COURS DE DROIT FONCIER 2023-2024 UFR (2) - Copie
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1
SOMMAIRE
INTRODUCTION……………………………………………………………………………………. 6
2
Paragraphe 1/ Les structures étatiques…………………...……………………………………41
Paragraphe 2/ Le cadastre…………………………………………………………………………49
3
SECTION 2/ LES AUTRES LOCATIONS FONCIERES………………………………………...82
4
SECTION 2/ LES PERSONNES SUCCESSIBLES……………………………………………109
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE……………………………………………………………………113
5
INTRODUCTION
La terre revêt une importance primordiale dans la société ivoirienne. Non seulement
elle est le support de la production agricole, mais aussi, elle constitue le socle sur
lequel sont construits les habitats de même que les ouvrages et édifices publics ou
privés. De ce fait, elle est convoitée par une multitude d’acteurs (populations,
agriculteurs, Etat, Collectivités territoriales, promoteurs immobiliers, etc.) dont les
logiques et stratégies d’accès à la ressource foncière ne sont pas toujours conformes
à la réglementation en vigueur. D’où une insécurité foncière et des conflits plus ou
moins graves aussi bien en milieu rural qu’en milieu urbain. En vue de préserver la
paix et la cohésion sociale nécessaires à un développement durable, l’Etat à la suite
de l’Administration coloniale, n’a eu de cesse de réglementer l’accès à la terre de
même que les modalités de gestion de celle-ci.
De ce qui précède, il résulte que le droit foncier peut être défini comme « l’ensemble
des dispositions législatives et réglementaires relatives à l’accès à la terre et à sa
gestion ». En Côte d’Ivoire comme dans la plupart des Etats africains, ces
dispositions sont le reflet d’une longue évolution marquée d’une part, par
l’hégémonie du droit étatique ou moderne, d’autre part, par la résistance des tenures
foncières coutumières. En fait, de l’époque coloniale à nos jours, les efforts de prise
en compte des tenures foncières coutumières dans l’ordre juridique étatique, tardent
à produire les effets escomptés. Pour mieux appréhender les difficultés et les enjeux
inhérents à la problématique foncière, il s’avère nécessaire de rappeler les
caractéristiques essentielles des tenures foncières coutumières ou droit foncier
coutumier.
1- Les tenures foncières coutumières- Dans la société traditionnelle africaine, la
terre n’est pas seulement le support de la production et de la reproduction, mais
aussi le point de rencontre du visible et de l’invisible 1. En réalité, ce n’est pas la terre
qui appartient à l’homme ; mais c’est l’homme qui appartient à la terre2. Le même
constat avait fait dire à A.ROBERT que la terre en Afrique noire, n’appartient à
personne parce qu’elle s’appartient à elle-même3.Mieux, la terre est considérée
comme une déesse à qui l’homme doit respect et soumission. Ce contexte socio-
cosmogonique dont les valeurs sont aux antipodes de celles véhiculées par la
civilisation occidentale confère à la propriété foncière coutumière des traits
particuliers.4Ceux-ci se rapportent essentiellement au caractère collectif, inaliénable
et imprescriptible de la propriété foncière coutumière.
En ce qui concerne le caractère « collectif », il convient de relever que la terre dans
la société traditionnelle est la propriété collective des premiers occupants et de leurs
descendants. Elle est gérée par les chefs traditionnels compétents (chefs de terre
et/ou de village, chefs de lignage, Roi, etc.), conformément aux tenures foncières
coutumières. Pour éviter les conflits d’occupation, des limites ont été établies ou
1
Emile LEBRIS, Etienne LEROY, Paul MATHIEU ; l’appropriation de la terre en Afrique Noire,
KARTHALA, p 31.
2
R VERDIER., « Civilisations paysannes et traditions juridiques », pp 5-27, in Systèmes fonciers à la
ville et au village : Afrique noire francophone, Paris, l’HARMATAN, 1986.
3
A ROBERT, attitude du législateur français en face du droit coutumier d’Afrique noire, RJPUF p 751.
4
G.A KOUASSIGAN ; l’homme et la terre, droits fonciers coutumiers et droit de propriété en Afrique
noire, ORSTOM Berger-Levrault 1966 ; p 40 et s ; Elias O ; la nature du droit coutumier africain ;
présence africaine 1961, p 294 et s. M. BACHELET ; systèmes fonciers et réformes agraires en
Afrique noire Paris LGDJ 1968 ; E. LEROY ; caractères des droits fonciers coutumiers, in ENCY.
JURID. de l’Afrique, T 5, les biens p 39.
6
convenues entre les différentes entités sociales du groupe primitif (familles, lignages,
villages, tribus, etc.). Au regard de cette organisation ou répartition de l’espace,
l’individu jouit d’un droit d’usage lui permettant d’exploiter une parcelle de terre pour
subvenir aux besoins de sa famille. En revanche, tout étranger ou sujet extérieur au
groupe primitif ne peut jouir d’un droit d’exploitation que suite à une autorisation de
l’autorité coutumière compétente. Cette autorisation est délivrée à l’issue d’un rituel
propitiatoire (sacrifices et offrandes) ayant pour but de solliciter des mânes tutélaires
de la terre, l’installation du nouveau venu. Si donc des droits d’usage individuels
peuvent être accordés aux ayants-droit issus ou non du groupe primitif, la propriété
demeure d’essence collective. Ce qui a fait dire à Elias OLOWALE qu’en Afrique,
« la terre appartient à une grande famille dont beaucoup de membres sont morts,
quelques-uns vivants, et dont le plus grand nombre est à naître5 ».
En ce qui concerne le caractère inaliénable de la terre, il implique que la terre ne
peut être vendue ou cédée à titre onéreux. D’ailleurs, la terre étant considérée
comme une divinité, comment pourrait-on la vendre ? Suivant l’ordre social négro-
africain6, vendre la terre, c’est renier ses ancêtres et se priver de leur protection et
donc de la prospérité. Si les oiseaux ont des nids, les rats des tanières, l’homme doit
avoir une terre avec laquelle il entretient une relation sacrée et ontologique. Dans
cette logique, il est du devoir de chaque génération de transmettre aux générations
futures le patrimoine commun qu’est la terre.
Enfin, comme corollaire de l’inaliénabilité, la propriété foncière coutumière est
imprescriptible car elle ne se perd pas par le non-usage ou le défaut de mise en
valeur. En effet, comme l’a relevé à juste titre M. ALLIOT, le droit coutumier n’admet
pas que le temps puisse créer un droit ou l’éteindre7.
Avec l’avènement du colonisateur français, la volonté de mainmise de l’Etat colonial
sur les terres de la colonie ivoirienne va bouleverser les tenures foncières
coutumières.
2- Le référent colonial-Les valeurs précédentes qui caractérisent les tenures
foncières coutumières sont aux antipodes de celles introduites par le colonisateur
français. Pendant la période coloniale, la propriété foncière coutumière va connaître
des mutations plus ou moins profondes8caractérisées d’une part, par la minoration ou
marginalisation de la propriété foncière coutumière, d’autre part par la diffusion de la
propriété individuelle ou privée.
Ainsi, pour des motifs d’ordre économique, l’Administration coloniale va privilégier la
mise en valeur des terres aux dépens de l’antériorité de l’occupation et donc des
tenures foncières coutumières. KOUASSIGAN disait à ce sujet que « la colonisation
qui pour se justifier devant l’histoire se présentait comme une initiative historique de
culture des hommes en vue de leur revalorisation était aussi et surtout culture des
terres en vue de leur rentabilité »9.Il s’agissait en réalité de tirer profit des immenses
5
Elias OLOWALE, op.cit.
6
Séraphin NENEBI, Jean-Paul COFFI, Aline AKA LAMARCHE et Chelom Niho GAGO ; le droit foncier
ivoirien, CNDJ/UE 2016, p 32.
7
M.ALLIOT ; les résistances traditionnelles au droit moderne dans les Etats d’Afrique francophone et à
Madagascar, Paris, Cujas 1965.
8
J. CHABAS ; de la transformation des droits fonciers coutumiers en droit de propriété, AN. AF. 1959,
p 73-107 ; E. LEROY ; les objectifs de la colonisation française ou belge, ENCY. JURID. de l’Afrique
T5 NEA, 1982 p 85 et s.
9
G.A KOUASSIGAN ; op.cit.
7
ressources foncières de la colonie ivoirienne, ressources qui comme l’a écrit Albert
SARRAULT, devaient être livrées à la circulation mondiale10.
Pour justifier juridiquement sa mainmise sur les terres de la colonie ivoirienne,
l’Administration coloniale a eu recours à plusieurs approches normatives. Elle avait
d’abord eu recours au système de propriété du code civil. Mais cette expérience qui
a été introduite à travers l’arrêté Binger du 10 septembre 1893 a été un échec. Non
seulement ce système ne permettait pas de sécuriser la propriété foncière mais
aussi il se heurtait aux tenures foncières coutumières. En effet, le code civil prévoit
deux modes de transfert de la propriété qui sont d’une part, le juste titre juridique,
d’autre part, la prescription acquisitive trentenaire ou décennale. Dans un contexte
socio-culturel basé sur l’oralité, le recours à un juste titre juridique était voué à une
impasse. De même, la prescription acquisitive apparaissait d’application difficile car
au regard du droit coutumier, le temps ne peut créer ou éteindre un droit 11.
Ayant fait le constat des difficultés d’application du système de propriété foncière du
code civil, l’Administration coloniale a eu ensuite recours successivement à la théorie
du domaine éminent de l’Etat et à la théorie des terres vacantes et sans maître.
Suivant la théorie du domaine éminent, l'Etat colonial était en droit de succéder, du
fait de la conquête ou de l'annexion, aux droits de souveraineté et de domanialité
exercés antérieurement par les chefs locaux12. Quant à la théorie des terres vacantes
et sans maître, elle résultait des termes de l'article premier du décret du 15
novembre 1935 portant réglementation des terres domaniales en Afrique occidentale
française. Ce texte qui est en fait une reprise des dispositions du code civil, disposait
que « les terres vacantes et sans maître appartiennent à l'Etat ». Il en était de même
des terres non mises en valeur depuis plus de 10 ans13.
Au-delà de la volonté de maîtrise foncière, il s’agissait également pour
l’Administration coloniale d’organiser la diffusion de la propriété privée. Moyen de
subsistance, la terre deviendra progressivement un instrument de crédit, de
production et d’accumulation du capital. Elle passera alors de la catégorie de res
extra commercium à celle de res in commercio perdant ainsi sa signification
ontologique. Ce qui a eu pour conséquence, face à la désintégration progressive de
la famille traditionnelle ivoirienne, le fractionnement des domaines collectifs et
corrélativement la constitution
de patrimoines individuels14
C’est dans ce contexte mercantile que VERDIER et DUMAS se verront
respectivement attribuer 5,5 millions et 11 millions d’hectares avant de se contenter
de superficies plus petites (270 000 ha pour VERDIER). Ce système de concession
10
Cité par R. DEGNI-SEGUI ; le diagnostic du droit foncier rural en Côte d’Ivoire, EDC 1987 p 91.
11
M.ALLIOT ; les résistances traditionnelles au droit moderne dans les Etats d’Afrique francophone et à
Madagascar, op.cit.
12
Cette théorie a été consacrée par un arrêt de la cour d'appel de Bordeaux de 1903. V Etienne Leroy ; la réforme
du droit de la terre en Afrique francophone, p 14.
13
P. YAO- N’DRE : décentralisation et développement rural en Côte d’Ivoire, EDC n° 3 oct. 1989, pp.
77-117),
14
A.G. KOUASSIGAN ; l’homme et la terre, op. cit. p 195 et s ; Elias OLOWALE : la nature du droit
coutumier africain, op. cit. p 294 ;J CHABAS ; de la transformation des droits fonciers coutumiers en
droit de propriété, AN. AF. 1959, p 73-107 ; Chantal BLANC : Le foncier rural en Côte d’Ivoire, étude
réalisée pour la Direction du développement régional, Ministère du plan et de l’industrie, Abidjan
1981 ; C. COCQUERY-VIDROVICH. ; le régime foncier rural en Afrique noire, pp 65-84, in enjeux
fonciers en Afrique noire, Paris : ORSTOM/KARTHALA, 1983 ; G MADJARIAN. ; l’invention de la
propriété : De la terre sacrée à la société marchande, Paris : l’HARMATTAN, 1991.
8
des terres a été sans cesse dénoncé par les autochtones. Tour à tour, la théorie du
domaine éminent de l'Etat et la théorie des terres vacantes et sans maître seront
combattues par les leaders locaux qui les assimilaient à des artifices juridiques
destinés à déposséder les autochtones de leurs terres. Ainsi, le conseiller MOCKEY
avait au cours de l'Assemblée territoriale du 27 novembre 1948 fustigé le caractère
spoliateur du décret du 15 novembre 1935 qui attribuait les terres vacantes et sans
maître à l'Etat et par la suite aux grandes compagnies capables de les mettre en
valeur15.
Face aux revendications des autochtones et dans le but d'amener les populations à
recourir aux procédures domaniales et foncières en vigueur, l'Etat colonial avait, à
certaines périodes, pris des dispositions pour assurer un respect relatif des tenures
coutumières. Plusieurs méthodes ont été ainsi utilisées pour identifier et constater
ces droits coutumiers en vue de favoriser leur évolution vers la propriété foncière
individuelle. Successivement des tentatives seront faites soit pour les transformer à
terme en concessions domaniales16, soit pour consacrer les conventions
coutumières, soit enfin pour les constater par la délivrance d’un certificat
administratif. Il en est ainsi de l’institution du livret foncier coutumier de 1925 et
surtout de l’adoption du décret n° 55-580 du 20 mai 1955 portant réorganisation
foncière et domaniale en A.O.F et en A.E.F. Avec ce décret, L'Etat colonial n'était
plus propriétaire que des terres acquises conformément aux dispositions du code
civil ou de la procédure d'immatriculation. De même, les particuliers pouvaient, après
la mise en valeur de leur terre, en demander l'immatriculation à leur nom. Enfin, les
dispositions du décret du 15 novembre 1935 sur les terres vacantes et sans maître
avaient été abrogées entraînant ainsi une renonciation de l'Etat aux dites terres. Mais
le décret n° 55-580 du 20 mai 1955 n’a pas connu d’application en raison de
l’accession de la Côte d’Ivoire à l’autonomie interne et plus tard à l’indépendance (7
août 1960).
Toutes les difficultés d'application en matière foncière des dispositions du code civil
ou des théories sus-indiquées (domaine éminent de l’Etat, terres vacantes et sans
maître), ont amené l'Administration coloniale à opter pour le système de
l'immatriculation foncière, système régi par le décret du 26 juillet 1932 portant
réorganisation du régime de la propriété foncière en Afrique Occidentale Française
(A.O.F)17. Avec ce système qui constitue jusqu’aujourd’hui le fondement de la
propriété foncière en Côte d’Ivoire, des enquêtes foncières sont réalisées dans un
délai raisonnable, avec toutes les garanties de publicité nécessaires, afin de
consolider la propriété du sol. Cette solution permet rapidement aux investisseurs de
connaître la situation juridique du bien foncier qu'ils veulent acquérir ou exploiter.
L’accession de la Côte d’Ivoire à l’indépendance va marquer une nouvelle étape
dans l’évolution du droit foncier.
3-L’avènement de l’Etat ivoirien- La Côte d'Ivoire indépendante a hérité de la
réglementation foncière coloniale conformément aux principes généraux du droit
international public relatif à la succession d'Etat. Alors qu’on était en droit d’attendre
une pleine reconnaissance du droit foncier coutumier, l’Etat ivoirien, va au contraire
15
Rapport de Jean-Baptiste MOCKEY du 27 novembre 1948.
16
(J) CHABAS ; de la transformation des droits fonciers coutumiers en droit de propriété ; in annales africaines
n°1 Paris, Imprimerie Guillemot et de Lamothe 1960, PP41-60.
17
Le régime de l’immatriculation foncière en Afrique de l’Ouest, in RJPUF, 1958, Paris pp.421-478- (A) LEY ;
le régime domanial et foncier et le développement économique de la Côte d’Ivoire ; Paris, LDGJ 1972 ; le
régime foncier en Côte d’Ivoire, in RID 1973, p 29.
9
manifester, essentiellement pour les mêmes motifs d'ordre économique, sa volonté
d’avoir une mainmise sur les terres n’ayant pas déjà été appropriées, emboîtant ainsi
le pas à l'Etat colonial18.En fait, l’Etat ivoirien considérait que ses revendications
foncières étaient censées être, par elles-mêmes ou par la fonction de service public
exercée, supérieures à celles des personnes privées, notamment des propriétaires
coutumiers. Dès lors, la pleine reconnaissance des tenures coutumières, en ce
qu’elle implique une indemnisation des personnes dépossédées, aurait constitué un
obstacle à sa politique de développement agricole. C’est pourquoi l’Etat s’était
employé non seulement à marginaliser les tenures coutumières mais aussi, il s’était
réservé, de façon exclusive, pour des raisons évidentes de maîtrise foncière, le
privilège de gérer les terres19. Cette volonté de maîtrise foncière va amener l’Etat à
distiller la propriété foncière aux compte-gouttes et à fermer pendant longtemps les
yeux sur l’ineffectivité de la procédure d’immatriculation.
Pour justifier au plan juridique ses prétentions foncières, l’Etat ivoirien a au
lendemain de l’indépendance, conçu la loi non promulguée portant code domanial et
foncier du 20 mars 1963. Cette loi reposait sur le principe de l’affirmation des droits
de l’Etat sur les terres non immatriculées ; c’est-à-dire pratiquement sur l’ensemble
des terres régies par le droit coutumier. Par exception à ce principe, les terres déjà
mises en valeur par les personnes physiques et morales n’étaient pas concernées.
Ayant compris les effets de la mise en valeur en matière d'accès à la terre et de peur
d’être dépossédées de ce qu’elles considéraient comme leur patrimoine foncier, les
populations locales avaient alors procédé à des mises en valeur superficielles. Pour
aller plus vite, certains avaient mis tout simplement le feu à la brousse, embrasant
ainsi la moitié de la Côte d’Ivoire 20. Cette situation qui était également accentuée par
la levée de boucliers des autorités foncières coutumières, avait alors amené le chef
de l’Etat à surseoir à la promulgation de la loi du 20 mars 1963, bien que celle-ci fût
adoptée par l’Assemblée nationale à une écrasante majorité.
Après l’échec de la loi incendiaire du 20 mars 1963, l’Etat ivoirien a eu recours à
diverses pratiques administratives (décrets, arrêtés, circulaires, etc..) pour asseoir et
concrétiser sa maîtrise foncière, en méconnaissance de la défunte constitution de
1960 qui indiquait que c’est au législateur qu’il appartient de déterminer les principes
fondamentaux du régime de propriété et des droits réels. Il reprendra ainsi à son
compte les dispositions foncières coloniales qui lui étaient favorables, rejetant par la
même occasion celles qui constituaient des contraintes juridiques à sa politique de
développement agricole. Par exemple, les dispositions du décret du 20 mai 1955 qui
réalisaient la renonciation de l'Etat aux terres vacantes et sans maître seront
écartées. Par contre, les dispositions qui indiquaient que les terres devaient d'abord
être immatriculées au nom de l'Etat avant toute rétrocession aux tiers, ont été
maintenues21.
18
P. YAO- N’DRE ; décentralisation et développement rural en Côte d’Ivoire, EDC n° 3 octobre 1989, p 77.
19
P.YAO- N’DRE : « La maîtrise foncière de l’Etat en Côte d’Ivoire (1885-1985) », RID 1986 3/4 pp.
49-72 ; J. APHING-KOUASSI : Les problèmes fonciers en milieu rural : la maîtrise foncière de l’Etat,
EDC 1987 n° 1 1987, p 106 ; P. YAO- N’DRE : Décentralisation et développement rural en Côte
d’Ivoire,op.cit.Niho OUATTARA etJean.PaulCOFFI avec la collaboration de M. COULIBALY et Yabilé
KINIMO : Rapport d’enquête sur les problèmes fonciers dans le sud-ouest (San Pedro, Soubré,
Sassandra, Tabou) 1991, pp. 12-32.
20
A. LEY ;op.cit.
21
P.YAO- N’DRE ; décentralisation et développement rural en Côte d’Ivoire ; EDC n° 3 octobre 1989 p 77. Le
principe de l’immatriculation préalable au nom de l’Etat a été abandonné pour les terres du domaine foncier
coutumier depuis la loi 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural. Mais il demeure toujours
10
Faute de promulgation du code domanial et foncier du 20 mars 1963, la résurgence
de la théorie des terres vacantes et sans maître à travers le décret du 15 novembre
1935 va permettre à l'Etat, d'avoir la mainmise sur les terres non immatriculées. Or,
suivant le droit coutumier, l’absence de mise en valeur d’une terre n’implique pas
qu’elle soit sans maître. Comme l’a écrit OLOWALE, « affirmer que la brousse
africaine n’appartient à personne est contraire à toute la tradition. Le coin le plus
reculé de la brousse est sous la juridiction d’un chef quelconque »22
Se situant dans la logique de l'appropriation des terres non immatriculées, l’Etat va
prendre le décret n° 71-74 du 16 février 1971. Ce décret qui dissimule mal une
réforme foncière, soumettait obligatoirement toute convention ou opération relative à
des droits immobiliers à une procédure domaniale et foncière. Il réalisait par ailleurs
la minoration des droits coutumiers en indiquant dans son article 2 que les droits
portant sur l’usage du sol « dits droits coutumiers, sont personnels à ceux qui les
exercent et ne peuvent être cédés à quelque titre que ce soit ». Cette disposition
venait ainsi conforter l’interdiction en matière foncière des actes sous seing privés
édictée par le décret n° 64-164 du 16 avril 1964.
Il résulte de ce qui précède que l’Etat s’est efforcé de trouver un fondement légal à
sa mainmise sur les terres non immatriculées ; mais ce fondement a été contesté par
la doctrine qui l’a jugé illégitime 23 Pour celle-ci, l’appropriation par l’Etat des terres
régies par le droit coutumier ne saurait se justifier en principe que par
l’immatriculation à son nom des dites terres. Or en pratique, l’Etat a eu très peu
recours à cette procédure, laissant l’initiative aux particuliers.
L’appropriation par l’Etat des terres non immatriculées, d’une part, et l’imposition du
primat de la mise en valeur en lieu et place de l’antériorité de l’occupation, d’autre
part, n’ont évidemment pas rencontré l’adhésion des populations autochtones et en
particulier des propriétaires fonciers coutumiers. En fait, si ces populations ont toléré
à leur corps défendant, l’appropriation par l’Etat desdites terres, elles ont en
revanche toujours rejeté et combattu le primat de la mise en valeur.
Cette situation qui est le reflet de l’antagonisme entre l’ordre juridique coutumier,
d’une part, et l’ordre juridique étatique, d’autre part a cependant évolué. En effet, au
fur et à mesure que la terre perdait son caractère sacré pour devenir un bien
susceptible d’appropriation privée, un droit hybride fruit de la cohabitation entre les
deux ordres juridiques a pris naissance. Né de la pratique, ce droit est la résultante
d’arbitrages et de compromis entre les intérêts conflictuels en présence 24. Dans la
recherche de ces compromis, les acteurs (populations, complexes agro-industriels,
Etat, Collectivités territoriales, etc.) ont recours indifféremment aussi bien à l’ordre
juridique coutumier qu’à l’ordre juridique étatique. Le droit né de la pratique a pour
avantage sa souplesse et sa capacité à se plier aux exigences des acteurs.
Cependant, parce qu’il n’emprunte pas les formes et procédures requises par les
textes en vigueur, ce droit offre peu de garantie en matière de sécurisation foncière.
D’où la fréquence des conflits fonciers.
En outre, face à la grogne incessante des autorités foncières coutumières et à la
persistance des conflits fonciers, l’Etat va changer le fusil d’épaule en reconnaissant
applicable pour les terrains urbains et pour les terres rurales déjà concédées à titre provisoire.
22
la nature du droit coutumier africain, cité par A. LEY. op.cit. p 18.
23
H. SARASSORO : Le droit foncier ivoirien entre la tradition et le modernisme, EDC 1989, n°3 p. 9
24
Séraphin. NENEBI, Jean-Paul COFFI, Aline AKA-LAMARCHE et Chelom Niho GAGO ; le droit foncier
ivoirien, CNDJ/UE 2016, p 216.
11
de jure les droits fonciers coutumiers à travers la réforme foncière du 23 décembre
1998 relative au domaine foncier rural25. Mais cette reconnaissance n’élude pas la
procédure d’immatriculation foncière. Celle-ci demeure toujours le fondement de la
propriété foncière en Côte d’Ivoire, même si en pratique, elle reste largement
inappliquée. Les conséquences de l’ineffectivité du système de l’immatriculation sont
multiples. Il s’agit d’abord de l’insécurité foncière. Cette insécurité qui s’observe aussi
bien en milieu urbain qu’en milieu rural, constitue aujourd’hui une entrave aux
transactions foncières, au crédit et aux investissements. Il s’agit ensuite de la
multiplication des conflits fonciers ; toute chose qui a amené A. Dumont à dire que
« qui acquiert une terre, achète un procès ou une guerre»26.
La multiplication des conflits fonciers en milieu rural comme en milieu urbain, est, à
n’en point douter, le reflet des enjeux énormes inhérents à l’accès à la terre.
4- Les enjeux fonciers–Au lendemain de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, et dans
le but de se procurer les devises nécessaires au développement du pays, L’Etat s’est
proclamé à la fois maître et gestionnaire des terres non immatriculées c’est-à-dire de
la quasi-totalité du patrimoine foncier ivoirien. Le président Houphouët-Boigny disait
à ce propos que « la Côte d’Ivoire n’a pas de terres à repartir, mais à mettre en
valeur ». Il ne sert à rien, ajoutait-il, de repartir la pauvreté 27. Mieux, pour accroître la
production agricole, il indiquera dans une déclaration devenue célèbre que « la terre
appartient à celui qui la met en valeur ». Cette option qui visait à orienter le droit
foncier vers le développement s’est traduite au plan agricole, par la création en zone
forestière de grandes plantations de cultures pérennes (café, cacao, hévéa, palmier
à huile, etc.).Considérée comme le soubassement de l’économie nationale,
l’agriculture a contribué en 1998 à hauteur de 26% à la formation du produit intérieur
brut (PIB) contre 36% en 1987 et 33% en 1980 ; elle fournit 2/3 environ des recettes
d’exportation et occupe les 2/3 de la population active28.
Si la politique de développement mise en place par l’Etat ivoirien a pu générer des
devises et contribuer dans les deux premières décennies suivant l’indépendance, à
une réelle croissance économique (taux de 6 à 7% en moyenne), à telle enseigne
qu’on a pu parler de « miracle ivoirien », elle a en revanche favorisé une exploitation
abusive et anarchique des terres. L’abus se traduit par une utilisation non durable
des ressources foncières à travers notamment, un système cultural inadapté
caractérisé par un recours marginal aux intrants et par la prédominance de
l’agriculture itinérante sur brûlis. Quant à l’anarchie, elle est à la fois la cause et la
conséquence du non-respect de la réglementation en vigueur. Il en résulte un
appauvrissement des sols et corrélativement une prolifération de jachères
improductives.
Pour remédier à cette situation qui entraîne une baisse de productivité agricole, les
paysans ont eu recours à la colonisation de nouveaux espaces de culture. Ainsi, près
de 200 000 ha de forêts ont été défrichés par an jusqu’à la fin des années quatre-
vingt. De 16 millions d’hectares au début du siècle dernier, la forêt dense humide
ivoirienne est passée à 12 millions d’hectares à l’indépendance (1960) et à environ
25
Cette loi sera modifiée par les lois n° 2004-412 du 14 août 2004 (droit à la propriété foncière des héritiers non
nationaux),n° 2013-655 du 13 septembre 2013 (prorogation des délais pour l’obtention du certificat foncier) et
n°2019-868 du 14 octobre 2019.
26
Antoine DUMONT ; Traité de la prudence, M.DCC.XXXIII, p 502.
27
A.LEY ; op.cit.
28
Ministère de l’Agriculture et des Ressources Animales ; l’Agriculture ivoirienne à l’aube du 21ème siècle,
1999.
12
3,7 millions d’hectares en 199929.Cette disparition progressive des ressources
forestières entraîne au plan national, non seulement des perturbations de
l’écosystème et de la biodiversité, mais aussi, elle a un impact négatif sur le bilan de
production agricole.
Au plan socio-politique la problématique foncière met en exergue les rapports de
force entre les différents acteurs qui interviennent dans l’exploitation des ressources
foncières. Ces acteurs ont pour nom l’Etat et ses structures sous tutelle, les
Collectivités territoriales, les agriculteurs, les éleveurs, les pêcheurs, les exploitants
forestiers et miniers et de façon générale les populations rurales et urbaines. Ces
acteurs opèrent selon des logiques et stratégies variables qui sont le reflet de leurs
intérêts actuels ou futurs.
Mais au fil du temps, du fait de la croissance démographique, l’expression plurielle et
anarchique des besoins en terres suscite de façon récurrente des conflits entre les
différents acteurs. En effet, avec 6 millions d’habitants en 1975, la population
ivoirienne est passée à 10 millions en 1988, à 15 millions en 1998 et à plus de 22
millions en 201430.Cette forte croissance démographique est consécutive à un taux
de natalité élevé et à une forte immigration de populations venant des pays
limitrophes (Burkina Faso, Mali, Libéria, Guinée, etc..). De 1955 à 1990, la population
rurale par exemple, a été multipliée par quatre ; d’où une forte pression sur les terres
et de façon générale sur l’ensemble des ressources naturelles (ressources
forestières, pastorales, halieutiques, minières, etc..). Cette forte pression foncière est
perceptible en milieu urbain mais aussi en milieu rural dans le sud-forestier, zone
agro-écologique propice aux cultures d’exportation les plus rentables (cacao, café,
hévéa, palmier à huile, etc..)31. Elle est à l’origine d’une « marchandisation »
croissante du fonds de terre (vente, donation, location, etc..).
Cette « marchandisation » qui s’opère en marge des tenures coutumières et en
violation de la réglementation foncière a abouti dans certaines régions à la mainmise
des non-autochtones sur une importante partie du patrimoine foncier local. On
estime par exemple, que près de 80% des terres mises en valeur dans le sud-ouest
le sont par des non-autochtones32. Il en résulte pour les autochtones des régions
concernées, de réelles contraintes foncières dont les premières victimes sont les
jeunes et les femmes. Aussi, de plus en plus, les autochtones revendiquent la
propriété des terres cédées en se fondant sur le droit coutumier quand les allogènes
et allochtones de leur côté, excipent des prérogatives foncières liées à la mise en
valeur.
Il s’en suit périodiquement, même dans les aires protégées (forêts classées 33, parcs
nationaux, etc.), des conflits fonciers plus ou moins violents dont la fréquence et la
gravité constituent aujourd’hui une menace pour l’ordre public et la cohésion sociale.
Entre nationaux, la question foncière constitue l’une des toiles de fond de conflits
politico-ethniques quelques fois meurtriers opposant les autochtones des terres
colonisées aux paysans originaires d’autres régions du pays. Dans la sous-région
ouest africaine, cette question constitue une pierre d’achoppement entre les autorités
29
Ministère de l’Agriculture et des Ressources Animales ; l’Agriculture ivoirienne à l’aube du 21ème siècle, 1999.
30
Voir RGPH 2014.
31
N. OUATTARA et (J-P) COFFI; rapport d’enquête sur les problèmes fonciers dans le sud-ouest ivoirien (San-
Pedro, Soubré, Sassandra, Tabou) CIREJ 1991, 222 p.
