis. Et puis… ça me permettra de garder un
œil sur votre fille, termine-t-il.
Ma mère rigole doucement tandis que moi je me raidis sur ma chaise. Je
sens mon cœur battre à toute allure dans ma poitrine alors que lui ne
m’adresse pas même un regard. Il a le visage indéchiffrable.
Beaucoup diront qu’il n’a rien fait… Et c’est le cas. Il ne m’a rien fait,
mais c’est plus fort que moi, quelque chose me tient éloignée de lui, mon
subconscient lutte contre lui.
Parce que Jayden Ace Evans… C’est mon pire cauchemar.
Chapitre 1

Sierra, Jacksonville
Présent
Il est minuit passé et leur boucan vient seulement de s’atténuer. Tous les
vendredis, les garçons dorment à la maison, dans la chambre de mon frère.
Comme si ce n’était pas suffisant de se les coltiner tous les après-midi…
Mon père est passé dans ma chambre une fois rentré. On a parlé de sa
journée et comme toujours, il a pris le temps de me demander si j’allais
bien. Je suis chanceuse d’avoir des parents qui m’aiment et qui me
comprennent. Je ne les remercierai jamais assez pour tous les sacrifices
qu’ils ont faits pour mon frère et moi.
Je me positionne confortablement sur mon lit afin de continuer ma
lecture. Quand j’ai du mal à trouver le sommeil, la lecture est ma seule
échappatoire. J’adore me perdre dans l’encre des mots. Vingt-six lettres
mélangées dans un ordre infini…
Alors que j’essaye de me concentrer, j’entends des ricanements
réguliers de l’autre côté du mur. Bordel…
— Fermez-la, bon sang !
Les rires s’arrêtent quelques secondes.
— Si t’es pas contente l’emmerdeuse, t’as qu’à te coller des boules
Quies !
— Logan… réprimande mon frère.
Je souffle bruyamment alors qu’ils continuent leurs messes basses,
comme des enfants de dix ans. Esteos et moi avons beau nous chamailler de
temps en temps, je sais qu’il m’aime autant que moi je l’aime, même si ça
ne change pas mon envie régulière de lui faire bouffer ses potes.

Je me réveille en sueur. Encore une terreur nocturne… Vont-elles cesser


un jour ? Un soupir empli de fatigue s’échappe de mes lèvres. J’essaye tant
bien que mal de calmer mon cœur qui bat fort, très fort. Je prends mon
portable afin d’y voir affiché sur l’écran quatre heures du matin. Ma
chambre est plongée dans le noir.
Ma gorge me gratte tant elle est sèche. Je décide de me lever et de sortir
de ma chambre à pas de loup pour descendre dans la cuisine. Je me sers un
verre d’eau que je finis en quelques secondes avant de me rediriger vers les
escaliers menant à l’étage. Quand je m’apprête à monter, la présence d’une
personne me heurte l’esprit. Je relève la tête et découvre Hunter. Il rit en
voyant mes yeux écarquillés.
— Excuse-moi de t’avoir fait peur, finit-il par dire.
Je souris faussement et lui cède le passage. J’entends qu’il se sert un
verre d’eau.
— Sierra ?
Je tourne simplement la tête vers lui. Je suis assez mal à l’aise de me
retrouver avec lui, seule dans la cuisine, la nuit. Les amis de mon frère
n’ont jamais été mes amis.
— Ça va ?
Il me pose la question dans un chuchotement presque inaudible. Je
l’observe sans rien répondre. Ses cheveux blonds contrastent avec ses yeux
sombres. Il a les traits fins et son visage dégage une aura angélique.
Au bout de quelques secondes qui semblent une éternité, il me désigne
la chaise en face de la sienne pour m’inviter à m’y asseoir. Après hésitation,
je tire la chaise qui grince légèrement et m’installe, attendant une réaction
de sa part. Il inspire et reprend.
— Tu sais, les garçons et moi avons remarqué ta gêne.
Sa remarque sonne comme une question. L’impression qu’il choisit ses
mots avec précaution me fait sourire nerveusement.
— À vrai dire, continue-t-il, c’est surtout Jayden le problème, n’est-ce
pas ? Il l’a compris, tu sais…
Mon souffle ralentit. Est-ce que mon frère leur en a parlé ? Ou peut-être
l’ont-ils deviné… Ma jambe tape frénétiquement contre le sol, j’angoisse.
Et comme s’il lisait dans mes pensées, Hunter efface mes craintes.
— Ton frère n’a jamais rien voulu nous dire. On a juste fini par déduire
qu’il a dû se passer quelque chose… Et je cherche juste à te rassurer.
Il me lance un sourire et continue sa tirade. Je ne le coupe pas, parce
que je ne veux pas le blesser. Au fond, que ce soit moi ou mon inconscient,
nous savons tous les deux que chaque mot émis par sa bouche revient à
parler à un sourd.
— Sache que je suis là si besoin… On est tous là. Et crois-moi, Esteos
fera un massacre s’il apprend que quelqu’un te fait du mal, dit-il en riant
doucement. Tout ça pour dire que tu m’as, moi, et même si Logan peut
parfois se montrer vache, il ne mord pas. Quant à Jayden… Je ne sais pas ce
qu’il se passe avec lui, mais d’une certaine manière, je te comprends. Ce
mec a beau être mon meilleur pote, certaines facettes de lui me sont encore
inconnues.
J’inspire doucement pour ingurgiter ses mots, comme un foutu calmant.
— Merci.
C’est la seule chose que je parviens à prononcer alors que mes pas se
dirigent déjà vers l’enceinte de mon cocon.
L’amertume et l’hypocrisie dont je fais preuve me prouvent une
nouvelle fois que je ne changerai pas.

Les premiers rayons de soleil finissent par traverser mes volets… Et je


n’ai pas fermé l’œil de la nuit. Je me redresse dans mon lit et ne peux
m’empêcher de bâiller bruyamment. Je referme mon livre à présent terminé
et remets en question mon existence sur cette terre.
Ramenez-moi auprès de mes personnages fictifs.
Je finis par me forcer à sortir de mon lit et, comme une boucle infernale,
je me dirige mécaniquement vers la salle de bains dans laquelle j’effectue
ma routine quotidienne. Brossage de dents. Douche. Et je saute l’étape du
maquillage avant d’enfiler un sweat à capuche noir et un short assorti.
Aujourd’hui, c’est samedi, je compte clairement camper chez moi.
Descendue au salon, je remarque qu’il est plus de dix heures et que
personne n’est encore réveillé. Mes parents sont sûrement encore dans leur
chambre, je décide donc – magnifique ange que je suis – de me mettre à la
tâche et de préparer le petit-déjeuner pour tout le monde.
Pendant que je verse la pâte à pancake sur la plaque, j’écoute Love in
the dark d’Adele. Je baisse tout de même le volume et fredonne doucement
pour éviter de réveiller les ogres qui hibernent en haut.
Je me retourne pour poser les assiettes sur la table et pousse un cri en
voyant Jayden à quelques centimètres de moi.
Il rattrape de justesse la pile d’assiettes et la pose sur la table, sans un
mot. Je marmonne des excuses incompréhensibles, autant pour lui que pour
moi et j’éteins la musique. Quelques secondes plus tard, les trois autres
garçons envahissent la pièce et je soupire. J’ai eu une peur bleue…
— Salut Sierra, souffle Hunter.
Sans que je m’y attende, il se baisse rapidement pour plaquer ses lèvres
sur le haut de mon crâne. J’écarquille les yeux. Quelque chose a changé
dans son attitude et les autres l’ont aussi remarqué.
Esteos vient me saluer à son tour, ne manquant pas de regarder son
meilleur ami de travers.
Je continue de regarder le blond avec un sentiment étrange en moi. Ce
qu’il vient de faire ne doit pas se reproduire.
Après m’être servie, je prends place aux côtés de mon frère. Ils me
remercient tous et mangent dans le silence. Un silence pesant. Un silence
qui permet aux pensées néfastes qui me polluent de s’infiltrer dans les
moindres recoins de mon cerveau. Et puis… Il y a le regard de Jayden qui
pèse sur mes épaules.
— Hunter, tu lui as glissé un petit mot pendant la nuit ou… ? s’élève la
voix de Logan.
Je sens mes joues me brûler alors que la conversation intéresse soudain
tout le monde.
— Et si c’était le cas ?
Le ton de Hunter se veut provocateur.
— Touche à ma sœur mec et je te coupe les couilles.
La réplique d’Esteos est aussi ironique que menaçante. Hunter affiche
une mine dégoûtée provoquant l’hilarité chez les autres, mais mon regard
est attiré par le brun silencieux. Jayden regarde le blond et esquisse un
sourire avant de lancer, dans un ton monotone :
— Alors, t’étais où cette nuit ?
Tout le monde se tait et observe à présent Jayden qui ne me quitte pas
des yeux. La question ne m’est pas adressée, pourtant j’ai cette urgente
envie d’y répondre. Pour me justifier, comme toujours…
— Il était avec moi.
Je ne cille pas face à mon voisin et m’apprête à appuyer mes dires, mais
Hunter me devance.
— Calme-toi, mec. On n’a rien fait, il ne s’est rien passé… On a juste
parlé, elle est comme ma sœur.
Mes poings se serrent en voyant le petit sourire qui vient de naître sur le
visage de Jayden. L’air victorieux sur son faciès me donne envie de lui en
foutre une.
Pour répondre à son sourire carnassier, je lui lance un regard noir. Il
détourne les yeux, au dernier moment.
Chapitre 2

Sierra, Jacksonville
Présent
Le week-end est passé à une vitesse folle, et il est déjà temps de
retourner au lycée. Lorsque mes paupières se sont ouvertes, mon dos et mes
épaules ont crié de douleur. Je suis restée affalée sur mon lit pour regarder
le temps s’écouler. Mon corps comme mon cerveau ne voulaient pas quitter
ce cocon chaud.
Disons que les cours ne sont pas mon péché mignon… D’autant plus
que je n’ai littéralement aucun ami dans l’établissement, seulement ma
propre compagnie et j’essaye constamment de me rassurer comme je peux
en affirmant que je me suffis amplement à moi-même.
Je saute mon petit-déjeuner, rejoignant mon frère dans la voiture. Le
trajet se fait en silence puisqu’aucun de nous deux n’est du matin.
Soudain la voiture s’arrête, m’extirpant violemment de mes pensées.
Ma réaction a dû être excessive vu le sourcil haussé d’Esteos qui me
regarde maintenant fixement. Je détache rapidement ma ceinture et ouvre la
porte du véhicule avant que la voix de mon frère ne me rattrape.
— Fais attention.
Dans un premier temps, je lève les yeux au ciel avant de sourire et
hocher la tête. Il ne peut pas s’empêcher de m’infantiliser. Je claque la
portière pour me diriger vers l’enfer qu’est le système scolaire.
Une fois dans le bâtiment, j’ai l’impression d’être figée dans le temps.
Les chuchotements, les rires, les cris et la foule font partie de ce quotidien
étouffant que subit mon mental. Ajouté à cela, c’est au bout de mon
deuxième cours de la matinée que la somnolence commence à se manifester
de manière insistante.
Je suis loin d’être une bonne élève, alors pour compenser, j’essaye
d’avoir un comportement irréprochable et d’écouter un maximum en cours.
Ce qui s’avère plus compliqué que prévu aujourd’hui…
Je prie Morphée de ne pas m’emporter dans ses bras quand je reçois une
boule de papier en pleine face. Celle-ci rebondit sur ma table, me faisant
cligner des yeux à plusieurs reprises. Je fronce les sourcils et balaie la salle
du regard afin de chercher la personne à l’origine de cette farce. Mes yeux
s’arrêtent sur une fille au fond de la classe qui sourit en me regardant alors
que je ne la connais pas plus que ça. Tout ce que je sais, c’est qu’elle
s’appelle Allie Brook et que nous sommes dans le même cours.
Je lis sur ses lèvres qu’elle me demande de lire le papier qu’elle vient de
lancer, ce que je fais après quelques secondes d’hésitation.
Moi ?
Je n’ai plus du tout l’habitude qu’on m’invite à des soirées alcoolisées.
Pourtant c’était quelque chose dont je raffolais à une époque, quand je
vivais encore en Italie. Je reste à regarder le bout de papier pendant
plusieurs secondes tandis que ma conscience me dit que ce n’est peut-être
pas une bonne idée d’y aller. D’autant plus que je sais que mon frère sera
présent à cette soirée… Il n’en loupe jamais une.
Je reforme la boule dans ma main avant de discrètement la lui renvoyer,
avec un sourire désolé.
Le reste de la matinée se déroule normalement jusqu’à la pause
déjeuner quand, sans que je m’y attende, mon portable vibre sous la
notification d’un message.
Un message de Hunter.

Tu es libre ?
C’est ma fête aujourd’hui ? Je commence à lui répondre, lorsque
quelqu’un me percute. Je recule de quelques pas et jure entre mes dents. Je
m’apprête à m’excuser, mais lorsque je relève la tête et que je croise une
paire d’yeux gris, mon expression se rembrunit sur-le-champ.
Sur toutes les personnes présentes dans ce couloir, il fallait que ce soit
Jayden.
Mes mots se bloquent dans ma gorge alors qu’il scrute mon visage d’un
air indifférent. Je décide finalement de ne pas réagir et de tracer ma route
sans lui adresser la parole, mais il en décide autrement en attrapant mon
bras. Une sensation de lourdeur oppresse mes poumons, sous sa prise,
générant une chaleur qui n’a rien d’agréable.
— Tu devrais t’excuser.
Sa voix est froide, sans une once d’émotion, mais je ne cille pas pour
autant et lui renvoie la même indifférence avant de rétorquer :
— Tu devrais t’excuser au même titre que moi. Tu m’as aussi foncé
dedans.
Je vois son étonnement qui naît du léger sourire en coin qui commence
à se former sur sa face de démon. Il penche doucement la tête, ne manque
pas de soupirer avant de s’approcher de mon oreille. Sa joue placée à côté
de la mienne me laisse pleinement voir les tatouages qui remplissent son
cou et qui disparaissent sous ses vêtements. Dont un qui attire
particulièrement mon attention… Une rose ornée d’épines, emprisonnée
dans une toile d’araignée.
Puis lorsque j’inspire, je comprends que ce rapprochement était une
mauvaise idée… Son odeur se loge dans mes narines, une senteur de tabac
mélangée à l’eau de Cologne.
— Écoute-moi, mon cœur… J’ai été assez patient avec toi jusqu’à
présent. Tu as de la chance qu’Esteos soit mon meilleur pote parce que sans
ça j’aurais déjà explosé, alors je te le répète une dernière fois… Sois
gentille et excuse-toi.
Ce surnom sonne comme un poison. La répugnance que j’éprouve à son
égard n’est en rien un hasard. Me retrouver sur son chemin n’a rien d’une
coïncidence. Je me dégage de sa prise et recule.
— Tu peux rêver Jayden.
Je n’attends pas sa réponse et m’en vais sans regarder en arrière. Mes
cheveux volent derrière moi tandis que j’essaye malgré tout de paraître
naturelle et pas du tout troublée par cette altercation.
Il ne me faut pas plus de deux minutes pour sortir de cette prison et
sentir la brise fraîche refroidir mon visage. Je calme mon cœur qui est sur le
point de sortir de ma poitrine et reprends mon téléphone pour appeler
Hunter.
Ça sonne une fois, deux fois, trois fois et…
— Allo ? Sierra ?
Je respire un bon coup et me fonds dans mon personnage avant de
répondre.
— Oui… Je t’appelle pour te dire que je suis libre, j’ai une pause de
deux heures.
— C’est parfait alors. Je voulais te proposer de déjeuner avec moi si t’es
partante, demande-t-il, un peu hésitant.
Je souris et accepte sa proposition. Je sais pourquoi il fait ça, je ne veux
pas gâcher ses efforts… Je m’isole déjà assez comme ça… Hunter a
toujours été gentil avec moi, seulement je n’y ai jamais fait attention,
jusqu’à présent.
On se donne rendez-vous dans un fast-food proche du lycée. Je me
dépêche de me rendre à destination et en arrivant, il se trouve déjà sur le
parking adossé à sa voiture. Il quitte son téléphone du regard en
m’apercevant et je le salue doucement. Il s’avance vers moi en souriant,
toujours aussi bien habillé.
— Je ne t’ai pas fait trop attendre, j’espère ?
Il secoue la tête en signe de négation alors qu’il m’ouvre la porte du
restaurant. Une musique des années quatre-vingt est diffusée à travers les
enceintes tandis que la décoration ressemble furieusement à celle des autres
restaurants de cette ville. Quelques étudiants sont assis çà et là. Je suis tirée
de ma contemplation par Hunter qui revient après avoir commandé.
— Ta matinée s’est bien déroulée ?
Je hausse les épaules en soupirant.
— Un lundi normal… Et toi ?
La même expression que la mienne se dessine sur son faciès et je
comprends que sa matinée n’a pas dû être fameuse non plus.
— Un lundi normal, répète-t-il.
Nos burgers arrivent rapidement et mes yeux s’écarquillent en voyant la
taille du sien. On mange tous les deux en discutant de sujets variés. Je
m’étonne de passer un bon moment en sa compagnie et même de vouloir
rester un peu plus longtemps, mais l’heure tourne, malheureusement.
— Vous êtes invités à la soirée de mercredi, je suppose, le questionné-
je.
Le blond penche la tête sur le côté et me fixe.
— Tu vas y aller toi ?
J’entends l’étonnement dans sa question. Je hausse les épaules, je ne
sais pas si c’est réellement une bonne idée que je fasse la fête. Mais d’un
autre côté j’ai vraiment besoin de me vider la tête, je commence à en avoir
marre de rester constamment chez moi.
Nous passons encore un bon quart d’heure ensemble jusqu’à ce que je
me rende compte qu’il est bientôt l’heure pour moi de retourner en cours.
Nous débarrassons tout en continuant à discuter.
— Je te dépose ?
— Non, c’est bon. Le lycée n’est qu’à quelques minutes à pied, mais
merci d’avoir proposé.
Une fois les au revoir faits, je pars rapidement en direction du lycée. Sur
le chemin je me pose tout de même plusieurs questions. Qu’est-ce qui a
poussé Hunter à m’inviter à manger ? De la même façon, je me demande ce
qui m’a pris, moi, d’accepter… Ce n’était jamais arrivé jusqu’à présent et
autant dire que je ne veux pas comprendre. Je souffle en me rappelant que
j’ai deux heures de philosophie qui m’attendent. C’est une matière
complexe et qui demande une concentration que je n’ai pas. Je passe à mon
casier pour récupérer les affaires qu’il me faut et je marche vers la salle
dans laquelle se déroule le cours. La sonnerie n’a pas encore annoncé le
début, mais j’entre tout de même, à la recherche de la meilleure place, pour
dormir…
Au fur et à mesure, les élèves arrivent et le cours commence.
— Aujourd’hui est un cours un peu particulier, le lycée propose quelque
chose d’innovant pour vous… C’est une idée présentée par le conseil des
délégués pour la vie lycéenne et qui a été validée par le proviseur. À
compter de ce jour, dans un but pédagogique, vous aurez tous un
correspondant anonyme, indique la professeure.
Le brouhaha éveille les élèves alors qu’elle nous explique tous les
points à prendre en compte. Il y a des règles à respecter et des conditions à
remplir. Pas le droit de révéler son identité. Pas de mot vulgaire. Les lettres
doivent être écrites dans le but de nous exprimer et de nous découvrir. Elle
ajoute aussi que les lettres doivent être rédigées via une application
nommée « Hearting » créée spécialement pour l’occasion, après quoi les
messages seront imprimés et distribués dans les casiers des destinataires.
Cet événement suscite des réactions diverses chez les élèves, pour ma
part, je ne sais pas si je veux vraiment le faire. Ne pas connaître l’identité de
mon correspondant n’est pas quelque chose qui m’excite…
La journée se termine plutôt bien. Comme d’habitude, je rentre avec
Esteos et une fois à la maison je m’affale sur le canapé.
Mon frère me rejoint rapidement avec un bol de céréales.
Il a décidé d’intégrer une école sportive après le lycée pour se consacrer
à sa passion : le football américain. Ce n’est donc pas compliqué pour lui
d’être libre. Soit il est sur le terrain pour ses entraînements, soit à la maison.
En le regardant, cela semble facile pour lui. Il a l’air d’être libre,
contrairement à moi… Les cours qu’il suit en parallèle du sport n’affecte
pas vraiment son emploi du temps. Je lui raconte ma journée et il fait
semblant d’écouter, concentré sur les pubs qui passent à la télé.
J’en profite pour annoncer subtilement :
— Et du coup… J’ai décidé d’aller à cette soirée.
Il continue de hocher la tête comme un idiot. Quand il assimile enfin ce
que je viens de dire, je rigole doucement alors qu’il tourne enfin son visage
vers moi.
— Tu parles de la soirée organisée mercredi soir ?
Je hoche la tête. J’ai dix-huit ans et je veux vivre comme toutes les filles
de mon âge. Car même si j’ai grandi trop vite, je veux me sentir de nouveau
comme une adolescente.
Au moins le temps d’une nuit.
Chapitre 3

Sierra, Jacksonville
Présent
— Tesoro…

Ce surnom…
Cette sensation de peau qui brûle…
Ma tête est lourde…
Sa voix continue de m’appeler, mais je crie.
Je ne veux pas qu’on me touche. Je ne veux plus qu’il me touche, par pitié.

— Sierra ! Sierra, réveille-toi !


Comme si ma tête sortait de l’eau, mes poumons aspirent avidement
l’air qui m’entoure. Mon corps se redresse brusquement alors que ma
respiration est haletante, suppliante. J’ai les joues mouillées et les bras
rougis par des griffures. Ma tête tourne dans tous les sens alors que j’essaie
de comprendre où je me trouve, mais, deux mains viennent se poser sur
mon visage. J’ai un mouvement de recul.
— C’est moi, Sierra… C’est moi, chuchote Esteos.
Je le regarde comme si tout ça n’était pas réel et mes yeux s’embuent de
nouveau. Il me serre dans ses bras pendant que je m’accroche à lui comme
je peux, comme une bouée de sauvetage, alors que c’est trop tard.

Ce jour-là, personne n’était là pour me sauver.

Je pleure tellement fort que des pas se font rapidement entendre dans le
couloir.
— Qu’est-ce qu’il se passe ? s’inquiète notre mère en arrivant dans la
chambre, suivie de notre père.
Lorsque leurs regards se posent sur moi, pas besoin d’explication. Je
suis brisée. Leurs visages deviennent plus doux, de douleur ou de tendresse
je ne sais pas, mais ils nous rejoignent sur mon lit. Ma mère me répète que
tout va bien, que ce n’était pas réel et mon père, plus silencieux, s’inquiète à
sa manière.
Ce n’est plus réel, mais ça l’a été et ça m’a brisée. Je ne peux pas vivre
sans y penser chaque fois que je me retrouve seule.
Esteos continue de me bercer pendant que j’extériorise ma peine à
travers mes larmes.

Serais-je un jour capable de passer au-dessus de tout ça ?

Je ne saurais dire combien de temps ma famille est restée, mais tout ce


que je sais c’est que l’odeur rassurante de mon frère finit par m’endormir et
m’emporter dans les bras de Morphée.
Nous sommes mercredi. J’arrive devant mon casier, épuisée de la nuit
passée. Au petit-déjeuner personne ne parlait, comme à chacune de mes
grosses crises. Je sais déjà quelle sera la première chose qu’elle va me dire
une fois rentrée. Ma réponse sera toujours la même. Je ne retournerai pas
voir la psychologue. Stella a été la personne qui m’a suivie durant
pratiquement un an. Maintenant mes envies ont changé… Je ne veux plus
avoir à passer une heure chaque semaine à raconter ma vie et mes ressentis
à une personne que je ne connais pas. Stella est adorable, mais je ne suis
vraiment pas à l’aise avec elle ni avec les dizaines d’autres psychologues
que j’ai eu l’honneur de consulter.
Je ne remets pas en question leur travail, seulement pour certaines
personnes comme moi, parler de ses problèmes est la pire manière
d’extérioriser. Parce qu’au fond, est-ce qu’on peut changer ce qui fait partie
du passé ?
Esteos, quant à lui, ne m’a pas adressé un regard, pas même dans la
voiture. Je ne lui en veux pas, il se sent déjà assez coupable de ce qui m’est
arrivé.
J’ouvre mon casier et une enveloppe tombe. Je la ramasse et l’ouvre.
Je m’attarde dans un premier temps sur le nom de code que la personne
a choisi… Knight. Un surnom qui sonne plutôt masculin, mais j’accorde
tout de même le bénéfice du doute, ne voulant pas genrer un simple nom. Je
ne vais pas mentir, sa question me prend au dépourvu et j’ai dû la lire
plusieurs fois pour en comprendre le sens. Un léger sourire apparaît sur
mon visage. Je ne m’attendais pas à ça… C’est aussi poétique qu’intriguant.
Après quelques secondes, je sors mon portable de ma poche, installe
l’application « Hearting » et entre mes identifiants. Au moment d’écrire un
message à mon tour, mes doigts picotent. Il n’y a pas de quoi s’inquiéter,
c’est anonyme…
La sonnerie retentit en me coupant dans ma réflexion. Je ferme mon
casier, remets le papier dans l’enveloppe et la fourre dans mon sac de cours.
J’y réfléchirai plus tard…
Une fois dans la classe, je vois Allie me faire signe de la main pour que
je vienne me mettre à côté d’elle. J’hésite un instant avant de faire taire mon
côté introverti et de m’asseoir sur la chaise.
Allie fait partie des personnes avec une beauté naturelle époustouflante.
Ses cheveux crépus, coiffés en un haut chignon, ainsi que sa peau foncée,
contrastent avec ses yeux d’un marron clair, qui me regardent d’un air
joyeux.
— Sierra ! Comment ça va ?
Elle bâille doucement ; elle semble fatiguée. Je lui réponds poliment et
lui retourne la question. Et rapidement, nous commençons à bavarder sur
tout et n’importe quoi. Quand je l’informe que j’ai changé d’avis à propos
de sa fête, elle en est ravie. Cette fille est vraiment bienveillante… Elle
change rapidement de sujet pour parler des correspondants et me raconte
qu’elle sait qui est le sien. Je ne cherche pas à savoir comment elle a fait
pour découvrir l’identité de la personne, mais je me tais sur le message que
j’ai reçu ce matin.
J’ai toujours cru que les personnes qui montrent trop leurs émotions
sont les plus tristes au fond. J’admire le courage qu’ont ces gens-là, de faire
semblant que tout va bien alors que la première chose qu’ils font en
rentrant… c’est de s’effondrer par terre.
Je me rends compte que je suis l’inverse de ces individus. Je me tais, ne
parle pas pour ne pas inquiéter, mais en agissant de la sorte je passe pour
quelqu’un de réservé et d’antisocial… Ce qu’au fond je ne suis pas du tout.
J’ai pris l’habitude de porter un masque et d’agir selon le comportement des
gens. Parce que c’est ce que je suis… Une mascarade.
— Mademoiselle Sanchez ? Pourriez-vous nous dire ce que nous
sommes en train d’étudier ?
La voix de la professeure me rappelle à l’ordre.
Eh merde… Je regarde mes feuilles comme si j’avais écrit quelque
chose. Ce qui n’est évidemment pas le cas.
Après un soupir, je relève la tête.
— Je n’en ai aucune idée, Madame. Veuillez m’excuser.
— La prochaine fois, ce sera dehors et ça vaut aussi pour vous,
Mademoiselle Brook, termine-t-elle en regardant ma voisine.
Je passe le reste de ma matinée à réfléchir à une réponse convenable
pour ce fameux Knight. J’ouvre l’application sur mon portable et
commence à taper. Une fois le message terminé, je me relis plusieurs fois.

« Et est-ce que ça veut dire que tu comptes te confier à moi ?


— Moon »

Ma réponse est nulle ? Carrément. Mais je ne sais pas quoi répondre et


je n’ai absolument pas l’âme d’une poétesse, contrairement à cette
personne. J’appuie sur le bouton « envoyer » et range mon portable dans ma
poche.

— Bouge ton cul !


En ouvrant la porte de la maison, mon corps se fige en entendant des
voix masculines. Et sans grand étonnement, je croise rapidement le regard
de tout le monde. Mon frère, Logan, Hunter, Jayden et mes parents. Je
soupire avant de refermer la porte derrière moi. Mes parents ont pris des
congés pour se reposer, pas pour que notre maison finisse en zoo.
— Entre, mia cara !
Ma mère vient me serrer dans ses bras dans une étreinte que je n’hésite
pas à lui rendre. Je pose ensuite mon sac de cours sur le côté avant de me
déchausser.
— Nous ne sommes pas vendredi, si ? demandé-je.
— Non, mais Isabella nous a invités à passer la journée ici, ma jolie !
répond avec enthousiasme Logan.
Je fais mine d’exprimer ma joie en levant les pouces en l’air. Super…
Je salue rapidement le reste de la bande avant de monter dans ma
chambre et de m’enfermer dedans. Les murs de notre maison sont loin
d’être fins, mais leur vacarme parvient tout de même à les traverser jusqu’à
venir irriter mes oreilles. Traitez-moi de rabat-joie, je m’en fiche.
Je passe plusieurs heures à traîner dans ma chambre comme une
prisonnière en lisant, en rangeant ma bibliothèque et mes vêtements avant
d’en avoir marre et de sortir pour me dégourdir les jambes. Je descends sans
faire de bruit vers le rez-de-chaussée, dénué de lumière.
Les garçons ont arrêté leur cacophonie depuis presque une heure, ce qui
est un record pour eux. Affalés sur le canapé, ils regardent un film
d’horreur. Je rigole doucement en voyant le visage de mon frère, blanc
comme un cul. Je les observe plusieurs secondes avant qu’un sourire naisse
sur mon visage lorsqu’une idée me traverse l’esprit.
J’avance à pas de loup en frôlant le mur vers le canapé. Étant dos à moi,
aucun d’eux ne me voit arriver. Je me baisse entre la tête d’Esteos et celle
de Hunter et lâche un cri de terreur en attrapant leurs épaules.
Les deux hurlent à pleins poumons, seul Hunter tombe du canapé, la
couette s’enroulant autour de son corps.
— Putain, Sierra, t’es pas marrante ! crie Hunter en se frottant la tête.
Mon frère me met une légère tape à l’arrière du crâne et tout à coup me
tire par-dessus le canapé pour me placer à côté de lui. Ses doigts pincent ma
peau pour me punir. Je le supplie d’arrêter, ce qu’il finit par faire en me
voyant à bout de souffle.
Je reste avec eux jusqu’à la fin du film.
— Je monte me préparer !
— Déjà ? Il reste encore du temps, répond mon frère.
— Je sais, rétorqué-je en m’éclipsant.
Pour une fois, j’ai décidé de mettre le paquet pour sortir.
Je me précipite devant mon armoire et l’ouvre en grand à la recherche
de la tenue idéale pour cette soirée qui va enfin me faire sortir de ma grotte.
J’attrape quelques robes et des sous-vêtements avant de m’engouffrer dans
ma salle de bains.
On dit toujours aux filles d’être présentables, polies, discrètes et
gentilles. Tout ça pour plaire aux hommes à qui l’on ne demande pas grand-
chose.
Lorsqu’on porte une robe trop courte ? On est considérées comme des
aguicheuses ; trop longue ? On est coincées.
Cela fait un moment que j’ai décidé d’arrêter de vivre pour les autres et
ce soir, j’ai envie de me faire belle pour moi. Pas pour le reste du monde.
La robe que je porte est près du corps, d’un noir charbon avec de
longues manches qui scintillent de subtiles paillettes, laissant entrevoir mes
bras à travers le tissu. Ce que je préfère dans ce vêtement, c’est le col en
cache-cœur qui met en valeur ma poitrine, et sa longueur est parfaite.
Il y a encore quelques années, j’aurais refusé de mettre cette robe à
cause de ce corps que je n’acceptais pas. Alors que les bourrelets sont tout
ce qu’il y a de plus normal. Je décide de laisser mes cheveux lisses tomber
en cascade, jusqu’à ma poitrine. Je vérifie que mon trait d’eye-liner est bien
symétrique et passe un coup de gloss sur les lèvres, terminant par le parfum.
— T’as fini, Sierra ?
La voix de mon frère fait écho dans ma salle de bains. Je ne réponds
pas, et me dépêche d’enfiler ma paire d’escarpins – que j’ai dû mettre deux
fois au cours de ces deux dernières années – avant de rejoindre les garçons
au rez-de-chaussée.
Je me rattrape quelques fois pour ne pas tomber avant de me pointer
devant la porte du salon. Tous les regards se tournent vers moi.
— Mec… Je retire ce que j’ai dit, ta sœur est vraiment trop canon !
Mais promis craché, je ne la touche pas, lâche Logan en portant une main à
son cœur.
Si le regard d’Esteos avait le pouvoir de tuer son ami, il n’aurait pas fait
long feu.
— T’es magnifique, Sierra.
Je me tourne vers Hunter, vêtu d’une chemise bleue dont les manches
sont remontées sur ses avant-bras, et d’un jean classique. Simple, mais
toujours beau.
— Merci. Bon, maintenant on y va ou vous allez continuer à baver
devant moi comme des gros porcs ?
— La deuxième option me tente bien, s’amuse Logan en regardant mon
frère droit dans les yeux.
Je secoue la tête, exaspérée, alors que le brun explose de rire en
s’empressant de courir dehors.
— Sierra, tu montes devant avec moi, dit Esteos, plus blasé qu’autre
chose.
Je hausse les épaules et lisse ma robe à l’aide de mes mains. Sans
pouvoir m’en empêcher, je croise le regard du seul qui n’a pas encore
prononcé un mot. Je ne sais pas s’il est toujours aussi silencieux, mais ça
me perturbe. Tout ce que je sais, c’est que ses yeux ne m’ont pas lâché
depuis que je suis descendue.
Je le regarde du coin de l’œil et déglutis difficilement lorsqu’il détache
ses iris de mes jambes et remonte jusqu’à mes yeux. On s’observe comme
deux personnes qui cherchent à se percer à jour.
La main de Hunter se fait douce sur l’arrière de mon crâne et m’invite à
m’avancer vers la sortie. Jayden finit par couper court à notre contact visuel
pour nous dépasser et s’engouffrer dans la voiture, tête baissée.
Comme convenu, je monte côté passager alors que mon frère contourne
la voiture pour prendre place sur le siège conducteur. Une fois les ceintures
mises, Esteos démarre, direction la maison d’Allie.
— Je ne t’ai pas demandé… Mais qui t’as invité à la fête ? me demande
ce dernier.
— C’est Allie, en personne.
— Attends. Tu connais Allie Brook ? Je n’ai jamais réussi à me la taper,
rigole Logan. Elle est difficile comme fille…
Je lui lance un regard qui lui dit de se la fermer, ce que bien
évidemment il ne fait pas. Je déteste la manière dont il parle des filles même
si au fond je sais qu’il ne ferait pas de mal à une mouche.
— On s’en fout de tes ébats sexuels, Logan, contredit Hunter concentré
sur l’écran de son portable.
— Ouais, mais ils sont bien plus passionnants que celle de Jay, hein,
mon pote ?
Esteos grimace en souriant devant la remarque gratuite de son ami.
— Tu veux qu’on parle de ce qu’il s’est passé le soir du Nouvel An
l’année dernière ? se défend Jayden.
— T’es vraiment un petit bâtard, se renfrogne Logan.
Hunter rigole, plus concentré sur son portable que sur ses deux amis qui
se lancent des piques à tout va. Moi, je regarde le paysage défiler par la
vitre. Allie habite dans un quartier bourgeois. Les maisons sur ces routes
font deux à trois fois la taille de la nôtre. Mais ce n’est pas pour me
plaindre, je me plais parfaitement chez moi.
On se gare à une dizaine de mètres de la maison. Je détache ma ceinture
en même temps que les autres, seulement, Esteos me retient par le bras au
dernier moment.
— Au moindre souci, tu m’appelles. C’est clair ?
Son ton est catégorique et non négociable. Je soupire bruyamment
même si je sais pourquoi il fait ça.
— Esteos, l’avertis-je.
— S’il te plaît, Sierra…
C’est seulement quand je hoche la tête qu’il lâche la prise autour de
mon poignet.
Cette fête, je compte bien la savourer.
Une fois dans la maison, l’odeur de la sueur mélangée à celle de l’alcool
s’immisce dans mes narines, je grimace. La musique est trop forte,
tellement que mon cœur bat au même rythme que la mélodie. La chaleur de
la foule me happe et je grimace pour refouler mon envie de quitter cet
endroit puant. Plus loin, des corps dansent sensuellement, mais ce genre de
truc, ce n’est pas fait pour moi… sobre.
Je finis donc par pointer mon bout du nez au bar.
— Salut ! Je te sers quelque chose ?
Le barman est obligé de hurler à travers la musique pour que je puisse
l’entendre.
— Je vais prendre un whisky coca s’il te plaît, crié-je à mon tour.
Pendant que le barman part préparer ma boisson, je regarde les gens se
coller les uns aux autres. J’ai repéré au loin mon frère en train de discuter
avec un groupe de personnes. Esteos est bien l’un des seuls hommes sur
cette Terre que je n’ai jamais vu mal se comporter avec qui que ce soit, sauf
cas exceptionnels. Et c’est aussi pour ça que je l’aime.
— Et voilà un whisky coca pour toi !
Je souris au garçon et prends le verre en m’asseyant sur un des tabourets
hauts. Entre deux verres, le barman revient vers moi pour me faire
remarquer que c’est la première fois qu’il me voit ici. Je souris presque en
lui expliquant que je ne suis pas du genre fêtarde, ce qui n’est pas
totalement faux.
Cette atmosphère pesante qui alourdit ma poitrine me provoque une
respiration chaotique. Je n’aime pas ressasser mon passé, mais le monde
autour de moi, les battements déchaînés de mon cœur, la musique trop forte,
toute cette ambiance me rappelle des événements que je tente d’oublier. La
température de mon corps monte en réaction à mes pensées. Je me suis
promis de ne plus jamais redevenir celle que j’étais avant.
Je chasse mes pensées lointaines et me décide finalement à remplacer
ces souvenirs cruels par de nouveaux plus doux. Je réajuste ma robe avant
de marcher vers la piste de danse. Il n’a pas été facile de me frayer un
chemin jusqu’à celle-ci, mais lorsque j’y parviens, je me prends au jeu et
commence à bouger doucement. La musique est tellement forte que j’ai
l’impression qu’elle pourrait faire exploser mes tympans. Soudain, une fille
se joint à moi en riant.
Je ne compte pas le temps que je passe à danser sur la piste, mais les
jeux de lumière au-dessus de ma tête finissent par me donner mal à la tête et
mes pieds souffrent des talons aiguilles que je porte. Je tire mes cheveux en
arrière pour dégager mon cou et me dirige instinctivement vers le bar pour
prendre un autre verre de whisky.
Finalement, je n’aime pas du tout cette fête. Je me sens seule et surtout
je me rends compte que ça fait trop longtemps que je ne suis pas sortie de
chez moi. Je veux avoir mon frère auprès de moi. Je ressemble à une
gamine qui demande ses parents, mais mon frère… c’est ma maison. Et là
je veux rentrer me reposer.
Quand l’envie d’aller aux toilettes me presse, je demande où elles se
trouvent à la personne à ma gauche et je me retrouve quelques secondes
plus tard devant les marches de l’escalier en colimaçon. Ma tête me lance et
je rigole nerveusement, craignant d’être ivre.
J’ai à peine mis un pied sur la première marche qu’on m’attrape l’avant-
bras d’un geste brusque.
— Ah, t’es là ! Ça fait un moment que je te cherche !
— Allie !
— Je commençais à croire que tu avais changé d’avis. Viens ! On va
jouer à un jeu avec les autres.
Je cligne des yeux pour toute réponse alors qu’elle m’entraîne à travers
la foule. Quels autres ?
Ses cheveux habituellement laissés libres, sont à présent tressés et levés
sur le haut de sa tête. Mon regard descend plus doucement vers la robe
dorée qu’elle porte à la perfection et je ne me rends même pas compte
qu’on est à présent devant une chambre.
Je ne sais pas si c’est l’alcool que j’ai ingurgité plus tôt, mais je sens
l’excitation et l’adrénaline me gagner.
— Rassure-moi… On ne va pas faire une partouze, hein ?
Je rigole en posant la question, mais j’espère sincèrement que ce n’est
pas ça…
— On va faire quelque chose de bien plus amusant, finit-elle par dire en
me tirant dans la pièce.
La chambre est chaleureuse, la lumière est tamisée et en fermant la
porte derrière nous, la musique finalement désagréable se fait plus douce.
La pièce est grande et spacieuse, mon regard tombe sur les personnes
assises par terre et j’en reconnais quelques-unes, que j’ai vues passer au
lycée.
Et bien sûr, Logan et Jayden.
— Oh putain, marmonne Logan.
C’est cette phrase, aussi simple soit-elle, qui me fait comprendre que
cette soirée ne va pas se finir aussi bien qu’espéré.
Chapitre 4

Sierra, Italie
Passé
— Grazie ! Et à bientôt, Madame Rossi ! crié-je.
La vieille dame me salue et je quitte la boutique un sourire aux lèvres.
On est le 1er septembre et c’est l’anniversaire d’Esteos, j’ai donc pris
l’initiative de lui acheter un petit quelque chose. Il fête ses seize ans
aujourd’hui, un adolescent en pleine puberté. Il déteste fêter son
anniversaire parce que je cite : J’ai plus cinq ans, je ne souffle plus sur des
putain de bougies !
De plus, demain c’est la rentrée… Le stress est présent, ce qui est, à vrai
dire, normal. J’ai également hâte de faire mon entrée au lycée. Malgré les
mises en garde de mon frère, je ne peux pas m’empêcher de me dire que
j’entre dans la cour des grands. Je sais bien que c’est loin d’être comme
dans les films, mais… j’aime me laisser porter par mon imagination.
Arrivée devant l’immeuble, j’appuie sur l’interphone avec l’inscription
Sanchez. Après quelques secondes, je pousse la porte. S’il y a bien une
chose que je déteste dans ces bâtiments, ce sont les escaliers. On n’a pas le
privilège d’avoir un ascenseur et c’est d’autant plus problématique quand tu
habites au quatrième étage, à force, tu finis essoufflé. La porte de notre
appartement étant entrouverte, j’entre doucement, et la referme derrière
moi.
— ESTEOS ?
— Je suis dans ma chambre !
Je m’approche à grand pas de sa chambre et le vois sur son lit en train
de jouer à un de ses jeux vidéo. Je me glisse entre lui et l’écran plat.
— Putain, mais Sierra ! J’ai perdu à cause de toi, tu fais chier !
Je lève les yeux au ciel et mets mes mains sur mes hanches, décidée à
ignorer ses vulgarités.
— Tu devrais plutôt être content parce que je suis là pour t’offrir un
cadeau.
Tout à coup, il a l’air beaucoup plus intéressé et je lui souris en tendant
la petite boîte. Ses doigts hésitent quelques secondes, puis il défait le nœud
et ouvre l’écrin. Ses yeux s’agrandissent, ce qui me fait sourire davantage.
— Ce n’est pas grand-chose, mais je sais que tu le voulais depuis un
moment et j’ai fini par économiser.
— Viens là, me coupe-t-il.
Sans me faire prier, je me faufile dans ses bras et il dépose tendrement
un baiser sur mes cheveux. Ce sont mes moments préférés… Mon frère est
ma personne préférée.
Je me détache et lui prends l’emballage pour en sortir la chaîne et
l’inciter à la mettre. Il me sourit, je me précipite dans son dos pour lui
accrocher autour de son cou. Je suis vraiment heureuse que mon cadeau lui
plaise.
— A tavola, les enfants, ça va refroidir !
— Merci Sierra, me chuchote mon frère avant de sortir de la chambre.
Au salon, la table est dressée. L’odeur de la nourriture de notre mère fait
grogner mon ventre tandis que je croise son regard taquin. Elle me lance un
clin d’œil. Je l’ai tenue au courant pour le cadeau d’Esteos.
On déjeune tous ensemble dans le calme. Mon père me manque
énormément. Il est constamment en voyage d’affaires alors rares sont les
fois où on le voit. Je sais aussi que ses absences rendent ma mère triste.
— Eh bien… Demain c’est la rentrée, mia cara. Comment te sens-tu ?
— Un peu stressée… avoué-je.
Ma mère et moi continuons de parler de divers sujets. Mon frère, lui, se
contente d’écouter, il n’est pas très bavard de nature.

Je crois qu’il est très probable que je tombe dans les pommes dans les
heures qui viennent… J’exagère ? Sûrement. Mais c’est plus fort que moi.
Le lycée. Les garçons. L’excès de libido. Tout ça… me fait littéralement
flipper.
Notre lycée n’est qu’à cinq minutes à pied de chez nous, ce qui est très
pratique. À mes côtés, Esteos marche, le nez collé à son portable, alors que
moi, je me demande si je vais réussir à me faire des amis.
— Ça va Sierra ? T’es toute blanche, remarque mon frère.
— Ça va…
On arrive plus vite que prévu devant l’établissement. C’est joli. Simple,
mais joli. Les briques montent très haut et contrastent avec les baies vitrées.
Les élèves grouillent devant le portail ; je suis la foule en disant rapidement
au revoir à mon frère, pour aller à la recherche de ma classe.
J’entre dans le premier bâtiment et me retrouve face à un long couloir.
Je me retourne pour regarder les alentours, mais mon nez vient s’écraser sur
le torse de quelqu’un. Je recule en titubant.
— Je suis désolée !
Je n’en dis pas plus et me précipite dans la direction opposée.

T’es vraiment pas possible, Sierra…


Je reprends une démarche normale lorsque j’arrive dans le couloir que
je cherche. Une fois le bureau de la responsable administrative trouvé, je
toque trois coups sur la porte.
Un « Entrez ! » se fait entendre derrière le mur, puis j’entre.
— Bonjour, excusez-moi de vous déranger, est-ce que je pourrais savoir
dans quelle salle je suis… S’il vous plaît ?
Une femme d’une cinquantaine d’années se tient derrière son bureau,
mastiquant un chewing-gum. Elle lève la tête de son ordinateur et me toise
avant de taper quelque chose sur son clavier.
— Votre nom ? me demande-t-elle.
— Sierra Sanchez.
Elle s’arrête de mâcher son chewing-gum et lève les yeux vers moi.
— Un autre Sanchez ? Comme si un ne suffisait pas, marmonne-t-elle.
J’espère que vous n’êtes pas aussi insolente que votre frère.
Je rigole nerveusement.
Elle finit par m’indiquer ma salle de cours. J’articule des remerciements
et un au revoir avant de quitter la pièce.
Je me repère rapidement dans les couloirs et je ne mets pas longtemps
avant de trouver ma classe. Je ne vois personne devant la porte, signe qu’ils
sont déjà tous rentrés.

Très bonne impression pour le premier jour…

Je toque et entre, tête baissée.


— Bonjour, désolé du retard, monsieur…
— Ce n’est pas grave, mais tâchez d’être à l’heure la prochaine fois.
Pendant une heure et demie, le professeur nous explique le programme
de l’année et nous distribue des papiers à faire signer par nos parents. Petit à
petit, je vois les groupes se former et je reste dans mon coin, pas trop à
l’aise.
Allez, Sierra, ce n’est pas si compliqué que ça de se faire des amis. Si ?

Je soupire et finis par mettre ma tête entre mes bras.


— Bien, ce cours est terminé, on se revoit jeudi !
Je range mes affaires rapidement. Je n’ai qu’une hâte : retrouver mon
frère. Je ravale ma déception, de toute façon ce n’est que le début de
l’année, j’ai encore le temps pour me faire des amis. Je descends les
escaliers en tâchant de ne bousculer personne cette fois-ci.
Je cherche mon frère du regard. Il est grand, brun avec les cheveux qui
commencent à être sacrément longs d’ailleurs… Honnêtement, on ne se
ressemble que très peu. J’ai les cheveux plus foncés que lui, les yeux plus
clairs et surtout, je n’ai pas les cheveux bouclés comme lui. Esteos est la
copie conforme de ma mère et moi de mon père.
Je finis par le repérer au loin avec deux autres garçons. Mes pas me
mènent naturellement vers lui et ma main vient se poser sur son épaule.
— Esteos.
Il se retourne et son regard se détend en voyant que ce n’est que moi. Il
passe une main affectueuse sur ma tête avant de me ramener à côté de lui.
— Les mecs, je vous présente Sierra, ma sœur, et Sierra, voici Ben et
Dario.
— Salut, dit Ben à mon attention.
Le garçon est roux et pas très grand. Ses taches de rousseur adoucissent
son visage, plus pâle que la moyenne. Au premier abord, il semble être une
personne réservée, mais à y regarder de plus près, je dirais qu’il est assez
mignon.
— Eh, mais c’est toi la fille qui m’a bousculé ce matin !
Je me tourne vers le deuxième garçon nommé Dario qui affiche un
sourire ravageur.
Je sens mes joues devenir cramoisies, alors je détourne le regard.
— Vous vous connaissez ? demande Esteos.
— Pas vraiment… marmonné-je.
Dario est l’opposé de Ben. Il rattrape facilement mon frère niveau taille
et malgré ses joues remplies et rouges, sa mâchoire est tracée au fer. Sa tête
est ornée de cheveux noirs assez courts, mais d’un noir qui n’a rien de
naturel. Sûrement une coloration… Mais ce qui m’a clouée sur place, ce
sont ses yeux. De la glace. Un mélange de bleu et de gris tellement clair que
j’en viens à me demander s’il y voit vraiment quelque chose à travers ses
iris.
N’ayant pas été assez discrète durant ma contemplation, le garçon me
lance un clin d’œil.
— Bon, les mecs, je vous laisse. On y va Sierra ?
Je hoche la tête et emboîte le pas à mon frère. Je sens que cette année
risque d’être spéciale…
Au cours du trajet vers la maison, on échange nos impressions avec
Esteos concernant la rentrée. Il est content de sa classe tandis que moi… Je
ne sais pas.
— T’as pas perdu de temps toi, se moque-t-il. À peine arrivée que t’as
déjà failli te casser les os.
Je lève les yeux au ciel et le bouscule légèrement.
— Et toi alors ? T’as dû sacrément traumatiser la dame de
l’administration pour qu’elle ne veuille plus avoir de Sanchez dans son
établissement.
On rigole tous les deux, puis finissons le reste du chemin en silence.
Chapitre 5

Sierra, Jacksonville
Présent
— Sierra, je te présente Set, Camelia, Liam, Logan et Jayden ! Et tout le
monde, veuillez bien accueillir Sierra !
Allie ponctue ses paroles en pointant du doigt chaque personne. Ils me
saluent tous alors que je reste debout comme un piquet. Elle ne se doute
donc pas que je connais déjà deux de ces énergumènes.
Logan a lu dans mes pensées et précise :
— Jay et moi on la connaît déjà. C’est la frangine d’Esteos.
Je grimace. Il est vrai que je ne crie pas sur tous les toits que mon frère
est Esteos. Il a beaucoup de connaissances et surtout… des filles qui bavent
sur lui. Loin de moi l’idée de faire la médiatrice entre eux. Je fais
abstraction des regards surpris des autres et soupire avant de m’installer sur
le parquet pour compléter le cercle. Pas facile avec une robe… Je regarde
autour de moi et j’ai clairement l’impression qu’on va invoquer un démon
ou quelque chose dans le genre. Je suis assise entre Set et Allie. Je
commence finalement à comprendre à quoi on va jouer quand je remarque
la bouteille placée au centre du cercle humain.
— Bien, maintenant que tout le monde est là, que la vraie soirée
commence ! crie Liam.
— Comme vous pouvez le voir, il y a une bouteille. La bouteille
désignera quelqu’un et la personne devra choisir entre action et vérité. Si
elle ne veut pas faire l’action ou dire la vérité, elle boit, explique Allie.
— Allie… On joue à action ou vérité quoi, pouffe Camelia.
La jeune femme a l’air complètement ivre, son rouge à lèvres s’est
presque effacé et ses cheveux ont l’air humides. Quand elle remarque que je
la regarde, ses yeux me fusillent.

D’accord…

— Bien, c’est parti, hurle Liam avant de faire tourner la bouteille d’un
coup de main.
Je retiens mon souffle et un frisson parcourt mon épiderme à cause de
l’adrénaline. La lumière est tamisée, les respirations saccadées. Je sens le
poids des regards de mes deux connaissances sur mes épaules, je sais très
bien que tout ce qui se passera ce soir sera rapporté aux oreilles de mon
cher frère. Mais honnêtement, je ne veux pas m’en soucier… Pas ce soir.
La bouteille s’arrête sur Allie.
— Allie, action… ou vérité ? la questionne Logan.
— Action, répond-elle sans hésiter.
— Bien… Fais un suçon à Liam.
Mes yeux s’écarquillent malgré moi. Ah oui… Ça commence comme
ça. Allie sourit et s’avance vers Liam qui a l’air d’être ravi. Je rigole
nerveusement devant l’expression envieuse de Set. La brune commence à
aspirer la peau de Liam, sauvagement. Je ressens un frisson de gêne quand
le garçon empoigne la chevelure de celle-ci.
Tout le monde rigole alors que ma camarade de classe s’éloigne du cou
de Liam à présent marqué d’une trace rouge qui ne tardera pas à tourner au
pourpre. Je m’avance à mon tour vers la bouteille pour la faire tourner.
— Logan, action ou vérité ? demandé-je.
— Action, choisit-il.
— Roule une pelle à la personne qui te dégoûte le plus ici, intervient
Jayden, un sourire en coin.
Sa voix est plus enjouée que d’habitude, ce qui est presque inquiétant.
Son ami éclate de rire avant de prendre un shot.
— Tu ne gâcheras pas mes plans cul comme ça, mon pote ! grimace-t-il
en avalant son verre.
Les tours s’enchaînent. Je crois que j’ai tout vu durant ce jeu et pas que
des merveilles… Je ne me prononcerai pas sur le moment où Camelia a dû
enlever son soutien-gorge de sous sa robe. Mais j’ai presque failli rire
quand Allie nous a raconté la fois où elle a couché avec un mec qui s’est
trompé de trou. Liam a dû embrasser Set, on n’a même pas eu besoin de les
convaincre pour qu’ils le fassent. Set a aussi dû faire un strip-tease à Allie.
Ce qui me dérange probablement le plus dans ce jeu, c’est que tout
tourne autour du sexe, de l’alcool… Et encore du sexe. C’est d’ailleurs pour
ça que j’ai bu un shot qui m’a brûlé la gorge quand on m’a demandé
comment s’était déroulée ma première fois. Puis un deuxième, un
troisième…
Je ne sais pas quel alcool ils ont mis dans ces verres, mais je sens ma
tête tourner subitement.
Je tourne à nouveau la bouteille et elle s’arrête sur un corps recouvert de
tatouages. Je souffle, sentant l’odeur âcre de la boisson s’immiscer dans
mon palais.
— Action… ou vérité Jayden ? articulé-je.
Je ne sais pas si c’est l’alcool qui m’est monté à la tête ou moi qui n’ai
pas encore digéré comment il s’est adressé à moi la dernière fois, mais j’ai
une urgente envie de pourrir sa soirée. Et lorsque les syllabes formant son
prénom traversent mes lèvres, ses yeux se verrouillent aux miens, créant en
moi une sensation de chaleur désagréable. Ses pupilles se dilatent.
— Vérité, répond-il.
— Allez, mec ! Révèle-nous ton fantasme, rigole Set en tapant sur
l’épaule de Jayden.
Je sens Allie s’approcher de moi pour me chuchoter :
— Il te dévisage comme pas possible.
Je ne décroche pas mon regard du visage du brun alors que son
expression ne laisse rien paraître. Quand je baisse les yeux, il triture ses
bagues.
— Mon fantasme est… que vous alliez tous vous faire foutre ! finit-il
par révéler en avalant le liquide acide.
— Mec, t’es pas marrant ! crie Logan.
Tout le monde semble frustré. Mes oreilles bourdonnent. L’air devient
petit à petit étouffant à cause de la chaleur qui règne dans la pièce.
Ma gorge est devenue sèche, j’ai besoin d’un verre d’eau, mais en
regardant autour de moi, je ne vois rien qui ressemble à de l’eau. Je
rassemble mes cheveux pour me faire une queue-de-cheval haute. Ma
nuque est humide et je commence à avoir mal aux fesses sur ce sol.
— Une dernière partie et après on arrête, insiste Camelia.
Elle n’attend pas qu’on lui réponde et s’avance vers la bouteille pour la
faire tourner. Mon cœur tape fort dans ma poitrine quand la bouteille
s’arrête vers moi.
— Action ou vérité Sisi ? demande Camelia.
Je rigole à ce surnom qui sonne faussement affectueux dans sa bouche.
Il a fallu que la dernière partie soit pour moi…
— Action ?
Jusqu’à présent, je n’ai fait que choisir « vérité » et les autres m’ont
forcée à choisir « action » si j’étais de nouveau désignée.
— Embrasse Liam, lâche Set.
J’écarquille légèrement les yeux, mais je me force à me détendre. Ce
n’est qu’un baiser après tout…

N’est-ce pas ?

