Cass. Civ., 1re, 14 Févr. 2018, N° 17-10.856
Cass. Civ., 1re, 14 Févr. 2018, N° 17-10.856
Cass. Civ., 1re, 14 Févr. 2018, N° 17-10.856
Analyse
Références
Cour de cassation
chambre civile 1
2018-02-14
N° de pourvoi:17-10856
Non publié au bulletin
Rejet
Mme Batut (président)
SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Gatineau et Fattaccini
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu Mais attendu qu'ayant relevé qu'en présentant un projet de montage erroné,
l'arrêt suivant : qui ne pouvait bénéficier du dispositif de l'article 151 octies du code
général des impôts, l'avocat avait fait perdre une grande part de son
Donne acte à M. X... du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé efficacité fiscale à l'acte, dès lors que le bénéfice escompté n'avait pu se
contre le procureur général près la cour d'appel de Douai ; réaliser entièrement, mais que M. X... n'aurait pu bénéficier de ce dispositif
sans prendre d'autres mesures relatives à son passif fiscal et aux immeubles,
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 17 novembre 2016), que, le 5 juillet lesquelles auraient entraîné des conséquences défavorables sur le plan
1993, M. X... a fait apport à la société B... X... d'un fonds de fiscal, la cour d'appel a pu en déduire que le préjudice en lien de causalité
commerce de transport de voyageurs, exploité sous forme d'entreprise avec le défaut d'information et de conseil n'était pas le montant des droits
individuelle, pour une valeur de 442 102,15 euros ; qu'à la suite du d'enregistrement payés après redressement, mais seulement une perte de
redressement fiscal dont il a fait l'objet au cours de l'année 1996, il a chance de bénéficier d'une imposition réduite ; que le moyen n'est pas
assigné en responsabilité et indemnisation M. Y... (l'avocat), intervenu au fondé ;
cours de cette opération ;
Sur les deuxième, troisième et quatrième branches du moyen, ci-après
Sur le moyen unique, pris en sa première branche : annexé :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages- Attendu que ces griefs ne sont manifestement pas de nature à entraîner la
intérêts au titre des droits d'enregistrement, alors, selon le moyen, que la cassation ;
notion de perte de chance, qui suppose la disparition certaine d'une
éventualité favorable, est sans application lorsque le préjudice s'est réalisé PAR CES MOTIFS :
par la faute du défendeur ; que, par suite, l'avocat rédacteur d'un acte qui,
par sa faute, a empêché son client de bénéficier du régime fiscal de faveur REJETTE le pourvoi ;
qu'il avait préconisé et a exposé son client au paiement d'un redressement
fiscal doit réparer la totalité du préjudice qui s'est réalisé, et qui résulte du Condamne M. X... aux dépens ;
surcroît d'impositions et intérêts de retard que le client a dû payer de ce fait
; que l'arrêt attaqué a relevé qu'en présentant un projet de montage erroné Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et le
qui ne pouvait bénéficier du régime de faveur prévu par l'article 151 octies condamne à payer à M. Y... la somme de 3 000 euros ;
du code général des impôts, l'avocat avait, par ses manquements, fait
perdre une grande part de son efficacité fiscale à l'acte d'apport qu'il avait Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et
rédigé pour M. X... et que ce dernier avait dû acquitter de ce fait des droits prononcé par le président en son audience publique du quatorze février
d'enregistrement à hauteur de 369 007 euros en principal et 113 470 euros deux mille dix-huit. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
en intérêts de retard ; qu'en appréciant, néanmoins, le préjudice subi par M.