32
C.N. GAGO et (J-P) COFFI; op.cit.
33
N. OUATTARA; Conflits fonciers dans les forêts classées ; le cas du périmètre papetier du Rapide Grah et du
Monogaga dans le sud-ouest ivoirien, in revue africaine de droit international comparé T4 1992.
13
ivoiriennes et les pays limitrophes dont sont originaires les paysans allochtones
concernés (cas du Parc national du Mont-péko).
En milieu urbain, les enjeux demeurent également importants pour l’Etat et les
populations. L’urbanisation galopante et la prolifération des habitats précaires
constituent de sérieuses préoccupations pour l’Etat qui a dû à plusieurs reprises,
dans un contexte de marché informel et inorganisé du foncier, réglementer et
renforcer la régularité de l’accès au foncier urbain. Il faut dire qu’en l’espèce, la
cession des terrains urbains s’opère souvent dans un contexte d’incertitudes sur les
droits des cédants et du cessionnaire.
C’est le lieu d’indiquer qu’à la différence du milieu rural (loi du 23 décembre 1998
relative au domaine foncier rural telle que modifiée par les lois n° 2004-412 du 14
août 2004, n° 2013-655 du 13 septembre 2013 et n° 2019-868 du 14 octobre 2014),
aucune loi ne consacre la reconnaissance juridique de la propriété foncière
coutumière urbaine. La nature ayant horreur du vide, une combinaison pragmatique
entre « le formel et l’informel » a pris naissance en matière d’accès aux terrains
urbains. Tolérée par l’Administration, cette combinaison ou droit de la pratique ne
permet pas dans un contexte de pression foncière exacerbée, d’assainir la gestion
foncière en milieu urbain. Bien au contraire, elle crée un imbroglio juridique
générateur de toutes sortes de malversations en matière d’accès aux terrains
urbains (vente d’un même lot à plusieurs personnes, établissements frauduleux de
titres de propriété, inexistence de droit foncier du vendeur, etc.) 34. Pour remédier à
cette situation, l’Etat a adopté de multiples dispositions et mesures correctives visant
à faciliter et sécuriser l’accès à la propriété foncière. Il en a résulté un corpus
réglementaire complexe dont la mise en œuvre n’est pas toujours aisée même pour
les praticiens avisés.
Par ailleurs, le renchérissement du bien foncier dans les grandes villes, accentué par
la spéculation foncière est une triste réalité que l’Etat a du mal à juguler. Ce qui
constitue une sérieuse entrave à l’accès du plus grand nombre au bien foncier
contribuant ainsi à la baisse du niveau de vie des populations urbaines. Dans la
capitale économique notamment, les populations financièrement démunies n’ont
d’autre choix que de se réfugier dans les habitats précaires. Installés çà et là sur les
flancs des collines et dans les bas-fonds, ces habitats deviennent de véritables
pièges mortels lors des pluies diluviennes.
Il résulte des développements qui précèdent que les ressources foncières sont au
centre d’enjeux énormes et multiformes. Qu’il s’agisse du milieu rural ou du milieu
urbain, la terre est un bien immeuble d’une importance vitale aussi bien pour les
populations que pour les pouvoirs publics. Elle est l’objet d’une quête permanente et
effrénée que l’Etat après l’Administration coloniale, a jugé nécessaire de réglementer
en vue de préserver la paix et la cohésion sociale. En milieu rural, ce processus
ininterrompu de réglementation en vue d’une meilleure adaptation aux nécessités du
développement, a donné lieu à la réforme foncière du 23 décembre 1998. A la
différence de la réforme agraire qui implique une nouvelle répartition des terres en
vue de satisfaire le plus grand nombre de paysans, la réforme foncière se limite à
modifier la nature des droits exercés sur le fond de terre. En reconnaissant la
propriété foncière coutumière, la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 réalise donc
34
Séraphin .NENEBI, Jean-Paul COFFI, Aline AKA LAMARCHE et Chelom Niho GAGO; op.cit. pp 92 et s.
14
une véritable réforme foncière35. L’exposé des motifs de cette loi indique que le
législateur vise entre autres objectifs, à réduire le nombre de conflits fonciers et à
promouvoir la sécurité foncière nécessaire au crédit et aux investissements durables.
Certes, conformément à l’article 15 de la constitution, l’Etat garantit l’accès de tous à
la terre ; mais ce principe, en ce qui concerne l’accès à la propriété foncière rurale,
connaît des limites. En d’autres termes, la nature des droits fonciers octroyés ou
cédés en milieu rural varient suivant les acteurs concernés. Dans ces conditions, il
importe de savoir qui a droit à la propriété foncière ? Quels sont les droits des
exploitants de la ressource foncière ? Qui est gestionnaire des terres ? C’est à ces
interrogations qui concernent également le milieu urbain que la présente étude du
droit foncier tentera d’apporter des réponses.
Pour les besoins des développements qui suivent, Il faut entendre par la notion de
« terre ou de ressource foncière », le fonds de terre au sens strict du terme ; ce qui
exclut en conséquence l’étude des autres ressources naturelles qui y sont
directement rattachées (eaux, forêts, bois, etc.) ; c’est-à-dire, l’étude du foncier
pastoral, du foncier forestier, du foncier halieutique, etc.
Partant de cette approche sélective, la présente étude portera d’une part, sur la
gestion des terres (première partie), d’autre part sur les modalités d’accès à celles-ci
(deuxième partie).
35
Cette loi sera modifiée plus tard par les lois n° 2004-412 du 14 août 2004 et n° 2013-655 du 13 septembre
2013.
15
PREMIERE PARTIE : LA GESTION DU DOMAINE FONCIER
Dans la société traditionnelle africaine, faut-il le rappeler, les ressources naturelles,
en l’occurrence la terre et ses ressources accessoires (eau, forêts, faune, fourrages)
sont la propriété collective des premiers occupants de la terre et de leurs
descendants. Les descendants des premiers occupants ont qualité de propriétaires
fonciers coutumiers et ont pour mission de gérer les ressources naturelles (terre,
eau, forêts, etc.) conformément aux règles régissant chaque communauté.
Considérées généralement comme des biens sacrés, ces ressources étaient
inaliénables36.
Avec l'avènement de l'Administration coloniale et aujourd'hui de l'Etat ivoirien, les
tenures coutumières ou modes traditionnels de gestion des ressources foncières ont
été marginalisées au profit d’un ordre juridique nouveau reposant d'une part, sur
l'appropriation individuelle des terres, d'autre part, sur leur mise en valeur. Mais cette
marginalisation des tenures coutumières n’a pas produit les effets escomptés car en
pratique, les droits fonciers coutumiers restent encore vivaces et continuent de
résister à l’hégémonie foncière de l’Etat ; ce qui a fait dire au professeur
SARASSORO qu’ils sont « des morts-vivants37 ».
Ce nouvel ordre juridique foncier qui s’applique aussi bien aux terres rurales qu’aux
terrains urbains, repose d’une part sur des règles de gestion (titre 1), d’autre part, sur
un cadre institutionnel et technique (titre 2) qu’il importe d’examiner.
TITRE 1/ LES REGLES DE GESTION
De la théorie du domaine éminent de l’Etat à celle des terres vacantes et sans
maître, la politique foncière de l’Administration coloniale et ensuite de l’Etat ivoirien a
toujours été marquée par la volonté des gouvernants d’assurer la propriété de l’Etat
sur toutes les terres domaniales n’ayant pas déjà fait l’objet d’une attribution à titre
définitif aux particuliers. Cette volonté de maîtrise foncière de l’Etat demeure toujours
inchangée en milieu urbain et s’est traduite par un quasi- monopole de
l’Administration sur la gestion des terrains urbains. Mais en milieu rural, il en va
autrement depuis la réforme foncière du 23 décembre 1998, laquelle a reconnu de
jure la propriété foncière coutumière. En effet, cette reconnaissance marque la fin du
monopole foncier de l’Etat sur les terres non immatriculées, c’est-à-dire sur la quasi-
totalité des terres rurales. Il en résulte que l’étude des règles de gestion foncière
portera d’une part, sur les terres du domaine rural (Chapitre 1) et d’autre part, sur les
terres du domaine urbain. (Chapitre 2).
CHAPITRE 1/ LES REGLES DE GESTION DU DOMAINE FONCIER RURAL
Avant la réforme foncière du 23 décembre 1998, le domaine foncier pouvait être
divisé en deux grandes catégories comprenant les terres immatriculées, d’une part,
et les terres non immatriculées, d’autre part. Alors que les premières comportaient
un titre foncier définitif et inattaquable, les secondes, composées de terres
coutumières ou de terres concédées provisoirement ne conféraient que des droits
incertains ou précaires. A cette catégorisation administrative, somme toute logique,
36
Voir supra-introduction (tenures foncières coutumières)
37
(H) SARASSORO; le droit foncier ivoirien à la croisée des chemins ; in Germano, structure fondiare E credito
Per lo Svilippo Agricolo Nell A friac, 1° Convegro Italo-Africano DI Diritto Agrarario-Firenze, 17-19 marzo
1988 giuffrè editore 1989 PP. 291-315.
16
le législateur a substitué aujourd’hui une classification fondée sur la permanence ou
non des droits fonciers (Section 1). C’est sur cette base qui vise à terme la sécurité
foncière, que l’Etat procède à l’attribution (Section 2) et au retrait des terres rurales
(Section 3).
SECTION 1/ LA CLASSIFICATION DES TERRES DU DOMAINE RURAL
Le domaine foncier se définit comme l'ensemble des terres mises en valeur ou non
et quelle que soit la nature de la mise en valeur (article 1er de la loi n° 98-750 du 23
décembre 1998). Sont visées par cette définition de façon non limitative, les terres
affectées à l'ensemble des activités du milieu rural telles que les activités agricoles,
forestières, pastorales, cynégétiques, halieutiques, etc. Sont également visées les
terres qui n'ont fait l'objet d'aucune mise en valeur, c'est-à-dire les terres exemptes
de toute activité anthropique.
Pour connaître la consistance du domaine foncier rural, il faut exclure ou écarter le
domaine public, les périmètres urbains, les zones d’aménagement différé, le
domaine forestier classé et les aires protégées et les zones touristiques (loi n° 2019-
868 du 14 octobre 2019 portant modification de la loi n° 98-750 du 23 décembre
1998). De ce point de vue, le domaine foncier rural apparaît comme une catégorie
résiduelle composée en premier lieu, des terres ayant un statut permanent
(Paragraphe 1), et en second lieu, des terres ayant un statut transitoire (paragraphe
2).
17
par décision de justice, laquelle fixe l’indemnité préalable à verser au propriétaire
dessaisi.
Sont assimilables aux terres expropriées, les terres retirées par l’Etat pour défaut ou
absence de mise en valeur dans le délai imparti avant la réforme foncière du 23
décembre 1998. Avant cette réforme foncière, la défunte loi de 1971 relative à
l’exploitation rationnelle des terres rurales détenues en pleine propriété permettait le
retrait total ou partiel des terres pour insuffisance ou défaut de mise en valeur.
Font enfin partie du domaine foncier de l’Etat les terres sans maître (article 6 de la loi
du 23 décembre 1998).
Qu'est-ce qu'une terre sans maître ?
Sous l'empire du décret du 15 novembre 1935 portant réglementation des terres
domaniales en Afrique occidentale française, le concept de terres vacantes et sans
maître avait permis la mainmise de l'Administration coloniale sur les terres non mises
en valeur, suscitant ainsi le mécontentement des autochtones et en particulier des
propriétaires fonciers coutumiers.
En ayant recours au concept de terre sans maître, le législateur ivoirien, pour éviter
toute équivoque, a pris soin d'en donner la définition. Ainsi, dans la version non
modifiée de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural,
outre les terres objet d'une succession ouverte mais non réclamée depuis plus de
trois ans, étaient considérées comme des "terres sans maître" :
- les terres du domaine coutumier sur lesquelles des droits coutumiers exercés
de façon paisible et continue n’ont pas été constatés dix ans après la
publication de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 ;
- les terres concédées provisoirement sur lesquelles les droits des
concessionnaires n’ont pu être consolidés trois ans après le délai imparti pour
la mise en valeur, à compter de cette publication.
Les délais précités n’ont pu être respectés par les titulaires de droits fonciers
concernés. Aussi, pour éviter que ceux-ci ne soient dépossédés de leurs terres par
application de la théorie des terres sans maîtres, le législateur a été amené par la loi
n° 2013-655 du 13 septembre 2013, à proroger les délais initiaux par une
modification de l’article 6 de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 relative au
domaine foncier rural. Cette prorogation qui prend effet, à compter de la date de
publication de la loi du 13 septembre 2013, court pour :
- 10 ans, pour les terres du domaine coutumier ;
- 5 ans, pour les terres provisoirement concédées.
18
le délai imparti. Si l'on tient compte du nombre important de conflits fonciers non
résolus, d’une part, et du manque de moyens pour la mise en valeur des terres,
d’autre part, l'Etat apparaît d'ores et déjà comme le grand bénéficiaire de l'application
du concept de terres sans maître tout comme ce fut le cas de l'Administration
coloniale.
Les terres précédemment énumérées font partie du domaine privé de l’Etat lequel a
toute latitude de les gérer conformément à ses besoins et priorités de
développement. Mais depuis la réforme foncière du 23 décembre 1998, la propriété
foncière de l’Etat doit en milieu rural être renforcée par l’immatriculation.
Dans certains cas (achat, échange, donation ou legs), l’acquisition est décidée
par une délibération du Conseil et transmise à l’Autorité de tutelle. Dans
d’autres (expropriation), la décision est prise par délibération du Conseil dans
les conditions fixées par décret pris en Conseil des Ministres.
Font enfin partie du domaine foncier des Collectivités territoriales les terres
déclarées d’intérêt local par décret pris en Conseil des Ministres.
Il s'agit d'abord des terres acquises par la voie de l'immatriculation. En tout état de
cause, ces terres sont de très faible importance en raison essentiellement du
manque d'effectivité de la procédure d'immatriculation. En effet, en raison de sa
19
complexité et de son caractère onéreux, cette procédure qui devait consolider la
propriété individuelle des terres, n'a pas connu auprès des populations le succès
escompté, après un siècle de mise en œuvre. Ce qui explique que seulement 2%
environ des terres aient été immatriculées jusqu’à ce jour.
Aux terres immatriculées, s’ajoutent celles que les particuliers ont pu acquérir sous le
régime du code civil. En effet, sous ce régime introduit en Côte d’Ivoire par l’arrêté
Binger du 10 septembre 1893, l’Administration coloniale avait octroyé de vastes
portions de terres domaniales aux personnes physiques et morales capables de les
mettre en valeur. Mais les droits résultant de ces concessions n’ont pu et ne peuvent
se maintenir que s’ils ont été publiés au livre foncier (article 21 du décret du 26 juillet
1932).
Para 2/ le domaine foncier rural transitoire
Les terres concernées ici ont pour point commun de ne guère appartenir, au sens de
la réglementation foncière, à ceux qui en sont les occupants. Il s'agit d'une part, des
terres du domaine coutumier (A), d'autre part, des terres domaniales concédées
provisoirement par l'Etat à des personnes physiques ou morales (B).
A/ Le domaine foncier coutumier
Pour le législateur ivoirien, le domaine coutumier est constitué par l'ensemble des
terres sur lesquelles s'exercent des droits fonciers conformes aux modes
traditionnels de gestion de la terre. Sont également visés, les « droits coutumiers
cédés aux tiers », c’est-à-dire les terres qui au mépris des procédures domaniales et
foncières ont fait l'objet de transactions coutumières (vente, location, donation, etc..).
Peu importe que les droits cédés soient antérieurs ou postérieurs à la réforme
foncière de 1998.
Mais la reconnaissance de l’existence des droits cédés ne préjuge en rien de la
régularité de la cession. En conséquence, il appartient à la jurisprudence d’apprécier
le cas échéant, la régularité ou non des cessions de droits coutumiers. Sur ce point,
la Cour d’Appel de Daloa a pu juger à plusieurs reprises que la « cession d’une terre
coutumière opère au profit du cessionnaire un transfert des droits coutumiers de
sorte que le cédant n’est plus fondé à s’en réclamer »38.
Faute d’immatriculation au nom d’un ayant-droit, les terres du domaine coutumier
conservent leur statut transitoire. Il en va de même des terres du domaine concédé.
B/ Le domaine foncier concédé
Il comprend les terres attribuées provisoirement aux personnes physiques et morales
avant la réforme foncière du 23 décembre 1998. Il en est ainsi des terres attribuées
sous le régime du permis d’occuper ou des concessions (concession provisoire pure
et simple, concession provisoire sous réserve des droits des tiers, permis d’occuper,
bail emphytéotique).
Après l’expiration d’un premier délai fixé par la loi portant réforme foncière du 23
décembre 1998, les bénéficiaires de ces concessions provisoires ont ensuite disposé
d’un délai de 5 ans à compter de la date de publication de la loi n° 2013-655 du 13
septembre 201339, pour demander l’immatriculation de leurs terres. Ce dernier délai
ayant également expiré, de nouvelles dispositions réglementaires sont attendues
38
Cour d’Appel de Daloa, Arrêt n° 59/12/ du 1er février 2012, Cour d’Appel de Daloa, Arrêt n° 36/12 du
25 janvier 2012 et Cour d’Appel de Daloa, Arrêt n° 110/12 du 14 mars 2012.
39
Voir supra : terres sans maître p. 16.
20
pour fixer le délai pour la consolidation par l’immatriculation des droits fonciers
provisoirement concédés par l’Administration aux particuliers avant la réforme
foncière de 1998. Cette immatriculation est d’abord faite au nom de l’Etat qui peut
ensuite céder la parcelle de terre concernée à l’ancien concessionnaire si celui-ci a
qualité à être propriétaire foncier. Dans le cas contraire, une location peut être
consentie par l’Etat à celui-ci.
Faute d’immatriculation, les terres provisoirement concédées demeurent dans le
domaine foncier transitoire. Il en résulte que placé dans une situation transitoire, le
domaine foncier concédé dont la durée de vie est fonction de la diligence des acteurs
concernés, est appelé nécessairement à disparaître. A terme, et conformément à la
réforme foncière du 23 décembre 1998, le système de concession des terres
domaniales devra faire place à la location.
Exception faite des terres appartenant déjà aux particuliers, les terres du domaine
foncier permanent ou du domaine foncier transitoire peuvent faire l’objet d’attribution,
conformément à la réglementation en vigueur.
L’attribution des terres rurales s’opère suivant une pluralité de modes établis par les
textes en vigueur (para1). Cette attribution se fait sur la base de critères précis (para
2).
Para 1/ Les modes d'attribution des terres rurales
Les modes d’attribution des terres rurales ont évolué dans le temps. Avant
d’examiner ceux qui sont actuellement en vigueur (B), un rappel de ceux qui
existaient avant la réforme foncière du 23 décembre 1998 s’avère nécessaire (A).
A- Avant la Réforme foncière du 23 décembre 1998
Avant la réforme foncière du 23 décembre 1998, les modes d’attribution des terres
étaient essentiellement le permis d’occuper, les concessions et le bail
emphytéotique.
1- le permis d'occuper
Régi essentiellement par le défunt décret n° 71-74 du 16 février 1971, le permis
d’occuper était une autorisation d’occupation délivrée à titre précaire par le préfet ou
le sous-préfet. Ce texte disposait en son article 1 que « toute occupation de terrain
pour être légale doit être justifiée, pour les terrains ruraux…par une autorisation
d’occupation à titre précaire et révocable délivrée par le Ministre de l’intérieur ou son
représentant… ».
Aujourd’hui encore, plusieurs terrains ruraux sont détenus sur la base du permis
d’occuper. Mais leur titulaire tout comme les titulaires de concessions provisoires
sous réserve des droits des terres, sont tenus de demander l’immatriculation de leurs
terres dans le délai prévu par le décret n° 2019-265 du 27 mars 2019 fixant la
procédure de consolidation des droits des concessionnaires provisoires de terres du
domaine foncier rural. Ce délai, après celui fixé par la loi n° 2013-655 du 13
septembre 2013 précitée et qui a expiré, n’a pas encore été fixé. En tout état de
cause, le concessionnaire qui ne respectera pas le délai qui sera fixé risquera de
21
perdre ses prérogatives foncières au profit de l’Etat, en vertu de la théorie des terres
sans maître.
2- Les concessions provisoires
Deux types de concessions provisoires sont à distinguer : la concession provisoire
pure et simple d’une part, et la concession provisoire sous réserve des droits des
tiers, d’autre part. Ces deux types de concessions se différencient par le fait que
contrairement à la concession provisoire sous réserve des droits des tiers, la
concession provisoire pure et simple n’était accordée que sur un terrain immatriculé ;
elle était de ce fait publiée au livre foncier.
Plus d’une décennie après la réforme foncière du 23 décembre 1998, de
nombreuses terres demeurent encore sous le régime de la concession provisoire et
font partie du domaine foncier transitoire. Pour remédier à cette situation, la réforme
foncière oblige les titulaires de concessions provisoires à consolider leurs droits,
dans le délai prévu par le décret n° 2019-265 du 27 mars 2019 précité mais non
encore fixé, sous peine de les perdre en application de la théorie des terres sans
maître.
3- La concession définitive
La concession définitive réalisait la cession par l’Etat d’un terrain à un particulier ou à
une collectivité. Elle avait lieu sous la condition résolutoire du paiement par le
concessionnaire définitif, au plus tard le mois qui suit la notification de l’arrêté, du prix
de cession, des frais d’inscription au livre foncier et des frais d’enregistrement et de
timbre.
La concession était accordée si au moins les 2/3 du terrain étaient mis en valeur et
après création du titre foncier. Mais pour limiter les accaparements et le gel stérile
des terres, la concession définitive a été limitée à une superficie de 12 hectares 40,
suite à une délibération de l’Assemblée territoriale du 27 novembre 1948. S’il y a un
surplus de superficie, celui-ci était donné en bail emphytéotique. En l’absence de
dispositions contraires, ces dispositions sur la limitation de superficie des terres
pouvant être concédées à titre définitif restent applicables.
La concession définitive opérait transfert de propriété au profit du concessionnaire.
Celui-ci ne pouvait pendant la durée de 30 ans céder son terrain sans l’autorisation
du Ministre chargé de l’Agriculture. Par ailleurs le concessionnaire était assujetti à
une obligation permanente de mise en valeur. Il en résulte qu’en cas d’abandon du
terrain ou de défaut de mise en valeur pendant la durée de 10 ans, le terrain
concerné pouvait être retiré par l’Etat.
4- Le bail emphytéotique
Le bail emphytéotique a été institué à l'origine par l’Administration coloniale pour
mettre fin à l’exploitation anarchique des terres et à la spéculation foncière
consécutive à la facilité d’obtention de la concession définitive par les sociétés
étrangères. C’est un bail qui est accordé par le Ministre chargé de l’Agriculture pour
une durée qui varie de 18 à 99 ans. Mais en pratique, la durée du bail est de 25 ans
renouvelables.
40
-cette disposition n’a pas encore été remise en cause de façon formelle par le législateur ivoirien ou même par
l’autorité administrative compétente.
22
Le bail emphytéotique est un droit réel cessible et susceptible d’hypothèque
conformément à l’article 31 du décret du 26 juillet 193241.
B- Depuis la réforme foncière du 23 décembre 1998
Avec la réforme du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural, l'attribution
des terres se réalise désormais à travers le certificat foncier (1), la concession de la
propriété (2) par obtention du titre foncier et le bail emphytéotique (3).
1- Le certificat foncier
Aux termes de la loi du 23 décembre 1998 (art.8), l’obtention du certificat foncier est
subordonnée au constat d’existence paisible et continue de droits coutumiers. Ce
constat est établi à l’issue d’enquêtes officielles réalisées conformément à la
procédure définie par le décret n° 2019-266 du 27 mars 2019 fixant les modalités
d’application au domaine foncier rural coutumier de la loi n° 98-750 du 23 décembre
199842.
.2- La concession de la pleine propriété
Cette concession a lieu pour les titulaires de certificats fonciers qui ont fait
immatriculer leur terrain à leur nom dans le délai fixé par la réglementation en
vigueur. Elle a lieu également pour les occupants des terres antérieurement
attribuées ou concédées à titre provisoire qui ont régulièrement consolidé leurs droits
conformément à la réglementation en vigueur.
Alors que les terres du domaine coutumier sont immatriculées directement au nom
du demandeur, le bien foncier concédé est d’abord immatriculé au nom de l’Etat (Art.
13 du décret n° 2019-266 du 27 mars 2019 précité) qui le rétrocède ensuite à
l’ancien concessionnaire, soit en pleine propriété, soit sous forme de location ou de
bail emphytéotique.
L’évolution que l’on relève dans les modes d’attribution des terres rurales s’observe
également dans la définition des critères d’attribution de celles-ci.
23
foncier. Ce constat résulte de l'enquête foncière prévue par le décret n° 2019-266 du
27 mars 2019 fixant les modalités d’application au domaine foncier rural coutumier
de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998.
Mais le constat d'existence paisible et continue de droits fonciers suffit-il pour se voir
attribuer la propriété d'un terrain du domaine coutumier ? A cette question, il y a lieu
de répondre par la négative. Car en plus du constat d'existence paisible et continue
de droits fonciers, il faut aussi satisfaire à un critère lié à la personne du demandeur.
2- Le critère personnel
Aux termes de l'article premier de la réforme foncière du 23 décembre 1998, seuls
l'Etat, les Collectivités Publiques et les personnes physiques ivoiriennes sont admis à
être propriétaires. Il en résulte que d'une part, les personnes physiques non
ivoiriennes, d'autre part, les personnes morales, quelle que soit leur nationalité, ne
peuvent requérir à leur nom l'immatriculation d'un terrain du domaine coutumier.
Si ces dispositions d'une importance capitale se justifient par la volonté de l'Etat de
mettre un terme à la mainmise croissante des non nationaux sur les terres et à
réserver corrélativement aux nationaux la maîtrise du patrimoine foncier ivoirien,
elles posent nécessairement le problème des droits acquis des personnes physiques
non ivoiriennes et des personnes morales visées.
En ce qui concerne les personnes physiques non ivoiriennes, la loi foncière de
1998, dans la formulation initiale de son article 26, disposait que les droits fonciers
que celles-ci avaient déjà pu acquérir étaient maintenus à titre personnel. Autrement
dit, ces droits cessaient avec le décès de leur titulaire. Cependant, la loi foncière
dans sa première formulation, opérait une discrimination qui permettait aux héritiers
de nationalité ivoirienne, de demander l'immatriculation à leur nom. Dans le cas où
ceux-ci n’étaient pas ivoiriens, ils disposaient alors d'un délai de trois ans pour céder
leurs terres à une personne physique ivoirienne, ou pour requérir à leur profit une
location, après retour des terres concernées au domaine de l'Etat
De toute évidence, cette disposition de l’article 26 n’était guère en harmonie avec les
principes généraux du droit (non rétroactivité des lois et théorie des droits acquis).
Aussi avait-elle fait l’objet de critiques virulentes, à telle enseigne que suite aux
accords de Linas Marcoussis (en France), consécutifs à la crise sociopolitique de
2002, elle a été modifiée par le législateur ivoirien, à travers la loi n°2004-412 du 4
août 2004. Cette modification qui a pris forme à travers l’article 26 nouveau de la loi
du 23 décembre 199843, indique clairement que les droits de propriété foncière que
les personnes physiques non ivoiriennes ont pu déjà acquérir sont maintenus.
Autrement dit, ces droits fonciers n’ont plus un caractère personnel et peuvent être
transmis aux héritiers, quelle que soit leur nationalité.
La récente Constitution du 8 novembre 2016 ne dit pas autre chose lorsqu’elle
dispose en son article 12 que « les droits acquis sont garantis ». Cette disposition
suscite cependant des interrogations. De quels droits s’agit-il ? Du droit de propriété
ou du droit d’usage ? Si en vertu de la non-rétroactivité des lois, les droits de
propriété foncière régulièrement acquis avant l’adoption de la loi fondamentale sont
formellement garantis, la question revêt tout son sens pour les droits d’usage acquis
par la grande majorité des acteurs du monde rural qui ont mis les terres en valeur
sans disposer d’un titre de propriété foncière. Le Code civil, faut-il le rappeler, définit
43
Cette disposition est confirmée à travers le même article par la loi n° 2019-868 du 14 octobre modifiant la loi
du 23 décembre 1998 précitée
24
le « droit acquis » comme une situation de fait maintenue bien que son existence soit
antérieure à l’entrée en vigueur d’une nouvelle réglementation. D’où l’intérêt de
savoir en quoi consiste la garantie prévue par la loi fondamentale. En d’autres
termes, de quelle façon les droits d’usage acquis sont garantis ?
A défaut d’indiquer comment les droits acquis sont garantis, la Constitution (article 12
in fine) précise que la loi détermine les règles relatives à la propriété, à la concession
et à la transmission des terres du domaine foncier rural. La loi d’orientation agricole
du 15 juin 2015 (article 61) dispose à cet effet que « L’Etat assure, conformément à
la législation foncière en vigueur, un accès équitable aux ressources foncières, à
tous les exploitants agricoles, personnes physiques ou morales ».
Il en résulte que la garantie des « droits acquis » prévue par la Constitution doit se
réaliser dans les conditions indiquées par la loi du 23 décembre 1998 relative au
domaine foncier rural, telle que modifiée par les lois subséquentes. Autrement dit, les
titulaires de droits fonciers acquis autres que ceux détenant un titre foncier, doivent
se soumettre aux procédures domaniales et foncières prévues par la loi du 23
décembre 1998 précitée et ses textes d’application. En clair, les droits d’usage
acquis sont garantis suivant les modalités prévues par cette loi. Suivant les
dispositions de cette loi, le titulaire non national d’un droit d’usage peut bénéficier de
la conclusion d’un bail en tenant compte des pratiques en vigueur dans la localité
(décret n° 2019-266 du 27 mars 2019 fixant les modalités d’application au domaine
foncier rural de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998).
En ce qui concerne les personnes morales maintenues dans leur droit de
propriété, elles ne peuvent céder leurs droits à un cessionnaire qui n'a pas accès à la
propriété foncière qu'à la condition de déclarer le retour de leurs terres au domaine
de l'Etat. Dans une telle hypothèse, le cessionnaire désigné peut bénéficier d'un bail
emphytéotique ou d’une location de la part de l'Etat.
Si à compter de la loi du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural, les
personnes physiques non ivoiriennes et les personnes morales n'ont plus accès à la
propriété foncière, rien n'interdit qu'elles puissent obtenir un certificat foncier. Il suffit
pour cela qu'elles puissent justifier de l'existence paisible et continue de droits sur le
domaine coutumier. Mais le certificat foncier qui leur est délivré dans ces conditions
ne peut en aucun cas leur ouvrir la voie à la propriété foncière. Toutefois, l’Etat est
tenu de conclure un bail emphytéotique avec le cessionnaire44.
B/ L'attribution des terres du domaine concédé
Avant la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998, la mise en valeur constituait le critère
d'attribution de la pleine propriété des terres. Le bénéficiaire d'un permis d'occuper
ou d'une concession provisoire ne devenait propriétaire foncier par la voie de
l'immatriculation, qu'après constat de mise en valeur de son terrain. Cette procédure
était encore valable pour les titulaires de concessions provisoires, à travers la
consolidation de leurs droits, conformément au défunt décret n° 99-595 du 13
octobre 1999 fixant la procédure de consolidation des droits des concessionnaires
provisoires de terres du domaine foncier rural.