— On va s’arrêter là, rigole nerveusement Logan. Je pense que son frère


va nous tuer Jayden, Liam et moi, s’il est mis au courant de ça.
Je vais sûrement regretter mon action quand je vais dessoûler, mais voir
la peur dans les yeux de Logan ne fait qu’attiser mon envie d’enfreindre les
règles. Et il le remarque quand je m’avance doucement vers ma victime.
Ça remonte à plusieurs années la dernière fois que mes lèvres se sont
posées sur celles d’un garçon. Depuis lui en fait. Une bouffée de chaleur se
propage dans mon corps en remontant dans ma mémoire, reconstituant un
souvenir que je veux oublier.
Alors quoi de mieux que de remplacer ces souvenirs par de nouveaux,
aussi insignifiants soient-ils.
— On dirait que j’ai été gâtée par Dieu ce soir, siffle Liam en fixant mes
seins.
— Laisse Dieu en dehors de ça, débile, rétorqué-je.
Ce qui est bien avec ce genre de mec, c’est qu’il ne cherchera jamais
plus loin qu’un soir. Et ce soir je veux juste soulager mon esprit souillé.
Je passe lentement mes doigts sur sa mâchoire avant d’approcher son
visage du mien. Il n’attend pas et plaque ses lèvres sur les miennes. L’odeur
du tabac s’engouffre immédiatement dans mon palais alors que j’ai un
mouvement de recul. Il maintient ma tête d’une main dure. Sans que je m’y
attende, il attrape fermement mes cuisses et les place sur les siennes. C’est
seulement quand il essaye d’approfondir le baiser qu’on me tire
brusquement en arrière.
— Ça suffit, gronde la voix de Logan.
Je cligne plusieurs fois des yeux avant d’exploser de rire. Je pose une
main sur son épaule.
— Qu’est-ce que t’as ? Toi aussi tu veux que je t’embrasse ?
— Sans façon, ma belle. Maintenant on se tire, la fête est terminée pour
toi.
Il se lève en m’obligeant à en faire de même. Je cherche le regard
d’Allie qui n’intervient pas, trop bourrée. J’essaye de me défaire de la prise
de Logan, mais il resserre son emprise autour de mon bras et je n’ai d’autre
choix que de serrer les dents. Il va finir par me laisser une marque.
Sa marche est rapide et sans douceur. J’ai l’impression d’être un
vulgaire chiffon qu’on traîne au sol. Pour ne rien arranger, la musique
revient naturellement battre dans mes tympans, obscurcissant mes sens. La
chaleur est étouffante, j’ai envie de vomir.
— Lâche-moi, Logan ! hurlé-je pour qu’il m’entende à travers la
musique.
Il ne daigne même pas me regarder une seconde. Les larmes me
montent aux yeux. Je veux sortir. Il fait chaud. J’ai trop chaud. Mes pleurs
inondent à présent mes joues, peut-être à cause de sa poigne qui me fait mal
ou peut-être simplement parce que je suis pathétique.
Combien de verres ai-je fini par prendre ?
— Logan, laisse-moi putain !
Ma voix se brise à la fin de la phrase. Il se tourne et ses yeux se figent
en voyant les larmes sur mon visage. Comme si je l’avais brûlé, il lâche
finalement mon bras et regarde autour de lui.
Son regard se bloque sur Jayden derrière moi qui me regarde, les
sourcils froncés.
— Jay, ramène-la dehors. Je vais chercher Esteos, il ne me répond pas,
ce bouffon.
Jayden lui aussi se crispe, mais finit par acquiescer. Après un regard
entendu, son ami s’éloigne et se mélange à la foule.
— Mais ? Reviens, toi là-bas ! Pourquoi tu pars ?
Je cligne plusieurs fois des yeux pour sécher mes larmes et me tourne à
présent vers Jayden. Il me dévisage, presque moqueur, et je ne veux pas
imaginer l’état de ma tête. Après quelques secondes à rester figé comme
une statue, il soupire et me désigne la sortie d’un mouvement de tête. Je
croise les bras sur ma poitrine. Je ne me retourne pas pour voir s’il me suit
et trace ma route vers la porte.
Pourquoi est-ce qu’il respire, en fait ? Il ne peut pas ne pas respirer le
même air que moi. C’est trop demander ça aussi.
— Eh ! Sierra ! Attends-moi ! hurle Jayden alors que je sors de la
maison.
Une bourrasque d’air frais fouette mon visage et j’inspire
profondément, soulagée. Le bruit a considérablement diminué, mes oreilles
sont à présent calmées et mon cœur palpite moins fort. Je me permets de
jeter un coup d’œil derrière moi et souris, amusée en voyant Jayden en train
de parler avec quelqu’un. Enfin, c’est plutôt la personne qui parle et lui qui
essaye de regarder dehors par-dessus les gens.
Quand il croise mon regard, je lève la main et lui fais un gros doigt
d’honneur en articulant « va te faire foutre » avant de me retourner et de
marcher vers la route. Je termine, assise sur un banc à cause de mes talons
de merde. J’étire mes pieds en grimaçant, je vais avoir de sacrées ampoules
demain…
Le vent que je trouvais agréable il y a quelques minutes, me fait à
présent grelotter et je regrette de ne pas avoir pensé à prendre une veste. Les
soirées… Plus pour un moment.
Ma manière à moi de me détendre est bien différente de celle de mon
frère. Lui, ce sont les fêtes, moi, c’est ma chambre et mes livres. Et j’y
réfléchirai à deux fois la prochaine fois avant de venir à ce genre de soirée
où personne ne se connaît vraiment. J’entends déjà la voix de mon frère me
faire la morale en disant : « Je te l’avais dit ».
Je me lève pour repartir vers la maison, mais on me tire en arrière pour
la deuxième fois de la soirée.
— Mais t’es complètement malade ! hurlé-je en voyant Jayden.
— C’est toi qui es folle, ouais ! Tu restes assise sur un banc, en plein
milieu de la nuit, habillée comme ça ! Il aurait pu t’arriver n’importe quoi !
T’es bourrée, Sierra, est-ce que tu comprends ? Tu n’es pas consciente de
tes putain d’actes !
— Mais va te faire foutre ! C’est quoi le problème avec mes
vêtements ?
Je suis abasourdie par ses paroles.
Il passe une main sur ses yeux avant de reprendre :
— Je me suis mal exprimé. Ce ne sont pas tes vêtements qui posent un
problème, mais la mentalité des hommes dans cette baraque, souffle-t-il. Je
ne voulais pas dire ça…
Je ne réponds rien parce que je sais qu’il ne pensait pas à mal, pour
autant ce n’est pas une raison pour que je me couvre comme si je comptais
aller au ski.
— Laisse-moi tranquille… S’il te plaît.
— Non.
Une boule se noue dans ma gorge. Quand je lui parle calmement, il ne
m’écoute pas, quand je lui crie dessus, il ne m’écoute pas non plus.
— Tu ne veux vraiment pas comprendre hein ?
Sa mâchoire se contracte et il expire en se pinçant l’arête du nez. Il
marmonne des mots que je ne parviens pas à comprendre à cause du vent et
tape sur le clavier de son portable avant de coller l’écran sur son oreille.
— T’es où, bordel ? Ta sœur a pété les plombs, ramène-toi vite…
Ouais.
— Ne parle pas comme ça à mon frère, connard !
Il me fusille de son regard gris avant de raccrocher. Je reste silencieuse.
Tout m’insupporte chez lui. Sa voix, ses expressions faciales, son visage
et même ses yeux.
— Barre-toi maintenant.
— Pardon ? dit-il avant d’exploser d’un rire cynique.
L’écho de son rire résonne dans la nuit sombre de ce quartier chic. Je ne
vois pas ce qu’il y a de drôle, mais vu son regard assassin, je sais que c’est
ironique.
— Contrairement à toi, je respecte assez ma personne pour ne pas
laisser une jeune femme seule, la nuit. Et je te trouve bien culottée de
m’insulter alors que t’es pas mieux dans ton genre. Je ne sais pas ce que t’as
contre moi, mon cœur, mais tu te plantes le doigt dans l’œil si tu crois que
je vais te laisser m’échapper.
— Arrête avec ce surnom.
Pour seule réponse, un sourire en coin se dessine sur un côté de son
visage et il s’éloigne légèrement pour s’allumer une clope. Mon sang bout
dans mes veines. Je vais lui arracher ce sourire d’enfoiré. Il crache sa fumée
loin dans l’air, un air pensif sur le visage.
J’espère qu’il réfléchit aux cinquante façons que je vais utiliser pour le
torturer.
— Sierra !
J’aperçois au loin une silhouette familière, puis deux. Ce n’est pas dur
de les reconnaître, puisqu’il s’agit de mon frère accompagné de Logan.
Sans plus attendre, je cours vers eux pour sauter dans les bras d’Esteos. Son
odeur me rassure, malgré celle nauséeuse de l’alcool.
— T’es bourrée ? s’étonne-t-il.
— Ouais, elle est défoncée, affirme le tatoué derrière moi.
Je lui lance un regard noir pour l’avertir de ne pas continuer, mais tout
ce qu’il se contente de faire c’est de s’éloigner pour finir sa cigarette.
La soirée se termine avec Logan qui appelle Hunter pour qu’il nous
rejoigne à la voiture.
Non sans appréhension, je pose ma tête sur l’épaule de mon frère qui ne
me fait aucune remarque et je soupire, avant de fermer les yeux.

Esteos, Jacksonville
Présent
Dans la voiture, je sens la respiration de Sierra devenir régulière. Elle
s’est endormie.
Quand j’ai vu Logan arriver vers moi, le regard paniqué, j’ai craint le
pire. Je ne pourrais jamais me le pardonner s’il lui arrivait quelque chose…
Je ne veux pas que ce qu’il s’est passé il y a des années se reproduise…
Pire, que je ne puisse pas la sauver. Encore une fois.
Je soupire et ramène sa tête sur mes cuisses pour qu’elle soit plus à
l’aise. Elle n’a rien d’une fille fragile, seulement, les circonstances ont fait
qu’elle est devenue comme ça…
— Où est-ce que vous étiez ? demandé-je.
Seul le grondement du moteur me répond. Je regarde Logan et il passe
une main dans ses cheveux avant de dire :
— On a joué à action ou vérité dans la chambre d’Allie. Ce n’était pas
prévu qu’elle soit là, mais… elle était là, répète-t-il. Elle a roulé une pelle à
Liam.

Elle a quoi ?

— Liam… Liam ?
— Liam, Liam, confirme-t-il.
Je frotte mon menton d’une main ne sachant pas comment réagir. Est-ce
que je devrais défoncer Liam ou mes meilleurs potes ?
Liam n’est clairement pas un mec à fréquenter, il harcèle et obtient les
filles qu’il veut en les manipulant. C’est un vrai chien.
— Et vous ne vous êtes pas dit qu’il fallait l’arrêter ? questionné-je
ironiquement pour ne pas exploser.
— Si. On l’a arrêté avant que ça aille trop loin, rétorque Logan.
Hunter ne prononce pas un mot et nous regarde nous disputer. Je ne
m’énerve pas facilement, seulement… il ne faut pas toucher à Sierra. Tout
sauf elle. Le blond regarde dans le vide et je me demande si c’est parce
qu’il est torché ou parce qu’il ne veut pas participer à la conversation.
Je regarde Jayden qui est concentré sur la route. Une question me brûle
la gorge.
— Vous parliez de quoi tout à l’heure ?
Le concerné me lance un coup d’œil à travers le rétroviseur avant de
s’attarder sur ma sœur.
— Écoute, mec, commence-t-il, je commence vraiment à perdre
patience avec elle… Je ne comprends pas son comportement. Je t’ai déjà
demandé mille et une fois, pourquoi… Pourquoi est-ce qu’elle me méprise
à ce point. Tu ne m’as jamais répondu. Alors n’attends pas de moi que je
garde le silence avec elle. Elle ne me connaît même pas, merde !
Il est complètement légitime de réagir comme ça, c’est la goutte de trop.
Moi aussi j’ai essayé de faire comprendre à Sierra que ce n’était pas
lui… Mais c’est plus que physique… C’est psychologique. Elle n’y arrive
pas. Et comment lui en vouloir ? Comment lui dire de ne pas avoir peur
alors que tout était de ma faute ? Comment lui dire de ne pas avoir peur
alors qu’il est son portrait craché ?
La voiture s’arrête devant chez moi. Je ne bouge pas pendant plusieurs
secondes… Je ne me sens pas bien, je suis épuisé.
— Restez à la maison ce soir, demandé-je. S’il vous plaît…
C’est ma manière à moi de me ressourcer. Mes frères, c’est eux mon
bonheur.
Logan entre dans la maison en tenant la porte pour que je puisse entrer à
mon tour avec Sierra dans les bras. Je monte rapidement à l’étage avant de
m’engouffrer dans sa chambre. Je la dépose doucement sur son lit et rabat la
couverture sur son corps. Je m’assois doucement sur le bord et l’observe.
J’aimerais tellement que tout redevienne comme avant…
— Je t’aime, chuchoté-je avant de quitter sa chambre.
Chapitre 6

Sierra, Jacksonville
Présent
Ce ne sont pas les rayons du soleil qui m’ont réveillée, mais l’heure
affichée sur l’écran de mon portable. Je saute de mon lit, mais me résigne
avec une main sur le crâne. Je grimace quand ma tête se met à tourner
violemment. Je me souviens encore très clairement de la soirée d’hier et de
mon comportement, plus que honteux.
Face à mon lit, mon miroir me renvoie mon reflet atroce. Mon
maquillage de la veille n’est plus qu’une bouillie de fard noir autour de mes
yeux et, avec cette tignasse, je passe sans problème pour un caniche.
Je vois sur ma table de chevet un cachet d’aspirine accompagné d’un
verre d’eau que je prends en un temps record. Merci Esteos.
Je me dirige à pas de course dans la salle de bains. Mon prochain cours
commence dans vingt minutes, je ne vais jamais arriver à l’heure. Une fois
lavée, je ne prends même pas le temps de me sécher les cheveux et me
précipite dans les escaliers, sac et téléphone à la main. Dieu merci, je ne
trébuche pas.
— Qu’est-ce que vous faites ici vous ? Esteos, j’ai cours, bouge-toi, je
suis super en retard !
Tous les garçons me regardent, perplexes, bol de céréales à la main. Je
bouge ma tête pour demander à mon frère ce qu’il attend et il hausse un
sourcil, la bouche pleine.
— Sierra… Ton lycée est fermé aujourd’hui… Tu sais, comme tous les
ans à cette date.
— Quoi ?
Je regarde la date. Putain, on est le 9 octobre… Ça ne fait que deux ans
qu’on est là, alors ça me sort toujours de la tête.
— Tu ne croyais tout de même pas que j’allais te laisser aller à une
soirée sachant que tu aurais cours le lendemain, se moque-t-il, allez, viens
là.
Mon corps se détend instantanément et je lâche mon sac à côté de la
porte en soufflant. Je pars m’asseoir aux côtés de mon frère qui vient
rapidement m’enlacer. Je ne prête pas attention aux autres garçons, encore
moins à Jayden, parce que je sais que je suis allée trop loin hier… J’ai honte
de mon comportement et encore plus de me retrouver face à lui, ce matin.
— Qu’est-ce que tu as fait hier, Sierra ? me questionne mon frère, un
peu trop calmement.
Je n’ai pas besoin de les regarder pour déduire qu’ils m’ont balancée.
Les bâtards.
— Je m’en souviens plus.
Je tiens un minimum à ma vie donc bien sûr que je mens.
Il hoche la tête et je me lève du canapé pour partir m’enfermer dans ma
chambre. Je passe le reste de l’heure à lire. Je caresse les pages de mes
doigts et je souris en voyant l’état de mon livre. Je l’ai lu tellement de fois
que les bords de la couverture commencent à se corner et les pages à jaunir.
Mon sourire se fane quand je repense à la soirée d’hier… J’aurais très
bien pu rester dans ma chambre, comme tous les soirs, et lire jusqu’à
tomber de sommeil. Je n’aime pas boire, ça me fait perdre le contrôle de
mon corps et, pire encore, ça me fait dire des choses horribles… En
ressassant les souvenirs de la veille, j’ai l’impression de retourner deux ans
en arrière.
Le brouhaha des garçons se calme petit à petit et je me demande si un
jour je pourrai parler avec eux sans être aussi désagréable… J’en doute
honnêtement. Ils m’insupportent, c’est plus fort que moi.
Trois coups résonnent à ma porte, puis la poignée s’enclenche pour
laisser apparaître mon frère. Il entre et vient s’asseoir près de moi.
— Vu que tu n’as pas cours aujourd’hui, j’ai pensé qu’on pourrait
passer la journée ensemble… Aller au ciné, manger dans un bon restau ce
soir, ça te dit ?
Mes yeux s’illuminent à sa proposition plus que tentante, le sourire sur
mon visage est tellement communicatif qu’il rigole tandis que je lui saute
dans les bras.
Je ne me souviens plus quand était la dernière fois que j’ai eu mon frère
rien que pour moi. Avant, on avait l’habitude de consacrer au moins une
journée par mois rien que pour nous afin de faire des activités… Mais
depuis qu’on a déménagé, cette habitude est elle aussi restée en Italie.
— Les garçons sont en train de cuisiner, on mange avant de sortir,
d’accord ? me demande-t-il en me rendant mon étreinte.
Je hoche la tête et rigole doucement.
Chapitre 7

Sierra, Jacksonville
Présent
La journée avec mon frère était incroyable. Nous sommes allés au
cinéma, dans des librairies et nous avons fini la journée dans un restaurant
dans lequel j’ai mangé pour quatre. Cela faisait tellement longtemps que je
n’avais pas passé une journée si douce, sans prise de tête. Le retour à la
réalité est d’autant plus brutal.
Je suis en cours d’histoire avec Allie pour voisine. Je n’ai pas eu de
nouvelles d’elle depuis la soirée jusqu’à ce que j’arrive au lycée et que
j’apprenne qu’elle avait fait un black-out tant elle avait bu. Je la regarde,
elle aussi à moitié avachie sur la table, les yeux cernés et fatigués.
Les profs nous mettent la pression concernant les examens à venir. Je
repense à ma moyenne qui chute à vue d’œil et essaye de me rassurer en me
disant que je vais y arriver. Je remercie les matières littéraires d’exister, car
c’est mon seul moyen de revenir à une moyenne convenable.
Une fois le cours terminé, j’accepte de manger avec Allie à la cafétéria
et on part s’asseoir au fond du réfectoire.
— Tu sais ce que tu veux faire après le lycée ?
Quand ma camarade de classe me pose la question, la réponse est
évidente pour moi. J’ai toujours été passionnée par le comportement
humain. Ce besoin d’aider les gens, d’être à leur écoute et de suivre leur
progression, c’est quelque chose qui me fascine. Et pourtant, c’est assez
paradoxal pour une personne comme moi.
— Je voudrais faire des études en psychologie, dis-je.
Comme l’adage le dit, les personnes ayant vécu des traumatismes sont
celles qui comprennent le mieux les traumatisés.
Durant le reste du repas, nous échangeons des banalités jusqu’au
moment de débarrasser nos plateaux. Ça m’a fait du bien de manger en
compagnie de quelqu’un au lycée. On finit par se séparer et je sors de la
cafétéria pour me diriger vers les casiers afin d’y prendre les manuels de
mes prochains cours. Lorsque j’ouvre celui-ci, il y a une enveloppe qui
m’attend au-dessus de mes cours.
Je m’empresse de l’ouvrir.
Je grimace en voyant qu’il a préféré ne pas répondre à ma question.
En me rendant vers mon prochain cours, je réfléchis à savoir si c’est
vraiment une bonne idée de lui donner ce qu’il veut. Je peux moi aussi
esquiver sa question… Ou bien je pourrais mentir et lui donner une
description biaisée de moi.
J’essaie de mettre de côté ce mot et, arrivée en cours, je suis tant bien
que mal les explications de l’enseignant.

« Je n’ai pas grand-chose à dire sur moi mis à part que j’aime la lecture. C’est ma
manière d’échapper à mes démons. Je viens d’Italie. Mes yeux peuvent paraître sombres,
mais il suffit de les apprivoiser pour y déceler du vert. Et c’est tout ce que tu auras pour
assouvir ta curiosité :)
— Moon. »

Je relis ma lettre pour la centième fois. Les informations que j’ai


données sur moi sont aléatoires et justement j’espère que ça le perturbera
plus qu’autre chose. Il y a des centaines de lecteurs dans cet établissement,
des dizaines d’Italiens et des centaines de personnes aux yeux noisette
comme les miens.
Je ne réfléchis pas à deux fois et appuie sur « Envoyer » pour laisser le
reste du travail à l’administration.
Pendant que je me dirige vers mon dernier cours, je reçois un appel de
mon frère. Ce qui ne me rassure pas puisqu’il ne prend jamais la peine de
m’appeler, sauf en cas d’extrême urgence.
— Allo ? Sierra ?
— Un problème ?
— Salut sœurette, moi aussi je vais super bien ! C’est un plaisir
d’entendre ta voix, se moque-t-il.
— Excuse-moi… Pourquoi tu m’appelles ?
Un long silence s’ensuit. J’entends derrière lui des fragments de voix
puis un raclement de gorge. Je reconnais la voix de Logan et Hunter.
Je me sens légèrement irritée.

Ils n’ont pas de toit ou quoi ?

— J’ai un petit imprévu et je ne pourrai pas passer te prendre au lycée,


donc… tu rentreras avec Jayden.

Pardon ?

Je commence à rire comme une hystérique dans le couloir, ce qui attire


les regards désapprobateurs de certains. En vérité, je ris pour cacher
l’angoisse qui monte en flèche dans ma poitrine.
— Et je peux savoir quel est cet imprévu ?
— Je dois sortir récupérer des affaires pour le match à venir et, le temps
de faire le trajet, je ne serai jamais à l’heure pour venir te récupérer.
— Je peux rentrer seule… dis-je avec une voix qui se fait plus
suppliante que je ne le voudrais.
— Sierra… S’il te plaît…
J’inspire difficilement. Je ne suis plus une gamine, déjà que j’accepte
qu’il fasse mon chauffeur tous les jours…
— Non. Je ne veux même pas discuter de ce sujet. Arrête de faire
semblant de ne pas comprendre… Je rentrerai seule, finis-je par dire.
Je raccroche avant même qu’il ait le temps de répondre et range mon
portable dans ma poche arrière pour ignorer ses messages. Je déteste qu’il
pense que je dois constamment être surveillée. Je suis assez grande pour
sortir seule, rentrer seule et penser seule.
Je ne me forcerai jamais à faire quelque chose contre mon gré et je n’ai
aucune envie de rentrer avec Jayden.
Pendant le cours, je reçois pas mal de messages de la part de mon frère
qui me demande de ne pas rentrer seule, car on ne sait pas ce qui peut
arriver.
À la fin du cours, je remarque Jayden qui m’attend devant la salle.
Bordel…
Je prends tout mon temps pour ranger mes affaires quand je vois
plusieurs personnes de la classe le saluer et discuter avec lui. Je fais
abstraction de ces papotages et en profite même pour sortir de la salle en
l’ignorant royalement. J’entends qu’il soupire quand je le dépasse pour
tracer vers la sortie.
— Désolé, je vais devoir vous laisser, j’ai une gamine à gérer, dit-il.

Gamine ?

Je lève les yeux au ciel et continue mon chemin, seule. Il est comme lui,
pensé-je. Il essaye juste de m’attirer dans ses filets… Il va me causer des
ennuis. Je ne veux pas me retrouver dans la même situation qu’il y a deux
ans. Plus jamais…
Ma conscience me dit que je suis parano et que je ne connais pas
Jayden. Pourtant, c’est plus fort que moi. Ma méfiance envers les hommes a
toujours été présente, mais avec lui, elle atteint son apogée. Tout ça à cause
de ce fichu visage, de ce regard…
Je sors du lycée et il me suit, comme un vautour. Je vois sa moto au loin
et l’air de rien, je la contourne sans même vaciller. Je jette tout de même un
coup d’œil derrière moi et avec étonnement, je vois qu’il se dirige
simplement vers son engin sans me poursuivre.

Ce n’était pas compliqué finalement.


Je commence à marcher dans les rues de Jacksonville en enfilant mes
écouteurs. Je n’ai le temps de marcher qu’une dizaine de mètres que le son
d’un vrombissement interrompt ma musique. Pensant d’abord qu’il
s’éloigne, le bruit se fait de plus en plus proche.
Je sursaute et laisse échapper un couinement de stupeur quand Jayden
freine juste devant moi.
— Mais t’as vraiment un souci, ma parole ! hurlé-je.
Il enlève son casque et me le tend sans relever ce que je viens de dire. Je
fronce les sourcils et décide de secouer la tête en signe de négation.
— Tu peux rentrer sans moi… Vraiment. T’es pas obligé d’écouter mon
frère comme un esclave, tu sais ? Et puis… Crois-moi, je ne monterai
jamais sur ce truc, dis-je en essayant de contrôler ma voix.
Sa mâchoire se contracte quand je lui dis qu’il écoute mon frère comme
un petit chiot. Il descend de sa moto puis commence à marcher vers moi,
calmement.
Mon regard s’assombrit et mon réflexe est de marcher à reculons. Je
déglutis, sentant la peur me gagner.
— Tu ferais mieux de monter, Sierra.
Son ton froid résonne dans la rue vide.
— Non…
Mes jambes reculent instinctivement. Par manque d’attention, je
manque de trébucher sur une racine. Je me rattrape rapidement sur une autre
branche. Il continue de s’approcher jusqu’à être à seulement quelques
centimètres de moi.
— Je pense sincèrement, commence-t-il, que tu es stupide de vouloir
rentrer seule dans ces conditions.
Ma respiration se bloque. J’ouvre la bouche pour inspirer tant bien que
mal, mais la peur m’envahit soudainement.
Cette sensation me rappelle des souvenirs que je préférerais oublier.
Respire…
Son odeur m’enveloppe à mesure que le temps s’écoule. Ses iris de
glace brillent aussi fort que la Lune dans le ciel. Ma respiration est saccadée
et mes tremblements prennent le dessus.
— Laisse-moi tranquille… S’il te plaît, lui demandé-je d’une voix un
peu trop suppliante.
Il remarque sûrement mon malaise, mais ne s’arrête pas. Il est intrigué,
je le vois à son expression. Il ne comprend pas pourquoi je réagis comme
ça… Je ne me comprends pas. Il est trop près…
— Est-ce que tu as peur, Sierra ? Est-ce que tu as peur… de moi ?
Sans pouvoir le retenir, un sanglot s’échappe de ma gorge, étouffé en
même temps que ma main gifle sa joue. Sa tête se tourne sur le côté et je
vois ses yeux s’écarquiller.

Oh merde…

Prise de panique, je ramène ma main sur ma poitrine et serre les poings.


— Je suis désolée… Je suis désolée… J’ai paniqué… Je suis désolée.
Il ferme les yeux et se mord l’intérieur des joues en inspirant fortement.
Après quelques secondes, il lève les yeux vers moi tandis que mes
larmes coulent silencieusement.

Je suis stupide, stupide, stupide…

— Sierra… On y va.
Sa mâchoire est prête à exploser tant elle est contractée. J’obéis en
pleurant et monte sur la moto. Il me donne le casque que j’essaye d’enfiler.
Je n’y arrive pas, mes mains tremblent, je vais faire une nouvelle crise.
Il le remarque et attrape le casque, qu’il met sur ma tête puis qu’il
attache correctement.
— Ce n’est pas trop serré ?
Je n’ai pas le courage de répondre et hoche simplement la tête.
Le voyage se fait dans un lourd silence… que ma conscience martèle de
sombres pensées.
Une fois devant la porte, j’ouvre et je me retrouve face à Esteos et ses
amis. Mon frère se tourne vers nous avec un sourire qui se fane aussitôt
qu’il voit mes joues couvertes de larmes et celles, rouges, de Jayden. Il
fronce les sourcils en nous jetant un regard interrogateur. Mes larmes
remontent soudainement. J’ai honte.
— Que s’est-il passé ? demande-t-il.
N’entendant pas de réponse, il s’avance et pose une main sur le bras de
son meilleur ami.
— Lâche-moi ! crache Jayden en se dégageant de la prise de mon frère.
— Il n’a rien fait, admis-je, c’est moi qui l’ai giflé.
Mon frère nous regarde tour à tour avant que ses épaules ne s’affaissent
et qu’il s’avance vers moi dans le but de m’étreindre… Mais je le repousse.
— Je t’avais dit non.
Sur ces mots, je pars m’enfermer dans ma chambre sans même adresser
un regard aux autres garçons dans le salon.
C’est quoi mon problème ? Jayden ne m’a rien fait, pourtant, je ne peux
pas voir autre chose que ce visage qui me rappelle le sien. Quand il s’est
approché de moi… J’ai senti mon corps se tétaniser. Chaque fragment de
ma mémoire persiste pour me souvenir de m’éloigner de Jayden. Pourtant,
quand je le regarde… Quand je croise son regard froid, il ne reflète aucune
agressivité. Obnubilée par mes pensées, je n’entends même pas qu’on toque
à ma porte.
— Salut.
— Hunter…
— Je peux ? demande-t-il doucement.
Je hoche la tête et il entre dans ma chambre, refermant la porte derrière
lui.
— Je ne sais pas ce qu’il s’est passé et je ne veux pas le savoir, mais
Esteos n’est pas bien…
Je rigole nerveusement. Et moi je suis bien là peut-être ?
— C’est lui qui t’a envoyé ?
Il secoue négativement la tête et s’approche de moi pour essuyer mes
larmes.
— Et Jayden ? demandé-je.
— Il est sorti fumer. Il n’a pas prononcé un mot depuis que vous êtes
rentrés.
Je hoche la tête et j’entends la voix de ma mère en bas. Elle vient de
rentrer à la maison.
Je lève la tête vers Hunter.
— Pas un mot à ma mère, d’accord ?
Il hoche la tête et on sort tous les deux de la chambre pour aller la voir.
Je tapote mes joues pour leur donner meilleure allure et frotte mes yeux
pour sécher les dernières larmes.
— Oh, bonsoir, tout le monde est là ? demande ma mère.
Je l’enlace tendrement avant de hocher la tête et de plaquer un bisou sur
chacune de ses joues. Elle répond à mon étreinte.
— Bien, je vais tout de suite m’attaquer au dîner dans ce cas.
— Je viens vous aider, répond Hunter.
— Moi aussi ! ajoute Logan.
Elle salue tout le monde et part directement dans la cuisine, suivie de
Logan et Hunter.
Je décide d’aller voir mon frère qui est dans le jardin avec Jayden.
— Esteos ?
J’avance vers les deux garçons.
En me voyant arriver, ils écrasent leurs cigarettes à l’unisson. Je souris
légèrement, mon frère sait à quel point je déteste l’odeur du tabac.
— Je vais vous laisser, s’élève la voix de Jayden.
Je panique et attrape son bras avant de le relâcher. Mon corps a agi
avant mon cerveau.
— Attends… Je tiens à m’excuser. Je suis sincèrement désolée, je suis
allée trop loin.
Je vois la surprise se dessiner sur son visage puis il se détend et hoche la
tête avant de regagner la maison.
— Sierra… commence Esteos.
— Moi d’abord, le coupé-je. Je suis désolée… Je ne voulais pas me
montrer froide. Mais je t’en veux de m’avoir forcée à rentrer à la maison en
sa compagnie. Tu n’avais pas le droit de m’obliger à faire face à mes
problèmes de cette manière. Tu n’en as pas le droit, terminé-je, les larmes
pointant sur mes cils.
Il s’approche de moi pour m’entourer de ses bras forts. J’inspire son
odeur pour me rassurer et me serre contre lui.
— Je suis désolé…
J’ai de la chance de l’avoir comme frère… J’en ai conscience. Et c’est
bien pour ça que je déteste être énervée contre lui.
Chapitre 8

Sierra, Jacksonville
Présent
Il est trois heures du matin quand je pose mon livre. La maison est
plongée dans le noir, ce qui peut paraître effrayant, mais j’ai l’habitude de
me coucher bien plus tard que le reste de la famille. Je ne suis pas du tout
productive le reste de la journée, va savoir pourquoi… Mes yeux brûlent et
commencent à se fermer tout seuls.
Quand je prends mon portable, je remarque que j’ai reçu plusieurs
messages privés sur les réseaux. Tous de la part d’Allie.

T’es dispo ce soir ?

Sierraaaaaaa ?

Viens chez moi, c’est le feu !


Je lui réponds tardivement en m’excusant et l’informe que je ne
viendrai pas à sa fête. Je soupire en passant une main sur mon visage.
Quelques minutes plus tard, mon portable vibre avec insistance,
m’informant que quelqu’un est en train de m’appeler. Je suis d’abord
surprise, puis j’accepte l’appel entrant, veillant à désactiver ma caméra. Elle
fait de même.
— Allô ? chuchoté-je.
— OUAIS !
Je grince des dents en éloignant mon téléphone loin de mon tympan. Le
volume sonore de l’appareil n’est pas du tout fort, mais j’entends très bien
la musique en bruit de fond.
— T’es sûre que ça va ? demandé-je légèrement inquiète.
— Mais oui ! Bon, je voulais juste savoir… T’es certaine de ne pas
vouloir venir ?
— Vraiment sans moi… Désolée.
Un blanc s’installe pendant quelques instants.
— Allie ?
— Bon… D’accord ! … Je dois te laisser ! Salut !
Un rire nasal lui échappe, ce qui me fait penser qu’elle est
accompagnée.
— Salut…
Je n’ai pas le temps de terminer ma phrase qu’elle me raccroche au nez.
Je me mords la lèvre en me demandant si elle va bien… La dernière fois
qu’elle a bu, elle a fini par faire un black-out. Je gémis en tombant à plat
ventre dans mon lit.
J’ai faim.
Il ne me faut pas plus de deux minutes pour attraper mon portable,
allumer le flash, descendre les escaliers à pas de loup et me diriger vers la
cuisine où, une fois arrivée, j’ouvre en grand le frigo. Un léger froid
m’envahit, tout comme ma déception face au contenu vide de celui-ci.
Je finis donc par prendre une pomme dans la corbeille à fruits.
J’envoie un message à Esteos en lui demandant s’il dort, mais son
absence de réponse confirme mon soupçon.
Je me résigne à remonter dans ma chambre. Je croque dans ma pomme,
mes pieds se posant sur le sol le plus doucement possible.
Arrivée à l’étage, des bruits de respiration me figent sur place. Je
m’immobilise pour m’assurer que ces bruits ne viennent pas de moi. Je
tends l’oreille et constate que le son provient de la salle de bains.
La respiration en question est saccadée, comme si la personne avait du
mal à respirer.
Je m’avance vers la porte et toque deux coups.
— Tout va bien ?
Aucun bruit. Même le son a cessé. Quelque chose tombe de l’autre côté,
éveillant ma panique. Je baisse la poignée de porte et ouvre.
— Est-ce que ça…
Je m’arrête. Putain…
Il se tient là, debout, les bras sur le lavabo, complètement affolé. Son
visage est pâle et sans émotion. Je baisse le regard sur ses mains qui, malgré
sa tentative de les cacher, tremblent d’une façon anormale. En levant le
regard sur moi, il sursaute comme s’il était dans un état second.
Jayden.
— Tu entres souvent comme ça dans les salles de bains ?
Son ton n’est pas froid… Il semble irrité. Je déglutis, ne sachant pas
quoi faire. Devrais-je appeler mon frère ? Voyant que je ne bouge pas, il
passe une main tremblante sur sa bouche et souffle d’agacement avant de
me dépasser. Le temps de reculer de quelques pas, la porte se referme dans
mon dos.

Qu’est-ce qu’il vient de se passer ?


J’éteins la lumière de la salle de bains et regagne à mon tour ma
chambre, tout en me posant de sérieuses questions. C’est la première fois
que je le vois dans un état pareil… En réalité, maintenant que j’y pense, il
ne montre jamais ses sentiments. Stoïque, son expression est toujours
neutre. Ses yeux percent à jour chaque secret, mais ne révèle rien de lui.
Sauf ce soir… J’ai vu la peur qui l’animait… Mes sourcils se froncent
d’incompréhension. J’en viendrais presque à m’inquiéter…
Je secoue la tête.
Ça ne me regarde pas.
Ce qui m’effraie le plus la nuit, c’est de réfléchir à tout et n’importe
quoi.
Son teint est plus pâle que le sien. Ses cheveux plus longs, plus
désordonnés… Je ferme les yeux et essaye de m’empêcher de me faire
autant de mal. Ses épaules sont plus carrées, sa taille plus imposante.
Contrairement au sien, son visage ne laisse paraître que froideur et distance.
Mais ils sont identiques. Des joues creusées, une mâchoire marquée. Et
surtout… Ce regard. Ce même regard qui mélange l’eau et la glace dans
leurs iris. Ce regard qui m’a charmée autrefois.

J’ouvre les yeux, le regard tourné vers le plafond. Encore ce même


cauchemar… J’inspire profondément. L’horloge m’indique sept heures
trente-sept. La bouche pâteuse et les joues humides, je sors de mon lit pour
regarder mon reflet à travers le miroir. Je m’attache les cheveux et me rends
dans ma salle de bains pour me rafraîchir le visage.
Après un instant d’hésitation, je me rends discrètement dans la chambre
voisine, celle de mon frère. La porte grince et me laisse voir tous les
garçons étalés par terre sur des matelas. J’enjambe leurs corps jusqu’à
atteindre celui d’Esteos.
— Eh… Este, chuchoté-je en le secouant avec mon pied.
— Hmm… Dégage Logan, grogne-t-il.
Je lève les yeux au ciel, me baisse et à l’aide de mes mains, je bouche
son nez et ses lèvres entrouvertes. Manquant d’oxygène, il se réveille en
sursaut.
— Putain ! C’est quoi ton…
Je plaque ma main contre sa bouche pour qu’il ne réveille pas les autres.
Il est peut-être bientôt huit heures, mais dehors, le ciel est encore sombre.
— Sierra, s’étonne-t-il.
Il finit par se redresser et s’étirer.
— Désolée… J’ai fait un cauchemar…
Je ne suis pas gênée de lui faire une demande silencieuse tout
simplement parce que c’est devenu une habitude que j’ai peur de lâcher.
Esteos est la personne que je cherche à chaque fois que je passe des nuits
comme celle-ci.
— On va dans ta chambre, c’est mieux, me rassure-t-il.
Je hoche la tête et il me suit dans ma chambre. Je m’allonge sur le
matelas et il ne tarde pas à venir s’asseoir à mes côtés. Sa main vient se
poser sur ma tête. Les larmes me montent aux yeux.
Je ne sais pas comment le remercier pour tout ce qu’il fait pour moi…
— C’était quoi ? me demande-t-il.
Je ne réponds pas. Il soupire tout en jouant avec mes cheveux. Et je sais
qu’il est resté jusqu’à ce que je finisse par me rendormir.

— Alors là ! Supprime-moi ça tout de suite ! ESTEOS !


— Jamais, rigole-t-il en sautant par-dessus le canapé.
J’essaie de suivre sa cadence, mais moi et l’endurance, ça fait mille. Il
court pour aller montrer la photo à Hunter. Je crie de désespoir quand ce
dernier rigole en voyant l’image de moi bébé que maman vient d’envoyer
depuis son travail. Il fallait que ce soit à mon frère qu’elle l’envoie.
— Rigole pas !
— T’étais… mignonne, me charrie le blond.
J’attrape le téléphone de mon frère et supprime la photo pendant qu’il
continue de rire à pleins poumons. Je le bouscule en riant à mon tour.
— Tu veux jouer à ça ? Bien… On verra ce que penseront les garçons
de ta photo au Castello Doria, le menacé-je.
Son rire s’éteint, accentuant le mien. Il ouvre la bouche, trahi, pendant
que je me mets à courir dans le sens opposé. Je l’entends m’appeler, mais je
continue ma course dans le but d’aller récupérer mon portable dans ma
chambre. Mais mon sportif de frère est bien plus rapide et avant même que
je puisse atteindre la porte de ma chambre, il m’attrape et commence à me
chatouiller.
— Non ! Esteos !
Nous rions à l’unisson. Je reprends mon souffle, les muscles des joues
endoloris. On finit tous les deux par descendre au salon et je m’installe sur
le canapé pour mettre ma série.
— Hep hep hep ! Désolé ma belle, mais aujourd’hui c’est pour nous la
télé, m’interrompt Logan.
Je cligne plusieurs fois des yeux pour être sûre que je ne rêve pas.
— Non, répondis-je en lançant ma série.
Je l’ignore royalement pendant plusieurs minutes, mais il en décide
autrement en m’arrachant la télécommande des mains.
Mais c’est une blague ?
— Rends-moi ça, dis-je calmement.
— Non.
— T’es vraiment culotté. Je suis chez moi, je te signale, toi non, jusqu’à
preuve du contraire.
Il m’ignore à son tour. Je lui lance un coussin dessus, mais il ne réagit
pas. Expire, Sierra… Expire. Je me lève pour me rendre à la cuisine afin de
me prendre quelque chose à grignoter, mais là aussi c’est une mauvaise
idée.
Esteos, Jayden et Hunter sont en pleine discussion. Comme s’il avait
senti ma présence, le regard glacial de Jayden se tourne vers moi. Je me
retourne instantanément pour repartir au salon.
Puis je m’arrête.
J’ai une soudaine envie de sortir et de ne plus voir leurs têtes. D’être
seule. Parfois, il faut savoir apprécier sa propre compagnie… Parce que
comment aimer autrui si votre propre personne vous pose problème ? Je
marche donc de nouveau vers la cuisine. Les garçons me voient arriver et se
taisent tous.
— Je vais sortir, formulé-je.
— D’accord… Tu as besoin que je t’accompagne ? demande mon frère.
— Non, t’en fais pas, j’ai besoin d’être un peu seule.
Pour une fois, il n’insiste pas et hoche la tête. Je repars donc dans ma
chambre pour me préparer. Je grelotte déjà à la maison alors je n’imagine
pas la température dehors…
Une fois prête, je vérifie que je n’ai rien oublié et descends pour dire au
revoir aux autres.
— J’y vais !
— Attends !
Esteos arrive en trottinant. Il me plaque un bisou sur le haut de la tête.
Je souris, mais lève les yeux au ciel. Plus niais ça n’existe pas, je crois.
— Fais attention, s’il te plaît… Et tiens.
Sans que je m’y attende, il me tend un billet de cinquante dollars. Je
repousse sa main en riant.
— J’ai de l’argent de poche tu sais, le taquiné-je.
Il claque sa langue contre son palais. Il prend ma main et enfonce le
billet dans ma paume.
— Achète-toi quelque chose si l’envie te prend, d’accord ?
Je hoche la tête, souriante. Je sors en le saluant d’un signe de la main et
une fois dans la voiture, j’allume le contact.
Chapitre 9

Sierra, Italie
Passé
Ma vie n’a jamais été aussi bien depuis que je suis au lycée. Là-bas, ça
change. Tout change. Les fréquentations, le style, la façon de parler, les
cours. J’ai même commencé à légèrement me maquiller.
Quatre mois se sont écoulés depuis la rentrée. C’est l’anniversaire de
Dario. Mon frère et moi sommes invités à sa fête. De plus, ça va être ma
première soirée.
Petit à petit, je me suis rapprochée de Dario. C’est le meilleur ami de
mon frère, mais… je ne peux pas cacher mon attirance pour lui. Esteos n’a
pas l’air de le remarquer et si c’est le cas, il ne s’en plaint pas.
Une fois que la sonnerie annonce la fin des cours, je range mes affaires
à la hâte et souris en voyant Dario m’attendre devant la classe. Il est vêtu de
son éternelle veste et de son sourire en coin.
— Salut…
Il se baisse légèrement pour déposer un baiser sur ma joue droite.
J’écarquille les yeux. Le rouge me monte aux joues très rapidement et il a
l’air de le remarquer vu le sourire qu’il affiche.
— Mon frère n’est pas avec toi ?
Je jette des coups d’œil autour de moi.
— Non, il a préféré rester en charmante compagnie, si tu vois ce que je
veux dire, rigole-t-il.
Je lève les yeux au ciel. J’ai très vite compris que mon frère ne passait
pas inaperçu dans l’enceinte de ce lycée. Tout mon contraire.
Les filles sont à ses pieds. Il ne dit rien, mais je sais que souvent ça le
met mal à l’aise. Il n’aime pas être entouré de monde et encore moins être
traité de connard quand il met des râteaux. Alors il fait de son mieux.
Au moment de sortir du bâtiment, je grimace en voyant la pluie.
— Ça te dit qu’on aille manger un bout ?
— C’est un rendez-vous ?
Il enfonce ses mains dans ses poches et sourit. Il a un très beau sourire.
Je hausse un sourcil pour l’inciter à répondre à ma question. Il se baisse une
nouvelle fois pour être à mon niveau.
— Prends-le comme tu veux… Allez, viens !
— Mais il pleut !
— On s’en fiche, répond-il.
Sa paume se colle à la mienne et il me tire dehors. On commence à
courir en riant de bon cœur. J’ai opté pour une simple veste aujourd’hui ce
qui a pour conséquence que la pluie me trempe totalement en l’espace de
quelques secondes. Malgré le froid ambiant, la main de Dario réchauffe la
mienne. Je manque de glisser à plusieurs reprises, mais jamais il ne me
lâche.
Une fois devant la boulangerie, on s’arrête, essoufflés, puis on explose
de rire en voyant l’état de nos têtes dans la vitrine.
— Dis-moi maintenant comment vais-je faire pour me sécher ?
— Je suis tout aussi trempé que toi, je te fais remarquer.
Je lui mets un coup de coude et nous avançons vers la caisse pour
commander à manger. On prend tous les deux un sandwich qu’on décide de
manger sur place au vu du temps orageux.
Notre conversation dure un long moment, je ne vois pas l’heure passer.
— Merde ! Je suis hyper en retard !
Je me dépêche de me lever. Je grimace en sentant l’humidité de la pluie
qui imprègne toujours mes vêtements.
— Et alors ?
J’enfile ma veste rapidement tandis que lui ne bouge pas de sa chaise.
— Attends… Reste, demande-t-il.
— Je ne peux pas…
Je détourne le regard.
— Ce sera juste pour cette fois… S’il te plaît… Reste avec moi.
Je regarde encore une fois l’heure et soupire avant de me rasseoir.
Bon… Juste pour cette fois…

Il est dix-huit heures passées quand Dario me raccompagne chez moi.


Mon frère et ma mère m’ont envoyé plusieurs messages et m’ont appelé
une dizaine de fois ; le lycée a dû les prévenir. J’ai raté tous mes cours de
l’après-midi…
Dario m’a conseillé de ne pas leur répondre en argumentant qu’ils
allaient juste s’énerver et qu’on allait leur expliquer une fois que nous
serions rentrés.
Alors quand on arrive en bas de chez moi, je vois Esteos assis sur le
palier de l’immeuble. Sa jambe tape frénétiquement le sol. Il se lève d’un
bond lorsqu’on s’approche. Son visage est déformé par la colère. Et plus il
approche, moins je le reconnais.
— Où est-ce que t’étais, bordel ? Et toi, qu’est-ce que tu fiches avec ma
sœur !?
Sa voix résonne dans toute la rue.
— Attends Esteos, essayé-je de le calmer.
— Non ! Toi tu vas d’abord m’expliquer pourquoi t’as raté tes cours cet
après-midi, ensuite pourquoi tu ne nous répondais pas putain, et enfin
pourquoi t’es avec lui ?

J’aurais dû leur répondre…

— Mec, ne lui parle pas comme ça, prévient Dario.


— Dario. J’entends encore une fois ta putain de voix, je te démonte.
Dégage maintenant.
La voix de mon frère est d’un calme presque meurtrier. Je ne l’ai jamais
vu aussi énervé. Je sens que Dario est sur le point de répondre, mais je l’en
empêche.
— C’est bon… Tu peux y aller, merci.
Hésitant, il hoche la tête et me lâche la main avant de s’enfoncer dans la
rue. Je n’ose pas regarder mon frère dans les yeux.
— On monte. Maman est très inquiète.
J’acquiesce, sachant pertinemment que je ne suis pas du tout en position
de dire quoi que ce soit. Quand on arrive à la maison, ma mère m’attrape
par les épaules et m’étudie avant de me prendre dans ses bras.
— Mon Dieu, où étais-tu ?
— Désolée, maman…
Elle ne répond rien et m’entraîne au salon dans lequel mon frère ne
tarde pas à nous rejoindre. Je me rassure en me disant qu’elle n’est pas aussi
énervée qu’Esteos…
La peur m’envahit. Je n’ai jamais eu ce genre de confrontation avec ma
mère et mon frère… Je n’ai jamais vu mon frère dans cet état.
— Alors ? T’étais où ? Et depuis quand tu fréquentes mon pote, Sierra ?
demande-t-il d’un ton accusateur.
Je n’ai qu’une envie : me cacher dans un trou.
— Je voudrais bien qu’on m’explique aussi, s’impatiente notre mère.
— Il parle de Dario, ai-je le courage de dire. Il m’a raccompagnée à la
maison.
— Et où tu étais ? demande-t-elle.
— Dehors… On est sortis se balader.
— Vous balader !?
L’interrogation n’en est pas vraiment une dans la bouche de mon frère.
Il crache cette phrase comme si le ciel lui était tombé sur la tête. Je baisse le
regard.
— Pourquoi ne pas répondre à nos messages, Sierra ? ajoute ma mère.
Je me pince les lèvres. Je ne peux pas dire que c’est Dario qui m’en
empêchait… Ça irait trop loin.
— Je n’avais pas vu vos messages… Je suis vraiment désolée, maman,
et toi aussi, désolée de t’avoir inquiété, Esteos.
Il soupire longuement, toujours irrité, mais ses poings se détendent
légèrement. En vérité, je m’excuse plutôt de leur mentir. Je n’aime pas
l’idée de leur cacher des choses. Ma mère me fait confiance alors elle finit
par hocher de la tête et nous invite à retourner dans nos chambres.
— Sierra ?
Je m’arrête et me tourne de nouveau vers ma mère.
— Je passe l’éponge cette fois-ci, mais que ça ne se reproduise pas.
Son ton est doux, mais catégorique.
Avant que nos chemins se séparent, j’attrape le bras de mon frère et il
s’arrête en s’éloignant de ma prise. Je grimace face à cette distance.
— Ne sois pas énervé contre lui… C’était mon idée, dis-je.
— Ne me prends pas pour un con, Sierra… Tu aurais tout simplement
dû nous prévenir, c’est tout. Prévenir maman. Je n’aime pas le fait que tu
rates des cours pour voir mon pote, mais mon avis n’a pas d’importance.
Il commence déjà à s’éloigner, mais je serre les poings cette fois-ci.
— Tu n’as pas à me dire ce que j’ai à faire ou non, Esteos…
Il se tient dos à moi et il suffirait qu’il avance d’un pas et qu’il claque la
porte pour me faire comprendre qu’il ne veut pas me parler, mais il n’en fait
rien. Un silence pesant s’installe. Je l’ai déçu… Je le sais.
— T’as raison… mais j’ai le droit de veiller sur toi.
Sur ces paroles, il s’enferme dans sa chambre. Moi, je reste plantée là
pendant plusieurs minutes à regarder les détails de la porte en bois qui nous
sépare. Il n’a pas le droit de prendre la parole sur une chose qui ne le
concerne pas.
Un autre soupir s’échappe de mes poumons.
J’essaye de relativiser en me remémorant l’après-midi passé avec Dario.
Chapitre 10

Sierra, Italie
Passé
En me préparant pour la soirée de Dario, je repense à ces derniers jours
qui ont été tendus chez moi. Depuis que mon frère sait qu’il y a quelque
chose entre son meilleur ami et moi, le moindre faux pas l’irrite. Je n’arrive
pas vraiment à lui en vouloir, mais ça commence à devenir vraiment
insupportable…
Et dans une demi-heure on doit être chez Dario pour sa soirée
d’anniversaire. Je sens à des kilomètres la réticence de mon frère vis-à-vis
de cette fête, mais ce n’est pas comme si je lui laissais le choix. Je vais aller
à cette fête, qu’il le veuille… ou non.
Trois coups s’abattent sur ma porte. Quand je me tourne, je vois ma
mère pénétrer dans ma chambre. Son sourire est communicatif et lorsqu’elle
est face à moi, mes joues se soulèvent naturellement.
— Tu es magnifique, mia cara. Tu vas en faire tourner des têtes ce soir,
ajoute-t-elle, avec un clin d’œil.
Je lève les yeux au ciel. Elle m’aide à me maquiller légèrement. Je ne
veux pas quelque chose de très voyant.
— Ton frère doit t’attendre.
Je hoche la tête et je finis rapidement de me préparer. J’opte pour une
paire de baskets, car les talons ne sont vraiment pas faits pour moi. En
sortant de la chambre, je vois Esteos sur son portable, adossé contre le mur
du salon.
Il n’a fait aucun effort vestimentaire. Je ne sais pas si ça me choque ou
si je suis simplement exaspérée. Son t-shirt blanc et son jogging gris
donnent l’impression qu’il s’apprête à aller s’entraîner à la salle. J’arrive
devant lui, silencieuse. Nos échanges sont devenus rares ces derniers temps.
— Tu vas vraiment y aller comme ça ? demandé-je doucement.
Il ne prend même pas la peine de détourner le regard de son écran, il
hausse simplement les épaules.
— Oui et alors ?
Il me regarde enfin et son visage ne montre rien de ce que je connais de
mon frère. En choisissant de continuer à fréquenter son ami, j’ai
l’impression d’avoir brisé quelque chose entre nous. Je sais que Dario ne
jouit pas d’une réputation très angélique auprès des filles…
— Tu peux être plus désagréable, tu sais, dis-je d’un ton ironique.
Nous saluons notre mère et en entrant dans la voiture de mon frère, un
silence pesant s’installe entre nous. Je mordille ma lèvre inférieure. Je
déteste cette situation…
Il démarre le moteur et parcourt les routes sombres, destination la
maison de Dario.
— Je te conseille de boire avec modération, voire de ne pas boire du
tout, dit-il, brisant la glace.
— Merci, papa Esteos…
— Je suis sérieux… Écoute, fais ce que tu veux, mais s’il y a quelque
chose, préviens-moi.
Je hoche la tête tentant de cacher le rictus qui naît sur mon visage. Il est
très protecteur en général, mais c’est toujours amusant de le voir l’être
quand il est censé être énervé contre moi. J’ai le meilleur grand frère, ça,
j’en suis consciente, et même si c’est un vilain défaut de son côté, le fait
qu’il ne puisse pas rester longtemps froid avec moi m’arrange bien.
Il ne faut pas longtemps pour qu’on arrive devant la maison de Dario.
Elle est jolie de l’extérieur, assez sobre et typique des duplex italiens. La
musique résonne fortement et les lumières jaillissent de l’intérieur.
En arrivant devant la porte, mon frère ne prend pas la peine de sonner.
On ne nous entendrait pas avec tout ce boucan de toute façon. En ouvrant la
porte, quelqu’un se heurte le visage contre celle-ci et lâche un juron.
Quand la personne relève la tête, les halos de lumière bleue passent sur
mon visage.
— C’est vous ! Je me demandais quand est-ce que vous alliez arriver !
Entrez !
Il est obligé de crier pour se faire entendre. Il y a énormément de
monde, l’air est étouffant et l’odeur de l’alcool plane dans l’air. Je ne vois
pas grand-chose de la maison tant il y a de gens qui bougent dans tous les
sens.
Pourtant, mes yeux sont captivés par les reflets glacés des yeux de
Dario.
Je n’ai pas le temps de cligner des yeux, que mon frère a disparu parmi
les gens collés les uns aux autres. Je le cherche du regard quelques secondes
puis finis par abandonner cette idée. Je devrais le laisser tranquille pour le
moment.
Je me retrouve donc avec le roi de la soirée. Il s’avance vers moi et
m’invite à pénétrer à l’intérieur de la maison, une main au bas de mon dos.
Son index frôle ma peau nue alors qu’il referme la porte d’entrée derrière
moi. Il me dépasse d’une bonne tête et je suis obligée de lever le visage
pour lire sur ses lèvres.
— T’es magnifique ce soir, chuchote-t-il de manière à ce que je sois la
seule à l’entendre.
Son souffle sur mes lèvres vient chatouiller le creux de mon ventre. Je
n’ai jamais ressenti une telle sensation et ça commence à sérieusement
m’inquiéter. Il est beau parleur, mais Dieu sait à quel point il est beau.
— Tu n’es pas mal non plus.
Il rigole et glisse sa main dans la mienne. Un frisson me parcourt le bras
tandis qu’il commence à m’entraîner dans la maison. On se faufile entre les
gens, Dario saluant quelques personnes au passage. Il me guide vers un
canapé sur lequel plusieurs personnes sont assises. Il se poste devant deux
personnes, moi derrière lui.
— Les gars ! Voici Sierra, me présente-t-il. Et Sierra, voici Lino et
Caelan.
Je salue timidement les garçons et m’assois à côté de Dario. Je
l’observe parler avec les garçons et regarde autour de moi. J’essaye de
m’habituer à l’ambiance festive, mais mes oreilles commencent à me faire
mal. La musique est trop forte.
Après quelques secondes à regarder la bouteille d’alcool sur la table, je
décide de me lever pour aller chercher un verre et me verser un petit shot.
Le liquide me brûle la gorge si fortement que mes yeux s’écarquillent ;
j’étouffe ma toux à l’aide de ma main. Puis le goût sucré vient et je trouve
ça pas si mal. Je m’apprête à en prendre un deuxième quand on tape sur
mon épaule.
— T’es en seconde, non ?
Je cligne des yeux plusieurs fois et je me demande combien de minutes
je me suis absentée dans mes pensées. Je vois maintenant Dario à l’autre
bout de la pièce en train de discuter avec un groupe de personnes et Lino…
est à côté de moi.
— Oui… Tu dois sûrement connaître mon frère.
— Tout le monde connaît ton frère, rigole-t-il, c’est pas trop chiant
d’avoir un aîné ?
Je sirote ma boisson.
— En vérité, non. J’ai de la chance de l’avoir… Et toi ? T’as des frères
et sœurs ?
— Une sœur. Elle vit avec ma tante depuis plusieurs années maintenant.
Je ne l’ai presque pas connue, avoue-t-il.
— Désolée…
— T’en fais pas ! Je suis super ouvert sur ce sujet. Et puis si tout se
passe bien, je la reverrai dans quelques années.
— Pourquoi pas maintenant ?
— Elle est aux États-Unis.
Mes yeux s’agrandissent légèrement en réalisant que sa sœur n’est
même pas dans ce pays.

Au bout d’un certain temps, l’ennui devient pesant. Je vagabonde ici et


là, perdue dans mes pensées.
Je finis par arriver devant un long couloir. Sans vraiment savoir dans
quelle direction je vais, j’ouvre la première porte à ma droite. Celle-ci
donne sur une chambre de garçon complètement plongée dans le noir.
J’entre dedans, trouvant le calme que je cherche depuis un moment. Le
parquet grince sous mes pas. L’énorme lit en face de moi est parfaitement
drapé.
— Qu’est-ce que tu fais là ?
Je me retourne dans un sursaut.
— Tu m’as fait peur, m’exclamé-je.
Mon cœur bat vite dans ma poitrine en le voyant s’avancer. Je n’ai
même pas entendu la porte s’ouvrir. En jetant un regard derrière lui, je
remarque la porte fermée. Il ne faut pas longtemps pour qu’il se retrouve à
quelques centimètres de moi.
Je lui souris doucement pendant qu’il glisse lentement ses doigts autour
de ma taille. Il presse nos deux corps pour m’enlacer dans une douce
étreinte. À cet instant, j’ai peur qu’il entende mon cœur battre à tout rompre
à l’intérieur de ma cage thoracique. Les quelques secondes paraissent durer
des heures.
Sa voix gronde dans un soupir frustré.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
Il resserre légèrement sa prise sur moi. Je passe, moi aussi mes bras
autour de son dos puis je les remonte jusqu’à sa nuque où je sens un frisson
parcourir sa peau.
— On ne devrait pas faire ça… T’es la petite sœur de mon meilleur ami,
Sierra.
— Et alors ?
— Alors…
Il ne termine pas sa phrase et passe ses doigts rugueux dans mon dos nu.
Il effleure ma colonne vertébrale délicatement. Mon dos se cambre
légèrement et ma peau se couvre de nouveaux frissons, il sourit dans mon
cou.
Toujours dans ses bras, il commence à marcher à reculons, nous
dirigeant vers son lit. Il nous fait pivoter pour que ce soit à présent moi qui
marche à reculons et ce jusqu’à que je sente l’arrière de mes genoux heurter
le lit.
Mes bras toujours derrière sa nuque, je l’attire lentement à moi. Nos
lèvres ne sont qu’à quelques centimètres l’une de l’autre. Nos souffles se
mélangent, nos visages sont proches.
Mes joues sont brûlantes quand nos regards se croisent.

Ces yeux causeront ma perte.


