L'échec Scolaire
L'échec Scolaire
L'échec Scolaire
My t héea l i t é s
et r
L’échec
scolaire
Jean Ravestein, Caroline Ladage
et Caroline Hache
Cet ouvrage suit l’orthographe recommandée par les rectifications de 1990
et les programmes scolaires. Voir le site http ://www.orthographe-recommandee.info
et son mini-guide d’information.
© Éditions Retz, 2021
ISBN : 978-2-7256-4028-0
sommaire
5 Introduction
170 Conclusion
172 Résumés
177 Références
Introduction
L’échec scolaire est une notion essentiellement relative. Si elle
qualifie généralement des élèves qui ne se conforment pas aux
attendus de l’école en termes de performances à différents
stades du parcours scolaire, l’attribution et le ressenti de l’échec
dépendent de l’objectif visé : l’élève qui réussit un CAP de char-
pentier « marine » pour continuer de faire prospérer l’entreprise
familiale de construction navale n’est pas en échec, mais s’il
voulait réussir un bac général et poursuivre à l’université, il
l’est. La satisfaction ou la frustration sont donc le plus souvent
dépendantes du projet de chacun. Toutefois, le système éducatif
présente en miroir de l’échec ce qui, de son point de vue, est
la réussite scolaire idéale. Cela fait ressentir à beaucoup le fait
de ne pas atteindre ces canons élevés comme un échec : ne
pas avoir le bac, ne pas être admis en « prépa », ne pas réussir
Polytechnique, etc.
Existe-t-il quand même des « échecs absolus » ?
Peut-être ceux qui sortent du système éducatif sans aucun
diplôme ni qualification, ou ceux qui, dès leur plus jeune âge,
n’arrivent pas à apprendre à lire et compter et sont orientés dans
des structures parallèles (instituts spécialisés, classes d’inclusion
scolaire). Pour tous les autres, le système va baliser le parcours
de repères pour attribuer réussite ou échec avec l’équité comme
principe de base. Au niveau micro, les contrôles avec leurs notes ;
au niveau macro, les examens et concours.
Un problème apparait : le système est sélectif.
En théorie, les énoncés du bac étant identiques sur le territoire,
tous les élèves seraient logés à la même enseigne pour y répondre
avec succès. Cela ne résiste pas à l’analyse : regardons les résul-
tats « bruts » des lycées au bac, cela suffit à convaincre que
réussite ou échec ne sont pas seulement corrélés aux capacités
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singulières des élèves, à leur motivation, à leurs efforts. Certains
lycées sont dans une logique d’apartheid, bafouant la carte sco-
laire, excluant les moins performants et les « mauvaises têtes » :
100 % de réussite au bac avec 96 % de mentions en moyenne,
comme aux lycées Stanislas, Henri-IV, Louis-le-Grand, à Paris,
est-ce un hasard1 ?
On dirait que le système s’organise pour favoriser la réussite de
certains et l’échec des autres, tout en leur donnant une chance théo-
rique de réussir de même, ce qui garantit une certaine paix sociale.
Depuis les années 1960, toutes les recherches sur la destinée
scolaire et les variables qui l’impactent convergent vers l’idée
que réussite ou échec sont les fruits de multiples facteurs le plus
souvent indépendants des désirs, des espoirs, des projets et des
qualités intrinsèques des élèves. Nous allons les passer en revue.
Nous situerons d’abord le problème de l’échec scolaire dans
l’histoire de l’éducation et montrerons que l’école contempo-
raine fait bien mieux que par le passé. Nous présenterons les
analyses tant quantitatives que qualitatives sur plus d’un siècle
qui le confirment ; par exemple que la proportion d’une classe
d’âge qui sait lire, écrire et compter n’a cessé d’augmenter depuis
la création de l’école obligatoire. Certes, de trop nombreux
jeunes sortent encore du système éducatif sans aucun diplôme,
mais rappelons qu’avant-guerre seulement 50 % des élèves
réussissaient le certificat d’études (10 % seulement entraient
en sixième), et que les autres partaient travailler directement.