Mais depuis le décret n°2019-265 du 27 mars 2019 (article 4) fixant la procédure de
consolidation des droits des concessionnaires provisoires de terres du domaine
foncier rural, la mise en valeur n’est plus requise. Pour accéder à la propriété
44
Voir article 26 nouveau de la loi du 14 octobre 2019 précitée.
25
foncière, il suffit simplement que l'ancien concessionnaire soit une personne
physique ivoirienne. .
L’attribution d’une terre rurale à une personne déterminée crée au profit de celle-ci
des droits fonciers. Mais ces droits ne mettent pas leurs titulaires à l’abri d’un retrait
des terres à eux attribuées.
Contrairement au décret précité qui avait fixé un délai précis pour la demande
d’immatriculation, le décret n° 2019-266 du 27 mars 2019 portant sur le même objet
s’est contenté d’indiquer à son article 24 que « le détenteur du certificat foncier est
tenu de requérir l’immatriculation du bien foncier concerné dans le délai prévu par les
45
Séraphin NENEBI, Jean-Paul COFFI, Aline AKA LAMARCHE et Chelom Niho GAGO ; le droit foncier
ivoirien, CNDJ/UE 2016, pp 176 et s.
26
dispositions légales en vigueur ». Après plusieurs années de vide juridique, un délai
de 10 ans a finalement été fixé par décret adopté en Conseil des ministres le 05 avril
2023, décret portant sur l’immatriculation des terres rurales.
27
CHAPITRE 2- LES REGLES DE GESTION DU DOMAINE FONCIER URBAIN
28
septembre 1942. Cet arrêté fixe les limites du domaine public délimité sous réserve
de tous droits des tiers.
Concernant sa consistance, le domaine public maritime est constitué du sol et du
sous-sol compris entre la limite de la mer territoriale (étendue de mer évaluée à
douze miles marins à partir de la ligne de base) et les limites hautes du rivage, en
l’absence de perturbations météorologiques exceptionnelles.
b- Le domaine public fluvial
Ce domaine comprend :
- les cours d’eau navigables ou flottables dans les limites déterminées par la
hauteur des eaux coulant à plein bord avant de déborder ainsi qu’une zone
de passage de vingt-cinq mètres de large à partir de ces limites sur chaque
rive et sur chacun des bords des îles ;
- les sources et cours d’eau non navigables ni flottables dans les limites
déterminées par la hauteur des eaux coulant à plein bord avant de
déborder ;
- les lacs, étangs et lagunes dans les limites déterminées par le niveau des
plus hautes eaux avant le débordement avec une zone de vingt-cinq mètres
de large à partir de ces limites sur chaque rive extérieure et sur chacun des
bords des îles ;
- les nappes aquifères souterraines, quelles que soient leur provenance, leur
nature et leur profondeur.
À côté du domaine public naturel, il existe un autre dit artificiel.
2- Le domaine public artificiel.
La notion de domaine public artificiel est appréhendée à travers le décret du 29
septembre 1928.Ce domaine comprend l’ensemble des biens créés par l’homme. Il y
a le domaine public maritime artificiel composé des ports, de canaux de navigation,
de digues etc.et le domaine public terrestre qui comprend les routes, autoroutes,
voies ferrées, aérodromes. A ces éléments, il faut ajouter leurs dépendances par
application de la théorie de l’accessoire. Ainsi sont considérés comme dépendances
des voies publiques, les nombreux éléments compris dans l’emprise des routes
comme par exemple les caniveaux, les accotements, les panneaux de signalisation,
les trottoirs etc.47. Le décret du 29 septembre 1928 mentionne dans l’énumération,
les installations téléphoniques et leurs dépendances, les ouvrages déclarés d’utilité
publique en vue de l’utilisation des forces hydrauliques et du transport de l’énergie
électrique et les ouvrages de fortification des places de guerres ou des postes
militaires, ainsi qu’une zone large de 250 mètres autour de ces ouvrages.
La définition par énumération est complétée par une définition synthétique.
B- La définition synthétique
Aux biens énumérés comme faisant partie du domaine public, l’article premier du
décret de 1928 ajoute les biens de toute nature que le code civil et les lois françaises
déclarent non susceptibles de propriété privée“.
Mais que recouvre cette notion de biens insusceptibles de propriété privée ? Au-delà
des controverses que cette question peut susciter, il faut simplement préciser que la
définition synthétique vient rappeler que l’énumération n’est pas exhaustive. Avec
47
Karim DOSSO : Cours de droit administratif des biens, UCAO 2013-2014.
29
cette approche, le législateur a la possibilité tout comme la jurisprudence, d’allonger
la liste et d’élargir le champ des biens du domaine public 48 en tenant compte des
besoins de l’Etat et des Collectivités territoriales. C’est le cas notamment avec la loi
n°2002-102 du 11 février 2002 relative à la création, à la gestion et au financement
des parcs nationaux et des réserves naturelles. En son art.7, la loi précise que “les
réserves naturelles intégrales et les parcs nationaux font partie du domaine public
inaliénable de l’Etat“. L’alinéa 3 dispose que “le domaine public des réserves
naturelles intégrales et des parcs nationaux comprend, selon le cas indistinctement,
le domaine public terrestre, maritime, lagunaire, fluvial ou aérien“.
Comme on le constate, l’objectif de la loi est la volonté de l’Etat de conférer aux
biens fonciers des parcs nationaux et réserves naturelles, la domanialité publique
afin d’assurer leur gestion durable.
En milieu urbain plus qu’en zone rurale, la gestion du domaine public fait intervenir
plusieurs acteurs, notamment l’Etat et les Collectivités territoriales ? Ceux-ci
entretiennent des relations de complémentarité dans la gestion du domaine public.
Paragraphe 2- Les relations domaniales entre l’Etat et les Collectivités
territoriales
Le décret du 29 septembre 1928 pose le principe général de l’existence des
éléments composant le domaine public. Ces biens appartiennent à l’Etat. Mais avec
l’avènement des Collectivités territoriales, il faut pouvoir établir une distinction entre
le domaine public de l’Etat et celui des Collectivités territoriales dès lors que l’art.90
de la loi n°2012-1128 du 13 décembre 2012 portant organisation des Collectivités
territoriales dispose que “le domaine des Collectivités territoriales comprend le
domaine public et le domaine privé. Les textes ci-dessus fixent les règles actuelles
de répartition des biens entre l’Etat et les Collectivités territoriales (A). Mais au-delà
de ces textes, il faut un mécanisme d’actualisation régulière du fichier des biens des
deux entités afin d’éviter les conflits de compétence (B).
A- Les règles actuelles de répartition des biens du domaine public
Il résulte de l’art.91 de la loi du 13 décembre 2012 susvisée que le domaine public
des Collectivités territoriales comprend :
1) les parcelles situées sur le territoire de l’entité décentralisée et qui ont
reçu, de droit ou de fait, une affectation comme rues, routes, places et
jardins publics. En sont exclus, les ouvrages ci-dessus énumérés dont la
création et l’entretien incombent à l’Etat ou à une autre Collectivité
territoriale ;
2) les parcelles situées sur le territoire de l’entité décentralisée et qui
supportent des ouvrages d’intérêt public chaque fois que la charge
incombe à la Collectivité territoriale ;
3) les parcelles situées sur le territoire de l’entité décentralisée et constituant
l’assiette d’un ouvrage prévu aux plans d’aménagement ou d’urbanisme
régulièrement approuvés ou ayant fait l’objet d’une déclaration d’utilité
publique ;
4) tous les autres biens compris dans le domaine public lorsqu’ils ont été
transférés à la Collectivité territoriale conformément aux dispositions
légales et règlementaires relatives au domaine public.
48
Karim DOSSO, op. Cit.
30
De ce qui précède, il faut retenir que le critère géographique pris isolement semble
inopérant pour déterminer le lien de rattachement du bien à l’Etat ou à la Collectivité
territoriale car un bien public situé sur le territoire d’une Collectivité territoriale
donnée peut appartenir à une autre Collectivité ou à l’Etat dès lors que sa création
ou son entretien incombe à ce dernier. Il convient de combiner le critère
géographique et celui de la création ou de l’entretien pour déterminer à qui appartient
le bien public.
Le texte précité fait également référence au critère de la cession ou du transfert
lorsqu’au moment de la création de la Collectivité territoriale, l’Etat lui cède la
propriété de ses biens situés sur son territoire.
Dans la pratique, la distinction entre le domaine public de l’Etat et celui des
Collectivités territoriales dans l’espace urbain n’est pas toujours précise. Aussi
importe-t-il que les Collectivités territoriales et l’Etat unissent leurs efforts afin que
leur domaine public respectif soit précisément inventorié pour une gestion plus
efficace49.
B- La nécessité d’une actualisation du fichier des biens des Collectivités et de
l’Etat
Le décret n°84-852 du 4 juillet 1984 portant déclaration des voiries et des réseaux
divers d’intérêt national et d’intérêt départemental dans les limites des communes
autres que celles composant la ville d’Abidjan permet de préciser le statut du
domaine public de chaque Collectivité territoriale par rapport à l’Etat. C’est une
avancée significative mais insuffisante dans la mesure où ce texte ne prend en
compte que la voirie et les réseaux divers50.
La loi déterminant les limites de chaque commune ou Collectivité territoriale devrait
également inventorier les biens publics de chaque entité afin que leurs gestionnaires
aient une idée précise de l’assiette des domaines tant publics que privés. C’est un
gage de bonne gouvernance. L’inventaire permettrait à chaque acteur (Etat,
Collectivités territoriales et usagers) d’affirmer et d’exercer ses droits dans le respect
des textes en vigueur.
Par ailleurs, dans le cadre de la politique de décentralisation qui emporte gestion des
entités territoriales par des élus locaux, les populations apprécieraient à sa juste
valeur l’idée d’avoir un seul interlocuteur quant aux actes portant sur un bien public
en milieu urbain.
Paragraphe 3- L’utilisation et la protection du domaine public
Le domaine public est affecté à l’usage tant du public que des services publics. Dans
les deux cas, des règles bien établies assurent son utilisation rationnelle. L’étude de
la protection du domaine public (B) sera suivie de celle de l’utilisation de celui-ci (A).
A- L’utilisation du domaine public
L’Etat et les Collectivités territoriales peuvent user de leur domaine ou le mettre à la
disposition de leurs administrés. Dans le premier cas, il s’agit du domaine public
affecté au service public et dans le second, du domaine public mis à la disposition
des administrés
49
Karim DOSSO : op. Cit.
50
Art.5 du décret n°84-852 du 4 juillet 1984 : « dans les limites des communes visées à l’art.2, sont déclarées
d’intérêt national les réseaux divers ci-après, les oléoducs, les réseaux téléphoniques....... ».
31
Le domaine public affecté au service public peut être utilisé par la personne publique
elle-même (Etat, Collectivité territoriale) ou par un concessionnaire. Lorsque la
personne publique utilise elle-même son domaine, a priori, cela ne pose pas de
problèmes particuliers. Cependant, l’Administration propriétaire ne doit pas en
principe détourner le bien public de son affectation. Lorsque le service public fait
l’objet de concession, l’utilisation du domaine public dépendant de ce service public,
est confiée au concessionnaire conformément à l’acte de concession.
Quant au domaine public affecté à l’usage du public, il peut être utilisé collectivement
ou individuellement. A côté de l’utilisation collective du patrimoine public qui est en
principe libre, gratuite et égale pour tous, certaines personnes peuvent solliciter de la
Collectivité territoriale qu’elle leur laisse utiliser de manière privative une parcelle du
domaine public.
B- La protection du domaine public
Les propriétés privées sont placées sous la protection des tribunaux. Ainsi, lorsqu’un
propriétaire subit un préjudice (empiètement ou dégradation), il ne doit pas se faire
justice lui-même. Il doit obtenir du tribunal une condamnation du responsable du
dommage. Une telle procédure n’est pas compatible avec les nécessités de la
protection du domaine public. Si une route est obstruée ou une dépendance de la
voirie est occupée irrégulièrement par des constructions, il n’est pas possible
d’attendre la fin du procès pour rétablir la circulation ou l’ordre public qui est troublée.
Pour ce faire, le législateur a prévu une protection pénale du domaine public à
laquelle s’ajoute une protection civile.
51
Karim, DOSSO op. cit. p26.
32
SECTION 2- LA GESTION DU DOMAINE PRIVE
En milieu urbain, fait partie du domaine privé de l’Etat, tout ce qui n’est pas classé
dans le domaine public conformément à l’article premier du décret du 29 septembre
1928. L’art.92 de la loi n°2012-1128 du 13 décembre 2012 portant organisation des
Collectivités territoriales vient confirmer cette tentative de définition du domaine privé
en partant du connu pour cerner l’inconnu. Ainsi selon le texte susvisé “le domaine
privé des Collectivités territoriales comprend les biens meubles et immeubles n’ayant
pas le caractère public et lui ayant été affectés“. L’art.93 précise que “les domaines
public et privé de la Collectivité territoriale sont soumis au même régime juridique
que le domaine de l’Etat.
33
C- Les biens relevant de prérogatives de puissance publique
Outre la voie contractuelle décrite ci-dessus, les personnes publiques peuvent
recourir à des procédés relevant de leur prérogative de puissance publique pour
contraindre des particuliers à leur céder leurs biens. Il faut distinguer à cet effet, les
cessions forcées à la suite d’une procédure d’expropriation52pour cause d’utilité
publique et les autres modes exceptionnels que sont la confiscation pénale d’un bien
foncier appartenant à un condamné, le droit de préemption consécutif à l’aliénation
d’un bien immobilier et la purge des droits coutumiers suivie de l’immatriculation au
nom de la personne publique.
Paragraphe 2- Les modes de gestion du domaine privé
La loi n° 2020-624 du 14 août 2020 instituant Code de l’Urbanisme et du Domaine
foncier urbain fixe aujourd’hui les règles d’acquisition de la propriété des terrains
urbains (B). Elle abroge l’ordonnance n° 2013-481 du 2 juillet 2013 fixant les règles
d’acquisition de la propriété des terrains urbains, ordonnance qui avait mis fin aux
modes d’attribution antérieurs (A).
52
La procédure d’expropriation ayant été traitée au chapitre des cessions, il ne reste qu’à traiter des autres
modes exceptionnels.
34
La mise à disposition d’un terrain domanial urbain pouvait être matérialisée par
la délivrance d’une lettre d’attribution. 53La lettre d’attribution est un acte par
lequel l’Administration signifiait à une personne physique ou morale son
intention de lui céder une parcelle de son domaine privé, moyennant le
versement d’un prix et l’engagement de procéder à la mise en valeur du terrain.
Il était aussi indiqué dans la lettre d’attribution qu’aucune cession du lot ne
pouvait être admise avant l’obtention de l’arrêté de concession provisoire,
voire du titre foncier.
3- Le certificat de propriété
Dans un souci de simplification de la procédure d’accès à la propriété foncière,
l’annexe fiscale de la loi n°2002-156 du 15 mars 2002 portant loi de finance de
l’année 2002 (art.36) permettait d’acquérir le titre de propriété sans mise en valeur
préalable. De même cette loi a également supprimé l’arrêté de concession définitive
et la copie du titre foncier. Ainsi dès le paiement du prix de cession et des taxes
foncières, un certificat de propriété en lieu et place de la copie du titre foncier était
établi par l’Administration au nom du demandeur.
Pouvaient bénéficier de la procédure donnant accès au certificat de propriété :
- les détenteurs d’un arrêté de concession provisoire ;
- les détenteurs d’une lettre d’attribution ;
- les détenteurs d’actes administratifs de vente émanant de l’ex Direction du
Contrôle des Grands Travaux (DCGTx), de l’ex Service des Ventes
Immobilières (SVI), du Bureau National d’Etudes Techniques et
Développement (BNETD) ou de l’Agence de Gestion Foncière (AGEF).
Dans la pratique, l’intervention de plusieurs acteurs pour l’établissement des
différents actes relatifs à l’attribution d’un terrain en milieu urbain constituait une
source de difficultés. D’où des conflits récurrents ayant pour causes, notamment,
l’attribution d’un terrain en dehors de la commission, l’attribution de terrain sans
vérification des titres, l’attribution d’un même lot à plusieurs personnes, la fraude
dans l’établissement de la lettre d’attribution, le retrait de lot sans mise en demeure
et la réattribution à un tiers du même lot, etc..
53
Décret n° 78-690 du 18 août 1978. Décret n° 2005-261 du 21 juillet 2005 fixant les modalités d’application en
matière d’urbanisme et d’habitat de la loi n° 2003-208 du 07 juillet 2003 portant transfert et répartition de
compétences de l’Etat aux Collectivités territoriales.
35
(lettre d’attribution, concession provisoire, certificat de propriété, etc.). En clair, ceux-
ci ne peuvent plus être délivrés par l’Administration.
54
Décret n° 2021-785 du 08 décembre 2021 déterminant la procédure de délivrance de l’Arrêté de Concession
Définitive.
55
Voir Infra appropriation foncière des terrains urbains, P. 72 et s.
36
TITRE 2 :
LE CADRE STRUCTUREL ET OPERATIONNEL
DE GESTION
Plusieurs structures interviennent dans la gestion des terres. Il s’agit des structures
de l’Administration centrale ou déconcentrée auxquelles il convient d’ajouter les
structures de décentralisation territoriale ou technique. Leur examen ci-après
(chapitre 1) sera suivi de l’étude du cadre opérationnel de gestion (chapitre 2).
CHAPITRE 1.- LES STRUCTURES DE GESTION
Les structures de gestion varient selon qu’il s’agisse du milieu rural (section 1) ou du
milieu urbain (section 2).
SECTION 1- LES STRUCTURES DE GESTION DES TERRES RURALES
Ces structures sont composées d’une part, des entités publiques (para 1), d’autre
part, de structures ad hoc de gestion participative du domaine foncier rural (para 2).
Paragraphe 1. Les entités publiques
Plusieurs ministères interviennent dans la gestion du domaine foncier rural. A ces
structures étatiques (A), il y a lieu d’ajouter les Collectivités territoriales (B) et
l’Agence Foncière Rurale (C).
Les décrets portant attributions des membres du Gouvernement ont toujours confié
la gestion du domaine foncier rural au Ministère en charge de l’Agriculture 56(1). Cette
gestion se fait en liaison avec d’autres ministères concernés peu ou prou par
l’utilisation ou l’exploitation des ressources foncières (2). Pour assurer une meilleure
gestion du foncier rural, il a été créé depuis 2016, l’Agence Foncière Rurale ou
AFOR (3)
1- Le Ministère en charge de l’agriculture, gestionnaire du domaine foncier
rural
Le Ministère en charge de l’agriculture assure la gestion du domaine foncier rural. Il
est chargé de l’élaboration de la politique de gestion du domaine foncier rural et
corrélativement de la réglementation qui s’y rapporte. Depuis plusieurs décennies,
les décrets successifs portant organisation des Ministères en charge de l’Agriculture
ont toujours créé une Direction en charge du foncier rural 57. De façon générale, la
Direction du foncier rural assure les missions régaliennes de l’Etat qui sont
notamment : la gestion du domaine foncier rural de l’Etat, l’élaboration et la mise en
œuvre de la Réglementation foncière, la participation à la mise en œuvre de
stratégies de gestion durable des ressources foncières et de l’espace rural sans
oublier la participation à la mise en place du cadastre rural.
56
-Voir dans ce sens le décret n° 2013-506 du 25 juillet 2013 portant attributions des membres du Gouvernement,
tel que modifié par le décret n° 2013-802 du 21 novembre 2013.
57
Voir dans ce sens le décret n° 2011-397 du 16 novembre 2011 portant organisation du Ministère de
l’Agriculture.
37
Depuis 2016, les missions de mise en œuvre de la réglementation foncière et en
particulier de la loi foncière du 23 décembre 1998 relèvent de l’Agence Foncière
Rurale. Mais dans les localités où l’AFOR n’est pas encore implantée, Ces missions
technique continuent d’être exécutées par la Direction départementale en charge de
l’Agriculture.
2- Les autres Ministères intervenant dans la gestion du domaine foncier rural
a- Le Ministère en charge de la gestion financière du domaine immobilier de
l’Etat
La gestion financière du domaine immobilier de l’Etat relève généralement du
Ministère en charge de l’Economie et des Finances. L’intervention de ce Ministère
chargé de la gestion du domaine immobilier de l’Etat et en particulier des terres
rurales revêt un double aspect technique et financier.
Au plan technique, il intervient à travers d’une part, le service de la conservation de
la propriété foncière et des hypothèques et d’autre part, le service du cadastre. Le
service de la conservation de la propriété foncière et des hypothèques est chargé
des formalités d'immatriculation au livre foncier; il assure également la tenue des
actes et plans relatifs aux immeubles immatriculés de même que la communication
au public de toute information ayant trait à ceux-ci. L’ensemble de ces tâches sont
accomplies par le conservateur de la propriété foncière et des hypothèques à qui la
réglementation assigne trois tâches principales : création des titres fonciers,
inscription sur lesdits titres de droits réels y afférents et conservation des documents
d’archives relatifs aux titres fonciers créés.
Quant au service du cadastre, son rôle consiste à constituer des documents officiels
qui donnent des informations sur le patrimoine immobilier national. A ce titre,
plusieurs missions lui sont assignées : créer et conserver le cadastre en zones
urbaines et rurales, coordonner les activités cadastrales des services extérieurs de la
Direction Générale des impôts, coordonner les opérations d’assiette, contrôler
l’impôt foncier, etc.
Au plan financier, le ministère en charge de la gestion du domaine immobilier de
l’Etat perçoit les produits découlant des ventes et locations des biens fonciers ruraux
de l’Etat. De même, il définit l'assiette de l'impôt foncier et assure son recouvrement.
38
c- Le Ministère en charge des eaux et forêts
Le rôle de ce Ministère consiste à veiller sur l'intégrité du domaine forestier
permanent de l'Etat (forêts classées, périmètres de protection et de reboisement,
parcs nationaux et réserves naturelles) et à éviter que celui-ci ne soit attribué par
inadvertance ou non à des particuliers58. C'est la raison pour laquelle son intervention
a toujours été nécessaire en matière d'attribution des terres pour vérifier si la parcelle
de terre demandée n'est pas située dans le domaine forestier classé de l'Etat.
d- Le Ministère en charge de la construction et de l'urbanisme
L'intervention du Ministère en charge de la construction et de l'urbanisme dans la
gestion du domaine rural, vise à vérifier si la parcelle de terre demandée à des fins
agricoles, ne fait pas partie du domaine foncier urbain. Il s'agit de cette façon de
préserver contre toute atteinte les plans directeurs ou d'urbanisme et les zones
d'aménagement différé (Z.A.D).
58
-Aux termes de l’article 11 du décret n° 2014-521 du 15 septembre 2014 portant organisation du Ministère des
Eaux et Forêts, la Direction Générale des Eaux et Forêts est notamment chargée de maintenir l’intégralité du
domaine forestier de l’Etat.
59
Loi n° 2003-489 du 26 décembre 2003 portant régime foncier, fiscal et domanial des Collectivités territoriale.
Décret n° 2005-307 du 29 septembre 2005 fixant en matière de promotion de l’agriculture, les modalités
d’application de la loi n° 2003-208 du 07 juillet 2003 portant transfert et répartition de compétences de l’Etat aux
Collectivités territoriales.
39
tâches pratiques qui antérieurement étaient dévolues à la Direction du Foncier rural
et du cadastre. Il s’agit entre autres multiples tâches :
- d’exécuter les actions de sécurisation du foncier rural, notamment par la
conclusion de conventions ;
- de mobiliser les ressources pour la mise en œuvre des actions de sécurisation du
domaine foncier rural ;
- de conseiller les pouvoirs publics sur toutes les questions liées à la gestion du
domaine foncier rural ;
- de recenser et de sécuriser le patrimoine foncier rural de l’Etat ; etc.
40
2- Attributions et fonctionnement
La création des comités de gestion foncière rurale répond au souci de l'Etat
d'associer davantage les populations locales à la gestion des ressources foncières.
Certes, dans la réglementation en vigueur avant la réforme foncière du 23 décembre
1998, ces populations et en particulier les autorités foncières coutumières, n'étaient
pas ignorées. Cependant leur rôle en pratique était plus consultatif que décisionnel et
se limitait qui plus est, à l'attribution des terres.
Le décret précité portant organisation et attributions des comités de gestion foncière
rurale associe non seulement les populations au processus décisionnel, mais aussi,
il élargit le domaine d'intervention des dites populations dans la gestion des
ressources foncières. Car à travers les comités mis en place, les représentants de
ces populations interviennent obligatoirement avec voix délibérative, sous forme
d’avis conformes, sur la validation des enquêtes officielles de constat de droits
fonciers coutumiers et sous forme d’avis simples, sur les implications foncières des
différents projets de développement rural. Le Comité peut également être saisi pour
avis simple par les autorités compétentes de toute question relative au domaine
foncier rural. Il peut enfin prendre l’initiative d’étudier toute question relevant de sa
compétence en vue de faire des propositions aux autorités compétentes.
Les comités constituent des organes essentiels de gestion foncière rurale ; ils sont
censés être la cheville ouvrière en matière d’enquêtes foncières et de délivrance des
certificats fonciers, l’objectif visé étant la sécurisation foncière. Ainsi, les comités
villageois de gestion foncière participent notamment, en ce qui concerne la
procédure de délivrance des certificats fonciers, à l’enquête, au constat des limites, à
la publicité des résultats des enquêtes, à la clôture de la publicité des résultats de
l’enquête officielle.
B- La Commission foncière rurale
La commission foncière rurale est un organe intersectoriel de suivi de la situation
foncière rurale60 ayant principalement pour missions de :
- suivre la mise en œuvre de la loi du 23 décembre 1998 relative au domaine
foncier rural ;
- constituer un observatoire du domaine foncier rural ;
- proposer tous compléments ou modifications du cadre juridique foncier rural
existant ;
- suggérer les études nécessaires à une bonne évolution du domaine foncier
rural ;
- proposer les actions de formation, d’information, et de sensibilisation des
populations et des services ruraux en matière foncière.
La Commission foncière rurale est composée des représentants des principaux
acteurs du secteur agricole : Ministères techniques, Institutions nationales,
producteurs agricoles, autorités coutumières et religieuses, centres de recherche
universitaire, partenaires techniques et financiers du monde rural. La Commission
foncière rurale est dotée, d’une part, d’un secrétariat permanent assuré par le
Directeur du foncier rural du Ministère de l’Agriculture, d’autre part, de deux groupes
de travail (comité juridique et comité technique).
60
-Articles 2 et 3 de l’arrêté n° 55 du 11 juillet 2003 portant organisation de la Commission foncière rurale.
41
Malgré ses missions et sa composition qui suggèrent une participation effective des
acteurs concernés à la gestion du domaine foncier rural, la Commission ne constitue
qu’un simple organe consultatif61’. Elle n’a guère l’’autonomie nécessaire pour donner
une vision extérieure de la gestion du domaine foncier rural. Car le Ministère en
charge de l’Agriculture qui est chargé de la gestion du domaine foncier rural joue un
rôle déterminant au sein de la Commission, apparaissant à la fois comme juge et
partie. A ces limites, s’ajoute le caractère non opérationnel de la Commission. Alors
qu’elle est censée se réunir au moins une fois tous les six mois, la Commission
foncière rurale n’a eu qu’une seule séance de travail depuis sa création. Le suivi de
la situation foncière et la réflexion sur l’optimisation de la gestion du foncier rural qui
lui ont été confiés sont restés lettre morte62. Il en résulte qu’il est permis de
s’interroger sur l’opportunité de la survivance de cette commission.
SECTION 2- LES STRUCTURES DE GESTION DU DOMAINE URBAIN
Plusieurs structures étatiques interviennent dans la gestion du domaine foncier
urbain (paragraphe 1). A celles-ci, il y a lieu d’ajouter les structures décentralisées et
ad hoc (paragraphe 2).
Paragraphe 1- Les structures étatiques
La gestion du domaine foncier urbain, relève de la compétence du Ministère en
charge de la construction et de l’urbanisme (A)et de celui des Infrastructures
Economiques en liaison avec le Ministère auprès du Premier Ministre, en charge du
Budget (B).
A- Le Ministère en charge de la construction et de l’urbanisme
Le décret portant organisation du ministère en charge de la Construction, et de
l’Urbanisme63 crée au sein dudit ministère des directions (1)et des services chargés
de gérer le domaine foncier privé de l’Etat(2).
1- Les directions
La gestion du foncier relève de la direction générale en charge de l’urbanisme et du
foncier laquelle comprend deux directions : la Direction en charge du domaine urbain
et celle en charge de la topographie et de la cartographie. Les attributions de chaque
direction permettent d’apprécier le rôle éminemment important du ministère en
charge de la construction et de l’urbanisme dans la délivrance des titres d’occupation
et la gestion des litiges qui peuvent subvenir.
Ainsi la direction en charge du domaine urbain assure la gestion du domaine de
l’Etat en milieu urbain. Cette compétence emporte des tâches plus spécifiques
d’instruction de dossier, de rédaction d’actes et de suivi de la mise en œuvre de la
règlementation et des procédures de gestion foncière. La direction est notamment
chargée d’appliquer la législation, la règlementation et les procédures de gestion
foncière par la délivrance d’actes, d’instruire la délivrance des arrêtés de concession
définitive et des actes administratifs sur les terrains industriels, de rédiger les baux
emphytéotiques et les procès-verbaux de constat de mise en valeur, etc.
Quant à la direction en charge de la topographie et de la cartographie, elle
constitue un maillon essentiel dans la chaîne du processus de reconnaissance des
61
-Voir article 3 de l’arrêté n° 55 du 11 juillet 2003.
62
-Nanakan OUATTARA, op.cit.p.31.
63
Journal Officiel de la République de Côte d’Ivoire du 11 décembre 2014 p1394.
42
droits de l’Etat et des particuliers sur les terrains urbains. La parcellisation régulière
et approuvée est exigée par la réglementation en vigueur. Ainsi, “aucun terrain ne
peut faire l’objet d’un arrêté de concession définitive, s’il n’est issu d’un lotissement
approuvé par le Ministère en charge de la construction et de l’urbanisme et dont le
périmètre a été préalablement immatriculé“64. Dans ce cadre, la direction de la
topographie et de la cartographie est notamment chargée de plusieurs opérations qui
concourent à la bonne gestion du domaine urbain. Ces tâches consistent entre
autres à effectuer les opérations topographiques et cartographiques pour le compte
de l’Etat et des collectivités ; à créer les plans domaniaux, en liaison avec la direction
du domaine urbain, etc.;
2- Les services
Au titre des services, il faut retenir le service en charge de la recherche du foncier
pour les grands projets de l’Etat, le service en charge du contrôle et de la production
des actes et le service du Guichet unique du foncier. Ces services sont rattachés au
cabinet du Ministre chargé de la construction et de l’urbanisme.
Enfin, le service du Guichet unique du foncier joue un rôle essentiel dans le cadre
de la délivrance de l’arrêté de concession définitive. En effet, comme son nom
l’indique, ce Service est le seul lieu où sont déposées les demandes d’arrêtés de
64
Loi n° 2020-624 du 14 août 2020 instituant Code de l’Urbanisme et di domaine foncier urbain (article 224) ;
décret n° 2021-785 du 08 décembre 2021 déterminant la procédure de délivrance de l’arrêté de concession
définitive (article 2).
43
concession définitive65, mais également le service où s’effectue le retrait par le
demandeur de l’arrêté de concession définitive.