Je finis par m’asseoir sur le matelas qui s’affaisse sous mon poids tandis
que lui se met à genoux entre mes jambes.
N’y tenant plus, je rapproche mon visage du sien, effaçant les quelques
centimètres entre nous. Les mains sur le matelas, il pousse ses lèvres contre
les miennes accentuant la puissance du baiser.
Mon manque d’expérience me retient d’aller trop vite, il a l’air de le
comprendre. Il y va doucement jusqu’au moment où sa main se pose sur ma
cuisse découverte. Il la serre doucement demandant l’accès à ma bouche. Je
la lui donne. Quand sa langue chaude entre en contact avec la mienne, je ne
peux m’empêcher de lâcher un soupir.
Je n’ai jamais fait ça auparavant. C’est nouveau pour moi. Mais j’ai
envie de continuer. Avec lui.
On finit par se détacher l’un de l’autre, manquant de souffle. Il pose sa
tête sur ma cuisse et frotte son nez sur ma peau.
— Bordel…
J’ai à peine le temps de réagir qu’il revient sur mes lèvres, plus
brutalement, plus audacieusement. Je passe mes doigts dans ses cheveux et
tire légèrement dessus. Il gémit en mordant ma lèvre.
Quand je sens sa main remonter petit à petit sur les pans de ma robe,
l’angoisse me gagne et je me rends compte que je ne suis pas prête… Pas
maintenant. Il remonte toujours plus haut.
— Attends… Je n’ai jamais rien fait, alors…
Je ne termine pas ma phrase et détourne le regard, gênée. Ses doigts
viennent agripper mon menton et le tournent de manière à m’obliger à lui
faire face.
— Eh… C’est rien, d’accord ? Viens, on retourne avec les autres ?
Surprise, je ne bouge pas pendant quelques secondes. Je me détends et
affiche un sourire sincère. J’attrape sa main, il m’aide à me relever et
m’embrasse chastement.
Je crois que je suis amoureuse…
Chapitre 11

Sierra, Jacksonville,
Présent
En entrant dans la librairie, un tintement retentit au-dessus de ma tête.
Je m’avance plus loin dans le magasin, redécouvrant l’atmosphère apaisante
de la librairie-café.
— Bonjour, comment puis-je vous aider… Oh ! Sierra !
— Kate, comment vas-tu ? lui demandé-je en la serrant dans mes bras.
Elle me rend mon étreinte plus fortement. Ça fait un moment que je ne
suis pas venue ici. Au fil du temps, Kate et moi sommes devenues amies
malgré notre différence d’âge. Elle a ouvert cette boutique en arrivant ici,
venue tout droit de France.
— Je t’offre un café ?
— Je veux bien, merci.
Elle hoche la tête puis disparaît à l’arrière de la boutique. De mon côté,
je pars vers la section qui m’intéresse. La romance.
C’est un genre qu’on a trop facilement catégorisé comme étant féminin,
pourtant les gens seraient surpris de savoir que la personne grâce à qui la
lecture est devenue pour moi un moyen de m’évader est mon père. C’est un
grand lecteur.
Je m’arrête devant l’immense rayon mis à notre disposition et parcours
les livres du regard.
— C’est pour toi, avec quatre sucres, bien sûr.
Kate me tend la tasse encore fumante.
— Merci.
Elle pose d’un geste délicat sa main sur mon épaule et s’en va
rapidement pour accueillir les autres clients. Je bois mon café doucement et
attrape un livre pour lire la quatrième de couverture. Si j’en avais la
possibilité, je resterais des heures, assise devant l’étagère.

Un lecteur vit mille vies avant de mourir.

Ce sont les mots de George R. R. Martin. Chaque livre contient son âme
et son histoire, alors disons que les lecteurs sont ceux qui alimentent cette
fascination…
Au bout d’un certain temps, je finis par choisir trois livres et me dirige
vers la caisse. Je paye le tout et comme d’habitude, j’ai droit à un marque-
page offert lors de l’achat de deux livres.
— Au revoir Kate ! Passe le bonjour à ton mari Christ de ma part, dis-je
en levant la main.
Elle me fait un clin d’œil tandis que je sors du magasin laissant une
vague de vent m’envahir.
En regardant l’heure, je vois qu’il est bientôt quinze heures. Je reprends
le volant en direction du centre commercial. Il me reste encore un peu
d’argent à dépenser alors autant en profiter.
La nuit ne tombe que dans quelques heures…
Je me gare avec précaution dans le parking du centre commercial et je
pose ma tête sur le volant. C’est la première fois que je conduis pendant
aussi longtemps. Je n’ai pas encore mon permis alors je m’entraîne avec la
voiture de mon frère.
Mon téléphone sonne dans ma poche et je le sors pour voir le prénom
d’Esteos apparaître sur l’écran. Je décroche.
— Allo ?
— Salut Sierra, ça va ?
— Oui, tout va bien merci… Pourquoi tu m’appelles ?
— Bah en fait, avec les mecs on est au centre commercial et j’ai vu sur
ta localisation que tu venais d’arriver ici aussi, alors si tu veux nous
rejoindre, y a pas de soucis !
Il a quoi ?
Je glisse mon doigt sur l’écran pour aller sur l’application qui nous
permet de partager la localisation et vois avec désarroi qu’elle est
effectivement activée depuis je ne sais combien de temps. Je reviens sur
l’appel, légèrement irritée.
— Tu te fous de moi, j’espère ? Tu regardes ma localisation, Esteos ? Je
t’ai déjà dit d’arrêter, c’est flippant à mort ! lui expliqué-je.
Je n’attends pas de réponse et raccroche. Je ne suis plus une gosse et j’ai
vraiment l’impression d’être pistée partout… C’est envahissant.
Excédée, je décide de désactiver ma localisation de toutes les
applications. J’en rajoute une couche en envoyant un message à Esteos pour
lui demander de ne plus jamais recommencer.
Je claque finalement la portière en sortant de la voiture et marche vers
l’entrée en priant pour ne pas les croiser.
Malgré ce que j’avais envisagé, je n’ai pas dépensé le reste de mon
argent au cours de cette visite au centre commercial.
Je n’ai pas non plus croisé Esteos et ses amis. Mais ça ne l’a pas
empêché d’essayer de me contacter via le téléphone de Hunter.
L’énorme horloge du centre commercial affiche à présent seize heures
trente passées, la nuit ne va pas tarder à tomber.
— Sierra ?
Je me retourne et vois avec surprise une silhouette fine, à la peau
caramel trottiner vers moi. Je la reconnais très vite. Allie.
Ses cheveux sont à présent tressés dans des mèches blondes qui lui vont
à merveille. Elle tient dans ses bras des sacs de plusieurs marques.
— Salut Allie, comment ça va ?
— Super et toi ?
Je lui souris, on bavarde quelques minutes et elle m’explique qu’elle
commence à avoir mal aux pieds avec tous ses sacs. Je me moque
légèrement d’elle, Allie est une personne qui est assez maniérée. Mais rien
d’agaçant, au contraire ça la rend beaucoup plus vivante.
— Je ne vais pas tarder à rentrer, ajouté-je. Tu veux que je te dépose ?
Elle me prend une main et agite l’autre devant moi.
— Oh non ! T’es adorable, mais je suis venue avec mon frère… Je me
demande où il est d’ailleurs…
Elle fait un tour de trois cent soixante degrés sur elle-même et pousse
une exclamation en levant la main au loin.
Je suis son mouvement et me tourne légèrement pour voir une personne
à la large carrure.
Je fronce les sourcils, ma vue médiocre ne m’aide pas à distinguer la
personne.
— Regarde, c’est lui là-bas, me dit-elle.
Je pose finalement les yeux sur l’individu qu’elle pointe du doigt.
Mes épaules s’affaissent et mon corps se fige.

C’est impossible.
Je recule de quelques pas. Son regard est déjà posé sur le mien et je vois
à son expression qu’il m’a reconnue aussi.
Ma respiration devient irrégulière.
— Sierra ? Ça va ?

Cours.

Cours, me répète ma conscience.


Mes oreilles bourdonnent et quand je sens les doigts d’Allie attraper
mon bras, j’ai l’impression de m’être brûlée. Je m’extirpe violemment de
son emprise, la nausée me gagnant avec une puissance inhabituelle. Ma vue
se brouille aussitôt quand je le vois s’avancer vers nous.
À cet instant, je ne sais pas ce qui est réel et ce qui est seulement le fruit
de mon imagination, mais je retourne en arrière, je reviens sur mes pas. Je
m’enfonce dans mon passé.
— Sierra ? … Eh, attends !
Je me sens étouffée, la peur envahit tout mon corps et je me mets à
courir. Je cours jusqu’à m’en déchirer les poumons, jusqu’à sentir le goût
du sang sur ma langue. Mon visage est inondé de larmes mais je n’arrive
pas à y croire. Mon cœur bat vite.
En sortant du centre commercial, j’entends des rires. Ces derniers
résonnent dans ma tête et suscitent un sentiment de malaise en moi. Je sens
un poids lourd sur ma poitrine.
J’entre dans la voiture en panique, toute tremblante, et ne cherche pas à
comprendre quoi que ce soit avant d’appuyer sur l’accélérateur. J’ai
l’impression que des gens m’appellent, mais encore une fois, ce n’est que le
fruit de mon imagination.
Ça revient… Pas encore. Pas ici.
Le moteur gronde et j’enlève mon manteau à la hâte, sentant la chaleur
monter. Je démarre et roule à une vitesse qui n’est sûrement pas autorisée.
À plusieurs reprises, quelque chose sonne comme une alarme qui me
rappelle à l’ordre continuellement. Une fois. Deux fois. Trois fois.
— LA FERME, hurlé-je.
Je me mets à pleurer… De toute façon, c’est la seule chose que je sais
faire.
Je dégage mes cheveux derrière mes oreilles. Il faut que je me calme…
Me rendant compte qu’il s’agit de mon portable, je l’attrape tout en
conduisant et accepte l’appel entrant, la main tremblante. Je mets le haut-
parleur et pose l’appareil sur le siège passager.
— Tu m’entends ?
Je reconnais avec tristesse la voix. Non… Ce n’est vraiment pas le
moment.
— Allo !? répète-t-il.
J’ouvre la bouche pour répondre, mais aucun son ne sort tant je
suffoque. La vitesse à laquelle je roule me cloue au siège.
— Esteos… Passe-moi Esteos, je t’en supplie, l’imploré-je.
Le silence qui suit me rend confuse. Est-ce moi qui ne fais pas attention
à sa voix ou est-ce lui qui ne parle pas ?
Je ne sais pas si c’est Jayden qui ne parle pas, mais je ne parviens à
entendre aucun son. Mes yeux sont tellement brouillés par mes larmes que
la route face à moi me paraît vague et les feux rouges inexistants.
Mes mains serrent tellement fort le volant que mes jointures sont
devenues blanches.
— Sierra !
Son cri me fait sursauter et mon pied appuie sur l’accélérateur d’un
coup.
— Tu vas provoquer un putain d’accident ! dit-il en marquant une
pause. Eh… Mon cœur, écoute-moi et ralentis, tu veux ?
Quoi ? Je fronce les sourcils, ma respiration se bloque dans mes
poumons.
Au même moment, une moto me dépasse à une vitesse hallucinante et
me barre la route, m’obligeant à freiner dans un crissement insupportable.
Mon front vient cogner le volant si violemment que ma tête se met à
tourner. Je baisse le regard et remarque que je n’avais pas mis ma ceinture.
La portière s’ouvre de mon côté et on me redresse la tête. La voix me
semble lointaine, comme un sifflement dans mon crâne. On me prend les
joues et on me secoue la tête, mais c’est une très mauvaise idée, car une
violente envie de vomir me prend.
Je pousse la personne et tombe de la voiture. Des phares s’illuminent.
Et trou noir.
Chapitre 12

Esteos, Jacksonville
Présent
— Bon, les gars, on peut y aller ou ça ne vous a pas suffi ?
— Esteos a raison, on y va, ajoute Jayden.
Hunter et Logan soufflent tous les deux en levant les yeux au ciel. Je ne
sais pas ce qu’il faut leur donner pour rassasier leur faim, mais ce n’est
sûrement pas de simples burgers.
En attendant, j’ai énervé Sierra. Est-ce que c’est de ma faute si elle a
laissé sa localisation activée ?
Nous débarrassons nos plateaux et sortons rapidement du In N Out. Je
vois Jayden marcher devant, les mains dans les poches. Je le sens tendu
depuis ce matin.
Je décide donc de le rattraper, laissant les deux rigolos derrière.
— Ça va, mec ?
— Ouais.
D’accord… Je décide de ne pas insister, ça ne va que le braquer
davantage. Il y a certains jours où lui parler ne sert à rien et puis d’autres où
on le voit plus calme. Il est plutôt imprévisible. Ses humeurs varient comme
la météo.
On finit par arriver à la sortie du centre commercial. Je regarde les
nombreuses voitures sur le parking et aperçois très rapidement la mienne,
parfaitement garée. Elle se débrouille très bien au volant.
— Les mecs, je crois que j’ai trop mangé et ça ne passe pas bien dedans
si vous voyez ce que je veux dire. On peut vite rentrer ? demande Hunter.
En voyant qu’il se tient le ventre avec une grimace sur le visage, on
explose de rire. Le blond réussit même à extirper un sourire à Jayden qui
secoue la tête, désespéré.
Celui-ci finit par regarder au loin et son sourire se fane instantanément.
Ses sourcils se froncent.
Je suis son regard et m’arrête de marcher en voyant Sierra. En pleurs.
Elle court, une main sur son cou et je vois la panique sur son visage. Elle
ouvre la portière précipitamment.
— Sierra ?
Elle démarre en trombe sans même nous entendre. Qu’est-ce qu’il s’est
passé ? Je tourne la tête, mais je ne vois déjà plus Jayden. Il a à présent
chevauché sa moto et fait vrombir le moteur avant de s’engager sur la route.
Les garçons comprennent rapidement et on court vers la voiture de Logan.
— Démarre maintenant, dis-je, pressé.
Logan ne se fait pas prier et démarre d’un coup, nous clouant à nos
sièges. Il arrive rapidement sur la route sur laquelle on peut encore voir la
moto de Jayden et ma voiture en train de rouler à grande vitesse. Les deux
entament une sorte de course-poursuite dont on est mis à l’écart. Étant en
voiture, on est bloqués par d’autres véhicules et on finit par les perdre de
vue.
— Logan, accélère, prié-je.
— Je ne peux pas, mec, y a trop de voitures, s’excuse-t-il.
Hunter appelle Jayden qui répond rapidement. Il met le haut-parleur.
— Vous êtes où ? demande le blond.
— Elle se dirige vers le pont.
On n’a pas besoin de lui demander à quelle vitesse il roule, le vent fait
grésiller le micro de manière insupportable.
Logan tourne le volant brutalement, nous plaquant d’un côté de la
voiture et accélère en dépassant quelques voitures.
— Envoie-moi son numéro, Esteos, demande Jayden.
J’écoute sans broncher. Je compose le numéro de Sierra. Dès qu’il le
reçoit, il nous raccroche au nez.
— Esteos, calme-toi, ça ne va pas te servir à grand-chose de paniquer
comme ça, affirme Logan.
Je sais très bien qu’il a raison mais c’est plus fort que moi.

La nuit est tombée sur Jacksonville. Arrivés à destination, on ne voit


personne. Les rues sont vides, bordées uniquement par des maisons bien
alignées le long du trottoir. Les lampadaires sont allumés, créant une
atmosphère tamisée.
— Ils sont là ! s’écrit Hunter.
Il pointe du doigt une voiture aux phares allumés, la portière gauche
ouverte. Dès que Logan freine, on sort tous en même temps.
Je cours vers la voiture en question et en m’approchant je vois la moto
de Jayden couchée sur le sol un peu plus loin. En contournant la voiture, je
trouve ma sœur allongée dans les bras de mon meilleur ami… Son front en
train de saigner.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? questionne Logan.
— Elle saigne, ne puis-je m’empêcher de faire remarquer.
— Calme-toi, elle a juste freiné violemment et s’est cognée contre le
volant, m’explique Jayden.
Il lève enfin le visage vers nous, toujours aussi neutre et impassible. Il
passe un bras en dessous de ses genoux et l’autre à l’arrière de sa tête avant
de se lever.
Je m’approche et passe une main dans ses cheveux, soulagé qu’elle aille
bien et qu’elle n’ait pas provoquée d’accident.
Mais bon sang… Qu’est-ce qu’il lui a pris ?
— Emmène-la à l’hôpital, on ne se sait jamais.
Il se dirige vers la voiture et la dépose de nouveau dedans, mais cette
fois-ci du côté passager, en prenant bien soin qu’elle ne tombe pas. Je lui
emboîte le pas et entre du côté conducteur.
— Je vais rentrer, conclut-il.
Je me tourne vers les deux autres garçons et leur adresse un regard
désolé, mais Logan secoue la tête en signe de négation. Il tape dans le dos
de Hunter avant de s’éloigner à son tour vers sa voiture.
J’entends le bruit du moteur disparaître petit à petit, pendant que moi
j’appuie ma tête contre le volant, épuisé.
Ça va aller…

Sierra, Jacksonville
Présent
En essayant d’ouvrir les paupières, ma tête est lourde. Je ne peux pas
faire le moindre mouvement sans que ma nuque ne me lance. Les yeux
toujours clos, je ramène ma main sur ma tête.
— Elle se réveille.
Quelqu’un m’aide à me redresser et avec énormément de difficulté,
j’ouvre les yeux, en clignant plusieurs fois afin de m’habituer à la lumière
de la pièce. Ça sent le propre, les murs sont blancs et cette chambre n’est
pas la mienne.
— Sierra ? Comment te sens-tu ? L’infirmière ne devrait pas tarder à
arriver.
Je tourne la tête vers la voix. Il s’agit de ma mère. Elle se tient là, assise
sur une chaise en train de me regarder avec des yeux inquiets.
— Maman…
Je grimace… Ma gorge est sèche, j’ai besoin de boire de l’eau. Elle le
comprend et me sert rapidement un verre que je bois d’une traite.
— Comment tu te sens, ma chérie ?
— J’ai un peu mal à la tête, mais je crois que ça va…
Je regarde avec un peu plus d’attention ce qui m’entoure et… pas
grand-chose finalement. La chambre est simple, la porte est ouverte,
donnant sur le couloir aux murs blancs.
— Oui ! Elle est réveillée !
Je reconnais la voix de mon père provenant du couloir. Une infirmière
entre dans la pièce suivie de mon frère et de mon père. Esteos a le visage
terne, l’air très fatigué, mais il vient tout de même m’enlacer. Je lui rends
son étreinte et il soupire en passant sa main sur mes cheveux.
— Comment tu vas, petite sœur ?
Il s’éloigne et je salue mon père d’un sourire qu’il me rend. L’infirmière
s’avance vers moi et pose doucement sa main sur mon front. Je ferme les
yeux à l’agréable sensation de sa main froide sur mon visage brûlant.
Elle finit par la retirer.
— C’est normal si tu as un peu mal à la tête, commence-t-elle d’une
voix douce.
Elle se tourne à présent vers mes parents.
— Je tiens à vous rassurer, aucune commotion cérébrale, elle est
résistante votre fille. Le choc n’a pas dû être assez important pour qu’il y ait
des dommages neurologiques. Mis à part une petite bosse, elle s’en sort très
bien, rassure l’infirmière.
— Vous êtes sûre ? demande mon père.
— Oui monsieur, vous n’avez pas à vous en faire. Elle pourra quitter
l’hôpital dès aujourd’hui et repartir en cours demain. Mais… Ne force pas
trop, d’accord ? Il te faut tout de même du repos, me dit-elle.
Elle me pose quelques questions qui me donnent le tournis avant de
partir pour nous laisser seuls, en famille.
Je me masse doucement le crâne, pour évacuer la tension qui habite
mon corps.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
La voix de mon frère est hésitante malgré son visage sévère. Je
m’écrase sous le poids de son regard.
— Ma puce, on s’est énormément inquiétés pour toi… Ton frère nous a
expliqué qu’il t’a vu prendre le volant, en pleurs.
En me réveillant, la raison de ma présence ici m’a complètement
échappé… Je remonte dans ma mémoire et me fige à nouveau sur le lit.
Je déglutis difficilement tandis que ma respiration s’accélère à nouveau.
Mes yeux cherchent désespérément mon frère et il me prend la main.
— Calme-toi, me dit-il.
— On doit partir… Ça va recommencer…
J’éclate en sanglots et mes parents s’approchent de moi, ne comprenant
sûrement pas ma réaction excessive.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
— Il est venu là… Lino est revenu.
Chapitre 13

Sierra, Italie
Passé
— Jeune fille ! Reviens ici tout de suite ! crie ma mère.
Je ne l’écoute pas et enfile mes chaussures avant de claquer la porte.
J’ai une soirée bientôt et je ne compte sûrement pas la louper alors que
Dario y va.
En bas de chez moi, j’entends les klaxons de la voiture de celui-ci. Je
me dépêche de descendre les escaliers pour le rejoindre. Heureusement que
mon frère n’est pas encore rentré.
— Grimpe, vite !
Je rigole et monte du côté passager. Il démarre avant même que je ne
ferme la portière. Il roule pendant plusieurs minutes avant de ralentir et de
se garer sur le côté de la route.
— Bonsoir tesoro, dit-il en m’embrassant sur la bouche.
Je réponds à son baiser et rapidement, sans que je m’y attende, il glisse
sa main sur ma cuisse. Au même moment, mon téléphone vibre.
Mon sang se glace en voyant le prénom de mon frère s’afficher… Notre
mère a dû le prévenir.
J’attrape mon portable et décline une première fois l’appel. Il persiste en
me rappelant, je finis par décrocher.
— Oui ?
— Tu te fous de moi, j’espère, Sierra ? Putain, mais c’est quoi ton
problème !?
Je regarde en coin Dario qui lève les yeux au ciel et me fait signe de
raccrocher. Je rigole doucement avant de me concentrer sur la voix
d’Esteos.
— Je vais bien… T’en fais tout un plat, laisse-moi tranquille un peu.
J’éteins mon téléphone avant de me retourner vers mon copain.
Il remet sa main un peu plus haut sur ma cuisse et repose ses lèvres sur
les miennes. J’ai eu ma première expérience avec lui, il y a un mois
maintenant. On est déjà en mars et ma vie n’a plus rien à voir avec celle d’il
y a quelques mois.
Dario finit par redémarrer et durant le trajet, j’observe les ruelles
sombres, éclairées seulement par les lampadaires.
— Eh, m’appelle-t-il.
Il sort une bouteille d’alcool et me la tend. Je la prends, d’abord
hésitante, et après quelques gorgées, je m’habitue à la sensation de brûlure
dans la gorge.
Le goût sucré qui vient après me donne envie de continuer à boire.
Je ne remarque même pas que la voiture est arrêtée et que mon copain
me regarde un sourire aux lèvres.
Il détache sa ceinture et agrippe mon menton entre ses doigts.
— T’es tellement belle, Sierra…
Il pose sa bouche près de ma mâchoire.
Je penche ma tête pour lui laisser l’accès à mon cou et il ne se fait pas
prier, sa bouche vient parsemer la zone de baisers.
D’un geste qui me fait hoqueter, il attrape le devant de ma cuisse et la
serre fort. Je grimace en sentant ma peau me lancer.
— Tu me fais mal, Dario…
— Chut, grogne-t-il.

— Je suis juste sortie avec mon putain de mec ! QUOI ? C’est mal, ça
aussi !?
Je suis consciente de parler sous le coup de la colère et de quelques
gorgées d’alcool, mais l’ivresse me donne un mal de crâne incroyable.
— Je suis ta mère, tu me parles sur un autre ton, jeune fille !
— Allez vous faire voir, toi et Esteos !
Les mots sortent tout seuls, je les regrette aussitôt.
Un bruit résonne dans la pièce et me fait taire. Quelques secondes plus
tard, ma joue droite se met à picoter… Je viens de me faire gifler. Par ma
mère… C’est la première fois que ma mère lève la main sur moi.
L’impact était si brutal que ma tête est encore penchée sur le côté.
Je n’ai même pas le temps de relever la tête que mon frère m’attrape le
bras et m’entraîne dans ma chambre avant de m’y enfermer dedans, avec
lui.
— Maintenant, tu vas m’écouter et la fermer, est-ce que je me suis fait
entendre, Sierra ?
Je serre les dents pour ne pas lui répondre de façon cinglante.
— Ton petit manège a assez duré. Tu rates de plus en plus de cours, tes
notes sont en baisse. J’entends que ma sœur a une réputation de traînée et
surtout… Il te bourre le crâne, Sierra…
— Ne parle pas comme ça…
— LA FERME !
Je sursaute tellement son ton est violent.
— Je ne vais pas réussir à te faire comprendre qu’il faut que tu le
quittes. Par contre, tu sais très bien pourquoi j’ai cessé de lui parler et tu
devrais arrêter de te voiler la face…
Sa prise sur mon bras se fait plus forte, sans être douloureuse.
— Tu es ma sœur, Sierra… Mon sang, la personne que je suis censé
protéger… mais tu me déçois, énormément…
Sur ces paroles, il quitte la chambre. Me laissant perdue…

— C’est quoi ce bleu ? me demande mon frère.


— Quoi ? Où ça ?
Il entre dans ma chambre et me place devant le miroir, avant de pointer
du doigt l’avant de ma cuisse.
J’étudie le bleu et me souviens de Dario qui m’attrape la cuisse jusqu’à
me faire mal. Putain… La trace commence à virer au jaune avec son noyau
encore violet.
— Du coup ? Qu’est-ce que c’est ? me demande-t-il à nouveau.
— Je n’en sais rien.
— Ne me mens pas…
— Je te dis que ce n’est rien, fous-moi la paix !
Je le contourne, ne voulant pas débattre davantage et prends au passage
mon sac de cours avant de sortir. Je me sens incomprise, mais je suppose
que le sentiment est partagé…
Une fois arrivée au lycée, j’entre dans le bâtiment principal et cherche
mon copain du regard. Je ne mets pas longtemps à le trouver, il est juste à
côté des casiers en train de discuter avec Lino.
— Bonjour tesoro, dit-il en m’embrassant.
— Salut vous deux.
Lino m’adresse un signe de la main puis se reconcentre sur sa
discussion avec Dario. Ils parlent de soirées, comme à leur habitude.
J’essaye de sortir autant que possible, mais se bourrer la gueule tous les
soirs, ce n’est clairement pas envisageable pour moi. Je ne tiendrais pas
plus d’une semaine.
— Mec, vendredi, il y a Antho qui nous invite pour de l’herbe, lâche
soudainement Lino.
— Tu mens… Sérieux ? Putain, mec, je suis chaud !
Je ne veux pas prendre part à cette conversation, mais quand Dario se
tourne vers moi, je comprends que c’est trop tard.
— Sierra, tu viens avec nous ?
Je le regarde, indécise. Je n’ai jusqu’à présent jamais pris de drogue…
Et je n’envisageais pas d’en prendre… J’ai déjà passé l’étape de l’alcool et
de la cigarette, mais cette étape-là… Je ne suis pas sûre de vouloir la
franchir.
— Allez, viens ! insiste-t-il.
— Dario…
Il ne me laisse pas finir et me tire par la taille avant de m’embrasser
violemment. Je pousse une plainte de douleur en sentant ses dents mordre
ma lèvre inférieure. Sa main sur ma taille se fait plus ferme.
— Excuse-moi… Alors tu viens ?
Je lèche l’intérieur de ma lèvre en sentant un goût métallique m’envahir
la bouche.
— Oui… Je viens.
La sonnerie nous indiquant la reprise des cours retentit dans les couloirs
et Lino rigole quand Dario vient plaquer un baiser sur ma joue avant de
disparaître dans sa salle.
Lorsque je me retourne pour aller dans ma salle je vois Esteos adossé
sur un mur non loin de là, en train de me regarder en secouant la tête. Je
lève mon majeur et articule un « dégage » avant de partir.
— Mademoiselle Sanchez, je vous prierais d’éteindre ce portable, s’il
vous plaît.
Je souffle légèrement et écoute ce qu’elle me dit de faire. Ça ne dure pas
longtemps puisque Dario n’arrête pas de m’envoyer des messages, alors je
ressors mon portable et recommence à répondre.
De toute façon, ce n’est pas comme si je comprenais quelque chose à ce
cours…
— Mademoiselle Sanchez !
Je sursaute et lève la tête brusquement pour faire face à la prof à deux
pas de moi.
— Dehors, articule-t-elle.
Je lève les yeux au ciel et commence à ranger mes affaires. Ma mère
sera encore mise au courant de cet incident et je vais me faire engueuler ce
soir… Super ! Je me dirige vers les toilettes une fois sortie de la salle de
cours.
En m’approchant du miroir, je tire sur ma lèvre inférieure pour voir s’il
y a une trace de la morsure de Dario. Ma gorge se fait sèche. Mon cœur bat
plus fort dans ma poitrine, je sais que ce n’est pas normal… Mais est-ce
qu’on peut m’en vouloir de l’aimer ? Je prends mon visage entre mes mains
pour empêcher les larmes qui menacent de couler. Ce n’est rien…
Il est très possessif et finit toujours par avoir ce qu’il veut.
Je prends un peu d’eau dans ma bouche et la recrache pour me rincer. Je
ressors des toilettes et tombe nez à nez avec Lino.
— Oh… Qu’est-ce que tu fais là ? demandé-je.
— Je te retourne la question.
— Je me suis fait virer de cours…
Il s’avance vers moi et s’adosse au mur en regardant devant lui.
— Moi aussi.
Un silence gênant s’installe entre nous et je m’apprête à partir vers le
hall quand sa question m’interpelle.
— T’aime vraiment Dario ?
— En quoi ça te regarde ?
Il lève les bras en signe de paix et rigole. Il s’approche un peu trop près
de moi et je le repousse d’une main ferme.
Je suis surprise quand ses lèvres se posent sur ma joue avant de
s’éloigner rapidement. J’écarquille les yeux.
C’est quoi cette merde ?
Chapitre 14

Sierra, Jacksonville
Présent
— Lino ? répète mon frère.
Je recommence à pleurer. Je ne pensais pas un jour devoir de nouveau
affronter ces mauvais souvenirs. Cette vie que je peine déjà à oublier.
Les bras de mon frère viennent m’entourer, mais je vois bien les
émotions passer sur son visage. Sa peau très pâle il y a encore quelques
minutes, vire à présent au rouge.
— Tu es sûre, Sierra, qu’il s’agit bien de lui ?
La voix de mon père se fait tremblante. Il n’a pas changé… Lino n’a
pas du tout changé.
— C’est le frère d’Allie, avoué-je.
Affirmer cette vérité à haute voix me fait encore plus mal que lorsque
c’était seulement dans ma tête.
Tout est vrai, tout ça fait partie de la réalité.
Esteos s’arrache de mon étreinte et se redresse, avant de se précipiter
dehors. J’essaie de le retenir, mais il est trop rapide.
— ESTEOS !
Mon père aussi disparaît la seconde d’après.

Esteos, Jacksonville
Présent
Je démarre la voiture, ne prêtant pas attention aux avertissements de
mon père.
Cette fois-ci, il ne m’échappera pas. Impossible d’imaginer autre chose
que mon poing dans la putain de gueule de Lino. Il ne manquerait plus que
l’autre débarque et je jure de torturer les deux jusqu’à l’agonie.
Je ne connais que trop bien l’adresse d’Allie. Je ne sais pas s’ils sont en
ce moment même chez eux, mais si besoin, je vais faire le tour de la ville
pour le retrouver.
Mon pied appuie sur l’accélérateur.
J’ai perdu une partie de ma sœur à cause de lui… J’ai perdu une partie
de moi-même à cause de lui.
L’idée même de le revoir me répugne au plus haut point. Je ne me
pardonnerai jamais de ne pas avoir réagi auparavant, mais je peux toujours
lui faire regretter ses actes.
Je freine dans un crissement puissant et sors rapidement de la voiture. Je
sonne plusieurs fois d’affilée. Ma respiration est saccadée. J’en viens à
cogner sur la porte.
— J’arrive, entends-je de l’intérieur.
La porte s’ouvre brusquement et j’ai face à moi Allie. Je n’ai jamais fait
le lien entre elle et lui, ils n’ont pas le même nom de famille. Ils ne se
ressemblent absolument pas.
— Oh… Salut Esteos ! Sierra va bien ?
— Où est-il ?
Elle me regarde d’un air interrogateur.
— Tu parles de qui ?
— De Lino.
Ses sourcils se froncent en voyant mon visage déformé par la colère.
Elle s’apprête à ouvrir la bouche, mais en relevant les yeux vers la maison,
je le vois. Il se lève nonchalamment et penche la tête sur le côté pour
m’identifier. Sa bouche s’ouvre avant de se tordre dans un sourire lorsqu’il
me reconnaît.
— Figlio di puttana !
J’entre dans la maison et fonce sur lui. Je n’attends pas une seconde
pour abattre le premier coup de poing sur sa mâchoire.
J’entends Allie s’affoler et pousser un cri de terreur, ce qui ne m’arrête
pas.
Lino tombe au sol et je l’enfourche en cognant mes phalanges contre
son visage. La rage prend le dessus et le sang sur mes mains ne me fait pas
tilter.
— Crève, craché-je.
Il m’attrape le col et me pousse pour se dégager de mon poids. Je n’ai
pas le temps de revenir sur lui qu’on me tire par-derrière.
— Arrête !
Je me débats contre mon père, mais je n’arrive pas à m’extirper de sa
prise et Lino en profite pour me donner un coup au ventre. Ma respiration
se coupe quelques secondes et c’est à ce moment que sa sœur décide
d’intervenir.
— Que quelqu’un m’explique ce qu’il se passe putain ! hurle-t-elle le
visage inondé de larmes.
Lino et moi échangeons un regard plein de rage, mais ce n’est pas moi
qui m’essuie le visage déformé par les coups et le sang.
— Une vieille histoire de mecs, lui répond-il. Va dans ta chambre, Allie.
J’éclate d’un rire mauvais. Une vieille histoire de mec, hein ? J’essaye
de bouger, mais la prise de mon père se resserre sur mes épaules.
Je regarde le corps d’Allie trembler. Elle ne doit rien comprendre à ce
cirque.
— Je veux savoir !
Je me tourne vers elle puis lance un regard à Lino qui ne compte pas
parler.
Je le hais de toute mon âme. Je me déteste d’avoir un jour pu fréquenter
ce genre de personne. Je me déteste de n’avoir pas été assez intelligent pour
les éloigner de ma sœur. Je déteste tout ça…
— Ton frère a ruiné la vie de ma sœur.
— Je ne comprends pas, chuchote-t-elle en se tenant le visage.
Je le pointe du doigt d’un geste accusateur.
— Ils ont drogué Sierra avec… Et…
Les mots se bloquent dans ma gorge et mes yeux me piquent. Je refuse
de pleurer… Je refuse de laisser ma peine s’échapper.
— Merde, juré-je entre les dents.
— Lino ?
Je peux entendre la tristesse et la détresse dans la voix de sa sœur.
Imaginez apprendre que votre frère est un enculé de première.
Sans grande surprise, il ne trouve rien à répondre. Et heureusement pour
lui qu’il n’essaye pas de se dédouaner de quoi que ce soit, car je doute que
je lui permette de se relever un jour.
Allie vient couvrir sa bouche de sa main.
— Tu l’as… bégaye-t-elle.
— Non.
Je serre les dents en revoyant le corps de Sierra dévêtu et gisant au sol,
comme sans vie. Non, il ne l’a pas fait, mais tout ça a commencé par sa
faute. SA putain de faute. Et de la mienne aussi…
Je pousse un cri d’indignation et profite de l’inattention de mon père
pour retourner sur ma victime.
Mes coups pleuvent sur son corps. Je ne m’arrête pas, même quand je
vois qu’il commence à perdre connaissance. Cependant, je reçois un coup
qui me fait basculer sur le côté.
— ESTEOS ! braille mon père.
En voyant le nez cassé et la bouche en sang de Lino, je m’arrête, effrayé
par mon propre carnage. Je recule jusqu’à me cogner contre le canapé. Je
regarde ensuite mes phalanges explosées et je craque. Je fonds en larmes.
Ça fait bien trop longtemps que je n’ai pas pleuré… Alors tout sort. Ma
colère, ma haine, mon désespoir, ma tristesse, toutes ces émotions que j’ai
accumulées au cours de ces terribles mois sortent enfin.
Mon père revient rapidement vers moi pour me consoler contre son
torse.
— Ça va aller, fiston… Ça va aller…
Je sens qu’il tremble aussi. Je sens que la situation lui échappe. Qu’il
aimerait pouvoir faire quelque chose, mais son rôle de parent ne lui en
donne pas le droit.
— Oui, j’irai bien… Mais Sierra, elle, ne sera plus jamais bien à cause
d’eux, dis-je.
Les larmes coulent toutes seules. Allie est assise par terre, perdue,
comme figée sur place. Son regard ne quitte pas un point fixe sur le mur.
Voyant que plus personne ne bouge, mon père finit par m’aider à me
relever et me conduit vers l’extérieur de la maison.
Avant de franchir le pas de la porte, il se retourne une dernière fois.
— J’ai déjà appelé les secours… Une plainte a été déposée contre ton
frère il y a bien longtemps, mais la police avait perdu sa trace. Je lui
conseille de ne pas s’approcher de ma famille s’il ne veut pas finir derrière
les barreaux.
Allie ne répond rien. Elle se relève et claque la porte avec violence.
Chapitre 15

Sierra, Jacksonville
Présent
— T’es sûre de vouloir y aller ? Tu peux toujours rester quelques jours à
la maison…
— Oui, Esteos. Je ne peux pas me permettre de rater plus de cours…
Vaincu, il acquiesce. Je le salue et sors de la voiture. Je garde la tête
baissée jusqu’à atteindre le bâtiment… Une sensation désagréable s’empare
de ma poitrine, une gêne qui me coupe le souffle. Est-ce la peur ? Je me
pose mille et une questions dans ma tête. Peut-être est-ce du déni ?
J’ai reçu plusieurs messages de la part d’Allie depuis hier, mais je n’ai
pas eu le courage de les lire… Ce n’est pas de sa faute. Elle n’a rien
demandé, mais j’ai besoin de digérer tout ça. De temps.
Comme d’habitude, je passe devant mon casier pour récupérer quelques
affaires et sans grande surprise, il n’y a rien d’autre que mes manuels et mes
cahiers qui m’attendent dans le compartiment.
— Sierra !
Je m’arrête dans mon allée, reconnaissant très bien cette voix. Il me
suffit de lever la tête pour la voir s’approcher de moi, son visage exprimant
la culpabilité et la peur.
Quand elle se pointe devant moi, je sens qu’elle est perturbée et c’est
tout à son honneur puisque moi, j’ai juste envie de m’enterrer sous terre.
— Comment… ça va ?
J’inspire une grosse bouffée d’air pour me donner le courage d’affronter
cette discussion.
— Ça pourrait aller mieux… Et toi ?
— Je vais… bien ? dit-elle pas convaincue.
Je hoche la tête et on se regarde pendant plusieurs secondes. Je ne sais
pas quoi dire et elle non plus. Égoïstement, j’attends qu’elle s’excuse à la
place de son frère, qu’elle me dise que son frère n’est pas vraiment ici. Que
tout ça n’est qu’un cauchemar.
— Si tu n’as plus rien à dire, on devrait peut-être aller en cours ?
Je tourne les talons, le cœur lourd. J’ai l’impression que tous les regards
sont braqués sur moi. La sensation est là. L’étouffement, le mal-être,
l’angoisse.
— Sierra ! Attends !
Je me tourne, je cherche dans son regard un soutien évident. Mais elle
préfère fuir le contact visuel.
— Est-ce que… tu vas aller de nouveau dénoncer mon frère ?
Mes lèvres s’entrouvrent. Je ferme les yeux.
Comment réellement lui en vouloir ? C’est son frère… Que ne ferions-
nous pas pour les membres de notre famille ?
— Je sais qu’il t’a… droguée, dit-elle comme si le mot lui arrachait la
bouche. Mais c’était il y a tellement longtemps… Il ne ferait plus jamais un
truc pareil. Il retourne bientôt en Italie… Tu ne le reverras plus jamais, je
t’assure.
Sans que je le veuille, mes mains commencent à trembler. J’ai un rire
agacé. Que suis-je censé répondre à ça ? Que je me sens soulagée ? Que je
lui pardonne ? Qu’est-ce qu’elle attend de moi ?
— Je crois que la discussion devrait s’arrêter là, dis-je.
— Non ! Attends ! Je suis vraiment désolée pour tout…
— Allie, s’il te plaît, je ne veux pas en parler.
— Pourtant, on le doit ! dit-elle en haussant le ton.
— Non ! On ne doit pas parler de ce que moi j’ai vécu ! Ce que ton frère
a fait, commencé-je, le visage grimaçant. Ce qui est fait est fait. Je n’irai
pas voir la police si c’est que tu voulais entendre de ma bouche.
Chaque mot prononcé me fait l’effet d’un poignard. Même si j’allais
voir la police, qu’est-ce que je leur dirais ? D’autant plus que la culpabilité
que ressent Allie me met encore plus en rogne. Je sais que c’est son frère…
Mais…
Mais rien, en fait.
Je soupire, ne voulant pas continuer cette discussion.
— Si tu veux bien, j’aimerais retourner en cours, expliqué-je la voix
plus calme.
Elle se mord la lèvre tandis que je lui tourne le dos. J’inspire un bon
coup, les mains moites.

Mes journées sont répétitives. Esteos m’accompagne au lycée, je vais en


cours et je rentre à la maison.
Ces derniers temps, j’ai commencé à espérer retrouver une lettre dans
mon casier à chaque sortie de cours. Mais rien. Toujours rien. Ce matin, j’ai
envoyé une deuxième lettre pour lui demander pourquoi je n’avais plus de
réponse.
Je rigole toute seule. Qu’est-ce que j’attends de ce Knight ? Je n’en ai
aucune idée.
Je serre les lanières de mon sac et sors du lycée.
Logan et Esteos ont décidé de sortir ce soir, j’ai donc demandé à Hunter
de passer me prendre au lycée. Nous nous sommes mis d’accord pour
regarder un film chez moi. Hunter est quelqu’un de vraiment gentil.
— Salut !
— Salut.
Après m’avoir demandé si j’ai bien attaché ma ceinture, il démarre.
— J’ai été surpris que tu me demandes de passer te prendre au lycée,
m’avoue-t-il.
— Je ne voulais pas embêter mon frère… D’ailleurs… tu sais où est-ce
qu’ils vont ces deux-là ?
— Ils vont s’entraîner pour le match de vendredi.
Je sais que Logan est un adepte des instruments de musique, mais je ne
savais pas du tout qu’il aimait aussi le sport.
— Je ne savais pas que Logan jouait.
— Il ne joue pas vraiment, il aide juste Esteos quand il a besoin de
s’entraîner… Et puis il y a beaucoup de choses que t’ignores sur nous,
comme nous on ignore énormément de choses sur toi.
Je décide de ne pas relever sa remarque piquante.
La musique nous accompagne tout au long du trajet et je remarque que
nous avons les mêmes goûts musicaux, ce qui me fait sourire.
Je me mets à culpabiliser de mon attitude envers Hunter qui prend le
temps de m’aider quand j’en ai besoin.
Sa main se pose sur mon épaule et me sort de mes pensées. Nous
sommes arrivés à la maison.
Chapitre 16

Sierra, Jacksonville
Présent
— Ne t’inquiète pas, je dois lui parler en plus…
Durant le trajet pour m’emmener au lycée, j’ai parlé de mon envie de
rentrer avec Jayden ce soir. J’ai d’abord cru qu’il allait cracher son bol de
céréales, mais à mon soulagement, il s’est contenté de me poser mille
questions.
— Je peux savoir le sujet de votre conversation ?
— Esteos…
— Quoi ? Excuse-moi de m’inquiéter. Je te rappelle que je suis ton
grand frère.
Je hausse un sourcil.
— Je peux savoir le rapport ? demandé-je.
— Le rapport étant que tu le détestes, Sierra, et que vous ne vous parlez
jamais.
Je reste silencieuse. Il n’a pas tort. Je ne suis même pas sûre que ce soit
une bonne idée.
— … J’aimerais le remercier pour la dernière fois, avoué-je. Je sais que
si je ne le fais pas aujourd’hui, je vais me dégonfler.
Mon frère me regarde, perplexe. C’est bien la première fois que je ne
fronce pas les sourcils en parlant de son meilleur ami.
Son silence me fait soudain peur. Il ne parle pas et continue de me fixer
comme si j’étais une extraterrestre. Je me racle la gorge.
— Écoute, si je change d’avis, je t’envoie un message avant la fin de la
journée, ça te va ?
Après quelques secondes, il hoche la tête et je sors de la voiture,
convaincue que ce n’est pas la fin du monde. On est jeudi, c’est le dernier
jour d’entraînement qu’il lui reste avant le match de demain. Il ne peut pas
rater cette dernière occasion de perfectionner leur jeu. C’est donc avec
générosité que j’ai accepté de rentrer avec Jayden. Mais en espérant cette
fois-ci ne pas lui en foutre une.
Demain, nous allons tous assister au match de football américain
d’Esteos. On a réussi à convaincre notre père de poser une journée afin de
pouvoir venir aussi. C’est la première fois qu’on sera au complet et ça,
Esteos ne le sait pas encore.
— Esteos ! En fait… Tu pourrais le prévenir à ma place, s’il te plaît ?
Il penche la tête et affiche un sourire moqueur avant de hocher la tête. Je
rigole doucement alors qu’il sort son portable, pour lui envoyer le message.
— À ce soir !
Je regarde sa voiture s’éloigner avant de me rendre dans le bâtiment
principal. Aujourd’hui est la pire journée, les matières sont ennuyeuses et
j’ai l’impression que tout est contre moi depuis quelques jours. Mon cœur
se serre. La peur que je ressens à l’idée de croiser Lino est si grande que les
seuls trajets que je fais depuis dimanche sont ceux entre la maison et le
lycée. Et de toute façon, il n’y a aucune raison qu’il pointe le bout de son
nez ici, non ?
La différence aujourd’hui est que je rentre avec Jayden. Je fais un
travail sur moi-même. Il m’a quand même sauvé la vie et, après réflexion,
s’il avait vraiment voulu me faire du mal, ce serait fait depuis longtemps.
Pourtant, quelque chose me repousse. Il est arrogant et si froid…
Je passe devant les casiers, mais, pour une fois, je ne m’y arrête pas. Je
me dirige directement vers ma salle de cours, j’ai abandonné l’idée que mon
correspondant se décide à me répondre…
Peut-être que si je fais comme si je n’en avais rien à faire, il me
répondra enfin ?
Je hausse les épaules et entre dans la salle pour aller m’installer tout au
fond. L’enseignante ne tarde pas à arriver et le cours commence. C’est parti
pour deux heures de science…
— Bonjour à tous ! Aujourd’hui, nous allons commencer un nouveau
chapitre…
Je n’écoute déjà plus… Comme quelques instants plus tôt, Lino envahit
mes pensées. Un frisson désagréable me traverse, rien qu’en l’imaginant en
train de rôder autour du lycée. Je me fais sûrement des films, mais c’est
plus fort que moi. Je ne me sens plus en sécurité. Je force mon cerveau à se
rassurer en me disant qu’il repart bientôt… Il repart bientôt, mais quand ?
Mon agression a été difficile à vivre pour ma mère et mon frère qui ont
dû changer de pays du jour au lendemain pour rejoindre mon père, à
Jacksonville.
Mon frère a tout quitté alors qu’il se voyait déjà vieillir en Italie.
Je suis la seule concernée par cette agression et la seule qui n’arrive pas
à tourner la page. Je ne réussis pas à me faire aider par un psychologue,
alors comment espérer en devenir une ?
Chaque jour est une lutte avec moi-même. J’essaie vainement de me
dépasser, de ne pas m’écrouler sous le poids de mes maux, mais je n’arrive
pas à voir d’amélioration.
Ma famille est très présente, mais malgré leur soutien, je sais qu’ils ne
comprennent pas. Qu’ils ne peuvent pas comprendre. Et ce n’est pas de leur
faute.
Seule une personne aussi brisée que moi le pourrait. Seulement, est-ce
que je suis capable d’accepter cette aide ?
Je ne remarque même pas les autres élèves sortir de la salle de cours
tant je suis absorbée par mes pensées.
— Mademoiselle Sanchez ?
Mon regard s’accroche à celui de ma professeure à l’autre bout de la
salle en train, elle aussi, de ranger ses affaires. Elle pose son classeur et
s’approche de moi.
— Excusez-moi, Madame.
Je me mets à glisser mes affaires dans mon sac.
— Sierra… Je vous sens distraite ces derniers temps, est-ce que vous
allez bien ?
— Je suis juste… fatiguée, dis-je en inspirant un grand coup.
Elle me regarde, pas convaincue.
— Si vous avez besoin de parler, n’hésitez pas.
Je suis reconnaissante de son attention et je sors de la salle, le cœur
serré. J’aimerais pouvoir me livrer, mais je n’ai pas confiance. Je sais
d’avance que si je parle, le proviseur va convoquer mes parents. Et je n’en
ai pas envie.
Le système scolaire est très… hypocrite.
Devant mon casier, je reste plantée comme une statue, me demandant si
espérer quoi que ce soit des adultes me rapportera quelque chose. Et
malheureusement, je connais déjà la réponse.
J’ouvre le casier et range mes manuels avant de prendre celui coincé
entre des cahiers. Une feuille tombe à mes pieds. Je la ramasse et remarque
que ce n’est pas une lettre. Le papier a été déchiré d’un cahier.
Mes yeux s’écarquillent à la lecture de la signature. Il a trouvé mon
casier ? Il sait donc qui je suis… Le fait qu’il me connaisse me met le doute
sur les intentions de la personne derrière ses mots. Ce que maintenant je
veux savoir, c’est : qui est-il ?
Moi, je ne sais pas qui il est, alors la seule manière que j’ai de le
contacter, c’est via l’application…
Une fois la surprise passée, je lui envoie ma réponse et je ferme
l’application, déjà impatiente d’avoir un retour. Au même moment, une
notification apparaît sur le haut de mon écran, mon frère vient de
m’envoyer l’emploi du temps de Jayden, comme je lui ai demandé un peu
plus tôt dans la journée.
C’est avec soulagement que je vois qu’il termine à la même heure que
moi et que je dois d’ailleurs me dépêcher pour aller le chercher dans sa salle
qui se trouve à l’étage en dessous de la mienne.
J’emprunte donc les escaliers et me dirige vers le laboratoire.
Je l’attends patiemment non loin de la classe en regardant mon écran
comme si de rien n’était.
— Qu’est-ce que tu fais là !? Bordel, ça fait longtemps !
Mes doigts se crispent autour de mon portable. Effectivement, ça fait
longtemps…
— Salut Liam… J’attends quelqu’un, répondis-je précipitamment.

Est-ce qu’il est dans la même classe que Jayden ?

— T’as fini les cours, ma belle ?


Je rigole nerveusement à ce surnom qui me conforte dans l’idée que je
m’étais faite de lui à la soirée d’Allie.
— Oui.
— Je peux te déposer si tu veux.
— J’ai déjà dit que j’attendais quelqu’un, argumenté-je.
Mes sens se mettent en alerte quand il effectue un mouvement vers moi
pour me saisir par les épaules. Je recule par réflexe.
— Je te conseille de ne pas la toucher, Liam.
Liam s’arrête et je souffle, soulagée, en croisant le regard de Jayden. Sa
silhouette élancée se tient à quelques mètres de nous, sac sur l’épaule. Son
regard passe de moi à Liam.
— C’est lui que tu attends ?
Il ne cache pas son étonnement et, pour être honnête, je suis moi-même
surprise d’être heureuse de voir Jayden me sortir de cette situation
inconfortable.
— On y va, lâche Jayden.
Je rattrape Jayden en quelques grandes enjambées, même s’il ne prête
pas attention à moi quand on sort du lycée et qu’il fonce récupérer sa moto
garée pas très loin.
Une fois près de sa moto, il s’adosse dessus et sort un paquet de clopes
et un briquet de sa poche arrière. Je grimace en le regardant faire. Il doit s’y
reprendre à plusieurs fois pour allumer son briquet, mais juste avant
d’allumer sa cigarette, nos regards se croisent à travers la flamme. Il me
scrute et en voyant mon visage dégoûté, il lâche la pression de son pouce et
soupire avant de tout ranger dans ses poches.
— Merci.
J’attends qu’il fasse quelque chose, qu’il m’invite à monter sur sa moto,
mais il reste planté là, à me regarder. Je n’arrive pas à détourner le regard,
captivé par le mouvement de sa mâchoire. Anxieuse, je mordille les peaux
mortes de mes lèvres. Mon souffle se coupe quand ses yeux gris se posent
sur le bas de mon visage.
Il finit par sortir un casque de l’arrière de sa moto et me le tend
doucement. Je l’attrape, évitant soigneusement de frôler ses doigts.
— Colle-toi et mets tes bras autour de moi, dit-il rapidement.
J’ai presque envie de rire. Presque.
— Je peux me tenir à l’arrière de la moto…
— Si tu veux tomber et t’exploser le crâne par terre, oui, vas-y.
Je serre les dents. Il a raison… Je passe alors doucement mes bras
autour de sa taille en faisant tout mon possible pour ne pas trop les serrer. Je
le sens se tendre quand mes mains frôlent son abdomen.
Il fait vrombir le moteur et démarre au quart de tour, je hoquette de
surprise et automatiquement mes bras se referment plus fortement sur lui.
Le trajet n’est pas long, les rues passent rapidement et je me rappelle
pourquoi j’ai insisté pour qu’il me raccompagne ce soir.
Je décide de briser le silence.
— Jayden ?
Je ne sais pas s’il ne m’a pas entendu ou s’il m’ignore
intentionnellement, mais je me prends un ouragan dans la face. Connard…
Je n’abandonne pas, si je ne lui dis pas maintenant, alors je ne le ferai
jamais.
— Jayden.
Je décroche une main de son corps et soulève la visière de mon casque.
Il ralentit un peu et tourne enfin sa tête sur le côté.
— Merci… Pour la dernière fois.
Son torse gonfle sous mes doigts, comme s’il allait me répondre. Mais
rien ne sort de sa bouche.
— Pourquoi ? continué-je dans le but de le faire parler.
Il s’arrête à un feu rouge et je ne peux m’empêcher de regarder son
visage dans le rétroviseur.
— T’aurais préféré que je te laisse avoir un accident ?
Toujours aussi charmant, merci Jayden.
— Et toi, ça te boufferait les couilles de pas être désagréable pendant
deux minutes ?
Il secoue la tête de droite à gauche avant de vérifier que le feu est
toujours rouge et de se tourner vers moi.
— Avec toi ? Oui. Maintenant, ferme le casque.
Je ne réponds pas, abasourdie, et il claque la vitre du casque sur ma tête.
J’ai un mouvement de recul tandis qu’il redémarre sec, une fois le feu passé
au vert.
Ce mec est la définition même de l’arrogance, du désagréable et tous les
synonymes qui vont avec. On ne se parle plus durant le reste du trajet.
Une fois arrivés, je m’arrête devant lui et propose :
— Maman est sûrement à la maison, tu veux passer dire bonsoir ?
Il hoche la tête et on entre tous les deux chez moi. Comme je m’y
attendais, ma mère descend pour venir nous saluer. Je lui fais un énorme
câlin et Jayden lui fait la bise.
— Ça fait plaisir de te voir, mon garçon, dit-elle à mon voisin.
— Le plaisir est partagé, Isabella, sourit-il en retour.
— Tu veux rester dîner, mon garçon ? Esteos ne va pas tarder à rentrer,
propose ma mère.
Je lui lance un regard en coin. Il sera déjà là demain avec tous les autres
garçons et comme si ça ne suffisait pas, ce soir aussi ? On est un hôtel ?
— Je ne veux vraiment pas abuser de votre hospitalité, avoue-t-il.
— Je monte me laver.
Ne voulant pas assister à cette conversation, je grimpe les marches
quatre à quatre et balance mon sac dans un coin de ma chambre avant de
m’enfermer dans la salle de bains.

Jayden, Jacksonville
Présent
J’ai tellement l’habitude de passer du temps chez les Sanchez que
l’odeur de cette maison est devenue réconfortante. C’est apaisant d’être
accueilli par une famille comme la leur. Je passe plus de temps ici que chez
ma tante. À se demander quelle est ma vraie maison… Je sors mon portable
pour avertir Esteos de ma présence. Il me répond d’un « OK » qui me laisse
songeur. Sec, le mec. Un autre message apparaît, dans lequel il me dit qu’il
arrive bientôt.

Sierra est montée à l’étage pour se laver. Je repense à la courte


discussion que nous avons eue sur la moto et je suis convaincu que
finalement ça va mieux entre nous.
Je sors le papier de ma poche et le relis encore une fois.
Je lis plusieurs fois le titre qu’elle m’a donné.
J’ai su que c’était elle quand je l’ai vue lire mon papier. Au début, ce
n’était qu’une hypothèse… Je n’étais sûr de rien. J’ai donc écrit un mot de
ma propre main avant de le glisser dans son casier. Je voulais voir sa
réaction et elle a eu exactement celle que j’attendais.
Je lève la tête vers l’escalier et monte à l’étage. Je marche lentement
vers sa chambre, hésitant. En me rapprochant de la porte de sa chambre,
j’entends l’eau couler. Je m’arrête. Est-ce que c’est une bonne idée ? Non.
Mais est-ce que je vais le faire ? Oui.
Je prie pour qu’elle ne sorte pas de la salle de bains avant que je finisse
ce pour quoi je suis venu. Je ne veux pas qu’elle me déteste encore plus…
J’entre, envahi par son odeur que je m’efforce de faire disparaître de
mon esprit. Elle sent bon… Comme le premier jour. J’essaie de me
concentrer seulement sur la bibliothèque face à moi, mais cette fille…
m’intrigue. Tout chez elle est un mystère.
Sa bibliothèque est immense, elle doit faire deux fois ma taille en
largeur. Elle déborde de livres, c’est fascinant. Il ne reste plus aucune place
pour en mettre de nouveaux. Je m’approche du meuble et touche les
bouquins.
Depuis que je suis ami avec Esteos, j’entends constamment Sierra parler
de ses livres. Elle adore ça. Lire… Je crois que je n’ai jamais compris
l’intérêt que portent les gens à des bouts de papier.
Mais j’ai envie d’essayer. Même si c’est quelque chose que je n’ai
jamais fait de ma vie. J’ai lu quelques livres quand j’étais plus jeune, mais
ça ne m’a pas transporté.
Je cherche donc le livre inscrit sur le papier. Une fois trouvé, je le sors
du meuble délicatement et remarque une multitude de Post-it dépasser des
pages. Je me demande à quoi ils servent. Il y en a vraiment beaucoup.
Me souvenant que Sierra peut sortir de la salle de bains à n’importe quel
moment, je me ressaisis et sors rapidement mon portable pour
photographier la couverture du livre avant de le ranger à sa place initiale. Je
fourre les mains dans les poches et sors de la chambre, comme si de rien
n’était.
Chapitre 17

Sierra, Jacksonville
Présent
Sortie de la douche, j’enfile un bas de survêtement qui a appartenu à
mon grand frère et un t-shirt dans lequel je me sens à l’aise. Mes cheveux
sont encore enroulés dans une serviette quand je sors de la salle de bains.
Dans la chambre, j’entends des bribes de voix provenant du salon. Mon
frère doit être rentré.
Je descends donc rapidement et, en me voyant arriver, un sourire étire
les lèvres d’Esteos qui vient à ma rencontre pour me faire un câlin. Je
recule, une main devant moi.
— Non ! Je viens de me laver et tu pues la transpiration.
Il explose de rire.
— Tout s’est bien passé ?
Je le rassure en hochant la tête, il semble soulagé, voire fier que tout se
soit passé dans le calme. Il disparaît rapidement à l’étage, sûrement pour se
rafraîchir, tandis que je m’assois sur le canapé, mon livre à la main.
À l’autre bout du canapé, Jayden est posé, en train de regarder la télé. Il
regarde sans vraiment regarder, comme si son esprit s’était perdu en
chemin. Je l’observe et en viens à me questionner sur ses yeux. Comment,
même dans le salon où la lumière est tamisée, ses yeux ressortent
inexorablement de la même façon qu’un joyau ?
Il sent que je l’observe, je le sais à cause de ses lèvres qui s’étirent.
Je détourne le regard, embarrassée qu’il m’ait surprise dans ma
contemplation. L’air devient étouffant.
Je décide finalement de feuilleter mon livre que j’ai lu je ne sais
combien de fois, à tel point que j’hésite à m’en racheter un exemplaire.
Celui que j’ai se fait vieux et les pages sont jaunies et abîmées.
Je relève les yeux sur la télévision et constate que Jayden a l’air plus
intéressé par son portable que l’émission qui passe sur l’écran. J’attrape la
télécommande et mets ma playlist. La première chanson démarre et j’attire
l’attention de Jayden qui hausse un sourcil en voyant mon livre. Je l’ouvre
sur le prologue et commence à lire, me persuadant qu’il n’est pas à
quelques mètres de moi.
— À quoi servent les Post-it ?
Je m’arrête sur ses mots, surprise qu’il s’intéresse à ce détail. Je soupire.
Ne rentre pas dans son jeu…
— Sierra. Je t’ai posé une question.
— Est-ce que tu pourrais arrêter de me déranger, s’il te plaît ?
— Je ne savais pas que tu pouvais te montrer polie, mais ça ne répond
toujours pas à ma question.
Je ne réponds pas et essaye de replonger dans ma lecture.
— Les Post-it roses servent à quoi ?
Je m’arrête soudain de lire et me pince les lèvres pour ne pas rire. Il a
dû comprendre qu’il a suscité chez moi une réaction, car il sourit.
J’évite de le regarder pour ne pas lui donner ce qu’il veut.
— Point sensible ? me taquine-t-il.
— Si je te réponds, tu me fous la paix ?
Il penche la tête sur le côté et nos regards restent fixés l’un dans l’autre.
Il a le visage toujours aussi impassible, mais je vois dans ses yeux danser
une lueur malicieuse.
Je me repositionne correctement sur le canapé, me sentant tout à coup
mal à l’aise.
— Lis à voix haute.
Je le toise d’un regard noir. Depuis quand il a la langue aussi bien
pendue ? Je ne sais pas à quoi il joue, mais cela fonctionne à merveille, car
mon cœur commence à battre de manière inhabituellement forte.
— Va te faire voir, Evans.
Il me lance à son tour un regard meurtrier.
Peu de temps après, Esteos descend les cheveux mouillés. Je suis
carrément jalouse des boucles qu’il tient de notre père. Il a l’air épuisé et je
ne peux pas lui en vouloir, demain est un grand jour pour lui. On sera tous
là pour assister à son match.
Il s’assoit à côté de moi et me prend mon livre des mains avant de le
parcourir rapidement du regard.
— T’en as pas marre de passer tes journées à lire ?
— Comme tu peux l’observer, non.
Il me rend mon livre et secoue la tête.
— Ils n’existent même pas !
— Eh ! Je ne te permets pas, par contre, le menacé-je.
Je viens lui mettre un coup à l’épaule et il feint d’avoir très mal avant de
venir m’embrasser sur la joue.