Mais ils n’avaient pas forcément l’impression d’être en échec : il
y avait du travail pour tous.
Nous examinerons ensuite des causes qui proviendraient des
caractéristiques cognitives des élèves eux-mêmes et nous
mettrons en évidence que, mis à part les élèves porteurs de
handicaps sérieusement établis par des examens médicaux
(déficience intellectuelle, « dys » divers, précocité, etc.), les
1. Source : https://www.education.gouv.fr/cid3014/les-indicateurs-de-resultats-des-lycees.html
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élèves partent à peu près tous du même niveau de pure matu-
ration intellectuelle en entrant en maternelle à 3 ans. Ainsi, nous
réfuterons les hypothèses de dons hérités génétiquement qui
sont aujourd’hui écartées par la communauté scientifique. Les
facteurs qui éloignent certains des trajectoires scolaires idéales
sont acquis, hérités culturellement, de même pour ceux qui
réussissent.
Nous poursuivrons en nous intéressant à « l’effet maitre » en
tentant de répondre à la question : le bon prof, le mauvais prof,
est-ce que ça existe ? Nous mettrons en évidence que la mesure
de l’efficacité des enseignants « toutes choses égales par ail-
leurs » sur un ensemble d’élèves et le long de leur carrière est
hors de portée des méthodes de recherches à ce jour.
À peine émergent quelques constantes très générales sur ce qu’il
ne faut pas faire ; il n’y a pas de recette secrète et/ou miracle
pour bien enseigner.
Nous porterons notre attention également sur « l’effet établisse-
ment » et nous verrons que la recherche a le plus grand mal à le
mettre en évidence, même si le leadership du chef d’établisse-
ment semble jouer un rôle quand il s’agit de créer un « climat »
favorable aux apprentissages. On pointera également que le seul
critère « efficacité » en termes de mesure uniforme des résultats
aux examens ou aux orientations est inadapté pour évaluer
l’établissement dans son ensemble. Nous montrerons que, pour
que la qualité soit mieux répartie entre les établissements, déjà
au niveau des moyens de fonctionnement, du bâti, ainsi que du
budget par élève, il faudrait une politique volontariste en faveur
des moins bien dotés et une remise à plat du système de recrute-
ment, des élèves et des professeurs. Des décisions courageuses
venant « d’en haut » froisseraient certes un peu les élites, mais
seraient certainement efficaces pour égaliser les chances, et les
plus inquiets auront toujours le privé… Sauf si on lui applique les
mêmes règles, et là, le courage politique risque de manquer, on
se souvient du renoncement de l’État après la manifestation de
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masse du 24 juin 1984 contre la loi Savary visant à intégrer en
France les écoles privées à un « grand service public ».
Nous interrogerons aussi les effets de genre sur les trajectoires
scolaires. On verra que les résultats scolaires des filles sont glo-
balement plutôt meilleurs que ceux des garçons et que cela leur
permet d’envisager aujourd’hui, plus qu’hier, des carrières réus-
sies dans presque tous les domaines, bien que des résistances
persistent dans certains cursus. Mais des disciplines autrefois
presque exclusivement masculines sont désormais investies par
les femmes, comme la médecine ou le droit, où elles deviennent
majoritaires bien qu’elles déclarent encore devoir « en faire
plus » que leurs homologues masculins pour être considérées
légitimes à leur poste.
Nous regarderons ensuite les facteurs de réussite ou d’échec
attribuables à la géographie en examinant le cas des enfants
résidant dans les zones éloignées des métropoles. On montrera
que le déterminisme géographique limite l’avenir et l’ambition
des jeunes ruraux en dehors de leurs territoires alors même que
leurs résultats académiques sont tout à fait dans la moyenne
nationale.
Nous ne passerons pas sous silence l’importance du milieu
familial dans le cursus des élèves. Ainsi, on verra que les élèves
« défavorisés » ne le sont pas à cause de capacités plus faibles
à la base, ils naissent aussi « intelligents » ; mais, moins stimulés
dans des tâches qui ont à voir avec les canons scolaires, moins
soutenus et contrôlés, accompagnés moins efficacement, peu
encouragés, ils décrochent progressivement et les efforts
qu’ils fournissent finissent par ne plus faire sens pour eux. On
argumentera que faire le pari du « tous capables » peut être vu
comme une utopie, mais que c’est la seule manière d’avancer
résolument vers l’égalité des chances à l’école.
