Iste Edu20v4n1 Introduction
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RÉSUMÉ. L'éducation à la citoyenneté des enfants et des adolescents d’âge scolaire a surtout été abordée sous
l’angle des disciplines scolaires concevant les jeunes comme des citoyens «en devenir» appelés à maitriser des
savoirs avant d’exercer leur citoyenneté. De son côté, l’éducation à l’environnement, dans son virage vers le
développement durable, s’est parfois centré sur une conception individualiste des écogestes en laissant à distance
l’impératif d’une action citoyenne écologique collective et militante. Face à ces limites institutionnelles de l’éducation à
la citoyenneté, à l’environnement et au développement durable, cette introduction présente les grandes questions
posées par ce contexte et présente les articles rassemblés dans ce numéro spécial qui contribuent à éclairer les
horizons encore flous d’une éducation à une citoyenneté écologiste.
ABSTRACT. Citizenship education for school age children and adolescents has mostly been explored from a
disciplinary perspective, and based on the idea that youth are future citizens who must first acquire knowledge before
they can exercise their citizenship. For its part, environmental education inscribed within a sustainable development
framework has at times restricted itself to an individualistic, small acts perspective, thus distancing itself from the
imperative of collective and militant eco-citizenship action. This introduction aims to question the institutional limits to
citizenship and environmental education, as well as education for sustainable development, and to introduce papers
which propose ways to expand the still uncertain horizons of an ecologist citizenship education.
MOTS-CLÉS. Education au développement durable, Éducation à la citoyenneté, Postures épistémologiques,
Engagement, Adolescents.
KEYWORDS. Education for sustainable development, Citizenship education, Epistemological postures, Engagement,
Adolescents.
Edgar Morin (1968) soulignait que le concept de crise nous réfère à des «concentrés explosifs,
instables, riches de phénomènes involutifs-évolutifs qui, à un certain degré, deviennent
révolutionnaires» (p. 5). Si elle révèle ainsi «des réalités latentes et souterraines, invisibles en temps
dit normal» la crise exige, comme phénomène conflictuel, de reconnaitre la nécessité de changement
dans le rapport de l’humain à la vie sociale. Toute crise serait ainsi nécessairement ontologique et ne
pourrait se résorber sans conscience des dimensions de sa nature conflictuelle ni sans exercice de
pouvoir susceptible d’invoquer/provoquer un changement. Dans le cadre de la crise écologique, les
concepts de conscience et de pouvoir se déploient au regard du rapport que la personne, comme
membre d’une collectivité, entretient à l’égard des actions destructrices de cette collectivité envers
le monde naturel et social à la fois (Monnier, 2009). En a-t-elle conscience ? Se reconnait-elle
comme sujet agissant sur le monde ? Dispose-t-elle des possibilités d’exercer un pouvoir, des
savoirs requis pour le faire ? En d’autres mots, est-elle citoyenne qui prend part active à la résolution
des conflits qui marquent la crise écologique ?
Ce qu’ont notamment démontré les jeunes impliqués dans l’organisation et la réalisation des
grèves contre l’inaction étatique face aux enjeux climatiques, c’est qu’ils ont conscience de la crise
et de la menace existentielle qui lui est inhérente, et disposent de savoirs qui éclairent leur
conscience et leur rapport critique aux conflits de la crise, d’une part, et que d’autre part, l’exercice
de leur citoyenneté et l’action politique qu’elle implique ne saurait attendre qu’ils soient
formellement reconnus comme citoyens.
Ces jeunes citoyens en action sont-ils représentatifs de leur génération ? Comment les jeunes en
général perçoivent-ils leur citoyenneté, leur pouvoir dans le contexte de crise écologique que nous
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connaissons actuellement ? Qu’en est-il de propositions scolaires ? Facilitent-elles la conscience de
la crise écologique ? Les savoirs requis pour prendre position ? Le passage vers une citoyenneté
active et engagée pour confronter et résorber la crise ?