Jayden, Jacksonville
Présent
Comme à mon habitude, je sors à l’arrière de la maison pour me griller
une clope. Esteos finit par me rejoindre, lui aussi.
L’air froid de l’extérieur me fait un bien fou. Un sentiment étrange me
ronge de l’intérieur, un sentiment que je vais éteindre à l’aide de la nicotine.
Je lui tends ma cigarette. Il refuse. C’est devenu une habitude entre
nous. Parfois il se laisse aller, parfois il s’abstient.
— Tu devrais te calmer avec cette merde, tu sais.
— Je sais.
S’il est venu me rejoindre, c’est qu’il a quelque chose à me dire et mon
petit doigt me dit que c’est à propos de sa sœur. Je le sais parce que je le
connais. Il ne vit que pour elle. Parfois, je me demande s’il n’est pas malade
à autant vouloir la couvrir. Il est toujours là pour les autres, peut-être qu’il
faudrait qu’il laisse les gens en faire autant pour lui.
— Comment ça s’est passé ?
Dans le mille.
Je tire une longue taffe et recrache la fumée, haut dans le ciel. Mieux
que ce que j’imaginais, mais ça, je ne lui dis pas.
— Plus supportable que dans mes cauchemars, je suppose.
Je ne quitte pas des yeux la concernée qui se trouve de l’autre côté de la
fenêtre. Elle lit, assise sur le canapé, sa tête appuyée sur sa main. Une
mèche tombe sur son visage.
Qu’est-ce qu’elle peut bien cacher ? Je n’ai jamais demandé ce qu’il
s’est passé pour qu’elle prenne le volant en pleurs l’autre jour. Pourquoi ?
Parce que je n’aurais pas aimé qu’on le fasse pour moi.
Je n’ai pas hésité à la suivre à moto, car j’ai vu la détresse dans ses
yeux. Une peine familière…
— Tu comptes continuer à la regarder comme ça longtemps ?
Je suis pris au dépourvu par sa question. Je me tourne vers lui et en
voyant son regard amusé, je comprends où il veut en venir. Je pouffe
légèrement en me tenant l’arête du nez entre les doigts.
— Je t’arrête tout de suite, Esteos, je ne veux même pas savoir à quoi tu
penses. C’est ta sœur et tu sais très bien qu’il vaut mieux, autant pour elle
que pour moi, qu’on reste éloignés l’un de l’autre.
Il décide finalement de me prendre ma clope et d’en tirer une taffe. Je
hausse un sourcil.
— De toute façon, commence-t-il en recrachant la fumée, elle a trop
peur de toi pour éprouver quelque chose à ton égard.
Je sais ce qu’il essaye de faire. Je ne laisse aucune émotion me trahir. Il
cherche juste à me faire réagir, comme toujours. Mais il n’a pas tort non
plus, elle ne peut pas me voir en peinture. À part éprouver de la haine
envers moi, je ne vois pas ce qu’elle peut ressentir d’autre. Qu’est-ce qui
cloche chez moi pour qu’elle ne veuille pas m’approcher ? Qu’est-ce qui la
tracasse ?
— Crache le morceau, mon pote, dis-je.
Je ne peux m’empêcher de jeter des coups d’œil au salon.
— Tu connais le frère d’Allie ?
Je fronce les sourcils. Elle a un frère ? Je ne la connais pas
personnellement, je lui ai parlé quelquefois et je suis tout le temps invité à
ses soirées. Mais je n’ai jamais entendu parler d’un frère.
— Parce qu’elle a un frère ?
— Ouais… Si tu le vois un jour se pointer au lycée… Ou pire, si Sierra
est dans les parages quand c’est le cas, surveille-le.
Je ne sais pas si c’est la nicotine, la fatigue ou les deux, mais mon
cerveau a du mal à assimiler ces informations. Tout ce que je comprends
c’est que quelque chose cloche.
— Récapitulons, veux-tu ? Si je vois le frère d’Allie alors que Sierra est
dans les parages, je dois les espionner comme un psychopathe ?
Il hausse les sourcils, me faisant comprendre qu’il n’y a rien de drôle
dans la situation. J’arrête et me concentre sérieusement.
— Et il ressemble à quoi ?
J’enregistre la description qu’il me fournit dans un coin de ma tête. Il
me donne aussi son prénom : Lino.
— Pourquoi tu me demandes ça ?
— T’es le seul dans son lycée… Sinon j’aurais demandé à Hunter, ils
sont plus proches.
J’écrase ma cigarette dans la boîte métallique et rentre à l’intérieur de la
maison, accompagné de mon ami.
Je dessine un portrait-robot de ce garçon dans ma tête en espérant
qu’elle n’ait pas à le croiser…

— Bonsoir Megane, dis-je en enlevant mes chaussures à l’entrée.


Ma tante apparaît dans le couloir, les poings sur les hanches et le regard
mauvais. Il est minuit passé quand je suis enfin chez moi.
— Tu as vu l’heure, jeune homme ? En plus, tu ne réponds pas à mes
appels, dit-elle en s’avançant vers moi.
Je souris tandis qu’elle me tire doucement l’oreille avant que je ne
vienne la serrer dans mes bras. Megane est comme ma mère, la copie
conforme de sa sœur… Ma mère biologique.
— Excuse-moi, j’étais chez Esteos.
Elle lève les yeux au ciel. Elle sait que je passe mes journées avec lui.
Elle s’éloigne déjà, mais je la rattrape rapidement. J’ai quelque chose à lui
demander…
— Megane ! Tu peux m’aider pour quelque chose ?
— C’est pour une fille ?
Ses yeux se mettent à briller et je passe ma main sur mon visage. Elle
n’arrêtera jamais avec ça.
— J’ai dit « pour quelque chose », pas « pour quelqu’un ». C’est un
livre que je cherche.
Je sors mon portable et lui montre la photo du livre en question. Elle
recule et me regarde de haut en bas avant d’éclater de rire.
— Toi, lire ? Et puis tu sais que tu peux juste aller en librairie et
questionner les personnes qui y travaillent ?
Je cligne des yeux plusieurs fois. Je n’y ai pas pensé…
— Et tu as une librairie en particulier à me conseiller ?
— Il y en a une juste au bout de la rue.
Chapitre 18

Jayden, Jacksonville
Présent
Un tintement désagréable me surprend lorsque je passe la porte de la
librairie. Je n’ai pas passé une nuit très reposante. Avec deux heures de
sommeil au compteur, je doute de tenir toute la journée. J’allume mon
portable et constate avec regret que mon premier cours de la journée
commence dans trente minutes. J’ai donc une dizaine de minutes pour
acheter ce livre, retourner chez moi récupérer ma moto et foncer au lycée.
Dans une autre vie, je n’en aurais rien eu à foutre de rater mon cours,
mais dans celle-ci, j’ai déjà redoublé et si je rate une seconde fois mon
année, ma tante me frappera à coups de râteau.
Et puis j’aimerais tout de même obtenir mon diplôme…
Je me dépêche donc de trouver une personne qui travaille ici.
— Bonjour, comment puis-je vous aider ?
Une dame d’une trentaine d’années m’accueille, un sourire aux lèvres.
Son accent européen ne m’échappe pas.
— Bonjour, je cherche ce livre, s’il vous plaît.
Je lui montre la photo sur mon portable et elle n’a besoin que de
quelques secondes avant de se diriger vers un rayon. Je la suis et on arrive
devant une étagère aux livres de toutes les couleurs. Je sens aussi l’odeur du
café flotter dans le magasin.
Elle attrape le livre que je cherche entre d’autres exemplaires et me le
donne.
— C’est tout ce dont vous avez besoin ?
Je hoche la tête et elle me conduit cette fois vers la caisse. Je paye et la
libraire m’offre un sac dans lequel je peux mettre le livre. Dix dollars, rien
que ça.
Je grogne quand la même cloche sonne à ma sortie du magasin.

Sierra, Jacksonville
Présent
Je n’ai pas réussi à fermer l’œil de la nuit. Depuis quelque temps, mes
cauchemars s’étaient atténués… Mais ça n’a pas duré. Dès l’instant où mes
yeux se ferment, je revis la scène, encore et encore. Je suis dans une boucle
infernale et la seule issue est de m’accrocher à la réalité.
Je n’ai pas voulu déranger Esteos. Il a un match important aujourd’hui
et il a besoin de repos. Je suis donc restée à fixer mon plafond, comme une
momie. Les heures sont passées sans que je m’en aperçoive et rapidement le
soleil a pointé le bout de son nez.
Je me lève à contrecœur et commence ma routine quotidienne. Une fois
arrivée devant mon dressing, rien ne me donne envie. J’attrape un haut
blanc et un jean basique. J’ai en tête une idée de tenue, mais pour ça, il faut
que je me rende dans la chambre de mon frère.
Je m’y faufile donc discrètement et ouvre lentement son armoire. Quoi
de mieux que de porter la veste universitaire à l’effigie de son équipe, le
jour de son match ? Il ne m’en voudra pas de la lui piquer pour une journée.
Le bomber est de couleur bleu ciel avec un énorme six à l’arrière et
notre nom de famille au-dessus.
Je retourne dans ma chambre pour enfiler la tenue et finir de me
préparer. J’ai encore le temps avant d’aller en cours.
Mon ventre crie famine quand je dévale les escaliers pour me faire mon
bol de céréales habituel.
Mes parents dorment encore, mais ça, Esteos ne le sait pas. Ils ont tous
les deux pris leur journée pour assister au match de mon frère. Je suis
vraiment heureuse pour lui, ça n’est jamais arrivé jusqu’à présent.
Quand on parle du loup, Esteos descend les escaliers, les yeux à deux
doigts de se fermer et les cheveux qui volent dans tous les sens. Il s’arrête
brusquement en me voyant en train de manger, prête à partir.
— Je suis en retard pour te déposer ? me demande-t-il avec sa voix du
matin.
Je secoue la tête en signe de négation et il lève la sienne pour constater
qu’il me reste encore une demi-heure avant de prendre la route direction le
lycée.
Il finit par remonter et quand il revient, il est apprêté, les cheveux
attachés en demi-queue-de-cheval. J’ai droit à mon bisou matinal et
rapidement il se sert à son tour un bol de céréales.
— Pas trop stressé ? je lui demande.
— Non, ça va… Et toi, ça va ?
— Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, confessé-je.

La sonnerie retentit et la salle commence à se remplir. Allie entre dans


la classe en même temps que le professeur et part s’installer au fond.
Depuis notre dernière conversation, elle a l’air d’aller mieux. Tant mieux
pour elle… Mais à chaque fois que je la vois, l’image de son frère me
revient en tête. Je me répète que ce n’est pas de sa faute… Mais imaginez
devoir fréquenter tous les jours une personne de la famille d’un de vos
agresseurs ?
Durant le cours, on vient me taper dans le dos. Je me retourne lentement
et avec surprise, je me retrouve face à un garçon dont le nom m’échappe…
Cameron je crois ? Je l’interroge du regard.
— T’es bien la sœur d’Esteos ?
Je hoche la tête. Ce n’est pas la première fois qu’on me pose cette
question, mais aujourd’hui est un grand jour et forcément, ma veste doit
attirer des regards curieux.
— Beaucoup de personnes du lycée vont aller le voir jouer ce soir,
ajoute-t-il.
Je hoche la tête une seconde fois, ne voyant pas où il veut en venir.
Comme s’il s’apprêtait à me dire quelque chose de privé, il se racle la gorge
et s’approche de moi.
— Je voulais savoir… Est-ce que c’est vrai qu’il a envoyé le frère
d’Allie à l’hôpital ? Beaucoup de personnes en parlent.

Quoi ?

Ma respiration se bloque et automatiquement je regarde la place au fond


de la salle. Elle me regarde déjà. Ce n’est pas vrai…
Je secoue la tête et lui réponds d’un ton ferme :
— Je ne sais pas de quoi tu parles.
Je lui fais très clairement comprendre qu’il n’aurait jamais dû me dire
ça puis me reconcentre sur Allie. Elle ne me lâche pas du regard.
Je ne sais pas pourquoi je suis déçue, je croyais que cette histoire ne
reviendrait pas sur le tapis. Ce qu’il s’est passé ne doit jamais être divulgué
et encore moins de la sorte.
Je m’apprête à sortir du lycée quand mon portable vibre sous mes
doigts. Un numéro non enregistré vient de m’envoyer un message.

Ramène-toi rapidement, je
t’attends devant le lycée. Ton
frère m’a demandé de
t’emmener au stade.

C’est seulement après avoir lu le message que je reconnais le numéro de


Jayden. Je pensais que ce seraient mes parents qui viendraient me chercher,
mais apparemment non…
Non pas que ça me dérange que ce soit Jayden, mais pour le coup, je
préfère faire l’aveugle et rentrer seule. Je ne veux pas qu’il commence à
s’imaginer qu’on puisse entretenir une quelconque relation platonique, car
tout ce que je veux, c’est qu’il me laisse tranquille.
Il finira bien par déguerpir tout seul…
J’attends donc le bus comme tout le monde. Je ne sais plus à quand
remonte la dernière fois que j’ai pris les transports en commun. Les groupes
sont formés sous l’Abribus, certains parlent avec leurs amis, d’autres,
comme moi, sont sur leur portable en train de tuer le temps en attendant que
le bus arrive.
J’échange quelques messages avec mon père avant de recevoir un appel
entrant. Je n’ai pas besoin de relire le numéro, je sais déjà qui c’est…
— T’as pas reçu mon message ou t’es juste lente ?
Je suis coupée dans mon élan par cette merveilleuse voix qui ne prend
même pas la peine de dire bonjour. J’hésite fortement à raccrocher puis
décide d’inspirer un maximum avant de me racler la gorge.
— La prochaine fois que tu me parles comme ça, je ne prendrai même
pas la peine de te répondre. Je peux me débrouiller seule, merci.
Il ne me répond pas tout de suite et je comprends qu’il est en train de
fumer. Un jour, cette merde le tuera et je serai la première à m’en réjouir.
— Je ne peux pas te laisser faire ça, dit-il simplement.
— Et pourquoi pas ? Aussi, ne prends pas cette habitude de m’appeler,
nous ne sommes pas amis et, je le répète, je ne veux pas aller au stade avec
toi, vois-tu ?
— Crois-moi, je n’ai aucune envie d’avoir une relation amicale avec toi
et ce n’était pas une question.
Je raccroche. Je suis consciente d’être extrêmement désagréable, mais
c’est la seule manière que j’ai de le tenir éloigné de moi. Ça a très bien
marché pendant deux ans, pourquoi maintenant tout commence à changer ?
Je bloque par la même occasion son numéro. Je suis puérile ? Absolument.
Une gamine ? Encore plus.
Une fois le bus arrivé, je grimpe à bord et m’assois tout au fond. Les
arrêts passent rapidement et je regarde le paysage. Le soleil brille dans le
ciel, mais l’air reste frais.
Le bus me dépose à deux pas de chez moi et je vois sur mon portable
qu’il me reste vingt minutes avant le début du match. Je serre les dents et
me rends compte que je ne serais peut-être pas à l’heure.
Je reçois de nouveaux messages de la part de mes parents qui me disent
de me dépêcher et qu’ils sont déjà placés dans le public. La tête plongée sur
l’écran de mon portable, je manque de faire un arrêt cardiaque en voyant
Jayden qui m’attend devant la porte de chez moi.
Il me regarde calmement, avant de me lancer un casque. Je n’ai pas
d’autre choix que de le rattraper.
— Tu m’as fait peur !
Il ne répond pas et se retourne déjà vers sa moto.
— Grimpe, m’ordonne-t-il.
Je ne bouge pas d’un pouce et il serre la mâchoire. Je n’ai pas fait
attention à sa tenue plus tôt, mais comparé à d’habitude, il est vêtu d’un
simple t-shirt qui me laisse le loisir de mater ses tatouages.
— Tu serais montée si c’était Hunter ?
Qu’est-ce que Hunter vient faire dans cette histoire ? Je m’approche de
lui.
— Hunter ? Je ne vois pas ce qu’il vient faire dans cette conversation.
Jayden, on sait toi et moi que je t’évite comme la peste, alors pourquoi tu
continues ? Merci, sincèrement, de m’avoir sauvé la vie à plusieurs reprises,
mais tu peux t’arrêter là.
Je ne dis pas ça sur le ton de la colère. Je veux lui faire comprendre que
le mieux est qu’on fasse comme si on n’existait pas l’un pour l’autre. Ça
serait aussi bénéfique pour lui que pour moi. Je sais que je suis exécrable
avec lui, que je n’arrive pas à ne pas voir mon passé dans ses yeux.
Je reprends ma respiration comme si dire tout ça m’avait demandé un
courage monstre. Lui ne réagit pas, il reste planté comme un arbre et me
regarde droit dans les yeux.
C’est quand il mets sa veste et s’approcher de moi que mon cœur
commence à battre rapidement.
— Il faut que tu comprennes que tout le monde ne te veut pas du mal. Je
ne sais pas ce que j’ai fait, ce qui t’est arrivé, mais sache-le, je compte bien
le découvrir. Continue comme ça, je trouverai un moyen de faire taire cette
petite bouche de vipère qui décore ton visage.
Il me prend le casque des mains, son visage à quelques centimètres du
mien.
— Maintenant, on y va. Je ne vais rien te faire, j’ai un minimum
d’éducation.
Chapitre 19

Sierra, Jacksonville
Présent
Aujourd’hui, c’est la finale. Jusqu’à présent, les matchs d’Esteos se sont
déroulés dans le stade de l’université. L’espace était grand, mais rien de
comparable à ce que j’ai devant les yeux. Le terrain est immense et a été
réservé pour la rencontre de ce soir. C’est l’un des jours les plus importants
pour mon frère. Si son équipe gagne, il pourra participer au tournoi
régional. C’est tout ce que je lui souhaite.
En intégrant cette école de sport, mes parents ont payé très cher, mais
leur sacrifice en vaut la peine. Esteos est un joueur exceptionnel.
Je dépasse Jayden et dévale les escaliers de la tribune sud, qui offre, tout
en bas, la meilleure vue sur le terrain. Les familles et les amis proches ont
un accès prioritaire à ces places, alors j’espère vraiment que mes parents
m’ont gardé un siège.
Il ne reste que cinq minutes avant que tous les joueurs entrent sur le
terrain.
Je finis par voir le reste du groupe de mon frère et mes parents au
premier rang. Mon regard croise celui de mon père et ma joie dépasse
l’entendement. Il a tenu sa promesse.
— Vous êtes enfin là, fait remarquer ma mère, dépêchez-vous, ça ne va
pas tarder à commencer !
Ils nous ont effectivement gardé deux places, l’une à côté de l’autre.
Je m’assois sans me plaindre, Hunter à ma droite et Jayden à ma
gauche. Il ne fait aucun commentaire, tant mieux. Cette soudaine proximité
me met mal à l’aise, à tel point que je n’ose plus bouger.
Me concentrant sur ce que j’ai devant moi, j’attends impatiemment que
ça commence. Ce n’est pas le premier match auquel j’assiste, mais c’est la
première fois qu’il y a autant de monde et que j’ai l’impression qu’il y a un
véritable enjeu.
À dix-huit heures tapantes, les musiciens entrent sur le terrain, leurs
instruments autour du cou, et commencent à jouer. Tout le monde crie
lorsque les cheerleaders font leur entrée et commencent leur show. Je suis
fascinée par le spectacle qui se déroule devant moi.
On peut aussi assister à des matchs au lycée, mais rien de comparable.
Ma mère a toujours voulu que j’intègre l’équipe des cheerleaders, mais en
voyant les acrobaties de celles-ci, mes jambes me remercient de ne pas
l’avoir fait.
Les tambours battent au rythme de mon cœur et après plusieurs minutes
de prestation, les filles et les musiciens se dispersent pour laisser place aux
animateurs qui viennent présenter les équipes.
La première équipe accueillie est celle des adversaires. Les Wight Stone
ou plus couramment appelés, les WH. Ils entrent tour à tour, remplissant
déjà la moitié du stade. Ils s’alignent comme des soldats et lorsque les Saint
Hazel sont appelés sur le terrain, c’est à nous de crier. Ils entrent à leur tour
sur le terrain, arborant fièrement le maillot bleu de leur équipe.
Seul Jayden, fidèle à lui-même, reste en place.
Mes yeux cherchent mon frère lorsque les joueurs arrivent. En voyant le
numéro 6 sur son dos, je tape l’épaule de ma mère et le pointe du doigt. Elle
le reconnaît sur-le-champ et je crie à l’idée de le voir jouer.
Il se tourne vers notre tribune et je le sens nous chercher du regard. Il
met un moment avant de s’arrêter sur moi. Il enlève son casque et me lance
un sourire rayonnant tandis que je lève ma main pour le saluer. Je lui
montre ensuite nos parents et son sourire se fige. Je vois la surprise dans sa
posture. Il faut quelques secondes à peine pour que son sourire, auparavant
joyeux, se transforme en un sourire reconnaissant.
Il enfile à nouveau son casque avant de saluer la foule.
— Ton frère a été nommé quarterback il y a peu, m’avoue Hunter. Il
voulait que je vous le dise maintenant.
Mes yeux s’écarquillent à cette révélation. Je me tourne vers Logan qui
sourit, déjà au courant. Mes parents, eux, sont trop concentrés sur ce qu’il
se passe sur le terrain pour comprendre ma réaction.
Après quoi, les joueurs se divisent sur les côtés et se préparent pour le
début de l’affrontement. Esteos en profite et court pour venir nous saluer.
Je suis la première qui a le droit à un signe de la main. Les quelques
mètres de hauteur qui nous séparent ne me permettent pas de le prendre
dans mes bras.
— Bonne chance !
Il hoche la tête et son regard passe de moi à Jayden. Je tourne aussi ma
tête et je vois le garçon afficher un léger sourire qui se veut encourageant.
— Ne chie pas dans ton froc, mec ! crie Hunter.
Mon frère lève les yeux au ciel avant d’arriver devant nos parents. Je le
vois prendre une grande inspiration et expirer avant de lever la tête. Notre
père se lève de son siège et s’appuie à la barrière pour être le plus proche
possible de son fils.
Son regard vers le bas, mon père le regarde, fier.
— Bon courage, mon fils.
L’émotion qui parcourt le visage d’Esteos à cet instant est
indescriptible. Il a toujours eu de la rancœur envers notre père à cause de
son absence. Mais ce soir, en venant ici, notre père a gagné quelque chose
dans son cœur.
Ma mère l’encourage également jusqu’à ce qu’il soit temps pour lui de
repartir.
Il rejoint son équipe qui rapidement se met en place comme prévu.
Esteos se place au centre de ses camarades et lorsque le sifflement retentit,
il envoie le ballon à l’autre bout du terrain. Tous se précipitent dessus. Je ne
saurais rien dire du reste, car tout ce que je vois ce sont des bousculades,
des lancées, des rattrapages… Et touchdown.
Quand Saint Hazel marque son premier touchdown, tous leurs
supporters crient à s’en déchirer les cordes vocales. Les joueurs sautent tous
sur celui qui a marqué, fiers d’eux.

Le match se finit sur la victoire des Saint Hazel. Tout le monde


applaudit et sur le terrain, les deux équipes se saluent avant que les gradins
ne commencent à se vider. La nuit est tombée depuis un bon moment
maintenant. Les projecteurs nous éclairent et nous nous levons de nos
sièges, les jambes engourdies.
— De notre côté, commence ma mère, on va rentrer.
Elle a le visage rougi par la chaleur. Malgré le froid ambiant et le fait
que le stade soit en extérieur, dans les tribunes, la température est montée
très vite.
— Nous, on va aller rejoindre Esteos dans les loges, explique Logan.
— Je peux venir ? demandé-je.
Logan hoche la tête.
— Bien, retrouvez-nous à la maison dans ce cas, répond mon père.
Les salutations faites, nous descendons tous les quatre et traversons le
terrain, à présent vide. Le silence de ce court trajet est agréable après le
boucan du match.
Au moment de rentrer à l’intérieur du bâtiment, Logan doit montrer son
passe pour accéder aux loges, après quoi nous marchons dans un long
couloir interminable. Rapidement, des bribes de voix se font entendre et je
comprends qu’on est devant les vestiaires.
Plusieurs joueurs en sortent et une fois que celui-ci est complètement
vide, nous rentrons à notre tour.
Esteos est assis sur un banc, le dernier de son équipe à être encore
présent. Il est dégoulinant de sueur et je grimace en allant à sa rencontre.
— Bien joué, le félicité-je.
Il sourit de toutes ses dents. Les garçons vont à leur tour le noyer sous
des éloges bien mérités.
— Attendez-moi dehors, je me lave rapidement et j’arrive.
Plus personne ne se balade dans les couloirs. Je m’adosse à un mur et
appuie ma tête contre le béton. La soirée a été riche en émotions, ça c’est
sûr.
Je commence à avoir mal à la tête en fermant les yeux, alors je me
redresse et écoute la conversation de Hunter et Logan. Ils parlent du match,
sans grande surprise, mais je ne les regarde pas, plus concentrée sur Jayden
qui est sur son portable. Il regarde fixement son écran sans le toucher.
Comme s’il était figé.
La chaleur monte dans mon corps et j’expire bruyamment en me
touchant la tête.
— Les garçons ? Je peux vous attendre à l’extérieur ? J’ai vraiment
chaud là.
Aucun d’eux ne me répond. Je cligne des yeux et m’approche un peu
plus pour me répéter.
— Je peux vous attendre à l’extérieur ?
Hunter se tourne vers moi et arrête de sourire en voyant ma tête. Je sens
que mon corps est lourd et je commence à étouffer ici.
— Euh, oui… Tu veux que je t’accompagne ?
— Non, t’en fais pas… Merci.
Je ne veux pas le déranger. Ma tête se tourne de nouveau vers le brun
qui n’est plus sur son portable, mais qui me regarde avec ses yeux clairs. Je
déglutis, mais ne dis rien en passant à côté de lui. J’emprunte une porte
réservée au personnel pour sortir dans une rue éclairée.
Mon mal de tête se répand comme un virus, j’ai l’impression d’avoir les
membres engourdis quand je m’assois sur le trottoir, mon dos collé à la
façade du bâtiment. Je ferme les yeux. Je savoure l’air frais, mes joues
caressées par le vent. Ça fait du bien.
Je me dis que j’ai tout pour être heureuse. J’ai une famille qui m’aime,
j’ai un toit au-dessus de ma tête, et des projets pour l’avenir.
Mais j’aime être dans cet état de mal-être, car j’y trouve un certain
réconfort.
— Ce n’est pas toi que j’attendais, mais… ça fait longtemps, Sierra.
Tout mon corps se tend. Mon cœur s’arrête.
J’ose à peine ouvrir les yeux. Je ne veux pas ouvrir les yeux. Peut-être
que je rêve ? L’intonation de sa voix ne laisse transparaître aucune haine.
Elle paraît même… calme.
— Tu peux me regarder dans les yeux, tu sais.
Je ne le fais pas, ma respiration est lourde. Je prends appui sur mes
mains pour me relever tout en glissant contre le mur derrière moi.
— Regarde-moi, m’ordonne-t-il.

Non.

Sa voix est plus dure.


— Regarde-moi !
Je lève les yeux dans un sursaut. Ne pleure pas…
Je redresse la tête, le menton haut. J’ai l’impression que je vais vomir
en voyant son visage. Il est complètement défiguré. Il ne ressemble plus du
tout à ce que j’ai pu voir auparavant. Certaines parties de son visage sont
encore enflées, mais celle de son nez est la plus sévèrement endommagée.
Je détourne le regard face à cette horrible vision.
— C’est moche, n’est-ce pas ?
Il fait un pas vers moi et je me décolle du mur pour m’éloigner. Je ne
sais pas comment je réussis à ne pas pleurer… Peut-être suis-je sous le
choc, dans le déni ? Dans tous les cas, je me force à ne pas répondre.
— Qu’est-ce qu’il t’arrive, Sierra ? Tu n’as plus de langue ? Pourtant, tu
l’as bien sortie pour Dario.
La nausée se fait plus forte à l’évocation de ce prénom. Je ne sais pas à
quand remonte la dernière fois que quelqu’un l’a prononcé devant moi.
Où sont les autres ?
Je regrette amèrement d’être sortie toute seule.
— T’as gâché ma vie ! hurle-t-il.
— C’est vous qui avez gâché la mienne.
Ma voix est si basse que je me demande si je l’ai dit pour moi ou pour
lui. Il explose de rire et je comprends qu’il n’est pas dans son état normal.
Je recule encore, la peur me prenant à la gorge. Il avance, tandis que j’ai des
difficultés à respirer.
— Tu crois vraiment que j’en ai quelque chose à foutre ?
Non, bien sûr que non. J’ai passé tellement de jours à me demander s’ils
regrettent leurs actes… Si j’avais mérité ça…
Mes jambes tremblent. Je suis complètement tétanisée par la situation.
Je me suis promis d’aller mieux…
Je mène un combat mental alors que le vrai danger est en face de moi.
Je ne le vois pas s’approcher et je me mets à hurler quand il m’attrape le
bras. J’essaye de me dégager, mais sa poigne est trop forte. Et cette fois-ci,
les larmes coulent, sans retenue.
Je ne sais pas ce qu’il veut aujourd’hui, mais il n’aura pas ce qu’il a déjà
eu des années plus tôt.
Je le griffe de toutes mes forces, mais je suis violemment tirée en
arrière, m’arrachant de sa prise.
— Si tu la touches encore une fois, je jure de te défigurer plus que tu ne
l’es déjà, sombre merde.
Je tombe sur les fesses et m’écorche la paume des mains sur le gravier.
Mais je n’y prête aucune attention, car la peur a pris possession de mon
corps.

Jayden, Jacksonville
Présent
En la voyant s’éloigner toute seule, j’ai d’abord hésité puis finalement,
je suis moi aussi sorti. Quel genre de personne laisserait une fille dehors,
seule, alors que la nuit est tombée ?

Quel genre d’homme je serais si je la laissais s’éloigner ?

J’ai commencé à suivre sa direction, toujours pas sûr de la raison qui


m’a poussé à la faire. Et puis, je l’ai entendue crier. Mes sens se sont mis en
alerte. Alors j’ai ouvert la porte qui nous séparait et quand j’ai vu ce mec la
tenir, mon sang n’a fait qu’un tour. Mon cœur s’est mis à battre plus fort.
Est-ce de la peur ? Ou de la colère ? Je n’arrive pas à l’identifier.
Je n’ai pas eu besoin d’une longue observation pour reconnaître la
personne décrite avec précision par Esteos : Lino.
Je jette un coup d’œil à Sierra, pâle comme jamais, assise par terre. Je
me mords l’intérieur des joues. Je l’ai peut-être tirée trop fort… Quoi qu’il
en soit, elle se redresse avant de se coller au mur et de me regarder comme
si je venais de faire quelque chose de magique.
C’est la première fois qu’elle me regarde de cette manière.
— C’est une blague ? Sierra, sei seria?
Il dit ça, la bouche ouverte, choqué. Il me regarde, les yeux écarquillés,
puis éclate de rire. Son rire n’est pas du tout naturel, j’ai envie de lui
défoncer la gueule.
Plus je l’observe et plus je décèle sur son visage les conséquences des
coups d’Esteos.
Je serre la mâchoire.
— Non, répond-elle, ce n’est pas ce que tu crois…
On a l’impression qu’elle parle dans le vide, perdue dans ses pensées.
Elle a dit ça d’une voix si faible que je doute qu’il ait réellement entendu sa
réponse. J’ai envie d’aller la voir pour lui demander ce qui lui arrive, mais
pour le moment, je dois juste veiller à ce qu’il ne l’approche pas.
— La blague, dit-il en tapant des mains. T’es forte, Sierra ! Putain !
T’es vraiment forte…
Je ne bouge pas, mais ça ne m’empêche pas d’être curieux. Je ne
comprends pas leur conversation, ce que je sais par contre, c’est que la
réaction du mec à un rapport avec ma présence.
— Je me demande comment il va réagir en apprenant ça, continue-t-il.
De qui parle-t-il ?
J’essaye de ne pas réagir sans réfléchir, mais le voir se foutre de sa
gueule me donne une soudaine envie de lui péter les jambes.
Je m’avance vers lui calmement, il reporte son attention sur moi et
penche la tête, attendant patiemment que j’arrive devant lui.
— Je te conseille de dégager. Parce que si ce n’est pas son frère qui te
renvoie à l’hôpital, ce sera moi qui t’enverrai dans ta tombe.
L’odeur de l’alcool flotte dans l’air et je relève la tête en comprenant
qu’il est tout sauf sobre. Un sentiment de dégoût m’envahit quand nos
fronts se frôlent.
Il est bien plus baraqué que moi, mais honnêtement, ce n’est pas cela
qui me fait peur. Ce qui m’oblige à rester calme, c’est de savoir que derrière
moi, il y a la petite sœur de mon meilleur ami dans un état extrêmement
préoccupant, et que je dois faire partir ce mec avant l’arrivée d’Esteos.
— Tu me menaces ?
— Ne rentre pas dans son jeu, supplie Sierra.
J’agrippe sa nuque et lui enfonce mon poing dans le ventre, le pliant en
deux. Il se redresse plusieurs secondes plus tard, désorienté. Il me regarde,
le visage sévère, et lorsqu’il s’apprête à riposter, il se met à tousser
violemment du sang. Je le regarde, constatant qu’il est loin d’être remis de
sa précédente altercation.
— Je le répète, c’est un conseil. Je te laisse dix secondes sinon je
termine ce que j’ai commencé.
Il essaye de reprendre appui sur ses jambes et commence à reculer
lentement, vaincu.
Je le regarde s’éloigner et commence à me tourner pour voir comment
va Sierra quand la voix de Lino retentit à nouveau.
— Tu ne seras jamais tranquille, Sierra, sache-le ! crie-t-il entre deux
quintes de toux. On sera toujours dans ton esprit.
Ces dernières paroles réveillent en moi un monstre refoulé qui depuis
longtemps ne demande qu’à sortir. Je me tourne, empli de rage. Je vais le
buter. Je vais le tuer.
Je m’apprête à le rattraper pour en finir avec lui, mais une main froide
vient s’enrouler autour de mon poignet. Je me tourne brusquement vers la
jeune femme en face de moi, les yeux toujours embués de larmes qui
m’implorent de me calmer. Je ne l’ai jamais vue aussi vulnérable et j’en
viens presque à préférer son autre facette, dure, arrogante et détestable.
— C’est bon… Merci.
Je dégage ma main d’un geste sec alors qu’elle essuie les dernières
larmes qui perlent aux coins de ses yeux. Je ravale ma haine en entendant
les autres arriver.
— Ah, vous êtes là !
Je ne détache pas mon regard de l’endroit par lequel Lino a disparu.
Esteos vient poser sa main lourde sur mon épaule et je me raidis en
observant Sierra faire comme si rien ne venait de se passer.
Ils commencent tous à parler tandis que je la regarde.
Elle aussi me jette des coups d’œil furtifs, suppliant de ne rien dire. Je
secoue la tête et me dirige vers son frère.
— Esteos, Lino est venu jusqu’ici.
Chapitre 20

Sierra, Jacksonville
Présent
On est dans la voiture. Logan en train de conduire, à sa droite Hunter
sur son portable. Esteos et moi, derrière. Aucun de nous deux ne parle,
aucun de nous deux ne veut parler. Mon cœur a chuté quand j’ai entendu
Jayden prononcer ce nom. Esteos, Lino est venu jusqu’ici. Il a énoncé cette
phrase avec une telle simplicité que j’ai eu l’impression d’être mise à nu.
À aucun moment, Lino ne s’est présenté. Il n’a pas dit son nom et
Jayden n’est pas censé le connaître… Lorsque mon regard a croisé celui de
mon frère, devant le stade, le vent soufflant dans mes oreilles, un sentiment
de trahison s’est immiscé dans mon esprit. Je suis blessée. C’est mon
frère… Et il est parti voir Jayden. Jayden.
Je me demande maintenant si les autres aussi sont au courant.
Quand il a saisi mon expression, mon sentiment d’amertume, son visage
a perdu ses couleurs et la joie de vivre qu’il avait affiché au cours de ces
dernières heures. Je ne veux pas lui parler, je ne veux même pas pleurer. J’ai
versé trop de larmes.
On se retrouve donc dans la voiture de Logan, Jayden nous suit à moto,
direction la maison.
— Vous êtes bien calmes, tous les deux, dit Logan.
Je regarde le paysage défiler, mon front collé à la vitre. Calme est un
bien grand mot. À l’intérieur de moi, un déferlement d’angoisse s’agite et la
nausée se fait de plus en plus grande alors que la voiture roule. Je sens
encore sa main m’attraper. J’ai cru que c’en était fini pour moi. J’ai
vraiment cru que j’allais y passer.
Ma jambe bouge frénétiquement contre le plancher de la voiture. Je
n’arrive pas à m’arrêter, les courbatures me gagnent, mais je continue.
— Sierra, commence mon frère.
— C’est bon… Laisse tomber, le coupé-je.
Il soupire et passe une main sur son visage. Je ne dis pas que c’est facile
pour lui, ce n’est facile pour aucun de nous de devoir me gérer
constamment. Je sais que j’extériorise mal les choses.
Une fois la voiture garée, je détache ma ceinture à la hâte et je descends
avant de claquer violemment la porte de la voiture.
— Eh ! Ma bagnole ! crie Logan.
J’entre dans la maison, enlève mes chaussures et cours dans ma
chambre pour éviter de voir mes parents. Je manque de trébucher sur les
marches tant mon cœur me fait mal. J’ai besoin d’être seule. Vraiment
seule…
Une fois enfermée, je suis soulagée que personne ne vienne me
demander comment je vais. Parce que je ne parlerai pas. C’est toujours
comme ça, on nous demande constamment comment ça va. Pensent-ils
sincèrement qu’on va leur dire la vérité ?
Je fonds en larmes. Je suis épuisée, fatiguée de devoir aller mieux, pour
finalement, quand j’y arrive enfin, subir un énième coup.
Il y a tellement de choses que j’aimerais dire, que j’aimerais exprimer.
Mais je ne sais ni par où commencer ni à qui en parler.
Je veux pouvoir mettre des mots là où les gestes m’ont fait taire. Je
veux pouvoir mettre des mots sur ce que je ressens, sur ce que je vois
pendant mon sommeil, sur ce que j’ai éprouvé lorsque j’ai eu l’impression
de ne plus m’appartenir.
Je rampe jusqu’à m’adosser au mur et pleure comme je ne l’ai plus fait
depuis longtemps. Je me morfonds sur mon sort et laisse couler ma peur. Un
haut-le-cœur me prend et j’ai immédiatement envie de vomir.
La salle de bains.
Je sens la chaleur envahir mon corps. Mes cheveux me tiennent trop
chaud, me font me sentir trop lourde. Mon rythme cardiaque s’accélère, et
tout mon corps commence à trembler de manière incontrôlable. J’essuie
mes larmes comme je peux pendant que je me tiens les cheveux au-dessus
la cuvette, essayant désespérément de me faire vomir.
Je n’y arrive pas, rien ne sort et l’envie de me marteler de coups dans le
ventre m’effleure l’esprit. Calme-toi…
Je me lève comme je peux pour passer de l’eau sur mon visage, mais
même ce geste me donne l’impression de me verser de l’acide sur la peau.
Mon corps me démange, j’ai envie de me gratter.
Je retourne dans ma chambre et reste par terre devant mon miroir. Je me
regarde avec dégoût, j’arrache ma veste et mes ongles commencent à
vouloir gratter les démangeaisons qui n’en sont pas. Ça me prend de
partout, ma gorge me gratte alors j’enfonce mes doigts dans ma peau, la
faisant rougir sous l’intensité de mes gestes.
Ma poitrine commence elle aussi à s’enflammer et avec peine, j’enlève
mon haut pour racler ma peau avec mes ongles.
Je me vois, face au miroir, rouge, le soutien-gorge noir qui n’est là que
pour me convaincre que je suis encore habillée. Que je ne suis pas en train
de m’arracher la peau.
Et ma tête m’incite à le faire plus fort. Plus fort. Encore plus fort.
Comme si me gratter pouvait enlever toutes traces de lui.
Prise de rage, je mets un coup au miroir qui tombe dans un fracas
assourdissant. Les bouts de verres par terre me donnent envie de les prendre
et de me couper la peau avec.

Esteos, Jacksonville
Présent
Quand j’ai expliqué à nos parents ce qu’il s’était passé, ils sont devenus
très inquiets, plus qu’ils ne le sont déjà. Sierra est montée dans sa chambre
sans leur parler et notre mère a demandé que nous la laissions seule. Quand
Sierra est dans cet état, le mieux est de la laisser se calmer pour ensuite lui
parler à tête reposée.
Elle croit que j’ai tout raconté à Jayden, mais comment lui dire que ce
n’est pas le cas alors qu’elle ne veut rien entendre ?
J’attends donc, comme l’a conseillé maman, assis sur le canapé avec les
garçons. Je n’arrive même pas à me réjouir de ma victoire.
Mes parents se sont préparés pour aller au restaurant, mais une fois
informés de la situation, ils ont voulu rester. Mais je veux vraiment qu’ils
profitent de leur soirée, car à cause de leur travail, ils ne sont pas sortis
depuis très longtemps.
Ils ont à peine mis un pied dehors que je porte une cigarette à la bouche.
Sierra est la personne pour qui je m’inquiète autant.
— Eh, ça va mec ? me demande Logan.
Même lui, en voyant l’ambiance de la maison, ne fait pas de blague
débile. Je vois tout de même qu’il essaye d’apaiser les tensions.
— Ouais.
— Vous avez pété le score aujourd’hui, s’extasie-t-il.
— Laisse-le, interrompt Jayden.
Je sursaute lorsqu’au même moment un bruit d’éclat retentit à travers la
maison. Je relève la tête et on se lance tous un regard, inquiets. Les yeux
écarquillés, mon esprit se brouille.
— Oh bordel… lâche Hunter.
Comme un seul homme, on se lève tous d’un bond et je trace le premier
pour monter les escaliers en vitesse. On arrive tous paniqués devant la porte
verrouillée de la chambre de Sierra.
— Sierra ? SIERRA !?
Je tape sur la porte comme un dingue, mais aucune réponse ne vient de
l’autre côté. Mon cœur commence à palpiter désagréablement. Mais
soudain, elle pleure fort, tellement fort que je me demande si elle n’est pas
en train d’agoniser.
— Pousse-toi, m’ordonne Logan. Désolé, monsieur et madame
Sanchez, mais c’est pour la bonne cause.
Il prend de l’élan et la porte cède sous la violence de son coup de pied.
Je dégage le reste du bois et, avec soulagement, je constate que Sierra n’est
pas derrière la porte. Ce soulagement se transforme toutefois rapidement en
une émotion bien plus négative.
On entre tous dans la chambre, mon corps ne m’obéit plus, je cours vers
elle. Le miroir est brisé sur le sol, des bouts de verre sont éparpillés et c’est
avec horreur que je vois quelques morceaux plantés sous les pieds de ma
sœur.
Elle saigne. Ses ongles sont noirs et ses bras sont égratignés de tous les
côtés.
Elle continue de se gratter et elle se met à hurler de douleur, le front en
sueur.
Je tombe à genoux face à elle, ignorant la douleur qui me traverse en
sentant les morceaux de verre me lacérer. Je la prends dans mes bras.
— Chut… Sierra, calme-toi, je suis là… C’est moi.
Elle continue à se gratter même sous la force de mon étreinte, alors
j’attrape ses mains et les dégage de force.
— J’ai besoin que quelqu’un lui fasse couler un bain !
Hunter paralysé, recule et finit par rester devant l’encadrement de la
porte. Logan saute par-dessus le miroir et se précipite pour exécuter mon
ordre.
Je n’arrive pas à calmer ma sœur. Je n’y arrive pas… Et ça me met
encore plus en colère. Je passe mes mains sur son visage et essaye de la
canaliser pour qu’elle ne pense plus à sa tristesse ou à sa douleur.
— Laisse-moi faire.
Je ne sais pas à quel moment Jayden a disparu, mais il a une boîte de
premier secours dans les mains et je l’écoute, ne sachant pas comment agir.
Je grince des dents en me relevant, les genoux en sang.
Quant à mon meilleur ami, il balaye de ses mains ce qu’il reste des
morceaux de verre. Il ne bronche pas une seule seconde. Il vient ensuite
s’asseoir face à Sierra. Il prend son visage d’une main, et pose son autre
main sur mon épaule. Elle se tend instantanément et essaye de se replier sur
elle-même, mais Jayden ne la laisse pas faire.
— D’accord, Sierra, je veux que tu m’écoutes, commence-t-il.
Je le regarde, dépassé par la situation. Je n’ai pas eu à gérer ce genre de
crise depuis plus d’un an maintenant et même lorsque Sierra en faisait,
c’était ma mère qui la calmait. Moi, je ne suis pas doué pour ce genre de
situation.
— Tu m’écoutes ?
Elle continue de suffoquer comme si plus rien autour d’elle n’avait de
sens. La mâchoire de Jayden se serre avant qu’il ne souffle et avec
hésitation je le vois prendre la main de Sierra pour la poser sur son torse. Il
prend une grande inspiration.
— On va faire un truc. Tu sens mon cœur ? Essaye de l’imiter. On va
respirer ensemble, d’accord ?
Elle n’a pas l’air de l’écouter, pourtant quand Jayden respire une
première fois, la bouche ouverte, elle l’imite. À la deuxième respiration,
Jayden s’empare d’un coton pour mettre du désinfectant dessus.
Je m’avance pour l’aider, mais je comprends à son regard qu’il est
préférable que je reste à distance.
À la troisième respiration, il retire le premier bout de verre et presse
l’endroit avec le coton qui s’imbibe rapidement de sang. Elle lâche un
hurlement déchirant qui se calme sous les doigts de Jayden qui caresse son
poing fermé posé sur son torse.
— C’est bien, mon cœur… Continue comme ça.
Ma bouche s’ouvre. Comment vient-il de l’appeler ?
J’ai le regard dans le vide. Je me sens impuissant, la gorge sèche, je le
regarde faire, comme une machine. Les mêmes mouvements, les mêmes
gestes. Je n’interviens pas une seule fois.
— Le bain est prêt, dit Logan, de l’autre côté de la chambre.
On regarde tous au même endroit.
— Je vais laisser ton frère prendre le relais, d’accord ? Il va te porter
jusqu’à ton bain et ensuite il te soignera. N’aie pas peur, on est là, on ne te
fera rien… Je ne te ferai rien.
Quelque chose dans la voix de mon ami dégage une vulnérabilité et je
ne la reconnais que trop bien… Je l’ai connu à une époque où, à la place de
Sierra, c’était lui.
Je passe un bras sous les genoux de Sierra et l’autre derrière sa nuque.
J’apprécie que Logan détourne le regard lorsque je passe devant lui pour
rentrer dans la salle de bains. Je n’ai même pas besoin de leur dire de partir,
qu’ils sortent sans un mot de plus.
Une fois tout le monde dehors, je la plonge dans le bain, son jean encore
sur elle. Elle soupire instantanément malgré la grimace sur son visage. Ses
yeux sont fermés, je me doute qu’elle ne doit plus avoir aucune énergie.
— Sierra…
Elle renifle bruyamment et refuse de la tête la discussion qui s’apprête à
suivre.
— Je suis désolé… Mais tu t’es trompée. Je n’ai rien dit à personne, je
ne me le permettrais jamais. La seule raison pour laquelle Jayden est au
courant de l’identité de… l’autre, dis-je, comme si prononcer son nom me
brûlerait la gorge, c’est parce que je lui ai demandé de te surveiller…
Elle ouvre finalement les yeux, rougis et gonflés.
— Pourquoi lui ?
— Il est dans ton lycée…
Ce n’est même pas une excuse.
— Je n’oserais jamais te trahir Sierra, tu es ma sœur et j’ai promis de
toujours veiller sur toi. J’ai juste… tellement peur de refaire les mêmes
erreurs.
Je n’arrive pas à parler. Les mots restent coincés dans ma gorge. Aucun
de nous deux ne parle pendant peut-être trois minutes. Je suis assis sur le
carrelage, les bras sur les genoux.
J’entends l’eau bouger et tout doucement, les bras de Sierra viennent
s’enrouler autour de mes épaules. Je souffle, soulagé qu’elle aille mieux. Je
passe une main sur ses cheveux et je ne peux m’empêcher de sourire.
Sierra est toute ma vie.
— Merci Esteos…
Chapitre 21

Sierra, Jacksonville
Présent
Les jours qui ont suivi, je me suis sentie plus vide que jamais. J’ai séché
les cours pour rester cloîtré dans ma chambre, incapable de mettre un pied
en dehors de chez moi.
Malheureusement, je ne pouvais pas me permettre de rater plus de cours
alors dès lundi matin, il a fallu que je retourne au lycée. Je suis assise tout
au fond de la classe, trop déconcentrée pour écouter quoi que ce soit de ce
cours barbant à souhait.
Depuis vendredi, j’évite les garçons comme la peste. Contrairement à ce
que je craignais, ils n’ont fait aucune remarque quand je suis descendue une
fois calmée, la tête plus lourde qu’un éléphant.
Logan est toujours aussi cru et insupportable et Jayden toujours aussi
froid et indéchiffrable. Seulement, il y a quelque chose qui a changé… Une
gêne s’est installée entre nous.
J’ai passé les deux autres jours à ressasser cette soirée. Avant, je faisais
souvent ce genre de crise, mais celle-ci m’a prise de court. Je n’ai plus
l’habitude de gérer ce trouble, je n’ai jamais su le gérer en réalité…
Quand mes parents sont rentrés, ils ne savaient plus quoi faire. Encore
moins quand ils ont vu ma porte par terre, avec un trou béant en plein
milieu.
Je passe ma main sur mon poignet, repensant à Jayden qui m’est de
nouveau venu en aide…
Mon cœur…
Mon cul, ouais.
Néanmoins, lorsqu’il m’a demandé de respirer en même temps que lui,
mon esprit n’a pas su se focaliser sur autre chose que les battements de son
cœur.
Il a même enlevé les bouts de verre sous mes pieds…
Je me rends compte que je ne ressens plus de haine envers Jayden… Et
c’est bien là le problème. Je commence à baisser ma garde…

Mon casier s’ouvre en grinçant et mes lèvres s’étirent doucement en


voyant une enveloppe à l’intérieur. Ce n’est pas un bout de papier déchiré
d’un cahier comme la dernière fois, il s’agit d’une enveloppe du type de
celles qui sont fournies par l’établissement.
Je ferme brusquement mon casier quand une main se pose sur mon
épaule.
— Wow, c’est moi, rigole-t-il.
Je fronce les sourcils en voyant devant moi le garçon de la dernière fois.
Cameron… C’est lui qui m’a demandé si mon frère s’était réellement battu.
Je n’apprécie pas du tout sa présence, mais j’attends de voir ce qu’il me
veut.
— Je peux t’aider ?
Il me sourit, affichant ses dents blanches. Je hausse un sourcil, pas
certaine que sa technique fonctionne avec moi. Il est dans l’équipe de
football et la dernière chose que je veux c’est qu’on nous voie ensemble.
Pas besoin de courir derrière les ragots pour connaître les agissements de ce
type avec les filles.
— En fait, je voulais m’excuser pour la dernière fois. J’ai été trop
brusque, hein ?
Je hoche la tête tandis qu’il continue de sourire.
— T’es en pause ?
— Oui.
— Si ça te dit, tu peux te joindre à nous pour manger un peu…
Je n’ai pas vraiment faim. Et encore moins si c’est pour manger avec
lui.
— Nous ?
Je vois son regard se poser derrière moi à plusieurs reprises. Je soupire.
— Je vais te laisser… J’ai des choses à faire.
Je n’ai absolument rien à faire, mais si ça peut m’aider à m’échapper de
ses griffes, ce petit mensonge ne tuera personne.
Son regard revient vers moi quelques secondes, mais je vois qu’il
observe quelque chose de beaucoup plus intéressant derrière moi. Je décide
de regarder à mon tour.
Je penche la tête sur le côté en voyant que Jayden nous regarde de loin.
Il est adossé contre un mur tout seul, comme si depuis le début, il nous
épiait. Quand son regard gris croise le mien, il se décolle du mur et se dirige
vers moi sans jamais briser notre contact visuel.
— Cameron, je crois que t’as pas compris ce que je t’ai dit, commence
Jayden.
Je ferme les yeux… Quand ce n’est pas mon frère, c’est lui.
— Je n’ai rien fait, répond Cameron.
— Ah ouais ? Et ce pari ?
Mes yeux s’ouvrent sous le choc.
De quel pari parle-t-il ?
Je regarde Cameron qui se ferme complètement. Il ne sourit plus et
lance un regard de tueur à Jayden, derrière moi.
— Tu disais quoi déjà ?
Je déglutis en sentant son odeur s’immiscer dans mon espace vital. Il a
fumé quelques minutes plus tôt, je le sens. J’essaye de caler ma respiration
sur la sienne pour cacher ma gêne.
— Que tu la toucheras comme ça ?
Il accompagne ses propos de gestes. Sa main passe lentement sur ma
nuque pour dégager mes cheveux. Mon dos se tend. Ses doigts effleurent
délibérément ma peau. Cameron affiche un visage plus dur quand il voit les
lèvres de Jayden s’étirer en un sourire agacé.
— Je pense que j’ai compris, lui dis-je.
Son souffle chaud effleure mon oreille.
— Dégage, me chuchote-t-il, maintenant.
Je recule doucement pour le regarder dans les yeux. Son visage est trop
près de moi…
— Je t’emmerde, dis-je sur le même ton.
Celui-ci ne tilte même pas et je vois qu’il se retient de sourire. Je le
dépasse et ne me retourne pas une seule fois.

— Papa et maman sont sortis pour acheter les cadeaux de Noël.


J’avale de travers la boisson qu’il m’a ramenée en venant me chercher
au lycée. Je prends mon portable et je regarde la date. Dix-huit décembre,
bientôt les vacances, bientôt Noël, je n’ai rien acheté…
— Merde, j’avais complètement zappé…
Mon frère se moque de moi.
— Papa a aussi forcé les garçons à venir fêter Noël à la maison…
Toujours plus. Hunter est toujours dispo comme tu le sais, manque plus
qu’à savoir si Jay et Logan peuvent se joindre à nous, eux aussi.
Hunter est en colocation avec un étudiant de sa fac. Ses parents ont
déménagé après sa dernière année de lycée qui remonte à septembre
dernier, mais le blond ne se voyait pas finir ses études autre part, alors il est
resté.
Logan a des parents trop absents malheureusement… Mais
étonnamment, il n’a pas l’air si affecté que ça par ce manque de présence. Il
est majeur et gère sa vie tout seul. Si je ne dis pas de bêtise, son père est
pilote d’avion et sa mère hôtesse de l’air.
Et Jayden… Je sais seulement qu’il habite avec sa tante, rien de plus.
J’ai longtemps voulu ne rien savoir à son sujet, mais cette affirmation n’est
plus vraiment d’actualité.
— Jayden, pourquoi il vit avec sa tante ?
Je vois l’expression faciale d’Esteos changer, et avant de me répondre,
il se gare devant la maison.
— Chacun ses secrets, Sierra.
Chapitre 22

Sierra, Jacksonville
Présent
Comme je m’y attendais, Jayden et Hunter seront présents pour Noël. Et
pour Logan… Je ne suis pas proche de lui, mais je suis soulagée que ses
parents aient pris des congés le temps des fêtes de fin d’année.
Penser à dimanche me rappelle que ça va faire une semaine que je n’ai
pas vu Jayden. Je n’arrête pas de penser à lui. Ça en devient agaçant.
Maintenant que j’ai tout ce qu’il me faut, je n’ai qu’une hâte : rentrer
chez moi. Je suis fière de tous mes cadeaux. Il y en a pour tout le monde,
même pour les garçons. Ce serait impoli de ma part de ne rien acheter pour
eux. Je crois que je n’ai jamais autant dépensé pour quoi que ce soit de
toute ma vie. Je pleure d’avance ma liste de livres à acheter qui ne
diminuera plus avant plusieurs mois, car mon portefeuille est à présent…
vide.
Ce soir, ce sont Esteos et Hunter les chefs cuisiniers.
Je soupire tout en écoutant ma musique. Mes yeux ne quittent pas le
plafond blanc au-dessus de ma tête. Je cligne des yeux plusieurs fois
jusqu’à revoir le même plafond que ce fameux jour.
Je n’étais qu’en classe de seconde…
Avec le recul, je me rends compte du nombre de choses qu’on se croit
capable de faire à un jeune âge. On se croit mature… Plus mature que les
autres personnes de son âge. Finalement, on finit par se perdre soi-même et
intérioriser des choses inconsciemment.
Je me revois en train d’aller à des soirées, faire le mur, boire, fumer…
Qu’est-ce que je regrette… Le regret est un sentiment qui me ronge de
l’intérieur. Parce que quoi qu’il arrive, c’est trop tard… Ma chance est
passée, maintenant, il ne me reste plus qu’à encaisser.
Je m’assois sur le lit, le regard perdu, et face à moi, l’endroit où résidait
quelques semaines plus tôt mon miroir désormais brisé.
Machinalement, je me mets à bouger la tête en touchant ma joue, mon
nez, mon front puis mes lèvres. Il n’y a plus aucune trace… Enfin, presque.
Mes doigts passent sur le petit creux sous mon sourcil gauche. Une
cicatrice. Je ne sens plus les balafres sur mon visage, mais la douleur est
toujours là, à ramper sous ma peau comme un poison.
La vie n’est pas un livre, Sierra… Tout n’est pas parfait dans ce monde.
C’est pour ça que quand on me demande pourquoi j’aime lire, je souris
simplement et n’apporte aucune réponse.
Lire m’a ramenée à la vie quand je me suis tuée dans ma réalité.
Je finis par m’asseoir par terre avec mon papier cadeau et tous les sacs.
Je change de musique pour mettre du Lana Del Rey et chantonne sans trop
faire attention à l’heure qui passe. Je souris, satisfaite de ce que je vais offrir
dans quelques jours. Je m’arrête en regardant du coin de l’œil le paquet
pour Jayden.
Pourquoi je fais ça ?
Je rigole en repensant au premier cadeau qui m’est venu en tête quand
Esteos m’a dit qu’il serait présent pour Noël. Un mug avec une écriture
personnalisée : Connard un jour, connard toujours.
Une demi-heure plus tard, je me lève, les jambes et les fesses
engourdies. Je ne suis pas peu fière des paquets que j’ai faits.
Je descends, mon ventre criant famine. L’odeur des pâtes au pesto me
fait immédiatement saliver. Je me rue vers la cuisine dans laquelle la table
est pratiquement dressée. Je jette un coup d’œil aux deux garçons qui
s’occupent de tout.
— À table, hurle mon frère.
Ma mère arrive dans la cuisine et semble se moquer des garçons qui ont
l’air exténués.
— Je veux voir ça tous les jours dorénavant, dit-elle.
En passant devant nous, Hunter sourit de toutes ses dents et me lance un
clin d’œil. Je suis soulagée de voir qu’il n’est plus distant… Lui aussi fait
comme si rien ne s’était passé, et c’est tant mieux. Je ne veux pas me le
mettre à dos à cause de mes problèmes…
Je place les couverts à côté de chaque assiette. Mon corps lutte pour ne
pas regarder Jayden. Je ne sais même pas pourquoi je veux autant savoir ce
qu’il fait.
Je passe non loin de lui et fais tomber une fourchette.
— Merde, chuchoté-je pour moi-même.
Je me baisse pour la ramasser en dessous de la table. En me relevant, je
me prends le haut de la tête sur le coin. Je ferme les yeux, par réflexe.
Mais la douleur ne vient pas. Je me relève doucement et vois avec
surprise, la main de Jayden enserrer l’endroit où ma tête s’est cognée
quelques secondes plus tôt.
Il ne me regarde même pas, concentré sur son écran.
— … Merci.
Il lève les yeux vers moi tandis que je reste debout, à côté de lui. Son
regard dévie sur sa main qu’il enlève doucement avant de la ranger dans la
poche centrale de son sweat.
Je mords l’intérieur de mes joues.