X... au regard du seul défaut d'information et de conseil de l'avocat, pour Moyen produit par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux Conseils, pour
en déduire que le client avait seulement perdu une chance d'opter pour M. X....
l'alternative la plus intéressante fiscalement s'il avait été dûment informé
des incidences fiscales des différentes options, quand le manquement au IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé le jugement du
devoir d'efficacité de l'acte d'apport en cause, que M. X... invoquait, avait tribunal de grande instance de Lille du 24 avril 2015, rectifié par le
exposé celui-ci au paiement d'un redressement fiscal, si bien que l'avocat jugement du même tribunal du 17 juillet 2015, en ce qu'il avait condamné
devait réparer la totalité du préjudice résultant du surcroît d'impositions et M. Y... à payer à M. X... la somme de 461 524,79 euros à titre de
intérêts de retard que son client avait dû payer, la cour d'appel a violé les dommages et intérêts et, en conséquence, d'AVOIR débouté M. Jean-Paul
articles 1147 et 1149 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle X... de sa demande en dommages et intérêts au titre des droits
issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l'article 9 du décret d'enregistrement ;
n° 2005-790 du 12 juillet 2005 et le principe de la réparation intégrale du
préjudice, sans perte ni profit pour la victime ; AUX MOTIFS QUE «les premiers juges ont exactement relevé que le
montage exposé à M. X... par M. Y... dans son courrier du 6 janvier 1993, procédure de redressement et de la prescription partielle de l'action en
qui devait permettre de bénéficier du régime fiscal avantageux de l'article recouvrement. Au surplus il résulte des écritures des parties que la décision
151 octies du code général des impôts, avait été mis en échec à la suite de de céder le fonds de façon anticipée correspondait aux intentions de M. X...
la procédure de vérification mise en oeuvre par l'administration fiscale, les en considération, de son âge (57 ans) et qu'en tout état de cause il aurait
conditions de fond de ce régime n'ayant pas été respectées. Les motifs cédé en 2004, date à laquelle il a effectivement vendu ces parts sociales de
ayant justifié le redressement tiennent au fait que l'opération ne portait pas la SARL. Il n'a donc perdu aucune chance de renoncer purement et
sur l'intégralité des éléments d'actif de l'entreprise individuelle, ce qui simplement à l'opération. Si l'opération s'était réalisée en 1993
excluait l'application du régime de faveur et sont de trois ordres : - absence conformément aux exigences de l'article 151 octies, M. X... aurait : -
d'apport à la SARL des immeubles de l'entreprise individuelle en même supporté personnellement le montant de ses dettes fiscales figurant au passif
temps que le fonds de commerce ou à défaut de transfert dans le de l'entreprise individuelle soit 431 245 euros ; - payé l'impôt sur la plus-
patrimoine privé de M. X..., ces biens ayant été donnés en location à la value sur éléments non amortissables, reporté à la date de cession en 2004,
SARL ; Si une écriture comptable pouvait suffire à rétablir la régularité de soit une somme a minima de 195 516 euros. Ces chiffres résultent des
l'opération, encore fallait-il que M. Y... ait attiré l'attention de son client et calculs opérés par les parties dans leurs écritures. Il en résulte donc que la
de son expert-comptable sur la nécessité de procéder à ce transfert, ce qu'il situation actuelle issue de la procédure de redressement fiscal est en tout
ne démontre pas avoir fait. - absence d'apport des licences de transport qui état de cause plus favorable économiquement à l'intimé, quoique ce ne soit
ont été louées ou cédées ; - reprise du passif personnel de M. X... par la pas grâce à l'action de M. Y... mais en raison des procédures de
SARL à titre de rémunération partielle de l'apport, ce qui incluait pour contestation engagées par M- X... qui ont abouti à la prescription de l'impôt
partie l'impôt sur le revenu, lequel ne peut être directement rattaché à sur le revenu réclamé. M. X... ne peut donc soutenir qu'il a perdu une
l'entreprise cédée. II est établi que M. Y... soit s'est abstenu d'informer M. chance de choisir l'option fiscale la plus avantageuse, en l'absence de tout
X... de ces exigences et de lui conseiller de les respecter, soit n'en avait pas préjudice » ;
connaissance ce qui est tout autant fautif. Les manquements commis dans