B- Le Ministère en charge des Infrastructures Economiques
Il gère le domaine public de l’Etat à travers la Direction en charge du domaine
public66. Cette Direction est chargée notamment :
- de participer à la révision et à l’élaboration des textes en matière de gestion
et de préservation du domaine public ;
- de mettre en application les lois et règlements relatifs au domaine public de
l’Etat, notamment la réglementation de l’occupation du domaine public de
l’Etat ;
- de recenser, de délimiter et d’immatriculer les parcelles du domaine public ;
- de participer à l’immatriculation des parcelles du domaine public.
C- Le Ministère en charge du Budget
Il gère le domaine public et le domaine privé de l’Etat. Il est chargé de la gestion
patrimoniale des biens de l’Etat. Le Ministère en charge du Budget 67 intervient à
travers la Direction générale des impôts dont la mission consiste notamment à :
- élaborer, appliquer la législation et la règlementation fiscale et parafiscale ;
- assurer la conception, la création et la gestion du cadastre en zones urbaine
et rurale ;
- assurer la conservation de la propriété foncière et des hypothèques ;
- assurer la gestion financière du domaine de l’Etat et des biens en
déshérences ;
- mener les opérations d’enregistrement et de timbre.
Au sein de la Direction Générale des Impôts, la Direction en charge de la
conservation de la propriété foncière et la Direction en charge du Cadastre
jouent un rôle essentiel dans le processus d’acquisition de l’arrêté de
concession définitive.
Paragraphe 2- Les structures décentralisées et parapubliques
Dans la mise en œuvre de la politique de décentralisation en Côte d’Ivoire, les
Collectivités territoriales tiennent une place importante dans la gestion de leur
territoire de compétence. Tout naturellement, le foncier urbain constitue une source
de revenu dont la gestion ne peut leur échapper mais qui a souvent été à l’origine
des conflits de compétences entre l’administration décentralisée et les organes de
tutelle. A côté de ces structures décentralisées que sont les Régions et les
Communes (A), il faut mentionner également, les organismes qui ont été
spécialement créés pour faire face à une situation donnée, ce sont les structures
parapubliques (B).
65
Art.11 du décret n° 2021-785 du 08 décembre 2021 déterminant la procédure de délivrance de l’arrêté de
concession définitive “le dossier de demande d’arrêté de concession définitive est déposé au service du Guichet
Unique du Foncier du Ministère en charge de la construction et de l’urbanisme“. Il en est de même de l’article 16
dudit décret lorsqu’il s’agit des chefs-lieux de régions.
66
Décret n°2011-392 du 16 novembre 2011 portant organisation du ministère des Infrastructures Economiques,
Journal Officiel de la RCI du 22 mars 2012 p230.
67
Décret n°2014-865 du 23 décembre 2014 portant organisation du Ministère auprès du Premier Ministre, chargé
du Budget ; Journal Officiel n°17 du 26 février 2015 p306.
44
A- Les Collectivités territoriales
La loi n°2003-208 du 07 juillet 2003 portant transfert et répartition de compétences
de l’Etat aux collectivités territoriales précise en son article premier que “les
Collectivités territoriales concourent avec l’Etat au développement économique,
social, sanitaire, éducatif, culturel et scientifiques des populations et, de manière
générale, à l’amélioration constante de leur cadre de vie. A cet effet, elles jouissent
d’une compétence générale et de compétences spéciales attribuées par les lois et
règlements“. A ce titre, le décret n°2005-261 du 21 juillet 2005 fixant les modalités
d’application en matière d’urbanisme et d’habitat, transfert notamment à la commune
certaines compétences dans le domaine du foncier urbain.
45
dans la chaîne foncière pour acheter directement des parcelles de terrains aux
détenteurs de droits coutumiers. Ainsi, des personnes morales et/ou physiques, en
dehors de l’Etat, de ses démembrements et des structures créées pour gérer son
domaine foncier, acquièrent des terres qui, en principe, devaient d’abord être
immatriculées au nom de l’Etat avant toute cession à un tiers.
Les développements qui suivent portent d’une part, sur les différents types de
lotissement (paragraphe 1), d’autre part, sur les procédures d’élaboration,
d’approbation et d’application des plans de lotissement (paragraphe 2).
Paragraphe 1- Les types de lotissement
Conformément à la réglementation en vigueur68, il existe trois types de lotissement :
le lotissement administratif (A), le lotissement privé (B) et le lotissement rural (C).
A-Le lotissement administratif : Il est initié sur des terrains urbains dépendant du
domaine privé de l’Etat ou des Collectivités territoriales, soit par le Sous-préfet
(lotissement public de l'Etat), soit par le maire (lotissement communal). Le
lotissement communal est également régi par la loi n°2003-208 du 7 juillet 2003
portant répartition et transfert de compétences de l’Etat aux collectivités territoriales
et le Décret n°2005-261 du 21 Juillet 2005 fixant les modalités d’application de cette
loi en matière d’urbanisme et d’habitat.
B- Le lotissement privé : il est initié par une personne propriétaire d’une parcelle en
vue de la production de terrains à usage d’habitation destinés à la vente sous forme
soit de terrains nus, soit d’opérations immobilières. La propriété de la parcelle résulte
de la détention d’un titre foncier (certificat de propriété, ACD).
C- Le lotissement rural : il est réalisé sur tout terrain non immatriculé dans le cadre
du développement, de l’aménagement et de la restructuration du milieu rural pour le
compte d’une ou plusieurs communautés villageoises à la demande de celles-ci. Ce
type de lotissement concerne généralement les villages situés en dehors du domaine
urbain. Mais exceptionnellement, il peut être réalisé pour les villages compris dans le
68
Décret n° 2021-784 du 08 décembre 2021 portant organisation des procédures d’élaboration, d’approbation et
d’application des plans de lotissement.
46
périmètre urbain lorsque le plan d’urbanisme en prévoit le maintien et éventuellement
l’extension.
47
Le projet de plan de lotissement est dressé par un urbaniste agréé et inscrit au
tableau de l’ordre national des urbanistes agréés. Ce projet est établi à partir de l’état
des lieux produit par un géomètre agréé inscrit au tableau de l’ordre des géomètre-
experts. Toutefois, les projets de plans de lotissement initiés par l’Etat ou les
Collectivités territoriales peuvent être dressés par les urbanistes de l’Administration
publique.
Le projet de plan de lotissement doit être établi conformément au plan d’urbanisme
directeur ou de tout autre document d’urbanisme équivalent.
C) L’approbation du plan de lotissement
L’approbation du plan de lotissement constitue une étape importante du processus
d’accès à la propriété foncière. Elle est réglementée par le décret du 08 décembre
2021 portant organisation des procédures d’élaboration, d’approbation et
d’application des plans de lotissement. En vertu de ce décret, le dossier de demande
d’approbation de plan de lotissement est déposé auprès du Guichet Unique du
Foncier qui le transmet à la Direction Générale en charge de l’Urbanisme et du
Foncier. Après avis de la Direction en charge de l’Urbanisme, le dossier est transmis
à la Direction en charge de la Topographie et de la cartographie et à la Direction en
charge du Cadastre lesquelles procèdent au contrôle de l’état des lieux. Une fois les
contrôles effectués et en l’absence d’objection, le dossier de demande d’approbation
est remis au lotisseur pour l’élaboration du projet de plan de lotissement.
Le projet de plan de lotissement fait alors l’objet d’un arrêté de mise en enquête
publique par le Ministre chargé de l’Urbanisme ou sur délégation de signature de
celui-ci, par le Préfet. Ouverte pour une durée d’un mois, l’enquête publique est
menée par un commissaire-enquêteur. Le commissaire-enquêteur transmet pour
avis, les résultats de l’enquête publique aux autorités locales compétentes (Maire ou
Sous-préfet) qui convoquent selon les cas, la commission consultative ou le Conseil
de sous-préfecture. Il convient de préciser que l’enquête publique ne concerne pas
les lotissements privés puisque dans ce cas, les terrains à lotir sont dotés de titres de
propriété.
Lorsqu’à l’issue de la procédure d’enquête publique, la demande d’approbation du
plan de lotissement est validée par la commission d’examen et d’évaluation
technique des dossiers de demande d’approbation de plans de lotissement, le
Ministre chargé de l’Urbanisme prend un arrêté d’approbation du projet de plan de
lotissement. Sont annexés à cet arrêté le cahier des charges de l’aménagement et le
règlement particulier d’urbanisme. L’arrêté d’approbation du plan de lotissement est
publié au journal officiel.et affiché dans les bureaux de la Collectivité territoriale
concernée, dans les services compétents chargés de l’urbanisme. Les références de
l’arrêté d’approbation et du plan de lotissement sont également affichés par le
lotisseur sur le terrain pendant la durée du chantier.
L’arrêté d’approbation délivré par le Ministre chargé de l’Urbanisme ne peut
cependant servir directement pour la demande d’ACD. Il faut que le plan soit
préalablement appliqué sur le terrain.
D) L’application du plan de lotissement
Le lotisseur fait appliquer et implémenter sur le terrain le plan définitif du lotissement
par un géomètre-expert agréé, inscrit au tableau de l’ordre des géomètres-experts de
48
Côte d’Ivoire. Chaque lot est alors matérialisé par des bornes de type réglementaire.
Cette application fait l’objet d’un contrôle de conformité effectué par la Direction en
charge de la Topographie et de la Cartographie. En l’absence d’un défaut de
conformité entre les travaux réalisés par le géomètre-expert et les documents
approuvés, cette Direction délivre un certificat de conformité.
Après la réception définitive des travaux, le plan implanté et le certificat de
conformité y relatif sont transmis par la Direction en charge de la Topographie et de
la cartographie à la Direction en charge de l’Urbanisme. Le plan de lotissement ainsi
implanté est adopté par arrêté conjoint des Ministres chargés de l’Urbanisme et de
l’Administration du territoire. C’est cet arrêté interministériel qui ouvre la voie à la
création massive de titres fonciers au nom de l’Etat. Les titres fonciers créés au nom
de l’Etat sont ensuite rétrocédés aux bénéficiaires des lots en vue de la demande
d’arrêtés de concession définitive (ACD).
69
-Décret du 26 juillet 1932 portant réorganisation du régime de la propriété foncière en Afrique Occidentale
Française.
49
A chaque titre foncier correspond dans les archives de la conservation, un dossier
comprenant : les pièces de la procédure d’immatriculation, le plan définitif de
l’immeuble, la série des bordereaux analytiques successivement établis et les actes
et pièces analysés.
70
-article 15 du décret du 26 juillet 1932 précité.
71
-Yves MARGUERAT : le livre foncier, l’exemple du Togo, in appropriation de la terre en Afrique
Noire, op.cit.P.261 et s.
72
-Conformément au décret n°2014-865 du 23 décembre 2014 portant organisation du ministère
auprès du Premier Ministre, chargé du Budget, la gestion du livre foncier relève de la Direction
Générale des Impôts et plus précisément de la Direction du domaine, de la Conservation foncière, de
l’Enregistrement et du Timbre laquelle comprend en son sein la sous-direction de la conservation
foncière.
73
-L’Alsace et la Moselle (France) qui ont hérité du système de l’immatriculation ont adopté depuis 2008 le livre
foncier électronique.
50
Paragraphe 2- Le cadastre
La définition, les missions et l’évolution du cadastre méritent d’être examinées (A),
de même que sa nature juridique (B). Il convient également de faire le
rapprochement entre le cadastre et le plan foncier (C)
A - Définition, missions et évolution du Cadastre
Que recouvre la notion de cadastre (1) ? Et quelle est son évolution (2) ?
1- Définition et missions
Le cadastre peut être défini comme un ensemble de documents officiels donnant des
informations sur les propriétés bâties et non bâties et sur l’identité de leurs
propriétaires. Au sens large, c’est un inventaire de la propriété foncière dont il donne
une description plus ou moins détaillée en vue de répondre aux besoins individuels
et collectifs de la société74. Cet inventaire se fait généralement par l’établissement
d’une documentation graphique (plans cadastraux) et d’une documentation littérale
contenue dans un registre. La mise en relation des données graphiques et littérales
se fait à travers l’utilisation d’un numéro d’identification qui permet de passer de
l’information graphique à l’information littérale75.
La création du service du cadastre remonte à l’époque coloniale avec la création en
1903 du service topographique rattaché à la Direction des travaux publics. Mais au
lendemain de l’indépendance, un service du cadastre sera créé par arrêté du 20 avril
1962.
Aujourd’hui, les missions du cadastre se présentent principalement comme suit :
- mission technique : réalisation, production, gestion et maintenance de
l’infrastructure et de la cartographie cadastrale ;
- mission foncière et juridique : description des immeubles et détermination de
leurs limites et superficies ; assistance au conservateur de la propriété
foncière dans la procédure de création des titres fonciers ;
- mission fiscale : détermination de l’impôt foncier à partir des déclarations
souscrites par les contribuables ;
- mission documentaire : collecte et mise à disposition de données aux
utilisateurs.
74
-Cabinet Klein-Godard et associés et Cabinet N’Goan, Dié-Kacou associés : étude juridique et administrative
du Plan foncier rural, Rapport 1996 volume 1, P. 113 et s.
75
-Alain DURAND-LASSERVE : cadastre à but fiscal, cadastre polyvalent, cadastre simplifié : faux problèmes et
vraies questions, in appropriation de la terre en Afrique Noire, Karthala 1991 P. 266 et s.
51
- La mise en place d’une politique efficiente d’affectation et d’exploitation des
terres.
2- Evolution du cadastre
L’histoire du cadastre remonte à la civilisation Gréco-romaine76et s’articule depuis
toujours sur la volonté des gouvernants de prélever sur les terres des particuliers les
ressources financières nécessaires au fonctionnement de l’Etat ou des Collectivités
territoriales ou de façon générale au développement socio-économique du pays.
Cette volonté de prélèvement est à l’origine de l’impôt foncier. Mais bien
évidemment, l’imposition suppose que chaque portion de terre soit localisée,
identifiée et évaluée. Or, cette tâche n’est pas toujours aisée pour des raisons
techniques, juridiques ou financières.
En Côte d’Ivoire, l’adoption du système de l’immatriculation depuis l’époque
coloniale, constituait déjà un pas vers l’identification et la capitalisation des terres.
Mais le caractère facultatif de l’immatriculation 77 n’a guère favorisé la mise en place
d’un cadastre général78. En effet, au regard de la réglementation coloniale en
vigueur79, le cadastre était considéré comme le résultat de l’immatriculation de
proche en proche jusqu’à l’immatriculation de toutes les parcelles d’un secteur
donné. Il en résulte le caractère progressif du cadastre car les opérations de
délimitation et de confection des plans sont faites au fur et à mesure des
immatriculations volontaires des particuliers. Conscient de cet obstacle,
l’Administration coloniale a pris le décret du 20 mai 1955, lequel a permis de
procéder à l’immatriculation obligatoire de toutes les parcelles situées dans les
périmètres urbains à cadastrer ayant fait l’objet d’un plan d’urbanisme 80. Ainsi a été
réalisé de 1964 à 1967 le cadastre complet de la ville d’Abidjan.
Si en milieu urbain, notamment à Abidjan, le cadastre a connu une application, il n'en
est pas de même en milieu rural. Il faut dire que contrairement au milieu urbain où,
du fait de la forte pression foncière, le coût du cadastrage est facilement amorti par
l’Etat, en milieu rural, il en va autrement. Pour remédier à cette situation, le Ministère
en charge de l’Agriculture a créé dès 2002 un service du cadastre rural rattaché à la
Direction du foncier rural. Ce service est notamment chargé de la délimitation des
terroirs villageois laquelle constitue une étape vers la stabilisation des droits
coutumiers et le cadastrage des terres en liaison avec les services compétents du
Ministère de l’Economie et des Finances. A ce niveau, au regard de l’immensité des
terres rurales et du coût des opérations de délimitation, un effort financier important
est attendu de l’Etat s’il veut procéder à un cadastrage général des terres rurales.
B- Nature juridique du cadastre
Les opérations de cadastrage donnent lieu à la confection de plusieurs documents.
Ces documents peuvent être consultés par les contribuables qui peuvent en obtenir
des extraits leur permettant de s’informer sur leur situation foncière ou fiscale. D’où
l’intérêt de s’interroger sur la nature juridique des documents cadastraux. En d’autres
76
-désigné par le mot latin « capistratum », le cadastre comportait sous l’empire romain une description des
superficies et des valeurs des terres et servait à l’Administration impériale à déterminer l’assiette de l’impôt
foncier par tête la « capitatioterrena ». Albert LEY.op.cit. p.343 et s.
77
-décret du 26 juillet 1932 précité, article 5.
78
- Albert LEY : op.cit. p.343 et s.
79
-décret du 26 juillet 1932 préc.
80
Chantal BLANC, op.cit.
52
termes, les documents cadastraux peuvent-ils par exemple, être utilisés par les
contribuables pour apporter la preuve de leurs prérogatives foncières ? A cette
question il convient de répondre par la négative. En effet, les documents cadastraux
sont des documents purement administratifs qui décrivent des situations de propriété
apparentes ; ils ne peuvent en aucun cas constituer une preuve ou même une
présomption de propriété. En conséquence, ils ne peuvent être utilement produits en
cas de contestation du droit de propriété lequel ne peut être établi que par le titre
foncier.
S’il est admis que les documents cadastraux ne peuvent établir la propriété, ils
peuvent cependant fournir un commencement de preuve de la propriété et des droits
réels y relatifs.
C- Perspectives de mise en place d’un cadastre national
En vue de collecter des données fiables sur l’occupation des terres en milieu rural,
l’Etat avait initié en 1988 le Plan foncier rural. Le Plan foncier rural est une opération
qui consiste en une vaste enquête foncière menée en zone rurale sur la base de
photos aériennes, complétées par des enquêtes au sol. Il vise notamment à faciliter
le règlement des conflits fonciers, à constituer une base pour l'aménagement et la
gestion des terroirs villageois et à faciliter l'accès au crédit81.
Après une phase pilote (1990-1996) suivie successivement d’une phase de
consolidation (1996-1997) et d’une phase d’extension (1997-1999), le plan foncier
rural a couvert au total neuf zones. A la fin du projet en 2002, 1 117 000 hectares
ont été délimités, 44 201 parcelles ont été levées, 708 villages ont été couverts pour
une superficie numérisée s’élevant à 638 550 hectares82.
Après 2002, le plan foncier rural est devenu une composante du programme national
de gestion des terroirs et de l'équipement rural (PNGTER), programme visant à
rationaliser l'utilisation des ressources foncières par l'association et la
responsabilisation des communautés rurales dans la gestion de leur terroir. Ce
programme sera suivi du programme national de sécurisation foncière rurale
(PNSFR) à travers lequel est mise en œuvre la réforme du 23 décembre 1998
relative au domaine foncier rural.
A la différence du cadastre qui porte sur des parcelles aux délimitations plus précises
et sur lesquelles s’exercent des droits de propriété, le Plan foncier rural a pour
objectif d'établir une cartographie du territoire national. Cette cartographie précise les
limites foncières à l'intérieur de chaque terrain villageois et recense pour chaque
81
-Jean-Pierre CHAUVEAU, Pierre-Marie BOSC et Michel PESCAY : le plan foncier rural en Côte d’Ivoire, in
quelles politiques foncières pour l’Afrique rurale, sous la direction de Philippe LAVIGNE DELVILLE, Karthala
1998, p. 553 et s ; Jacques GASTALDI : les plans fonciers ruraux en Côte d’Ivoire, au Benin et en Guinée, op.cit.
p. 475 et s. du même auteur : les systèmes d’information foncière, op.cit. P.449 et s ; Cabinet Klein-Godard et
associés, op.cit.
82
-sources : Direction du foncier rural, Ministère de l’Agriculture.
53
parcelle identifiée l'ensemble des droits qui s'y exercent et les détenteurs de ces
droits. Faut-il en déduire que les documents du plan foncier rural ont la même valeur
juridique que ceux du cadastre ? Une telle déduction ne semble guère possible car
les documents cartographiques du plan foncier rural sont réalisés sans les éléments
essentiels du cadastre que sont le bornage, la présence d’un géomètre assermenté
et le dossier technique de chaque plan de parcelle.
Il résulte de ce qui précède que si les résultats du plan foncier rural présentent des
avantages certains, leur articulation à la réglementation foncière n’a pu se réaliser
donnant ainsi la sensation d’une symphonie inachevée. A l’instar de la Côte d’Ivoire,
le Benin a également expérimenté et mis en œuvre un plan foncier rural 83. Mais à la
différence de la Côte d’Ivoire, les résultats de ce plan foncier rural ont été pris en
compte dans la législation foncière béninoise 84.Ainsi, aux termes de l’article 119 de la
loi béninoise, la confirmation des droits fonciers en milieu rural se fait principalement
à partir du plan foncier rural.
83
-Jacques GASTALDI : les plans fonciers ruraux en Côte d’Ivoire, au Benin et en Guinée, op.cit p. 475.
84
- Loi n° 2013-01 du 14 janvier 2013 portant code foncier et domanial en République du Benin.
54
DEUXIEME PARTIE :
L’ACCÈS À LA TERRE
Au regard de nos propos introductifs, il apparaît que la terre est au centre d’enjeux
énormes et multiformes. Corrélativement, elle est l’objet de stratégies diverses
d’appropriation foncière. Pour éviter que ces stratégies souvent antagoniques ne
débouchent sur une anarchie généralisée et en vue de favoriser la sécurité
nécessaire aux transactions foncières et aux investissements durables, l’Etat a prévu
différents modes d’accession à la terre (titre I). Il a aussi réglementé la circulation,
c’est-à-dire la transmission du bien foncier (titre II).
TITRE I :
LES MODES D’ACCES AU DOMAINE FONCIER
En Côte d’Ivoire, les systèmes juridiques étatiques et non étatiques se trouvent
imbriqués de façon complexe et, de cette imbrication entre droits coutumiers, droits
étatiques ou nés de la pratique, naît une cohabitation ambiguë, sinon une confusion
entre droit formel et “droit informel“, entre l’autorité reconnue aux chefs traditionnels
et le pouvoir réservé exclusivement à l’Administration. La multiplicité des modes de
gestion foncière et de tenure85, conduit aujourd’hui à établir une distinction précise
entre la propriété foncière d’une part (chapitre I), et le droit d’usage, d’autre part
(chapitre II). Mais tout droit conféré comporte généralement des obligations qu’il
importe d’examiner (chapitre III).
CHAPITRE 1 - LA PROPRIETE FONCIERE86
Le droit de propriété est protégé par la Déclaration Universelle des Droits de
l’Homme de 1948 en son article 17 : “Toute personne aussi bien seule qu’en
collectivité a droit à la propriété et nul ne peut être arbitrairement privé de sa
propriété“. La Côte d’Ivoire a inclus la protection de ce droit dans sa Constitution en
son article 15 qui précise que “Le droit de propriété est garanti à tous. Nul ne doit
être privé de sa propriété si ce n’est pour cause d’utilité publique et sous la condition
d’une juste et préalable indemnisation“.
Toutefois, en milieu rural et conformément à la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998
relative au domaine foncier rural, seul l’Etat, les Collectivités publiques et les
personnes physiques ivoiriennes sont admises à être propriétaires fonciers 87. C’est
dans ce cadre juridique que sera analysée l’appropriation des terres rurales
(Section1).
Tout comme les terres rurales, les terrains urbains sont l’objet d’appropriation qui fait
appel à un ensemble d’opérations minutieusement règlementées par les textes en
vigueur (Section2).
85
Emile LE BRIS, Etienne LE ROY, Paul MATHIEU, L’appropriation de la terre en Afrique noire, éd. KARTHALA
1991 p21.
86
Etymologiquement, la propriété suppose l’exercice d’un droit de maîtrise exclusif et éventuellement absolu sur
un bien, ici, un bien foncier. La propriété se traduit également dans la conception mercantile, contrairement à la
conception sacrale, par la valeur pécuniaire que l’on reconnaît à la terre.
87
Article premier de la loi n°98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural.
55
SECTION 1- L’APPROPRIATION DES TERRES RURALES
L’immatriculation faut-il le rappeler, constitue le fondement de la propriété foncière en
Côte d’Ivoire. L’article 4 nouveau de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 relative
au domaine foncier rural dispose sur ce point que « la propriété d’une terre du
domaine foncier rural est établie à partir de l’immatriculation de cette terre au registre
foncier ouvert à cet effet par l’Administration 88 ». Le même article indique de plus
que « dans le domaine foncier rural coutumier, les droits coutumiers sont constatés
par le certificat foncier ». L’article 4 nouveau précise in fine que les terres objet de
certificats fonciers doivent être immatriculées dans un délai fixé par décret pris en
Conseil des Ministres.
Il résulte de ce qui précède qu’en ce qui concerne le domaine foncier rural, l’accès à
la propriété foncière résulte de l’immatriculation foncière (sous-section 2), laquelle
est précédée de la certification foncière, en ce qui concerne les terres du domaine
coutumier (sous-section 1).
Il convient de rappeler que les valeurs qui caractérisent la gestion coutumière des
terres, sont aux antipodes de celles véhiculées par la réglementation foncière
étatique. Ainsi, avec l’avènement de la colonisation et ensuite de l’Etat ivoirien, la
propriété foncière coutumière a connu des mutations plus ou moins profondes 89.
Celles-ci sont généralement caractérisées par la minoration ou marginalisation de la
propriété foncière coutumière. Il faudra attendre la loi du 23 décembre 1998 portant
domaine foncier rural pour voir le législateur reconnaître de jure la propriété foncière
coutumière, laquelle résulte de la certification foncière. L’examen de la procédure de
certification foncière (paragraphe 1), sera suivi de l’analyse de la nature de la
propriété foncière coutumière (paragraphe 2), de même que de la portée et des
limites de la reconnaissance de celle-ci (paragraphe 3).
88
Loi n° 2019-868 du 14 octobre 2019 modifiant la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine
foncier rural, telle que modifiée par les lois n° 2004-412 du 14 août 2004 et 2013-655 du 13 septembre 2013.
89
-CHABAS(J) : de la transformation des droits fonciers coutumiers en droit de propriété, An. Af. 1959, p 73-107 ;
E. Leroy : les objectifs de la colonisation française ou belge, Ency. Jurid. de l’Afrique T5 NEA, 1982 p 85 et s. ;
DE LATOUR DEJEAN ( E). : Transformation du régime foncier : appropriation des terres et formation de la classe
dirigeante en pays Mawri (Niger), in Agriculture africaine et le capitalisme, Anthropos-Idep, Paris, 1975 ;
MOLEUR(B). : « la loi coloniale : son idéologie, ses contradictions », pp. 79-100, in : système foncier à la ville et
au village : Afrique noire francophone, Paris : l’Harmattan, 1986.
90
Ce décret abroge le décret n° 99-594 du 13 octobre 1999.
56
informations sur l’identité du demandeur, la désignation sommaire du bien foncier
coutumier, et le choix par le demandeur d’un géomètre-expert.
-Le déroulement de l’enquête : l’enquête est ouverte par affichage de la demande
en divers lieux (sous-préfecture, village concerné, services extérieurs du MINAGRA,
etc..). L’enquête est effectuée par une équipe dirigée par un commissaire-enquêteur
figurant sur la liste nationale des commissaires enquêteurs établie par l’Agence
Foncière Rurale (AFOR). Elle aboutit à la constitution d’un dossier de délimitation et
à l’établissement d’un procès-verbal de recensement des droits coutumiers. Le
dossier de délimitation comprend le plan du bien foncier et un constat des limites
établis par le géomètre-expert.
-La validation de l’enquête : l’enquête est validée par le comité de gestion foncière
rurale de la sous-préfecture, après une période de publicité d’un mois qui court à
compter de la séance publique de présentation des résultats de l’enquête. La
publicité est réalisée par le commissaire-enquêteur dans les villages concernés,
sous l’autorité des comités villageois de gestion foncière rurale. A compter de la
validation de l’enquête, le demandeur insatisfait dispose d’un délai de deux mois,
pour introduire une ultime demande d’enquête.
Après validation de l’enquête, le certificat foncier est signé et publié au journal officiel
par le préfet de département. A compter de la signature du certificat par le préfet, le
titulaire dudit certificat dispose d’un délai déterminé pour requérir l’immatriculation du
bien foncier concerné91.
Sous l’empire du décret n° 99-594 du 13 octobre 1999 fixant les modalités
d’application au domaine foncier rural coutumier de la loi n° 98-750 du 23 décembre
1998, ce délai était de trois ans (voir article 24). Mais le décret n° 2019-266 du 27
mars 2019 portant sur le même objet et abrogeant le décret de 1999 ne fixe pas de
délai précis. L’article 24 du décret de 2019 se contente simplement d’indiquer que
« le détenteur du certificat foncier est tenu de requérir l’immatriculation du bien
foncier concerné dans le délai prévu par les dispositions légales en vigueur ». Mais
la récente loi du 14 octobre 2019 n’a guère fixé de délai et se contente à son tour de
renvoyer au décret pour la fixation du délai requis pour requérir l’immatriculation
après l’obtention du certificat foncier. Cette incertitude liée au délai de demande de
l’immatriculation n’est pas de nature à favoriser une gestion efficace du domaine
foncier coutumier.
Paragraphe 2- La nature de la propriété foncière coutumière
Aux termes de la première version de l'article 4 alinéa 1 de la loi n° 98-750 du 23
décembre 1998 relative au domaine foncier rural, "la propriété d'une terre du
domaine foncier rural est établie à partir de l'immatriculation de cette terre au livre
foncier et en ce qui concerne les terres du domaine coutumier, par le certificat
foncier.
Cependant, les dispositions de l’article 4 précité étaient sources de confusion car
elles laissaient penser qu’il existe deux types de propriété de la terre : d’une part,
celle résultant de l'immatriculation, laquelle constitue en droit ivoirien, le fondement
de la propriété foncière, d'autre part, celle qui pouvait s’obtenir par acquisition du
certificat foncier.
91
La loi n° 2019-868 du 14 octobre 2019 portant modification de la loi du 23 décembre 1998 précitée prévoit à
travers son article 4 nouveau que ce délai soit fixé par décret.
57
C’est pour mettre fin à cette confusion que la récente loi n° 2019-868 du 14 octobre
portant modification de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998, dispose désormais à
travers son article 4 (alinéa 2) nouveau que : « dans le domaine foncier rural
coutumier, les droits coutumiers sont constatés par le certificat foncier ».
S’il ressort de l’évidence que les droits conférés par le certificat foncier ne sauraient
être confondus avec la propriété foncière issue de l’immatriculation, il n’en demeure
pas moins nécessaire de connaître la nature juridique de ces droits ?
58
Ainsi donc, si le titulaire du certificat foncier n’est pas propriétaire au regard de la
réglementation foncière, il n’en est pas moins vraisemblablement propriétaire au
sens des dispositions du code civil. En conséquence, les droits résultant du certificat
foncier ne sont pas de simples droits d'usage à l'image de ceux prévus sous l'empire
du défunt décret n° 71-74 du 16 février 1971 relatif aux procédures domaniales et
foncières. En effet, ce décret disposait en son article 2, que les droits portant sur
l’usage du sol, «dits droits coutumiers, sont personnels à ceux qui les exercent et ne
peuvent être cédés à quelque titre que ce soit ».
Paragraphe 3- Portée et limites de la reconnaissance de la propriété foncière
coutumière
Le certificat foncier, comme l’indiquent les développements précédents, consacre la
reconnaissance de jure de la propriété foncière coutumière, propriété dont les
attributs sont les mêmes que ceux de la propriété au sens civiliste du terme.
Cependant, au regard de la pratique, des interrogations demeurent quant à la portée
(A) et aux limites de cette reconnaissance (B).