Qui peut penser que l’État n’a pas sa part de responsabilité dans
la réussite ou l’échec de certains élèves ? Aussi, nous étudierons
des variables en jeu dont on connait l’impact sur la réussite.
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Telle ou telle politique éducative produira des effets contrastés.
Les effectifs des classes, choix des programmes, des rythmes,
l’application élastique de la carte scolaire, les modalités d’éva-
luation et d’orientation… Autant d’aspects que nous exposerons.
La politique des Réseaux d’Éducation Prioritaires a tenté de
réduire les inégalités entre territoires et milieux de vie. A-t-elle
répondu aux attentes ? Les moyens attribués ont-ils contribué
à réduire la fracture scolaire ? A-t-on vraiment « donné plus à
ceux qui ont moins » ? Nous verrons qu’il n’y a là rien d’évident.
Enfin, l’usage des outils numériques apporte-t-il une plus-value
dans certaines configurations pédagogiques ? Certainement pas
si certaines conditions ne sont pas réunies. Nous pointerons
que le piège de certains artefacts informatiques en éducation,
c’est que l’on pense que leur usage est sans malice à cause de
la facilité déconcertante de leur interface. Ainsi, ils souffrent
d’un déficit de didactisation, et s’ensuit une utilisation parfois
anarchique et souvent peu productrice d’apprentissage… à moins
qu’on organise de vraies formations, pour les élèves comme
pour les professeurs.
Le but poursuivi dans cet ouvrage est simple : examiner les
causes d’échec ou de réussite scolaire habituellement évoquées
dans la société, les remettre à leur place grâce aux résultats
des travaux de la recherche scientifique2, et tenter d’évaluer
leur importance relative afin d’indiquer des pistes prioritaires
pour tendre vers la fameuse « égalité des chances », le projet
de l’école républicaine.
2. Nous nous fonderons souvent dans notre travail sur les résultats d’une enquête de 2017 que
nous avons menée auprès de plus de 8 400 enseignants sur tout le territoire national (de la
maternelle au lycée ; questionnaire de 100 items ; 1 500 pages de verbatim) concernant leur
évaluation des causes de l’échec scolaire : elle apparaitra sous le sigle ECESE dans le texte pour
Enquête sur les Causes de l’Échec Scolaire par les Enseignants.
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Étudier en ville,
la clé
de la réussite ?
L’école garantit-elle les mêmes chances de réussite de ses ambitions
pour un élève qui est scolarisé dans un village isolé de montagne ou
dans le centre-ville de la capitale ? En principe, cela devrait être le
cas. En France, le principe est vieux comme l’école de la République
qui fonctionne ici comme une fiction, presque une mythologie, issue
de la révolution de 1789, et c’est une fiction d’« isotomie » (Caro,
2018) : la puissance publique s’exerce de manière équivalente en
tout point du territoire. Pour l’école, on commence dès 1794 à tenter
d’« anéantir les patois » (Grégoire, 1794) qui se mettent en travers
de la bonne diffusion des savoirs universels.
L’œuvre a été poursuivie par les lois Guizot (1833), Duruy (1867),
Ferry (1882) qui ont acté une sorte d’égalité formelle entre ter-
ritoires pour l’accès à l’école et à des savoirs uniformes ; elles
sont complétées en 1933 par la gratuité des collèges et lycées
et couronnées par la carte scolaire en 1963. Enfin, en 2015, la
dotation des moyens alloués en primaire prend en compte des
critères spatiaux et plus seulement démographiques.