le montage juridique et fiscal proposé à M. X... sont donc démontrées. Sur 1. ALORS QUE la notion de perte de chance, qui suppose la disparition
le préjudice et le lien de causalité : - au titre des droits d'enregistrement : certaine d'une éventualité favorable, est sans application lorsque le
M. X... devait au plan fiscal selon le projet présenté par M. Y... : - verser un préjudice s'est réalisé par la faute du défendeur ; que, par suite, l'avocat
droit fixe d'enregistrement de 500 francs (76,22 euros), - bénéficier d'un rédacteur d'un acte qui, par sa faute, a empêché son client de bénéficier du
report d'imposition sur la plus-value sur éléments non amortissables cédés, régime fiscal de faveur qu'il avait préconisé et a exposé son client au
jusqu'à la date de cession des parts sociales reçues en rémunération qui ne paiement d'un redressement fiscal doit réparer la totalité du préjudice qui
peut intervenir avant 5 ans,- bénéficier de la prise en charge par la société s'est réalisé, et qui résulte du surcroît d'impositions et intérêts de retard que
bénéficiaire des apports de l'impôt sur la plus-value sur éléments le client a dû payer de ce fait ; que l'arrêt attaqué a relevé qu'en présentant
amortissables. A la suite du redressement, l'application du régime fiscal de un projet de montage erroné qui ne pouvait bénéficier du régime de faveur
faveur ayant été rejetée, M. X... s'est retrouvé dans la situation de droit prévu par l'article 151 octies du code général des impôts, Me Y... avait, par
commun : il a dû régler les droits d'enregistrement à hauteur de 369 007 ses manquements, fait perdre une grande part de son efficacité fiscale à
euros en principal et 113 470 euros en intérêts de retard, et prendre en l'acte d'apport qu'il avait rédigé pour M. X... et que ce dernier avait dû
charge au titre de l'impôt sur le revenu la somme de 1 151 783 euros en acquitter de ce fait des droits d'enregistrement à hauteur de 369 007 euros
principal et 255 619 euros en pénalités et intérêts de retard. Il sera observé en principal et 113 470 en intérêts de retard ; qu'en appréciant néanmoins
que la dette d'impôt sur le revenu a été déclarée prescrite à hauteur de 1 le préjudice subi par M. X... au regard du seul défaut d'information et de
628 633 euros. Ces chiffres n'intègrent pas le débat sur le dégrèvement de conseil de l'avocat, pour en déduire que le client avait seulement perdu une
l'impôt sur les sociétés sur les plus-values à court terme payé par la société chance d'opter pour l'alternative la plus intéressante fiscalement s'il avait
bénéficiaire de l'apport, dont aurait éventuellement bénéficié M. X... été dûment informé des incidences fiscales des différentes options, quand le
indirectement en qualité d'associé, puisque le régime de faveur n'a pu manquement au devoir d'efficacité de l'acte d'apport en cause, que M. X...
s'appliquer, ce qui viendrait réduire son préjudice selon l'appelant. M. X... invoquait, avait exposé celui-ci au paiement d'un redressement fiscal, si
sollicite la somme de 482 476,90 euros représentant les droits bien que Me Y... devait réparer la totalité du préjudice résultant du surcroît
d'enregistrement qu'il a dû acquitter à la suite du redressement ainsi que les d'impositions et intérêts de retard que son client avait dû payer, la cour
intérêts de retard et pénalités. M. Y... soutient que le préjudice ne peut d'appel a violé les articles 1147 et 1149 du code civil, dans leur rédaction
consister qu'en une perte de chance de ne pas voir remis en cause le régime antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016,
fiscal de faveur. En présentant un projet de montage erroné, qui ne pouvait l'article 9 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 et le principe de la
bénéficier du dispositif de l'article 151 octies, M. Y... a fait perdre une réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit pour la victime ;
grande part de son efficacité fiscale à l'acte puisque le bénéfice escompté n'a
pu se réaliser entièrement. Toutefois, M. X... n'aurait pu bénéficier de ce 2. ALORS QUE les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général,
dispositif sans prendre d'autres mesures relatives à son passif fiscal et aux de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé ; que pour écarter tout
immeubles, qui elles-mêmes auraient entraîné des conséquences préjudice résultant du paiement du redressement fiscal dont M. X... avait
