23e Édition de La JMP

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Thème : Philosophie et Bien-être humain

Par M. SOUAÏBOU BABA,


PLEG-Philosophie,
Lycée Bilingue de Maroua.

Introduction

Le bien-être humain, cette quête universelle de satisfaction et de bonheur, a toujours


été une préoccupation centrale de la philosophie. Depuis l’Antiquité, les philosophes
se sont interrogés sur la nature du bonheur et sur les moyens d’y parvenir. Si certains
considèrent que la philosophie est la clé pour comprendre et atteindre le bien-être,
d’autres peuvent estimer qu’elle reste trop abstraite pour répondre aux préoccupations
pratiques de la vie quotidienne. Ainsi, se pose le problème de la finalité de la
philosophie. Toutefois, la philosophie peut-elle vraiment contribuer à la définition et
à la réalisation du bien-être humain ? Nous explorerons cette question en adoptant une
démarche dialectique. Dans un premier temps, nous verrons comment la philosophie
a conçu des cadres éthiques et existentiels pour penser le bien-être (I). Puis, nous
examinerons les critiques qui lui reprochent une distance par rapport aux besoins
concrets et immédiats des individus (II). Enfin, nous tenterons de concilier ces deux
approches pour montrer que la philosophie, malgré ses limites, offre une profondeur
de réflexion indispensable à une approche holistique du bien-être (III).

I. La philosophie comme chemin vers le bien-être humain

La philosophie, en tant que discipline qui interroge les fondements de l’existence


humaine, a souvent été vue comme un guide vers le bien-être. Elle nous aide à mieux
comprendre ce qui constitue une vie épanouie et à définir les moyens pour l’atteindre.

1. Aristote et la vertu comme fondement du bien-être

Pour Aristote, le bien-être humain (eudaimonia) est le but ultime de l’existence, et il


consiste dans l’accomplissement de la fonction propre de l’homme, à savoir l’usage de
la raison. Selon lui, « le bien suprême pour l’homme est une activité de l’âme conforme à la
vertu » (Éthique à Nicomaque, I, p. 7). La philosophie aristotélicienne affirme que le
bonheur n’est pas une simple accumulation de plaisirs, mais un état durable obtenu
par la pratique des vertus. Aristote insiste sur l’importance de la modération, la
mesotes, et sur l’équilibre dans la vie sociale et personnelle, où la communauté joue un
rôle central dans l’accomplissement de soi.

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2. Le stoïcisme et la sérénité intérieure comme voie du bien-être

Dans la tradition stoïcienne, le bien-être ne dépend pas des circonstances extérieures,


mais de la maîtrise de soi et de la sagesse. Épictète affirme : « Ce qui trouble les hommes,
ce ne sont pas les choses, mais les jugements qu’ils portent sur les choses » (Manuel, p. 5). Le
stoïcisme enseigne que le bien-être repose sur la capacité à accepter ce qui ne dépend
pas de nous, et à concentrer nos efforts sur ce qui est sous notre contrôle, à savoir nos
pensées et nos actions. La philosophie devient alors une discipline de l’esprit, un
moyen de cultiver la tranquillité et de se libérer des passions.

3. Épicure et le bonheur par la gestion des désirs

Pour Épicure, le bien-être humain repose sur la gestion sage des plaisirs et des désirs.
Il distingue les plaisirs naturels et nécessaires, comme manger et boire, des plaisirs
superflus et vains, comme la recherche de richesses ou de gloire. Selon lui, « la fin de
toutes nos actions est d’être délivré de la douleur et du trouble de l’âme » (Lettre à Ménécée).
Épicure propose une approche minimaliste du bonheur, basée sur la satisfaction des
besoins essentiels et la modération des désirs. La philosophie devient ainsi un art de
vivre qui permet d’atteindre un bonheur durable en évitant les excès.