— Et donc, Logan, comment se passent tes cours à l’université ?


Croyez-le ou non, Logan Mensen est un fanatique des instruments de
musique, plus particulièrement des guitares. On l’a déjà entendu chanter
aussi. C’est un très bon chanteur, mais ça, il ne l’entendra sûrement jamais
de ma bouche. Je préfère me faire mordre le cul par un chien que
d’admettre à haute voix qu’il a une belle voix.
— Très bien, je passe mes premiers examens bientôt… Ça devrait bien
se dérouler.
Je ne comprends pas comment ma mère réussit toujours à leur poser des
questions après toutes ces années. Je suis époustouflée par son imagination.
Moi je n’ai ni la capacité à tenir une conversation plus de deux minutes ni la
capacité à être aussi à l’aise avec les gens.
— Et toi, Jayden ? Vous êtes dans le même lycée avec Sierra ?
Je regarde le concerné qui sourit doucement.
Je joue avec mon plat en attendant de voir ce qu’il va répondre.
— Malheureusement, je ne la croise pas souvent. Mais j’espère que ça
changera bientôt.
Je manque de m’étouffer.
Chapitre 23

Sierra, Jacksonville
Présent

Tesoro ?
Tesoro.
Sierra.
Mon corps brûle.
Ma tête brûle.
Je brûle ?
Est-ce que je brûle ?
Pourquoi je ne bouge pas ?
Est-ce qu’on m’a droguée ? Encore ?
Est-ce que je suis consciente ?
Pourquoi je fais ça ?
Je suis toujours secouée de la même manière.
Mon corps bouge douloureusement.
On me fait bouger sur quelque chose.
Je plane. Je crois, je crois que j’ai mal.
Je ne sais pas finalement…
J’ai l’impression de dormir.

— Sierra ! Eh… C’est moi, calme-toi, chut…


Je me débats violemment, je veux hurler, mais ma gorge se bloque au
dernier moment. Je manque de souffle. Je n’arrive pas à respirer
correctement. Je recule. Je lui mets des coups.
— SIERRA !
Je me fige, les yeux inondés de larmes. Je me tiens la gorge. Je
m’étouffe. Je prends de grosses bouffées d’air.
Je vois à travers ma vue troublée, mon frère. Je le vois de plus en plus
clairement.
— Je… Je suis désolée.
Esteos a l’habitude, c’est triste à dire… Il est calme et étudie
patiemment mes réactions pour savoir quelle est la meilleure manière de me
calmer. J’aperçois tout de même des marques rouges autour de son cou.
Mes ongles…
Je ferme les yeux un instant pour reprendre mes esprits, mon frère en
profite pour refermer ses bras derrière mon dos.
Inspire, expire, inspire, expire…
Merde.
— Où sont les garçons ?
Il ne me répond pas tout de suite. Je les ai réveillés… Je passe ma main
sur mon visage et me retiens de pleurer à nouveau. Pas de tristesse, mais de
colère. Je suis vraiment une plaie.
Mes épaules s’affaissent.
— Je suis désolé… me rassure-t-il.
Je ne sais même pas pourquoi c’est lui qui s’excuse… Quand je lève la
tête, je vois papa et maman dans l’entrebâillement de la porte. Ma mère,
toujours aussi sensible à mes crises, pleure à chaudes larmes. Mon père me
regarde, je sens qu’il ne sait pas quoi faire.
Regarde ce que tu fais…
Je me répète en boucle dans ma tête à quel point je dois être pesante
dans cette famille. Je suis brisée.
— Tu veux que je reste avec toi ? propose Esteos.
Je secoue la tête en signe de négation. Je ne veux pas l’embêter
davantage… Et puis je sais que ma nuit s’arrête ici…
— Je ne vais pas réussir à me recoucher maintenant.
Il me regarde avec une bonté dont lui seul a le secret. Plus personne ne
se formalise de mes nuits blanches. Ça ne sert à rien de me forcer.
Il m’embrasse lentement les cheveux et s’attarde pour m’envelopper
d’excuses silencieuses.
— Au cas où tu t’endormirais… Bonne nuit, Sierra.
— Bonne nuit.
Il s’en va en même temps que nos parents et ferme la porte derrière lui.
J’entends à peine une seconde plus tard la porte de la chambre de mon frère
s’ouvrir.
— Elle va bien ? demande Logan.
Malheureusement ou heureusement pour moi, le mur entre ma chambre
et celle d’Esteos est aussi fin qu’une toile d’araignée.
— Mec, est-ce qu’elle va bien ? répète Hunter, qu’est-ce qu’il s’est
passé ?
Silence.
Plusieurs secondes s’écoulent sans aucun bruit.
— Ça ne vous regarde pas, je vous l’ai déjà dit, répond-il enfin.
— Ouais, désolé, finit par répondre Logan.
L’arrière de mon crâne vient rencontrer la tête de mon lit. En presque
deux ans j’ai réussi à éveiller aucun soupçon et c’est maintenant que ça
commence ? J’en suis la seule fautive…
Je regarde l’heure qui m’indique six heures passées. Je me décide à me
lever du lit pour aller prendre une douche. J’ai chaud et je suis couvert de
sueur.
Mon visage à travers le miroir de ma salle de bains reflète la fatigue qui
m’étreint. Ma peau est pâle et huileuse.
Mes lèvres sont sèches et rouges à force d’enlever la peau. J’attache
mes cheveux en un haut chignon et entre dans la baignoire pour prendre une
douche rapide.

Jayden, Jacksonville
Présent
Six heures tapantes.
C’est l’heure depuis laquelle je n’ai pas fermé l’œil.
Premièrement, parce que je n’ai plus sommeil, deuxièmement, parce
qu’elle a encore fait un cauchemar et que j’en suis encore plus perturbé.
Qu’elle le nie ou pas, je sais que d’une certaine manière, ça a un lien
avec moi. Un pressentiment, c’est comme ça que je définis ce que je
ressens. Maintenant, je veux savoir ce que j’ai à voir dans tout ça.
Je me répète ces trois règles depuis quatre heures maintenant :

Tomber amoureux ? C’est dangereux.


Ressentir la douleur ? C’est inimaginable.
Éprouver un quelconque sentiment ?
Je n’en ai pas le droit.

Je ne suis plus capable d’éprouver des sentiments… Encore moins pour


elle. Surtout pas pour elle.
Et ce, depuis l’âge de dix ans. Je souffre de ce qu’on appelle dans le
milieu médical « l’asymbolie à la douleur ». Je ne ressens aucune douleur
psychologique, ni douleur physique.
Je la sens, bien sûr, mais ce n’est pas… douloureux.
C’est une maladie qui m’a été diagnostiquée après un long examen, les
causes peuvent être variées… Lésion cérébrale, choc traumatique…
J’ai mis longtemps à accepter que je ne pourrais pas guérir de ça.
J’ai aussi mis longtemps à accepter que cela influencerait énormément
le regard des autres sur moi. Ils ont tendance à nous confondre avec des
sociopathes. Mais moi, je ressens des émotions, je ressens celles des autres.
Je suis empathique… C’est seulement la douleur qui m’est inconnue.
Pourtant, je la ressens d’une autre manière.
Elle s’accompagne d’une intense frustration. On me prive de la
souffrance, mais finalement, ça me pousse encore plus à la chercher.
Je me frotte les yeux et regarde mes amis encore plongés dans le
sommeil.
Sierra est réveillée, j’en ai la certitude. J’ai entendu l’eau couler dans sa
salle de bains. Ça me fait penser que j’ai fini son livre… Et pour être
honnête, j’ai trouvé ça très divertissant.
Je souris en repensant au moment où je lui ai demandé à quoi servaient
les Post-it roses. J’ai ma petite idée maintenant.
J’enjambe Logan avant de me rendre dans la salle de bains du couloir. À
force de venir chez eux, on a chacun une brosse à dents. En me faisant
craquer la nuque, je m’étire les bras, ce qui fait ressortir les tatouages qui
couvrent l’intégralité de ces derniers. En vérité, aucun de mes tatouages n’a
de signification… Presque aucun.
J’ébouriffe mes cheveux qui commencent à m’aveugler tant ils me
tombent sur les yeux.
Mes yeux sont injectés de sang, pourtant je ne peux m’empêcher
d’observer ces iris gris et bleus. Le gris ressort bien plus que la couleur
océan des yeux de ma mère. Je déteste ça… J’aurais tellement voulu avoir
ses yeux bleus.
Mes cheveux foncés n’arrangent pas les choses, on ne voit que le
contraste entre mes yeux et ma chevelure.
Elle ne lève pas les yeux quand je passe devant elle. Je la dépasse pour
accéder à la cuisine et me servir un bol de céréales. Logan me rejoint peu de
temps après et ainsi de suite, tout le monde finit par se réveiller.
Esteos, comme un parfait grand frère, passe dire bonjour à sa sœur et je
zieute Hunter qui va en faire de même. Quelque chose en moi me titille en
ce moment.
Pourquoi lui a le droit de faire ça ?
D’un côté, je suis amusé de voir Sierra me résister autant, mais de
l’autre, une partie de moi souhaite briser cette coquille dure.
Sentant mon regard sur elle, elle relève ses yeux marrons vers moi.

Il suffit de les apprivoiser pour y déceler du vert.

Si seulement ce n’était que la couleur de tes yeux que je voulais


déceler…
Chapitre 24

Sierra, Jacksonville
Présent
Le regard de Jayden me brûle le dos. Je tourne la tête dans sa direction
pour soutenir son regard. Il engloutit cuillère après cuillère le contenu de
son bol, sans expressions sur le visage. Parfois je me demande s’il a déjà
ressenti une émotion positive dans sa vie. Je peine à maintenir son regard
gris plus longtemps. Je suis mal à l’aise, voire trop à l’aise en fait…

— Alors ta nuit ? me demande Hunter en me sortant de ma


contemplation.
J’entends Esteos s’étouffer dans son verre de jus d’orange et Logan se
taper la paume de la main sur le front. Je ne sais pas comment répondre à sa
question…
— Euh… bien.
Il hoche lentement la tête, comprenant la bêtise qu’il vient de faire.
Mais ça m’énerve, ils font exactement ce que je ne veux pas qu’ils fassent.
Me parler avec pitié. Ils me parlent comme si n’étais qu’un morceau de
verre fragile.
Je soupire et me reconcentre sur le livre.
— Désolé… chuchote Hunter.
Je relève la tête et lui lance un sourire, le cœur lourd.
Ça va aller…
— Pourquoi dit-on que les poissons travaillent illégalement ?
Je ne comprends pas au début que Hunter s’adresse à moi. Je marque
une pause dans ma lecture et quand nos regards se croisent, j’étouffe un rire
de gêne. Il rigole à son tour.
— Parce qu’ils n’ont pas de FISH de paie !
— Oh mon Dieu, la ferme, p’tit con, suggère Logan.
Je me lève pour partir dans ma chambre. Je ne suis pas du tout dans
mon assiette et encore moins pour leurs idioties…
— Tu sais, ces mecs dans tes livres, commence-t-il, parfois ils ne sont
pas du tout réalistes.
Mes talons pivotent en direction de la cuisine. C’est à moi qu’il parle ?
Bien sûr qu’il te parle, débile, qui d’autre lit dans cette baraque ? Je
cligne des yeux plusieurs fois, mais oui, il me regarde avec ses yeux d’acier.
— Pardon ?
— Je t’excuse, dit-il, avec un léger sourire au coin des lèvres.
Je fronce les sourcils, contrariée. Son regard se baisse sur le bouquin
que je tiens entre mes mains et mes doigts se serrent dessus.
— Je parle du livre que tu tiens.
— Mec, il a enchaîné deux phrases de suite ! Oh putain, faut fêter ça,
crie Logan en tapant dans le dos de mon frère.
Jayden lui lance un regard sévère. Je veux qu’il argumente.
— Peux-tu préciser ta pensée ?
Il se lève pour débarrasser le bol. Je ne sais pas si c’est pour attirer
l’attention, mais il laisse place à un silence presque provocant.
— Les livres écrits par des femmes ne sont souvent pas réalistes, admet-
il. Je ne dis pas ça en pensant à mal, seulement leurs écrits reflètent la
perfection que cherche une femme chez un homme en valorisant la femme
et l’homme. Mais honnêtement, dans la vraie vie, tu penses trouver ce genre
d’homme ?
Je fais un pas vers lui. Il n’a pas tort, mais pourquoi ça m’irrite ?
— Mais je suis soulagé que tu ne lises pas de livre de romance écrit par
des hommes, c’est souvent très… stéréotypé et dévalorisant pour les
femmes.
Je papillonne des yeux quand il s’avance jusqu’à moi. Il a encore
raison… Je ne trouve rien pour poursuivre la discussion. Je ne veux pas lui
donner le dernier mot.
— Je ne pense pas trouver ce genre d’homme ici, t’as raison.
Quelque chose traverse ses yeux. Il se positionne juste devant moi,
m’obligeant à légèrement lever la tête.
— Les pop-corn ? commente Logan.
Hunter est toujours assis sur le canapé à regarder la scène, je vois du
coin de l’œil mon frère qui lui aussi n’a pas bougé… Par contre, Logan, lui,
se marre comme s’il était devant un film. Je lui lance le premier coussin que
je trouve, ce qui a pour conséquence de le faire taire.
— C’est bien, tu fais face à la réalité de la vie.
Cette phrase m’assène un coup violent au cœur. Il attend sur mon visage
une réaction que je ne lui donne pas. Au contraire, j’affiche un sourire.
— C’est étonnant de te voir parler d’amour, moi qui croyais que tu ne
ressentais aucune émotion.
Son visage ne laisse pas paraître son trouble, mais ses yeux qui passent
rapidement sur mon nez, mes joues, mes sourcils me prouvent qu’en
s’approchant de moi, le désir de me détailler est plus tentant qu’autre chose.
Mon cœur bat plus rapidement, c’est indéniable. Je n’ai jamais eu
l’occasion de discuter de mes lectures avec qui que ce soit. C’est plaisant.
— Pas besoin de ressentir des émotions pour savoir que tu cherches
inconsciemment un soutien émotionnel dans ta vie. Dans ces bouquins, plus
particulièrement.
Je prends son argument comme une gifle. Je le regarde, la gorge sèche.
J’essaye de respirer normalement, mais mon cœur qui bat la chamade
demande plus d’oxygène.
Hunter se lève doucement et s’avance vers nous avant qu’une main
l’attrape et le tire en arrière. Mon frère s’est déplacé pour lui chuchoter
quelque chose à l’oreille.
Je n’ose pas bouger d’un millimètre par peur de le frôler
accidentellement. Je ne sais pas si c’est la situation qui me fait ressentir ça,
mais le monde qui nous entoure s’estompe et je reprends contenance en
m’éclaircissant la gorge.
Il en fait de même en humectant ses lèvres. La fraction de seconde
durant laquelle mes yeux se posent sur elles, me donne envie de me foutre
en l’air. Il l’a vu… Je sais qu’il l’a vu.
— Ne fais pas comme si tu lisais en moi parce que t’es toi-même perdu,
Jayden.
S’il pense être le seul à être observateur, il se trompe fortement. Ça peut
échapper à n’importe qui, mais ces moments de silence, ces moments où ses
yeux se perdent dans le vide, ça n’a rien d’anodin.
Il lève le menton et me toise de haut en bas.
— Attention à tes mots, Sierra.
Je déglutis. Je ne pense pas me souvenir d’un jour où il m’a appelée par
mon prénom comme il vient de le faire. Son avertissement n’en est pas
vraiment un, il me provoque. Il me demande si je vais oser dépasser les
limites devant tout le monde.
— Tu as le cœur fragile, Jayden ? Je vais finir par croire que tu
commences à m’aimer.
C’est la goutte de trop.
On se regarde quelques secondes avant qu’il ne me dépasse en me
bousculant légèrement. Des frissons se propagent dans tout mon corps.
Logan applaudit et me sort de ma bulle.
— La vache ! J’en ai eu des sueurs froides.
Je ne relève pas sa remarque. Je regarde mon frère et je n’aime pas du
tout ce que je lis sur son visage ou justement ce que je n’y lis pas… Il me
regarde, pensif, sans sourire, sans faire aucune remarque, rien. Juste un
visage neutre.

— Comment ça va, sincèrement ?


Vous le croyez si je vous dis que mon frère est mon psychologue ? Il y a
certains moments durant lesquels parler n’est pas mon fort et d’autres
moments où j’ai juste envie de déballer ce que j’ai sur le cœur.
Je me retrouve dans la chambre de mon frère, tous les deux assis sur son
lit, face à face.
— Je suis fatiguée… Épuisée en fait. Les cours demandent déjà
beaucoup d’énergie, mais après les événements passés, ma batterie est
clairement à plat.
Il hoche la tête et attend de voir si je compte poursuivre. Ce qui n’arrive
pas, il reprend donc la parole.
— Je veux te demander quelque chose… Mais je ne veux pas que tu te
brusques, d’accord ?
Je grimace. Il ne faut pas me dire de telles choses, ça a tendance à me
mettre sur la défensive. Mais je sais déjà quel sera l’objet de sa question.
J’inspire et m’allonge sur le matelas. Esteos reste assis.
— Dis-moi la vérité… Est-ce qu’il se passe quelque chose entre Jayden
et toi ? dit-il avec précaution.
Aoutch.
Je ne m’attendais pas à cette question en fait, j’inspire profondément. Je
ne suis pas irritée par la question, seulement, qu’est-ce qui le laisse croire
ça ? Il est vrai que je me suis penchée sur l’hypothèse qu’il n’est pas le
connard que je croyais, mais… son visage reste l’acteur de mes
cauchemars.
Je me laisse le temps de réfléchir à une réponse correcte.
— Je ne sais pas… Je n’aime pas ce qu’il se passe. Il… n’est pas si
méchant que ça, mais quand je le regarde…
Je laisse en suspens ma phrase et il comprend très bien où je veux en
venir.
— Je vois… C’est déjà ça, répond-il, et puis, c’est toujours bien de voir
quelqu’un lui tenir tête de temps en temps.
— Ne t’imagine rien, on n’est pas amis. On ne le sera jamais.
— Ne jamais dire jamais, Sierra, sourit-il, et qui a parlé d’amitié ?
Je le regarde et il hausse les épaules. Je ne veux pas que mon frère ait
raison. Parce que ma seule frayeur est de finir par apprécier une personne
qui me rappelle mes erreurs passées… Et que finalement, on me détruise,
une nouvelle fois.
— L’amour et la haine sont deux émotions fortes qui se ressemblent,
Sierra, si tu veux éviter de le casser, reste loin de lui. Il a ses propres
démons, et tout comme toi, il est loin d’être guéri.
Quelque chose d’étrange se produit dans mon cœur. Comme de
l’adrénaline, les mots prononcés par mon frère me font comprendre que je
ne suis pas la seule dans une situation compliquée.
— Entre vous deux il n’y a peut-être que deux solutions finalement, soit
vous remontez tous les deux à la surface, soit vous coulez tous les deux.
Sierra, tu es ma sœur, je t’aime, mais je ne te laisserai jamais nager vers le
gouffre.
Chapitre 25

Sierra, Jacksonville
Présent
— T’as fini, oui !? crie Esteos en bas.
Je ne prends pas le temps de lui répondre et lève les yeux au ciel. Il est à
peine dix-neuf heures et les garçons n’arrivent que dans une demi-heure. Je
sens d’ici l’odeur du poulet et des autres plats. J’ai faim.
C’est le réveillon de Noël, mais j’ai l’impression que c’est un jour
comme les autres. Peut-être parce que ça l’est vraiment ? Je n’ai jamais
vraiment été celle qui aime Noël, cette fête où tout le monde mange, rigole,
s’offre des cadeaux. Pas trop mon truc. En plus, je déteste le froid.
Je caresse délicatement ma robe rouge pourpre. Elle appartient à ma
mère. Elle met bien en valeur ma poitrine grâce à son décolleté. La matière
est d’un velours très doux, agrémenté d’une fente qui monte jusqu’à ma
cuisse droite. Je décide d’ajouter la touche finale, un collier en or fin autour
de mon cou.
Je rassemble mes cheveux en un haut chignon, mais laisse deux mèches
sur le devant. Pour finir, je passe un coup de liner sur mes paupières et un
rouge à lèvres rouge assorti à ma robe.
Tout ça pour rester chez moi…
Je décide de rester en chaussettes, qui va regarder mes pieds après tout ?
L’heure sur mon portable affiche dix-neuf heures seize, j’ai encore un peu
de temps avant qu’ils arrivent.
Je descends et découvre mon père, vêtu d’un costard. Pas celui qu’il
porte habituellement pour son travail, mais un vrai costard. Il commence à
être un peu vieux, mais ma ressemblance avec lui est flagrante. Les mêmes
yeux noisette, les mêmes traits de visage.
Quand il me voit, son visage éteint s’habille d’un sourire.
— T’es magnifique, chuchote-t-il en me prenant dans ses bras.
— Sierra est descendue ? questionne Esteos en entrant dans le salon.
Je rigole et examine mon frère. Il a fait un effort cette année. L’an passé,
il était resté en survêtement toute la soirée. Cette fois, il a opté pour un
pantalon noir et une chemise avec les manches remontées sur les avant-
bras, noire aussi.
— Je vois que t’as fait un effort cette année.
— Et toi donc !
On se lance un regard avant de rire de bon cœur. Je l’accuse, mais moi
non plus je n’étais pas à mon apogée l’année dernière. Je regarde le sapin
dont Esteos s’est dignement occupé. Il ne voulait pas nous laisser le faire
avec lui. L’aîné, mais encore un gamin dans sa tête.
Quand ma mère nous rejoint, je ne suis pas étonnée de sa tenue.
Toujours classe. Un haut façon corset en dessous d’un blazer rouge très
chic, assorti à son pantalon.
— La robe te va bien mieux qu’à moi à l’époque, n’est-ce pas Lucas ?
Mon père lève les yeux au ciel. Si je crois encore en l’amour c’est bien
parce que mes parents en sont la définition même. Depuis ma naissance, je
ne les ai jamais vus se quereller de manière brutale. Des disputes de temps à
autre, mais jamais rien de grave.
Au même moment, on sonne à la porte.
— Ils sont là, dit ma mère.
Elle s’en va pour leur ouvrir et soudainement, mon cœur se met à
palpiter plus fortement. Comme quand je stresse.
Quelques secondes plus tard, ils apparaissent dans le salon. Mes yeux,
ces traîtres, sont attirés par la silhouette élancée de la personne que je me
persuade de détester. Il salue mon père puis mon frère. Je parcours son
corps et, avec surprise, remarque sa tenue.
Sa chemise blanche aux manches remontées sur les coudes, dont trois
boutons sont détachés sur le haut et laissent clairement apercevoir ses
innombrables tatouages. Ses doigts sont ornés de ses bagues habituelles.
Son pantalon lui va à la perfection, le nier serait mentir.
Lorsque mes yeux remontent sur son visage, je manque de m’étouffer. Il
m’observe déjà. Il me scrute longuement avant de balayer mon corps du
regard, toujours impassible.
— Salut !
Je sursaute en voyant Hunter juste à côté de moi. Je rigole
nerveusement et remarque que les garçons ont décidé de tous s’habiller
pareil ce soir. Mon frère avec la chemise noire, Jayden en blanc, Hunter en
bleu marine.
— Salut.
— T’es sublime.
Je lui retourne le compliment. C’est alors que je remarque les sacs
qu’ils ont apportés. Des cadeaux et de l’alcool. Je sens tout de même un
sentiment de manque en ne voyant pas Logan faire le débile. Il n’est pas là
ce soir. Cette pensée me fait froncer les sourcils, je suis la première à me
plaindre de leur présence, mais là…
— Venez les garçons, je vais vous prendre en photo ! s’extasie ma mère.
Ma mère insiste jusqu’à nous faire céder. Je me joins à la photo, au
milieu des garçons.
— Le groupe n’est pas au complet ce soir malheureusement, dit Esteos.
On hoche la tête. Après quelques photos, mon frère supplie pour qu’on
se mette à table. J’approuve sa demande, mon ventre grondant comme
jamais.
Pendant le repas, mon père discute avec Hunter. Il est son chouchou
alors que ma mère a un faible pour Jayden. Il n’est pas très bavard, mais ma
mère est là pour le bombarder de questions.

Après le repas, je suis rapidement montée pour remettre du rouge à


lèvres qui s’est estompé au fil de la soirée.
Je réajuste ma coiffure avant de sortir de ma chambre. Je croise Jayden
qui est adossé au mur à côté de ma porte. Je fronce les sourcils et tente de
l’ignorer. Il se décale pour me bloquer le passage. J’essaye de passer à
gauche, mais il bouge en même temps que moi.
À quoi est-ce qu’il joue ?
Mon cœur tambourine dans ma poitrine en le voyant s’approcher de
moi. Je vais vraiment finir par avoir des insuffisances cardiaques à cause de
lui.
Il se penche pour être à ma hauteur.
— C’était quoi ce regard tout à l’heure ?
Je respire doucement pour ne pas qu’il sente celle-ci s’accélérer. Ma
nuque se tend.
— De quoi tu parles ?
Il sourit en voyant le malaise qu’il me procure. Enfoiré.
— C’est moi qui te mets dans cet état ?
Ma bouche s’ouvre en grand. Il est fou ? Ou peut-être que c’est moi qui
suis folle. Oui, voilà, c’est ça. Je suis devenue paranoïaque. Je me ressaisis
et recule d’un pas pour garder une distance raisonnable.
— T’es vraiment taré…
— Peut-être… Sûrement. Et toi ?
— Moi ?
— Est-ce que t’es folle de me regarder comme tu le fais ? Ou tu ne t’en
rends juste pas compte ?
Je me mets à rire nerveusement. Il ne cille pas, tandis que moi je rigole
comme s’il venait de faire la blague la plus drôle du monde. Arrêtez-moi. Je
ne sais pas quel genre de tactique il utilise, mais il arrive très bien à me
rendre nerveuse. Je ne comprends pas où il veut en venir et je ne veux
surtout pas comprendre.
— Bon, si t’as terminé, Evans, je voudrais passer.
Il réduit de nouveau l’espace entre nous. Je recule tellement que je suis
à deux doigts de fusionner avec la porte de ma chambre. Une fois proche de
moi, je suis obligée de lever la tête pour voir ce qu’il fait. Il approche sa
main de mon visage, je ferme les yeux. Oh putain… Qu’est-ce qu’il fait,
bordel de merde ?
Je me surprends à ne pas crier quand sa main se positionne en dessous
de mon menton et que son pouce passe sur mes lèvres. Un effleurement,
délicat, sensible.
— Je te préfère au naturel.
Je le sens s’éloigner et j’ouvre les yeux quand je suis certaine qu’il est
parti.
Qu’est-ce qu’il vient de se passer ? Pourquoi je n’ai pas réagi ? Il y a
encore quelques mois, l’idée de me retrouver dans la même pièce que lui
me faisait faire des crises d’angoisse. Mais quand il m’a touchée, une
décharge m’a parcourue jusqu’au cœur. Je calme ma respiration saccadée et
repasse le doigt où il a laissé sa trace.

— Je commence !
Hunter nous tend nos paquets. Les cadeaux s’enchaînent rapidement.
Hunter m’a offert un livre. Je l’ai remercié d’une étreinte sincère. Mes
parents ne sachant pas quoi offrir aux garçons, ils leur ont donné de
l’argent. Je donne moi aussi mes cadeaux, appréhendant celui que je
m’apprête à offrir à Jayden.
Tous sont assis sur le canapé. Lorsque je tends son paquet à Jayden, mes
jambes tremblent et une boule se forme dans mon estomac. Il ne comprend
pas au début que c’est pour lui, son regard passe de l’emballage à moi.
Quelque chose se passe dans ses yeux clairs.
— C’est pour toi, j’insiste pour lui faire comprendre qu’il doit prendre
le cadeau.
Tout le monde nous regarde, ce qui n’arrange rien à mon malaise.
L’étonnement se fait sentir sur le visage de tout le monde sauf mon frère qui
me regarde, un sourire aux lèvres.
La manière dont Jayden regarde le paquet me brise le cœur. Je cligne
des yeux plusieurs fois et ses sourcils se froncent, mais pas de colère. J’ai
l’impression d’être face à un enfant. Sa main tressaille, hésitante, puis il
s’empare de la boîte en effleurant mes doigts au passage.
— Merci, dit-il tout bas.
Mes poumons se gonflent d’air. C’est la première fois que sa voix est
aussi douce. Il déballe doucement, sous nos regards et s’arrête en voyant de
quoi il s’agit. Il observe pendant plusieurs secondes la boîte, relève les yeux
vers moi et penche la tête.
Je me racle la gorge.
— J’ai demandé à Esteos et il m’a dit que c’est souvent toi qui faisais
les dessins de tes tatouages, alors je me suis dit que tu pourrais peut-être
commencer à pratiquer toi-même…
Son regard replonge sur le kit de tatouage qui, disons-le, m’a coûté la
peau du cul. Heureusement qu’Esteos m’a aidée en contribuant un peu. Il
me regarde et ensuite regarde mon frère. Il s’attarde sur lui. Esteos lui sourit
chaleureusement.
Bon les gars… C’est juste un cadeau, passons à autre chose, je vous en
supplie.
— Moi aussi, j’ai quelque chose pour… toi, dit-il en grimaçant
légèrement, comme si ça lui brûlait la gorge d’admettre qu’il avait pensé à
moi.
Il me donne une boîte. Une boîte à bijou noire. Je l’ouvre. Ma bouche
s’entrouvre. C’est… magnifique.
— Il m’a fait penser à la couleur de tes yeux… Je n’ai pas trouvé
mieux, explique-t-il en détournant le regard.
— Merci, chuchoté-je, obnubilée par le bijou.
Je contemple le collier. Il est fin et léger, mais je ne peux pas
m’empêcher d’admirer la pierre au bout de celui-ci. Une pierre très sombre.
Dans la boîte, il y a un petit mot.
Je fais ce qu’il est écrit et mon regard rencontre le sien juste avant que
je ne regarde la pierre précieuse. Mes épaules s’affaissent, des reflets verts
brillent dans le collier. Un vert émeraude, assez difficile à voir quand on
regarde le collier au premier abord.
Ma mère tape des mains, me sortant de ma transe.
— Ton cadeau est tout bonnement magnifique, mon garçon,
complimente ma mère, attendrie.
— Ce n’est rien de spécial… juste un cadeau, répond-il.
Son ton est redevenu las et monotone.
À cet instant, je comprends que nous deux, ça ne va pas s’arrêter là.
Que ça ne fait que commencer.
Et cette certitude me fiche la trouille de reproduire les mêmes erreurs
que dans le passé.
Jayden, Jacksonville
Présent
Je savais que c’était une mauvaise idée ce collier à la con. Je fusille
Esteos du regard qui affiche un sourire en coin. Il est fier de lui en plus…
Malgré tout, la voir apprécier mon cadeau me soulage quelque peu.
Avant d’acheter ce collier, je voulais la confirmation de son frère, après
tout, il la connaît mieux que moi. Et c’était la pire chose à faire, il a
commencé à sous-entendre des absurdités que je préfère ignorer.
Je pose à nouveau le regard sur la boîte à tatouage et mon cœur se serre
étrangement. Je me sens triste ? Heureux ? Je n’arrive pas à le savoir. Mes
émotions se mélangent pour donner un sentiment nouveau. Mon cœur se
réchauffe.
Je la regarde, sa présence commence un peu trop à me plaire… Ce n’est
pas bon pour la suite.
Qu’est-ce qu’elle m’a fait ?
Chapitre 26

Jayden, Jacksonville
Passé
— Maman ! Maman ! On va être en retard !
Je cours vers ma mère, ma paire de baskets à la main. Aujourd’hui, j’ai
sept ans et ma maîtresse m’a promis de fêter mon anniversaire en classe. Je
descends les marches en faisant bien attention à ne pas glisser. C’est déjà
arrivé et je suis franchement maladroit. Lorsque j’arrive en bas, mon pied
cogne contre une bouteille en verre. Je la ramasse et regarde l’intérieur du
goulot d’un œil.
Ça pue…
— Jay… Combien de fois je t’ai dit de ne pas toucher aux bouteilles,
gronde doucement ma mère.
— Désolé…
Je la repose par terre, mais continue à la regarder du coin de l’œil. La
bouteille est verte. On dirait les bouteilles que lancent les pirates dans la
mer pour envoyer des lettres d’amour à leurs copines.
Ma mère s’abaisse à mon niveau et me caresse les joues.
— Excuse-moi de t’avoir grondé, Jay… C’est ton anniversaire en plus !
En rentrant de l’école, je te prépare ton burger préféré ?
— Oui ! Merci maman, t’es la meilleure ! Maintenant, aide-moi à faire
mes lacets, s’il te plaît.
Je m’assois par terre pour lui faciliter la tâche et je tends mes jambes. Je
ne comprends pas la technique d’enrouler les deux lacets ensemble. Je
souris à l’idée de fêter mon anniversaire avec mes copains de l’école. Ils
sont toujours avec moi. Parfois, ils me poussent en disant que c’est pour
m’aider à devenir plus fort. C’est gentil de leur part… mais parfois ça fait
mal. Moi, j’ai trop peur de faire comme eux… Je ne veux pas qu’ils aient
mal.
— Allez ! On y va ?
Je hoche la tête et prends la main de ma mère. On entre dans la voiture
et elle m’attache à l’arrière.
Elle a l’air fatiguée… Ses cernes ternissent ses magnifiques yeux bleu
océan. J’adore ma mère, c’est la meilleure de toutes. Elle est trop belle
aussi, ses cheveux d’un noir profond sont longs et tout lisses. Ses cils sont
de la même couleur et son sourire affine ses lèvres.
— Maman ! Je peux avoir tes yeux quand je serai grand ? S’il te plaît ?
J’adore tes yeux.
Un rire merveilleux sort de sa bouche. Elle porte un manteau et une
écharpe enroulée autour de son cou. Des traces violettes parsèment sa peau,
je baisse les yeux à cette pensée. Je regarde mes mains, soudain plus triste.
— Tu as de magnifiques yeux aussi, Jayden. Je suis sûre que quand tu
seras grand, tu en feras tomber plus d’une, dit-elle.
— Tomber ?
Elle sourit en secouant la tête.
— On est arrivés, mon cœur.
Je me détache à la hâte et ma mère vient m’ouvrir la porte de la voiture.
En prenant sa main, je regarde les autres enfants tout aussi contents que moi
d’aller à l’école, accompagnés de leurs parents. Je regarde ma maman. Elle
regarde dans le vide, je secoue sa main.
Elle cligne des yeux.
— Maman, je vais y aller !
Elle réajuste le bonnet sur ma tête et me pince le nez qui doit être rouge
à cause du froid. Ses lèvres viennent se poser sur mon front.
— Tu sais quoi faire en rentrant à la maison…
— Je prends mon repas, je monte et m’enferme à clé. Je sais…
Je serre les poings. C’est injuste… C’est tellement injuste.
— Ne fais pas cette tête, ça va aller. Tu sais que papa t’aime, n’est-ce
pas ?
— Non… Il ne m’aime pas. Il ne m’a jamais dit qu’il m’aimait. Il m’a
même fait ça… J’ai mal au cœur…
Je tends mes bras, mais elle comprend où je veux en venir. Les larmes
lui montent aux yeux et je regrette aussitôt mes paroles. Je ne devrais pas
me plaindre alors qu’elle… Je suis trop bête…
— Désolé… dis-je en la serrant dans mes bras. Je t’aime maman, très
fort.
— Moi aussi… Moi aussi, mon cœur.

— Gorgy ! Matt !
Je me poste devant eux, avec un sourire aussi large que la tour Eiffel. Ils
ne lèvent pas leurs regards sur moi.
— Oh… Salut Jayden, dit finalement Matt.
— C’est mon anniversaire aujourd’hui ! Vous vous en souvenez ?
— Non et ce n’est pas intéressant, dit Gorgy.
Oh… D’accord. Je ne dis rien et souris tant bien que mal. On entre dans
la salle de classe quand la maîtresse arrive. Gorgy peut parfois être
méchant, mais je comprends, tout le monde n’est pas toujours timide
comme moi. Il a besoin de se défouler… Il m’a même dit la dernière fois
que vu que son papa ne lui avait pas acheté son donut, il avait été contrarié.
Moi aussi je veux que mon papa m’achète un donut…
La maîtresse commence à faire l’appel et petit à petit mon tour
approche. Je suis saisi d’un sentiment d’espoir. Ça va aller…
— Jayden ?
— Présent.
— C’est ton anniversaire aujourd’hui, s’exclame-t-elle.
Je hoche la tête et souris timidement. Toutes les têtes se tournent vers
moi et je commence à sentir mon cœur battre plus fort.
J’attends que les autres me souhaitent un joyeux anniversaire comme on
l’avait tous fait pour l’anniversaire de Gorgy il y a deux mois. Mais ce sont
de simples et horribles chuchotements qui viennent caresser mes oreilles.
Ce sont toujours les mêmes remarques, c’est pour cela que je n’aime pas
attirer l’attention sur moi. Je croyais que pour mon anniversaire, ils allaient
être gentils…
« Apparemment, c’est son chien qui lui a fait ça. »
Je n’ai pas de chien.
« Tu vois ses bras ? On dirait des baguettes ! »
J’ai des bras trop minces ? Je n’ai jamais remarqué jusqu’à ce qu’on me
le dise.
« Il n’y a que ses yeux qui sont beaux chez lui. »
Pourtant, ceux de ma maman sont encore plus beaux.
« Ses bras sont dégueulasses avec toutes ses cicatrices. »
On dirait des codes-barres aussi, disent certains. Je rigole avec eux
comme pour cacher ma douleur et montrer que ça ne me touche pas. Mais je
sais que j’ai mal. Je continue de rire. Lentement, ces rires se transforment
en larmes.
Maman… Je suis tellement désolé. Tout est de ma faute, je n’aurais
jamais dû naître.
Tu aurais pu t’enfuir sans moi. Pars sans moi, je t’en supplie… Sauve-
toi.
Est-ce qu’on m’aimera un jour ? Je n’arrive plus à réfléchir. Papa ?
Maman ? Aimez-moi, s’il vous plaît… J’aimerais simplement qu’on
m’aime… Au moins un peu… Un tout petit peu, s’il vous plaît…
Chapitre 27

Sierra, Jacksonville
Présent
— T’as assuré, me dit mon frère en plaquant un baiser sur le haut de ma
tête.
— Ça va, ce n’était pas grand-chose…
Il est maintenant vingt-deux heures passées et Jayden et Hunter sont
sortis fumer à l’arrière de la maison. C’est devenu leur petite habitude. Je
déteste le tabac, mais qui suis-je pour juger ceux qui veulent se tuer avec
cette merde ? Et c’est très culotté de ma part parce que ma première clope
date de mes seize ans… Je n’en suis pas fière.
Avachie sur le canapé, je regarde ma mère et mon père danser un slow.
Ils sont toujours aussi amoureux l’un de l’autre après vingt ans de mariage.
Ça fait rêver, sincèrement. Je me demande si moi aussi je vais trouver
chaussure à mon pied un jour…
— Allez, viens !
Mon frère me tire du canapé sur lequel je suis assise.
— Non !
Il claque sa langue contre son palais et me tire plus fermement en
m’éjectant littéralement. Il commence à me faire tourner à l’aide d’une
main pendant que lui joue des épaules. Je rigole et me détends un peu au
bout de quelques pas de danse. Mon père et mon frère échangent leurs
places.
— T’es sûre que je ne suis pas trop vieux pour danser avec toi ?
demande mon père.
— Je commence à avoir mal au dos aussi.
Je mime une douleur en bas du dos et il éclate de rire. Je souris en me
tournant vers Esteos et notre mère. C’est dans ce genre de moment que je
me rends compte à quel point j’ai une famille merveilleuse.
— Si vous me le permettez.
Une main se pose sur ma taille, je me tends et un frisson parcourt ma
colonne vertébrale. L’odeur du tabac s’immisce dans mes narines. Mon père
sourit avant de retourner auprès de ma mère. Je me tourne et me retrouve
face à Hunter. Il s’incline devant moi et je fais de même en rigolant. Il pose
une main au-dessus de ma hanche et de l’autre, il enlace nos doigts pour les
placer au niveau de nos têtes.
— Je ne savais pas que tu dansais, dis-je pour l’embêter.
— T’as encore beaucoup de choses à apprendre sur moi.
On se sourit lorsqu’un flash nous illumine. Je sursaute et me tourne vers
ma mère. Elle a un sourire figé sur le visage, l’appareil photo dans la main.
— Maman !
— Ça va ! C’est pour les souvenirs.
Mon frère change la musique pour un son plus posé et plus lent. Je
lâche la main de Hunter et la pose sur son épaule. Je continue à danser
quand je vois Esteos prendre la télécommande et crier avec une voix
d’animateur.
— À mon départ, on change de partenaire… Trois… Deux… Un…
Il siffle à l’aide de sa main. Hunter me fait tournoyer sur moi-même
sans me lâcher pour autant. Je rigole quand je sens ma tête tourner
légèrement.
— Je crois que c’est à mon tour.
Mon sourire se fige. Hunter se dégage lentement de moi et fait place à
son ami.
Il s’avance vers moi le visage indéchiffrable. Le temps semble ralentir
autour de nous. Je ne pensais pas qu’il voudrait danser. Encore moins avec
moi…
Aucun de nous deux ne bouge. On se tient juste là, face à face. J’amorce
un premier pas, mon corps allant en contradiction avec mes pensées. Il est
très proche de moi et j’inspire quand sa main vient tout document se poser
dans le creux de mon dos. Il me frôle, sans appuyer sur mon corps. Je pose
délicatement ma main tremblante sur son avant-bras.
— N’en profite pas trop, dis-je.
— Tu sais la fermer parfois ?
Je rigole doucement. Je prends goût à ces répliques qu’on se lance, c’est
mauvais… Je le sens réagir à mon contact quand je monte un peu ma main
sur son bras. Je passe le bout de mes doigts en dessous de la manche de sa
chemise.
— Tu devrais vraiment arrêter tout ça, ajouté-je.
Un autre flash nous assaille, mais aucun de nous ne bouge.
J’essaye de paraître menaçante, mais au fond, mon cœur me dicte le
contraire. J’aime bien lui casser les pieds.
Il déplace sa main sur ma taille et la serre légèrement, me faisant
hoqueter. Il approche sa bouche de mon oreille et laisse son souffle se
répandre sur mes cheveux. Il sent bon…
— Et si on arrêtait de se détester ?
Au même moment, la musique s’arrête et je recule.
La danse est terminée.
Je le regarde. Tu ne m’as jamais détestée, Jayden…

Jayden, Jacksonville
Présent
Je descends de ma R6 et prends la boîte offerte par Sierra. Il est minuit
passé et ma tante doit être chez son amie…
Je passe le pas de la porte et souris en montant pour rejoindre ma
chambre. Ma chambre… Si on peut appeler ça comme ça. Elle n’a rien de
spécial, très impersonnelle, avec le strict minimum. Un lit, une table de
chevet, une armoire, un bureau. Seule une photo de moi et de ma mère trône
sur la table de chevet.
Je me débarrasse de cette putain de chemise qui m’a collé pendant toute
la soirée et enlève mes bagues que je pose sur mon bureau. Je tombe à plat
sur mon lit, exténué. Je ferme les yeux, cherchant le sommeil que je ne
trouve pas. Je pose mon bras sur mes yeux et essaye de penser à autre chose
que ma main sur sa taille.

C’est quoi mon problème ?

Son odeur hante mon cerveau et sa main sur mon bras… J’ai senti mon
corps réagir à son contact.
Je grogne en me redressant. Je regarde la boîte sur mon bureau. C’est
peut-être qu’un kit de tatouage à ses yeux… Mais mes dessins ont une
histoire bien plus morbide, qui donne des frissons quand je la raconte.
Elle avait l’air tellement innocente quand elle m’a tendu cette boîte
remplie de pansements. Mes tatouages sont mes pansements.
Maintenant que j’ai goûté à son contact sur ma peau, je sais que c’est
d’elle que j’ai besoin pour remplir les trous béants de mon âme. Ça me
démange, mon cœur bat plus vite quand je la vois. Quand je la vois me
regarder avec mépris, je sais qu’elle ne me déteste pas au fond. J’en ai la
certitude. Mais qu’est-ce qu’elle a dans ce cas ? Elle cache quelque chose et
je veux savoir ce que c’est… Je veux absolument le savoir. Ça en devient
presque une obsession.

Obsession.

Obsédé, c’est ce dont on me traitait quand je cherchais de l’attention


étant petit.
Je ne suis pas un obsédé… Je ne veux pas l’être…
Calme-toi, Jayden… Calme-toi. Inspire, expire, inspire, expire…
Respire.
Il faut juste que je respecte ces trois règles.

Tomber amoureux ?
C’est dangereux…

Je sais que c’est dangereux. Je le sens déjà… Mon cœur me brûle. Je


sais déjà…
J’ouvre le tiroir de ma table de chevet, mon corps commence à suer. Ma
respiration s’accélère en même temps que mon rythme cardiaque.

Éprouver un quelconque sentiment ?


Je n’en suis plus capable.

Je n’en peux plus. Pourquoi ? Pourquoi je suis comme ça ? Je ne suis


pas normal…
Ressentir la douleur ?

Je regarde la paume de ma main saigner… Et tout se calme. Je suis


toujours insensible à la douleur, comme un poison périmé.

C’est inimaginable…

Je range la lame dans le tiroir. Je suis toujours ce monstre… Je n’ai pas


mal. Je peux tout encaisser… Je vais bien. N’est-ce pas ?
Quand je repense à elle, mon cœur bat plus fort… Mais je ne dois pas.
Je ne dois pas.

Je vais nous noyer, mon cœur…


Tu m’en vois désolé…
Chapitre 28

Jayden, Jacksonville
Présent
Je me réveille, la bouche sèche. En m’étirant, je grimace quand mon
poing gauche se ferme. Je cligne plusieurs fois des yeux pour m’habituer à
la lumière du jour. Je regarde ma paume.
Le sang a séché sur toute ma main, formant une croûte naissante sur
l’entaille.
Elle n’est pas du tout profonde, je n’ai pas mal, mais ce n’est pas
agréable non plus. Je voulais juste me rappeler à l’ordre pour ne pas laisser
mes pensées dériver vers elle.
Je tousse et soupire. Ma gorge me supplie de lui donner de l’eau. Je
passe d’abord par la salle de bains pour voir l’état de ma tête. Je pense que
le seul moment de la journée où je supporte de me regarder, c’est le matin.
Mes lèvres sont gonflées, mon air fatigué masque mon regard clair. Puis, à
mesure que la journée s’écoule, les traits de mon visage me rappellent à
quel point j’ai envie de m’éclater la tête au sol.
Les vacances, c’est la meilleure chose au monde. J’ai une semaine pour
faire ce que je veux. J’ai pas mal de choses prévues durant cette semaine et
je reçois d’ailleurs déjà un texto.

Toujours bon pour quatorze


heures, petit ?

Je regarde l’heure, treize heures trois. Je suis dans les temps, j’enlève
mon boxer et entre dans la douche. Quand ma paume entre en contact avec
l’eau bouillante et le savon, je serre la mâchoire. Des picotements se font
tout de même ressentir. Mais comme un masochiste, j’augmente encore plus
la température de l’eau. La sensation reste toujours la même.
En sortant, j’enroule une serviette autour de ma taille et en prends une
autre pour m’essorer les cheveux. Je grogne en voyant la tache rougeâtre
apparaître sur la serviette. La plaie s’est rouverte. Je sors la boîte de
premiers secours et me fais un bandage très rapidement. Ce n’est pas joli,
mais ça devrait le faire.

Quand j’entre dans le salon, la musique me fait sourire. Ici au moins, ce


n’est pas une cloche qui nous accueille en franchissant la porte. Je le
cherche du regard.
— Mon pote, ça fait un bail !
Je m’avance vers Jonas et lui fait une légère accolade. Je suis à l’heure,
pour une fois. Je connais cet endroit comme ma poche, je ne compte plus le
nombre de fois où je suis venu ici.
— Allez viens ! J’ai hâte de voir ce que tu m’as dessiné cette fois.
Je hoche la tête et le suis.
Je fais un signe de la tête à sa stagiaire, Maddy, qui est là depuis un bon
moment maintenant. Elle m’a déjà fait des avances dans le passé que j’ai
refusées. Je ne couche pas avec tout ce qui bouge, pour ça il faut appeler
Logan ou Hunter… Peut-être Esteos ?
Je crois que la dernière fois que j’ai couché avec une fille remonte à
plusieurs mois maintenant. Je sais m’abstenir, et c’est très bien comme ça.
Je passe à l’arrière de la boutique et sors la feuille.
— Je veux que tu me tatoues ça, sur l’avant-bras… Juste ici.
Je lui désigne un espace vide sur mon avant-bras. Il hoche la tête et s’en
va pour aller redessiner mon travail sur un calque après m’avoir demandé
les dimensions dans lesquelles je veux le tatouage. Jonas est mon tatoueur
depuis que j’ai seize ans. J’ai commencé à recouvrir ma peau le plus tôt
possible avec l’autorisation de ma tante en tant que représentante légale.
Elle ne s’y est jamais opposée et elle sait pourquoi je fais ça.
Il revient avec le calque qu’il dépose sur le côté. Je pars m’asseoir sur le
fauteuil en face de moi. Il se munit d’un rasoir avec lequel il enlève les
quelques poils qui couvrent cette zone. Il ne fait aucune remarque sur ce
qu’il voit. Il fait son travail et c’est ce que j’aime chez lui.
— Prêt ?
— Comme toujours.
Il vient déposer le calque comme je lui ai indiqué et une fois que le
dessin a pris sur mon bras, il prend son dermographe qu’il vient passer sur
ma peau pour la noircir d’encre. Ça chatouille légèrement, mais pas assez
pour me faire bouger. Je souffle et ferme les yeux en posant ma tête contre
le siège.

— Et c’est fini beau gosse !


Il vient mettre un film protecteur sur la zone et me met une tape dans le
dos.
Je m’avance vers le miroir et contemple son travail, excellent, comme
d’habitude. Je ne suis jamais déçu avec lui.
— C’est juste parfait, merci.
— Tu connais le reste, dit-il avec un clin d’œil.
Je suis soulagé qu’il me passe l’étape des explications sur la
cicatrisation et tout le bla-bla qui va avec. Pendant presque un an, il me les
a expliquées à chaque fois.
Je m’avance vers le miroir et regarde mon tatouage de plus près. C’est
une lune entourée de nuages. Pour ma mère… Elle s’appelle Sélène, la
déesse de la Lune. J’ai déjà un tatouage lui étant destiné, mais celui-là me
tenait à cœur. Les nuages, c’est moi. Mon prénom signifie tout simplement
« protéger ». Ce que j’ai d’ailleurs lamentablement échoué à faire… Les
nuages qui entourent ma mère, c’est moi, peut-être dans une autre vie, qui
ai réussi à la protéger malgré tout.
Je ferme les yeux un instant et me dirige vers le comptoir pour payer.

Esteos, Jacksonville
Présent
— Envoie !
J’attrape le ballon et cours vers la cage en le maintenant fermement
contre moi. Hunter me percute et je tombe en arrière. Il récupère le ballon et
fonce vers mon terrain de jeu. L’enfoiré. J’éclate de rire et me relève quand
il marque.
— Bien joué ! crié-je.
— Bon, les gars, si vous avez fini de vous foncer dessus comme des
taureaux en cavale, est-ce qu’on pourrait aller se remplir le ventre ?
marmonne Logan.
Je me moque de lui. Il a décidé de ne plus jouer quand Hunter l’a plaqué
et qu’il s’est mordu la langue. C’est de la triche, avait-il crié.
On entend un moteur gronder et on sait déjà qu’il est enfin là. Il avait un
rendez-vous ce matin, alors ce n’est que maintenant qu’il nous rejoint. Je
souris en le voyant.
— Enfin ! s’exclame Hunter.
Il descend de sa moto et s’avance vers nous en rigolant, vêtu de son
éternel sweat noir. Il fait assez froid, mais après avoir joué pendant presque
une heure, j’ai envie de retirer mon t-shirt tant j’ai chaud.
— Je vous ai tant manqué ?
— Oui, bébé, maintenant, venez, on va manger, se précipite Logan.
Jayden affiche un air dégoûté à ce surnom et nous finissons tous par
exploser de rire.
— C’est moi qui régale aujourd’hui, nous devance Hunter.
— Bien, on y va alors, dis-je.
Je passe mon bras autour des épaules de Hunter et Logan. On avance
vers la voiture pour récupérer nos affaires. Jayden marche devant nous,
mains dans les poches. Il se tourne vers nous et je remarque alors la main
gauche de mon meilleur ami. Je fronce les sourcils, mais ne fais aucune
remarque.
Je lui en parlerai plus tard, ce n’est pas le moment, mais je me doute
déjà de ce qu’il lui est arrivé.
— Eh, les mecs ! Ce restaurant me tente bien, en plus ça nous permettra
de ne pas nous déplacer, dit Hunter.
Il désigne un restaurant thaï.
— J’avoue que je bave déjà, rajoute Logan.
— Ça te va, Jayden ?
— Ouais, on y va, répond-il d’un sourire.
J’adore me retrouver avec les mecs. On est vraiment nous-même dans
ces moments. Je dis ça surtout pour Jayden, même si c’est difficile à croire,
car avec nous, il est beaucoup plus souriant et ouvert. Mais seulement avec
nous, suscitant même de la jalousie chez Logan quand il est comme ça avec
d’autres personnes.
Hunter lui saute sur le dos et Jayden le réceptionne en riant. Je souris en
les observant et je capture chaque moment de joie et de surprise qu’ils
m’offrent. Parce que sans eux, je n’aurais jamais eu la chance d’avoir des
frères.
— Qu’est-ce que tu fais, Este ! Viens ! crie Logan alors que Jayden et
Hunter se chamaillent toujours.
Je cours pour les rattraper, sourire aux lèvres.
Chapitre 29

Sierra, Jacksonville
Présent

Mon bras entoure les épaules de mon frère.


Il pleure.
Il pleure tellement fort…
Arrête de pleurer.
C’est moi qui l’ai fait pleurer.
Je suis désolée d’avoir fait ça.
Je suis désolée.
Je suis désolée de ne pas t’avoir écouté.
Mais rien ne sort.

