Max Weber 24 10 2024

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Max Weber

La rationalisation du monde

Qu’est-ce qui fait la singularité de la société moderne ? C’est au fond à cette même
et seule question qu’a tenté de répondre Max Weber à travers de multiples études
comparatives portant sur les formes du droit, les types religieux, ou encore les
modes d’organisation économiques et politiques. À travers cette œuvre foisonnante,
il développe une vision de la sociologie comme science de l’action sociale. La
société est le produit de l’action des hommes, qui agissent en fonction de valeurs, de
motifs, de calculs rationnels. Expliquer le social, c’est rendre compte de la façon dont
les hommes orientent leurs actions.

Or, pour Weber, le trait distinctif des sociétés modernes est celui de la «
rationalisation de la vie sociale ». Dans Économie et Société, il propose une
distinction devenue canonique entre trois grands types d’activité humaine :

• l’action traditionnelle se rattache à la coutume : manger avec une fourchette ou


saluer ses amis relève de l’activité traditionnelle ;

• l’action affective est guidée par les passions : le collectionneur ou le joueur


agissent ainsi ;

• l’action rationnelle est une action instrumentale, tournée vers un but utilitaire ou
des valeurs, et qui implique l’adéquation entre fin et moyens. L’activité stratégique
(stratégie militaire ou économique) appartient à cette catégorie. Le stratège est
rationnel en ce qu’il ajuste au mieux l’efficacité de son action, qu’elle soit tournée
vers un but matériel (la conquête d’un territoire) ou orientée par des valeurs (la
gloire). L’action rationnelle est, selon Weber, caractéristique des sociétés modernes :
l’entrepreneur capitaliste, le savant, le consommateur et le fonctionnaire agissent
selon cette logique (même si elle est toujours mêlée d’éléments traditionnels et/ou
affectifs).

Les trois types de domination

Dans Économie et Société, Weber traite des différents types de relations sociales, et
notamment des formes de domination politique. Il distingue là encore trois formes de
dominations idéal-typiques :
• la domination traditionnelle fonde sa légitimité sur le caractère sacré de la
tradition. Le pouvoir patriarcal au sein des groupes domestiques et celui des
seigneurs dans la société féodale sont de ce type ;

• la domination charismatique est celle d’une personnalité exceptionnelle, dotée


d’une aura particulière. Le chef charismatique fondera son pouvoir sur sa force de
conviction, la propagande, sa capacité à rassembler et mobiliser les foules.
L’obéissance à de tels chefs tient à des facteurs émotionnels qu’ils parviennent à
susciter, entretenir et maîtriser ;

• la domination « légale-rationnelle » s’appuie sur le pouvoir du droit formel et


impersonnel. Elle est liée à la fonction et non à la personne. Le pouvoir dans les
organisations modernes se justifie par la compétence, la rationalité des choix et non
par des vertus magiques. La domination rationnelle ou « légale-bureaucratique »
passe par la soumission à un code universel et fonctionnel (ex. : code de la Route).

L’administration bureaucratique (qui ne concerne pas que la fonction publique, mais


aussi l’entreprise voire certains ordres religieux) représente le « type pur » de la
domination légale. Le pouvoir y est fondé sur la « compétence » et non l’origine
sociale ; il s’inscrit dans le cadre d’une réglementation impersonnelle ; l’exécution des
tâches est divisée en « fonctions » spécialisées aux contours méthodiquement
définis ; la carrière est régie par des critères objectifs d’ancienneté, de qualification,
etc., et non par des critères individuels.

La rationalisation de la pensée s’exprime à travers l’essor des sciences et des


techniques, le développement du droit, des techniques comptables, de la gestion. Ce
« désenchantement du monde » ne fait pas disparaître les religions, mais les
transforme de l’intérieur, ce qui ne va pas manquer de susciter l’intérêt du
sociologue. Avec une époustouflante érudition, il va ainsi étudier les principales
religions de l’humanité (judaïsme antique, bouddhisme, christianisme, islam), avec
pour objectif de saisir au sein de chacune des grandes civilisations l’influence de
l’éthique religieuse sur le comportement économique. Une démarche qui culmine
avec L’Éthique protestante et l’Esprit du capitalisme (1905), où il met en évidence les
affinités électives entre une partie de l’éthique et de la théologie protestantes (surtout
le puritanisme calviniste) et la culture de l’investissement et du profit d’un
entrepreneur capitaliste. Là encore, cet immense chantier comparatif n’avait d’autre
but que de saisir, par contraste, les particularités de la civilisation occidentale.
Comprendre l'esprit du capitalisme

En véhiculant certaines valeurs, le capitalisme infléchit nos comportements,

démontre Max Weber. Le phénomène bureaucratique en est l’illustration ultime.

L’œuvre de Max Weber est foisonnante. Après des premiers travaux consacrés à

l’histoire du droit économique, c’est en sociologue qu’il s’intéresse finalement aux

transformations économiques contemporaines. Issu d’une famille de la grande

bourgeoisie intellectuelle allemande (son frère aîné, Alfred, est lui aussi sociologue),

il entame des études de droit. En 1888, il rejoint le Verein für Socialpolitik,

association d’économistes de l’École historique (comme Gustav von Schmoller)

soucieux de penser l’économie à des fins sociales. Il devient professeur d’histoire à

l’université de Berlin en 1893 et épouse Marianne Schnitger, figure du courant

féministe allemand. Après quatre ans d’enseignement, il est frappé par une

dépression qui l’empêche d’enseigner pendant de longues années.