On remarquera que l’établissement d’une égalité formelle a pris
tout de même presque deux cents ans. Elle n’est semble-t-il que
formelle, car, comme le montre le rapport Blanchard-Schneider et
al. (2018), c’est dans certains territoires « où se situent en partie
les plus forts cumuls de risques sociaux d’échec scolaire et de
décrochage ». Comme pour le rôle de la famille, nous ne vien-
drons pas sur le terrain des inégalités de traitement des élèves
entre quartiers des métropoles ni sur les problématiques des REP
(traitées dans cette même collection : Rayou et al., 2019). En effet,
si on considère la notion de « territoire » de manière générale,
on sait qu’à statuts sociaux et culturels comparables, les élèves
ont des chances très inégales d’apprendre correctement et de
voir leurs études prolongées ou interrompues plus tôt selon
l’endroit où ils sont scolarisés (Ben Ayed, Broccolichi & Trancart,
2013) ; on peut même en dresser une carte détaillée et nuancée
qui rompt avec la dichotomie classique urbain versus rural et qui
inclut les problématiques des DOM : L’Atlas des risques sociaux
d’échec scolaire (Minassian et al., 2016).
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Le mythe : les élèves ruraux
sont désavantagés
À première vue, il existe bel et bien des inégalités proprement
liées aux territoires ruraux qui peuvent avoir un effet indirect sur
les parcours scolaires, ce sont celles qui réfèrent à « l’accès à » ;
les géographes parlent de « justice spatiale » (Brennetot, 2011). Il
existe sans nul doute ce que Bourdieu (1993) appelle « un effet
de lieu » : on est loin des musées, des bibliothèques, cinémas,
théâtres, librairies, salles de concert, conservatoires, écoles de
beaux-arts, structures sportives d’envergure, etc. Toutes choses
qui participent de près ou de loin à l’acculturation et peuvent
bénéficier au parcours scolaire. Soit, mais a contrario, les classes,
surtout en primaire, sont de moins en moins chargées dès qu’on
s’éloigne des centres urbains, ce qui peut être vu comme un
avantage (Observatoire des Territoires – OT –, 2017). De plus,
l’écart entre les élèves issus de milieux favorisés et défavorisés
est bien moindre en ruralité : on rencontre une certaine homo-
généité qui fait communauté. C’est à la fin du collège et du lycée
qu’on note une importante disparité de l’offre d’orientation
locale des élèves, qui sont contraints de s’éloigner de leur lieu
de vie et migrer vers des bassins urbains selon leurs ambitions
(à l’exception de l’enseignement agricole).
Vu que les élèves ruraux, objectivement, se dirigent plus fré-
quemment vers des études courtes et professionnelles (Arrighi,
2004), on accrédite qu’ils ont un handicap socioculturel parti-
culier : au fond, les « ruraux » sont contents de le rester afin de
ne pas s’éloigner de leur territoire qu’ils aiment tant, donc ne
forment pas des projets qui pourraient les en éloigner. Les ultra
urbains, surtout parisiens, ont toujours montré une certaine
condescendance vis-à-vis des ruraux, le mythe du « pauvre
paysan », aussi bien économiquement que culturellement, voire
intellectuellement, est encore vivace (on se souvient du « crétin
des Alpes », disparu aujourd’hui). Qu’en est-il dans la réalité ?
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Un mythe très fragile
pour la recherche
Un premier chiffre pour poser le débat : si on calcule d’après
une encyclopédie, vingt-neuf des soixante-quatre prix Nobel
français (toutes disciplines) sont issus de territoires ruraux (hors
Paris et métropoles régionales), autant dire qu’il n’y a pas de
fatalité négative pour briller dans les études lorsqu’on vient de
la campagne. Ceci posé, comment les chercheurs définissent-ils
ce qu’est une école rurale ? À partir des successifs découpages
effectués par l’INRA-INSEE depuis 2000, il y a consensus autour
de la segmentation suivante (Alpe & Fauguet, 2006) :
− le rural sous faible influence urbaine (8 359 communes, dont
20 % des actifs vont travailler dans les villes) ;
− les pôles ruraux (337 communes offrant jusqu’à 5 000 emplois
avec plus d’emplois que d’actifs résidents) ;
− la périphérie des pôles ruraux (2 925 communes, dont au moins
20 % des actifs vont travailler dans les pôles ruraux) ;
− le rural isolé (10790 communes).