défavorables sur le plan fiscal. Dès lors, le préjudice en lien de causalité fait l'objet en raison des manquements de Me Y..., l'arrêt a estimé que si
avec le défaut d'information et de conseil n'est pas le montant des droits l'opération s'était réalisée conformément aux exigences de l'article 151
d'enregistrement payés après redressement, mais seulement une perte de octies du code général des impôts, M. X... aurait supporté le montant de ses
chance de bénéficier d'une imposition réduite. Il convient de rechercher dettes fiscales figurant au passif de son entreprise individuelle qui avait été
dans quelle mesure M. X... aurait opté pour l'alternative la plus intéressante transféré à la société bénéficiaire de son apport et qu'il aurait payé l'impôt
fiscalement s'il avait été dûment informé des incidences fiscales des sur la plus-value sur éléments non amortissables, soit un montant supérieur
différentes options. Selon les hypothèses de calcul présentées par M. Y..., si au redressement qu'il avait acquitté ; qu'en statuant ainsi, après avoir
M. X... avait préféré renoncer à l'opération; il n'aurait pas constitué de constaté que le redressement fiscal subi par M. X... avait été motivé par le
SARL et aurait cédé son entreprise individuelle en 2004, en payant un fait que la reprise du passif personnel de celui-ci par la société bénéficiaire
impôt sur le revenu, un impôt sur les plus-values à long tenue et des de l'apport avait été effectuée à titre de rémunération partielle de son
contributions sociales, et enfin des droits d'enregistrement sur le fonds de apport, ce dont il résultait qu'en l'absence d'une telle reprise de dette, M.
commerce évalués à un montant total de 1 255 031 euros, M. X... ne X... aurait obtenu une contrepartie plus avantageuse de son apport dont la
produit aucun argument sérieux pour combattre cette évaluation dont il cour d'appel aurait dû tenir compte, celle-ci a violé les articles 1147 et
résulte que si M. X... avait pris cette option, il se serait trouvé dans une 1149 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de
situation économiquement bien plus défavorable que celle issue de la l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble le principe de la
réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit pour la victime. cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction
antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;
3. ALORS subsidiairement QU' à supposer même l'avocat n'aurait fait
perdre qu'une chance à son client, le préjudice subi aurait résulté de la 4. ALORS en toute hypothèse QU' est certain le dommage subi par une
perte d'une chance de renoncer au régime fiscal de faveur prévu par l'article personne par l'effet de la faute d'un professionnel du droit, en sorte qu'est
151 octies du code général des impôts ou d'opter pour ce régime en en indifférente la circonstance que la victime disposerait, contre un tiers, d'une
action consécutive à la situation dommageable née de cette faute et propre
respectant les conditions ; qu'en cas de renonciation à ce régime,
à assurer la réparation du préjudice ; que, dès lors, en affirmant que la
l'apporteur aurait pu percevoir le prix de son apport, cependant que si les
situation actuelle issue de la procédure de redressement fiscal qu'a dû subir
conditions d'application dudit régime fiscal avaient été respectées, à défaut
M. X... par la faute de Me Y... était plus favorable économiquement à
de pouvoir céder une dette personnelle à la société constituée, l'apporteur
l'intimé que si l'opération s'était réalisée en 1993 conformément aux
aurait pu accroître la valeur de son apport ; qu'en affirmant que M. X... exigences de l'article 151 octies du code général des impôts, quoique ce ne
n'avait perdu aucune chance de renoncer au régime, pas plus qu'il n'avait soit pas grâce à l'action de Me Y... mais en raison des procédures de
perdu une chance de choisir l'option fiscale la plus avantageuse, sans tenir contestation engagées par M. X... qui ont abouti à la prescription de l'impôt
compte du fait qu'en cas de renonciation au régime en cause, M. X... aurait sur le revenu réclamé par le fisc, quand cette circonstance devait rester
pu percevoir le prix de son apport, tandis que si les conditions d'application indifférente dans l'appréciation de ce préjudice, la cour d'appel a violé
de ce régime avaient été respectées, il aurait pu en accroître la valeur, la l'article 1147 du code civil.