A - Portée
Le certificat foncier peut conférer une plus grande fiabilité aux droits coutumiers. Dès
lors que ceux-ci sont constatés et enregistrés conformément à la réglementation
foncière94, ils apportent la preuve de la propriété foncière coutumière laquelle conduit
après immatriculation, au titre foncier.
En outre, le certificat foncier peut être loué ; il peut même être cédé en tout ou partie
à un tiers par acte authentifié par l’administration. Cette disposition a le mérite de
permettre des transactions foncières qui jusqu’à la loi du 23 décembre 1998 étaient
interdites aux propriétaires fonciers coutumiers. Désormais, ceux-ci pourront avec
l’obtention du certificat foncier, louer par exemple leur terre, en ayant la certitude que
celle-ci leur reviendra à l’échéance convenue d’accord-parties. Corrélativement, c’est
la mise en valeur des terres qui s’en trouve ainsi favorisée.
Le certificat foncier a enfin l'avantage de tenir compte du caractère collectif de la
propriété coutumière. Il peut en effet être délivré à toute entité publique ou privée
dotée de la personnalité morale. Mieux, les certificats fonciers peuvent être établis
au nom de groupements de personnes physiques dûment identifiées et non dotés de
la personnalité morale (village, lignage, etc..)95. L'obtention du certificat foncier par un
groupement de personnes lui permet, dès lors que le certificat est publié au Journal
Officiel de la République, d'ester en justice et d'entreprendre tout acte de gestion
foncière. En cas de nécessité, les certificats fonciers collectifs peuvent être morcelés
au profit des membres du groupement ou de tiers.
En somme, le certificat foncier est le reflet d’une double préoccupation du législateur
ivoirien : tenir compte des tenures coutumières sans oublier la nécessité de sécuriser
le détenteur dudit certificat.
B - Limites
Le droit de propriété conféré par le certificat foncier suffit-il pour garantir la sécurité
nécessaire à la réalisation de transactions foncières ? En effet, il y a lieu de se
demander si les opérateurs économiques et en particulier les établissements
94
-Décret n° 2019-265 du 27 mars 2019 précité.
95
Article 9 nouveau de la loi n° 2019-868 du 14 octobre 2019 précitée.
59
financiers accepteront, par exemple, d'accorder des prêts sur la base du certificat
foncier. Ceux-ci ne vont-ils pas, par mesure de prudence, attendre que le terrain
objet de la transaction soit d'abord immatriculé ? La question se pose d'autant plus
que la terre objet du certificat foncier n'est pas hypothécable. Or c'est l'hypothèque
qui, en pareille circonstance, peut conférer la garantie nécessaire aux opérations
financières.
Il y a lieu également de se demander si l'obtention du certificat foncier peut favoriser
les investissements durables. C’est le lieu de rappeler que les titulaires du certificat
foncier ont l’obligation d’immatriculer leur terrain dans un délai déterminé par décret,
au risque de le voir reprendre par l’Etat96. Dans ces conditions, il est à craindre que
ceux-ci n’investissent durablement qu’après obtention du titre foncier. La question se
pose dans les mêmes termes pour les tiers bénéficiaires d’un contrat de location
réalisé sur la base du certificat foncier.
En effet, de quelle garantie d'exploitation dispose le tiers locataire ? Les dispositions
actuelles de la réforme foncière du 23 décembre 1998 ne permettent pas pour
l'instant de répondre à cette interrogation. Mais une situation analogue existe pour
les tiers dont l'occupation est antérieure à la délivrance du certificat foncier. Dans ce
cas de figure, la loi n° 2019-868 du 14 octobre 2019 portant modification de la loi du
23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural ordonne que les droits des tiers
occupants de bonne foi soient confirmés par le titulaire du certificat foncier de façon
juste et équitable pour les deux Parties 97. A cet effet, le décret n°2019-266 du 07
mars 2019 fixant les modalités d’application au domaine foncier coutumier de la loi
du 23 décembre 1998 précise que les droits des tiers occupants de bonne foi sont
confirmés par le titulaire du certificat foncier à travers la conclusion d’un bail tenant
compte des pratiques en vigueur dans la localité.
En somme, s'il apparaît à la lueur de ce qui précède que les propriétaires fonciers
coutumiers ne sont pas, avant immatriculation de leur terre, propriétaires au sens de
la réglementation foncière, l'Etat non plus ne peut depuis la réforme foncière du 23
décembre 1998, revendiquer la propriété foncière des terres non immatriculées. Mais
alors qui est aujourd'hui propriétaire des terres non immatriculées ?
96
-Article 4 nouveau de la loi n° 2019-868 du 14 octobre 2019 précitée.
97
Voir article 8 bis de la loi.
98
Les droits de timbre des certificats fonciers individuels ou collectifs sont de 1000 francs par page écrite. Quant
aux frais d’immatriculation aux livres fonciers, ils sont de 300 F/ha pour les certificats fonciers individuels et de
100 F/ha pour les certificats fonciers collectifs. Voir arrêté n° 033 MEF/MINAGRA du 04 juillet 2002 établissant
les barèmes de timbrage des certificats fonciers et des frais d’immatriculation des biens fonciers du domaine
foncier rural ; recueil de textes du Ministère de l’Agriculture, P.82.
60
Sur ce point, la loi n°98-750 du 23 décembre 1998 dispose dans son article 1 er que le
domaine foncier rural constitue un patrimoine national. Autrement dit les terres non
immatriculées appartiennent à la Nation. Cette disposition qui rapproche le Droit
foncier ivoirien d’autres législations africaines, met ainsi un terme à l'appropriation
par l'Etat des terres non immatriculées. Mais en pratique, la Nation ne pouvant elle-
même exercer les droits qui lui sont reconnus, c'est à l'Etat qu'il revient naturellement
de gérer lesdites terres.
En réalité, en sa qualité de gestionnaire des terres non immatriculées, l'Etat conserve
une maîtrise foncière évidente qui lui permet d'attribuer des parcelles de terre aux
personnes physiques et morales remplissant les conditions définies par la réforme
foncière du 23 décembre 1998. Tout se passe comme si l'on avait déshabillé St
Pierre pour habiller St Paul.
99
-A. LEY: op. cit. P.139.
100
- Décret du 26 juillet 1932 portant réorganisation du régime de la propriété foncière en Afrique Occidentale
Française, EDC spécial n° 2, recueil des textes de droit foncier rural applicables en Côte d’Ivoire, P. 25.
61
économique, il peut permettre de remédier aux incertitudes inhérentes aux tenures
coutumières, incertitudes qui sont à l’origine de nombreux conflits fonciers. Il favorise
également la sécurité juridique nécessaire aux transactions foncières, au crédit et
aux investissements durables.
En raison de ces multiples avantages, le système de l'immatriculation a été adopté
par plusieurs pays, notamment la Tunisie, Madagascar, le Togo, le Sénégal, le
Maroc, etc.. Le même système existe en Allemagne avec quelques variantes. Mais
pourtant, depuis son introduction en Côte d'Ivoire, jusqu'à ce jour, ce système n'a
pas connu le succès escompté. Les dernières estimations disponibles indiquent une
très faible proportion de terres immatriculées101.
Cette situation s'explique par plusieurs facteurs. Le premier, d'ordre socio-culturel,
réside dans la non-adhésion des populations à cette procédure. En effet, les
populations locales et en particulier les propriétaires coutumiers des terres, se
considèrent déjà propriétaires de leurs terres, et ne jugent pas nécessaire de recourir
à une procédure qui leur est étrangère. Le deuxième facteur est d'ordre technique et
financier et a trait au caractère complexe et onéreux de la procédure
d'immatriculation102.
B - les caractéristiques du système
Par rapport aux dispositions du code civil sur la propriété, l’immatriculation apparaît
comme un mécanisme de renforcement de la sécurité foncière 103. Elle revêt trois
principales caractéristiques. D’abord, la publicité réalisée par l’inscription au livre
foncier ne vise pas seulement à informer les tiers et à leur rendre opposable le droit
de propriété ; elle constitue surtout un instrument de création et de transfert de droits
réels.
Ensuite, le droit de propriété est acquis non seulement par la volonté des parties,
mais aussi par la formalité de l’immatriculation. Il en résulte notamment que les actes
de cession foncière passés par-devant notaire ne constatent que l’accord des
parties ; ils ne peuvent à eux seuls conférer la propriété foncière. La loi de finances
du 31 décembre 1968 (art. 27) indique à cet effet que les notaires, greffiers, huissiers
et autorités administratives sont tenus dans un délai de trois mois, de faire publier
ces actes au livre foncier, indépendamment de la volonté des parties.
Enfin, contrairement au système français de la publicité foncière qui repose sur le
principe du consensualisme104 la preuve de la propriété est aisée, car il suffit de
recourir à l’inscription réalisée au livre foncier.
101
-Sur une superficie du domaine foncier rural évaluée à 23 000 000 d’hectares, 460 000 hectares seulement
ont été immatriculés, soit 2%. Sources du Ministère de l’Agriculture 2010.
102
-J.GASTALDI : les plans fonciers ruraux en Côte d’Ivoire, au Benin et en Guinée, in quelles politiques foncières
pour l’Afrique rurale, Karthala 1998 p. 461.
103
-A. LEY : le régime domanial et foncier et le développement économique de la Côte d’Ivoire, LGDJ 1972
PP.273-314 ; le régime foncier en Côte d’Ivoire : RID 1973.P.29 ; Victor GASSE : les régimes fonciers africains et
malgaches, LGDJ 1971 ; J.DUTHEIL DELA ROCHERE : l’Etat et le développement économique de la Côte
d’Ivoire, Annales de l’Université d’Abidjan, p.238 et s.
104
- La France n’a pas adopté le système de l’immatriculation ; elle a plutôt opté pour le système de la publicité
foncière avec la mise en place de la conservation des hypothèques. Avec ce dernier système, les formalités
prévues ne donnent pas de valeur à l’acte publié, mais le rendent seulement opposable aux tiers. Ce qui rend
difficile la preuve de la propriété, de sorte qu’on a pu parler de « probatiodiabolica ».
62
Paragraphe 2 - Conditions et modalités de l'immatriculation
L’immatriculation est laissée à l’initiative des personnes intéressées (personnes
physiques, Etat, Collectivités Publiques). En pratique, pour simplifier la tâche aux
demandeurs, notamment aux particuliers, il revient au service des domaines de
constituer le dossier d’immatriculation. Mais quels sont les immeubles et notamment,
les terres qui doivent être immatriculées ? (A). Et en quoi consiste la procédure
d'immatriculation ? (B).
A - Les terres susceptibles d'immatriculation
Sont seuls susceptibles d’immatriculation sur les livres fonciers les fonds de terre
bâtis ou non bâtis. S’agissant des fonds de terre non bâtis, après avoir indiqué que
l’immatriculation est en principe facultative, l’article 5 du décret du 16 juillet 1932 105
précise plus loin qu’elle est, exceptionnellement obligatoire, dans le cas d’aliénation
ou de concession de terres domaniales, et dans le cas où une terre coutumière doit
faire pour la première fois l’objet d’un contrat écrit.
L’exception vide ici le principe de son contenu car si nul n’est tenu de procéder à
l’immatriculation de son terrain, cette opération devient pourtant obligatoire lorsqu’on
veut conformément au Droit en vigueur, céder ou transmettre ce terrain. Le droit
coutumier ne pouvant en effet garantir aux parties la sécurité des transactions
foncières, le recours au droit en vigueur devient inévitable et passe nécessairement
par l'immatriculation, laquelle demeure le fondement de la propriété du sol.
Avec la loi portant réforme foncière du 23 Décembre 1998, l’immatriculation est
devenue obligatoire dans tous les cas pour les terres du domaine rural. Ainsi,
s’agissant du domaine concédé, l’art. 12 de cette loi indique que «tout
concessionnaire d’une terre non immatriculée doit en requérir l’immatriculation à ses
frais ». Par ailleurs s’agissant des terrains du domaine coutumier, la loi précitée telle
que modifiée par la loi n° 2019-868 du 14 octobre 2019, oblige le détenteur du
certificat foncier à requérir l’immatriculation dans un délai fixé par décret.
Dans la mesure où les lois spéciales dérogent aux lois générales, l’on peut dire que
les terres rurales sont obligatoirement assujetties à l’immatriculation.
105
Décret du 26 juillet 1932, portant réorganisation du régime de la propriété foncière en Afrique Occidentale
Française, EDC spécial, op. cit. n°2,1971.
63
Cette option a eu pour effet d’apporter des aménagements à la procédure
d’immatriculation, telle que réglementée par le décret du 05 avril 2023. Avant de
relever ces aménagements, il s’avère nécessaire d’énoncer les dispositions
communes aux procédures d’immatriculation des terres du domaine foncier rural (C),
et d’étudier les dispositions particulières à chaque procédure d’immatriculation (D).
C. Les dispositions communes aux procédures d’immatriculation des terres
du domaine foncier rural
Les dispositions relatives aux procédures d’immatriculation des terres du domaine foncier rural se
distinguent à travers deux moments que sont d’une part les formalités d’inscription (1) et d’autre
part les modifications après l’immatriculation (2).
64
L’Agence Foncière Rurale transmet le dossier d’immatriculation au conservateur de
la propriété foncière et des hypothèques après vérification de la régularité du dossier
et de la conformité des mesures effectuées par le Géomètre Expert Agréé.
Avant l’inscription au Livre Foncier, fixés à 300FCFAle Conservateur de la Propriété
Foncière et des Hypothèques fait vérifier la conformité des mesures figurant dans le
dossier technique par le Géomètre Assermenté du Cadastre qui en établit un Procès
–verbal.
Les modalités du contrôle effectué par le Géomètre Assermenté du Cadastre sont
définies par Arrêté conjoint du Ministre chargé de l’Agriculture et du Ministère chargé
du budget.
Les frais de l’immatriculation au Livre Foncier sont à la charge du requérant. Ils sont
fixés à 300FCFA/ha pour les personnes physiques et les collectivités territoriales et à
100FCFA/ha pour les personnes non éligibles à la propriété foncière devant faire
l’immatriculation au nom de l’Etat.
En cas de mutation d’un titre foncier, il est perçu un droit d’inscription au Livre
Foncier de 500FCFA/ha et un droit fixe de 3000FCFA.
Les frais fixés aux alinéas précédents sont payés à la caisse de la Conservation de
la Propriété Foncière et des Hypothèques du lieu de situation de l’immeuble.
L’immatriculation d’une terre du Domaine Foncier Rural donne lieu à la préparation
d’un Arrêté de Propriété Foncière Rural par l’Agence Foncière Rurale. Cet Arrêté est
soumis à la signature du Ministre en charge de l’Agriculture.
Toutefois, délégation peut être donnée aux Préfets de Départements pour la
signature des Arrêtés de Propriété Foncière Rurale au profit des personnes
physiques.
L’Arrêté de Propriété Foncière Rurale est la preuve de l’inscription d’une terre rurale
au Livre Foncier.
L’Arrêté de Propriété Foncière Rurale est publié au journal Officiel de la République
par l’Agence Foncière Rurale et notifié au requérant. Mais il peut en résulter des
modifications.
65
Les mutations des droits réels relatifs à un immeuble immatriculé ou les conventions
portant sur lesdits droits sont inscrits au livre foncier selon l’ordre d’ancienneté.
Sous réserve des droits des tiers, toutes personne titulaire ou justifiant d’un droit réel
inscrit au Livre Foncier ou ses ayants droits, peut requérir la rectification, la
modification ou la suppression d’une information inexacte, incomplète ou désuète se
rapportant à l’immeuble.
Le Conservateur de la Propriété Foncière et des Hypothèques est tenu de déférer
aux décisions de justice devenues définitives.
Dans tous les cas de morcellement ou de fusion d’un bien foncier rural inscrit au
Livre Foncier, le Conservateur de la Propriété Foncière et des Hypothèques délivre
un Certificat de Mutation de Propriété Foncière (à revoir).
Avant de déférer à la demande d’inscription, le Conservateur de la Propriété
Foncière et des Hypothèques procède à la vérification des pièces déposées et
s’assure de :
-l’identité des parties ;
-la capacité des parties ;
-l’inscription au titre foncier du droit du disposant ;
-la disponibilité de l’immeuble
-la régularité des actes et pièces produits.
66
Ces dispositions concernent à la fois les terres objet de concessions provisoires sous
réserve des droits des tiers (1), des terres objet de certificats fonciers (2), et des
terres sans maître non immatriculées (3).
67
Le Conservateur de la Propriété Foncière et des Hypothèques peut s’appuyer sur les
services de l’Agence Foncière Rurale et les organes de gestion foncière rurale du
lieu de situation de la parcelle pour l’affichage.
L’accomplissement de cette formalité est signalé au responsable des services locaux
de l’Agence Foncière Rurale au moyen d’un certificat d’affichage transmis par le
Conservateur de la Propriété Foncière et des Hypothèques.
A compter de la date de l’affichage de l’extrait de la réquisition d’immatriculation au
village, un délai de trois mois est accordé pour les contestations et réclamations sous
forme d’oppositions. Lesdites oppositions sont reçues par le Comité Villageois de
Gestion Foncière Rurale et le Sous-Préfet du lieu de situation de la parcelle.
Un procès-verbal de clôture de publicité constatant l’existence ou l’absence
d’opposition est signé par le Sous-Préfet.
En cas de contestation ou de réclamation, le Sous-Préfet en sa qualité de Président
du Comité Sous- préfectoral de Gestion Foncière Rurale saisit le Comité villageois
de Gestion Foncière Rurale compétent pour régler à l’amiable le litige dans un délai
d’un mois.
A défaut d’accord amiable au terme de la procédure prévue précédemment, le
Conservateur suspend la procédure et notifie sa décision motivée aux parties dans
un délai de trente jours. Il dispose d’un délai de trente jours à compter de la
suspension à l’effet de concilier les différentes parties. A défaut de conciliation, il
renvoie les parties à mieux se pourvoir. En cas de recours judiciaire des parties, la
décision de justice s’impose au Conservateur. En l’absence de recours judiciaire des
parties dans un délai d’un mois à compter de la date de notification de la décision de
suspension et de renvoie des parties devant le tribunal compétent, le droit de faire
opposition s’éteint.
En l’absence d’opposition ou à l’extinction du droit de faire opposition, le géomètre
assermenté du cadastre procède à un contrôle du dossier technique du certificat
foncier, et en établit un procès-verbal d’approbation ou de rejet dudit dossier.
En cas d’approbation, du dossier technique d’immatriculation, le Conservateur
procède à la création du titre foncier.
En cas de rejet du dossier technique d’immatriculation, le Conservateur n’inscrit la
parcelle au Livre Foncier qu’après reprise dudit dossier par le géomètre expert agréé
conformément aux observations du géomètre assermenté du Cadastre.
Les requêtes d’immatriculation en cours de traitement conformément à la procédure
définie par le décret du 26 juillet 1932 portant réorganisation du régime de la
propriété foncière en Afrique Occidentale Française doivent se conformer à partir de
l’étape de la procédure ou le traitement du dossier se situe, à la procédure
d’immatriculation des terres objet de certificats fonciers telle que défini par le présent
décret.
Les titulaires de certificats fonciers antérieurs au présent décret disposent d’un délai
de dix ans pour requérir l’immatriculation de leurs terres.
Au-delà des délais mentionnés ci-dessus, la parcelle de terre concernée est
immatriculée, à l’initiative de l’Etat, au nom du titulaire du certificat foncier éligible à la
propriété foncière rurale. Dans ce cas, ce propriétaire est préalablement informé de
68
cette procédure. Toutefois, il reste redevable à l’Etat pour l’intégralité des frais
inhérents à l’immatriculation de cette parcelle avant toutes transactions sur celle-ci.
106
Décret n° 2019-265 du 27 mars 2019 fixant la procédure de consolidation des droits des concessionnaires
provisoires de terres du domaine foncier rural.
69
- la réduction des frais de procédure (barèmes de timbrage des certificats
fonciers, frais d’immatriculation des biens fonciers, etc..).
Afin de mener à bien la procédure de purge des droits coutumiers sur le sol, il est
créé une Commission Administrative chargée d’identifier les terres concernées, leurs
détenteurs et de proposer la compensation.
107
-Décret n° 2023-769 du 28 septembre 2023 portant réglementation de la purge des droits coutumiers sur le sol
pour intérêt général.
108
-Décret n° 95-817 du 29 septembre 1995 fixant les règles d’indemnisation pour destruction de cultures. Arrêté
interm.n° 247 /MINAGRI/MPMEF/MPMB/ du 17 juin 2014 portant fixation du barème d’indemnisation des cultures
détruites.
70
La Commission administrative procède, après enquête contradictoire, à
l’identification des terres comprises dans le périmètre de l’opération projetée et
soumise aux droits coutumiers, ainsi qu’au recensement des détenteurs de ces
droits. Elle propose la compensation selon la parcelle concernée à partir du barème
fixé par la règlementation (art.6 et 7 du décret). Elle dresse, enfin, un état
comprenant la liste des terres et des superficies devant faire l’objet de purge, des
détenteurs des droits coutumiers sur barème fixé par la réglementation (art.7 et 8 du
décret). Cet état fait l’objet d’un procès - verbal signé par les membres de la
Commission.
La purge des droits coutumiers est exercée par l’Etat, représenté par le Ministre
chargé de l’Urbanisme, par les collectivités territoriales et par tout autre organisme
créé à cet effet. Elle s’opère par voie administrative.
Les personnes morales de droit privé peuvent exceptionnellement, sur la base d’une
convention de purge avec l’Etat, procéder à la purge des droits des détenteurs de
droits coutumiers
B - La création d’un titre foncier définitif inattaquable et imprescriptible
Le titre foncier est définitif, inattaquable et imprescriptible (1). Il s’agit de cette façon
de protéger les bénéficiaires de l’immatriculation et de garantir subséquemment la
sécurité foncière nécessaire aux investissements durables, aux transactions
foncières et au crédit. Cependant, pour permettre la réparation de certains préjudices
ou erreurs imputables à l’immatriculation, des atténuations ont été apportées à ce
principe (2).
1- Le principe de l’intangibilité du titre foncier
L’immatriculation crée un titre foncier définitif et inattaquable (article 121 du décret du
26 juillet 1932). Ce principe de l’intangibilité du titre foncier revêt une double
signification. D’une part, toute action tendant à la révélation d'un droit réel non révélé
en cours de procédure ou ayant pour effet de mettre en cause le droit de propriété du
terrain immatriculé, est irrecevable. D’autre part, les personnes dont les droits
71
auraient été lésés par suite d’une immatriculation ne peuvent se pourvoir par voie
d’action réelle. Autrement dit, les droits inscrits au cours de la procédure
d’immatriculation sont incontestables ; quant aux droits existant au moment de
l’immatriculation mais non-inscrits, ils sont censés n’avoir jamais existé et sont
définitivement purgés109.
L’intangibilité ne concerne pas seulement les droits inscrits ; elle concerne également
les limites matérielles et la superficie de l’immeuble immatriculé. Celles-ci ne peuvent
faire l’objet de modification ultérieure. C’est dans ce sens que se situe la décision de
la cour suprême dans un litige où l’une des parties invoquait une erreur commise au
moment de la délimitation du terrain. La haute juridiction a alors jugé que
« l’immatriculation opérant purge, le titre foncier est inattaquable et le moyen pris de
ce que une erreur aurait été commise lors de l’immatriculation est irrecevable »110.
Le caractère définitif et inattaquable du titre foncier a pour conséquence d’exclure
toute prescription acquisitive. L’article 82 du décret du 26 juillet 1932, indique à cet
effet que la prescription ne peut en aucun cas constituer un mode d’acquisition de
droits réels sur des immeubles immatriculés ou de libération des charges grevant ces
immeubles. Cependant, de façon exceptionnelle, la prescription acquisitive joue au
profit de l’Etat. Il en est ainsi lorsqu’un immeuble est abandonné pendant dix années
consécutives par ses occupants légitimes. Dans ce cas, l’immeuble considéré
comme vacant, est incorporé au domaine de l’Etat111. Le fait qu’un tiers occupe, de
façon indue l’immeuble concerné, n’interrompt pas la prescription instituée au profit
de l’Etat.
L’intangibilité qui est à la fois juridique et matérielle comporte cependant des
atténuations.
2- Les atténuations au principe de l’intangibilité du titre foncier
La première de ces atténuations a trait, à défaut d’une action réelle, à la
reconnaissance d’une action personnelle en dommages intérêts au profit de
certaines personnes dont les droits auraient été lésés par suite d'une
immatriculation112. La substitution d’une action personnelle à l’action réelle vise à
indemniser les personnes qui ayant des droits à faire valoir au moment de la
procédure d’immatriculation, n’ont pu le faire par négligence ou ignorance. Cette
action personnelle en indemnité n’est cependant ouverte que lorsque le bénéficiaire
de l’immatriculation a usé de dol ou de manœuvres frauduleuses. Sur l’existence du
dol ou des manœuvres frauduleuses, la jurisprudence considère que de simples
affirmations mensongères, des dissimulations ou des réticences peuvent être
assimilées à des manœuvres frauduleuses113.
La seconde atténuation est relative à l’inscription des créances hypothécaires ou
privilégiées, des charges foncières et des servitudes. Lorsque les créances
hypothécaires ou privilégiées et les charges foncières sont tenues directement du
propriétaire, initiateur de l’immatriculation, elles peuvent être inscrites au livre foncier
109
Edmond MATHIEU : régime et effets de l’immatriculation et de la constatation des droits fonciers coutumiers,
Encyclopédie juridique de l’Afrique, Tome V, les biens pp 143-163.
110
(C.S, Ch. Jud, section civile, 22 février 1974, R.I.D 1976, /1-2/, p 5).
111
-D. du 26 juillet 1932, art.82 modifié par l’article 3 de la loi de finance n° 70-726 du 31 décembre 1970 ; EDC
spécial N° 2 p.1991, p.121.
112
-Edmond MATHIEU, op. cit., BACHELET (M.), Systèmes fonciers et réformes agraires en Afrique noire,
(préface de ALLIOT (Michel)) Paris, L.G.D.J, 1968, 677 pages.
113
- Cass.6 juin 1950, rev.union française 1950,568 ; Cass. Civ. 1ère , 17 décembre 1959, Penant 1960, p 293.
72
même après la fin de la procédure. Mais dans cette hypothèse, non seulement
l’inscription de ces créances et charges ne doit pas porter atteinte aux droits déjà
régulièrement inscrits, mais aussi, elle ne prend rang qu’à compter de sa date de
réalisation.
En ce qui concerne les servitudes, notamment celles qui dérivent de la situation
naturelle des lieux, elles produisent effet, même si elles n’ont pas été inscrites au
livre foncier avant la fin de la procédure d’immatriculation. Cette disposition ne
s’applique pas aux servitudes de passage pour cause d’enclave ; celles-ci doivent
être inscrites au moment de l’immatriculation du fonds grevé.
La troisième atténuation à l’intangibilité du titre foncier a trait à la rectification des
mentions inscrites au livre foncier. Cette rectification n’est possible qu’en cas d’erreur
ou omission commise au moment de la rédaction du titre foncier. Mais en aucun cas,
elle ne peut aboutir à l'inscription d’un droit non révélé ou à la contestation d’un droit
inscrit114. En tout état de cause, le conservateur est responsable des erreurs
matérielles commises dans la rédaction des titres fonciers. Lorsqu’une erreur est
constatée, elle est rectifiée d’office par le conservateur ou à la demande des parties.
La dernière atténuation au principe de l’intangibilité réside dans la nullité de toute
immatriculation d’une parcelle du domaine public au profit d’un particulier. En effet, le
domaine public est immatriculé au nom de l’Etat 115. En conséquence, toute
immatriculation de ce domaine au profit d’un particulier est nulle de plein droit.
C - L’inscription de droits réels ultérieurs
L'immatriculation permet l'inscription de droits réels ultérieurs. Ces droits qui peuvent
prendre la forme soit de conventions concernant le terrain (vente, donation, usufruit,
hypothèque, servitude, etc..), soit d'actions (saisie immobilière, partage successoral),
ne sont opposables aux tiers que s’ils ont été publiés au livre foncier(1). De plus, des
inscriptions préventives peuvent être faites au moyen de la prénotation (2). Enfin,
contrairement à l’immatriculation proprement dite, les inscriptions ultérieures de
droits peuvent faire l’objet d’une demande de modification ou d’annulation (3).
1- L’inscription des droits réels ultérieurs : condition de l’opposabilité aux tiers
Les droits réels ne produisent effet à l’égard des tiers que s’ils ont été publiés au livre
foncier. Par tiers, il faut entendre les personnes n’ayant pas participé au fait ou à
l’acte juridique qui fonde le droit à inscrire116. Par exemple, les Co-indivisaires du
vendeur d’un immeuble faisant l’objet d’une succession sont des tiers par rapport à
l’acte de vente. Cette vente ne leur est pas opposable dès lors qu’elle n’a pas été
publiée au livre foncier.
2- Les inscriptions préventives : la prénotation
Les droits réels ultérieurs ne sont opposables aux tiers qu’à dater de leur inscription
au livre foncier. Mais il peut arriver que cette inscription ne puisse se faire
immédiatement parce que le droit à inscrire n’est pas encore établi. Dans ce cas,
pour éviter que le titulaire de ce droit ne subisse un préjudice, le décret du 26 juillet
1932 a prévu la possibilité d’une inscription préventive à travers la procédure de la
prénotation.
114
-Edmond MATHIEU, op.cit.
115
-Loi de finances n° 70-209 du 20 mars 1970 ; EDC Spécial n° 2, 1991 ; P.119.
116
-Cass. Civ. 1ère, 28 avril 1960, Bul. Civ. 1960 p 172.
73
La prénotation est une mention sommaire portée sur le livre foncier et prévenant les
tiers qu’une ou plusieurs inscriptions sont litigieuses. Elle peut par exemple être
utilisée en cas de vente par expropriation forcée par un créancier à l’encontre de son
débiteur. En effet, dans l’attente du titre exécutoire, le créancier peut faire publier au
livre foncier l’acte introductif d’instance tendant à obtenir le titre exécutoire117.
La prénotation a donc pour effet de rendre le jugement opposable aux tiers à
compter de la date de l’inscription préventive. En l’absence de prénotation, le
jugement n’a d’effet à l’égard des tiers qu’à compter du jour où il a été inscrit au livre
foncier. Il en résulte que la validité des inscriptions faites entre le moment de la
prénotation et celui du jugement est subordonnée à la décision judiciaire. Si cette
décision reconnaît le droit du prénotant, les inscriptions postérieures à la prénotation
portant sur ce même droit sont rétroactivement annulées118.
Procédure extrêmement rapide, la prénotation doit être autorisée par ordonnance du
président du tribunal. Celui-ci doit vérifier si la demande qui lui est adressée est
sérieuse. Il s’agit de cette façon d’éviter les demandes fantaisistes susceptibles de
porter préjudice au possesseur inscrit.
3- Les inscriptions ultérieures sont attaquables
Contrairement à l'immatriculation proprement dite, les inscriptions ultérieures de
droits peuvent faire l'objet d'une demande de modification ou d'annulation. Cette
possibilité s’explique par le fait qu’à la différence de l’immatriculation proprement
dite, l’inscription ultérieure ne comporte pas de délai pendant lequel des personnes
éventuellement lésées peuvent faire valoir leurs droits par voie d’opposition 119. Ainsi,
la cour de cassation a admis l’annulation d’une vente inscrite au livre foncier en se
fondant sur le défaut de consentement du vendeur. L’acte de vente ayant été signé
non par le vendeur mais par son père, l’acquéreur ne peut d’après la haute juridiction
se prévaloir de l’inscription de la vente120.