Je peste de devoir marcher dans ce froid, car mon frère a déjà pris la
voiture, mais d’un autre côté, je suis contente d’observer les rues vides par
ce temps. C’est apaisant de se balader seule, ça permet de se ressourcer.
J’ai fait le tour d’un centre commercial. En sortant, j’ai vu au loin le
portail du parc botanique de la ville, ouvert. Je me suis donc dirigée par là,
que je n’ai pas visité depuis longtemps. À la différence de l’été, les arbres
sont dépourvus de feuilles et tout semble mort, c’est triste, mais c’est le
cycle de la vie.
Je traverse les espaces auparavant verts et je vois un banc pas très loin
du lac. Je m’empresse de m’y rendre pour m’y asseoir. Je sirote ma boisson
et souffle dans le ciel pour regarder ma respiration s’évaporer.
Pensant être à l’abri des regards ici, je remarque au loin un trio d’amis
qui ne me plaît pas trop. Ils sont eux aussi assis sur un banc. Ils n’ont pas
l’air de m’avoir vue, mais moi je les vois très bien en train de ricaner
ensemble.
Liam, Camélia et Allie…
Ma gorge se noue, je ne sais même pas pourquoi. Je décide de me lever
pour partir, mais c’est à ce moment précis que mon regard croise celui
d’Allie et j’ai juste envie de m’enterrer quand tous les regards se tournent
vers moi. Je commence à marcher avec appréhension et ma gorge devient
sèche.
— Sierra !
Non. Je cours ?
Au lieu de cela, je me retourne et je la vois se lever et se diriger vers
moi. Liam me fait un signe de la main et Camélia lui met une claque
derrière la tête en le fusillant du regard.
Je reste immobile jusqu’à ce qu’elle arrive devant moi.
— Salut, dit-elle.
— Salut…
Un blanc s’installe. On se croirait dans un western avec le bruit du vent
en arrière-plan, à attendre de voir qui va dégainer l’arme la première. Je ne
sais pas pourquoi elle m’a interpellée, mais je n’ai pas un très bon
pressentiment.
Elle se frotte les mains en soufflant dessus avant de finalement lever le
regard vers moi.
— Écoute… Je ne me suis jamais vraiment excusée, alors… Désolée.
C’est ce que tout le monde dit. Être désolé, ce n’est pas assez quand le
mal est fait… Alors je ne réponds pas, ne sachant pas quoi dire. Mes mains
tremblent tellement que j’en viens à me demander si c’est à cause du froid
ou de la situation.
— J’ai réagi impulsivement. Je n’aurais pas dû dire ça, mais c’est mon
frère… Je l’aime… J’ai tellement paniqué à l’idée qu’il finisse en taule à
cause de toi…
Tu t’enfonces.
À cause de toi. À cause de moi ? Parce que maintenant, c’est moi la
coupable… Je serre les dents si fort que toutes ces semaines de tristesse qui
m’ont rongée de l’intérieur, se transforment à présent en haine que j’ai
envie de laisser éclater.
— Si ça avait été ton frère, tu l’aurais peut-être compris, mais je suis
vraiment dé…
La main part toute seule. Les larmes perlent sur mes joues comme ma
rage explose à travers cette claque. Sa tête se tourne et elle reste comme ça,
immobile. Je vois Liam se lever au loin et Camélia la main devant la
bouche.
C’en est assez.
Je m’approche dangereusement d’Allie et la pointe du doigt, mon corps
tremblant de tout mon être.
— N’insinue plus jamais, jamais, tu m’entends ? Que mon frère aurait
pu faire ce genre de chose. À cause de moi !?
Je craque, je renifle pour m’empêcher de craquer. Les larmes inondent
mon visage et j’ai du mal à voir l’expression d’Allie. Je n’en ai rien à faire.
Mon cœur est lourd et je vais tout lui dire cette fois-ci.
— Putain, mais remets-toi en question ! J’AI subi ça. JE suis la victime.
ET C’EST MA FAUTE !?
Liam arrive par je ne sais où et attrape mon bras pour me tirer en
arrière. Je lui lance un regard qu’il comprend immédiatement et me dégage
de sa prise. Non, aujourd’hui, ça va se terminer ici.
— Écoute-moi bien, la prochaine fois que tu m’interpelles pour dire ce
genre de chose, je n’hésiterai pas à aller plus loin qu’une simple gifle. Non,
tu sais quoi ? Ne m’appelle plus jamais, je ne veux plus rien avoir affaire
avec toi.
Décidée à terminer la conversation sur ces mots, je me tourne pour
m’en aller quand je me sens poussée en avant. Je manque de tomber dans le
lac et écarquille les yeux en me retournant. Camélia s’avance vers moi et
s’apprête à me repousser, mais j’attrape son bras, le regard furieux.
Elle se défait de ma prise.
— T’es folle, ma parole. Vraiment, va te faire interner, ma pauvre, de
quel droit tu la touches ? hurle Camélia.
Elle me pousse une seconde fois et je suis vraiment à deux pas du lac. Je
la pousse plus violemment pour mettre de l’espace entre nous. Ma
respiration s’accélère.
Je me déplace loin du lac pour être sûre de ne pas tomber dedans. Elle
revient vers moi. Alors qu’elle s’approche pour me pousser encore une fois,
elle s’arrête dans son élan et regarde derrière moi.
Je me sens tirée par une main sur la taille.
— Ça suffit.
Mes yeux se transforment en soucoupe. Je respire de façon anormale. Je
déteste ce qui vient de se produire. C’est honteux et malaisant.
— C’est fini, calme-toi.
Quand son odeur infiltre mes narines, une explosion presque
douloureuse remonte dans mon ventre et je me maudis. Je me maudis de
ressentir ça.
Allie ne bouge pas, le regard dans le vide. Je veux sortir de là, je veux
juste m’en aller.
Esteos me dépasse et je vois son dos tendu, il regarde Liam d’un œil
mauvais avant de s’adresser aux filles.
— C’est quoi ce bordel ?
— Demande-lui, dit Camélia.
— Je te conseille de te la fermer, Cam, répond Logan, la prochaine fois
que tu la touches, t’auras affaire à nous. Tes mains ne sont bonnes qu’à
branler des queues, alors cantonne-toi à cet usage.
Je suis tellement énervée que je n’ai pas fait attention aux doigts de
Jayden qui tracent des dessins imaginaires sur ma taille par-dessus mon
manteau. Des larmes de rage continuent de couler de mes joues.
Je me défais de la prise de Jayden et fais comme si de rien n’était. Je ne
le regarde pas, ça serait trop pour mon cœur. Il ne s’en formalise pas et
s’avance vers mon frère pour lui chuchoter quelque chose à l’oreille. Au
même moment, une main se pose sur mon épaule, Hunter.
— Je me doute de votre sujet de conversation, dit Esteos, je ne veux pas
t’entendre parler de cette histoire, Allie. Ça ne te concerne pas. Les affaires
entre ton frère et nous restent entre ton frère et nous. Si j’entends que
quelqu’un d’autre est au courant de cette histoire, je n’hésiterai pas à tenir
au courant le lycée de tes ventes illégales dans l’établissement. Est-ce que je
me suis bien fait comprendre ?
Elle déglutit et je vois son visage se fermer. Elle hoche la tête
rapidement. J’ai envie de me cacher dans un trou. Comment en est-on
arrivés là ?
— Sierra… Je suis en train de devenir dingue de te voir dans cet état, il
faut que tu m’expliques, s’il te plaît, dit Hunter en essuyant mes larmes.
Mon cœur se brise sur ses paroles. Il est tellement gentil… Mais je
secoue la tête en signe de négation et ses épaules s’affaissent.
— Je suis désolée… Je ne veux pas.
Mon honnêteté a dû lui faire mal car il grimace.
— On y va, lâche mon frère.
Esteos me prend par le bras et marche beaucoup trop vite. J’essaye de
me défaire de sa prise, mais il s’arrête lorsqu’il passe devant Liam. Il se
retourne vers lui.
— Et toi, la prochaine fois que j’apprends que t’as fourré ta sale langue
dans la bouche de ma sœur, je te refais le portrait.
Ma bouche s’ouvre. Je regarde ailleurs, mortifiée. J’essaye toujours de
retirer mon bras, mais sans succès.
— Esteos, tu me fais mal.
Il croise mon regard et la fureur dans ses iris me frappe brutalement. Je
cligne des yeux avant qu’il ne se rende compte qu’il tient trop fermement
mon bras. Il le lâche et respire bruyamment.
— Excuse-moi… On peut y aller ? On en parle à la maison, d’accord ?

C’est drôle comme parfois on rejette la faute sur nous-même alors que
le réel problème vient de l’autre. Je ne me reconnais plus vraiment à
présent. Parfois on aime quelqu’un, mais ce quelqu’un n’est pas le bon.
Mais comment arrêter d’aimer la personne qui vous a fait goûter au
sentiment de bonheur ? Voilà la morale de l’histoire. C’était ma faute.
Seulement et toujours ma faute. C’est ce que je me suis dit pendant si
longtemps. Un amour sincère, réel et dans lequel je pouvais avoir
confiance. C’est tout ce que mes yeux ont cru, alors que mensonge, illusion
et trahison étaient la partie immergée de l’iceberg.
Après un mensonge, chaque vérité devient douteuse…
Avant, quand je plongeais dans ses yeux gris, mon corps tremblait de
peur. Mais plus je le regarde, et plus j’aperçois autre chose que ce gris, froid
et impulsif. Je perçois un garçon qui a sûrement appris à cacher ses
sentiments. Un garçon dont j’ai finalement eu peur pour sa ressemblance.
Ses yeux. Ce garçon dont le nom me brûle la langue à chaque fois que je le
prononce. Ce garçon dont le regard brûle en me voyant. Ce garçon qui m’en
fait voir de toutes les couleurs. Ce garçon qui me fait ressentir cette émotion
que je voulais oublier. Ce sentiment de dégoût d’y prendre plaisir.
— Sierra, tu m’écoutes ?
— Euh… Oui, désolée Hunter…
Ce garçon ressemble à Dario. Celui qui m’a souillée jusqu’à l’âme.
Jayden Evans. Je me déteste de ne pas résister à son charme.
Chapitre 30

Sierra, Italie
Passé
— Bien sûr que je t’aime, Sierra ! T’es ma sœur, c’est normal que je
m’inquiète pour toi. Tu crois que je suis débile ? Tu crois que je ne vois pas
ce qu’il te fait ? Tu te fais manipuler !
Une nouvelle dispute éclate entre Esteos et moi. Je ne veux plus
l’entendre, je commence à en avoir marre de toujours entendre les mêmes
reproches. Je veux qu’on me laisse tranquille.
Ça fait mille fois qu’il tient le même discours, je pourrais le réciter par
cœur, comme une poésie. Il croit que ses mots ne me touchent pas alors que
c’est tout le contraire, j’ai l’impression de ne pas être comprise et, le pire
dans tout ça, c’est que je déteste être en conflit avec lui.
— Je te parle !
— Je n’en ai rien à carrer, tu vois ?
Il suffit que notre mère sorte une seconde pour qu’il m’attrape et me
balance toutes les mauvaises choses que je fais. Il croit que je ne sais pas
que sécher c’est mal ? Que fumer c’est dangereux ? Que boire c’est
imprudent ? Il croit que je ne sais pas tout ça ? C’est bien plus compliqué
que ça et personne ne veut le comprendre.
— Je dis ça… Parce que je veux ton bien, Sierra, s’il te plaît, écoute-
moi.
Je me mords l’intérieur des joues. Me prendre par les sentiments, c’est
très mauvais. Alors je ferme les yeux, expire et le dépasse avant de
m’enfermer dans ma chambre. Je ferme la porte à clé pour être sûre qu’il ne
vienne pas me déranger dans mon cocon personnel.
En m’étalant sur le lit, je fais le vide dans ma tête et j’essaye de penser à
autre chose. Ce qui me vient d’abord n’est autre que la fête à laquelle je suis
censée aller avec Dario et Lino dans deux jours. Je n’en ai pas forcément
envie… La drogue, ce n’est vraiment pas ce que je préfère et ce n’est pas
quelque chose à laquelle je veux me frotter. Mais je repense à Dario et je ne
peux qu’accepter…
En prenant mon portable, mon doigt tremble au moment de cliquer sur
Instagram, je préfère ne pas y aller… Depuis que je sors avec Dario, ma
réputation s’est dégradée si soudainement que la première fois que j’ai reçu
des propos déplacés en messages privés, je me suis seulement dit que la
personne devait être jalouse. Et puis ça s’est multiplié… Encore et encore…
Je clique sur l’icône. Je ne sais pas si aujourd’hui je suis d’humeur à me
faire du mal, mais mon doigt touche l’écran tactile pour me ramener
jusqu’aux demandes de messages privés que je n’ai pas encore ouvertes.

Je dois payer combien ?

Bloqué.

C’est vrai que t’es une putain ?

Bloqué.
Je ressens un vertige quand je vois apparaître sur mon écran, l’image
très explicite d’un organe génital masculin. Je jette mon portable sur le
matelas et étouffe un cri dans ma main. Je déglutis plusieurs fois pour faire
disparaître la sensation nauséeuse qui monte en moi, lentement mais
sûrement.
Je sursaute lorsque mon téléphone vibre sur le matelas. Dario.
Avant de répondre, je respire, m’éclaircis la gorge et finis par porter
l’appareil à mon oreille.
— Allo, tesoro ?
Mon rythme cardiaque s’adoucit en entendant sa voix.
— C’est moi.
— Je ne te dérange pas ? Qu’est-ce que tu fais ?
Je regarde autour de moi à la recherche d’une idée.
— Je fais mes devoirs, et toi ?
Une légère frayeur s’empare de moi en raison du silence qui s’installe
par la suite. Je me demande s’il sent que je mens. Je n’ai jamais parlé de ces
messages à Dario. Je ne sais pas comment il va réagir et la dernière chose
que je veux, c’est qu’il ait des problèmes à cause de moi.
— Je pensais à toi… Alors je t’ai appelée.
Un frisson traverse tout mon corps à ces mots. Il n’est jamais vraiment
affectueux alors chaque fois qu’il m’accorde des mots doux, je prends bien
soin de les garder en tête. Nous discutons ensuite de multiples sujets durant
plusieurs minutes.
— Sierra…
— Oui ?
Un autre silence s’installe. Je n’ose pas le rompre, je veux qu’il termine
ce qu’il a commencé à dire. J’attends. Au bout d’un certain temps, je sens
un long soupir traverser sa bouche. Mon cœur bat fort.
— Tu sais que je t’aime ? Tu le sais, n’est-ce pas ?
Je ne réponds pas. Je cligne des yeux et j’ai presque envie de crier… Il
m’a dit qu’il m’aime. Il m’aime, moi.
— Moi aussi je t’aime…
Jusqu’à présent, j’étais la seule à le dire. Même pendant qu’on le faisait,
il esquivait la réponse en m’embrassant, mais cette fois, je l’ai entendu. Il
l’a dit.

En arrivant devant l’hôtel abandonné, une sensation de chair de poule


m’a envahie et j’ai voulu rebrousser chemin. Je ne m’attendais vraiment pas
à ça… On n’est pas très nombreux, peut-être quinze ? Vingt ? Mais les têtes
me sont inconnues et l’obscurité du soir donne un aspect lugubre au lieu.
L’endroit est perdu et abandonné, mais les personnes qui ont l’habitude
de venir ici se sont fait plaisir en rénovant légèrement certaines parties du
bâtiment.
Si j’avais su, je n’aurais sûrement pas mis cette jupe. Mes jambes
frissonnent à cause du vent et le regard que me portent ces mecs
m’oppresse. Je m’accroche au bras de mon copain et baisse la tête.
Que la fête commence…
Chapitre 31

Sierra, Jacksonville
Présent
— C’est bientôt… son anniversaire ?
Depuis deux ans, je ne me suis jamais intéressée à lui et à sa date
d’anniversaire. Alors quand les garçons ont évoqué une soirée qui aurait
lieu à l’occasion de l’anniversaire de Jayden, je me suis creusé la mémoire
pour me souvenir de sa date de naissance, mais sans succès.
— Oui, m’explique Hunter, tandis que le concerné guette son portable
comme la première merveille du monde, j’allais proposer que tu viennes à
la petite fête d’ailleurs…
— Moi je dis que c’est hors de question, ajoute Esteos.
— Pourquoi ça ? demandé-je.
Logan pose la télécommande à côté de lui et me regarde dans les yeux
avant de dire :
— Tu veux qu’on te rappelle comment t’as fini la dernière fois, ma
belle ?
Je le fusille du regard, mais je ne peux pas m’empêcher de grimacer aux
souvenirs épouvantables qui reviennent dans mon esprit. Malgré ça, cette
fête va être organisée par les garçons et je sais qu’ils ne vont pas inviter
toute la ville pour célébrer les dix-neuf ans du monsieur. Alors je ne vois
pas pourquoi je serais obligée de rester chez moi ce soir-là tandis qu’ils
seront en train de s’éclater comme jamais.
— En attendant, le concerné n’a même pas l’air excité, remarque
Esteos.
— Je m’en fous de cette soirée, faites ce qui vous chante.
— Je viens alors ! m’exclamé-je.
Telle une chorale dans une symphonie, leurs voix, sauf celle de Hunter,
forment un « non » synchronisé et authentique à mourir. Je m’enfonce dans
le canapé en levant les yeux au ciel. Je croyais que le seul qui chantait était
Logan, mais apparemment ils devraient tous s’inscrire à The Voice.
— Moi je n’y vois pas de mal tant qu’elle reste avec nous, ça devrait
aller non ? dit Hunter.
— En plus, je n’ai plus seize ans, Esteos… Je sais me gérer. Et puis,
pour une fois que j’accepte de sortir avec vous, vous devriez être contents,
non ?
Silence.
J’ouvre la bouche, outrée par leurs réactions… inexistantes. Mon frère
est le premier à exploser de rire, suivi de Logan puis Hunter. Je rigole jaune
en les regardant de travers, même si au fond je suis aussi hilare qu’eux.
— Pas d’alcool pour toi dans ce cas, dit Esteos, vaincu.
— Cinq verres, protesté-je.
— Aucun.
— Cinq.
— Un seul.
— Quatre.
— Trois et c’est mon dernier mot, conclut-il.
Je croise les bras sur ma poitrine, sortant victorieuse de cette
négociation. La fête se déroulera le 27 janvier, soit dans deux semaines.
C’est le jour de son anniversaire. C’est avec étonnement que je découvre
que Jayden est le deuxième plus âgé du groupe. Ce qui me surprend le plus,
c’est qu’il soit plus âgé que mon frère. Quand on les regarde, Esteos fait
très papa poule.
Je regarde Jayden qui a fini par poser son portable, mais qui garde la
tête baissée, presque… gêné par la situation. Il joue avec les bagues autour
de ses doigts et je l’observe enlever et remettre celle sur son annulaire
gauche.
Je panique quand il lève la tête vers moi comme s’il sentait le poids de
mon regard sur lui, alors je détourne rapidement les yeux. Mais je sais qu’il
m’a vue le regarder. Et je sais qu’il sourit.

En entendant les garçons monter, j’éteins la lumière de ma chambre le


temps qu’ils croient que je dors. Je n’ai pas sommeil… Les garçons ont
passé l’heure à parler, rigoler, boire, parler et encore… boire ?
Heureusement pour eux que ce ne sont que des bières et surtout, ils
connaissent leurs limites. Peut-être que la seule exception est Logan, celui-
là, si on le laisse avec de l’alcool, il est ivre mort.
Je rallume la lampe sur ma table de chevet pour me placer devant mon
nouveau miroir. Ça m’arrive encore de prêter attention à mon corps, surtout
dans ce genre de moment où le sommeil m’est lointain. J’ai pris du poids,
ça se voit… Je le vois.
Deux ans plus tôt, cette remarque m’aurait fait vomir mon repas du soir
dans la cuvette. Deux ans plus tard, elle me fait me rendre compte à quel
point chaque corps est différent et parfait. Je ne suis pas… maigre, mince. Il
y a un temps où je l’étais, mais maintenant mes cuisses ont pris en largeur
tout autant que ma poitrine et mon ventre. Mon corps me plaît, c’est le plus
important.
Alors en repassant la main sur ma taille, je repense à la sensation qui
m’a parcourue quand ce sont les doigts de Jayden qui étaient là. Son corps
m’a donné chaud à ce moment-là. Mes joues brûlent en y repensant…
En me rapprochant de la porte de ma chambre, je n’entends pas les
garçons parler. Ma main vient couvrir ma bouche pour bloquer mon cri
quand trois coups viennent s’abattre sur ma porte.
Je l’ouvre et c’est la tête de Logan qui apparaît à l’entrée de ma
chambre. Ce qui ne me rassure pas, c’est qu’il sent vraiment la bière et qu’il
a les yeux légèrement rouges. Il me regarde.
— Je peux t’aider ?
Il ne répond pas et continue de me regarder avec ses yeux fatigués. Je
recule quand il ouvre un peu plus la porte et me fait signe du menton pour
sortir de la chambre. Je fronce les sourcils.
S’il croit que je vais sortir d’ici alors qu’il est minuit passé, il se fourre
le doigt dans l’œil. Il soupire en voyant que je ne bouge pas.
— Je veux juste te parler, avoue-t-il.
Sa voix est plus grave, peut-être à cause de l’alcool ou de la fatigue. Je
réfléchis quelques secondes. Il n’y a pas de raison d’avoir peur alors que
mon frère est dans la même maison, n’est-ce pas ?
— Tu sais que si tu me fais quelque chose, mon frère va te tuer ?
— Crois-moi, ma belle, je tiens à la vie. Plus que toi en tout cas…
On descend au salon et je fais abstraction de sa dernière phrase. Il
s’affale sur le canapé et attrape une bière déjà ouverte sur la table, la
regarde, puis avale son contenu. Je l’observe, me méfiant de chacun de ses
gestes.
Comme à chaque fois qu’une situation m’angoisse, ma jambe
commence à taper le sol, frénétiquement.
Il n’engage aucunement la conversation et c’est en train de m’oppresser
plus qu’autre chose.
— T’étais pas obligé de menacer ton plan cul pour moi, tu sais ?
Il s’arrête dans son mouvement, me regarde et explose de rire. Je
l’observe, perplexe.
— Ce n’est pas parce qu’elle a eu beaucoup de conquêtes, que j’ai
forcément fait partie des siennes… Surnom très péjoratif de femme à
femme, dit-il en me coulant le bec. Et je me suis dit que ça flattait mon ego
de te donner un petit coup de pouce.
Je baisse la tête, honteuse.
— Tu sais… Je suis assez observateur. Bon, soyons honnêtes, qu’est-ce
que t’as contre Jayden ?
Je relève la tête vers lui. Il me regarde, les avant-bras posés sur ses
cuisses. Ses yeux bleus brillent de malice, il sait pertinemment que je ne
vais pas répondre. Pourtant, il m’a posé la question pour voir comment
j’allais réagir.
— Je ne t’oblige pas à parler. Chacun ses secrets, ma belle, fais juste
attention à toi. On ne te veut aucun mal, Sierra… Le jour où on t’a vue faire
cette crise, on a tous paniqué, moi le premier. Pourquoi accumuler jusqu’à
exploser comme la dernière fois ? Ton passé, c’est ton passé. Mais apprends
à le dissocier de ton futur parce que là, t’es juste en train de te pourrir la vie.
Je n’arrive pas à répondre. Je tombe de dix étages. Logan Mensen, le
plus grand gamin sur cette terre, me fait une leçon de morale ?
Finalement, plus je le regarde, plus je me dis qu’on n’est pas si
différents. Il boit pour oublier, je lis pour oublier. Il rit pour atténuer, je
m’isole pour atténuer. Même problème, différentes solutions.
— Et toi ? Pourquoi tu viens me dire ça ?
On ne se lâche pas des yeux. Qui craquera le premier.
— Parce que t’es une gamine pourrie gâtée. Ton frère… Esteos, t’as
énormément de chance de l’avoir et toi, t’en fais qu’à ta tête.
— T’es jaloux ?
— Et toi ? T’es jalouse d’avoir une vie aussi pathétique face à la
mienne ?
Nos répliques sont plus cinglantes les unes que les autres. Mais nous
savons tous les deux que nous ne faisons pas ça de façon cruelle, c’est notre
manière de nous chercher.
Il se gratte la nuque. Son visage s’adoucit doucement jusqu’à afficher
une expression que je n’ai jamais vue sur son visage. De la… tristesse. Il
ouvre plusieurs fois la bouche avant de se lancer.
— Tu sais… Esteos…
Il marque une pause, comme si ce qu’il allait exprimer était trop dur.
— Avec ton frère, on n’a pas eu la rencontre la plus banale, il est arrivé
tandis que je me battais avec quelqu’un. La première chose qu’il a faite,
c’est de me séparer de ce mec et, dans l’adrénaline du moment, je lui ai
foutu un coup dans le nez. Il s’est moqué de moi parce que j’ai paniqué en
voyant ses narines pisser le sang. Je l’ai donc emmené à l’infirmerie…
L’infirmière n’était pas là ce jour-là, alors j’ai soigné ton frère moi-même.
Il regarde ses pieds et je me rends compte à quel point ce moment est
intime. Il se confie à moi alors que tout ce que j’ai fait jusqu’à présent, c’est
de le critiquer à longueur de journée.
— Il m’a dit quelque chose pendant que je nettoyais le sang sur son
visage… Pourquoi t’es triste ? Sur le moment, je n’ai pas compris sa
question. Et puis je lui ai expliqué pourquoi je me suis battu avec ce gars. À
cette époque, je n’avais pas le droit à l’erreur, j’avais déjà redoublé et mes
antécédents pouvaient me bloquer pour mon avenir… Et comme s’il avait
compris, il a posé une main sur mon épaule et m’a souri… Alors que je
venais de lui péter le nez. Les larmes ont coulé toutes seules…
Il s’arrête de parler pendant quelques secondes et rigole. Je ne me joins
pas à son hilarité, je n’ose pas interrompre sa tirade. Je sens qu’il a besoin
de se confier.
Si je ne peux pas panser mes maux, je peux au moins écouter ceux des
autres.
Je suis tout de même surprise quand je me rends compte qu’il est le plus
âgé du groupe. Je le savais déjà en réalité… Mais pas qu’il avait un an de
plus. Il va donc avoir vingt ans cette année…
— J’ai commencé à pleurer comme un gosse. Spontanément, il m’a
rassuré en me disant que ça arrivait de se battre de temps en temps. Tu
connais ton frère, trop bon trop con… Il est bien trop bon pour ce monde. Il
m’a pris sous son aile dès le début… Quand je lui ai dit que ce n’était pas la
raison de mes larmes, qu’il y avait une autre raison… Il m’a regardé, en
attente d’une explication.
Quand nos regards se croisent de nouveau, ce ne sont plus ses yeux
rouges qui attirent mon attention, mais les larmes qui dévalent ses joues.
Ma bouche s’ouvre sans savoir quoi dire. Et à ce moment, je m’approche de
lui doucement et passe mes bras autour de ses épaules, pour le réconforter.
Mon cœur se brise quand un sanglot étouffé sort de sa bouche. Il a mal, je
peux le ressentir.
— Pourquoi tu pleurais ?
Il garde les bras le long de son corps pour ne pas m’imposer son
contact. Je l’écoute pleurer alors que mes genoux sont plantés dans le sol. Je
frotte son dos de ma main pour le rassurer.
— Parce que ce jour-là… c’était l’anniversaire de la mort de ma sœur.
Ma sœur est morte à cause de moi.
Chapitre 32

Sierra, Jacksonville
Présent
Quand j’ouvre les yeux, mon corps est enveloppé dans quelque chose de
doux et de chaud. Je lève légèrement la tête pour voir une couverture sur
mon corps, mais surtout… je suis allongée sur le canapé et Logan a disparu.
Je m’étire rapidement et grimace à cause de mon mal de dos. Le soleil
brille aujourd’hui.
— Bonjour.
Je croise le regard bleu de Logan. Je ne sais pas si je dois lui sourire ou
faire comme si de rien n’était. Je ne sais pas si notre discussion de la veille
signifie quelque chose… Une trêve ou un truc dans le genre. Je finis par lui
sourire tout de même.
Avec surprise, il me tend une tasse de café que j’accepte avec plaisir
avant de me décaler pour lui laisser une place.
— Merci… Bien dormi ?
Je ne sais clairement pas quoi dire pour engager la conversation. Il rit à
gorge déployée et fait résonner sa voix matinale. Je vais aller me cacher…
— Mieux que toi en tous cas.
Je lève les yeux au ciel quand il se moque de moi, car je me suis
endormie à même le sol.
Je prends une gorgée de mon café et le recrache presque en sortant la
langue. C’est dégueulasse…
— Logan… T’as mis combien de sucres dans le café ?
— Euh… Aucun.
Ma bouche s’entrouvre. Aucun ? Je lui lance un regard en coin.
— Tu le prends comme ça ton café, toi ?
Il hausse les épaules.
— Pourquoi, t’en mets combien ?
— Quatre.
Cette fois, c’est à son tour d’afficher un regard horrifié.
— Tu veux avoir le diabète ? Oh non… J’oubliais, t’es suicidaire.
Je secoue la tête et entre dans la cuisine pour aller chercher mes quatre
sucres. Son humour noir est quelque chose que les gens peuvent trouver
excessif, mais moi, ça me fait autant rire que grincer des dents.
Au même moment, Esteos pénètre dans la cuisine et vient embrasser ma
joue en se frottant les yeux.
— J’ai un de ces maux de tête, se plaint-il.
J’attrape en même temps un verre d’eau et un cachet d’aspirine que je
lui tends. Il me sourit et l’avale sans chichi.
Je retourne au salon avec le café qui commence à refroidir. Les garçons
arrivent comme des enfants en voyage de classe et Hunter me pique ma
place. Je m’assois par terre et continue à siroter mon café rempli de sucre.
Comme quatre-vingts pour cent du temps, ils parlent des derniers
matchs de football. Ils n’ont pas d’autre sujet de conversation ?
— Prends ma place.
Je me tourne vers la voix. Il me regarde droit dans les yeux et j’ai envie
de me noyer dans ma tasse.
— C’est… gentil, mais tu peux rester assis, merci Jayden.
Il cligne des yeux et se pince les lèvres.
— S’il te plaît… Prends ma place.
Il n’attend pas de réponse et se lève. Il m’incite à faire de même. Je finis
par me redresser et quand je passe à côté de lui, il attrape rapidement mon
bras et me glisse discrètement.
— On voyait… ta poitrine d’ici.
Je me tends. Je hoche la tête et prends finalement sa place en remontant
mon haut. Lui part chercher une chaise dans la cuisine et prend place
dessus. Je n’arrive pas à détacher mon regard de lui. Il n’est… pas moche.
Pas du tout même, les tatouages lui donnent un côté plus mystérieux qu’il
ne l’est déjà.
— Décale-toi, Sierra.
— Tu vois bien qu’il n’y a pas de place, Esteos.
Il hausse un sourcil.
— Bien sûr que si, regarde !
Pour confirmer ses propos, il essaye de s’asseoir sur le même fauteuil
que moi en se dandinant de partout. Je rigole et le pousse en faisant
attention à ne pas lui verser mon café dessus.
Après quelques secondes, il s’assoit par terre, là où j’étais quelques
secondes plus tôt et mange sa barre de chocolat.
Quand je nous regarde tous ensemble, réunis dans ce salon, je repense à
moi qui ne pouvais même pas les voir en peinture. Aujourd’hui… c’est
différent, comme si rester avec eux m’avait fait prendre conscience qu’ils
ne sont pas si mauvais que ça. Logan, hier, m’a fait réaliser quelque chose
de très important. Tout comme moi, il demeure sensible à son passé, mais il
avance. Il va de l’avant.
Quelques heures plus tard, les garçons sont toujours à la maison et
préparent tous à manger en bas pour faire une surprise à ma mère. Je souris
à cette pensée. Elle les a toujours bien accueillis, alors les voir rendre la
pareille, ça me fait chaud au cœur.
Mon sourire se fane quand je repense à mon devoir de mathématiques,
posé sur mon bureau. Je ne comprends rien et je suis à deux doigts de
m’arracher les cheveux.
Trois coups tapent à ma porte.
— Entrez !
Je fais mine de ne pas réagir quand c’est la silhouette de Jayden qui
entre. Je pose le stylo que j’étais en train de mordiller quelques secondes
auparavant et l’observe, me demandant ce qu’il me veut cette fois.
— Oui ?
— Juste pour te dire qu’on a bientôt fini de faire à manger et… Hunter
et Esteos sont sortis acheter des boissons.
Je hoche la tête. Je le regarde en attendant qu’il rebrousse chemin, mais
la seule chose qu’il fait, c’est de contempler ma chambre. Ses yeux
s’attardent sur ma bibliothèque et moi sur son cou, couvert d’encre noire. À
chaque fois que mes yeux se posent sur les parties de son corps tatouées, je
me demande quelle est la signification de certains d’entre eux.
— C’était tout ?
— Oui, répond-il.
Une fois qu’il a fini de faire son inspection, ses yeux gris viennent se
figer dans mes yeux marrons. Je suis soulagée que ma chambre soit rangée
pour une fois et qu’il n’ait pas eu à voir mes vêtements éparpillés partout
dans la pièce.
Il penche la tête sur le côté et un fin sourire étire ses lèvres, un tout
petit, minuscule.
— Qu’est-ce que tu fais ? demande-t-il.
Je hausse les épaules en essayant de me détendre. Sauf qu’avec lui, je
ne peux pas être détendue. Ma jambe commence à trembler contre le sol. Je
passe mes mains sous mes cuisses.
— Arrête de trembler, je ne vais rien faire, lâche-t-il, moqueur.
Je décide de l’ignorer et de me remettre face à mon bureau pour faire
comme s’il n’existait pas. La tâche s’avère compliquée quand j’entends
qu’il s’approche de moi. Détends-toi, Sierra…
Ses deux mains se posent de part et d’autre du bureau. J’ouvre la
bouche pour pouvoir respirer normalement, car je suis sur le point
d’étouffer. Mon nez est alerté par une odeur que je n’apprécie pas.
— T’as fumé, lui fais-je remarquer.
Il ne me répond pas et rapproche sa tête de la mienne, m’obligeant à
fermer les yeux si je veux rester un minimum lucide. Je ne veux pas
connaître la température de mon corps, là tout de suite.
— Respire, chuchote-t-il.
Son souffle contre mon oreille me procure une sensation aussi agréable
que détestable. Il pose lentement sa main sur mon avant-bras pour voir si je
vais réagir et je n’en fais rien. Je le laisse faire, prise par le moment.
Je déglutis quand mes poils se hérissent à son contact.
Mes poumons se gonflent quand il remonte sa main jusqu’à ma nuque
pour dégager mes cheveux. Sa peau brûlante contraste avec la froideur de
ses bagues. Je ne sais pas ce qu’il lui prend et tout ce que je veux c’est qu’il
arrête autant qu’il continue.
Il poursuit son chemin sur mon cou et enveloppe ma mâchoire de ses
doigts pour faire basculer ma tête en arrière. Je n’ouvre pas les yeux
pendant quelques secondes avant de le faire et de croiser son regard gris qui
me sonde comme si j’étais une énigme qu’il n’arrivait pas à résoudre. Il
recule légèrement, mais son souffle tombe toujours sur mon nez. Je regrette
de constater que ses yeux descendent sur mes lèvres un dixième de seconde.
Parce que je fais de même.
Je dois l’arrêter. Mais l’envie n’est pas présente.
Je n’en ai pas envie… Je n’ai plus envie de l’arrêter.
Il descend sa main sur mes clavicules et je suis sûre qu’il sent mon
pouls battre à tout rompre contre sa paume. Pourtant, il ne fait aucune
remarque. Qu’est-ce qu’il se passe ?
— Bon, ça fait un moment que t’es monté, Jay !
On se détache rapidement en voyant Logan débarquer dans ma
chambre. Il s’arrête sur le pas de la porte et nous fixe. Son expression nous
montre qu’il a pris conscience d’avoir interrompu un moment intime.
— Je lui ai demandé de l’aide pour mon devoir, mentis-je.
J’essaye de reprendre une respiration régulière, mais c’est difficile avec
lui toujours dans la pièce. Logan lâche la poignée de la porte et s’avance
dans la chambre.
— Devoir de ?
— Mathématiques. Je déteste cette matière.
Un blanc s’installe avant qu’il ne vienne regarder ma feuille. Il la
parcourt rapidement du regard et sourit doucement.
— Je vais t’aider, viens.
Nos regards se croisent une dernière fois avec Jayden, avant qu’il ne
quitte la chambre.
Chapitre 33

Sierra, Jacksonville
Présent
Une semaine passe, l’anniversaire de Jayden approche à grands pas. Ce
n’est pas que je l’évite puisqu’on ne s’est jamais vraiment prêté attention,
mais… les événements passés m’ont quelque peu chamboulée. Je n’ai donc
toujours pas mis un pied en dehors de ma chambre depuis l’arrivée des
garçons.
Ce serait mentir de dire que je regrette ce qu’il s’est passé… La
question qui me taraude à présent est pourquoi est-ce qu’il a fait ça ?
Jusqu’à présent, je ne lui ai laissé entrevoir que du mépris à son égard…
Je repense à la fête qui se déroulera la semaine prochaine et je suis en
quelque sorte satisfaite de savoir qu’il n’y aura pas beaucoup de monde. Je
ne me serais pas du tout sentie à l’aise et l’idée de finir ivre comme la
dernière fois me terrifie plus qu’autre chose.
Je ferme mon livre après avoir mis la plaquette de Post-it en guise de
marque-page et manque de faire un arrêt cardiaque en voyant Esteos adossé
à la porte de ma chambre, les bras croisés.
— Tu aurais pu frapper avant d’entrer, dis-je calmement.
— Je l’ai fait, tu ne répondais pas.
Je pose le livre sur ma table de chevet quand il vient s’asseoir sur mon
lit. Il lance un regard moqueur.
— Ça va mieux ?
Je hoche simplement de la tête, il pose sa main sur mon épaule et
chaque geste affectueux qu’il a envers moi me fait comprendre que j’ai le
meilleur frère du monde. Sincèrement, avoir un grand frère, c’est la
meilleure chose du monde.
— Tu sais, ces derniers temps, je suis occupé par les examens, mais ce
n’est pas pour autant que je suis plus là. Je sais très bien que tu continues à
faire des cauchemars, ne sois pas gênée de venir m’en parler, jamais.
Je fais un léger signe de la tête.
— Merci Esteos.

Jayden, Jacksonville
Présent
Esteos redescend, seul. Elle n’a pas pointé le bout de son nez depuis le
début de la soirée, pas besoin d’un troisième œil pour remarquer qu’elle
m’évite. Je ne sais pas si je suis débile ou si c’est juste que je suis le pire
des enfoirés, mais ce qu’il s’est passé il y a quelques jours est la dernière
chose que je regrette au monde. Le pire, c’est que je ne sais même pas
pourquoi j’ai fait ça.
Sa peau est douce, j’ai encore la sensation de son cœur qui bat sous mes
doigts. Elle peut mentir autant qu’elle veut, mais ce que son corps ressent
est indéniable. Elle ne me déteste pas comme elle le prétend… Et c’est en
train de la tuer.
Tomber amoureux ? C’est dangereux.
Je ne sais pas pourquoi cette phrase retentit comme un signal d’alerte
dans mon esprit. Je ne suis pas tombé amoureux…
Je passe ma main sur mon visage. Qu’est-ce qui m’attire chez elle ?
Ma tête se tourne quand je sens une main sur mon épaule. Esteos me
questionne du regard. Je secoue la tête et me lève, j’ai besoin de
décompresser, sinon je vais devenir fou.
— Je dois fumer.
Je sors à l’arrière de la maison, qui est devenu mon refuge au fil du
temps. Je ne me suis jamais senti aussi contrôlé par mes émotions et je
déteste ça. Des émotions que je croyais ne plus jamais ressentir, que je
croyais ne plus avoir.
Qu’est-ce que j’ai ? Peut-être est-ce juste physique ? Mais mon envie de
constamment la regarder, l’embêter et la voir s’énerver titille mon cœur
comme l’aiguille qui grave ma peau.
J’expire pour laisser échapper la fumée qui noircit mes poumons et
regarde par la fenêtre qui donne sur la chambre de Sierra. La lumière est
encore allumée, elle est réveillée.
— Qu’est-ce qu’il t’arrive ?
Il m’a suivi, comme je m’y attendais. C’est Esteos, le cœur le plus
généreux de ce monde. Parfois, je me demande qui veille sur lui.
Je sais que je peux tout lui dire. J’ai toujours été honnête, mais ce que je
m’apprête à dire… je ne sais pas du tout à quoi m’attendre.
— Esteos, si je te dis que j’aime ta sœur… Tu le prends comment ?
Il est aussi étonné que moi. La surprise se dessine un quart de seconde
sur son visage, puis il reprend son expression neutre. Il rigole légèrement et
je me mords l’intérieur des joues pour ne pas faire de même.
— Je ne dirais rien. Pourquoi, c’est le cas ?
Je remue la tête en signe de négation.
— Pas encore.
— Pas encore ? demande-t-il.
— Ouais.
Je vais soit signer mon arrêt de mort, soit… soit rien. Je vais signer mon
arrêt de mort, mais j’ai besoin d’extérioriser la chose et je n’ai personne
pour le faire. Autant le faire maintenant, puisqu’il connaît mes intentions
envers sa sœur.
— Je crois que j’ai failli embrasser Sierra… Quand vous êtes allés
acheter des boissons la semaine dernière.
— Elle t’a repoussé ?
— Non…
Cette fois, il reste calme. Mon cœur bat fort, j’ai peur qu’il me foute son
énorme poing dans la gueule. Tout ce qu’il fait, c’est me prendre la cigarette
des mains, en tirer une longue bouffée et me taper dans le dos avec pour
seules paroles :
— Elle ne dort pas encore, va la voir.
Il s’en va après avoir jeté ce qu’il restait de la clope. Moi, je reste planté
comme un con, me demandant si je rêve. Oui, je rêve. Il me jette carrément
dans les bras de sa sœur ?
Après quelques secondes de réflexion, j’entre dans la maison et monte
les escaliers.

Sierra, Jacksonville
Présent
Je range ma bibliothèque pour la énième fois de la semaine quand on
toque à ma porte. La moitié de mes livres sont encore par terre et je suis dos
à la porte.
— Entrez.
Le grincement de la porte ne me fait pas ciller et je continue de ranger
mes livres. C’est vraiment un travail de faire en sorte que ça soit joli.
— Salut.
Je m’arrête dans mon élan. Je me retourne, il se tient en prenant appui
sur un mur. Un silence gênant s’installe entre nous et je me racle la gorge en
me relevant.
— Salut…
Il ne me parle pas et son air perdu me fait comprendre qu’il cherche ses
mots.
— Si tu viens me voir par rapport à… la semaine dernière, oublie, ce
n’est rien, je sais.
J’ai tapé dans le mille puisqu’il croise mon regard et me dévisage. Ses
sourcils se froncent un bref instant. Mes yeux à moi se baissent sur ses bras
croisés sur son torse et je m’intéresse aux détails de ses bagues.
— Tu regrettes ? me demande-t-il.
Aucune réponse de ma part. Il se décolle du mur et fait quelques pas
vers moi.
— Est-ce que tu regrettes, Sierra ?
— Et toi ?
On se regarde pour voir qui va céder le premier.
— Non. Toi ?
Sa réponse me prend au dépourvu. Je sens quelque chose qui me
chatouille dans le ventre et je comprends rapidement que ce n’est pas bon
signe. J’ai la gorge qui me pique et je lutte pour ne pas montrer ma douleur.
Je ne veux pas que ça recommence…
— … Non.
— Alors, il est où le problème ?
Le problème ? Le problème est que je ne veux pas retomber amoureuse.
Je ne veux pas voir son visage et penser à un autre. Je ne veux pas être
dégoûtée par lui alors qu’il n’a rien fait… Je veux juste être… seule. C’est
tout ce que je mérite.
Mais je me tais, enfermant avec moi ces sentiments interdits.
— Tu… ne peux pas comprendre… Je ne veux pas ressentir tout ça,
mais c’est plus fort que moi et ça me tue… Jayden, je suis détestable avec
toi. Pourquoi tu continues à vouloir m’aider ? Je ne veux pas jouer à ça… Je
ne veux jouer à rien. Je n’ai rien demandé, alors s’il te plaît… Je veux juste
être en paix. Pense que j’exagère, je m’en fiche complètement…
Je n’ai plus la force de pleurer, honnêtement. C’est juste… trop dur de
devoir me souvenir de ce qu’il m’est arrivé en voyant le visage d’une
personne qui me plaît. Je ne veux pas lui faire plus de mal que je lui en ai
déjà fait.
— Va-t’en, s’il te plaît.
Il ne bouge pas d’un centimètre. Son visage se tord d’hésitation et sans
que je m’y attende, il effectue un pas, puis deux, puis trois, jusqu’à être en
face de moi. Je ne recule pas. Il se baisse, passe un de ses bras dans mes
cheveux et l’autre autour de mon corps. Je me fige, j’arrête de respirer le
temps de comprendre ce qu’il vient de faire.
Il m’étreint, tout doucement.
J’inspire une grande bouffée d’oxygène, mêlant son odeur et celui du
tabac. Il a fumé avant de venir. Son étreinte est beaucoup plus douce que
dans mes rêves, je laisse mes bras le long de mon corps, n’osant pas briser
ce moment.
— Tu n’exagères rien, dit-il. Si ça te fait mal, alors ça te fait mal et c’est
tout. Je veux juste… Je ne sais pas…
J’ai l’impression qu’il a grimacé tout le long de sa phrase. Il est mal à
l’aise, ça se sent, mais la fin de sa phrase se transforme en une plainte,
comme si lui-même était perdu.
J’essaye de me détacher complètement de son étreinte. Il en décide
autrement et resserre sa prise autour de mon corps. Je lâche un hoquet de
surprise quand son front se colle au mien.
— Attends… Je ne suis pas sûr de pouvoir refaire ça, alors juste un
instant… Laisse-moi en profiter, juste un instant.
Il m’éloigne de lui, me regarde et essuie la seule larme qui a coulé sur
ma joue avant de partir comme l’ombre d’une vie.
Chapitre 34

Jayden, Jacksonville
Passé
Respire… Respire… Respire… Tout va bien… Les autres te regardent,
souris, ne pleure pas. Il faut toujours fonctionner par rapport aux regards
des autres… c’est triste, mais réel. Je refoule cette sensation nauséeuse qui
persiste tout au long de la journée et pars rejoindre ma mère qui est venue
me chercher.
J’avance, les yeux fixés sur le sol. J’entends encore les rires des élèves
de ma classe. On me pose souvent les mêmes questions. Pourquoi tu portes
des pulls alors qu’on est en été, tu dois avoir chaud ? Tu ne manges pas ?
T’es maigre, tu sais ?
Oui je sais… Je suis en sous-poids pour mon âge. J’ai la peau sur les os
et mes joues sont creuses comme celles d’une personne morte. Mais pas
besoin de me le rappeler…
— Mon cœur… Comment s’est passée ta journée ?
En voyant son visage fatigué, je perds le peu d’enthousiasme qui me
restait jusqu’à présent à l’idée de revoir ma mère. Elle reste tout de même la
plus belle… Même avec des bleus sous ses couches de vêtements.
— C’était trop bien ! Mais j’avais hâte de rentrer pour être avec toi !
J’entre dans la voiture du côté passager et attache la ceinture. Je n’ai
plus sept ans maintenant. J’ai pleinement conscience de ce qu’il se passe
chez moi, mais je ne comprends toujours pas pourquoi mon père ne m’aime
pas. Il agit comme si je n’existais pas, comme si je n’étais pas son fils.
Je serre les dents. Plus on s’approche de la maison, plus la boule au
fond de mon estomac grossit. Mon père n’est là qu’en fin de semaine et le
reste du temps il travaille. Le truc, c’est qu’aujourd’hui on est vendredi
alors il est à la maison.
Arrivé en face de la maison, je détache ma ceinture en regardant la porte
d’entrée comme la prison d’une vie. Quand je passe cette porte, je vois mon
père, avachi sur le canapé, des bouteilles d’alcool autour de lui. Il lève son
regard noir vers moi et je baisse le mien, apeuré. Je déglutis, ça ne va pas
non… j’ai peur.
— B-bonsoir papa…
Je bégaye, comme d’habitude. Pathétique, c’est ce que je suis. La peur,
l’horreur, l’effroi sont les mots qui me décrivent quand je me retrouve face
à mon géniteur. Je suis son portrait craché physiquement, ce qui n’arrange
rien dans tout ça.
J’ai tant de fois envie de me lacérer le visage pour que ma mère n’ait
plus à voir ce visage de diable qu’est le mien et celui de mon père. Je veux
qu’elle puisse être en paix.
Je monte à l’étage et m’enferme dans ma chambre. Je pars m’asseoir au
fond du lit et me balance d’avant en arrière, les mains sur les oreilles. Je
déteste cette sensation, je déteste cette vie, je veux mourir.

Un.
Deux.
Trois.
Trois cœurs battent dans cette maison.
Un.
Deux.
Trois.

Le premier cri de ma mère arrive et je ferme les yeux. J’ai déjà envie de
pleurer. Mon cœur est écrasé de douleur et ma tête veut se compresser pour
ne plus rien entendre.
Je pleure silencieusement en imaginant ma mère agoniser, hurler. Mon
père, lui, déblatère des atrocités comme « sale pute » « connasse »
« chienne » et j’en passe.
Je tremble de tout mon être et me déteste encore plus de ne rien pouvoir
faire. Je ne peux qu’être témoin d’un quotidien qui doit être dénoncé. Mais
quand j’entends ma mère lui crier d’arrêter en le suppliant, c’en est trop
pour moi. Je ne peux pas rester assis, en train de pleurer comme je le fais.
Mes dents claquent de terreur. J’ouvre tout de même la porte, veillant à
ne faire aucun bruit et je descends lentement les escaliers, sur la pointe des
pieds. Un. Deux. Trois.
En bas, je m’assois sur les marches pour respirer. J’étouffe alors que les
coups s’abattent sur ma mère. Je les entends plus violemment, plus
fortement. Je serre les poings et passe ma tête pour voir ce qu’il se passe.
Mes yeux se révulsent presque en voyant la scène. Je mets ma main devant
la bouche pour m’empêcher de vomir. Je ne peux pas… je vais vomir.
Je dois la sauver. Je ne peux pas la laisser comme ça.
— Arrête, je t’en supplie, dit-elle à bout de forces.
J’entends les hanches de mon père claquer contre ma mère et je me
mets à suffoquer dans mes larmes. Il est en train de… je n’arrive pas à
l’admettre. Mais il va la tuer… Il est en train de me tuer.
Quand je vois mon géniteur en train de l’étrangler, je hurle et me mets à
courir vers eux.
— LÂCHE-LA !
Je le pousse et il tombe par terre comme une grosse larve complètement
ivre et puante. Je me jette sur ma mère et attrape son visage pour l’obliger à
me regarder. Elle est en sang.
— Maman… Est-ce que tu vas bien ? Maman, on doit s’enfuir ! Tu dois
partir, je vais le distraire. Maman ! Est-ce que tu m’entends ?
Elle se relève tant bien que mal et me secoue, les yeux écarquillés.
— Je t’avais dit de rester en haut ! Retourne dans ta chambre,
Jayden !… Marc ! LÂCHE-LE ! JAYDEN !
Il me tire par les cheveux jusqu’à me jeter par terre un peu plus loin. Je
hurle de douleur. Je me mets à crier encore plus quand il me lâche alors que
ma mère essaye de tendre la main pour m’attraper. Il met un dernier coup à
ma mère qui s’évanouit aussitôt. Je veux ramper vers elle, mais il
s’interpose.
— Maintenant, je vais m’occuper de toi.
Il me prend le bras et me traîne jusqu’à la cuisine, comme une poupée
de chiffon. Je sais déjà ce qui m’attend, mais à quel degré ce sera
aujourd’hui ? Je ne sais pas.
Il me jette sur la chaise et m’attache avec ces cordes qui me sont à
présent familières. Je renifle continuellement pour empêcher la morve de
couler tant je pleure. C’est la seule chose que je peux faire, la seule chose
que je sais faire.
Il ouvre le tiroir du milieu, sort son arme et un couteau. Je me débats
comme toujours, mais rien à faire, je ne vais pas m’en sortir indemne.
Il me demande d’arrêter de pleurer, mais je n’y arrive pas. Alors il me
gifle, une première fois, puis une deuxième fois et la troisième fois je ne
sens pas la douleur, anesthésié par les précédents coups. Il est en train de
devenir fou, il plaque son arme contre mon front et je suis obligé d’étouffer
mes larmes au fond de moi pour ne pas mourir ce soir.
Il pose le pistolet et s’empare du couteau qu’il pointe vers moi. Il me
fait tellement peur… Comment un père peut se comporter de la sorte avec
son enfant ?
— Pourquoi il ne faut pas tomber amoureux, mon petit, rappelle-le
moi ?
— Parce que… parce que c’est dangereux…
— Sinon tu vas finir comme moi avec ta mère, tu le sais, hein ?
Je hoche la tête, n’ayant pas d’autre échappatoire.
— Et ressentir la douleur ?
Il trace un premier trait avec la lame et je me mets à hurler. Il me gifle,
ma tête tourne sur le côté et je me tais instantanément. Il appuie plus fort en
traçant un autre trait, qui restera à vie. Je serre les dents pour répondre.
— Ce n’est pas possible…
Il continue à me mutiler les bras en assouvissant son plaisir. Il est fou, il
n’est pas normal. Quand il enlève la lame de ma peau, je me mets à respirer
fortement, je grimace et me tords dans tous les sens à cause de la douleur.
Le sang coule de mes plaies et il n’en a absolument rien à faire.
Je hurle de désespoir. Je crois que c’est fini, mais il revient à la charge
en me cisaillant l’autre bras. Je sens que ma vue commence à se troubler.
Ma respiration ralentit, je vais mourir.
— LÂCHE MON FILS !
Mon père recule de quelques pas, désarçonné. Il porte la main à l’arrière
de sa tête et y voit du sang couler. Ma mère vient de lui foutre un coup de
batte de base-ball sur le crâne. Je crie. Je ne peux pas me détacher, mais je
crie quand il se tourne vers ma mère. Il perd l’équilibre et tombe par terre.
— Je vais te tuer… Sale pute !
Ma mère court vers moi et prend mon visage entre les mains. Elle
pleure à chaudes larmes et m’embrasse partout.
— Mon cœur… Ça va aller, d’accord ? J’ai appelé la police, ils vont
arriver. Je t’aime, mon fils, on va t’emmener à l’hôpital, tout va s’arranger.
Je suis tellement désolée… On va s’en sortir…
Un bruit insoutenable retentit dans mes oreilles et je vois les yeux de ma
mère s’écarquiller. Mon père, toujours au sol, tient à présent un pistolet
dans la main qu’il pointe sur ma mère. Je n’ai même pas le temps de réagir
qu’elle tombe par terre et une mare de sang s’étend autour de son corps.
Mes oreilles sifflent d’une douleur atroce.
— Maman ? Maman… Réveille-toi… Allez… La police arrive, dis-je
dans le déni.
Un. Deux. Plus que deux battements de cœur dans cette maison.
Je me sens petit à petit tomber dans les bras de Morphée quand
j’entends les sirènes de police. Encore du bruit, plein de bruit et un dernier
coup de feu.
Un. Un dernier battement de cœur.
Chapitre 35

Jayden, Jacksonville
Passé
Ma tante aussi va finir par me jeter. Quand ? Ça, je ne sais pas…
Pourquoi a-t-elle signé ces papiers pour devenir ma représentante légale ?
Elle l’a peut-être fait par pitié… mais, grâce à elle, j’ai pu commencer à
recouvrir toutes mes cicatrices. Grâce à elle, j’ai commencé à me tatouer,
c’est ce qui me sauve de ma noyade. Sauf que, ça ne me suffit plus, il m’en
faut plus. Je n’y arrive plus…
Il y a deux ans, ma grand-mère m’a jeté à la rue parce que je lui
ressemblais trop… Mon visage, cette chose répugnante, est la source de
mon malheur. Pourquoi il a fallu que je sois le sosie de mon paternel ?
Pourquoi je fais souffrir tout le monde ? Combien de personnes vont encore
me jeter et combien de personnes seront capables de m’aimer ?
« Ôte ce visage de ma vue, sale monstre ! Tu as tué ma fille ! C’est de ta
faute. »
Ce sont les mots qu’elle a prononcés avant de lancer ma valise sur la
route. Je ne lui en veux pas… Elle a raison. Maman restait avec papa à
cause de moi… Pour moi…
Je n’ai jamais su où était la tombe de ma mère… Grand-mère ne voulait
pas que j’aille la voir, pas une seule fois. Elle y allait seule en me laissant
errer dans la maison.
Je n’ai même pas pu assister à ses funérailles. J’étais à l’hôpital, en
rééducation. Je regarde mes bras. J’ai pris du poids, mes bras ressemblent
enfin à quelque chose et mes tatouages créent l’illusion de muscles plus
volumineux. Ces tatouages qui recouvrent tant de cicatrices, tant de
souffrances.
Mes cheveux me cachent la vue, mais ce n’est pas important, ce qui
l’est, c’est qu’ils cachent la couleur de mes yeux. Je ne sais pas depuis
quand je suis devenu aussi froid et insensible.
Mes jambes se balancent au-dessus du vide de cette ville sombre. Le
bruit des vagues fait écho en moi. Elle doit être gelée. Glacée, comme mon
cœur.
Ce soir, ma tante Megane a voulu me montrer le cimetière où repose ma
mère… Je me suis enfui, par peur. Mon corps s’est tendu à l’idée de voir
une tombe, où à plusieurs mètres de profondeur, un cadavre repose. Celui
de ma mère, ma pure et jeune mère… Ses yeux bleus sont sûrement mangés
par des insectes.
Je remonte à des années en arrière quand ma grand-mère m’a jeté et que
ma tante est venue me chercher. J’ai cru que la mort m’avait emporté. Elle
lui ressemble comme deux gouttes d’eau… Après tout, c’est sa jumelle.
Elle me cherche sûrement à l’heure actuelle, il est minuit passé et elle
doit être morte d’inquiétude que son neveu se balade en ville, sans rien sur
lui. Mais ce que je m’apprête à faire n’est rien comparé à la douleur que je
lui aurais procurée dans les années qui auront suivi.
Il a encore gagné… J’espère qu’il se réjouit dans sa tombe. Père, tu as
encore gagné. Désolé maman…
Je jette d’abord le collier dans la mer. Le vent souffle tellement fort que
je suis sûr de mourir sur le coup. Tant mieux, j’ai envie de dire. Ça ne sera
plus jamais comme avant. J’ai laissé tomber la seule chose qui me reliait
encore à ma mère… Il est temps de la rejoindre.
On ferme les yeux… Et c’est terminé.
Je me sens tomber en arrière et mon dos heurte ce qui n’est pas de l’eau.
— EH ! ÇA VA PAS ? MERDA !
Je repose ma tête au sol, le souffle court. C’est qui ça encore… Ils ne
peuvent pas me laisser tranquille ?
— Tu m’entends !? Attends-moi, j’appelle mon père.
L’homme s’en va vers une voiture dont les phares m’éblouissent. Je n’ai
pas la force de bouger, mais j’ouvre tout de même les yeux pour voir qui est
mon… sauveur.
Je vois un mec, d’environ mon âge. Ses cheveux sont assez longs, plus
que la moyenne chez les garçons en tout cas, et il a un corps élancé ainsi
que des bras musclés. Il revient avec un homme qui lui ressemble très peu.
— Est-ce que ça va, jeune homme ? demande le plus âgé des deux.
Je remarque directement le manque d’accent dans son intonation
comparé au garçon avec les cheveux longs.
— Je vais bien merci.
— Tu as quel âge ?
— Dix-sept… Je crois.
Je me relève et baisse le regard. J’ai honte d’avoir encore une fois raté
ma tentative… Je m’apprête à partir pour ne pas avoir à leur donner plus
d’informations que nécessaire, mais on me retient par l’épaule. Je me
dégage de l’étreinte, crispé.
— On devrait te déposer, il est tard, m’explique le mec aux cheveux
longs.
— Je peux rentrer seul.
— J’insiste.
Je le fixe pendant plusieurs secondes. Les traits de son visage lui
donnent des airs italiens. Je soupire.
— J’ai besoin de rester dehors… Pour réfléchir. Donc, ne vous en faites
pas pour moi, je saurai me débrouiller.
— Arrête de me vouvoyer, je prends un coup de vieux…
Dans un autre contexte, j’aurais peut-être souri, mais ce n’est pas le
moment. Il est en tout cas extrêmement chaleureux.
— Papa, maman, allez-y sans moi. Je rentre dans pas longtemps avec
Sierra. Elle dort dans ma voiture.
— T’es sûr de toi ? Il est tard…
— On ne va pas tarder.
Je suis sur le point de protester, mais le père me dit déjà au revoir et je
me retrouve avec le jeune homme. La voiture blanche démarre et s’enfonce
dans cette ville maudite tandis que la rouge reste garée dans un coin du
pont. Je l’observe… Il est vraiment serein.
Il s’assoit par terre et m’invite à le rejoindre. On est sur un pont, au
beau milieu de la nuit, il n’a pas peur que je sois un détraqué mental ou un
tueur en série ? Comment peut-il être aussi… aussi bon avec un inconnu ?
— Comment tu t’appelles ?
Je ne réponds pas, pas sûr de vouloir qu’il connaisse mon identité. Il
penche la tête sur le côté et je ne peux m’empêcher d’admirer ses cheveux
soyeux.
— On ne se reverra sûrement jamais, autant en profiter. Esteos.
— Jayden…
Il sourit.
— Je viens de déménager aux États-Unis avec ma mère et ma sœur pour
rejoindre mon père… On habitait en Italie avant, d’où mon accent si tu te
poses la question.
Je hoche la tête. C’est pour ça… Je sors une clope et l’allume. Il me
regarde faire et quand je lui en tends une, il refuse gentiment. C’est rare de
voir quelqu’un refuser une cigarette. Je range mon paquet et m’allonge sur
le sol.
— Vous avez choisi la mauvaise ville pour découvrir ce pays… C’est
merdique ici.
Il rigole doucement. Je ne vois pas en quoi ce que j’ai dit est drôle. Je
peux deviner d’avance que c’est le genre de mec que tout le monde aime.
— Pourquoi t’étais à deux doigts de sauter de ce pont ?
— Vie de merde…
C’est vrai que c’est plus simple de parler à une personne que tu penses
ne jamais revoir. Tu peux être sûr qu’elle n’ira pas balancer en te pointant
du doigt. Et même si à l’avenir on se recroise dans la ville, rien ne garantit
qu’il me reconnaîtra.
— Je vais me permettre de te parler comme un ami, tu veux ? Si tu
trouves que la vie n’en vaut pas la peine, alors trouve quelque chose qui en
vaut la peine. T’as dit avoir dix-sept ans. Qu’est-ce que c’est dix-sept ans
sur toute une vie ? Quelles que soient les épreuves que t’as affrontées,
n’abandonne pas, mec… T’as fait de ton mieux et c’est le plus important. Si
aujourd’hui tu avais sauté, qu’est-ce que tu penses qu’il se serait passé ?
Rien. Parce que tu te serais vu en train d’essayer de retrouver la surface
pour te sauver. Tout ce que tu veux tuer, c’est ce qui est à l’intérieur de toi,
pas à l’extérieur. Alors réfléchis-y à deux fois avant de vouloir mettre fin à
ta vie.
Je le sens un peu irrité lorsqu’il se relève. Moi je reste allongé comme
un con, à remettre en question toute mon existence à cause d’un mec qui
vient de débarquer dans cette ville. Il me tend la main pour m’inviter à me
relever. Je le regarde, prends l’aide qu’il me tend et ma gorge se noue. J’ai
presque envie de pleurer, de lui demander pourquoi il a pris le temps de me
sauver… pourquoi il a pris le temps de me parler.
— Je te dépose où ?
Je lui donne mon adresse sans protester. Il commence à faire froid et je
pense qu’il vaut mieux que je rentre pour retrouver ma tante. Et m’excuser
au passage…
— Monte à l’arrière, mais attention, ma sœur a un sommeil très léger, se
moque-t-il.
J’acquiesce et entre dans la voiture, la tête baissée. Je me permets de
regarder sa sœur. Elle ressemble étrangement beaucoup plus au monsieur de
tout à l’heure et même endormie… elle est jolie.
Je tourne la tête, m’en voulant tout de suite d’avoir eu cette pensée
inappropriée. J’attache ma ceinture et regarde le paysage défiler par la
fenêtre. Esteos me raconte un peu sa vie en Italie et je l’écoute. Il a une voix
apaisante. J’aurais voulu que le trajet dure encore longtemps…
Au moment de tourner sur un rond-point, je me tends complètement en
sentant un poids sur mon épaule. Mes yeux s’écarquillent et je tourne la tête
pour voir les cheveux de la jeune fille me chatouiller le cou. Elle sent
extrêmement bon… Je… N’importe quoi.
— Esteos…
Il me regarde à travers le rétroviseur et éclate de rire en voyant mon
visage paniqué. Je fronce les sourcils, ce n’est pas du tout drôle…
— Tu peux la redresser, elle dort très profondément t’en fais pas.
— T’es sûr que je peux la toucher ?
Il me sourit et hoche la tête. Je fais ce qu’il me dit et la remet à sa place
doucement pour éviter de la réveiller. Elle marmonne des choses
incompréhensibles et pose ma main sur mon visage sûrement cramoisi.
— On est arrivés.
Je regarde par la vitre. Un sentiment étrange s’empare de moi en me
disant que je ne reverrai peut-être plus jamais ce garçon… Pour une fois
que je trouve quelqu’un attachant. Je sors de la voiture.
— Merci beaucoup… pour tout.
— Ce n’est rien. Dis-moi, tu vas dans quel lycée ?
Je fronce les sourcils. Quel lycée ? Je hausse les épaules et réponds tout
de même.
— Il n’y a qu’un seul lycée de ce côté de la ville…
— J’aurais dix-sept ans aussi cette année… À bientôt, Jayden.
Mon regard dévie vers l’intérieur de la voiture dans laquelle sa sœur
commence à se réveiller. Mes sourcils se haussent quand ça fait tilt dans ma
tête. J’éclate de rire, pour de vrai, me rendant compte que je viens de me
faire avoir en beauté.
— À bientôt, dis-je détendu.
Chapitre 36