Ces conceptions montrent que la philosophie, qu’elle prône l’épanouissement à travers


la vertu ou la modération des désirs, offre des cadres éthiques et psychologiques pour
atteindre le bien-être. Cependant, on pourrait critiquer cette approche théorique pour
son abstraction et sa déconnexion des réalités quotidiennes.

II. Les limites de la philosophie dans l’atteinte du bien-être humain

Bien que la philosophie propose des modèles de bien-être, certains reprochent à cette
discipline une distance par rapport aux préoccupations concrètes de la vie humaine,
et un manque d’applicabilité immédiate.

1. L’abstraction des idéaux philosophiques

Les doctrines philosophiques, en particulier celles d’Aristote ou des stoïciens, sont


souvent accusées d’être trop idéalisées. L’idée aristotélicienne d’une vie de vertu
suppose certaines conditions matérielles et sociales, telles que le temps et les
ressources nécessaires pour se consacrer à la réflexion éthique. De même, la sérénité
stoïcienne, bien qu’en théorie accessible à tous, semble difficile à pratiquer dans un
monde contemporain soumis à des pressions économiques, sociales et psychologiques.
Par conséquent, la philosophie peut paraître éloignée des réalités quotidiennes et des
besoins concrets des individus. La philosophie est abstraite, théorique par conséquent
elle est incapable d’améliorer les conditions de vie des hommes. Avec la philosophie,
on ne construit pas des infrastructures, on ne se nourrit pas, on n’étanche pas sa soif,

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on ne se soigne pas, on ne se vêtit pas, etc. Cette idée est confirmée par Paul Valery : «
la philosophie n’est qu’un pur jeu de mots » ; ou Clément Rosset : « il ne faut pas compter
sur la philosophie pour trouver des raisons de vivre » ; ou enfin Maurice Duverger : « la
philosophie doit être remplacée par les sciences » ; etc. Tous ces penseurs rendent compte
de la nature éthérée de la philosophie, laquelle nature est incompatible avec le projet
concret de réalisation du bien-être.

2. Le rôle croissant des sciences humaines dans la quête du bien-être

Aujourd’hui, le bien-être est de plus en plus étudié par la psychologie et les sciences
sociales, qui adoptent une approche empirique et pragmatique. Des disciplines comme
la psychologie positive, avec des auteurs tels que Martin Seligman, mettent en avant
des modèles concrets pour atteindre le bien-être, comme le modèle PERMA (Plaisir,
Engagement, Relations, Sens, Accomplissement). Ces approches, fondées sur des
études empiriques, semblent plus directement applicables à la vie quotidienne que les
réflexions philosophiques qui peuvent paraître abstraites.

3. La philosophie face aux défis contemporains

Dans un monde en constante mutation, marqué par des défis comme l’angoisse
existentielle, le stress et l’incertitude, la philosophie peine parfois à proposer des
solutions concrètes aux individus. Alors que la thérapie cognitive ou la méditation
pleine conscience fournissent des outils immédiats pour gérer les émotions et les
troubles psychiques, la philosophie semble plus orientée vers une quête théorique du
sens que vers des réponses pratiques à ces problèmes. Ceci s’illustre avec les cas de
Thalès de Milet, Diogène le Cynique et Socrate.

III. La philosophie, un cadre indispensable pour une réflexion profonde sur


le bien-être

Malgré ces critiques, la philosophie conserve un rôle indispensable pour penser le


bien-être humain de manière profonde et globale. Bien qu’elle ne puisse pas toujours
répondre aux besoins immédiats, elle offre des perspectives irremplaçables sur le sens
de la vie et sur les valeurs qui fondent le bonheur.

1. La quête du sens et de l’épanouissement existentiel

La philosophie ne se contente pas de définir le bien-être comme la satisfaction des


désirs ou la tranquillité de l’âme ; elle pose la question du sens de la vie. Viktor Frankl,
dans L’Homme en quête de sens, montre que même dans des circonstances extrêmes,
comme les camps de concentration, l’homme peut trouver du réconfort en donnant un
sens à sa souffrance. Frankl affirme : « Ce qui importe, ce n'est pas tant ce que nous
attendons de la vie, mais plutôt ce que la vie attend de nous ». Cette réflexion philosophique

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sur le sens donne au bien-être une dimension existentielle plus profonde que la simple
gestion des émotions ou la quête de plaisir.