La citoyenneté des enfants et des adolescents d’âge scolaire a surtout été abordée par la recherche
sous l’angle de l’éducation à la citoyenneté. L’inclusion formelle de cette « éducation à » dans les
programmes scolaires a favorisé l’éclosion de recherches portant autant sur les cadres normatifs
d’une telle éducation que sur sa didactique et ses effets. Parmi les constats les plus récurrents sur les
formes que prend l’éducation à la citoyenneté en contexte scolaire des trois dernières décennies se
trouve la prépondérance de la transmission de «faits» au sujet des institutions, de simulation
d’action en leur sein et de la mise en suspens de la citoyenneté des enfants et des jeunes, conçus
comme citoyens «en devenir» appelés à maitriser les codes existants d’une citoyenneté future
envisagée selon des conventions figées, non problématisées. Or, cette attente imposée soulève la
question de la marginalisation politique « des personnes qui seront matériellement et
existentiellement menacées par les décisions et actions d’autres individus, compagnies ou États »
dans un avenir rapproché (O’Brien, Selboe et Hayward, 2018, p. 43). Les défis de la crise
écologique, soulignent O’Brien, Selboe et Hayward, impliqueraient conséquemment de dépasser la
question de la participation des jeunes dans la prise de décisions visant à résorber les conflits qui
composent la crise afin d’envisager « comment les jeunes peuvent contester les normes, pratiques
sociales, décisions et actions qui perpétuent le « business-as-usual » et ses impacts sur le monde
(ibid.). Corner et al. (2015) ainsi que Reis (2020) constatent toutefois que les jeunes ne considèrent
pas disposer du pouvoir pour participer à la prise de décisions concernant la crise écologique et que
les programmes scolaires, notamment, n’offrent que rarement les conditions d’un engagement
citoyen effectif des jeunes: le développement d’un rapport aux savoirs critique et la reconnaissance
de leur capacité à construire le savoir, l’examen critique et la prise de position face aux controverses
socioscientifiques et des structures de pouvoir qui les sous-tendent, le développement du pouvoir
d’action sociopolitique. Au-delà de transmettre des savoirs relatifs à la crise écologique et d’inciter
les jeunes à participer - plus tard, lorsqu’ils seront adultes - aux actions collectives pour y répondre,
notamment par le biais de simulations, Reis (2000) appelle à la formation de militants écologistes.
De son côté, l’éducation à l’environnement, dans son virage vers le développement durable, a
largement mis de l’avant la notion de citoyen participatif, alimentée par les injonctions des
organisations supranationales (comme l’ONU et l’UNESCO, entre autres). Ces dernières inciteraient
les citoyens à considérer les actions individuelles et locales comme la base d’un engagement
écologiste, tout en privilégiant également une éducation à la compréhension commune et à la
solidarité. La sensibilité écologique semble devenue dans la société quelque chose de partagé par
tous les mouvements politiques et sociaux, ce qui a contribué à refroidir cette question « chaude », à
diluer la remise en question du modèle productiviste et extractiviste qui la sous-tend. Bien que la
dimension praxique de l’éducation à l’environnement et au développement durable comporte des
potentialités d’action, une conception individualiste de l’écocitoyenneté peut masquer (i) les forces
structurales, économiques et politiques qui agissent de façon prépondérante dans la détérioration de
l’environnement et (ii) l’impératif d’une action citoyenne écologique collective et militante, voire
cosmopolite.
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Les articles rassemblés dans ce numéro spécial offrent certaines pistes de réponses à ces
questions et contribuent à éclairer les horizons encore flous d’une éducation à une citoyenneté
écologiste.
La seconde étude, présentée par Frédéric Torterat, Jean-Marc Lange et Agnieszka Jeziorski, se
penche sur les récits d’élèves français de 14 à 17 ans, en milieu urbain et semi-urbain jouxtant la
Seine, sur les enjeux de durabilité/ soutenabilité et leur propre vécu à l’égard des enjeux
environnementaux. Basés sur une analyse socio-discursive des entretiens, les résultats interrogent à
la fois le rapport que les jeunes entretiennent au territoire et à l’environnement immédiat, les thèmes
du développement durable, de la consommation et de la pollution, ainsi que leur sentiment
d’agentivité à l’égard de leur environnement. Ce travail montre l’hétérogénéité des discours des
jeunes loin d’un récit structuré qui aurait pu se construire dans un cadre scolaire.
