SFAD - EHC - 23-24 - Chapitre 2 - Partie2

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 4

2.

Biais Culturels
Les biais culturels sont issus d’une autre littérature que celle des biais cognitifs. Ils sont
plutôt liés aux études en psychologie interculturelle, où l’on a pu observer des distinctions
psychologiques sur certaines variables (i.e., collectivisme versus individualisme, la distance au
pouvoir, l’index de masculinité versus féminité, l’index d’évitement de l’incertitude,
l’orientation vers le long-terme ou le court-terme ; voir le modèle culturel de Hofstede, 1980 ;
1986). De ces travaux, et des critiques adressées aux premiers anthropologues (la critique du
colonialisme dans l’observation), une littérature s’est développée autour des problèmes du
regard qu’un individu issu d’une culture donnée peut porter sur des groupes d’individus issus
d’une autre culture. Ainsi, les biais culturels sont des tendances à interpréter et à juger les
phénomènes en fonction des valeurs distinctes, des croyances et d’autres caractéristiques
de la société ou de la communauté à laquelle on appartient (dictionnaire APA). La variable
culturelle exerce donc une influence sur la psychologie, et sur sa construction des
connaissances. Voici quelques exemples pour vous montrer comment, différentes branches de
la psychologie peuvent être concernées par ces variables.
L’un des objectifs de la psychométrie est de proposer une mesure standardisée. Ainsi, si l’on a
une échelle qui mesure l’intelligence pour les enfants âgés de 8 ans, on considère que tous les
enfants âgés de 8 ans peuvent être comparés et obtenir un score précis. Mais c’est supposer que
la mesure est absolue (comme un thermomètre pour mesurer la température), c’est-à-dire
qu’elle peut s’appliquer à l’ensemble des enfants de 8 ans sur terre. Pourtant, des psychologues
du développement ont montré comment les enfants de certaines cultures ont accès à certains
concepts plus tôt que des enfants d’autres cultures. Par exemple, les enfants américains ont
tendance à regrouper des informations car elles font parties d’une même catégorie supra-
ordonnée (i.e., les fleurs, les animaux, les véhicules). Les enfants chinois ont tendance à faire
de même ou à regrouper des informations à partir de leurs ressemblances physiques (elles
partagent des caractéristiques communes) (i.e., ils sont de la même couleur, de la même forme)
(Unsworth et al., 2005). Cette particularité fait que les enfants américains mettent plus de temps
à catégoriser des informations basées sur la ressemblance, alors que les enfants chinois sont
aussi rapides que ce soit pour catégoriser sur une ressemblance ou sur une catégorie
conceptuelle. Si on utilisait une tâche de catégorisation, alors il faudrait prendre en compte ces
formes de variabilités. Dans les tests que l’on utilise, on a tendance à favoriser et à récompenser
la catégorisation basée sur une catégorie conceptuelle, et à diminuer l’importance de la
catégorisation par ressemblance. De ce fait, s’il existe des enfants issus d’une culture qui réduit
l’importance de la catégorisation conceptuelle, on risquerait de croire que l’on mesure une
compétence individuelle, alors qu’il s’agirait plutôt d’une compétence altérée par des choix
culturels.
Un second exemple concerne l’ergonomie (discipline qui applique les connaissances sur les
capacités et les limitations humaines issues de la physiologie, de la biomécanique, de
l’anthropométrie, de la psychologie, et d’autres domaines, à la conception de systèmes,
d’équipements et de processus pour des performances sûres et efficaces ; dictionnaire APA).
Par exemple, la fabrication d’une interface permettant à un humain d’interagir avec une
machine, peut nécessiter des ajustements culturels (i.e., choix des logos, description claire et
appropriée en fonction du niveau moyen des utilisateurs, la complexité de la navigation). Il
n’est pas rare, pour des entreprises qui souhaitent développer des produits dans d’autres
cultures, d’effectuer des études sur ces nouveaux potentiels clients afin de mieux comprendre
leurs besoins spécifiques (voir Khan et al., 2015 sur des conducteurs vivant au Royaume-Uni
ou en Inde et leur utilisation d’un logiciel GPS).
Enfin, un dernier exemple peut concerner la psychologie clinique. Dans la pratique clinique,
nous pouvons accompagner des patients qui sont partis d’un pays / d’une culture donnée, et qui
ont l’impression de n’appartenir à aucune des deux cultures (i.e., culture précédent le départ et
culture du pays actuel). Ce sentiment peut être associé à une peur d’être incompris, un isolement
social, des difficultés de communication ou encore des difficultés d’adaptations aux règles
sociales implicites. Certains modèles qui cherchent à prendre en compte ces aspects culturels
peuvent nous aider (comme le Cultural Accommodation Model de Leong, 2006 ; Leong & Lee,
2006). Bien que d’autres auteurs soulèvent la pertinence de ces modèles : cela revient à penser
que la psychologie est majoritairement une psychologie « occidentale », et soulève aussi
l’importance, dans certaines cultures, de l’acceptation sociale à suivre une thérapie comme un
potentiel modérateur de ces effets culturels (Koç & Kafa, 2019). Finalement, la variable
culturelle peut faire l’objet d’une demande d’accompagnement explicite comme implicite (i.e.,
enquêter sur ses origines, avoir l’impression d’être déraciné, d’être isolé de toutes les cultures,
ne pas se sentir appartenir à la culture dominante).