2. L’apport de la philosophie à une approche holistique du bien-être

Les concepts philosophiques peuvent enrichir les approches empiriques du bien-être.


Par exemple, la réflexion de Michel Foucault sur le « souci de soi » (L’Herméneutique
du sujet) met en lumière l’importance de la culture de soi et de la quête d’autonomie
dans l’épanouissement personnel. De même, la pratique de la méditation, issue de la
philosophie bouddhiste, se combine aujourd’hui aux découvertes de la psychologie
pour offrir des outils concrets de gestion des émotions. La philosophie, loin d’être
opposée aux sciences humaines, fournit ainsi un cadre réflexif qui permet d’enrichir
les approches plus pratiques du bien-être.

3. La nécessité de la philosophie aux plans scientifique, individuel et


social

Dans notre contemporanéité dominée par la science et la quête du bien-être tant


individuel que collectif, la réflexion philosophique s’avère nécessaire. De fait, la
philosophie précède le développement scientifique et technique, en ce sens que les
peuples qui ont pratiqué la philosophie de manière rigoureuse ont fini par développer
la science. De plus, la philosophie et la science ont un dénominateur commun : la
rationalité. Considérant la philosophie comme la mère des sciences, René Descartes
écrit dans ses Principes de la philosophie : « Ainsi toute la philosophie est comme un arbre,
dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique, et les branches qui sortent de ce
tronc sont toutes les autres sciences, qui se réduisent à trois principales, à savoir la médecine,
la mécanique et la morale… » Dans la même perspective, Marcien Towa considère la
pratique de la philosophie comme condition de développement de la science.

En outre, la philosophie est un guide intellectuel et moral qui permet à l’homme de


mieux orienter son existence. Elle l’aide à mieux penser pour mieux agir. René
Descartes le confirme en ces termes : « C’est proprement avoir les yeux fermés, sans tâcher
jamais de les ouvrir, que de vivre sans philosopher... » Et à Jaspers d’ajouter : « Philosopher,
c’est se mettre en route. » En d’autres termes, la philosophie permet à l’homme de
s’épanouir dans la contemplation de la vérité et loin de l’ignorance.

Enfin, la philosophie est un précieux instrument de gouvernance. Elle offre aux


hommes d’État les aptitudes morales et intellectuelles nécessaires pour mieux présider
aux destinées des Nations. Platon ne disait-il pas que « la justice ne règnera dans la cité
que lorsque les philosophes seront rois ou les rois philosophes » ?

Au regard de ses contributions réelles ou possibles, la philosophie s’avère être


nécessaire et indispensable dans le développement de l’homme et de la société. En

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effet, toute action en marge de l’éclairage de la philosophie est vouée à l’échec. « Science
sans conscience, disait François Rabelais, n’est que ruine de l’âme. »

Conclusion

La philosophie joue un rôle fondamental dans la réflexion sur le bien-être humain. En


interrogeant la nature de la vie bonne, elle offre des cadres théoriques qui, bien
qu’abstraits, permettent de penser le bien-être au-delà de la simple satisfaction des
désirs immédiats. Toutefois, sa portée pratique reste limitée face aux approches
empiriques de la psychologie et des sciences sociales, qui répondent plus directement
aux besoins concrets des individus. Une approche holistique du bien-être doit donc
combiner la profondeur de la réflexion philosophique avec les outils concrets offerts
par les sciences humaines. Ainsi, la philosophie reste un guide essentiel pour
comprendre les enjeux éthiques, existentiels et sociaux du bien-être, tout en s’ouvrant
à des pratiques plus pragmatiques dans le quotidien.

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