Une école sera dite rurale si elle appartient à l’une des quatre
catégories ci-dessus.
Le système éducatif en milieu rural ne cesse de voir ses effectifs
baisser, mais conserve un poids non négligeable : plus du cin-
quième des élèves du primaire et un peu moins du cinquième des
collégiens, et 600000 d’entre eux sont situés en « rural isolé ».
Ces effectifs tout de même considérables n’ont pas échappé
à la sagacité des services du Ministère qui produit depuis
1963 (Girard, Bastide & Pourcher, 1963) des études et rapports
(Mauger, 1992 ; Lebossé, 1998 ; Duhamel et al., 2003). Comme
souvent, ces rapports sont guidés par un souci de « rentabili-
sation » du système, poussant aux fermetures, regroupements,
mutualisations, alors même qu’ils ne mettent pas en évidence
de moindres performances des élèves, en particulier pour les
classes uniques. Ces rapports officiels jetaient plus ou moins
le discrédit sur la scolarisation en milieu rural, on parlait d’un
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« déficit culturel » dû à l’isolement. Ils ont souvent préconisé
des mesures en termes de « compensation ». Nous verrons en
exemple plus loin que les travaux indépendants de l’Observa-
toire de l’École Rurale vont remettre les choses à leur juste place.
Alors, qu’en est-il des performances brutes des élèves ruraux,
maintenant que nous disposons d’outils d’évaluation nationaux
standardisés ?
Si on prend le cas de la maitrise de la langue à l’entrée en sixième
et qu’on croise avec la mesure des inégalités (différence entre les
20 % d’élèves les plus favorisés et les 20 % les moins favorisés),
on constate qu’on est très loin de produire des élèves plus faibles
en ruralité et que, en plus, les résultats sont bien plus homogènes
(Œuvrard, 2003). Certes, c’est dans les grands bassins métropoli-
tains que l’on rencontre davantage de très bons élèves, mais aussi
beaucoup plus de très faibles dans les banlieues. Globalement,
être scolarisé à la campagne n’est pas source d’un désavantage
objectif jusqu’à l’université (OT, 2017). On note également que la
moyenne d’âge des enseignants est plus élevée à la campagne et
le turn-over moins important que dans les banlieues : expérience
et stabilité du corps enseignant, probablement un atout pour les
ruraux (Blanchard-Schneider et al., 2018).
C’est une explication possible au fait que l’école rurale fournit
une excellente performance si on considère que la structure des
origines sociales (en particulier le niveau de diplôme des parents
et leur capital économique) serait prédictive d’une moindre per-
formance des enfants. En effet au niveau des progressions, 5 %
sont en avance, 70 % à l’heure et 25 % en retard en fin de troi-
sième, ce qui est similaire à ce qu’on observe en milieu urbain. De
plus, les enfants d’ouvriers ruraux sont plus nombreux à rentrer
en sixième sans retard (Davaillon, 1998). En zone de montagne,
on trouve même des résultats au collège légèrement à l’avantage
des élèves de territoires difficiles d’accès (Alpe, 2001, 2006).
Que se passe-t-il alors au moment des choix d’orientation des
ruraux qui les éloignent des grandes écoles et des universités ?
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Les chercheurs ont constaté que les élèves ruraux ont tendance
à minorer leurs capacités et performances lorsqu’on les interroge
sur leur niveau scolaire (Alpe & Barthes, 2014). Est-ce l’expression
d’une modestie relative, ou d’un véritable complexe de paysan ?
Cela se traduit par une réduction de leurs ambitions au cours de
leur scolarité : entre la sixième et la troisième, le pourcentage de
ceux qui envisageaient des études supérieures chute de moitié.
Ce qui est vraiment frappant, c’est que le pragmatisme aug-
mente avec le temps : alors qu’en 2004 les élèves distinguaient
très nettement les métiers « rêvés » et « réalistes » (pour eux),
en 2012, les mêmes ne rêvent plus, ils se projettent dans des
activités « possibles » (artisans, employés) alors même que leurs
performances scolaires sont satisfaisantes (Alpe & Barthes, 2014).