Nous venons de voir que les variables culturelles influencent la psychologie. Mais cette
partie est dédiée, normalement, aux biais culturels. Alors, à quoi ça peut bien ressembler des
biais culturels ? Et en quoi ça pourrait poser des problèmes en recherche comme en pratique ?
Contrairement aux biais cognitifs, les biais culturels sont plus diffus dans la littérature, et plus
difficile à trouver sous format de catalogue. D’ailleurs, certains individus rassemblent les biais
culturels au sein des biais cognitifs, notamment les biais cognitifs liés au traitement de
l’information de son groupe versus les autres. Mais ces biais culturels peuvent prendre
différentes formes que voici :
- L’ethnocentrisme : considérer sa propre culture comme étant supérieure à d’autres
ou étudier les autres cultures en fonction des normes de sa culture personnelle. Cela
revient à émettre un jugement concernant une autre culture, et à placer sa culture comme
étant bien évidemment supérieure à celles des autres. Le problème de ce biais est
double : tout d’abord, on place notre culture comme point de référence (ce qui n’est pas
un problème en soi, si c’est bel et bien la comparaison que nous souhaitons faire) mais
surtout, on considère notre culture comme étant bien souvent supérieure à la culture que
l’on compare (« il faut dire aussi, comment pourrait-on faire mieux que notre
culture ? »). On retrouve certains biais cognitifs décrits précédemment : notre groupe
est toujours le meilleur, l’expérience de notre groupe est une référence standard.
- Les stéréotypes culturels : généralisations simplifiées sur les membres d’une
culture particulière. Les stéréotypes culturels peuvent être jugés comme désirables ou
non, concerner des caractéristiques physiques ou morales, des activités et des habitudes,
ou même des comportements qui ne sont pas représentatifs de l’entièreté de la culture
(« tous les australiens mangent du kangourou »). On retrouve des biais présentés
précédemment : par exemple, simplifier l’information et la généraliser, surtout
lorsqu’elle ne touche pas à son endogroupe (car, dans son groupe, il y a toujours un peu
plus de variabilité, de finesse, de diversité, de petites particularités fines mais
importantes).
- « Traduire, c’est trahir » : les systèmes de communication peuvent être sources de
malentendus, que ce soit en production comme en traduction, en communication
directe comme indirecte. Autrement dit, dès qu’un individu communique une idée, et
que l’autre individu doit interpréter ou traduire des informations, le biais de traduction
va s’exprimer. Vous pouvez faire l’expérience avec des gens qui parlent couramment
plusieurs langues : vous demandez de traduire une phrase, vous risquez d’avoir
plusieurs traductions possibles, plusieurs formulations, dépendamment de quel aspect
est le plus important dans cette traduction (et je ne parle même pas de la traduction des
poèmes où l’on perd toutes les rimes). En psychologie, ce biais est particulièrement
présent quand on traduit des tests ! Je me permets de vous donner un exemple
personnel : nous cherchions à traduire une échelle traduite en anglais, qui contenait
l’expression « when I’m upset », que l’on pourrait littéralement traduire par « quand je
suis bouleversé(e) ». Mais, l’idée de « upset » en anglais est très distincte de l’idée que
l’on se fait actuellement de « bouleversé(e) ». « Upset » serait plutôt un léger inconfort,
quelque chose qui nous a légèrement contrarié, qui nous irrite, qui nous gonfle. Mais,
certainement pas quelque chose qui nous bouleverse. Je vous laisse imaginer le
problème lorsque l’on souhaite traduire un questionnaire dans une autre langue.
- Biais de perception culturelle : la manière dont nous interprétons les
comportements et les expressions des autres. Ce biais concerne donc l’observateur :
celui qui observe une scène va utiliser sa grille de lecture culturelle pour interpréter les
événements. Cela ne pose pas de problème quand l’observateur et l’acteur mobilisent la
même culture : on s’attend à une cohérence. Mais si l’observateur regarde un acteur
d’une culture différente de la sienne, alors il risque de juger le comportement d’une
autre manière, en jugeant cela comme anormal ou bizarre.
- Biais d’attribution culturelle : expliquer le comportement des autres en fonction
des caractéristiques culturelles plutôt que individuelles. Ce biais concerne donc
l’acteur, celui qui est observé. Cela revient à penser que le comportement de l’acteur est
« normal » (ou anormal) car il serait issu de telle culture. Par rapport aux biais de
perception culturelle, il y a donc une légère différence : la perception culturelle, c’est
comment nous jugeons le monde au regard de notre culture (sans la considérer comme
étant supérieure, car on tomberait dans l’ethnocentrisme), tandis que l’attribution
culturelle, c’est comment nous jugeons les autres au regard des cultures qu’on leur
attribue.
- Biais de perception temporelle : certaines cultures accordent plus d’importance au
passé, d’autres au présent, et d’autres au futur. Cela influence grandement la
planification et l’interprétation des événements dans une culture. Les groupes
d’individus qui accordent une grande importance au passé vont renforcer des idées
d’héritages, de lien avec les ancêtres, de transmission. Les groupes qui accordent au
contraire de l’importance au futur sont ceux tournés vers l’avenir, qui peuvent inviter à
réduire l’importance du passé, à accentuer l’importance de prendre des décisions
actuelles réfléchies pour les futures générations, etc. Notez qu’il s’agit d’une
simplification, car les cultures peuvent cumuler certaines de ces orientations. Mais, il
est possible que, si votre groupe favorise un côté du temps (passé, présent ou futur),
vous interprétiez les décisions des autres au regard de cette temporalité, sans
nécessairement comprendre le choix des autres.
- Biais de conflit culturel : valeurs et normes entrent en conflit. C’est lorsque votre
culture promeut certaines valeurs ou certaines normes, et que vous rencontrez une
culture qui ne partagent pas ces valeurs ou ces normes. Ce conflit peut faciliter
l’émergence de jugements, qui amènent à juger l’autre culture de manière négative (ou
de manière positive si vous désirez rejoindre l’autre culture).