74
constitue la seule preuve légale de la propriété de l'État et de ses démembrements
comme des particuliers121. En zone urbaine, toute concession présuppose
l’immatriculation de l’immeuble au nom de l’Etat.
121
Philippe HAERINGER, Structures foncières et création urbaine à Abidjan, op cit p 222.
122
Albert LEY, Régime domanial et foncier, cours et textes commentés, ENA, 1996, p34.
123
Article premier du décret n°71-71 du 16 février 1971 : Toute occupation de terrain pour être légale doit être
justifiée,…pour les terrains urbains, par la possession d’un titre de concession provisoire ou définitive délivré par
le Ministre de la Construction et de l’Urbanisme qui peut déléguer ses pouvoirs aux préfets.
124
Art.121 al1 du décret du 26 juillet 1932 portant réorganisation du régime de la propriété foncière en Afrique
Occidentale Française.
75
B - Les autres méthodes d’appropriation des terrains urbains par l’Etat.
Au nombre de ces méthodes il faut retenir l’achat, l’expropriation pour cause d’utilité
publique ou pour insuffisance de mise en valeur des terrains urbains détenus en
pleine propriété.
125
Loi n¨2020-624 du 14 août 2020 instituant Code de l’urbanisme et du domaine foncier urbain, article 219.
126
Article 2 du décret n° 2021-785 du 08 décembre 2021 précité.
76
- Des lots préalablement immatriculés au nom de l’Etat (article 7 du décret n°
2021-785 du 08 décembre 2021 déterminant la procédure de délivrance de
l’arrêté de concession définitive).
77
Hors du District d’Abidjan, la même procédure est suivie pour le reste du pays, mais
à la différence que les directions centrales sont remplacées par les directions
régionales dans les chefs-lieux de Région, les directions départementales dans les
chefs-lieux de Département et les secteurs dans les chefs-lieux de Sous-préfecture.
Le Préfet qui représente le Ministre chargé de la Construction et de l’Urbanisme
procède à la signature des actes. L’Arrêté de Concession Définitive signé et publié
au Livre Foncier est retiré auprès du Guichet local du foncier où la demande a été
déposée.
Cependant, le Préfet ne signe d’ACD que sur des lots inférieurs à 1 hectare, issus
de lotissements approuvés par le Ministre chargé de l’Urbanisme et affectés à
l’habitation (article 20 du décret précité du 08 décembre 2021).
Depuis la défunte ordonnance du 02 juillet 2013 instituant l’ACD, tous les actes
antérieurs (lettre d’attribution, arrêté de concession provisoire, etc.) ne peuvent plus
être plus délivrés par l’Administration. L’Administration ne réceptionne plus les
demandes concernant ces actes antérieurs. Quant aux détenteurs de lettres
d’attribution ou d’arrêtés de concession provisoire délivrés avant l’entrée en vigueur
avant la défunte ordonnance du 02 juillet 2013, ils sont tenus de se mettre en
conformité avec la nouvelle procédure d’accès à la propriété foncière urbaine128.
L’institution de l’ACD n’a pas résolu les difficultés liées à l’acquisition de la propriété
foncière urbaine. Ces difficultés ont trait :
- à la lenteur du processus de délivrance du titre de propriété ;
- à la complexité de la procédure d’acquisition du titre foncier ;
- au coût élevé des frais d’accès à la propriété foncière ;
- aux dysfonctionnements entre les Services compétents en charge de la
délivrance du titre de propriété, etc.
78
immatriculation du périmètre concerné, prenait un arrêté d’approbation et délivrait
une lettre d’attribution au demandeur. Mais avec la demande croissante de terrains
urbains pour la réalisation de projets immobiliers à Abidjan et dans les autres
grandes agglomérations, l’Etat a laissé l’initiative des lotissements aux communautés
villageoises. Ces lotissements sont initiés par les détenteurs de droits coutumiers et
généralement par le village tout entier. Sont ici concernés les villages qui ont été
phagocytés par la ville ou la commune.
Dans la plupart des grandes agglomérations, c’est donc au vu et au su de tout le
monde que les lotissements villageois sont réalisés. A l’occasion de chaque
lotissement villageois, il est créé un registre de toutes les attributions ou mutations
effectuées. Quant aux éventuels acquéreurs, ils obtiennent, après paiement de la
somme convenue, une attestation villageoise avec laquelle ils peuvent entamer la
procédure administrative d’accès à la propriété du terrain en déposant directement
leur dossier de demande d’ACD au Guichet Unique du Foncier et de l’Habitat.
Cette pratique est de toute évidence contraire à la réglementation en vigueur. En
effet, aux termes du défunt décret du 16 février 1971 relatif aux procédures
domaniales et foncières, les droits d’usage coutumiers exercés par les communautés
villageoises sur les terres urbaines, sont personnels à ceux qui les exercent et ne
peuvent être cédés à quelque titre que ce soit. Ces dispositions ont été maintenues
et renforcées par le législateur de 2020.
Mais à l’analyse, les attestations villageoises ont l’avantage de consacrer une
approche pragmatique de gestion foncière urbaine qui évite à l’Etat de devoir
procéder à des purges massives de droits fonciers coutumiers pour la mise en
œuvre de ses programmes de développement. Au regard de la réglementation en
vigueur, elles peuvent, au même titre que les lettres d’attribution et les concessions
provisoires antérieurement délivrées, faire partie du dossier de demande d’ACD
auprès du Service du Guichet unique du foncier. En d’autres termes, l’Administration
a dû accepter ou tolérer les attestations villageoises alors que celles-ci ne sont ni
juridiquement fondées, ni réglementées. Cette situation a favorisé toutes sortes de
malversations (vente d’un même lot à plusieurs personnes, défaut de droit foncier du
cédant, etc.) et de litiges.
C’est pour remédier à cette situation que dans le cadre de la réforme, le ministre
chargé de l’Urbanisme a pris l’arrêté du 07 décembre 2022 déterminant les modalités
de gestion des lotissements impliquant les communautés villageoises129, En vertu de
cette nouvelle réglementation, il est désormais délivré en lieu et place des
attestations villageoises, des attestations de droits d’usage dont le spécimen est
proposé et sécurisé par le MCLU. Le partage des lots entre les différents
bénéficiaires a lieu en présence d’un agent assermenté du MCLU et est sanctionné
par un procès- verbal. Il est créé à cet effet un répertoire qui sert de base à
l’attribution des attestations de droits d’usage. Les attestations de droits d’usage sont
signées par le Chef de village, le Président du Comité Villageois de Gestion
129
Arrêté n° 0059§MCLU/DGUF/DDU du 07 décembre 2022 déterminant les modalités de gestion des
lotissements impliquant les communautés villageoises.
79
Foncière, et le lotisseur, sauf dispositions particulières arrêtées par l’Administration
foncière.
Jusqu’à la réforme des procédures relatives aux plans de lotissement 131, les plans
définitifs de projets de lotissement étaient approuvés par le Ministre chargé de
l’Urbanisme. Mais en pratique, de nombreux lotissements, réalisés ou non après
immatriculation au nom de l’Etat, n’ont jusqu’ici pas été approuvés. Certains ont
même été annulés. Or dans bien de cas, les lots ont été déjà cédés aux acquéreurs
par les communautés villageoises ou familles détentrices de droits coutumiers. Sans
attendre l’arrêté d’approbation, certains acquéreurs ont réalisé des constructions sur
les lots acquis. Par ailleurs, le Ministre chargé de l’Urbanisme avait la latitude de
délivrer des ACD sur des parcelles hors lotissement.
Cette situation est naturellement source d’insécurité foncière. C’est pour y remédier
que le Ministère en charge de l’urbanisme a procédé à une réforme des procédures
d’élaboration, d’approbation et d’application des plans de lotissement. Cette réforme
prend appui sur la loi du 14 août 2020 portant Code de l’Urbanisme et du domaine
foncier urbain. Aux termes de l’article 224 de cette loi, l’ACD est délivré sur les lots
issus d’un lotissement approuvé132. Il peut exceptionnellement être délivré lorsque les
lots concernés doivent servir à la réalisation de projets privés importants d’intérêt
général sous réserve du respect de la réglementation relative à la purge des droits
coutumiers.
80
prend en compte les exigences de viabilisation133 ; une cellule de validation
des demandes de lotissement a été mise en place à cet effet ;
81
Si les dispositions ci-dessus peuvent contribuer à sécuriser le processus d’accès à la
propriété foncière urbaine, il y a lieu de craindre que les lotisseurs ne puissent
remplir les nouvelles conditions prévues par la réforme des procédures d’approbation
et d’application des plans de lotissement. En effet, ces nouvelles conditions imposent
que le lotisseur dispose de moyens financiers conséquents pour le lotissement et les
opérations de viabilisation de la parcelle, notamment les infrastructures de base
(assainissement, électrification, eau potable, etc.). En pratique, les lotisseurs
pourraient avoir des difficultés pour remplir ces conditions. Il en résulte que les
pratiques anciennes pourraient se poursuivre avec la réalisation de constructions sur
des lots non approuvés. Car, à la périphérie d’Abidjan ou des autres agglomérations,
les populations n’ont pas besoin d’approbation du plan de lotissement pour
construire.
82
cisions du Comité de pilotage tout en veillant à l’interopérabilité des systèmes de
gestion foncière.
D/ Le titrement massif
En vue d’alléger le processus d’accès à la propriété foncière urbaine, l’Etat avait déjà
adopté des dispositions relatives notamment à la suppression de la mise en valeur
comme condition d’accès à la propriété foncière, à la création du Guichet unique du
foncier. Mais malgré ces dispositions, le délai de délivrance des ACD reste
relativement long de nos jours (neuf mois en moyenne). Il en résulte qu’aujourd’hui
un nombre important d’immeubles bâtis ou non ne sont dotés que de titres
d’occupation provisoire (lettres d’attribution, Arrêté de concession provisoire).
Pour y remédier, l’Etat, à travers le Ministère en charge de l’Urbanisme a initié
depuis 2020, un processus de titrement massif des parcelles foncières urbaines 136.
Le titrement massif des parcelles consiste en la création de titres fonciers au nom de
l’Etat en amont, dans la phase d’approbation du lotissement et non plus en aval lors
de la soumission des demandes d’ACD par les usagers. Cette approche qui implique
une immatriculation préalable des parcelles urbaines au nom de l’Etat est de toute
évidence plus conforme à la réglementation foncière en vigueur 137 qui repose sur le
principe de la maîtrise de l’Etat sur les terres urbaines ne faisant pas l’objet de titre
de propriété définitif au profit des particuliers.
Le titrement massif mis en œuvre conformément aux nouvelles procédures
d’élaboration, d’approbation et d’application des plans de lotissement devrait aboutir
non seulement à une réduction des délais de délivrance des ACD, mais aussi, il
devrait accroître de façon significative le nombre d’ACD qui seront délivrés dans les
années à venir. Ce qui contribuerait à réduire le nombre de conflits fonciers et
l’insécurité foncière en milieu urbain.
E/ L’Identifiant Unique du Foncier de Côte d’Ivoire (IDUFCI)
Institué par décret du 13 mars 2019 138, l’IDUFCI est un numéro d’identification unique
qui est attribué à toute parcelle foncière située en Côte d’Ivoire, quelle que soit sa
nature juridique.
L’IDUFCI est le seul référentiel foncier que les Administrations compétentes doivent
désormais utiliser pour identifier les parcelles de terres de Côte d’Ivoire, De ce fait, il
doit obligatoirement figurer sur tout acte constatant l’occupation d’une parcelle, la
création d’un droit réel immobilier ou la cession d’un bien foncier.
136
Décret n° 2021-784 du 08 décembre 2021 portant organisation des procédures d’élaboration, d’approbation et
d’application des plans de lotissement.
137
Loi n° 2020-624 du 14 août 2020 instituant Code de l’Urbanisme et du Domaine foncier
urbain (articles 167 et 168)
138
Décret n° 2019-221 du 13 mars 2019 instituant l’Identifiant Unique du Foncier de Côte d’Ivoire.
83
Au regard de sa finalité, le système de l’IDUFCI vise à renforcer la sécurité foncière
en mettant notamment fin à la multiplicité et à la juxtaposition de différents systèmes
d’identification parcellaire utilisés jusqu’ici (numéro de l’ACD, numéro du lot, numéro
du titre foncier, etc.). L’IDUFCI sous-tend les enjeux ci-après :
84
CHAPITRE 2 : LE DROIT D’USAGE DE LA TERRE
Dans le but de maintenir la mainmise de l’Etat sur les terrains, une circulaire du 27
avril 1937 relative à l’amodiation des terres domaniales par bail emphytéotique avait
proposé qu’au lieu de délivrer un titre de propriété, un bail emphytéotique, dont la
durée peut varier de dix-huit à quatre-vingt-dix-neuf ans, soit consenti au
concessionnaire ayant accompli un effort appréciable de mise en valeur à l’expiration
du délai de concession provisoire. Ces motifs d’utilisation du bail emphytéotique
(Paragraphe 2) ne font pas perdre de vue ses caractéristiques (Paragraphe 1).
Paragraphe 1- Les caractéristiques du bail emphytéotique
Selon la loi du 25 juin 1902, “le bail emphytéotique de biens immeubles confère au
preneur un droit réel susceptible d’hypothèque (C). Ce droit peut être cédé et saisi
dans les formes prescrites pour la saisie immobilière. Ce bail doit être consenti pour
plus de dix-huit années et ne peut dépasser quatre-vingt-dix-neuf ans (B). Il ne peut
se prolonger par tacite reconduction“. Au-delà de ces éléments, il faut retenir que le
preneur a un droit d’usage du fonds mis à sa disposition (A) avec en contrepartie le
paiement d’une redevance dit canon emphytéotique (D).
A - Le bail, droit d’usage
Le bail emphytéotique constitue un démembrement du droit de propriété. A ce titre,
le propriétaire garde le droit de disposer du bien immobilier alors que le preneur a un
droit d’usage du fonds de même que le droit aux fruits pour une période donnée. Ce
mécanisme qui envisage le partage des droits a été conçu pour permettre une
maîtrise foncière de l’Etat dans les zones industrielles des agglomérations.
139
Emile LE BRIS, Etienne LE ROY, Paul MATHIEU, L’appropriation de la terre en Afrique noire. Ed. KARTHALA,
1991, p60.
85
Ce droit d’usage est garanti par la durée du contrat qui est signé par les parties car
l’une des spécificités du bail emphytéotique est sa longue durée.
B - Le bail, contrat de longue durée
La loi du 25 juin 1902 dispose que le bail emphytéotique doit être consenti pour plus
de dix-huit années et ne peut dépasser quatre-vingt-dix-neuf ans ; il ne peut se
prolonger par tacite reconduction. En droit Belge, la durée du bail est de vingt-sept à
quatre-vingt-dix-neuf ans (27 à 99 ans) tandis qu’en droit québécois, elle est de dix à
cent ans (10 à 100 ans). Ces limitations extrêmes permettent de respecter la règle
d’interdiction des engagements perpétuels.
En raison de la durée du bail, certains analystes140pensent que la location des terres
par le truchement du mécanisme du bail emphytéotique rend le système foncier rural
poreux face à la menace de la prédation des terres, le bail comportant le risque de
spoliation des terres rurales au profit d’opérateurs économiques de l’agro-business.
Ainsi dans l’hypothèse où ces terres objet du bail appartiennent à l’Etat, ils concluent
pour dire qu’il est à craindre que ces contrats ne se renouvellent indéfiniment pour
devenir des droits de propriété déguisés. Les inquiétudes sont réelles et légitimes et
c’est conscient des effets du bail qu’en Côte d’Ivoire, l’Etat, consent le bail
emphytéotique, suivant une pratique domaniale ou administrative, pour vingt-cinq
ans (25 ans) renouvelables. Hormis cette pratique, il faut rappeler que la loi ne fait
pas obligation de signer un bail d’une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans.
Conformément au projet à réaliser, les parties conviennent de déterminer la durée
d’occupation du terrain par l’emphytéote qui, il faut le relever, est tenu non seulement
de maintenir ou de parfaire les aménagements qui lui sont imposés par son contrat
(plantation, construction etc..) mais encore d’en faire profiter, sans indemnité, le
propriétaire du fonds à la fin du bail. Par ailleurs, il ne peut se soustraire à l’exécution
des conditions du bail en délaissant sa concession qui, dans ce cas, ferait retour au
bailleur141. Ces différentes clauses et conditions du contrat de bail sont de nature à
atténuer les craintes liées à la durée du contrat.
Il appartient aux parties au contrat de bail, en fonction des cultures ou des
spéculations à réaliser, de s’accorder sur la durée de la convention à signer pour
l’utilisation du sol142 car au cours de la durée du bail, l’emphytéote jouit du fonds de la
même manière que le propriétaire. Le bail confère au preneur un droit réel
hypothécable.
C - Le bail, un droit réel immobilier
Le bail emphytéotique constitue un droit réel immobilier alors que le bail ordinaire
n’est qu’un droit personnel. Il en résulte que l’emphytéote bénéficie de beaucoup de
prérogatives. Ainsi :
dans le souci d’améliorer le fonds, le preneur est libre de réaliser tous
travaux de construction ou de démolition sans le consentement du
bailleur ;
le preneur peut hypothéquer son droit qui peut également être saisi
comme tout bien immobilier ;
140
Jean-Paul SIKELY, les régimes fonciers ruraux comme rempart au phénomène de l’accaparement des terres ?
Le cas du code foncier ivoirien, extrait de mémoire Online 2000-2013., p4.
141
Circulaire du 27 avril 1937 relative à l’amodiation des terres domaniales par bail emphytéotique.
142
Aujourd’hui, avec les conseils des experts en hévéaculture par exemple, il est possible de déterminer la durée
de production du caoutchouc naturel qui pourrait correspondre à la durée du bail (environ 35 à 40 ans).
86
le preneur a sur le fonds un droit de chasse et de pêche conformément à
la règlementation en vigueur dans ce domaine ;
le preneur peut louer les immeubles ou bâtiments qu’il édifie sur le fonds
de même qu’il peut sous-louer les immeubles qu’il a pris à bail
emphytéotique ;
le preneur peut acquérir au profit du fonds des servitudes dont la durée
n’excédera pas la durée du bail et à charge d’avertir le propriétaire.
En revanche, le preneur ne peut pas vendre le terrain ou l’immeuble objet de son
emphytéose de même, il ne peut pas consentir lui-même de bail emphytéotique sur
le bien qu’il tient déjà à bail emphytéotique. Il doit exercer le bail ou alors le céder car
“bail emphytéotique sur bail emphytéotique ne vaut“.
D - Le bail et le canon emphytéotique
L’une des particularités du bail emphytéotique tient à la redevance due par le
preneur au bailleur, appelée “canon emphytéotique“. Le montant du loyer du bail est
une source de controverse, celle-ci partant de l’idée traditionnelle selon laquelle le
canon emphytéotique doit être modeste, voire symbolique. En effet, la loi de 1902 de
même que les circulaires prises en application de ladite loi ne comportent aucune
disposition relative à la fixation du montant du canon emphytéotique. En pratique, la
redevance est peu élevée. En milieu urbain, un arrêté de 1983 fixait la redevance à
cinquante (50) francs le mètre carré le taux des redevances applicables aux terrains
à vocation industrielle143. En milieu rural, elle est de 300 f CFA par hectare et
annuellement. Aussi longtemps que toutes les terres non immatriculées
appartenaient à l’Etat, cette redevance annuelle minime pouvait se justifier, l’Etat
voulant mettre l’accent sur la mise en valeur permanente du sol par des
investisseurs. Aujourd’hui, l’immeuble fonds est une source de richesse et comme
telle, il serait difficilement concevable de maintenir une pratique aux antipodes des
lois qui gouvernent le monde des affaires. C’est un mode particulier d’exploitation
d’un bien qui doit tendre vers le bail commercial ou le bail à construction eu égard au
fait que généralement, les activités qui sont réalisées sur le fonds rapportent
beaucoup de ressources à l’emphytéote.
Paragraphe 2- Les motifs d’utilisation du bail
emphytéotique
En tenant compte des différentes catégories de terres (terres rurales, terrains
urbains), quelles sont les raisons d’utilisation du bail emphytéotique pour l’Etat et les
Collectivités publiques d’une part (A), et pour les particuliers, d’autre part, (B) ?
A –Pour l’Etat et les Collectivités publiques
Historiquement, c’est la circulaire du 27 avril 1937 relative à l’amodiation des terres
domaniales par bail emphytéotique qui livre les motifs de l’utilisation du bail
emphytéotique dans la gestion du domaine privé de l’Etat. En effet, l’Etat colonial
avait fait plusieurs constats :
143
L’article 4 de l’arrêté n°1343/MCU/DCDU du 22 août 1983 accordant une concession provisoire avec
promesse de bail emphytéotique d’un terrain sis en zone industrielle du BANCO, précise que “le concessionnaire
versera annuellement et d’avance à la caisse du directeur des recettes domaniales à Abidjan, une redevance
fixéeà raison de cinquante (50) francs le mètre carré, à la somme de soixante-quinze mille (75.000) francs avec
effet rétroactif à compter de la date d’attribution du terrain, le 11 août 1980.
87
par l’octroi inconsidéré de concessions définitives, l’autorité
administrative risquait au fur et à mesure de se trouver dans
l’impossibilité de satisfaire les besoins fonciers d’une population indigène
croissante en nombre ;
lorsque le titre foncier est remis au colon, l’activité de celui-ci échappe à
tout contrôle et aucun texte ne prévoit les moyens d’obliger le
propriétaire à maintenir sur son fonds les plantations et aménagements
qui avaient justifié l’octroi de ce titre foncier ;
l’octroi du titre de propriété oblige l’Etat à recourir à la procédure
d’expropriation lorsqu’il veut réaliser de grands travaux.
Face à ces inconvénients, l’Etat colonial a préconisé de consentir au
concessionnaire un bail emphytéotique en lieu place du titre de propriété à
l’expiration du délai de concession provisoire. Dès lors, le colon emphytéote est tenu
de respecter les clauses et conditions d’exécution du bail. Ainsi, dans l’ensemble, si
le bénéficiaire du bail emphytéotique conserve les avantages de la concession
définitive, l’Administration se trouve protégée vis-à-vis du concessionnaire défaillant
ou tenté de spéculer, puisque sans formalités excessives, elle peut reprendre les
terrains donnés à bail. Comme l’a relevé, à juste titre, Albert Ley 144, le bail
emphytéotique permet de répondre à l’augmentation démographique, sans
expropriation, ni réforme agraire.
Sur les terres coutumières, le titulaire d’un certificat foncier qui n’est pas admis à être
propriétaire(les non nationaux et les personnes morales), immatricule le terrain au
nom de l’Etat avec promesse de bail emphytéotique. Le recours à ce bail locatif est
un procédé qui permet à l’Etat de garantir les droits fonciers des occupants non
propriétaires ayant mis les terres en valeur. Ces derniers pourront continuer leur
exploitation en toute quiétude.
B- Pour les particuliers
Le recours au bail emphytéotique entre le propriétaire et le preneur est un instrument
de cohésion sociale et de développement économique. A l’origine, selon la circulaire
du 27 avril 1937, le preneur est tenu non seulement de maintenir ou de parfaire les
aménagements qui lui sont imposés par le contrat – plantations, constructions, etc. –
mais encore d’en faire profiter, sans indemnité, le propriétaire du fonds à la fin du
144
(A) LEY ; op.cit.
88
bail. Par ailleurs, le preneur ne peut se soustraire à l’exécution des conditions du bail
en délaissant sa concession qui, dans ce cas, fait retour au bailleur. Si les clauses et
conditions du contrat sont respectées, le preneur jouit du fonds de la même manière
que le propriétaire.
La circulaire de 1937 contient les germes d’une cohabitation pacifique du propriétaire
et du preneur sur l’immeuble objet du bail. L’essentiel ici est de définir clairement les
droits et obligations des parties au contrat et d’expliquer le mécanisme du bail car si
pour le preneur il s’agit de sécuriser son exploitation ; pour le bailleur, il s’agit de
pouvoir reprendre son bien à la fin du bail.
La réglementation foncière en vigueur offre cette opportunité au détenteur d’un titre
foncier. C’est d’ailleurs à ce titre que le bail est considéré comme un instrument de
développement économique puisqu’il évite la thésaurisation des terres. La terre n’est
source de richesse que par l’utilisation qu’on en fait. L’exploitation permanente
réalisée soit par le propriétaire lui-même, soit par un tiers, sous quelle que forme que
ce soit, procure, par les revenus générés, un bien-être économique et social. Dans
ce sens, le législateur devrait définir un cadre légal pour l’évaluation du montant de la
redevance, prenant en compte les intérêts des parties au contrat, tout en ayant à
l’esprit les impératifs de développement économique qui fondent le caractère
modique de la redevance.
SECTION 2. LES AUTRES LOCATIONS FONCIERES
L’Etat et les Collectivités publiques (paragraphe 1) tout comme les particuliers
(paragraphe 2) peuvent mettre leurs terres à la disposition de tiers sous différentes
formes de location.
Paragraphe 1- Les terres appartenant à l’Etat et aux Collectivités territoriales
En zone urbaine, l’Etat ou toute Collectivité territoriale peut mettre les terres de son
domaine privé à la disposition des particuliers sous forme de location précaire (A).
Sur les terres du domaine rural, les locations “ordinaires“ sont consenties
conformément aux dispositions de la loi foncière de 1998 (B).
A- Les locations précaires en zone urbaine
Dans les centres non lotis, c'est-à-dire où l’emprise des rues n’est pas encore
connue, seule la location précaire est consentie par l’Etat ou la Collectivité
territoriale145. En effet, avec le plan cadre de l’utilisation des sols défini à travers le
plan d’urbanisme directeur d’une agglomération donnée, il est permis à l’Etat ou à la
Collectivité territoriale de mettre à la disposition des particuliers des parcelles à des
fins diverses en attendant la parcellisation officielle de la zone. Dans ce cas, les
constructions de toute nature que le locataire pourrait édifier sont faites à ses risques
et périls et l’occupant ne pourra se prévaloir de cette occupation pour prétendre à un
droit quelconque sur le terrain qui lui est attribué.
Autrement dit, la location précaire du domaine privé de l’Etat ou de la Collectivité
territoriale n’est pas incompatible avec la projection qui est faite à travers le plan
d’urbanisme en ce sens que la location peut être résiliée à tout moment par
l’Administration et aucun droit de préemption n’est reconnu à l’occupant.
145
Voir arrêté n° 2164 du 9 juillet 1936 portant aliénation des terrains domaniaux tel que modifié par l’arrêté du 31
janvier 1938.
89
L’autorisation est accordée à l’occupant sans frais et redevance et durera tout le
temps que le bénéficiaire payera sa patente, ne sera pas renonçant ou ne sera
déchu, pour besoins éventuels du terrain occupé, par l’Administration ou pour
inexécution des obligations qui lui incombent.
L’arrêté de 1936 indique le mode de gestion des terrains des zones non lotis mais
faisant partie du périmètre urbain. Quid des locations des terres rurales ?
B- Les locations ordinaires des terres rurales
L’Administration gère librement les terres du domaine foncier rural immatriculées au
nom de l’Etat. Dans le cadre de cette gestion, l’art.22 al.2 de la loi n°98-750 du 23
décembre 1998 relative au domaine foncier rural dispose que “les contrats de
location sont à durée déterminée et comportent obligatoirement des clauses de mise
en valeur. En cas de non-respect de ces dernières, le contrat est purement et
simplement résilié ou ramené à la superficie effectivement mise en valeur“. La
location est consentie moyennant paiement d’un loyer dont les bases d’estimation
sont fixées par la loi des finances.
La location est un acte de gestion courant que l’Etat ou la Collectivité territoriale fait
par rapport à son bien immeuble. Le contrat de location est conclu directement entre
l’administration et la personne concernée.
En tout état de cause, en cas de location, lorsque le loyer n’est pas payé, outre les
poursuites judiciaires prévues par les textes en vigueur, les impenses réalisées par
le locataire constituent le gage de l’Etat ou de la Collectivité territoriale dont les
créances sont privilégiées même en cas d’hypothèque prise par des tiers146.
Tout comme l’Etat ou la Collectivité territoriale, les particuliers titulaires de droit
peuvent mettre leur terre en location en milieu rural147.
Paragraphe 2- Les terres appartenant aux particuliers
L’émergence en zone rurale de deux formes de propriété, la propriété issue de
l’immatriculation (A) et celle découlant du certificat foncier ou propriété coutumière
(B), oblige à analyser les droits des uns et des autres dans le cadre de la location
des terres.
A- La location d’une terre objet d’un titre foncier
Selon l’art.544 du code civil de 1804, attribuer à un sujet de droit la propriété, c’est lui
donner le pouvoir d’user et de disposer des choses objet de cette propriété de la
manière la plus absolue. L’immatriculation étant le fondement de la propriété foncière
en Côte d’Ivoire, dès lors que la terre est immatriculée au nom d’une personne, celle-
ci bénéficie de tous les attributs du droit de propriété. A ce titre, le titulaire d’un titre
foncier sur une terre rurale est libre de la gérer conformément aux règles en vigueur
en la matière.
En effet, selon l’alinéa 2 de l’article 8 de la loi de finances n°70-209 du 20 mars 1970,
“tous faits, conventions ou sentences ayant pour objet de constituer, transmettre,
déclarer, modifier ou éteindre un droit réel immobilier, d’en changer le titulaire ou les
146
Art.23 nouveau de la loi n° 2019-868 du 14 octobre 2019 modifiant la loi n°98-750 du 23 décembre 1998
relative au domaine foncier rural.
147
En milieu urbain, la règlementation foncière relative à la mise en valeur des terrains urbains détenus en pleine
propriété ne favorise pas ce type de convention.
90
conditions d’existence, tous baux d’immeubles excédants trois années, toutes
quittances ou cessions d’une somme équivalant à plus d’une année de loyers ou
fermage non échu, doivent, en vue de leur inscription, être constatés par actes
authentiques sous peine de nullité absolue“.
De ce texte, il faut retenir que le propriétaire peut louer tout ou partie de sa terre.
Cependant, si la location est conclue pour une durée supérieure à trois années, la
convention doit être passée devant un notaire qui procédera à son inscription sur le
livre foncier. A défaut, cette convention est frappée d’une nullité absolue. Les
locations de moins de trois ans ne sont pas soumises à cette condition.
Ce mécanisme ou procédé de gestion des terres qu’est la location se conçoit
également lorsque le détenteur de droit sur le terrain est titulaire d’un certificat
foncier.
B- La location d’une terre objet d’un certificat foncier
La location comme acte de gestion de la terre objet du certificat foncier prend ici la
forme de la location ordinaire ou fermage.
La location ordinaire ou fermage correspond à un contrat de courte durée
concevable essentiellement pour les spéculations à cycle court. Dans ce type de
convention, le titulaire du certificat foncier ou le détenteur coutumier de droit foncier,
met sa terre à la disposition de l’exploitant. Les parties conviennent des conditions
d’exécution de la convention notamment la superficie, la nature du loyer et la durée
du contrat. Cette convention relative à l’usage de la terre est très usitée dans les cas
où les spéculations agricoles concernées (ananas par exemple) n’excèdent pas une
année et n’emportent pas de ce fait une occupation pérenne du sol 148 Ce procédé a
l’avantage de ne pas déposséder les paysans de leurs terres tout en leur procurant
des revenus réguliers.