La visibilité locale d’un avenir professionnel sûr prend le pas
sur des ambitions à la réalisation perçue incertaine. Ainsi, on
note que les conseils de classe ont davantage d’ambition pour
l’orientation des élèves en seconde générale que les familles
elles-mêmes, qui sont satisfaites de l’entrée de leurs enfants en
formation courte, pratique et proche (Davaillon, 1998). Ceci est
surtout vrai pour les garçons, les filles sont davantage invitées à
« migrer » pour entrer dans des études générales et supérieures
(phénomène observé par Detang-Dessendre & Perrier-Cornet,
1996), mais, à l’instar des urbaines, davantage vers les formations
du tertiaire (Blanc & Lagriffoul, 1996). L’explication est simple :
le marché du travail en ruralité est très défavorable aux filles
(Arrighi, 2014), elles tentent donc leur chance ailleurs.
Les enquêtes révèlent qu’une bonne partie du phénomène de
manque d’ambition pourrait provenir davantage du fait que le
milieu rural a plus d’influence sur les pratiques scolaires que sur
les pratiques familiales ; donc, l’école peine à réduire les inégalités
en compensant certains déficits familiaux en termes de pratiques
culturelles précoces (Tavan, 2003). Bien que la ruralité présente
les spécificités énoncées plus haut, à la campagne aussi le facteur
qui pèse le plus lourd dans l’inégalité des chances reste l’origine
socioculturelle de l’élève (Alpe & Barthes, 2014).
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Les recherches de l’Observatoire
de l’École Rurale (OER)
Les équipes de l’OER ont suivi longitudinalement des cohortes
d’élèves appartenant aux différents milieux ruraux répertoriés
par l’INSEE et l’INRA sur six départements, et les ont questionnés
à quatre reprises pendant six ans (de 1999 à 2005). Familles et
équipes pédagogiques ont été aussi interrogées. L’OER a ainsi
pu disposer de photographies successives de la situation sco-
laire des élèves à travers des indicateurs objectifs, mais aussi
de l’évolution de leurs représentations. Le suivi individuel a été
complété par la situation scolaire à la rentrée 2007. Les enquêtes
réalisées ont permis de constituer une base de données origi-
nale contenant plus de 12 000 questionnaires portant sur plus
d’un million d’items. Ces données ont été largement analysées
à travers bilans, tris multiples et analyses factorielles des cor-
respondances (Alpe, Champollion & Poirey, 2005).
Aux évaluations nationales en sixième, au collège – toutes
choses égales par ailleurs y compris les professions et catégo-
ries socioprofessionnelles (PCS) des parents –, les résultats des
élèves ruraux isolés et montagnards sont légèrement supérieurs
aux résultats moyens obtenus dans l’espace à dominante rurale
et aussi aux moyennes nationales. Plus on se rapproche des
territoires réputés isolés, et meilleurs sont les résultats. De plus,
il n’y a pas au collège d’érosion des bons résultats scolaires
obtenus avant.
En revanche, souhaits, projets, intentions, vœux et décisions
d’orientation en zone de montagne et, plus généralement, dans
le rural isolé ne correspondent pas du tout aux effets attendus
des bons résultats scolaires obtenus. Les taux moyens des
souhaits d’entrée en seconde générale et technologique dans
les différentes ruralités restent tous très en retrait des taux
nationaux comparables : la « décote » va de -6 points (Davaillon
& Oeuvrard, 1998) à -12 points (Caille, 2005). Cette moindre
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aspiration à effectuer des études longues s’accentue encore
chez les parents (-9 points). On constate donc bel et bien une
sorte d’« autocensure » dans ces populations.
Au niveau d’un supposé « déficit culturel », la première consta-
tation est que les loisirs familiaux diffèrent peu selon le type de
milieu, ce qui tendrait à montrer que l’isolement et l’éloignement
ne sont pas des facteurs vraiment décisifs dans les pratiques
culturelles familiales.