M. Weber trouve cependant d’autres manières d’intervenir dans le champ intellectuel

allemand de l’époque, en participant par exemple à la fondation de la première revue

de sociologie allemande, ainsi qu’à la Société allemande de sociologie au début des

années 1900. L’expérience du Verein lui ouvre aussi les portes de la politique

économique. Après la guerre, il participe activement à la vie politique du pays : il fait


partie de la délégation signataire du traité de Versailles, collabore à la rédaction de la

nouvelle Constitution du Reich et fonde le Parti démocrate allemand (libéral). Une

pneumonie l’emporte en 1920, après qu’il a recommencé à enseigner.

C’est d’abord en rédigeant une étude sociologique sur les travailleurs polonais pour

le Verein, que Max Weber développe sa méthode de pensée, mêlant sociologie et

économie. Il constate, à cette époque, le remplacement des anciens rapports

patriarcaux dans l’Est de l’Allemagne par une logique capitaliste stricte. Les valeurs

de rentabilité et d’efficacité qu’elle institue, explique-t-il, poussent les nouveaux

entrepreneurs agricoles à recourir massivement à de la main-d’œuvre polonaise.

Conséquence : l’intérêt communautaire qui unissait jusque-là les ouvriers allemands

à l’État disparaît, affaiblissant ainsi le sentiment national.

Les différents types de rationalité

À partir de cette analyse des logiques sociales et de leur diversité, M. Weber

s’intéresse aux déterminants de l’action humaine. Il consacre de nombreux articles à

la spécificité des sciences sociales : contrairement au physicien, le sociologue n’a

pas face à lui des faits bruts mais des comportements, explique-t-il, dont il doit

ressaisir la cohérence afin de les inscrire dans un récit qui fasse sens. C’est ce qu’il

applique dans son ouvrage majeur, publié à titre posthume : Économie et

société (1921). Il y distingue quatre types de rationalité : téléologique (le rapport

entre moyens et fins), axiologique (valeurs), affective et traditionnelle. Il s’agit là de

quatre manières de saisir la cohérence d’un comportement donné. Soit l’exemple

d’un travailleur qui consacre de longues heures de son temps à son ouvrage. Il peut

s’y adonner avec un but précis en tête (il a besoin d’argent à brève échéance), à un

système de valeurs (il considère que c’est ainsi qu’il faut vivre), à une émotion (il
travaille beaucoup pour oublier un chagrin ponctuel) ou, enfin, à une habitude (il a

toujours fait ainsi).

Aux sources des valeurs capitalistes

Il s’agit là d’« idéaux-types » – concept cher à M. Weber –, c’est-à-dire d’instruments

intellectuels qui servent à reconstituer, du point de vue du sociologue, une cohérence

que l’on ne retrouve pas à l’état pur dans la réalité. Puisque, la plupart du temps, nos

actions obéissent à des logiques mixtes qui mêlent, en proportions variables, ces

différents idéaux-types purs. Max Weber s’intéresse à la diversité de ces formes de

rationalité, à leur histoire et aux conflits qui les opposent. C’est dans ce cadre que

doit être lue L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme (1905), autre ouvrage

principal de M. Weber. Dans ce qui n’était au départ qu’un article, il souligne le

caractère à première vue totalement irrationnel du comportement capitaliste idéal :

l’accumulation d’argent pour l’accumulation, décorrélée de toute perspective de

consommation et de jouissance (la « chrématistique »). D’où vient une telle logique ?

C’est pour en découvrir la cohérence que M. Weber, étudie le rapport entre la

doctrine protestante, ses valeurs, et cet esprit capitaliste fait d’autodiscipline, de

rationalisation méthodique des activités et d’accumulation monétaire. Il découvre une

affinité entre la doctrine de la prédestination, qui pousse le croyant à accumuler les

signes d’un salut espéré mais jamais garanti, et l’esprit capitaliste, où l’argent n’est

également que le signe d’une réussite à poursuivre. Son étude est désormais

considérée comme discutable, en raison notamment d’un appareil statistique

contestable.

La ville, le droit, l’entreprise, la sexualité, la musique… Dans la plupart des ses

autres travaux, (Essais de sociologie de la religion notamment), M. Weber étudie les


autres phénomènes dans lesquels s’est manifestée cette tendance à la

rationalisation. Dans sa Sociologie du droit, par exemple, il étudie la manière dont

l’activité juridique prend un caractère de plus en plus formel, la cohérence interne de

l’édifice juridique l’emportant sur toute autre considération. De même en musique, où

le principe harmonique l’emporterait tendanciellement sur l’expression mélodique.

Plus tard, à travers une série de textes sur la domination (dont La Domination, en

1914), M. Weber étudie les conséquences politiques de cette rationalisation

économique. La division du travail, rappelle-t-il, a conduit à séparer les individus de

leur activité : l’activité des travailleurs prend place dans un système dont ils ne

maîtrisent pas les rouages. Pour M. Weber, il en est de même dans le domaine

politique. La division du travail a atteint un tel point d’avancement, que les logiques

sociales semblent désormais indépendantes des individus qui les portent. C’est ce

qui donne naissance au phénomène bureaucratique. Les règlements et les lois

semblent émaner d’une puissance anonyme dont les individus, quel que soit leur

échelon hiérarchique, ne sont que les serviteurs. ●

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