Sierra, Jacksonville
Présent
— Esteos n’aime pas ça, dis-je en rigolant.
Hunter est en train de faire des Mac and Cheese. Esteos déteste le
fromage, il n’en mange pas. Pendant que Logan et Jayden dressent la table,
mon frère est sous la douche.
Jayden, quant à lui, dispose rapidement les assiettes en face de chaque
chaise. C’est la première fois que je le vois en t-shirt à la maison et la vue
n’est pas si déplaisante… C’est agaçant de ressentir ça.
Que je le veuille ou non, Jayden est tout le contraire de ce que j’ai pu
croire. Ses bras qui m’ont enveloppée dernièrement m’ont montré leur
pureté.
— Sierra ?
Je cligne des yeux et je ne sais pas à quel moment il s’est déplacé pour
se retrouver à quelques centimètres de moi. Je lève la tête pour croiser son
regard qui m’interroge. Je suis perdu jusqu’à ce qu’il dise :
— Je peux passer ?
Je suis littéralement en train de bloquer la cuisine. Je m’excuse
rapidement avant de lui céder le passage. Il rigole et j’en suis choquée. Il rit.
Il sait faire ça lui ?
Le soir, avant d’aller me coucher, je vois Esteos sortir à l’arrière de la
maison, tout seul. Il est en train de fumer, j’en suis sûre. Je me sens un peu
triste ce soir, alors la meilleure chose que je trouve à faire, c’est de le
rejoindre dans le jardin. En me voyant arriver, il cache sa cigarette.
— Trop tard, je t’ai vu, dis-je en souriant.
— Dommage… J’aurai essayé !
Je vais le rejoindre sur le banc et je pose ma tête contre son épaule. Il ne
proteste pas et attend que je parle.
— Qu’est-ce t’amène ici jeune fille, il se fait tard ?
— Je suis perdue… Et j’ai besoin de parler à mon grand frère.
Je sens qu’il sourit doucement. On aime bien se chamailler de temps en
temps, mais les meilleurs moments restent ceux-là, quand je me confie à lui
et qu’il en fait de même. Je ne l’oublie pas. Il a beau faire comme si tout
allait bien, celui qui ne demande jamais d’aide, il est juste… celui qui
préfère ne pas s’imposer.
— Raconte.
J’inspire et ferme les yeux pour être sûre de bien m’exprimer. Tout est
calme autour de nous, on est seuls.
— Tu sais pourquoi j’ai toujours eu du mal avec Jayden… Mais plus
j’avance et plus cette haine devient autre chose. Mais je ne sais pas ce que
je veux… J’ai surtout peur, je pense.
— Tu sais… Ils se ressemblent physiquement, mais ils n’ont pas du tout
la même mentalité. Est-ce que tu penses qu’il te plaît parce qu’il ressemble
à l’autre ?
Je secoue la tête en signe de négation… Bien sûr que non. Je ne serais
jamais attirée par Jayden parce qu’il ressemble à Dario. Au contraire…
C’est le fait qu’il ne lui ressemble pas autant que je le croyais qui me
rapproche de lui.
— Est-ce que tu l’aimes, Sierra ? Je veux m’assurer de ça avant tout.
Parce que je suis peut-être ton frère, mais Jayden ne mérite pas de souffrir,
personne ne mérite de souffrir par amour… Tu le sais très bien.
Est-ce que je l’aime ? L’amour, je l’ai connu seulement une fois dans
ma vie et ce n’était pas le bon. Je ne veux pas ressentir ce que j’ai ressenti
par le passé. Si l’amour, c’est être angoissée en le voyant, je ne définirai pas
ça comme ça…
— Je ne sais pas… C’est un grand mot aimer.
— Réfléchis-y alors…
Il se lève pour me faire face.
— Je te protégerai autant que je le protégerai, tu sais… C’est comme
mon petit frère.
— Il est plus grand que toi, me moqué-je.
Il me met une pichenette sur le front et je grimace.
Chapitre 37

Sierra, Jacksonville
Présent
Je me suis faite très belle pour l’occasion. Je voulais marquer le coup et
puis c’est son anniversaire… Je me retrouve avec le cœur qui bat au rythme
de la musique tandis que j’observe la maison plongée dans le noir avec des
lumières qui bougent dans tous les sens. Il n’y a pas beaucoup de monde,
c’est agréable, on peut circuler sans difficulté. Ils ont loué une maison pour
l’occasion. C’est sympa.
En m’avançant dans le salon, je repère très vite mon frère accompagné
de Jayden et de deux autres garçons. Ils sont tous beaux ce soir, ça fait
plaisir.
Quand j’arrive devant eux, mon frère me sourit et je sens
immédiatement le regard de Jayden détailler rapidement ma tenue. Je fais
de même et malgré la simplicité qu’il arbore, quelque chose est différent
dans sa façon d’être. Il est gêné ?
— Les gars, je vous présente Sierra, ma sœur. Sierra, voici William et
Bill.
Je les salue poliment avec un sourire et jette un coup d’œil au roi de la
journée qui ne m’a toujours pas quittée des yeux. L’obscurité de la pièce
m’empêche de bien distinguer l’expression de son visage, mais je vois qu’il
se mord la lèvre inférieure. Sa main joue avec ses bagues… Il le fait à
chaque fois qu’il est mal à l’aise.
Je m’avance vers lui et croise mes bras devant la poitrine.
— Joyeux anniversaire.
Il me regarde bizarrement, surpris que je fasse le premier pas. Mais
honnêtement, je pense qu’il est temps qu’on avance. Que j’avance. Je
hausse les épaules et lui souris timidement.
— Merci… Sierra.
— Pas de « mon cœur », là ?
Il penche la tête et sourit en coin avant de secouer la tête. Je regarde
autour de moi pour ne pas paraître trop bizarre. Il respire et croise à son tour
les bras sur son torse.
— Merci, mon cœur.
Mes poumons se gonflent d’air et je m’empêche de sourire comme une
débile. Je secoue doucement la tête avant de lui faire un signe de la main et
de m’éloigner pour me servir à boire.
Ils ont même engagé un barman. Je me dirige vers le petit bar
improvisé. Je veux commencer la soirée détendue et quoi de mieux qu’un
verre d’alcool ? Je me promets de rester raisonnable, l’envie de finir ivre ne
m’enchante que très peu.
— Bonsoir ! Je voudrais un verre de Coca avec de la vodka.
Le monsieur se tourne vers moi et affiche un sourire rayonnant qui
disparaît pour étudier mon visage. Il plisse les yeux et me sourit de
nouveau. Je ris jaune, ne comprenant pas son comportement.
Puis il se met à rire tout seul. Bon…
— Vous êtes enfin là ! Votre frère m’a prévenu de ne vous donner que
trois verres d’alcool dans la soirée.
J’ouvre grand la bouche. Cette histoire m’était complètement sortie de
la tête… Apparemment pas pour mon frère. Une fois mon verre servi, je le
cherche du regard dans la pièce et je le trouve en grande discussion avec
Logan.
En me voyant arriver, mon verre à la main, ils comprennent tous les
deux et explosent de rire pendant que je fronce les sourcils, faussement
énervée.
— Vous trouvez ça drôle ?
— C’est pour ton bien, ma belle, ricane Logan.
Au bout de quelques heures, j’ai fini les trois verres qui me sont
autorisés dans la soirée. Je ne suis pas pompette, mais plus joyeuse que
d’habitude. Je suis assise à côté d’Esteos et Hunter sur le canapé du salon.
Ils sont en train de discuter et moi, je m’ennuie. J’ai envie de dormir…
— Sierra, ça te dérangerait d’aller chercher mon portable à l’étage ? me
demande mon frère.
Je me lève rapidement, c’est l’excuse parfaite pour me balader un peu
dans la maison. Alors j’accepte. Mes jambes sont engourdies tout comme
mes fesses à force d’être restée assise.
— Il est où ?
— Dans la chambre du fond. Prends la clé, la porte est verrouillée. Pose
tes affaires si tu veux aussi.
Je hoche la tête et lui prends les clés des mains. Je me faufile jusqu’à
l’étage. Tout est calme d’un coup, ça fait du bien. Le brouhaha constant
donne une migraine pas possible. Je fais bien attention à aller directement
vers la porte indiquée par peur de tomber sur des gens nus, en train de
s’envoyer en l’air.
J’ouvre la seule chambre verrouillée et l’odeur de propre m’indique
qu’il n’y a eu aucun batifolage dans la pièce. Toutes les affaires des garçons
sont éparpillées dans la chambre. Je soupire.
Ne sachant pas où chercher, je fouille un peu partout en espérant ne
tomber sur rien de bizarre. Je prends une veste qui ressemble à celle de mon
frère et fouille dedans, mais rien ne s’y trouve.
En reculant, je fais tomber quelque chose par terre. Merde.
Mes épaules se détendent en voyant que c’est un simple bout de papier.
Je le ramasse. Ma curiosité me tuera un jour… J’ouvre avec précaution le
papier et mon cœur loupe un battement.

— Qu’est-ce que tu fais là ?


Je sursaute et me retourne vers Jayden qui est sur le pas de la porte. Je
me racle la gorge pour reprendre contenance. Il s’adosse sur le cadre de la
porte.
— Esteos m’a demandé de venir chercher son portable.
Il hoche lentement la tête.
— À qui est cette veste ?
Il regarde la veste que je pointe du doigt et puis son regard passe sur le
papier que je tiens dans l’autre main. Son visage devient soudain plus
impassible et il se décolle de la porte.
— Elle est à moi.
Mon cerveau rassemble petit à petit les morceaux du puzzle jusqu’à
comprendre la vérité. Je ne suis pas vraiment étonnée à vrai dire… mais je
ne comprends pas : pourquoi ?
— Tu savais que c’était moi ?
Il s’avance vers moi et hoche la tête. J’ai un mouvement de recul. D’un
côté, je suis soulagée de savoir que ce n’est que lui. Mais d’un autre côté,
j’aurais préféré qu’il me le dise. Je me sens bête. Il a dû bien s’amuser à me
regarder me ridiculiser… Je souffle.
Il essaye de me reprendre le bout de papier, mais je serre le poing pour
l’en empêcher.
— Pourquoi tu ne m’as rien dit ? Est-ce que… c’était un jeu pour toi ?
Il secoue la tête, indigné que je puisse penser ça. Il attrape mon coude.
Je me sens un peu pathétique…
— Pas du tout. Ne dis plus jamais ce que tu ne sais pas, Sierra, et
maintenant, écoute-moi au lieu de proférer des conneries.
Il resserre sa prise pour maintenir mon attention sur lui. Je frissonne
violemment. Il est proche, trop proche, assez pour que je sente son odeur. Il
n’a pas fumé ce soir… Je le sens. C’est bizarre.
— Tu n’as pas fumé, avoué-je, ne sachant pas quoi dire d’autre.
Il approche doucement sa tête et éclate de rire. Son rire est adorable…
Je veux l’entendre encore, pensé-je au fond de moi.
— Tu viens de découvrir que ton correspondant anonyme, c’est moi, et
tout ce que tu trouves à dire, c’est ça ? Sierra… Tu vas me faire tomber.
Il pose son front au creux de mon cou sans jamais lâcher mon coude. Sa
respiration chaude caresse mon épaule dénudée. Instinctivement, je penche
la tête pour l’appuyer contre la sienne. Comment en est-on arrivés là ?
— T’es magnifique, mon cœur… Tu ne sais pas ce que ça me fait de me
dire que c’est pour mon anniversaire que tu t’es faite belle.
— Jayden…
Il redresse la tête pour poser son front contre le mien. On se regarde,
nos souffles se mélangent dans une atmosphère tendue.
— Je ne t’ai pas caché que c’était moi pour profiter de la situation… Je
l’ai fait parce que je voulais savoir ce qui te repoussait chez moi. Pourquoi
tu me détestes…
Je ne peux pas m’empêcher de m’en vouloir. Je ne veux plus le
blesser… Je ne veux plus le détester. Alors je ferme les yeux. Je ferme les
yeux pour enfouir à jamais ce que j’ai toujours craint chez lui.
— Je ne te déteste pas…
— Alors pourquoi, Sierra ? Qu’est-ce que j’ai pu faire ? Dis-le-moi, s’il
te plaît…
Il a l’air si vulnérable et je ne veux pas qu’il montre cette facette de lui à
une autre personne. Je ne me serais jamais doutée qu’il avait en lui ce côté
attendrissant. J’ai envie de le protéger. De lui demander ce qui ne va pas.
Sa paume est chaude quand elle se pose sur ma joue droite.
— Parle-moi… Je t’écouterai, m’invite-t-il.
Je veux qu’il se rapproche davantage. Qu’il m’embrasse, ses lèvres ont
l’air douces. Ma respiration s’accélère à mesure qu’il rapproche nos
visages. Je m’approche aussi jusqu’au moment où il recule.
L’incompréhension me fige.
— Non… Enfin, si, mais pas comme ça. Je veux une réponse concrète
de ta part. Je veux vraiment bien faire les choses avec toi, Sierra…
Je recule aussi. Je comprends… Je passe ma main pour dégager les
mèches de cheveux devant mon visage et regarde le plafond.
Puis, je recroise ses yeux gris qui me donnent envie de pleurer. Je ne
veux pas lui dire… pour ne pas lui faire de peine.
— Ton visage… Tes yeux, commencé-je.
Son corps se fige. Il attend que je continue, mais je comprends mon
erreur en voyant son visage devenir livide. Je ne peux pas lui dire. Il va me
fuir comme les autres… Je ne pourrais pas le supporter.
— Tu ressembles énormément à une personne que je connais… Et ça
me terrifie, dis-je en sentant les larmes monter.
— Je ressemble à qui, Sierra ?
Son ton froid me fait l’effet d’une noyade. La douceur qui illuminait son
visage il y a quelques instants s’est métamorphosée en une terrifiante vague
glaciale. Je recule. Il regarde le sol tandis que je sors de la chambre.
Je n’aurais jamais dû lui en parler.
Alors que je descends les escaliers, je commence à regretter mes
propos. Je rejoins mon frère en étant à deux doigts de pleurer. Je suis
vraiment la pire…
— Alors ?
— Euh… Je ne l’ai pas trouvé.
— Je l’ai.
Je ne me retourne même pas à sa voix. J’ai trop honte. Le bras de
Jayden s’interpose entre le corps de mon frère et le mien quand il lui donne
son portable. Je veux rentrer…
Quand je relève la tête vers lui, il ne me regarde pas, son humeur a
changé.
Le reste de la soirée, Jayden a parlé avec plusieurs personnes et je n’ai
fait que le suivre du regard. On a joué au beer pong, mais bien sûr, je n’ai
pas pu boire les verres quand je perdais. Je veux rentrer.
Je vais voir de moi-même Hunter qui est tout seul au fond du salon en
train de regarder son portable.
— Hunter ?
Quand il me voit, son sourire se flétrit en raison de mon expression peu
glorieuse.
— Est-ce que ça va ?
— Je veux rentrer… S’il te plaît.
Après quelques secondes, il hoche la tête et j’envoie un message à
Esteos pour le prévenir. Je cherche une dernière fois Jayden et quand je le
trouve, il nous regarde déjà. Il n’a pas l’air en colère, ça me rassure. Mais je
suis consciente que bientôt, je vais devoir lui dire la vérité.
Chapitre 38

Sierra, Jacksonville
Présent
Pendant le trajet, j’ai envie de vomir. Même si je n’ai pas consommé
énormément d’alcool, ma tête est lourde et je me sens mal… J’ai envie de
pleurer… Pourquoi je suis comme ça ?
Le portable de Hunter sonne et il répond en me disant quelque chose
que je n’entends qu’à moitié.
— Oui, elle est avec moi… Je la ramène chez elle. Non… Je ne crois
pas qu’elle veuille te parler… Elle dort.
Il capte mon attention à l’instant où le mensonge traverse sa bouche. Je
fronce les sourcils et le regarde, ne comprenant pas pourquoi il a menti.
— C’est qui ?
Il raccroche et se tourne vers moi, un sourire doux sur le visage. Je le
supplie de ne pas détourner son attention de la route, je ne veux pas avoir
d’accident.
— Jayden m’a demandé que tu débloques son numéro.
— C’était lui à l’instant ?
Il ne répond pas et continue de conduire. Ma tension monte, je ne me
sens plus du tout en sécurité.
— Je t’ai posé une question, Hunter.
La vitesse de la voiture augmente, mon dos se colle au siège face à la
brutalité de son accélération. L’envie de vomir devient urgente. Je ne
comprends pas ce qu’il lui arrive.
— Oui c’était lui ! Mais qu’est-ce qu’on s’en fout, Sierra ! Je vais te
ramener chez toi et tu vas aller te coucher.
Je ne reconnais plus la voix de mon ami et ça me glace le sang. Je me
rends compte qu’il a sûrement dû boire. Je suis débile. Je l’ai laissé
conduire alors qu’il a bu. Je me prends la tête dans les mains et me force à
ne pas craquer.
— Hunter… Ralentis, s’il te plaît.
Malgré tout, il obéit et je m’enfonce dans mon siège. Il commence à me
faire peur. Je débloque le numéro de Jayden et je reçois un appel entrant de
sa part dans la foulée. Je ne décroche pas tout de suite, j’ai peur de la
réaction de Hunter.
— On est arrivés.
Il ne me faut pas plus de deux secondes pour sortir de la voiture et
courir vers la porte de chez moi.
— Sierra, attends !
— T’es bourré, Hunter, on ferait mieux d’en parler une autre fois, mais
je ne peux pas te laisser reprendre le volant sachant que t’es pas sobre.
Viens…
Je lui lance un sourire très faux et il me suit, sans broncher. On entre
dans la maison et mes parents sont dans le salon en train de discuter. Quand
ils nous voient, leurs visages semblent confus.
— Je… Désolée, je voulais rentrer et je n’ai pas fait attention à Hunter
qui a bu… Il ne peut pas rentrer chez lui comme ça.
Le concerné se fait tout petit quand mon père se lève et vient à notre
rencontre.
— Je vais l’emmener, dit-il.
J’acquiesce et les deux disparaissent. Je m’affale à côté de ma mère.
Mon portable sonne une énième fois et je pince mes lèvres en regardant le
numéro de Jayden s’afficher.
Ma mère m’invite à m’allonger sur ses cuisses, ce que je fais. Elle
caresse doucement mes cheveux et je ne veux être nulle part ailleurs qu’ici,
à ses côtés.
— Pourquoi tu ne lui réponds pas ?
— Je ne sais pas, maman…
— Oh l’amore…
J’ouvre la bouche pour protester, mais même ça, je suis trop fatiguée
pour le faire. La pluie commence à tomber et frapper les fenêtres de la
maison. Le bruit est apaisant.
— Tu sais… On a tous remarqué comment il te regarde, est-ce que c’est
réciproque ?
La fameuse question. Je sais que ma mère est une petite fouine, mais je
ne savais pas qu’elle suivait de près cette histoire. Et si ma mère le dit…
Peut-être que c’est vrai ? Est-ce que c’est réciproque ? Je pense que oui…
Mais être amoureuse aussi rapidement… Je ne sais pas, c’est nouveau
pour moi d’aimer une personne aussi sainement, si je peux dire ça comme
ça. Je ne veux pas me précipiter, mais plus le temps passe et plus le piège se
referme sur moi.
— Je crois… Mais il faut que je lui dise, n’est-ce pas ?
Mon portable sonne encore. Elle ne me répond pas et pointe du menton
l’appareil de mes cauchemars qui vibre sur la table basse.
J’expire toute l’oxygène dans mes poumons et appuie sur le bouton
« décrocher » en espérant faire un arrêt cardiaque avant de pouvoir
prononcer un seul mot.
— Sierra ?
— Oui ?
— Putain… Tu m’as fait flipper. T’es où ?
Ma mère me regarde avec un sourire qui lui monte jusqu’aux oreilles,
j’ouvre grand les yeux pour lui dire de ne faire aucun commentaire. Je ne
suis pas sûre d’être prête à me confronter à ses questions.
— Chez moi.
— Parfait, j’arrive dans cinq minutes. On est assez grands pour parler
calmement et s’expliquer une bonne fois pour toutes… Je n’ai pas envie
que ça se termine sur ça, pas ce soir.
— Mais la fête…
Il me raccroche au nez avant même que je ne termine ma phrase. Je
regarde l’écran de mon portable, bouche bée.
— On peut dire qu’il prend son courage à deux mains, ce garçon,
commente ma mère.
C’est le moment… Je vais tout lui raconter.

L’orage gronde dehors et les coups de tonnerre me font frissonner


jusqu’à la moelle. Je me redresse d’un coup en entendant la sonnerie de
chez moi. Je m’avance, toujours aussi angoissée, et lui ouvre la porte.
Il est là, trempé, la pluie est torrentielle. Ses cheveux sont collés à son
visage et ses yeux sont la seule chose que j’arrive à distinguer. Même
comme ça, il est beau.
Je me décale et il entre rapidement. Il enlève ses chaussures et salue ma
mère qui nous observe avec un regard chargé d’insinuations. J’ai envie de
me pendre.
— On monte ? Comme ça, je te passe des vêtements de rechange pour
ne pas que tu tombes malade.
Il hoche la tête et s’exécute. Moi, je pars dans la chambre à côté pour
prendre des vêtements appartenant à mon frère.
Je fais comme si tout allait bien, mais au fond, j’appréhende la situation.
— Tiens.
Il est dos à moi, torse nu. Oh Seigneur… Je m’empresse de me
retourner, mais pas assez vite, puisque j’ai eu le temps de voir ses
nombreuses cicatrices dans le dos. Ce qui me marque d’autant plus, c’est
que sa peau à cet endroit est nue. Il n’y a aucun tatouage. Je me mords les
lèvres… Qu’est-ce que c’est que tout ça…
— Tu peux te retourner, ça va…
J’obéis et je m’assois sur mon lit. Je suis gênée. Je ne sais pas quoi dire
et par où commencer. Parce que je n’ai jamais fait ça. Toutes les personnes
de ma famille sont déjà au courant alors je n’ai pas besoin de raconter la
chose… Mais là… Je vais me confier pour la première fois de ma vie.
— Sierra… Regarde-moi.
Il s’agenouille et se fait une place entre mes jambes. Il me regarde droit
dans les yeux, ses cheveux gouttent encore. Il est tellement… doux. Ma
jambe se met à trembler et il pose doucement sa main sur celle-ci. Je me
rends compte à quel point je ne mérite pas cette attention qu’il me porte.
— Jayden… Ce que je m’apprête à te raconter fait partie de ma vie. Je
ne veux pas que tu me voies d’une autre manière… Je veux juste être
Sierra. Pas Sierra qui a vécu quelque chose…
Il se pince les lèvres et soupire avant de venir s’asseoir à côté de moi. Il
regarde ses mains et puis, je remarque ses oreilles devenir cramoisies.
— Sierra… Je veux seulement que tu me laisses une chance de te
prouver que je ne suis pas celui que tu crois… Sache que quoi que tu me
dises, tu resteras toujours Sierra.
Mon cœur se réchauffe à ses paroles. Je veux tellement y croire… Je
veux vraiment y croire et lui raconter toute la vérité, tout ce qu’il s’est passé
avant notre départ pour les États-Unis.
Quand j’ouvre la bouche pour parler, ma respiration se bloque, mais je
parviens à inspirer une grande bouffée d’air pour me redonner de la force.
— Tout a commencé quand je suis entrée en seconde… Je l’ai
rencontré…
Chapitre 39

Sierra, Italie
Passé
J’ai mis une jupe pour lui. Il est à côté de moi, tellement confiant, sans
aucune honte à jouer avec le tissu du vêtement, devant tout le monde. Je le
regarde pour lui demander d’arrêter dans un échange silencieux, mais il n’y
prête aucune attention.
— Tesoro, tu ne prends rien ?
— Je suis bien comme ça, dis-je un sourire aux lèvres.
Sa langue claque contre son palais en signe de désapprobation avant de
s’emparer d’un joint sur la table basse juste en face de nous. On est une
dizaine de personnes assises sur le vieux canapé, dont Dario, moi et Lino.
J’évite de regarder Lino, après les récents événements, la dernière chose
que je voulais c’était de venir ici. Mais j’ai promis à Dario de le faire…
Sans que je m’y attende, c’est vers moi qu’il tend le joint.
— Tiens, inspire et expire, simple.
Je regarde autour, personne ne fait attention à moi. J’attrape la tige,
hésitante et la ramène jusqu’à mes lèvres. J’écoute ses instructions et
inspire la fumée qui s’infiltre dans mes poumons. C’est avec violence que je
la recrache, sentant ma gorge me brûler. Quelques personnes rigolent et je
deviens rouge de honte. Je n’aime pas ce qui est en train de se produire.
Comme si ce n’était pas suffisant, mon copain attrape mon menton,
pose ses lèvres sur les miennes, me fait ouvrir la bouche et laisse couler de
la sienne ce que je pense être de l’alcool. Je suis forcée d’avaler pour ne pas
m’étouffer.
Une sensation de bien-être m’envahit à mesure que le temps passe et
que je prends d’autres taffes de cannabis. Je suis… vide de problèmes.
J’ai besoin de passer aux toilettes, les substances que j’ai consommées
me donnent le tournis et ma tête est lourde quand je marche. Je me mets à
rire toute seule en arrivant devant la porte des toilettes.
Je suis complètement saoule, je n’arrive même pas à tenir debout tant le
monde tourne autour de moi. J’ai besoin de Dario…
Un hoquet de surprise traverse ma gorge quand je sens qu’on m’attrape
par la taille pour me tirer en arrière. La première pensée qui me vient, c’est
que c’est Dario.
— Arrête, ça chatouille, m’exclamé-je.
— Je te promets que ça va te plaire.
Mon rire s’éteint en même temps que je reconnais la voix. Je déglutis
avant de me retourner vers Lino. Ma tête me lance violemment à cause du
mouvement brusque que j’effectue en m’éloignant de lui. Je suis prête à
partir, mais il s’interpose en se positionnant devant moi.
— Laisse-moi partir…
Je ne sais pas si c’est ce qu’il a consommé qui le rend aussi virulent et
désagréable, mais il se met à rire sadiquement avant de m’attraper par la
gorge et me plaquer contre le mur. Je grimace pour atténuer l’impact de la
douleur sur mon corps. Ça fait un mal de chien… Je n’ai pas le temps de
crier qu’il plaque ses lèvres contre les miennes, j’ai un haut-le-cœur.
J’essaye de me fondre dans le mur pour ne pas avoir à continuer ce cirque.
Pourquoi il fait ça ?
Il ne s’arrête pas là, car je sens sa poigne se desserrer autour de mon cou
et l’autre main remonter le long de ma cuisse nue. Je me débats
violemment, mais l’équilibre des forces n’est pas équitable.
— Enfoiré !
Le corps de Lino se retrouve propulsé en arrière et je tombe par terre.
Les larmes coulent sans qu’aucun bruit ne sorte de ma bouche et je regarde
la scène horrifique qui se déroule sous mes yeux. Le corps de mon copain
surplombe celui de Lino. Il est en train de le frapper. Les coups s’abattent
avec une violence qui me donne le vertige. Je n’arrive pas à me concentrer
sur autre chose que ses coups.
Quand les autres accourent pour les séparer, je me relève pour aller
chercher du soutien auprès de l’homme que j’aime. Nos regards se croisent
et je comprends que je n’aurai pas ce que je cherche… La colère le
consume et il va me détruire moi aussi.
— Toi, tu rentres avec moi. MAINTENANT !
J’ouvre la bouche pour lui donner des explications, mais il me met une
gifle qui me fait reculer de quelques pas. La boule dans ma gorge grossit et
je crois être en plein cauchemar. Les picotements sur ma joue me font
prendre conscience qu’il vient de lever la main sur moi, devant tous ses
amis. Et… aucun ne réagit.

— Sors de là, ordonne-t-il.


On n’a pas mis longtemps à arriver chez lui, je tremble de tout mon être
face aux conséquences qui m’attendent. Je n’ai même pas eu le temps de
prendre mon sac et de prévenir quelqu’un. Je n’ai rien d’autre sur moi que
le fardeau des événements qui seront gravés dans mon esprit.
Je l’écoute, ne voulant pas causer plus de dégâts et le suis jusque chez
lui. Il n’y a personne… Évidemment. À peine la porte franchie, je me sens
écrasée par l’intensité de sa colère.
— Dis-moi… Je ne suis pas assez bien pour toi ?
Je me mets à pleurer et il attrape ma mâchoire en l’écrasant de ses
doigts, ce qui a pour conséquence de me faire couiner de douleur. Je
l’observe, la peur agitant mon corps.
Il me relâche, je tombe par terre comme le pantin d’une vie qui n’est
pas la mienne. La seconde d’après, il m’étrangle, son corps assis sur mon
ventre me laisse très peu d’oxygène. J’essaye de le repousser en me
dandinant autant que possible, mes mains frappent le sol, à la recherche
d’air. Il finit par me lâcher et je me tourne sur le côté en hyperventilation. Je
me mets à pleurer violemment, je suffoque dans mes larmes. Il m’attrape
par les cheveux et me fout la deuxième gifle de la soirée.
Le goût du sang se fait rapidement ressentir quand une troisième,
quatrième puis cinquième gifle rougit ma peau. Je suis sonnée, je n’entends
pas ce qu’il me dit. Il me porte, m’emmène à l’étage, j’ai mal. Il va me tuer.
Comment en sommes-nous arrivés là… Je l’aime tellement… Pourquoi
est-ce qu’il me fait ça ? Je veux que ça s’arrange, ça va s’arranger… N’est-
ce pas ?
Il me jette sur le lit, je rebondis et il m’attache les mains au-dessus de la
tête. Je ne bouge plus, mon cerveau a abandonné depuis longtemps. Sa
respiration se fait haletante, j’ai mal de le voir comme ça. Il me déshabille
et me pénètre d’un seul coup. Je me sens me déchirer de l’intérieur, mais
aucun cri ne sort de ma bouche. Je vois la scène se dérouler comme si je ne
la vivais pas. Pourtant, la douleur se propage en moi.
Des larmes coulent le long de mes joues et puis tout devient noir.

Mon corps entier me fait mal. Je bouge mes poignets, ils ne sont plus
attachés. Quand je sens mon mal de crâne se calmer, j’ouvre lentement les
yeux et ma respiration se bloque en voyant ses yeux gris. Je me souviens de
ce qu’il s’est passé et alors je veux hurler. Je veux m’échapper, mais sa
main vient se plaquer sur ma bouche. Je commence à me débattre, mais la
douceur de sa voix me fait froid dans le dos.
— T’es réveillée, tesoro… Tu m’as manqué.
J’écarquille les yeux quand il vient m’embrasser sur la bouche avec une
tendresse qui n’a rien à voir avec ce qu’il m’a fait plus tôt. Est-ce un
cauchemar ? Je baisse les yeux sur mon corps et quand je vois le sang séché
sur mes mains et que je constate que ma vue est troublée, je sais que rien de
tout ça n’est un cauchemar. C’est la réalité… Ma réalité.
Depuis le début, tout est une illusion. Cette illusion a fini par se
détruire, moi avec. Je le pousse et me lève. Mes jambes tremblent, j’ai mal
entre les jambes et je n’ai aucun vêtement sur moi. Seulement mes sous-
vêtements.
— C’est terminé… dis-je.
— Qu’est-ce qui est terminé ?
Il parle si calmement que ça me terrifie. Comment peut-il être aussi
calme, aussi serein… Je secoue la tête et le regarde dans les yeux. Il me
sourit, comme le garçon que j’ai connu au tout début.
— Excuse-moi d’avoir cru que tu pourrais incarner la version idéalisée
que j’ai créée de toi dans mon esprit… Je suis désolée d’avoir cru que tu
pouvais être quelqu’un de bien, mais nous deux, c’est terminé Dario.
Mon cœur se brise en même temps que mes paroles. Tout ça n’est pas
réel… Je vais me réveiller et je serai de nouveau cette fille qui n’a pas
d’amis au lycée, qui ne parle avec personne… Je vais reprendre ma vie en
main.
Et puis je prends conscience d’une chose… Sierra, tu as été… violée.
Dario explose de rire, je sursaute sous l’écho de sa voix. Il se lève
brusquement et commence à tout balancer dans sa chambre. Je me rattrape à
un mur quand je veux reculer. Mon cœur bat tellement vite. J’ai peur qu’il
l’entende.
— TU N’IRAS NULLE PART !
Je tourne le visage à droite, où trône un miroir mural. J’étouffe un cri en
voyant l’état de mon visage, je ne ressemble plus à rien, je ne me reconnais
pas. Mon œil est gonflé et mon sourcil déformé.
J’ouvre soudainement la porte, profitant de son inattention et dévale les
escaliers pour me réfugier autre part. Il arrive derrière moi et je me jette sur
la porte d’entrée qui est verrouillée. Je me mets à hurler en entendant ses
pas. Je cherche une issue et en voyant le téléphone fixe dans la cuisine, je
m’enferme dedans pour appeler mon frère. C’est le seul numéro qui me
vient à l’esprit dans la panique. Les fenêtres sont fermées et les volets sont
baissés, je ne vois rien de l’extérieur, je suis plongée dans le noir.
— Allo ?
Je me mets à pleurer.
— Allo…
Je ne suis pas assez rapide, parce que la porte derrière moi s’ouvre
brutalement et il m’attrape par la nuque avant de frapper ma tête contre la
table. Je recule, chancelante. Je place les mains devant moi pour me repérer,
mais peine perdue, je sens un liquide chaud couler sur mon visage. Je tombe
par terre, mon corps tremble.
— Esteos…
Je commence à convulser violemment, je ne comprends rien à ce qu’il
se passe autour de moi, je vomis. Je sens que je vomis une mousse blanche.
Je sens qu’on me met des petites claques sur le visage et qu’on
m’appelle, mais je n’entends plus que des bribes de voix.

Esteos, Italie
Passé
Mes mains tremblent pendant que je conduis. Il est à peine huit heures
du matin. Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit et quand j’ai reçu cet appel, j’ai
tout de suite compris qu’il y avait un problème. J’accélère et grille les feux
rouges. J’ai appelé la police au préalable.
Je gare la voiture précipitamment et sors en trombe pour éclater la porte
de chez lui. Tout est sombre, aucun bruit ne vient déranger la maison. La
seule chose que je remarque, ce sont les taches de sang sur le sol. Le sang
est sombre, il a séché depuis un bon moment.
Je me mets à courir partout dans la maison jusqu’à tomber sur la
cuisine. Je vois rouge. Je deviens blanc comme neige, mais la rage qui bout
en moi éclate et j’attrape Dario pour le cogner par terre. Il ne se défend
même pas. Il se met à rire, comme un fou.
J’entends les sirènes de la police, mais je n’arrive pas à m’arrêter. Le
corps de ma sœur est étalé sur le sol et quand je la vois inconsciente, c’est
sur elle que je me précipite. Je l’appelle, mais aucune réponse ne vient me
rassurer. Je me mets à pleurer. L’horreur de la scène me tord le ventre.

Les médecins ne me répondent pas et poussent le chariot sur lequel est


placé ma sœur en direction du bloc opératoire. Je ne comprends pas
pourquoi, qu’est-ce qu’elle a ? Notre mère est en route pour l’hôpital elle
aussi.
— Jeune homme, vous ne pouvez pas aller plus loin.
Je fronce les sourcils.
— Je suis son frère, j’ai le droit de rester auprès d’elle !
— Nous sommes désolés, mais ce ne sera pas possible, votre sœur est
en train de faire une fausse couche, on doit l’opérer d’urgence afin d’arrêter
l’hémorragie.
Fausse quoi ?
Le sol se dérobe sous mes pieds à ces termes médicaux qui n’ont rien de
rassurant. Sierra est enceinte… Ce fils de pute l’avait mise enceinte. Elle
avait la vie dans son ventre et elle vient de la perdre. Ma mère arrive et se
met à hurler sur les médecins. Ils emmènent Sierra dans la salle du bloc
opératoire, je tombe à genoux. Il a détruit sa vie. Mes oreilles sifflent alors
que les pleurs de ma mère s’intensifient.
Elle a perdu… un enfant, à l’âge de seize ans.
Chapitre 40

Sierra, Jacksonville
Présent
Quand je finis mon récit, je n’ose pas me tourner vers lui. Je veux qu’il
parle, mais il ne le fait pas. J’ai la voix qui tremble quand je me racle la
gorge. Son silence me fait l’effet d’un coup de poignard. Il ne bouge pas, la
tête baissée. Je cache mon visage dans mes mains et me mets à pleurer.
— Sierra…
Je secoue la tête. Il bouge jusqu’à se mettre à genoux devant moi. Je
sens sa présence, mais c’est seulement quand il dégage les mains de mon
visage que je vois les larmes qui inondent le sien. Ses mains tremblent dans
les miennes.
— Je suis tellement… tellement désolé…
Sa voix se brise et je me mets à pleurer plus fort. Sa main glisse sur ma
nuque et il me serre dans ses bras. Il me laisse pleurer, sa main s’aventurant
dans mes cheveux, il me console.
On reste comme ça pendant un bon moment et quand il voit que je me
calme, il recule son visage pour me regarder dans les yeux. Il ne pleure plus
non plus. Je m’en veux tellement de l’avoir comparé à Dario… La
culpabilité me tourmente.
Il recule. On se regarde. Je ferme les yeux quand il pose son regard sur
ma joue. La fraîcheur de ses lèvres contre ma peau brûlante me fait
frissonner. Puis vient le tour de ma joue gauche. Mon front. Mon nez. Mes
yeux.
— Sierra… Laisse-moi t’embrasser.
Sa demande me prend au dépourvu. Je scrute son expression, et au lieu
de lui répondre, je plaque mes lèvres contre les siennes. Il se fige quelques
secondes qui ne laissent place ensuite qu’à nos soupirs. Je suis conquise. Il
se redresse, m’obligeant à lever la tête pour garder nos lèvres scellées.
Ses lèvres sont douces et exactement comme j’imaginais qu’elles
étaient. Il n’accélère pas notre baiser. C’est juste… un baiser. Je recule
légèrement pour reprendre mon souffle.
Il me regarde quelques secondes avant de se pencher, les mains sur les
genoux. Quand il me regarde à nouveau, son visage est tout rouge. Je crois
que je n’ai jamais vu un garçon aussi gêné de toute ma vie.
— Est-ce que je peux encore t’embrasser ? me demande-t-il.
Le ton de sa voix a changé. Il est plus confiant, mais en même temps, il
veut être sûr d’avoir mon approbation. Je m’approche à nouveau de lui. Et
j’attends qu’il le fasse.
— Sierra… Je ne veux pas que tu croies que je profite de la situation…
— Je le veux aussi Jayden… S’il te plaît, fais-le.
Il s’arrête de parler et attrape mon menton entre ses doigts. Ses lèvres se
posent sur les miennes encore plus doucement que la première fois et j’ai le
plaisir de sentir chaque parcelle de ses lèvres pendant qu’il mène la danse.
Il ouvre la bouche et je fais de même, laissant nos deux langues
s’entremêler. Je le sens se tendre quand je passe ma main dans ses cheveux
encore mouillés.
Ses baisers se déplacent de ma bouche pour continuer sur ma mâchoire,
sur mon cou et enfin vers ma clavicule.
— Qu’est-ce que tu veux, mon cœur ?
— Ce que tu veux…
Il sourit contre ma peau et je sens le rouge me monter aux joues. Je ne
réfléchis plus à ce que je dis, le moment est si irréel que j’ai l’impression de
rêver.
— Je peux te toucher ?
Je hoche la tête, mal à l’aise de devoir parler.
— Parle, Sierra, dis-le-moi avec ta voix.
Je lâche un gémissement à ses mots.
— Oui…

Jayden, Jacksonville
Présent
La peur de la forcer ou de lui faire mal me broie le cerveau. Je ne veux
pas être brutal ou aller trop vite avec elle, ce n’est pas la chose à faire après
tout ce qu’elle a vécu. On est pareils finalement… Tout ce qui nous séparait
nous relie à présent.
Des souvenirs douloureux traversent mon esprit, des images qui se
mélangent aux paroles de Sierra.
Quand j’ai enfin senti ses lèvres sur les miennes, tout s’est évanoui
autour de moi. Chaque part de moi qui lui tenait rancune de sa méchanceté
s’est évaporée comme de la fumée.
Mais le pire, c’est que quand elle m’a tout avoué, j’ai su immédiatement
que je tomberais à ses pieds. Tombé pour elle, tombé pour son cœur. C’est
comme une chanson… Au début, tu l’apprécies peu et plus tu l’écoutes,
plus elle prend du sens, plus tu te reconnais en elle. C’est exactement ce qui
est en train de se produire.
Elle est tellement forte…
À cet instant, je me promets de lui montrer un autre aspect de la vie, je
veux qu’elle puisse aller de l’avant… Peut-être avec moi ? Mes émotions
me submergent tellement que je ne comprends même pas ce qu’il se passe.
Mon cœur me fait mal, mais ce n’est pas vraiment désagréable.
Je la tire vers le miroir face à son lit et la positionne devant. Elle me
regarde à travers le reflet. Je m’éloigne d’elle et commence à enlever mes
bagues une par une, sans la lâcher des yeux. Ses joues sont rosies par la
chaleur et le regard qu’elle me porte… J’ai la chair de poule en me disant
que c’est moi qui lui fais cet effet.
Revenu vers elle, j’embrasse le creux de son cou en veillant toujours à
faire attention à la moindre de ses réactions. Je veux savoir ce qui lui fait
plaisir. Je veux tout connaître d’elle.
Elle se cambre quand ma main frôle sa colonne vertébrale. Je veux lui
faire ressentir le plaisir à nouveau. Qu’elle comprenne que son corps lui
appartient.
J’essaye de ne pas trop me coller à elle pour qu’elle ne sente pas que
moi aussi je ne suis pas indifférent à la situation. Ma main descend vers sa
jupe que je commence à baisser lentement… Sa peau est douce. Tout est
magnifique chez elle, je veux qu’elle soit juste… à moi.
— Tiens-toi à moi, lui conseillé-je.
Elle m’obéit et pose sa main sur mon avant-bras. De l’autre main,
j’attrape doucement sa mâchoire et l’incite à regarder le miroir pour voir
chaque chose que je vais lui faire.
— J’aimerais tellement que tu puisses te voir comme moi je te vois…
T’es parfaite, forte, courageuse… Ne doute jamais de toi.
Ses yeux brillent à mes mots et une petite larme s’échappe de son œil
que je viens essuyer avec mon pouce. J’essaye de la mettre le plus à l’aise
possible et embrasse son corps pour la détendre. Quand je sens que c’est le
bon moment, je passe ma main sur l’élastique de sa culotte, elle arrête de
respirer et je retire ma main.
— Non… Vas-y.
Elle replace ma main au même endroit et je la glisse tout doucement
sous le coton. Sa respiration est plus courte, sa poitrine se soulève plus
rapidement. Et ces détails ne m’échappent pas.
— Tu contrôles, lui dis-je, tu m’arrêtes quand tu veux.
— D’accord…

Je la dépose délicatement sur le matelas, mais elle me retient, les bras


autour de mon cou. Je ne comprends pas pourquoi, mais cette étreinte me
rassure. Comme si elle me faisait comprendre que je n’avais pas tout gâché.
Je finis par me détacher d’elle, parce que moi aussi j’ai besoin de me
calmer. L’érection qui me tire le pantalon n’est pas très agréable.
— Je peux aller me laver rapidement ? lui demandé-je.
Elle me regarde, puis baisse les yeux vers mon pantalon et détourne la
tête rapidement. Je rigole face à sa réaction. Elle hoche la tête.
— Tu peux prendre ma salle de bains, dit-elle.
Je fais ce qu’elle me dit, mais quelque chose me retient quand j’arrive
devant la douche. Je me mords les lèvres et retourne sur mes pas pour la
rejoindre de nouveau. Elle me regarde perplexe et sans qu’elle s’y attende,
je dépose rapidement mes lèvres sur les siennes. Juste un bisou rapide après
quoi je m’enferme dans la salle de bains.

Sierra, Jacksonville
Présent
À mon tour, en ressortant de la salle de bains, je me suis changée pour
être dans des vêtements plus confortables. La chambre est plongée dans le
silence et je comprends pourquoi en voyant Jayden assoupi sur mon lit,
avec un livre dans les mains. Mon cœur fond en voyant le livre ouvert sur
les premières pages.
Je m’approche de lui et délicatement, j’écarte ses cheveux pour regarder
son visage de plus près. Il a la peau toute lisse et il paraît bien plus
angélique quand il est plongé dans le sommeil. Je lui prends le livre des
mains et le pose sur la table de chevet.
Je pars rapidement éteindre la lumière de ma chambre et le rejoins dans
le lit. Ce n’est que maintenant que je prends conscience de ce qu’il se passe.
J’aurais pu le réveiller et il serait parti…
Je glousse en sentant mon gel douche sur son corps.
— Qu’est-ce qui te fait rire comme ça ?
Je sursaute quand il m’attrape par la taille pour me coller à lui.
— Tu ne dors pas ?
Je sens qu’il hausse les épaules et rapidement, il enfouit sa tête dans
mon cou pour inspirer mon odeur. Je ricane, sensible aux chatouilles. Je
finis par me calmer et quand je crois qu’il s’est endormi, je soupire. Je joue
avec ses cheveux et c’est avec un sentiment de regret que je chuchote.
— Je suis désolée pour tout… Je te dois des excuses sincères.
Il hoche doucement la tête.
Chapitre 41

Esteos, Jacksonville
Présent
Je rentre à la maison, la tête explosée. Je suis épuisé, entre Hunter qui
est parti pour ne jamais revenir et Jayden qui a abandonné sa propre fête
avec pour seul message : « Je dois voir ta sœur », je ne savais plus quoi
faire. Heureusement que Logan était là.
Je monte à l’étage pour voir comment va Sierra et c’est avec surprise
que je vois la lumière de sa chambre éteinte. Je toque, mais personne ne me
répond. Elle est sûrement en train de dormir, j’entre doucement dans la
chambre, ne m’attendant absolument pas à voir cette scène.

Euh ?

Je me tape les joues pour être sûr de ne pas halluciner ou que l’alcool ne
me soit pas trop monté à la tête. Je me rapproche du lit, me méfiant de ma
propre vue. Mais non… C’est bien Jayden et Sierra, collés dans le même lit
en train de dormir comme si de rien n’était.
Ils ont couché ensemble ? Ils se sont protégés au moins ? Oh putain…
C’était rapide… Je secoue la tête en me rendant compte que je les observe
comme un vautour, je ressors de la chambre et m’enferme dans la mienne.
Oh mon Dieu.

Sierra, Jacksonville
Présent
En me réveillant le matin, je m’arrête de bouger en sentant une présence
à côté de moi. Je me rappelle que Jayden est là aussi et mes joues
s’empourprent comme une gamine de dix ans. Je l’observe, son corps sous
la couverture, ses bras sous l’oreiller, je ne vois qu’une partie de son visage
caché par ses cheveux.
Je me demande ce qu’il se passera quand il sera lui aussi réveillé…
Qu’est-ce que nous sommes ? C’est la question qui va m’angoisser toute la
journée, je le sens. Je soulève la couverture et sors du lit en essayant de
faire le moins de bruit possible.
— Où est-ce que tu vas ?
Sa main chaude se referme autour de mon poignet et il s’étire
doucement. Sa voix est grave et forte ce matin. Il reste tout de même
allongé, les yeux clos.
Il ne me laisse pas le temps de répondre et me tire dans le lit avant de
glisser sa main sous mon haut pour me coller à lui. Sa tête se cache dans
mon cou.
— Encore un peu, chuchote-t-il.
Je déglutis et essaye de respirer normalement face à cette soudaine
tendresse. Je pense que je ne m’y habituerai jamais…
Mes épaules se détendent légèrement et je me laisse aller à cette caresse
du matin. Peut-être que ça n’arrivera plus, alors autant en profiter. La
question fatidique me brûle la gorge. J’ai besoin de savoir ce qui va se
passer ensuite pour nous.
— Qu’est-ce qu’on est tous les deux, Jayden ?
Ma question doit le surprendre, car sa tête se soulève de l’oreiller pour
dégager ses cheveux et me regarder. Il a les yeux rougis par le sommeil,
mais ça ne le rend en rien moins attirant. Ma question est très sérieuse, il le
remarque et secoue la tête.
— Tu crois sincèrement qu’après t’avoir touchée comme je l’ai fait, je
te laisserai partir dans les bras d’un autre ? À partir de maintenant, tu auras
tout ce que tu veux, mais de ma part.
Mon ventre se tord et une étrange sensation se propage dans celui-ci.
Comment il peut dire des choses comme ça aussi naturellement ?
— Tu crois qu’ils sont réveillés ?
De l’autre côté de la porte, j’entends ma mère et mon frère.
— Arrête maman ! Laisse-les.
Je reconnais la voix d’Esteos.
Je me jette hors du lit, paniquée. Jayden, lui, reste allongé comme si
tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes tandis que je réajuste
mes cheveux. Je lui lance un regard gêné et il rit quand je pars ouvrir la
porte, doucement. Ma mère et mon frère se momifient en me voyant.
— Vous êtes réveillés ? dit-elle en jetant un coup d’œil dans la chambre.
Je regarde mon frère qui ne cache même pas sa joie. Derrière moi,
Jayden se rapproche de la porte pour saluer les deux membres de ma
famille. J’ai envie de me cacher dans un trou.
— Bonjour mon garçon ! Vous descendez ? Esteos a préparé le petit-
déjeuner aujourd’hui.
Esteos ? Cuisiner ? Je fais les yeux ronds et regarde mon frère qui
semble fier de son travail. Ma mère finit par redescendre, au contraire de
mon frère. Il nous regarde tour à tour et rigole comme un fou avant de
partir. Je ferme la porte de ma chambre. Bon… Je vais aller m’enterrer, je
pense.
Même Jayden se moque de moi et je lui mets un coup de coude dans le
ventre. Il fait semblant de grimacer avant de m’attraper.
— Je ne t’ai jamais vue porter mon collier… Ton cou est un peu vide,
ça me ferait plaisir que tu le mettes.
Des frissons me parcourent tout le long du cou. Quand il me le demande
comme ça, comment suis-je censée dire quelque chose ? Je le pousse
dehors, il sourit en me lançant un clin d’œil.

Jayden, Jacksonville
Présent
En rentrant chez moi, je ressens comme un vide, une sensation de
manque. C’est nouveau pour moi tout ça, mais qu’est-ce que j’adore ! Je
suis comblé par les événements et je sais déjà que je ne vais plus pouvoir
me passer d’elle.
Quand Megane me voit arriver, un sourire se forme sur ses lèvres fines.
Je connais le rituel, je m’avance vers elle, l’embrasse sur la joue et elle me
passe la lettre. Vingt et une lettres pour chaque année, jusqu’à ma majorité.
Je prends l’enveloppe, les mains moites.
— Merci… Je monte dans ma chambre.
Elle hoche la tête et je ne me fais pas prier, je m’enferme dans mon
cocon, seul. Quand ma tante m’a recueilli chez elle, elle m’a donné
plusieurs lettres que ma mère avait écrites pour moi. Je sais qu’elle va m’en
donner une l’année prochaine et une autre encore après, mais ensuite… ce
sera fini.
Mes mains tremblent quand je reçois un message de la part d’Esteos.

Bonne chance.
Ces deux mots me touchent profondément. Il est le seul au courant pour
ces lettres et depuis qu’on se connaît, il me souhaite bonne chance avant
que je les lise.
Je la déplie, respire, et commence à lire.

Cher Jayden,

Joyeux anniversaire, mon cœur, tu fêtes tes dix-neuf ans


aujourd’hui. Tu grandis si vite mon garçon… Comme chaque année,
j’espère que tu n’auras pas à lire ces lettres et que je serai à tes côtés
pour qu’on puisse le fêter ensemble. Mais dans le cas contraire, je
suis désolée… Je te surveille très bien de là-haut, j’espère que toi
aussi tu penses à moi. Megane s’occupe bien de toi ? Ah tiens,
parle-moi de ton bac, tu as réussi ? Je suis sûre que tu dois être à la
fac en ce moment, je me demande vers quelle voie tu t’es dirigé. Je
t’aurais bien vu mannequin avec tes beaux yeux gris. Est-ce que tu
as des amis ? Une copine aussi ? Ou un copain, qui sait ? Est-ce que
tu l’aimes ? Mon rêve aurait été de parler de ce genre de sujet avec
toi. De savoir à quoi tu ressembles maintenant, mais je me doute
que tu es très beau, t’es mon fils après tout. Passons, sache mon
cœur, que je t’aime inconditionnellement, tu es mon seul enfant et tu
le restera pour toujours. Ne te morfonds pas trop, je veux que tu
avances dans la vie, que tu sois heureux. Je serai toujours dans ton
cœur jusqu’au jour où on se retrouvera. En attendant, profite de la
vie, du beau temps et des fêtes. Mais surtout, tombe amoureux. Je
n’ai pas eu la chance de tomber sur la bonne personne, mais j’espère
que toi tu y arriveras. L’amour, c’est quelque chose de très subtil, on
pense constamment à l’autre, on veut rendre heureux l’autre, car sa
joie fait la tienne. L’amour, c’est regarder la personne que tu aimes
avec admiration et tendresse, sentir son ventre se retourner à son
rire. Est-ce que tu es amoureux, Jayden ? J’attends ta réponse, je
pense qu’il est temps de te laisser. Je t’aime, mon fils.

Les larmes inondent la feuille et je la serre fort contre mon torse. Je me


mets à pleurer comme un gosse qui réclame sa maman. Parce que je veux la
retrouver… Je veux me souvenir de sa voix.
Chapitre 42

Sierra, Jacksonville
Présent
On prend des cafés et des donuts à emporter puis Esteos se gare dans le
parking de mon lycée pour qu’on puisse manger dans la voiture. On mange
silencieusement, ce qui n’est pas du tout dans nos habitudes. Ce n’est
qu’une question de temps avant qu’il craque et qu’il me pose des questions
sur son meilleur ami et moi. J’attends calmement, un sourire aux lèvres.
— Vous êtes vraiment ensemble ?
J’explose de rire et il fait la moue en regardant ailleurs. Il est tellement
prévisible. Je lui lance un coup de coude pour attirer son attention. Il me
regarde d’un air mauvais.
— Oui… Mais je suis étonnée de son comportement, il est si… différent
de d’habitude ? Ça contraste complètement avec son attitude renfermée en
public. Je me suis aussi excusée… J’ai dû être horrible avec lui.
Il hoche la tête. Sur le moment, je ne ressentais que de la haine à son
égard. Je ne voyais rien d’autre en lui que l’accumulation de mon mal-être,
et au lieu de me calmer, je déversais toute ma frustration sur sa personne.
— C’est bien… Tu te rends compte de tes erreurs. Vous vous
complétez, sincèrement, j’espère que vous saurez vous gérer maintenant,
me taquine-t-il.
L’heure passe et on rigole sur tout et n’importe quoi. J’espère moi aussi
qu’un jour il trouvera une personne qui lui correspond. Elle serait comblée
avec un homme comme lui. Je n’en doute pas.
Je finis par quitter la voiture pour rejoindre le lycée, avec l’espoir de
retrouver Jayden. Il a commencé plus tôt, il doit donc être en train de traîner
dans l’établissement.
J’entre dans le bâtiment comme tous les matins, je pars déposer mes
manuels dans mon casier, mais désormais, je n’attends plus les petits mots
de Knight car je sais que c’est Jayden.
En arrivant dans le couloir, je ne m’attendais pas à le voir adossé contre
le mur à côté de ma salle. En me voyant arriver, son visage s’illumine. Il me
désigne du menton le petit coin sombre au fond du couloir et je le suis sans
hésiter. Son regard gris brille de malice et quand j’arrive à son niveau, je
remarque la sucette qu’il cache dans sa bouche.
— Qu’est-ce que tu me veux, Evans ?
Je croise les bras sur ma poitrine et lui lance un regard en biais. Il se
décolle du mur et s’approche de moi pendant que je fais mine d’être
indifférente. Je regarde quand même autour de moi pour être sûre que nous
soyons seuls.
Il ramène mes bras dans mon dos en me collant au mur. Sa main libre
retire la sucette de sa bouche.
C’est à ce moment que je vois le bandage mal fait sur sa main. Mes
sourcils se froncent. Il sourit en voyant ma gêne.
— Jayden, il pourrait y avoir des élèves, tu sais ? Et qu’est-ce que tu as
à la main ?
Il ne relève pas mes questions et embrasse tout doucement ma joue
gauche. J’essaye malgré tout de garder les idées claires, mais c’est très dur
avec son corps à quelques centimètres de moi.
— Jayden…
Il lâche mes bras, mais ne recule pas. Je reste toujours collée contre le
mur quand ses deux bras se posent en haut de ma tête et que sa bouche se
pose sur la mienne. J’expire par le nez en goûtant à ses lèvres au goût de
sucre.
— Très bonne technique pour faire taire cette bouche de vipère.
— T’es vraiment insupportable.
— Comme si ça te dérangeait, dit-il avec un sourire en coin.
Je lève les yeux au ciel et le pousse de l’autre côté du mur. J’attrape sa
sucette et la mets dans ma bouche.
— Je sais aussi jouer de mes atouts, Evans, ne joue pas à ça avec moi.
Ses lèvres s’étirent en un vrai sourire et il m’embrasse une dernière fois
avant que je m’éloigne. Je le salue de la main et entre dans la salle de cours.