Deuxième constat : dans le rural isolé, les loisirs pris seuls ou
avec des copains sont dans l’ensemble un peu mieux représen-
tés. Ceci semble correspondre à des idées souvent exprimées
par les habitants de ce milieu : vie facile pour les élèves (moins
de « dangers »…), plus grande place de l’initiative laissée aux
enfants, « autonomie » des élèves, etc.
Les équipes de l’OER ont également mesuré le rôle « compen-
sateur » de l’école face aux différences d’origine sociale, ce qui
constitue un des éléments fondateurs du « mythe républicain »
de l’école.
En milieu rural, loin des grandes ressources culturelles, ce rôle
devrait être privilégié, puisque la « compensation » est sans
doute plus nécessaire qu’en ville sur un certain nombre de points.
Par exemple, l’école joue un rôle important pour la fréquenta-
tion du théâtre : il y a environ 10 points d’écart entre pratiques
scolaires et pratiques familiales dans les trois types de milieux
ruraux étudiés. Toutefois, les pratiques culturelles avec l’école
sont plutôt plus faibles dans le rural isolé qu’ailleurs : l’école
rurale isolée est dans ce domaine victime… de son isolement !
Cette constatation est à rapprocher de celle faite pour les
familles, qui va en sens inverse : le rural isolé n’est pas défavo-
risé en ce qui concerne les pratiques culturelles familiales. Il y a
donc là un problème qui est lié aux ressources des écoles, aux
pratiques des enseignants et plus généralement aux stratégies
scolaires d’« ouverture » adoptées par les écoles.
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Les travaux de l’EOR ont permis de bien relativiser – voire de
mettre un terme – à la stigmatisation de l’école rurale que la suc-
cession des rapports ministériels laissait insidieusement supposer.
Notons que ce type d’étude, s’il donne à voir le positionnement
des élèves des écoles rurales par rapport à la scolarité à un niveau
national, ne donne pas de chiffres qui permettraient d’analyser
de manière plus frontale le phénomène de l’échec scolaire qui
serait déterminé par la scolarité en milieu rural.
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conclusion et pistes d’actions
Même si la présence d’élèves ruraux au sommet de la méritocratie
scolaire est anecdotique, ils n’échouent pas plus que d’autres au
sens strict, car ils finissent par coller plus que d’autres in fine à
leur projet de vie, bien intégré au contexte de leur petite com-
munauté qui propose, plus qu’en ville, un réseautage social serré
pourvoyeur d’emploi, de logement, etc. L’employabilité très bonne
des élèves sortis des filières agricoles en atteste de manière évi-
dente (Gaborieau & Peltier, 2016). Il ne fait aucun doute que le
désenclavement virtuel par le réseau Internet participe beaucoup
au sentiment qu’il est possible de rester au terroir tout en étudiant.
Cette nouvelle modernité permet une meilleure lecture de l’espace
social de l’action, déjà bien supérieur dans les petites commu-
nautés où les liens sont forts. Les jeunes ruraux ont désormais
les mêmes références culturelles que leurs homologues urbains.
L’influence du milieu rural, en dehors de la réussite scolaire et
de l’orientation, se fait également jour à d’autres niveaux : sur
le plan de l’organisation scolaire (développement des classes à
plusieurs cours, par exemple, ou regroupements pédagogiques
intercommunaux dispersés), sur les projets d’établissement
(adaptation au local), dans les pratiques pédagogiques (pos-
ture accompagnatrice de l’enseignant, tutorat des « petits » par
les « grands », on se rappelle du film Être et avoir, etc.), dans
les approches didactiques (« didactisation » du territoire envi-
ronnant), dans l’insertion forte de l’école ou de l’établissement
dans son environnement proche socioculturel (travail avec les
associations, etc.) et tutélaire (mairie, conseil général, conseil
régional), dans la mise en œuvre de stratégies de rupture de
l’isolement grâce à l’Internet et, bien sûr, dans la construction
de l’offre de formation professionnelle (à partir de la recension
des « besoins » locaux et régionaux, Champollion, 2008).
Aujourd’hui, la ruralité revient en grâce à l’occasion de l’engoue-
ment écologique et les jeunes ruraux expriment leurs choix en
termes de « partir-revenir ».
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