Aujourd’hui, de nombreux détenteurs de droit coutumier acceptent de mettre leurs
terres en fermage, ce qui permet à certaines couches de la population (femmes,
jeunes, salariés, groupements d’exploitants agricoles, etc.) de s’adonner à des
spéculations sans être propriétaires de parcelles de terre. Le système de fermage
comporte une clause d’interdiction des cultures pérennes. Cette restriction a eu pour
conséquence le développement d’une autre pratique qu’est la donation à charges qui
permet également d’avoir accès à l’usage du sol.
148
Vue générale sur les conflits fonciers de quelques régions de la Côte d’Ivoire, par OUATTARA Niho et COFFI
Jean-Paul, in Actes du colloque sur le droit et l’accès à la terre en milieu rural, EDC spécial n°1 février 1991 p
256.
91
CHAPITRE 3 - LES OBLIGATIONS LIEES A L’ACCES A LA TERRE
Le code civil en son article 544 affirme le caractère absolu de la propriété des biens.
Mais, en matière foncière, des considérations socio-économiques ont largement
atténué cette disposition. Ainsi, pour éviter que la terre reste à l’abandon pendant de
longues années, le droit français a eu recours à l’impôt foncier pour contraindre le
propriétaire à mettre sa terre en valeur. L’Etat ivoirien, à travers sa réglementation
foncière, a également mis l'accent sur la fonction socio-économique de la terre, en
faisant, dans certains cas, de la mise en valeur, une obligation. A cette obligation de
mise en valeur (Section 1), il y a lieu d’ajouter l’obligation de payer l’impôt foncier
(Section 2).
SECTION 1- L’OBLIGATION DE MISE EN VALEUR
Depuis l’époque coloniale, l’exigence d’une mise en valeur des terres est une
constante de la réglementation foncière et domaniale ivoirienne. Mais dans le cadre
de sa politique de sécurisation foncière, l’Etat a largement atténué cette exigence
aussi bien en milieu rural qu’en milieu urbain. Les développements qui suivent
porteront d’une part, sur la notion de mise en valeur (sous-section 1), d’autre part,
sur ses incidences ou effets (sous-section 2).
149
-Jacqueline DUTHEIL DE LA ROCHERE : l’Etat et le développement économique de la C.I ; Annales de
l’Université d’Abidjan 1975, série A Vol.4, p 238 et s ; Alfred SCHWARTZ : Grands projets de développement et
pratiques foncières en C.I in Enjeux fonciers en Afrique Noire, P 293 ; Encyclopédie juridique de l’Afrique : les
biens, p 261 et s.
92
des plus hautes autorités politiques150. Dans un message adressé à la Nation le 15
janvier 1962, le Chef de l’Etat déclarait déjà que la Côte d’Ivoire n’a pas de terres à
répartir mais à mettre en valeur. Il précisera plus tard : « Plutôt que de songer aux
méthodes de répartition des richesses existantes, mieux vaut travailler en priorité à
créer de nouvelles richesses. Il ne sert à rien de vouloir partager la pauvreté151 ».
Cette option de politique foncière et agricole s’est traduite au plan juridique par
l’adoption de dispositions législatives et réglementaires mettant l’accent sur la
nécessité de la mise en valeur des terres, et obligeant les concessionnaires à mettre
leurs terres en valeur. Ainsi, le décret du 16 février 1971 relatif aux procédures
domaniales faisait du constat de mise en valeur une condition d’accès à la propriété
des terrains ruraux et urbains152. En milieu rural, la défunte loi du 12 juillet 1971
relative à l’exploitation rationnelle des terrains ruraux détenus en pleine propriété
disposait à cet effet que tout propriétaire est tenu de mettre en valeur et de maintenir
en bon état de production l’intégralité des terres qu’il exploite 153. Cette exigence avait
été reprise par la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier
rural. Aux termes de l'article 20 de cette loi, les propriétaires de terres du domaine
foncier rural autres que l'Etat, avaient l'obligation de les mettre en valeur154. Mais en
vue de favoriser l’accès des particuliers à la propriété foncière, cette obligation a été
supprimée par le législateur à travers la récente loi n° 2019-868 du 14 octobre 2019
portant modification de la loi du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural.
En milieu urbain, le législateur a institué une obligation de mise en valeur pour les
terrains urbains détenus en pleine propriété155.
Enfin, l’Etat a recours au bail emphytéotique ou aux locations de courte durée pour
assurer la mise en valeur permanente des terres, tout en conservant la maîtrise
foncière nécessaire à la réalisation de ses futurs programmes de développement.
B- Portée
Au regard des acteurs concernés, en milieu rural, l’obligation de mise en valeur
d’une terre rurale ne vise aujourd’hui que les bénéficiaires d’un bail emphytéotique
ou d’une location de courte durée. Ne sont plus concernés les concessionnaires
provisoires de terres rurales156. Mieux, les propriétaires de terrains ruraux ne sont
plus assujettis à l’obligation de mise en valeur157.
150
-Albert LEY : le régime domanial et foncier et le développement économique de la C.I. LGDJ, 1972, p.568 et s.
151
-Fraternité Hebdo du 18 décembre 1964.
152
-Le décret n° 71-74 du 16 février 1971 a été abrogé par le décret n° 2013-482 du 02 juillet 2013 portant
modalités d’application de l’ordonnance fixant les règles d’acquisition de la propriété des terrains urbains. Quant
aux dispositions du décret n° 71-74 du 16 février 1971 relatives aux terres rurales, elles ont été de fait abrogées
par les décrets portant application de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural.
153
-Loi n° 71-338 du 12 juillet 1971 relative à l’exploitation rationnelle des terrains ruraux détenus en pleine
propriété, JORCI 1971, P.1102 ; E.D.C Spécial-N° 2 Mai 1991 P.127. Cette loi a été abrogée par la loi n° 98-750
du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural.
154
Le projet de loi portant modification de la loi du 23 décembre relative au domaine foncier rural prévoit de
supprimer cette obligation de mise en valeur des terres rurales.
155
-Loi N° 71-340 du 12 juillet 1971 relative à la mise en valeur des terrains urbains détenus en pleine propriété.
Guide jurid. de la C.I, Vol. II, P.396 ; Codes et lois TVII, P.18 ; Décret N° 71-341 du 12 juillet réglementant la
mise en valeur des terrains urbains détenus en pleine propriété.
156
Voir décrets cités à la note 154. Dans un contexte de promotion de la sécurisation foncière, cette option de
l’Etat vise à n’en a point douter à faciliter l’accès des concessionnaires provisoires à la propriété foncière .
157
Loi n° 2019-868 du 14 octobre 2019 modifiant la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine
foncier
93
En milieu urbain, sont assujettis à l’obligation de mise en valeur les détenteurs
d’arrêté de concession définitive (ACD)158. Mais si la mise en valeur est une
obligation permanente pour le propriétaire foncier urbain, elle ne constitue guère une
condition d’accès à la propriété pour les détenteurs de lettres d’attribution ou de
concession provisoire. Ceux-ci peuvent aujourd’hui obtenir un arrêté de concession
définitive, même si leur terrain n’a pas été mis en valeur. Tel était déjà le cas avec la
loi de finances pour la gestion 2002 laquelle avait, en vue de simplifier la procédure
d’obtention du titre foncier, jugée longue, supprimé les étapes de l’obligation et du
constat de mise en valeur.
Au regard des activités concernées, l’obligation de mise en valeur ne vise plus
seulement, depuis la loi portant réforme foncière du 23 décembre 1998, l’activité
agricole proprement dite ; elle prend en compte la conservation de l’environnement.
Ainsi, l'enrichissement ou la constitution de forêts tout comme de jardins botaniques
et zoologiques sont considérés par la réforme foncière du 23 décembre 1998 comme
des opérations de préservation de l'environnement. C’est donc la reconnaissance de
la mise en valeur à des fins écologiques. Il en résulte un élargissement du champ
d’application de l’obligation de mise en valeur prenant en compte les activités
agricoles au sens large (production végétale, production animale, sylviculture,
maintien, enrichissement ou constitution de forêts, aquaculture, jardins botaniques et
zoologiques, etc.)159. Cet élargissement de la notion de mise en valeur amène à
prendre en compte les espaces mis en défens ou même en jachère à des fins
écologiques.
Paragraphe 2- Les critères de la mise en valeur
Du fait de la diversité des finalités poursuivies, les critères de la mise en valeur ne
sauraient être uniformes ; ils varient selon que le terrain concerné soit destiné à des
activités agricoles (A), à la conservation de l’environnement (B) ou à la construction
en milieu urbain (C).
A- Critères de la mise en valeur des terres à vocation agricole
Aux termes de l’article 18 de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998, la mise en
valeur peut résulter d’une opération de développement agricole. Selon le législateur,
les opérations de développement agricole peuvent prendre la forme :
- de cultures,
- d’élevage d’animaux domestiques ou sauvages,
- d’activités aquacoles,
- d’infrastructures et aménagements à vocation agricole,
- d’établissements de stockage, de transformation et de commercialisation de
produits agricoles160.
Il convient de relever que dans la pratique, les questions liées à la mise en valeur ont
été souvent examinées sous l’angle de la densité ou du rendement des cultures
réalisées. Or la définition donnée par le législateur de 1998 ne donne aucune
précision quantitative ou qualitative sur la mise en valeur.
158
-Voir Ordonnance n° 2013-481 du 2 juillet 2013 fixant les règles d’attribution de la propriété des terrains
urbains et son décret d’application n° 2013-482 du 2 juillet 2013.
159
-article 18 de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998.
160
Au regard de la définition du législateur, l’opération de développement agricole comprend également les
activités réalisées à des fins écologiques ou environnementales. Mais cette approche sera examinée dans le cadre
de la mise en valeur à des fins écologiques (voir point B).
94
Sous l’empire de la loi du 12 juillet 1971 relative à l’exploitation rationnelle des
terrains ruraux détenus en pleine propriété, il revenait à l’Administration du domaine
de vérifier si les cultures réalisées occupaient la totalité ou les 2/3 au moins de la
superficie concédée. Non seulement la plantation devait bénéficier de méthodes
culturales appropriées, son rendement devait être au moins égal à celui obtenu
habituellement dans la région pour les terres présentant les mêmes conditions
d’exploitation et de fertilité. S’agissant des jachères, étaient réputées mises en valeur
celles dont la superficie totale était conforme au système d’assolement en usage
dans la région161.
Pour les terres domaniales concédées provisoirement, le cahier des charges annexé
à l’arrêté d’octroi de la concession provisoire constituait un document
complémentaire de référence.
La question de la mise en valeur concerne également les terres non appropriées ou
non concédées provisoirement. Il s’agit d’une part, des terres n’ayant fait l’objet
d’aucune attribution administrative, d’autre part, de celles du domaine coutumier. En
effet, certains auteurs ont pu se demander si le simple défrichement ou la
construction d’une clôture peuvent être considérés comme une mise en culture et
subséquemment déterminer l’existence de la mise en valeur 162.Sur cette question, la
Cour d’Appel d’Abidjan avait pu juger, s’agissant de deux parcelles de terrain
litigieuses que la parcelle simplement défrichée était mise en valeur au même titre
que la parcelle portant diverses cultures (banane, taro, manioc, etc.) 163. Même si elle
visait davantage à désigner le titulaire de droits d’usage sur les parcelles litigieuses,
cette décision de la Cour d’Appel d’Abidjan admettait implicitement que le simple
défrichage pouvait être synonyme de mise en valeur.
Bien que traduisant l’expression d’un travail, une telle conception de l’emprise
matérielle était de nature à favoriser l’occupation stérile des terres. Mieux, elle
pouvait justifier le comportement de certains paysans qui en vue d’affirmer leurs
prérogatives foncières coutumières, avaient tout simplement mis le feu à la brousse,
suite à la déclaration selon laquelle la terre appartient à celui qui la met en valeur 164.
Admettre que le défrichement puisse être assimilé à une emprise matérielle, revenait
en réalité à prendre le risque que la mise à feu à des fins culturales (cultures sur
brûlis) fasse l’objet de la même assimilation. Ce qui naturellement aurait été un
obstacle voire un désastre face aux exigences du développement durable.
Mais à l’examen de la jurisprudence, la décision précitée de la Cour d’Appel
d’Abidjan semble isolée car la Jurisprudence a de façon constante, considéré
comme possesseur légitime, celui par qui le terrain a été défriché, planté et cultivé 165.
Ce qui revient à dire, face à l’absence de définition législative ou réglementaire
précise de la mise en valeur, que n’importe quel travail ne peut être synonyme de
mise en valeur.
161
- Des dispositions semblables figurent dans la législation malgache. Voir R.RAMAROLONTO : accès à la terre
à Madagascar, Rev.int. de droit comparé, juil. sept. 1989, p.678.
162
-(H)SARASSORO. Droit foncier ivoirien, occupants et propriétaires coutumiers EDC 1987, n° 1 P.125.
163
-CAA, n° 46 du 25 janvier 1980, EDC 1987, n°1, P. 140.
164
-Albert LEY : op. cit. P 532 ; Jacques CHAUMIE : la régulation des rapports fonciers internes à l’unité
d’exploitation, in Emile LE BRIS, Etienne LEROY, Paul MATHIEU, l’appropriation de la terre en Afrique Noire,
Karthala 1991 P. 56 ; Etienne LEROY : op.cit. P. 166.
165
-CAA, n° 277 du 26 juin 1970, RID 1971/2 P. 55 ; n° 46 du 25 janvier 1980, EDC n° 1 1987, P.140 ; n° 430 du
21 mars 1982, N’cho Boni c/0ssey Anou, inédit ; tri. De 1èreInst. D’Abj. Section d’Adzopé, Jgt n° 74 du 16 mai
1986, AsseuAchi c/AkissiChouen, inédit.
95
B- Critères de la mise en valeur à des fins écologiques
Jusqu’ à la loi du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural, l’Etat avait
accordé la priorité à la mise en valeur des terres à des fins agricoles. D’où le slogan
selon lequel « l’économie de la Côte d’Ivoire repose sur l’Agriculture ». Il en résulte
que seules les activités de production agricole au sens strict du terme étaient
considérées comme synonyme de mise en valeur. Dans un tel contexte caractérisé
d’une part, par l’exploitation non durable des ressources forestières naturelles,
d’autre part, par la course aux terres de culture, les activités de reforestation et de
conservation de l’environnement ont été pendant les deux premières décennies de
l’indépendance, reléguées au second plan. Cette option de politique agricole a, à la
longue entraîné une réduction drastique du couvert forestier ivoirien 166 au point où,
l’Etat a dû, à partir des années quatre-vingt, s’engager résolument dans une politique
de gestion durable des ressources forestières. Cette politique qui a pris forme à
travers le plan directeur forestier 1988-2015 et la déclaration de politique forestière
de 1999167, s’est traduite au plan juridique par l’adoption du Code forestier du 23
juillet 2019 lequel contrairement à celui du 20 décembre 1965, met l’accent sur les
activités de production forestière et de conservation de l’environnement168.
Bien avant ce nouveau Code forestier, la loi portant réforme foncière du 23
décembre 1998 a opéré du point de vue de leurs effets, un rééquilibrage entre la
production agricole stricto sensu et la production forestière. Il en résulte que la
notion de mise en valeur ne se limite plus à l’activité agricole proprement dite ; elle
prend en compte la conservation de l’environnement. En effet, l'enrichissement ou la
constitution de forêts tout comme les jardins botaniques et zoologiques sont
considérés par la réforme foncière du 23 décembre 1998 comme des opérations de
préservation de l'environnement et donc de mise en valeur169.
Au-delà des objectifs de gestion durable du patrimoine forestier ivoirien, cette
reconnaissance de la mise en valeur à des fins écologiques a le mérite de mettre fin
à un paradoxe : celle qui consistait à réserver les prérogatives foncières aux seuls
auteurs de mise en valeur à des fins agricoles. Ainsi, la création d’une plantation de
cacao ou de café équivalait à une mise en valeur ; ce qui n’était pas le cas pour une
plantation de teck ou de gmelina. Désormais, les activités de reforestation ou de
conservation de l’environnement produisent les mêmes effets que les activités
agricoles proprement dites.
Il résulte des développements qui précèdent un double constat. En premier lieu, si
pour les terres agricoles, la rentabilité de l'exploitation constitue un critère
déterminant d'appréciation de la mise en valeur, pour les terres à vocation
écologique, ce critère apparaît inopérant car les bienfaits de la préservation de
l'environnement ne peuvent toujours pas être évalués en termes économiques.
96
d’occupation apparaît plus rigoureuse que celle qui a cours pour les terrains régis par
la coutume. Ainsi pour les terrains objet d’un titre foncier d’occupation, l’usage de
techniques rationnelles d’exploitation ou de densification de l’espace par le
propriétaire apparaît déterminant. En revanche, pour les terrains coutumiers,
l’existence de cultures suffit pour constater la mise en valeur. Peu importe la
rentabilité de ces cultures dès lors que celles-ci sont réalisées en conformité avec les
usages coutumiers de la région concernée.
C) Critères de la mise en valeur des terrains urbains
En milieu urbain, la loi n° 71-340 du 12 juillet 1971 réglementant la mise en valeur
des terrains urbains dispose en son article 3 que le défaut de mise en valeur
« résulte soit de l’absence de tout investissement eu égard à l’emplacement du
terrain et à sa valeur vénale, soit enfin de l’abandon des constructions réalisées »
depuis cinq ans au jour de la procédure d’expropriation. A contrario, il y a mise en
valeur lorsque les investissements immobiliers réalisés répondent aux normes de
rentabilité et de viabilité définies par les pouvoirs publics.
Paragraphe 3 : Les sanctions de l’obligation de mise en valeur
Si l'obligation de mise en valeur se justifie par des raisons socio-économiques, quelle
en est la sanction ? En d'autres termes, à quoi s'exposent ceux qui ne mettent pas
leurs terrains en valeur ? Sous l’empire de la loi n° 71-338 du 12 juillet 1971, les
terrains ruraux acquis en pleine propriété et qui n’étaient pas mis en valeur dans le
délai de 10 ans, pouvaient faire retour au domaine de l’Etat par la procédure de
retrait ou d’expropriation. Avec la première version de la loi portant réforme foncière
du 23 décembre 1998, le législateur avait plutôt opté pour la contrainte 170 sans toute
autre précision. En supprimant l’obligation de mise en valeur à la charge des
propriétaires fonciers, des concessionnaires à titre provisoire et des détenteurs de
certificat foncier, le législateur, à travers la loi du 23 décembre 1998 et ses textes
modificatifs ou d’application subséquents met un terme en matière d’accès à la
propriété foncière, à toute forme de sanction liée à l’insuffisance ou au défaut de
mise en valeur
Toutefois, pour les locations ordinaires de terres rurales effectuées par
l’Administration, en cas d’absence ou d’insuffisance de mise en valeur, le contrat est
purement et simplement résilié ou ramené à la superficie effectivement mise en
valeur“171. Pour les terres objet de bail emphytéotique, l’absence de mise en valeur
pendant plus de dix ans peut donner lieu à la résiliation du bail.
En milieu urbain, le propriétaire défaillant encourt, en cas d’insuffisance ou de défaut
de mise en valeur de son terrain pendant une période de cinq ans, la perte de son
terrain au profit de l’Etat ou d’une personne plus diligente. La décision de transfert du
terrain à l’Etat est prise par arrêté du Ministre chargé de la construction et de
l’urbanisme après constat de l’absence de mise en valeur.
170
-L’article 20 de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural dispose sur ce point que
les propriétaires de terres du domaine foncier rural qui n’ont pas mis leur terre en valeur peuvent y être contraints
par l’autorité dans des conditions qui seront ultérieurement déterminées par décret pris en conseil de ministres.
171
-Loi n°98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural (article 22).
97
Avec le processus de sécurisation foncière initié par l’Etat, la mise en valeur n’est
plus une condition d’accès à la propriété foncière, tant en milieu rural qu’en milieu
urbain (Paragraphe 1). Cependant, sans être prescrit par les textes en vigueur, la
mise en valeur peut, dans certaines circonstances, conférer un droit d'usage sur la
terre (Paragraphe 2).
Paragraphe 1- Mise en valeur et propriété foncière
L’examen des rapports entre la mise en valeur et la propriété foncière concerne
aussi bien les terres rurales (A) que les terres urbaines (B). Dans les deux cas
cependant, l’accès à la propriété foncière ne met pas fin à l’obligation de mise en
valeur (C).
A- Mise en valeur des terres rurales et propriété foncière
1/ Les terres provisoirement concédées
Pour les terres déjà concédées à titre provisoire avant la réforme foncière du 23
décembre 1998, le constat de mise en valeur réalisé par le service chargé des
affaires domaniales, était une condition d’accès à la propriété foncière. Avec
l’adoption du décret n° 99-595 du 13 octobre 1999 fixant la procédure de
consolidation des droits des concessionnaires provisoires de terres du domaine 172,
l’obligation de mise en valeur a été réaffirmée pour les terres concédées à titre
provisoire. Mais ce décret vient d’être abrogé par le décret n° 2019-265 du 27 mars
2019 portant sur le même objet. A l’examen de ce nouveau décret 173, le constat de
mise en valeur n’est plus requis comme condition de la demande d’immatriculation
de la parcelle concédée.
98
d'accès à la propriété foncière. L’Etat est resté dans la même logique avec l’adoption
du décret du 27 mars 2019 fixant les modalités d’application au domaine foncier rural
coutumier de la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 et abrogeant le décret de 1999.
Même le cahier de charges qui doit être annexé au certificat foncier ne mentionne
plus l’obligation de mise en valeur.
En restant muet sur la question de l’obligation de mise en valeur, l’Etat a voulu sans
doute, favoriser l'accès des titulaires de certificats fonciers à la propriété foncière. A
l’analyse, cette solution est en fait conforme au droit coutumier qui considère que ce
n'est pas parce qu'une terre n'est pas mise en valeur qu'elle est sans propriétaire. En
d’autres termes, en reconnaissant la propriété foncière coutumière à travers
l’institution du certificat foncier, il a paru logique au législateur de 1998 de mettre fin
au primat de la mise en valeur sur l’antériorité de l’occupation coutumière.
B/ Mise en valeur des terrains urbains concédés provisoirement et propriété
foncière
99
l’objet d’une attribution administrative (concession provisoire, permis d’occuper, etc.).
Sur ce point, les solutions varient selon que la mise en valeur est antérieure (A) ou
postérieure (B) à la réforme foncière du 23 décembre 1998.
A- Avant la réforme foncière du 23 décembre 1998
C’est le lieu de rappeler qu’en vue d’amener les paysans à régulariser leur
occupation foncière en s’adressant à l’Administration du domaine, le défunt décret du
16 février 1971176 indiquait déjà que toute occupation de terre pour être légale, doit
être justifiée par la possession d’un titre d’occupation délivré par l’autorité
compétente. Mais en pratique, peu de propriétaires fonciers coutumiers ont eu
recours aux procédures domaniales et foncières. Cette réticence résulte du fait que
ceux-ci se considérant déjà comme propriétaires des terres qu’ils occupent, n’ont pas
éprouvé le besoin de recourir à une quelconque procédure administrative nécessitant
des démarches fastidieuses et onéreuses.177. Mieux, ils se sont toujours opposés à
ce que les allogènes qui occupent leurs terres aient recours à ces procédures. Pour
toutes ces raisons, peu de paysans disposent d’un titre d’occupation178.
Cette absence de titres d’occupation même précaires, favorise l’insécurité foncière et
est en partie à l’origine des conflits fonciers opposant les détenteurs coutumiers de la
terre aux auteurs de mises en valeur. Tandis que les premiers revendiquent la
propriété coutumière de la terre, les seconds ont toujours excipé des prérogatives
foncières résultant de la mise en valeur. C’est dans un tel contexte que le premier
Chef de l’Etat, dans le but de favoriser la mise en valeur des terres avait pu déclarer
que « ce qui a été mis en valeur revient à celui qui a créé cette valeur »179.
Autrement, dit (c’est le sens que véhiculera le langage courant), la terre appartient à
celui qui la met en valeur. Si cette déclaration a permis l’essor des cultures pérennes
d’exportation, sources de devises pour le pays, elle a en revanche accentué les
antagonismes entre détenteurs coutumiers de la terre et non-autochtones.
Du point de vue juridique, cette déclaration du Chef de l’Etat n’avait que valeur de
simple directive. Mais, interprétant cette déclaration du Chef de l’Etat, la
jurisprudence a pu avant l’avènement de la réforme foncière du 23 décembre 1998,
reconnaître un droit d’usage aux auteurs de mise en valeur des terres
coutumières180. D’où le mécontentement des propriétaires fonciers coutumiers qui
craignaient à juste titre d'être dépossédés de leurs terres au profit des non-
autochtones181.Ce mécontentement pouvait emprunter soit la forme d’actes de
176
-décret n° 71-74 du 16 février 1971 relatif aux procédures domaniales et foncières, JORCI 1971 P. 344.
177
-(H) SARASSORO : le droit foncier ivoirien à la croisée des chemins, RID 1988 ; Droit foncier ivoirien,
occupants et propriétaires coutumiers, EDC n°1 avril 1987, p.125 ; Niho OUATTARA et Jean-Paul COFFI, rapport
d’enquête sur les problèmes fonciers dans le Sud-ouest, P.95 ; Laurence IDOT, rapport de synthèse relatif à la
table ronde sur le droit foncier rural, EDC 1987, n° 1 avril 1987, P.125.
178
-Par exemple, concernant le département de Soubré, il n’a été délivré de 1986 à 1989que 67 titres juridiques
(permis d’occuper), soit une moyenne de 17 titres par an pour une population qui comprend des dizaines de
milliers de paysans.
179
-Cette déclaration du Chef de l’Etat vise les terres coutumières, c’est-à-dire celles qui n’ont jamais fait l’objet
d’une attribution administrative. Ces terres représentent plus de 90% du territoire national.
180
-C.S. n° 21 du 9 juillet 1971, RID 1972/73, /1-2/ p. 74 : « Celui qui occupe le terrain non immatriculé en le
mettant en valeur acquiert un droit de propriété coutumière, c’est-à-dire d’occupation et d’usage ». Voir dans le
même sens : C.S. n° 3 du 7 février 1969, RID 1970 (1° ) p. 30 ; CAA, n° 129 du 7 mars 1969, RID 1970 (1) p. 47 ;
n° 277 du 26 juin 1970, RID 1971 (2) p. 55 ; n° 30 du 5 juin 1970, RID 1971 (3) p.60, n° 651 du 3 décembre 1976,
RID (1-2) p.49.
181
- Dans le sud-ouest par exemple, où 80 % environ des terres ont été mises en valeur par les nouveaux
occupants, les fréquents conflits fonciers constituent une menace pour la paix sociale. Niho OUATTARA et Jean-
Paul COFFI, op. cit.
100
destruction des mises en valeur réalisées par les nouveaux occupants, soit
d’oppositions farouches à l’application des décisions de justice défavorables aux
propriétaires coutumiers182.
B- Après la réforme foncière du 23 décembre 1998
Face au rejet du primat de la mise en valeur par les populations autochtones, le
législateur de 1998 a dû reconnaître de jure la propriété foncière coutumière. Il en
résulte que désormais, la mise en valeur d’un terrain coutumier n’est génératrice de
droit d’usage que si son auteur a bénéficié de l'accord du détenteur coutumier 183. Cet
accord peut résulter d’une location consentie par le titulaire d’un certificat foncier 184.
Mais à défaut d’un contrat de location, l’accord du détenteur coutumier peut être
établi par tout autre moyen de preuve. Une fois que cet accord est établi, l’auteur de
la mise en valeur bénéficie d’un droit d’usage. Ce droit d’usage consiste en un droit
de culture et de jouissance à caractère personnel qui ne peut être cédé. Si cette
solution qui s’inscrit dans la logique de la reconnaissance de la propriété foncière
coutumière est compréhensible pour les mises en valeur réalisées postérieurement à
la réforme foncière du 23 décembre 1998, quid des mises en valeur antérieures
effectuées sur les terrains coutumiers ?
Sur cette question, la réglementation en vigueur dispose que les droits de l’occupant
de bonne foi sont confirmés par le titulaire du certificat foncier de façon juste et
équitable pour les deux parties. Cette solution trouve son fondement dans la volonté
de l’Etat de tenir compte des nombreuses mises en valeur effectuées antérieurement
à la réforme foncière du 23 décembre 1998 par des occupants qui n’ont pas la
qualité de propriétaires fonciers coutumiers.
SECTION 2- LA FISCALITE FONCIERE
L’impôt est le prélèvement obligatoire et sans contrepartie directe effectué par l’Etat
ou les Collectivités locales, et destiné à subvenir à leurs dépenses publiques et à
celles de certains autres organismes publics ou établissements publics à vocation
territoriale. En vertu de la Constitution, c’est la loi qui fixe l’assiette, le taux et les
modalités de recouvrement des impositions de toute nature. En la matière, les textes
de référence sont essentiellement le Code général des impôts et les lois des
finances. Si la fiscalité foncière urbaine (paragraphe 1) est largement réglementée
par ces textes, tel n’est pas le cas de la fiscalité foncière rurale (paragraphe 2).
Paragraphe 1- La fiscalité foncière urbaine
La fiscalité foncière urbaine s’applique aux immeubles urbains. Sont considérés
comme des immeubles urbains les « terrains situés dans l’étendue d’une
agglomération déjà existante ou en voie de formation et compris dans les limites des
plans de lotissement régulièrement approuvés ». Cette définition vise également les
terrains non bâtis qui situés en dehors du périmètre des agglomérations, sont
destinés à l’établissement de maisons d’habitation, factoreries, comptoirs avec leurs
aisances et dépendances, lorsque lesdites constructions ne se rattachent pas à
l’exploitation agricole ».
182
- Keldi DIABY : études de cas, in actes du colloque sur le droit et l’accès à la terre, EDC spécial n°1 p.287.
183
- Voir dans ce sens la décision de la Cour d’Appel de Daloa qui indique que la mise en valeur n’est pas une
condition suffisante pour acquérir des droits coutumiers sur un terrain du domaine foncier rural. CA de Daloa, n°
08/12/ du 11janvier 2012. Inédit.
184
Aux termes de l’article 23 de la loi du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural, « le bien foncier
objet d’un certificat foncier peut être loué ».
101
En conformité avec la réforme de l’impôt foncier de 2007185 qui a redimensionné les
contributions foncières sur les propriétés, le Code Général des impôts prévoit deux
principaux types d’impôt186 qui sont d’une part, l’impôt sur le patrimoine foncier (A), et
d’autre part, l’impôt sur le revenu foncier (B) auxquels s’ajoutent des prélèvements et
taxes assimilées (C).
A- L’impôt sur le patrimoine foncier
L’impôt sur le patrimoine foncier est lié au droit de propriété. Le taux d’imposition
varie selon le niveau de mise en valeur ou de rentabilité de l’immeuble concerné.
Pour les immeubles bâtis et non bâtis productifs de revenus, le taux d’imposition
est de 11% de leur valeur locative. Il est de 15% pour les immeubles appartenant
aux personnes morales et aux entreprises, affectés à leurs activités et de 4% dans
les cas suivants :
- une seule habitation occupée par le propriétaire à titre d’habitation
principale ;
- une seule résidence secondaire à usage personnel improductive de revenus
fonciers ;
- les immeubles bâtis restant vacants pendant 6 mois consécutifs au cours
d’une même année.
Pour les immeubles urbains non bâtis improductifs de revenus, l’impôt est
assis sur la valeur vénale des terrains non bâtis au premier janvier de l’année
d’imposition. Il faut entendre par valeur vénale, la valeur de l’immeuble eu égard à sa
situation présente et au prix que l’on tirerait de sa vente.