La pause-déjeuner arrive rapidement et après s’être concertés, on a


décidé de manger ensemble avec Jayden. Il m’attend devant le lycée,
cigarette à la bouche. Je grimace en arrivant devant lui.
Un air de déjà-vu flotte entre nous quand son regard passe de moi à sa
clope et qu’il soupire en l’écrasant par terre. Mais cette fois, il arbore un
sourire en venant à ma rencontre. Il me tend le casque et on enfourche tous
les deux sa moto pour qu’il m’emmène je ne sais où. Je me serre davantage
contre lui en posant ma tête contre son dos. Il accélère en faisant vrombir le
moteur.
— Qu’est-ce que tu as à la main ?
Je sens son corps se figer sous mes bras, comprenant que j’ai touché un
point sensible.
— Je me suis coupé.
Je comprends qu’il ne veut pas en parler, alors je n’insiste pas. J’espère
seulement que ce n’est pas ce que je pense…
Il prend une de mes mains autour de sa taille, la serre doucement et la
lâche.
— Merci mon cœur.
Chapitre 43

Sierra, Jacksonville
Présent
Au lycée, les nouvelles vont vite et il n’a pas fallu une journée pour que
tout le monde soit au courant que je suis en couple avec Jayden. Lui n’y fait
pas vraiment attention, il est toujours aussi adorable. Il a même essayé de
négocier avec mon frère pour venir me chercher à partir de maintenant,
mais Esteos n’est pas prêt à lui laisser sa place. J’ai ri en voyant
l’expression outrée d’Esteos quand Jayden lui a posé la question.
Ces deux-là m’ont dit que Logan et Hunter n’étaient pas encore au
courant, ils se sont mis d’accord pour leur en parler au bon moment…
surtout pour Hunter.
Il y a aussi cette histoire de blessure qui me taraude depuis quelque
temps. J’ai voulu en parler avec mon frère qui a immédiatement compris et
ça ne m’a pas du tout rassurée. Il m’a calmée en me disant qu’il fallait que
je lui laisse le temps d’en parler. Et c’est ce que je fais, j’attends en espérant
que ce ne soit pas trop grave.
— Ils sont arrivés, me prévient ma mère.
Les trois garçons entrent en compagnie de mon frère et un sourire se
dessine sur mes lèvres en voyant Jayden. Je me lève pour aller les saluer. Ce
changement de routine, je le vis plutôt bien. Plus de regards assassins, plus
de mépris, juste… nous.
Hunter est le premier sur ma route. Je ne l’avais plus revu depuis la fête
d’anniversaire. Il n’a de son côté pas essayé de me contacter et moi non
plus. Alors quand je m’apprête à le saluer, aucun de nous deux ne se sent à
l’aise.
— Salut…
Il me sourit doucement avec un léger signe de la main. Je le sens fuyant,
c’est normal, après l’épisode de la dernière fois, je pense qu’il doit s’en
vouloir. Je rejoins Jayden qui, en me voyant, passe rapidement une main sur
ma nuque. Je grimace à l’odeur du tabac.
— Tu pues le tabac.
Il hausse les épaules, un léger sourire en coin sur le visage. Il dépose un
chaste baiser sur mes lèvres.
— QUOI ?
Je sursaute en même temps que Jayden en entendant un cri digne d’un
film hollywoodien. Je me retourne vers le seul capable d’émettre ce genre
de bruit, il nous regarde les yeux sur le point de sortir de leurs orbites.
— Attendez, attendez… Quoi !? Qu’est-ce que j’ai loupé ? Jayden, t’es
sérieux mon pote ? Et toi, dit-il en me pointant du doigt, plus jamais tu ne
m’adresses la parole. Notre trêve est TERMINÉE.
Je ne sais pas si je dois rire ou pleurer, mais les deux émotions sont en
train de me tordre le visage.
— Logan, l’appelé-je dans un fou rire.
— Non ! Tais-toi. Et vous, vous étiez aussi dans la confidence ?
poursuit-il une main sur le cœur.
Mon frère lève les deux mains en signe de paix alors que Hunter semble
perdu. On se rend tous au salon pendant que Logan continue son cinéma
d’homme à terre. Je supplie quelqu’un de lui ramener un Oscar. À force de
me les coltiner, j’ai pris goût à leur humour qui, autrefois, m’irritait plus
qu’autre chose.
Du coin de l’œil, je regarde Hunter pour m’assurer qu’il va bien. Il est
tout silencieux et j’en connais déjà la raison. Il ne faut pas être aveugle pour
voir qu’il m’apprécie plus qu’amicalement. La dernière chose dont il a
besoin, c’est de me voir avec Jayden et être le meilleur ami de celui-ci
l’aide encore moins.
— J’irai le voir tout à l’heure, me chuchote Jayden à l’oreille.
Je me tourne vers lui. Il a remarqué aussi… Je hoche la tête et après
quelques minutes, je monte dans ma chambre pour lire. Je préfère les laisser
faire leur soirée habituelle.

Jayden, Jacksonville
Présent
Cela ne fait pas longtemps que nous sommes ensemble avec Sierra,
pourtant, elle provoque déjà un changement en moi.
Je me sens apaisé avec elle. Je me sens moins tendu, elle est adorable
quand on la connaît vraiment.
Je n’avais jamais eu l’occasion de voir cette facette d’elle et Dieu sait
que si je l’avais connue plus tôt, je serais tombé à genoux devant elle dès le
début.
Je sais que moi aussi, je vais devoir lui parler de tout… Mon père, ma
mère, moi… Mais pour l’instant, on se découvre, nous. J’apprends des
choses sur elle, elle apprend des choses sur moi.
Je pense constamment à elle, ce n’est pas normal… Maintenant, chaque
fois que mon regard plonge dans le sien, je souris comme un débile.
Mon regard croise celui de Hunter. Ses yeux sont plongés dans le vide.
Je bouge ma main pour le ramener à la réalité et quand il me regarde de
nouveau, je perçois dans ses yeux quelque chose qui ressemble à de la
tristesse. Il faut qu’on parle, c’est sûr. C’est mon ami et je ne peux pas le
laisser comme ça. Aussitôt dit, aussitôt fait, je me lève et désigne l’arrière
de la maison. Il me suit rapidement.
Comme à mon habitude, je sors une clope et en tends une autre à mon
voisin qui ne refuse pas.
— On sait pourquoi on est là mon pote, dit-il.
Je tire une première taffe en regardant la lumière de la chambre de
Sierra. Elle est allumée, je suis sûr qu’elle est en train de lire.
Je ramène mon attention vers lui quand il soupire. Je le regarde, je veux
savoir ce qu’il a à dire avant de me prononcer à ce sujet. Se précipiter ne
mènera à rien.
— Écoute, j’en conclus que tu ne seras pas surpris si je te dis que j’ai
des sentiments pour elle… Mais je suis content pour vous, vraiment. Je ne
ferai jamais rien de déplacé si c’est ça qui t’inquiète…
Je secoue la tête. Je n’ai pas encore commencé à parler qu’il se disculpe
déjà d’actes qu’il n’a même pas commis. C’est bien pour ça qu’Hunter est
aussi pessimiste, il ne persiste jamais. Pour lui, tout le monde est gentil et il
suffit d’attendre pour avoir ce qu’on veut. Mais ça ne marche pas comme
ça, il faut se battre, suer… Il faut agir pour avoir ce qu’on veut.
— Je te crois, le rassuré-je, mais ce n’est pas ça que je voulais te
demander. Depuis quand tu as des sentiments pour elle ?
Il regarde par terre.
— Je ne sais pas, Jay… Et toi ? Est-ce que tu l’aimes vraiment ?
Je fronce les sourcils. C’est vraiment une question ? Je connais la
réponse, c’est indéniable. Mais est-ce que ce serait judicieux de ma part de
lui dire ? J’en sais rien, tout ce que je sais, c’est que je ne compte pas cacher
mes sentiments juste parce que lui aussi l’aime.
— À quoi tu penses en posant cette question ? Je ne me serais pas mis
avec elle si ce n’était pas le cas… Et je compte bien la garder pour moi.
Je tire une dernière taffe, la plus longue et écrase ce qui reste du mégot
dans le cendrier.
— Arrête de fumer comme un pompier… Vous vous êtes bien trouvés…
Sans rancune ?
Il me tend son poing que je regarde en secouant la tête. Il croit que je
suis énervé ?
— Sans rancune, débile.

Sierra, Jacksonville
Présent
Après avoir mangé, Jayden me rejoint dans ma chambre, il m’observe
sans rien dire depuis… trois minutes ? Malheureusement pour lui, je lis un
passage de mon livre qui est bien trop intéressant pour lui donner l’heure…
enfin presque.
Mais en voyant que je ne détache pas les yeux de mon livre, il me
l’enlève des mains et commence à le feuilleter.
— Eh !
— Qu’est-ce qu’il y a de plus intéressant que ton copain qui attend que
tu lui donnes une seconde de ton attention ?
— Un livre ?
Il éclate d’un rire rauque qui me fait frissonner. Il pose lentement le
livre sur la table de chevet, monte sur le lit pour se positionner entre mes
jambes, mes genoux de chaque côté de son bassin.
— Et maintenant ?
— Un livre.
Il hausse un sourcil et je souris pour le provoquer. J’adore le voir se
débattre pour me pousser à bout. Il promène ses mains sur mes mollets, je
frissonne à son toucher. Il le sent et remonte lentement ses doigts sur mes
genoux.
— Toujours le livre ?
Je ne réponds rien et ça semble le satisfaire, car il remonte ses mains sur
mes cuisses qui veulent se refermer sous ses chatouilles.
Trois coups cognent violemment contre ma porte et il grogne
d’agacement pendant que je me relève pour m’extirper de cette position
très… explicite.
La tête de Logan apparaît dans l’entrebâillement de la porte et il nous
regarde d’un air dégoûté.
— Je vous ai interrompus, les amoureux ? Quel dommage… Non, je
rigole, je m’en fiche. Jayden, on a besoin de toi ! Bouge ton cul, bisou
Sierra !
Il claque la porte sans attendre de réponse, on l’entend descendre.
Jayden soupire et m’embrasse rapidement avant de reculer.

Jayden, Jacksonville
Présent

Je suis brusquement réveillé par des hurlements effroyables qui


résonnent à travers les murs.
Des hurlements qui transpercent mon cœur. Mais ce ne sont pas
ceux de ma mère. Je ne me souviens même plus de sa voix, comment
le saurais-je ?
Je me lève, les jambes tremblantes et appuie fort sur mes oreilles
pour arrêter leur bourdonnement.
Ça me brûle. J’arrête de respirer le temps de descendre les
marches.
Qui crie comme ça ? Pourquoi cette personne crie-t-elle autant ?
J’arrive sur la dernière marche et je me tiens à la rampe. Tout va
bien… Respire, ça va aller.
Quand je trouve enfin le courage, je regarde la scène avec terreur.
Je vois cette magnifique femme. Sierra…
— Non… NON ! LÂCHE SIERRA ! LÂCHE-LA !

Je tombe à la renverse en voyant le corps de la femme que j’aime


recouvert de bleus et de blessures plus atroces les unes que les
autres. Mon père est en train de la tuer, il est en train de la
détruire… plus qu’elle ne l’est déjà…
Elle me regarde de ses yeux livides et mes poumons se compriment,
m’étouffant.
C’est de ma faute, ma faute, ma faute, ma faute, ma faute, ma faute, ma
faute, ma faute, ma faute, ma faute, ma faute, ma faute, ma faute, ma faute.

Je me réveille en sursaut, mais cette fois-ci, je me lève pour courir dans


les toilettes et vomir tout le contenu de mon estomac. Je vais devenir fou…
Mon ventre me fait mal et mon cœur bat si fort qu’il m’empêche de
respirer correctement. Je ne vais pas bien du tout…
Je regarde mon reflet dans le miroir, ma peau pâle, mes yeux gris et je
n’ai qu’une envie : m’arracher la tête. Je me dégoûte. Je suis le dégoût en
personne…
Ce n’était qu’un cauchemar…
Mais mes mains tremblantes et mon claquement de dents témoignent
une fois de plus de la puissance de ces horreurs dans mon esprit. Qu’est-ce
que j’ai fait… Pourquoi faut-il que je pense à des choses pareilles ?
J’ai tellement peur… J’ai horriblement peur de devenir comme lui et de
finir par lui faire du mal… Mes yeux s’humidifient sans que je m’en rende
compte. Pourquoi je pleure ? Qu’est-ce que c’est que ça ? J’ai mal au cœur,
ça me compresse comme quand je cours trop.
— Jayden ? Qu’est-ce que tu fais là ? J’ai entendu…
Quand je me tourne vers cette femme, je la vois en pleine forme, la peau
aussi nette que celle d’un nourrisson. Une première larme s’échappe de
mon œil sans que je puisse rien y faire. Je suis soulagé.
Elle vient directement me voir et je l’attire à moi.
— Tu vas bien, je suis désolé… Je suis tellement désolé…
Je répète en boucle ses paroles alors qu’elle ne doit rien comprendre.
Elle me laisse faire, en restant tout contre moi. J’ai juste besoin de
m’assurer que tout va bien… Que ce n’était qu’un cauchemar.
— Je vais bien… Regarde, je vais parfaitement bien.
C’est la goutte de trop, je m’effondre à genoux. Mon front est pressé
contre son ventre et je commence à sangloter tout en tremblant. Je ne
contrôle plus mes émotions et bien que j’aie pu ressentir de la honte à l’idée
de me montrer dans cet état devant elle, cette pensée s’efface quand elle
s’agenouille pour me regarder.
Je me laisse aller, ça fait autant de bien que c’est douloureux.
Elle prend mon visage dans les mains et m’offre un sourire rassurant. Je
ne comprends pas pourquoi elle fait ça.
— Qu’est-ce que tu as ?
— Je…
Je bégaye comme un débile sans réussir à formuler une phrase
cohérente. Elle m’aide à me calmer et à retrouver une respiration normale.
C’est dur pour elle aussi de voir que je ne suis peut-être pas celui qu’elle
croit. Alors, je ferme les yeux.
Elle me demande ensuite pourquoi je suis dans cet état, je ne peux pas
lui dire par peur de l’effrayer.
— J’ai mal…
À partir de ces mots, je commence à lui raconter tout ce qui me vient à
l’esprit. Elle m’écoute sans jamais m’interrompre. Je lui raconte toute mon
enfance, sans regarder les minutes s’écouler. Je lui raconte à quel point j’ai
voulu mourir à une période de ma vie et comment… Esteos m’a sauvé.
Mon visage, mes yeux, mon père, ma mère, tout sort de mon corps. Je
me libère d’un poids.
Mon cœur tambourine dans mon torse à mesure que je me rapproche de
la fin de mon récit. Et quand j’ai fini… Je me tais, me noyant dans la vague
d’un silence mortel.
— Je suis désolée… Tu ne méritais pas ça…
Elle me regarde et je fuis, pour la première fois, ses yeux marron qui
m’ont tant cherché.
Un étrange sentiment que je n’arrive pas à décrire me pousse à poser
une question. J’ai l’impression que si je le dis maintenant, je vais tout
casser. Je ne veux pas réduire en poussière ce qui est déjà cassé.
— Est-ce que… Je peux dire « je t’aime » ?
Elle tourne brusquement la tête vers moi et je deviens rouge de honte.
T’es vraiment con, Jayden. Qu’est-ce que tu fais…
— Qu’est-ce que t’as dit ?
— Non rien… Laisse tomber.
Elle secoue la tête et me prend la main.
— Redis-le. Tu m’aimes ? C’est bien ce que t’as dit ?
Je hoche la tête. Je ne serais pas capable de le reformuler à voix haute.
Est-ce que c’est ça l’amour dont parlait ma mère ? Si c’est le cas, je ne veux
plus jamais ressentir autre chose que cette émotion.
— Moi aussi, je t’aime.
Quand ses paroles pénètrent mes oreilles, je dois l’admettre. Elle me fait
éprouver ce que j’ai toujours refusé de ressentir, et c’est bien la seule et
unique situation dans laquelle j’accepte d’être vaincu. Pour elle.
Chapitre 44

Sierra, Jacksonville
Présent
Le lendemain, je me réveille seule. Jayden n’est plus à mes côtés, mais
je me sens soulagée en entendant l’eau couler dans la pièce à côté. Il est en
train de se laver.
Je me masse les tempes, légèrement tendue ce matin. Je n’arrête pas de
penser à tout ce qu’il m’a raconté. Comment un enfant a pu vivre toutes ces
horreurs ? Il est tellement courageux… Je comprends que chaque personne
garde enfouie en elle une part de son passé et que personne ne mène une vie
parfaite.
Toutes ces fois où je lui ai craché à la figure sans savoir qu’au fond, il
était vraiment blessé… Je regarde l’heure qui affiche dix heures tapantes.
Quand Jayden sort de la salle de bains, il passe une main dans ses
cheveux avant de croiser mon regard. Il m’a écoutée… Je le regarde,
hypnotisée, ses cheveux sont mouillés, mais on voit clairement qu’il les a
légèrement coupés sur le devant. Rien d’extraordinaire, mais suffisamment
pour que la première chose qui attire l’attention sur son visage soit ses
yeux.
— Bonjour.
— T’es magnifique, lui dis-je.
Il rigole doucement et s’avance vers moi pour m’embrasser. Je recule
brusquement, les bras devant moi.
— Non ! Je ne me suis pas lavé les dents !
Il me lance un regard moqueur.
— Si tu savais à quel point je m’en balance, Sierra.
Il pose ses lèvres froides sur les miennes, je veux ça tous les jours.
— Je vais faire quelque chose aujourd’hui… J’ai besoin de toi pour ça.

En descendant, je retrouve les garçons qui sont en train de manger leur


petit-déjeuner. Comme d’habitude, ils ne sont pas très matinaux…
— Bonjour tout le monde !
— Ah… Elle a l’air de bonne humeur, se plaint Logan.
Esteos m’embrasse doucement la joue et je rejoins Logan pour
l’embêter un peu. Je suis d’humeur taquine aujourd’hui et je sens que je
vais bien me marrer avec lui. Alors, je tape une fois sur son épaule, aucune
réponse.
— T’es toujours énervé ?
— Mon oreille me fait drôlement mal ce matin, dis donc, j’entends des
voix maintenant !
Tout le monde explose de rire et moi de même. Il n’est vraiment pas
possible ce mec.
— T’es vraiment idiot, hein ?
— Je t’assure que si les idiots pouvaient voler, cette pièce serait un
aéroport, lâche-t-il.
J’ouvre grand la bouche devant sa repartie aussi drôle qu’énervante.
Pendant que tout le monde rigole, je le pousse violemment de sa chaise, il
manque de tomber et quand son visage se teinte de colère, je me mets à
courir dans la maison. Il me poursuit.
— Fais tes prières ma belle, parce que tu vas bientôt rejoindre Carol
Maltesi !
— Logan ! crie mon frère.
Je prends un air dégoûté à l’évocation de cette actrice. Je pousse un cri
quand il m’attrape et qu’à l’aide de son pied, il envoie valser mes jambes.
Je me sens tomber en arrière, mais il me rattrape juste avant que ma tête ne
touche le sol.
— Roh ça va ! C’était une blague !

— On y va ?
Je hoche la tête avant d’enfiler le casque et de me serrer contre lui. Il
fait vrombir le moteur et je ferme les yeux. On va chez lui, c’est ce qu’il
m’a dit. Je ne sais toujours pas pourquoi.
Il accélère à l’approche d’un virage, je commence à rigoler en sentant
l’adrénaline monter. Je comprends maintenant pourquoi il aime tant sa
moto… Il ralentit quand on arrive dans un quartier que je ne connais pas
vraiment. Je suis venue quelquefois quand je devais aller voir Kate, mais
rien de plus.
On descend de la moto après qu’il s’est arrêté devant une maison pas
très différente de la mienne. Elle est grande, mais pas trop, et le jardin est
très bien entretenu.
— Megane ? Je suis rentré !
Une femme débarque, elle est magnifique. Des cheveux noirs comme
ceux de Jayden et des yeux très, très bleus. Elle est assez petite, habillée très
chic, elle tient une valise à la main. Sa ressemblance avec Jayden est
frappante… C’est sa tante ?
Quand son regard se pose sur moi, un immense sourire naît sur son
visage.
— Jayden ! Tu nous a ramené une invitée !
Elle me prend dans ses bras et je dois lâcher la main de Jayden pour lui
rendre son étreinte. Je ne m’attendais pas à un tel accueil. Puis en reculant,
elle écarquille les yeux.
Elle me pose tellement de questions que je n’arrive plus à suivre. Elle
respire la joie de vivre.
— Megane, et si tu la laissais respirer ?
Sa tante lève les yeux au ciel pendant que je souris en admirant leur
complicité. Ce n’est pas souvent que je peux voir Jayden montrer ses
émotions. Il est toujours réservé et pas très loquace.
— Oh bordel ! Je suis en retard ! Je dois vous laisser les jeunes, pas de
bêtises !
Je la salue d’un geste de la main et Jayden se moque d’elle en lui
souhaitant un bon voyage. Elle s’en va en chantonnant, elle est très spéciale,
mais j’adore.
— J’adore le personnage.
J’observe autour de moi et remarque le goût très prononcé du vintage
chez lui. C’est magnifique et surtout original, je ne m’attendais pas à ce
genre de décoration en venant ici. Je pensais que les couleurs allaient être
sobres et… simples.
Il me prend la main et on monte. Ça sent le bonbon chez lui, c’est
marrant. Quand on arrive dans sa chambre, mon cœur se refroidit
légèrement. Le contraste de sa chambre avec le reste de la maison est
saisissant. Tout est monotone, le noir et le gris sont les seules couleurs dans
la pièce.
— C’est vide, je sais… soupire-t-il.
Je me permets de m’allonger sur son lit en absorbant l’odeur des draps.
Il s’allonge à côté de moi et pose sa main sur mon ventre pour me
chatouiller légèrement autour du nombril. Je ricane et le repousse pour ne
pas lui en coller une s’il me chatouille trop.
Je me tourne vers lui et le regarde.
— Je t’ai demandé de venir parce que je voudrais que tu me tatoues.
Je me fige. Moi ? Le tatouer ?
— Quoi ? Mais je ne sais même pas dessiner, alors tatouer…
Il sourit en voyant mon inquiétude. Je suis très sérieuse, je ne sais
vraiment pas dessiner et le tatouer est la pire idée au monde. Il va finir avec
une grosse tache sur la peau. Il m’attire à lui et pose sa tête sur ma poitrine.
Il peut clairement entendre les battements de mon cœur, pour lui…
— Je ne te demande pas quelque chose de compliqué, promis…
— Qu’est-ce que c’est ?
— Un point-virgule.
Un point-virgule… C’est petit et ça doit être rapide non ? Je ne suis tout
de même pas rassurée à l’idée de devoir lui graver la peau. Ce n’est pas
quelque chose qu’on fait sur un coup de tête, d’autant moins que je suis loin
d’être une professionnelle, je peux lui faire mal ou pire, il peut attraper une
infection.
— Est-ce que ça signifie quelque chose ?
Il hoche la tête et se détache de moi pour ouvrir le tiroir de sa table de
chevet. Il en sort le kit de tatouage que je lui ai offert à Noël.
— En fait, il y a deux ans, je suis allé me faire tatouer un point sur mon
omoplate, juste avant ma tentative de suicide…
Mon cœur se serre à l’évocation de ce souvenir. C’est le soir où Esteos
l’a sauvé… Moi aussi j’étais présente, mais j’étais endormie dans la voiture.
Pourtant, si nous n’avions pas déménagé ce jour-là, Dieu seul sait ce qu’il
serait advenu de nos deux vies…
— Ce point marquait la fin d’une vie… Aujourd’hui, je veux y ajouter
une suite. Le point-virgule montre un nouveau tournant, c’est aussi la raison
pour laquelle je veux que ce soit toi qui me le grave dans la peau.
Ma bouche s’ouvre, mais je reste muette, incapable de trouver une
réponse à sa requête. Il sort ensuite un couteau du même tiroir et mes yeux
s’écarquillent en voyant à quel point il est usé.
— Ça, c’est fini… Je n’en veux plus. Je veux vraiment repartir à zéro,
mais je vais avoir besoin de ton aide.
Je suis au comble du bonheur alors qu’il va jeter le couteau dans la
poubelle. Plus de scarifications… Ma gorge devient sèche. Il part chercher
le nécessaire pour le processus qui va suivre tandis que je l’attends
patiemment sur le lit. Mes mains tremblent légèrement. Je me rassure en me
disant que c’est n’est qu’une virgule.
Quand il revient sur le lit, il s’assoit dos à moi et enlève son t-shirt en
me laissant le loisir de l’admirer. Mon Dieu… Je ne peux m’empêcher de
poser mes doigts sur ses cicatrices. Elles sont nombreuses. Je regarde avec
attention chaque coupure et l’envie de les embrasser est tentante.
Il branche l’appareil et me montre le point sur son omoplate droite. Il
est tout petit, mais tout de même visible. Il désinfecte lui-même la zone et
m’explique comment procéder pour ne pas aller trop profondément dans la
peau.
Je prends le dermographe, hésitante. Je respire pour stabiliser ma main
et c’est parti…
Chapitre 45

Sierra, Jacksonville
Présent
Je me frotte les yeux et m’étire. Un bras entoure mon ventre et une
grosse touffe est enfouie dans mon cou. On s’est endormis ? Je me dégage
doucement pour prendre mon portable et y vois affiché dix appels manqués
de mon frère. Oh merde…
Étonnant qu’il n’ait pas encore débarqué chez Jayden d’ailleurs.
Je regarde l’heure et comprends pourquoi il m’a appelée autant de fois.
Il est vingt-deux heures passées, nous avons dormi pratiquement toute la
journée… Je ne sais pas comment c’est possible, mais c’est arrivé.
Le portable de Jayden sonne et je vois le nom d’Esteos inscrit sur
l’écran. Je décroche.
— Allo ? dis-je d’une voix enrouée.
— Sierra ? Vous allez bien ? Pourquoi vous ne répondiez pas ?
J’entends l’inquiétude dans sa voix malgré son calme.
— Wow… Attends. Je viens de me réveiller, j’ai mal à la tête avec
toutes tes questions. Excuse-moi… On s’est endormis et Jayden est toujours
plongé dans un profond sommeil, me moqué-je.
J’entends la voix de ma mère crier un « Je te l’avais dit » derrière, ce
qui me fait légèrement rire. Je bouge mes épaules courbaturées à cause de
ma position inconfortable durant la sieste.
— Ne t’excuse pas, c’est moi… Ça se passe bien ?
— Parfaitement merci, dis-je.
Une main derrière moi prend le téléphone et me tire par la même
occasion vers la chaleur de son corps. Je me laisse faire.
— Bonsoir, tousse-t-il, la voix grave.
Je n’entends pas leur conversation, mais la main de Jayden sur mon
flanc me fait tourner la tête. Il caresse doucement la zone de son pouce et je
me mords la lèvre pour ne pas montrer l’effet que ça me fait.
— Oui… Oui je sais… Il commence à être tard… Non, je pense qu’elle
peut rester dormir à la maison…
Il me regarde avec un sourire aux lèvres.
— Je n’ai rien apporté pour dormir, chuchoté-je.
Il pose un doigt sur sa bouche pour me faire signe de me taire. Je lui
obéis. Il dessine des traits invisibles sur ma cuisse en continuant à parler.
Une fois la discussion terminée, il balance son portable sur le lit et s’étire
alors que je suis face à lui, les bras croisés.
— Quoi ? demande-t-il.
— Tu me séquestres maintenant ?
— Tu préfères rentrer chez toi ?
Je ne réponds rien et il sourit en m’attrapant par la taille. Je pousse un
cri de surprise quand il se lève, avec moi toujours sur son épaule et qu’il
traverse la maison comme ça. J’ai la tête à l’envers alors que j’essaye de me
débattre doucement.
C’est une fois arrivés dans la cuisine qu’il me pose sur le plan de
travail. Il approche son visage du mien qui doit être rouge et sourit.
— Tu veux manger ? Megane a fait des lasagnes.
Quand il est aussi proche de moi, je ne suis pas sûre que ce soient les
lasagnes qui me donnent le plus envie à vrai dire… Je hoche tout de même
la tête, mon ventre réclamant de la nourriture. Il s’éloigne doucement, allant
nous faire chauffer deux assiettes. Je m’assois sur une des chaises hautes de
la table à manger et le regarde faire.
À mon grand étonnement, il met de la musique sur son portable.
— Je suis étonnée de te voir écouter de la musique… Je ne sais pas
pourquoi.
Il rigole à ma remarque.
— C’est Logan qui m’a mis dedans. Il chante beaucoup quand on sort.
Même si ce sont des petits fredonnements, à force d’écouter ça reste dans la
tête. Il faudrait qu’il te montre comment il joue de la guitare, c’est très
apaisant.
Je me lève, m’avance vers lui en faisant bouger mes épaules. Je lui
prends les mains et commence à le tirer en douceur pour qu’il me suive
dans mes pas.
— Je ne sais pas danser, Sierra, avoue-t-il.
Je hausse les épaules et prends ses mains pour les poser sur ma taille. Je
commence à bouger et il me suit petit à petit. Plus la musique avance et plus
il se détend. Il me fait même tourner une fois avec un léger sourire sur les
lèvres. Quand la musique touche à sa fin, il m’attire à lui et me dit tout
doucement.
— Je t’aime.
Ça me fait toujours quelque chose de l’entendre dire. En fait, c’est la
première fois qu’il le dit aussi clairement. J’inspire fortement pour me
redonner de la force.
— Moi aussi je t’aime.

— Je n’ai jamais su pourquoi tu avais redoublé.


— Ah… ça, soupire-t-il. J’ai raté mes examens tout simplement. Je
n’allais plus en cours et j’ai eu le choix entre complètement arrêter l’école
ou redoubler pour pouvoir poursuivre mes études… C’est vrai que je
passais mon temps à faire autre chose…
— Comme venir à la maison toutes les semaines ?
— Comme aller chez vous toutes les semaines, répète-t-il, un sourire
sur le visage. Mais cette année, je compte bien les passer. Je suis doué en
cours honnêtement, c’est pour ça que j’ai décidé de continuer à étudier.
— Tu sais ce que tu veux faire plus tard ?
Il secoue la tête en signe de négation.
— Et toi ?
— Travailler dans le domaine de la psychologie… Ça m’intéresse pas
mal, avoué-je.
Il regarde son assiette comme s’il avait déjà deviné. Je suis aussi
prévisible que ça ? Une fois le repas achevé, il débarrasse sans me laisser
l’aider. Il est toujours torse nu, son omoplate est encore légèrement rouge
sous la couche de crème.
Je le rejoins devant l’évier et pose tout doucement mes lèvres sur une
première cicatrice. Je veux le faire depuis trop longtemps…
Tous ses muscles se contractent alors que je continue d’embrasser ses
anciennes blessures.
— Sierra…
Sa voix est plus autoritaire, mais en même temps plus suppliante. Je
continue tout le long de sa colonne vertébrale et me mets sur la pointe des
pieds pour atteindre son cou. C’est la partie de trop, car il pose les assiettes
et se retourne vers moi. Il penche la tête vers moi et je suis obligée de
reculer pour garder notre contact visuel scellé.
— Tu es vraiment une petite insolente…
Je rigole à sa remarque, mais ma jubilation est de courte durée quand il
m’attrape par les hanches et me plaque contre le plan de travail. Ses yeux
brillent d’une lueur malicieuse de me voir en dessous de lui.
Un petit cri m’échappe quand il me porte pour me poser sur la table. Ses
cheveux forment une barrière autour de nos deux têtes et il lève la sienne
pour m’embrasser. Son corps se place entre mes jambes qui pendent dans le
vide, ses mains toujours sur la courbe de mes hanches. Il presse ses doigts
sur ma peau.
Ses mains tantôt sur mes cuisses tantôt qui se faufilent sous mon haut, je
frissonne de partout, n’attendant que la suite. Ses mains montent doucement
sur mon ventre, puis sur mes côtes pour finir sur ma poitrine. Je suis obligée
de me séparer de ses lèvres pour pouvoir respirer. Nos fronts sont collés.
Ses pouces frôlent la partie dure de mon thorax et je soupire de plaisir. Mon
gémissement a dû lui faire de l’effet, car il lâche un halètement.
J’enroule mes jambes autour de sa taille pour le coller davantage à mon
corps. Il lâche mes seins pour me porter tout en continuant de m’embrasser.
Sa langue cherche toujours plus et quand il descend dans mon cou, il touche
mon point sensible.
Un sourire insolent s’étire contre ma peau quand je gémis son prénom.
Ça l’incite à continuer comme ça en arrivant devant la porte de sa chambre.
Il l’ouvre d’un coup de pied et me dépose doucement sur le lit.
— Dis-moi ce que tu veux.
Mon pouls pulse entre mes jambes quand je retire doucement mon haut.
Je sens son regard parcourir mon corps et je me sens rougir. J’ai chaud,
beaucoup trop chaud. Je recule sur le lit pour lui laisser de la place.
Il sourit contre mes lèvres et s’éloigne rapidement. Je le regarde attraper
un préservatif dans un tiroir.
— T’es sûre, Sierra ?
— Oui.
— Tu contrôles, me rappelle-t-il, tu m’arrêtes quand tu veux.
Son regard passe de moi au préservatif et il le déchire.
Quand il avance vers moi, j’appréhende autant que j’ai hâte. La dernière
fois que je l’ai fait remonte à plusieurs années désormais. Je ne sais pas si je
vais avoir mal…
— Imprègne-toi de ces mots : Je suis à toi.
Ses paroles provoquent en moi un déferlement d’émotions.

Quand il se retire, j’attends quelques secondes avant de me lever. Il fait


de même et retire le préservatif pour le jeter. Moi je me dirige vers les
toilettes.
À mon retour dans la chambre, il est allongé sur le lit. Il m’a gardé une
place à côté de lui et je le serre contre moi. Je suis exténuée.
— Bonne nuit…
— Bonne nuit mon cœur.
Chapitre 46

Sierra, Jacksonville
Présent
L’eau chaude coule sur mon corps tandis que je repense à hier soir. Plus
tard dans la nuit, on l’a refait. Il a même rigolé quand je lui ai dit que j’étais
partante pour un troisième round, mais on avait vraiment besoin de sommeil
pour la journée suivante.
Je sèche mon corps avec une serviette et enfile un boxer appartenant à
Jayden. Il est trop grand pour moi alors je suis obligée de plier l’élastique à
deux reprises pour qu’il tienne sur mes hanches. J’enfile mon jean de la
veille et un pull que j’ai aussi piqué à mon copain.
Quand je reviens dans la chambre, il n’est plus dans le lit. Je descends et
me dirige vers la cuisine. Je m’assois sur une des chaises quand il me tend
une tasse de café.
— Café avec quatre sucres.
Je souris avec un regard interrogateur. Il fait glisser son portable sur la
table et je vois sur l’écran un message de mon frère.
N’oublie pas les quatre sucres
dans son café.

Je rigole. Il s’assoit face à moi, son éternel bol de céréales à la main.


Il fait très beau aujourd’hui pour un mois de février.
— Mon pull te va mieux qu’à moi.
— Je trouve aussi.
On ne parle plus de tout le petit-déjeuner, mais c’est bien comme ça.
J’ai besoin de calme après hier. Je sens qu’il est de bonne humeur. En le
regardant, je me dis que personne n’aurait cru qu’après tout ce qu’il s’est
passé entre nous, on aurait fini ensemble. Je rigole en repensant aux paroles
de ma mère… Elle a eu raison finalement. J’ai trouvé un copain à la hauteur
de mes attentes.
— On doit rejoindre les autres dans l’après-midi, mais avant ça, tu veux
faire quelque chose ?
— Hum… Je voulais passer dans une librairie pas très loin d’ici.
Il hoche la tête et débarrasse son bol avant de venir me voir. Je pose ma
tasse de café sur la table et passe mes bras autour de sa nuque alors qu’il
continue de jouer avec mes cheveux mouillés. Il pose délicatement ses
lèvres sur les miennes. Je ne le savais pas si tendre.
— Je monte me laver et on y va.
— Ça marche.

En arrivant devant la librairie de Kate, je prends la main de Jayden et


ouvre la porte en faisant tinter la cloche au-dessus de nos têtes.
— Ce bruit est vraiment insupportable, marmonne-t-il.
Je ne relève pas sa phrase et le tire vers les rayons qui m’intéressent. La
romance. Les gens ont beau dire que la romance n’est pas un genre
littéraire, c’est tout de même un art qui mérite son succès. L’odeur des
livres et du papier me donne de l’oxygène. J’adore ça.
Je lâche la main de Jayden pour m’intéresser aux étagères en face de
moi. Il s’adosse au mur tout en me regardant, arborant son éternel sourire en
coin. Il m’écoute pendant que je lui raconte quels livres me font de l’œil et
pourquoi. Il ne m’interrompt pas une seule fois, au contraire, il est le
premier à m’aider à les chercher. Je finis avec quatre livres dans les mains,
heureuse de me diriger vers la caisse.
Aujourd’hui Kate n’est pas de service à ce que je vois.
— Quarante-sept dollars, sourit la caissière.
— C’est pour moi.
Jayden passe devant moi et sort sa carte pour la déposer sur la machine
pendant que je le regarde, bouche bée. Il ne me laisse même pas regarder. Il
ne bouge pas d’un pouce quand j’essaye de le pousser.
Il ne répond pas à mes protestations alors que son paiement est accepté,
il prend le sac plein de livres.
— Allez viens, dit-il.
Je lui mets un coup de coude et il rigole alors que je serre ma main dans
la sienne. Je me sens tellement apaisée que j’en oublie ces moments de
solitude. J’ai toujours cru que la solution à mes douleurs était de rester toute
seule pour ne pas devoir m’expliquer à propos de mes comportements, mais
finalement… Il suffit de trouver la personne qui te comprend. Rester seule
n’est jamais bon éternellement…
— Esteos vient de m’envoyer un message. On doit les rejoindre au
Central Park. On devrait se dépêcher si tu ne veux pas que Logan mange ta
part de pizza.
Je le regarde, les yeux ronds et le tire rapidement vers la moto.
Jayden, Jacksonville
Présent
On arrive rapidement devant le lieu et je la regarde flotter dans mon
pull, toute heureuse. Elle a le sourire jusqu’aux oreilles, je ne sais pas ce qui
la met de si bonne humeur, mais je suis sûr que c’est bien la première fois
que je la vois comme ça. C’est plus fort que moi, je sors mon portable et
prends rapidement un cliché de son visage. Elle ne s’en rend même pas
compte.
— Eh ! Attends-moi, l’appelé-je.
Je ne sais pas trop comment je suis censé me comporter avec elle… Je
fais ce que mon cœur me dit de faire. À vrai dire, c’est la première fois que
j’ai une petite amie…
Je n’ai jamais voulu m’engager dans une relation car j’avais peur. Peur
de faire du mal à ma copine, peur de finir comme mon père. J’avais peur de
moi finalement… De toute façon, au collège, les élèves évitaient de trop
s’approcher de moi. J’ai compris avec le temps que c’était eux le problème,
pas moi… Je l’ai peut-être compris un peu tard…
— Dépêche-toi, ils sont là !
J’accélère la cadence pour être à son niveau. Effectivement, les garçons
sont posés sur une nappe juste devant le lac. Je me serais sûrement moqué
d’eux dans un autre contexte, mais là, en voyant leurs visages joyeux, je
n’ai pas envie de gâcher le moment.
Chaque instant de ma vie, chaque seconde qui s’écoule, je les dois à
eux. Ils m’ont sauvé… Esteos m’a gardé en vie quand j’ai cru que j’étais
sur le point de tomber… Sierra m’a redonné espoir. Il y a quelque chose
dans cette famille qui fait d’eux des personnes dont il devient difficile de se
passer.
— Ils sont là, s’exclame Hunter.
Je vois les plats disposés sur la nappe et je me demande quand ils ont eu
le temps de préparer tout cela.
Sierra saute immédiatement sur son frère alors que je m’assois à côté de
Logan. Je remarque qu’il a apporté sa guitare, je suis surpris. Il n’aime pas
forcément exposer son jouet à tous.
Même en ce mois de février, mon cœur se réchauffe de nous voir tous
ensemble. Je me rappelle qu’à la fin de cette année, on sera tous à la fac…
Le temps passe tellement vite.
— Eh…
Je me tourne vers Sierra qui entrelace nos doigts alors qu’elle avale un
morceau de pizza. Je souris doucement. Je ne sais même pas pourquoi je me
sens tout à coup triste… Comme si tout ça n’était qu’une illusion. Et si c’est
le cas, je prie de ne jamais en sortir.
— Ça ne vous a pas suffi de passer toute la journée ensemble hier ? Non
mais c’est vraiment trop gênant d’être amoureux…
On mange tous dans la bonne humeur malgré l’air frais. Les partiels
d’Esteos se sont merveilleusement bien passés. Si tout se déroule comme
prévu, il pourra postuler pour passer chez les pros l’année prochaine.
Logan nous raconte comment il a fait pour draguer sa nouvelle
professeure de culture musicale. Non pas que j’approuve ses manières, mais
c’est juste hilarant.
— Tous les ans, des millions de personnes meurent, tu sais…
— Et donc ? Tu interromps mon magnifique discours pour dire ça ?
T’es déprimant mon pote, secoue la tête Logan.
— J’attends juste que tu fasses partie de ces personnes, termine Esteos
avec un sourire aux lèvres.
— Mais sinon, ajoute Sierra, je peux essayer ta guitare ?
Logan toise férocement ma copine qui lui fait des yeux de biche. Il
secoue la tête en signe de négation. Il ne laisse jamais personne toucher son
instrument. Même nous, on n’a jamais eu cet honneur.
— Tu n’as qu’à nous chanter quelque chose, proposé-je.
Il me regarde quelques secondes avant de hocher la tête. S’il y a bien un
sujet sur lequel Logan est timide, c’est le chant. Je reconnais la chanson dès
l’instant il joue les premières notes. Viva La Vida de Coldplay.
Je commence à enlacer doucement Sierra alors que nous sommes tous,
moi y compris, hypnotisés par le chant de Logan, c’est un morceau rapide,
mais rempli d’émotion. On le regarde avec admiration, je suis fier de lui.
On est tous fiers de lui.
Il avait complètement arrêté de chanter après la mort de sa sœur… Mais
Esteos l’a poussé à entrer dans cette fac de musique et il a fini par céder. Je
pense qu’il a bien fait.
Sierra se redresse légèrement, captivée par sa voix.
S’il y a bien une chose à retenir concernant Logan, c’est qu’il ne
regarde jamais personne quand il joue ou qu’il chante. Il a toujours regardé
sa sœur en le faisant et c’est quelque chose qu’il veut préserver pour elle,
pour toujours.
Un silence suit la dernière note.
— Tu pourras encore jouer plus tard ? demande Sierra.
Pour la première fois, il offre son sourire plein de tendresse en posant
les yeux sur cette fille qui nous a bien fait ramer. Il acquiesce avant de
regarder le ciel et de soupirer. Esteos pose une main sur son épaule et ils se
regardent quelques secondes avant que Hunter ne lui saute dessus. Logan
rigole et lui rend son étreinte.
Qu’est-ce que je suis heureux.

Logan, Jacksonville
Présent
Ce qui me rend heureux ? Boire, fumer, faire la fête, baiser aussi…
Mais ce qui me rend humain, c’est eux… Ma famille.
Je suis même heureux de pouvoir supporter l’autre garce… Bon, ce
n’est pas vraiment une garce.
Je sais juste qu’en haut, elle est fière de moi.

Hunter, Jacksonville
Présent
— Tu me fais chier, Logan, bouge !
Il rigole alors que je fais semblant d’être énervé. En réalité, mon cœur
bat fort. De joie.
Certes, je n’ai pas eu la chance d’avoir la fille que j’aimais… Mais je
sais qu’ils sont là pour moi. Et puis, voir Jayden et Sierra s’aimer de cette
manière ne fait que renforcer mon intuition. Je n’aurais pas été la bonne
personne pour elle…
Ils sont faits l’un pour l’autre.

Sierra, Jacksonville
Présent
Mon frère rigole en me rattrapant doucement par le bras. Je le serre fort
et je me rends compte à quel point je suis heureuse. Avant, je ne comprenais
pas les gens qui avaient beaucoup d’amis… Maintenant, je comprends ce
que ça fait d’avoir une famille. Leur présence te rappelle que tu es humain,
que même si tu souris, derrière ce masque, se cache peut-être quelque
chose. Et surtout… que c’est normal d’avoir peur, d’être mal.
Et quand je vois Jayden au loin en train de fumer, un sourire aux lèvres.
Je sais…
Jayden, Jacksonville
Présent
Je sais qu’elle sera ma première…

Sierra, Jacksonville
Présent
Que je serai sa première…

Jayden, Jacksonville
Présent
Et ma dernière.

Sierra, Jacksonville
Présent
Et sa dernière.
Parce que je l’ai peut-être détesté, mais c’est en apprenant à connaître
nos défauts qu’on voit le meilleur de nous-même, et grâce à Jayden, j’ai vu
le meilleur de moi.
Épilogue

Jayden, Jacksonville
Six ans plus tard
— Et voilà… Tu me manques, tu sais… Si tu savais à quel point je suis
fier de toi.
Je regarde sa tombe en souriant tristement. Elle me manque
terriblement, mais je suis toujours heureux de venir déposer des fleurs ici et
de pouvoir passer un peu de temps avec ma mère. J’ai mis du temps avant
d’accepter de venir ici…
— Jayden !
Je me retourne et vois la femme de ma vie, debout à quelques mètres de
moi. Elle est vêtue d’un ensemble blanc qui lui va à merveille. Cette année,
c’est sa première année en tant que psychologue diplômée. Elle s’avance
vers moi, faisant claquer ses talons sur le sol.
Elle me rejoint devant la pierre tombale et entrelace nos doigts.
— Bonjour Sélène…
Au bout de quelques minutes, on finit par sortir du cimetière. Je compte
revenir ici dans pas longtemps… J’ai promis de ne plus jamais
l’abandonner. Je n’ai pas réussi à la protéger de son vivant, je peux au
moins le faire de cette manière.
On arrive devant le portail et je vois qu’elle a pris sa voiture.
— Je t’avais dit que je t’emmènerais à moto mon cœur.
— Je voulais trop la conduire… S’il te plaît…
Je rigole devant sa réaction. Je lui mets une petite pichenette sur le front
et elle sourit. Elle sait que je ne peux rien lui refuser et cette petite vipère en
profite pas mal.
— Je te suis à moto.
Elle sautille sur place. Elle vient à peine d’avoir son permis qu’elle veut
conduire sa voiture partout. Je monte sur la moto et on commence une
course-poursuite. Elle adore ça, je joue donc le jeu en faisant bien attention
à ne pas dépasser la limite. À la dernière ligne droite, je la dépasse et me
gare devant chez Esteos.
Isabella et Lucas doivent sûrement être à l’intérieur. On fête quand
même les vingt-cinq ans de leur fils.
— T’as encore gagné, j’abandonne, c’est bon…
Je la tire vers moi quand elle sort de la voiture. J’attends juste le jour où
elle comprendra qu’une moto passe plus facilement entre les véhicules
contrairement aux voitures. Je dépose un chaste baiser sur ses lèvres. Même
après six ans, je ressens les mêmes sensations que la première fois.
— Bordel… Combien de fois je vais devoir vous dire de ne pas faire ça
devant ma face !? Non mais j’ai un ordinateur pour ça !
On se retourne tous les deux vers Logan et on explose de rire en même
temps. Il s’avance vers nous et enlace document Sierra tandis que pour moi
c’est avec une de ses accolades viriles, comme il les appelle, qu’il me salue.
On entre donc dans la maison. Esteos essaye d’accrocher des ballons sur le
plafond sous la direction d’Isabella.
— Maman, je te dis que ce n’est pas nécessaire. En plus, c’est moi qui
nettoie tout à la fin.
— Donne-moi ça, dit Jade.
Jade, c’est la copine de Hunter. Ils sont ensemble depuis presque deux
ans je crois. Ils se sont rencontrés en boîte, comme quoi, les coups d’un soir
peuvent aboutir à quelque chose.
Dès lors qu’Esteos descend de l’échelle, Sierra lui saute dessus. Ils sont
toujours aussi fusionnels, c’est agréable à voir.
— Il n’y a pas d’alcool ? Vous rigolez, j’espère, non mais je rentre alors
moi… Même pas une bière !?
— Logan, c’est soirée clean ! On te l’a déjà dit, explique Hunter.
Logan a eu énormément de chance, il s’est fait repérer par une agence
qui était intéressée par sa voix. Aujourd’hui, il est directeur artistique et il
gagne très bien sa vie. Hunter, quant à lui, s’est réorienté vers la médecine.
Le père de Sierra nous pousse tous au centre du salon, car comme tous
les ans, c’est l’heure de la photo de famille. Il brandit son téléphone pour
prendre un selfie. Je rapproche Sierra de moi.
— T’es à croquer.
Elle écarquille les yeux et j’éclate de rire quand le flash nous aveugle
les yeux. Elle me pousse en râlant alors que je l’attrape par les hanches pour
poser ma tête sur son épaule.
Ces derniers temps, c’est de plus en plus dur d’être tous réunis. Hunter à
cause de ses études, Esteos à cause de ses matchs… Ah oui ! Esteos est
entré chez les pros, on est tous très heureux pour lui.
Quand la soirée touche à sa fin, Sierra affiche une mine triste. Tout le
monde sait à quel point elle aime son frère.
Je débarrasse avec Esteos tout en me dirigeant vers la cuisine.
— Alors ? Quand est-ce que tu fais ta demande ? s’empresse-t-il de
demander.
— Bientôt… très bientôt. Mais tu sais que je ne vais pas faire ça
publiquement… Je veux que ce soit juste nous deux.
Demain, j’ai un rendez-vous avec un client. Il m’a demandé un grand
tatouage sur lequel j’ai travaillé pendant plusieurs heures. Il ne manque plus
que les retouches et ce sera bon. Je suis tatoueur à plein temps, j’adore mon
métier.
Arrivé à la maison, Sierra court pour aller se laver la première. Je monte
moi aussi plus lentement. Je me rends dans notre chambre où je commence
à me déshabiller tout en regardant mon reflet dans le miroir.
Je regarde quelques instants les cadres posés sur notre bureau et je
souris… Je n’arrive pas à m’imaginer ce que représentent six ans. Six ans
qu’elle rend mon quotidien meilleur.
Sierra revient dans la chambre en sous-vêtements et je la regarde. Elle
est toujours aussi magnifique. Encore plus chaque jour, me corrigé-je.
— Tu n’es pas partie te laver ?
— Non, je nous fais couler un bain, sourit-elle.
Elle arrive devant le miroir et mon regard se pose directement sur son
épaule. Je lui ai tatoué une petite lune, il y a deux ans maintenant.
J’embrasse sa peau nue et elle soupire en se tournant vers moi.
Son regard s’attarde sur le reflet du miroir qui donne sur mon dos. Ma
peau est désormais entièrement recouverte. En six ans, j’ai eu le temps de
me tatouer l’intégralité du dos, et certains tatouages ont été réalisés par la
femme que j’aime. Je regarde son cou qui est toujours orné de mon collier.
— Sierra…
— Je vous écoute, Monsieur, dit-elle calmement.
Je tremble légèrement et elle le remarque parce qu’elle se rapproche de
moi. On est tous les deux à moitié nus, mais je veux vraiment le faire
maintenant. Je prends ses mains.
— Tu sais que je ne suis pas super romantique… Que je suis même
vraiment nul en ça…
Elle me regarde en penchant légèrement la tête. Je m’éloigne et pars
chercher l’écrin dans la poche de mon manteau.
— Mais je vais quand même le faire… Parce que tu es l’amour et la
femme de ma vie, Sierra Sanchez, je veux que tu portes mon nom.
J’ouvre la boîte et elle porte une main à sa bouche. J’ai l’impression
d’accomplir le but d’une vie, je sens l’émotion monter quand elle lâche un
cri accompagné de larmes.
— Veux-tu m’épouser, mon cœur ?
— Oui ! Bien sûr que oui je le veux !
Elle saute dans mes bras et je l’attrape pour la serrer contre moi. Elle
me rend si fragile. Qu’est-ce que je ne ferais pas pour cette femme ? Rien
au monde ne vaut l’amour qu’elle me porte.
À cet instant, si elle me demande de lui décrocher la lune, je le ferai par
tous les moyens.
Je la repose par terre et prends la bague, les mains tremblantes. Elle
recommence à pleurer en voyant la bague.
— Non… Tu n’as pas fait ça…
Je la lui enfile et elle se précipite devant le miroir pour placer son doigt
à côté de son collier. J’ai choisi la même pierre que celle qui orne son
collier. Je m’avance vers elle.
— Écoute-moi bien, Sierra… Je t’aime. Je t’aime à en perdre le souffle,
je veux finir ma vie avec toi. Je veux que tu portes nos enfants. Mais avant
tout, sache que même si notre histoire venait à se finir, je tomberais toujours
amoureux de toi dans un autre univers, un autre livre, une autre histoire.
Toute ma vie, je la consacre à te rendre heureuse.
— Je t’aime aussi, Jayden Ace Evans, sanglote-t-elle.
Fin

Bonus

Esteos, Jacksonville
Quelques mois plus tard
On a tous rendez-vous au salon de Jayden aujourd’hui. Après plusieurs
années d’amitié, on a finalement passé le cap. On s’est mis d’accord sur un
tatouage en commun. Ce fut un long processus, mais ça y est. On va le
faire.
Ce sera une première pour moi. Je n’ai jamais eu de tatouage, Logan
non plus. Il a peur des aiguilles. Hunter en a déjà quelques-uns alors ce
n’est pas un tatouage de plus qui va le tuer.
On a choisi les chiffres : 6.7.7.7.
Le six pour 1996. L’année de naissance de Logan. Et 1997 Jayden,
Hunter et moi. Pour l’emplacement, on a longtemps débattu pour
finalement accepter de se le faire sur le haut du dos. À la naissance de la
colonne vertébrale. Pourquoi ? Figurez-vous que Jayden n’a plus de place
sur le corps à part sur cette minuscule partie.
En entrant dans le salon, je perçois déjà des cris.
— Tu rigoles j’espère ? Tu vas me foutre ça dans la peau ? Tu ne veux
pas que je te suce tant que tu y es ?
Je salue Eddie, un employé qui travaille pour Jayden. Je pousse le
rideau qui mène à l’arrière de la boutique pour voir Logan en train de crier
dans tous les sens en voyant les ustensiles nécessaires pour nous tatouer.
Hunter ne peut s’empêcher de rire tandis que Jayden lève les yeux au ciel
avec un sourire en coin.
En me voyant arriver, Logan me saute dessus.
— Mon sauveur ! Dis-lui que je ne veux pas de ce truc dans ma peau !
— Je crois que t’as pas trop le choix, mon pote, dis-je en lui donnant
tout mon courage.
Son visage se liquéfie et on se marre tous.
— Qui commence ? J’ai des clients ce soir, donc on se bouge, explique
Jayden.
Hunter se porte volontaire alors que notre ami commence à désinfecter
l’endroit et à le tatouer. Alors quand c’est à mon tour, je ressens une légère
angoisse. C’est une première pour moi. Et malgré ce qu’on dit, ce n’est pas
du tout agréable comme sensation. J’ai l’impression qu’on me pique avec
des épingles en continu.
Finalement, ma peau a rougi, mais le résultat est là. Ça me démange un
peu, mais je m’en sors vivant.
— Non ! S’il vous plaît, à l’aide, on m’agresse ! crie Logan alors que
Jayden commence à désinfecter l’endroit.
À peine l’aiguille touche sa peau, qu’il s’évanouit. On se regarde tous
perplexes avant d’éclater de rire. Jayden rigole et nous explique que ça
arrive souvent. Ça facilite même la tâche pour le tatoueur.
J’envoie une photo à Sierra de mon tatouage et elle me répond avec
plein d’émojis en forme de cœur. Je rigole.
6.7.7.7.
Remerciements

La première personne que je veux remercier, c’est moi. Aussi


égocentrique que cela puisse paraître, je ressens le besoin de partager le
soulagement et la fierté qui accompagnent la publication de mes tout
premiers écrits, surtout lorsque l’on pensait qu’on ne serait même plus de ce
monde aujourd’hui. J’ai commencé à écrire Attracted pour exprimer mon
mal-être, qui s’est transformé depuis, en quelque chose de beaucoup plus
sain.
Ensuite, merci à vous. Si vous êtes parvenus jusqu’ici, que vous ayez
apprécié ou non votre lecture, ça me comble de bonheur. Je tiens également
à remercier mes lecteurs sur Wattpad, qui ont véritablement changé ma vie.
Sans eux, rien n’aurait été possible. Un jour, j’étais une petite autrice puis
l’instant d’après, une autrice ayant atteint les quatre millions de lectures
avec mon premier roman. C’est vraiment un privilège pour lequel je serai
toujours reconnaissante.
Merci à Nisha et à mon éditrice, Charlotte, qui m’ont donné une chance.
Charlotte, je n’oublierai jamais notre premier appel, j’étais trop en panique
(tu t’es bien moquée de moi, j’espère).
Je voudrais faire une dédicace spéciale à une personne qui m’est très
chère, dont je ne citerai pas le nom, mais qui se reconnaîtra. Tu as été la
personne qui m’a soutenue depuis le début, tu ne m’as jamais jugée pour ce
que j’écrivais ou pour la personne que j’étais, alors merci.
Merci à mes parents de m’avoir soutenue dans ce projet. Je n’ai pas
besoin d’écrire ce que je pense, vous le savez déjà :)
Merci à toi Cam (@cmabook) qui as été ma plus grande supportrice.
Merci d’aimer Jayden et Sierra pour ce qu’ils sont, merci de les chérir
autant que tu le fais. Tu auras à jamais mon cœur.
Merci à mes amies autrices Lyla Mars, Anita Rigins, Eugénie Dielens
de m’avoir aidée durant ce projet, je pense que j’aurais fait un AVC si vous
n’aviez pas été là pour me guider.
Pour terminer, je veux remercier mes amies. Des personnes qui me sont
précieuses et sans qui je ne sourirais pas tous les jours.
Cilia et Keren, nous nous connaissons depuis tellement d’années, je ne
pouvais pas imaginer cette page sans vos noms inscrits dessus. Merci d’être
là pour moi depuis qu’on est toutes petites. Vous m’avez vue grandir
comme personne d’autre.
Merci à Kay (@idgafbooks), ma meilleure amie, je n’ai pas de mots
pour exprimer ce que je ressens à ton égard, mais oui, Esteos est à toi,
promis…
Merci à Francesca (@athenasdiaries_) qui a été mon rayon de soleil
depuis que je la connais. Ne change jamais.
Merci à tata Olfa (@bookaddictolfa) qui m’a fait rire comme pas
possible avec son sadisme. Mais bon, t’es problématique, donc recule… (Je
rigole)
Merci à Juliette (@juliettesreading), mon jambon-emmental, t’es la
personne la plus drôle que je connaisse. Nos nuits à lire sont mes soirées
préférées.
Merci à Yuna (@yunaareads), ton soutien est constant. Ton insolence
aussi… mais c’est une autre histoire…
Kiss <3
Vous avez un manuscrit de romance à nous proposer ?

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