Ces biais culturels présentés nous permettent de distinguer deux grands problèmes sous-
jacents. (i) D’un côté, tous les biais qui sont liés à une négligence, une simplification ou une
réduction de l’influence de la culture d’un individu. (ii) D’un autre côté, tous les biais qui
influencent directement notre manière de percevoir le monde et les comportements des
individus. Ces biais culturels sont très intéressants, mais quel est le rapport avec ce cours sur
la construction de la connaissance en psychologie ? Eh bien, ces biais se sont exprimés (et
peuvent s’exprimer encore aujourd’hui) dans la littérature scientifique en psychologie ! Et cela
s’est retrouvé dans toutes les branches de la psychologie : les travaux sur l’intelligence et les
différences raciales, les travaux sur les maladies mentales qui seraient plus présentes chez
certains groupes d’individus que d’autres, les travaux sur le développement des enfants en
fonction des cultures, et j’en passe.
Le problème de ces travaux n’est pas la thématique ni la question de recherche : que l’on
souhaite prouver qu’il existe ou non une différence d’intelligence en fonction de la couleur de
peau, cela peut se tester. Le problème principal de ces travaux est l’interprétation que l’on
fait, autrement dit, c’est lorsque l’on considère que ce que l’on a observé est une vérité
fondamentale, et qu’elle n’est pas influencée par d’autres variables (le racisme institutionnel
aux Etats-Unis, voir van der Ven & Susser, 2023 dans leur éditorial sur la prévalence de la
schizophrénie aux Etats-Unis). Nous avons vu précédemment l’importance des étapes de la
méthode scientifique : l’observation est un premier point, mais l’expérimentation arrive après,
et elle est censée nous aider à ajuster le modèle, à mieux comprendre la relation entre les
variables. Or les biais, qu’ils soient cognitifs ou culturels, nous invitent à faire des
simplifications de l’information, à se ruer directement vers les conclusions plutôt qu’à continuer
l’enquête ou à tester différentes pistes. Dans la dernière partie, nous verrons les moyens existant
pour contrer ces simplifications.

Les points à retenir :


- Dépendamment de notre culture (groupe, ethnie, nationalité, région, ville…), on
peut interpréter des phénomènes de manière différente.
- En psychologie, on retrouve les biais culturels sur différents sujets : les différences
hommes-femmes, le choix des mots dans les questionnaires, les différences de
cultures individualistes ou collectivistes, les différences au niveau des normes
sociales.
- Ces biais sont susceptibles de mener à des conclusions très variables.

Vous aimerez peut-être aussi