La troisième étude présentée par Jean-Marc Lange et Angela Barthes visait à dégager les
déterminants de l’engagement des jeunes Français à l’égard des enjeux de durabilité/soutenabilité.
Les chercheurs proposent d’aborder les paramètres de l’engagement de l’élève «auteur» -
initialement pensé par Ardoino - par le biais d’un questionnaire interrogeant 12 variables qui leur
sont associées. L’analyse des données a permis de dégager cinq profils d’engagement des jeunes
relatifs aux enjeux de durabilité/soutenabilité et d’identifier la place que peuvent occuper les
inhibitions épistémiques et sociales, ainsi que les dimensions éthiques de la conviction ou de la
responsabilité dans l’engagement à l’égard de la crise écologique.
La quatrième étude d'Olivier Morin, Angela Barthes et Jean-Marc Lange explore pour sa part les
enjeux sociocognitifs de l’engagement, visant à « préciser les caractéristiques sociologiques et
territoriales, mais aussi cognitives relevant des profils de l’engagement de ces jeunes ». Le travail
repose sur le croisement entre la typologie de l’engagement des jeunes en milieu scolaire, le rapport
aux savoirs et au territoire et les caractéristiques des raisonnements socio scientifiques mis en œuvre
à propos des enjeux de durabilité de leur territoire. Les résultats obtenus conduisent les auteures à
proposer un modèle des dynamiques d’engagement permettant d’envisager des stratégies socio-
didactiques contextualisées plus efficientes pour aborder l’éducation aux questions
environnementales et de développement.
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Le cinquième article de Marco Barroca-Paccard propose un nouveau modèle pour une éducation
à l’environnement et à un développement durable basé sur la construction et le travail de problèmes
dans le cadre de la problématisation des savoirs. Ce modèle repose sur les liens entre données du
registre empirique, valeur intrinsèque et actions (au sens de réponses envisagées face à un problème
à l’étude). Un exemple basé sur la préservation de la biodiversité réalisé dans une classe de
secondaire en France permet de montrer l’intérêt potentiel du modèle.
Les articles présentés dans ce numéro susciteront l’attention autant des chercheurs préoccupés par
les enjeux de citoyenneté en général que ceux qui s’intéressent à l’éducation au développement
durable et à l’écocitoyenneté. Les résultats de recherches proposent par ailleurs des modèles et
concepts féconds, à partir desquels d’autres recherches pourront se formuler. En cette période de
crise systémique, il est souhaité que ce numéro puisse contribuer à la réflexion sur l’engagement et
la mobilisation des jeunes comme levier d’actions collectives porteuses de solutions.
Références
Corner, A., Roberts, O., Chiari, S., Völler, S., Mayrhuber, E. S., Mandl, S. et Monson, K. (2015). How do young
people engage with climate change? The role of knowledge, values, message framing, and trusted communicators.
WIREs Climate Change, 6, 523-534. doi:10.1002/wcc.353
Monnier, C. (2009). Crise écologique, crise ontologique: Les représentations de la nature et de l'Homme du point de
vue de l'insconscient. Le sociographe, 29(2), 41-46.
Morin, E. (1968). Pour une sociologie de la crise. Communications, 12, 2-16.
O'Brien, K., Selboe, E. et Hayward, B. M.(2018). Exploring Youth Activism on Climate Change: Dutiful, Disruptive,
and Dangerous Dissent. Ecology and Society, 23(3). doi: 10.5751/ES-10287-230342
Reis, P. (2020). Environmental Citizenship and Youth Activism. In Hadjichambis A. et al. (eds) Conceptualizing
Environmental Citizenship for 21st Century Education. Environmental Discourses in Science Education, vol 4.
Springer, Cham. https://doi.org/10.1007/978-3-030-20249-1_9
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