Les immeubles urbains non bâtis sont imposés à 1, 5% de leur valeur vénale, à
l’exception des immeubles qui sont l’objet d’une exemption permanente ou
temporaire accordée par le Code Général des Impôts187.
Sont imposables à l’impôt sur le patrimoine foncier des propriétés bâties le
propriétaire ou le possesseur au premier janvier de l’année d’imposition, l’usufruitier,
l’emphytéote et le preneur de bail à construction. Pour les propriétés non bâties, sont
concernés, le propriétaire, le concessionnaire, le détenteur d’un droit de superficie,
l’usufruitier et l’emphytéote.
Pour le recouvrement de l’impôt sur le patrimoine foncier, les propriétaires sont tenus
chaque année de souscrire une déclaration au service d’assiette des impôts au lieu
de situation de l’immeuble, déclaration qui doit se faire, pour les propriétaires
personnes physiques, entre le 1er octobre et le 15 novembre de chaque année, et
pour les propriétaires personnes morales, au plus tard le 31 janvier. Mais il peut
arriver que le débiteur légal ne puisse être atteint. Dans ce cas, l’impôt est exigible
de tout locataire ou sous-locataire jusqu’à concurrence de la somme due par lui au
débiteur légal.
185
-Voir l’article 17 de l’annexe fiscale à la loi de finances pour la gestion 2007. Cette réforme est applicable
depuis le 1er janvier 2008.
186
- Articles 149 à 179 bis et 305 à 309 du Code Général des Impôts.
187
-Voir articles 162 à 163 bis du Code Général des impôts : Il s’agit notamment des terrains faisant l’objet d’une
interdiction de construction ou de jouissance, des terrains non productifs de revenus appartenant à l’Etat et aux
collectivités territoriales, des terrains à usage scolaire, des terrains bornés concédés ou attribués durant l’année
d’acquisition et les deux années suivantes, des entreprises bénéficiant de mesures d’incitation liées au conflit
armé de 2011, des entreprises agrées au régime fiscal en faveur des grands investissements dans l’habitat, etc...
102
En vue de renforcer la politique de décentralisation territoriale et technique de l’Etat,
le produit de l’impôt sur le patrimoine foncier est affecté d’une part, aux Collectivités
territoriales, d’autre part aux organismes chargés de l’assainissement et du drainage
des villes, de la gestion et du traitement des ordures ménagères188.
B- L’impôt sur le revenu foncier
L’impôt sur le revenu foncier est établi annuellement sur le revenu foncier des
propriétés bâties telles que maisons, fabriques, manufactures, usines et en général,
tous les immeubles construits en maçonnerie, fer ou en bois fixés au sol à
demeure189. A celles-ci s’ajoutent les terrains non cultivés utilisés à des fins
commerciales ou industrielles (chantiers, lieux de dépôt de marchandises et autres
emplacements de même nature).
Sont exonérés de l’impôt sur le revenu foncier les immeubles bâtis énumérés par le
Code Général des impôts, en son article 151 190. Il s’agit principalement des
immeubles bâtis appartenant à l’Etat, aux Collectivités publiques ; des immeubles
bâtis à caractère social ou sportif lorsqu’ils sont improductifs de revenus
L’impôt sur le revenu foncier est calculé sur la base de la valeur locative de l’année
précédente des propriétés mises en location, en tenant compte le cas échéant, de la
valeur locative des sols, des bâtiments de toute nature et des terrains formant une
dépendance indispensable et indirecte des constructions concernées. La valeur
locative correspond au prix que le propriétaire retire de l’immeuble lorsqu’il le donne
à bail, ou, s’il l’occupe lui-même, celui qu’il pourrait en tirer en cas de location.
Le taux de l’impôt sur le revenu foncier est fixé à 4% de la valeur locative des
immeubles productifs de revenus. Cet impôt est payé suivant les cas, par le
propriétaire191, le possesseur, l’usufruitier, l’emphytéote, le locataire du bail à
construction ou le bailleur lorsque celui-ci perçoit un loyer.
L’impôt sur le revenu foncier est recouvré suivant les mêmes modalités que l’impôt
sur le patrimoine foncier. Cependant, à la différence de l’impôt sur le patrimoine
foncier, le produit de l’impôt foncier sur le revenu est reversé intégralement au
budget de l’Etat.
C- Les taxes foncières
Ces taxes sont composées d’une part, de la taxe de voirie, d’hygiène et
d’assainissement, d’autre part, de la taxe d’habitation (article 305 à 309 du Code
Général des Impôts).
La taxe de voirie, d’hygiène et d’assainissement est due par les propriétaires
exonérés de l’impôt sur le revenu foncier et de l’impôt sur le patrimoine foncier des
propriétés bâties, les représentations diplomatiques et assimilées et les entreprises
bénéficiaires des avantages du Code des investissements et autres codes
particuliers. La base d’imposition est déterminée sur la base de la valeur locative des
immeubles concernés. Quant au taux d’imposition, il est de 2%.
188
-La clé de répartition est la suivante : 35% pour les Communes, 30% pour les régions, 10% pour les
organismes d’assainissement et 25% pour les organismes de gestion et traitement des ordures (Voir annexe
fiscale à la loi des finances pour la gestion 2013).
189
-Article 151 du Code Général des impôts.
190
-Il s’agit principalement des immeubles bâtis appartenant à l’Etat, aux Collectivités publiques ; des immeubles
bâtis à caractère social ou sportif lorsqu’ils sont improductifs de revenus.
191
-Le propriétaire imposable est celui figurant comme tel au 1er janvier de l’année d’imposition.
103
Le produit de la taxe de voirie, d’hygiène et d’assainissement est affecté à
l’organisme chargé de la gestion des ordures ménagères.
Quant à la taxe d’habitation, elle est assise sur les propriétés bâties passibles de
l’impôt foncier à un taux forfaitaire de 20 000 francs CFA par an. Elle est due par les
personnes physiques ou morales occupant les immeubles d’habitation ou
professionnels en qualité de propriétaires ou locataires. Sont exonérés de cette taxe
les immeubles exemptés de l’impôt sur le revenu foncier et de l’impôt sur le
patrimoine foncier de même que les habitations à loyer modéré.192
Les prélèvements et taxes assimilées sont perçus dans les mêmes conditions et
suivant les mêmes procédures, sanctions et sûretés que l’impôt sur le revenu foncier
et l’impôt sur le patrimoine foncier.
Il résulte de ce qui précède que la fiscalité foncière urbaine vise le bien foncier à
travers soit sa valeur locative, soit sa valeur vénale. Mais, il ne suffit pas de fixer
l’assiette et le taux de l’impôt ; il faut aussi le recouvrer. Ce qui constitue dans la
pratique une véritable gageure pour l’Administration fiscale.
Paragraphe 2- La fiscalité foncière rurale
La fiscalité foncière rurale est une ressource importante pouvant contribuer à la
satisfaction des besoins collectifs locaux des populations rurales. Confronté pendant
longtemps aux contraintes socio-économiques d’une fiscalisation du foncier rural (A),
le législateur ivoirien n’a pu jusqu’ici se résoudre à imposer les terres rurales (B).
A- Les contraintes à la fiscalité foncière rurale
Comme tous les Etats d’Afrique subsaharienne, l’Etat ivoirien a toujours éprouvé une
certaine réticence à prélever un impôt foncier en milieu rural. Bien souvent, pour
financer le développement économique, il a plutôt opté pour l’imposition des
exploitations agricoles193. Plusieurs raisons expliquent cette réticence à une véritable
imposition foncière. Il y a d’abord la volonté des pouvoirs publics de ne pas accabler
davantage les populations paysannes dont les revenus sont déjà faibles. En effet,
créer un impôt foncier rural qui s’ajouterait à l’imposition des exploitations agricoles
pourrait grever lourdement les efforts de production de ces populations. Ensuite,
l’institution d’un impôt foncier en milieu rural implique que la propriété des terrains
ruraux soit établie et enregistrée au livre foncier. Or bien souvent, non seulement les
terrains ruraux ne sont pas immatriculés, ils sont l’objet de droits coutumiers collectifs
et hiérarchisés qui rendent difficiles leur intégration à la réglementation foncière.
Mais bien que difficile à mettre en œuvre, l’impôt foncier rural est devenu une
nécessité à laquelle l’Etat a voulu répondre en commençant par le cadastrage des
terrains ruraux. Mais si en milieu urbain, notamment à Abidjan, le cadastre a connu
une application effective, en milieu rural, la réalité est différente en raison de
l’instabilité des droits fonciers coutumiers 194. En effet, le cadastre foncier notamment
192
-L’habitation à loyer modéré est définie comme celle dont l’abonnement à un concessionnaire de service public
de distribution d’électricité relève de la tranche sociale (V. article 308-2 nouveau du Code Général des impôts).
193
- L’assiette de l’impôt est constituée par la superficie du terrain planté déterminée par hectare. Sont exclus les
superficies des espaces non plantées. Il ne s’agit donc pas d’un véritable impôt foncier mais d’un impôt sur
l’activité agricole. Le produit de l’impôt sur les exploitations agricoles est réparti comme suit : 30% pour les
Communes, 60% pour les régions et 10% pour l’Etat.
194
Chantal BLANC : Le foncier rural en Côte d’Ivoire, étude réalisée pour la direction du développement rural,
Ministère du plan et de l'industrie, Abidjan 1981.
104
suppose que les propriétés foncières soient établies, délimitées et stabilisées ; ce qui
n'est pas le cas en milieu rural.
Malgré toutes ces contraintes, le législateur a opté pour une fiscalisation du foncier
rural à travers la réforme foncière du 23 décembre 1998 avant de revenir sur sa
décision à travers la loi n° 2019-868 du 14 octobre 2019 portant modification de
celle-ci.
B- Les atermoiements législatifs relatifs à l’instauration de la fiscalité foncière
rurale
Aux termes de la version initiale de la loi du 23 décembre relative au domaine foncier
rural (article 24), « Les Collectivités et les particuliers propriétaires de terres rurales
sont passibles de l’impôt foncier rural tel que fixé par la loi ». Mais le législateur n’a
pu aller jusqu’au bout de sa logique car l’assiette, le taux et les modalités de cette
imposition n’ont jamais été définis. Mieux, avec la loi précitée du 14 octobre 2019, le
législateur a tout simplement supprimé les dispositions de la loi du 23 décembre
1998 instituant la fiscalité rurale.
Ce recul semble trouver son origine dans la volonté de l’Etat de promouvoir la
sécurisation foncière en milieu rural en encourageant notamment les populations à
recourir à la certification foncière et corrélativement à l’immatriculation foncière. Dans
ce contexte, il était à craindre que la mise en œuvre de la fiscalité foncière à travers
la loi du 23 décembre 1998 ne produisît des effets pervers en dissuadant les
populations paysannes à demander le certificat foncier. En effet, dans la mesure où
la loi du 23 décembre 1998 ne soumet pas à imposition les détenteurs de simples
droits d’usage sur la terre, ceux-ci auraient pu être tentés de demeurer dans
l’immobilisme195. Or, dans le cadre du processus de sécurisation foncière, il est
primordial que les terres du domaine coutumier qui représentent près de 98% du
domaine foncier, puissent accéder à la propriété immatriculée. Mais un tel objectif
serait difficilement atteignable si les populations détentrices de droits fonciers
coutumiers sont sous la menace d’une imposition fiscale de leurs terres.
195
-Plus de 15 ans après l’entrée en vigueur de la loi du 23 décembre 1998 relative au domaine
foncier rural, très peu de certificats fonciers ont été délivrés au point où pour éviter que l’Etat ne
redevienne propriétaire par l’application de la théorie des terres sans maître, le législateur a dû
proroger de 10 ans le délai initialement accordé aux populations pour demander le certificat foncier
( V. loi n° 2013-655 du 13 septembre 2013). La réticence des populations est en partie à l’origine de
cette situation. Il faut donc craindre que l’imposition de la propriété foncière en milieu rural ne vienne
accentuer cette réticence des populations.
105
TITRE II :
LES TRANSMISSIONS DES DROITS FONCIERS
La terre peut être transmise par son titulaire de son vivant. On parle de transmission
entre vifs ou cessions de terres (chapitre 1). Elle peut aussi être transmise à cause
de mort dans le cadre d’une succession (chapitre 2).
CHAPITRE 1- LES TRANSMISSIONS ENTRE VIFS OU CESSIONS DES TERRES
Il existe deux types de transmission d’un droit entre vifs ou cessions : Les cessions
volontaires (section 1) et les cessions forcées (section 2).
SECTION 1- LES CESSIONS VOLONTAIRES DES TERRES
Les cessions volontaires de terres ont lieu sous forme de conventions entres les
parties. Les conventions de cession foncière affectent essentiellement la forme d’une
donation ou d’une vente. Conformément aux dispositions du code civil (article 1582),
est ici qualifié de vente le transfert de propriété d’une terre contre le versement d’un
prix. Quant à la donation, c’est le contrat par lequel une personne (le donateur)
transfère immédiatement et irrévocablement avec intention libérale, la propriété d’un
bien foncier à un autre (le donataire) qui l’accepte en contrepartie
(C.civ. articles 893 et 931).
Les conventions de cession foncière portent soit sur les terres objet d’un titre foncier
(paragraphe 1), soit sur les terres non appropriées (paragraphe 2). Dans les deux
cas, elles sont réalisées sur un marché foncier qui se caractérise par son opacité et
son inorganisation (paragraphe 3).
Paragraphe 1- La cession des terres objet d’un titre foncier
La cession des terres objet d’un titre de propriété est assujettie à une double
condition. La première condition a trait à la forme de l’acte qui doit être notariée (1).
La seconde concerne la publication au livre foncier (2).Enfin, pour les terres rurales,
le cessionnaire doit remplir la condition de nationalité résultant de la réforme foncière
de 1998 (3).
1- L’exigence de la forme notariée
La cession des terres immatriculées est régie par la loi de finances n° 70-209 du 20
mars 1970. Aux termes de l’article 8 (alinéa 2) de cette loi, « tous faits, conventions
ou sentences ayant pour objet de constituer, transmettre, déclarer, modifier ou
éteindre un droit réel, d’en changer le titulaire ou les conditions d’existence, tous
baux d’immeubles excédant trois années, toutes quittance ou cessions d’une somme
équivalent à plus d’une année de loyers ou fermage non échu, doivent, en vue de
leur inscription, être constatés par actes authentiques sous peine de nullité absolue.
Ils ne peuvent être authentifiés par le dépôt au rang des minutes d’un notaire ».
Cette disposition n’est pas nouvelle car le décret n° 64-164 du 16 avril 1964 portant
interdiction des actes sous seing privé en avait déjà posé le principe sans toutefois
préciser la sanction correspondante196.
Il résulte de ce qui précède que toute cession de terre immatriculée doit avoir la
forme notariée sous peine de nullité. Cette exigence de la forme notariée ne
196
Recueil des textes de droit foncier applicables en République de Côte d’Ivoire, EDC spécial n° 2 ; mai 1991,
p.99.
106
concerne pas la cession des terres non immatriculées. Sur ce point, la jurisprudence
est constante. Ainsi, la juridiction suprême a pu juger que la donation en jouissance
de deux portions de forêt en friche ne peut s’analyser en une mutation immobilière,
qu’il n’est donc pas nécessaire que cette convention revête une forme notariée. 197. La
Cour d’Appel de Daloa va dans le même sens en décidant dans plusieurs litiges
fonciers que la loi de finances de 1970 qui impose la forme notariée pour toute
transaction immobilière, n’est pas applicable aux cessions de terres coutumières
faute de titre foncier198.
2 - La publication au livre foncier
La cession d’une terre immatriculée doit faire l’objet d’une publication au livre foncier.
Cette publicité est fondamentale. D’une part, elle vise à informer les tiers et à leur
rendre opposable la cession réalisée. D’autre part, elle constitue un instrument de
création et de transfert de droits réels. Autrement dit, le droit de propriété de
l’acquéreur ne résulte pas uniquement de l’échange de consentement des parties,
elle tire aussi son fondement de la formalité de l’immatriculation. C’est pourquoi, en
ce qu’ils ne constatent que l’accord des parties, les actes de cession foncière passés
par devant notaire ne peuvent à eux seuls conférer la propriété au sens de la
réglementation foncière. La cour d’Appel de Daloa a pu ainsi décider que « l’acte
notarié n’est pas un titre de propriété et ne saurait en aucune manière s’y substituer.
Ce document ne fait que donner à la transaction immobilière une solennité du fait de
son établissement par devant un officier ministériel en application des dispositions de
l’art.8 de la loi de finances de 1970.
De ce qui précède, il résulte qu’entre acquéreurs successifs du même terrain, est
préféré non pas le premier acquéreur, mais celui qui a inscrit le premier son droit au
livre foncier. Sans purger le vice dont l’acte pourrait être atteint, l’inscription au livre
foncier consolide donc le droit de propriété de l’acquéreur ou du donataire ; elle rend
ce droit opposable aux tiers.
Pour favoriser la publicité des actes de cession foncière, la loi de finances du 31
décembre 1968 (article 17) fait obligation aux notaires, greffiers, huissiers et autorités
administratives de faire publier ces actes dans un délai de trois mois,
indépendamment de la volonté des parties.
3- la nationalité du cessionnaire
La loi du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural dispose en son article
premier que seuls l'Etat, les Collectivités Publiques et les personnes physiques
ivoiriennes sont admises à être propriétaires. Il en résulte que d'une part, les
personnes physiques non ivoiriennes, d'autre part, les personnes morales, quelle
que soit leur nationalité, ne peuvent être cessionnaires de terres immatriculées199.
B - la cession des terres objet d’un certificat foncier
Aux termes du défunt décret n° 71-74 du 16 février 1971 relatif aux procédures
domaniales et foncières, « les droits sur l’usage du sol, dits droits coutumiers sont
197
CS ch. Civt n°21 du 09 juill. 1971.
198
Arrêt n°113/12 du 14 mars 2012. Voir également dans ce sens, Cour d’Appel de Daloa n° 40/12 du 01 février
2012 ; n° 63/12 du 15 février 2012.
199
-Loi n° 98-750 du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier rural. (article1).
107
personnels à ceux qui les exercent et ne peuvent être cédés à quelque titre que ce
soit ». Le même texte précisait que nul ne pouvait se porter cessionnaire des desdits
droits sur l’ensemble du territoire de la république. Il s’en suivait que les cessions
coutumières de terres rurales étaient logiquement frappées de nullité. Mais les
auteurs de ces cessions s’en souciaient peu ; ils ne se sentaient pas concernés par
cette sanction car ils étaient convaincus du bien-fondé de leurs droits sur les terres
objet de la cession. Même si l’Administration ne jugeait pas nécessaire d’invoquer la
nullité de ces cessions, le malaise n’en demeurait pas moins réel. Entre le droit et la
réalité le fossé était bien trop large pour espérer mettre fin aux cessions coutumières
en brandissant la menace d’une nullité qui apparaissait on ne peut plus vaine.
Il faudra attendre la réforme foncière du 23 décembre 1998 pour dénouer ce nœud
gordien. La solution est énoncée par l’article 17 de cette loi qui dispose que le
certificat foncier peut être cédé par acte authentifié par l’Administration. Il apparaît
donc que si le détenteur du certificat foncier est libre de céder sa parcelle de terre, il
doit néanmoins y procéder par devant l’Administration. Ce qui permet de dire que
l’intervention de l’Administration vise moins à autoriser la cession qu’à la formaliser. Il
s’agit, à travers l’acte administratif d’authentification, de remédier à l’absence
d’intervention du notaire dans la cession des certificats fonciers.
Conformément à la réglementation en vigueur200, la cession est déclarée par les deux
parties concernées à l’Agence Foncière Rurale qui prépare un acte de cession et un
nouveau certificat foncier soumis à la signature du préfet du Département concerné.
Le nouveau titulaire n’entre en possession de son certificat foncier qu’après
annulation du premier.
Paragraphe 2- La cession des terres non appropriées
Les terres non appropriées regroupent celles qui sont encore sous le régime du droit
coutumier ou celles n’ayant pas encore fait l’objet d’un titre de propriété. Elles
renferment la quasi-totalité des terres domaniales comprenant les terres du domaine
coutumier et les terres ayant fait l’objet d’attributions ou de concessions provisoires
sous diverses formes (permis d’occuper, lettre d’attribution, concessions provisoires
pure et simple, concessions provisoires sous réserve des droits des tiers, etc..).
La cession des terres non appropriées a lieu bien souvent en marge des procédures
foncières en vigueur. Ce peu de recours aux procédures légales (A) a favorisé une
insécurité foncière généralisée dont l’expression la plus visible est la prolifération des
conflits fonciers (B).
A- Le recours marginal aux procédures légales : les pratiques foncières
De toute évidence, la cession des terres non appropriées devrait obéir aux
procédures domaniales et foncières en vigueur. Le respect de ces procédures est la
condition sans laquelle la sécurité foncière serait une vue de l’esprit. Pour les terres
rurales, la première étape vers cette sécurité foncière est le certificat foncier. Mais la
réalité est largement en deçà des résultats escomptés. C’est le lieu de rappeler que
depuis l’entrée en vigueur de la loi du 23 décembre 1998 relative au domaine foncier
rural, très peu de certificats fonciers ont pu être délivrés Il est clair que les tenures
coutumières occupent encore le terrain de la résistance. Dans la pratique, il n’est pas
surprenant de constater que sans être titulaires d’un certificat foncier, les détenteurs
coutumiers des terres continuent à les céder au su et au vu de l’Administration. Dans
200
-Décret n°2019-265 du 27 mars 2019 fixant les modalités d’application au domaine foncier rural coutumier de
la loi n° 98-750 du 23 décembre 1998.
108
ces conditions il est permis de s’interroger sur l’utilité de l’institution du certificat
foncier201. C’est pour remédier à cette situation que la récente loi n° 2019-868 du 14
octobre portant modification de la loi du 23 décembre 1998 relative au domaine
foncier rural dispose en son article 17 bis que les terres coutumières dépourvues de
certificat foncier ne peuvent faire l’objet de cession.
En ce qui concerne les cessions réalisées avant la loi du 23 décembre 1998, elles
n’avaient aucune valeur juridique et cela à plusieurs titres. D’abord, aux termes du
défunt décret n° 71-74 du 16 février 1971 relatif aux procédures domaniales et
foncières, « les droits sur l’usage du sol, dits droits coutumiers sont personnels à
ceux qui les exercent et ne peuvent être cédés à quelque titre que ce soit ». Le
même texte précisait que nul ne pouvait se porter cessionnaire desdits droits sur
l’ensemble du territoire de la République. Ensuite, avant le décret du 16 février
précité, et à défaut de la promulgation du code domanial et foncier de 1963, la
jurisprudence considérait de façon constante que les terres non immatriculées
appartiennent à l’Etat202 qui de ce fait, était le seul habilité à céder des droits sur
lesdites terres.
Il résulte de ce qui précède que les cessions coutumières réalisées avant la loi du 23
décembre 1998 étaient frappées de nullité. Mais pour éviter les préjudices pouvant
découler de cette situation, la réglementation en vigueur dispose que les droits des
occupants de bonne foi sont confirmés par le détenteur du certificat foncier de façon
juste et équitable pour les deux parties.
A l’analyse, en milieu rural et surtout en milieu urbain ou péri-urbain, un grand
nombre de pratiques foncières portant aujourd’hui sur les terres non appropriées ne
sont en réalité ni purement "traditionnelles", ni purement "modernes" et légales.
Parfois qualifiées de « droit de la pratique », ces pratiques sont métissées203 et elles
s'épanouissent "à l'ombre du droit moderne", ou encore en marge des lois de l'Etat.
Ne se conformant pas aux procédures formelles du droit positif, ces pratiques
(ventes, donations, etc.) qui semblent ignorer les lois sont cependant tolérées et
même légitimées par l’administration204 et les tribunaux205.
B - Une insécurité source de conflits fonciers
Les incertitudes liées à la circulation des biens fonciers affectent négativement la
sécurité des transactions foncières et débouchent sur des conflits récurrents, parfois
graves entre les acteurs concernés (Particuliers, Administration, villages, etc.). Ces
conflits qui constituent une menace pour la cohésion sociale, affectent plusieurs
formes : conflits de limites, conflits de superposition, conflits entre particuliers et
l’Administration forestière, etc. Le litige foncier le plus récurrent en zone urbaine est
celui de la vente multiple d’un même terrain.
201
Sur ce point, un projet de loi modificatif est en cours d’adoption qui vise à interdire les cessions de terres
coutumières n’ayant pas fait l’objet d’un certificat foncier. Voir Conseil des Ministres du 23 mai 2018, in
Fraternité matin du 24 mai 2018.
202
C.A.A ; n° 129 du 7 mars 1969, RID 1970 (1) p. 47
203
Les pratiques foncières sont bien souvent embrouillées et prêtent à de multiples interprétations, car si le
transfert et la généralisation des procédures coloniales de gestion foncière ont été, globalement, un échec,
l’idéologie de la propriété foncière a rencontré un écho positif parmi les classes sociales ascendantes. Cette
réussite de l’idéologie propriétariste en l’absence de titres fonciers pour constater et organiser les services des
droits reste ambiguë et cette confusion pose de nombreux problèmes.
204
HESSELING et MATHIEU, 1986; MATHIEU, 1996.
205
La Cour d’Appel de Daloa a pu ainsi juger que « la cession d’une terre coutumière opère au profit du
cessionnaire un transfert des droits coutumiers de sorte que le cédant n’est plus fondé à s’en réclamer ».
109
Tous ces litiges tendent dans un premier temps à trouver un règlement à l’amiable.
Ainsi, dans le cas d’une double vente du fait de l’administration, il arrive que
l’administration locale propose un autre terrain à l’un des deux acquéreurs. Il en est
de même pour les détenteurs d’attestation villageoise. Lorsque la vente multiple est
admise par la notabilité villageoise, il est fréquent que la famille du vendeur (si elle
possède encore des lots) propose aux victimes des lots de rechange. Dans un
second temps, lorsqu’aucune solution n’est trouvée à l’amiable, l’affaire aboutit à la
justice.
L’insécurité qui caractérise les transactions foncières n’a pas favorisé jusqu’ici
l’émergence d’un marché foncier fiable. En fait, aussi bien en milieu rural qu’en
milieu urbain la terre est au centre d’enjeux multiples qui ont donné lieu à
l’émergence de marchés fonciers informels.
SECTION 2- LES CESSIONS FORCEES : L’EXPROPRIATION POUR CAUSE
D’UTILITE PUBLIQUE
Au regard du code civil, un propriétaire ne pourrait être privé de son droit que dans
des cas tout à fait exceptionnels et au profit des personnes morales publiques
représentant les intérêts généraux de la collectivité. L’article 545 du code civil
dispose sur ce point que « Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce
n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité ».
En matière foncière, cette disposition a pris forme à travers le décret du 26 novembre
1930 réglementant l’expropriation pour cause d’utilité publique. Certes, le droit en
vigueur a aussi étendu les cas de cession forcée de la propriété au profit des
personnes physiques, (cession de mitoyenneté au profit d’un voisin, saisie des biens
d’un débiteur) ; Mais ici, l’accent sera mis sur l’expropriation pour cause d’utilité
publique en ce qu’elle fait l’objet d’une réglementation spécifique.
L'utilité publique est le but que doit poursuivre l'expropriation ; c'est une notion qui n'a
cessé de s'étendre sous l'influence de la transformation du rôle de l'État et de son
intervention de plus en plus profonde dans la vie économique et sociale de la nation.
La loi ne donne aucune définition de l'utilité publique pouvant justifier le recours à
l'expropriation. C'est donc à l'autorité administrative qu'il appartient d'apprécier cette
utilité, mais elle le fait sous le contrôle du juge. Ce contrôle est de plus en plus
étendu et, dans la pratique, le juge ne se refuse plus à substituer son appréciation
sur l'opportunité de l'expropriation à celle effectuée par l'Administration.
Avant d’examiner la procédure d’expropriation (paragraphe 2), il importe de préciser
les cas dans lesquels il peut y avoir lieu à expropriation (paragraphe 1).
Paragraphe 1- Domaine de l'expropriation
Quelles sont les personnes qui peuvent exproprier (A) ? Et quels biens peuvent être
expropriés(B) ?
A- Les personnes pouvant exproprier
Le droit d'exproprier n'appartient, en principe, qu'aux seules Collectivités publiques et
à l’Etat, sous réserve qu'elles respectent le principe de spécialité. En outre,
l'expropriation est admise au profit d'un certain nombre de personnes ou
d'organismes relevant du droit privé, pour des besoins immédiats ou déterminés.
Ainsi en est-il notamment des concessionnaires de travaux publics, qui exercent tous
110
les droits conférés à l'Administration et sont soumis à toutes les obligations qui lui
sont imposées par la loi.
B- Les biens pouvant faire l’objet d’expropriation
En principe, seuls les immeubles immatriculés ou appropriés peuvent être
expropriés. La question se pose surtout pour les terres coutumières objet d’un
certificat foncier puisque ce document confère des droits assimilables à ceux
résultant de la propriété civiliste. Ces terres sont-elles soumises à la réglementation
de l'expropriation pour cause d'utilité publique ? A l’analyse, si les terres objet d’un
certificat foncier peuvent revenir dans le domaine de l’Etat, faute du respect du délai
fixé pour la demande d’immatriculation, l’expropriation qui en résulte n’est pas
assimilable à l’expropriation pour cause d’utilité publique dont les règles et la
procédure sont différentes.
L'expropriation ne peut porter que sur des immeubles qui sont propriété privée et non
sur les biens du domaine public de l'État et des Collectivités publiques pour lesquels
il y a lieu simplement à un changement d'affectation.
Paragraphe 2- La procédure d’expropriation
La procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique comporte deux phases,
une phase administrative (A) et une phase judiciaire (décret du 26/11/1930) (B).
A- La phase administrative de cession amiable
S’il appartient au tribunal, conformément à l’art.1 er du décret de 1930, de prononcer
par jugement l’expropriation c’est-à-dire le transfert de la propriété du particulier à
l’Etat, il appartient également à l’administration de lui préparer le dossier qui doit
comporter trois documents à savoir :
- un acte administratif (décision ministérielle ou interministérielle) qui autorise
les travaux (art. 3 al. 1) ;
- un acte administratif (décret ou arrêté interministériel) qui les déclare d’utilité
publique (art. 3 al. 2) ;
- un arrêté de cessibilité qui désigne en détail les propriétés auxquelles
l’expropriation est applicable (art. 5). L’arrêté peut aussi désigner les
parcelles avoisinantes utiles au projet pour des motifs d’hygiène et
d’esthétique.
L’arrêté est précédé (art. 6) d’une enquête de commodo et incommodo comportant
les phases suivantes :
- dépôt à la mairie ou à la sous-préfecture de situation des biens des
documents ci-après : projet des travaux, plans des parcelles touchées par
l’opération ;
- avis de ce dépôt est publié au moyen d’affiches apposées au lieu de
situation des propriétés touchées et aux endroits habituels d’affichage ;
- délai de un mois pour présenter les objections. En effet les particuliers ont
un délai d’un mois à compter de l’avis de dépôt du projet de travaux pour
faire leurs observations. Ce délai peut être réduit à huit jours en cas
d’urgence (art. 27) (travaux militaires et d’assainissement).
Après clôture de l’enquête un arrêté dit arrêté de cessibilité déclare seulement
cessible les parcelles touchées par le projet. Il est publié au Journal Officiel (art. 7 al.
111
1). Il est ensuite notifié sans délai par l’administration aux propriétaires, aux
occupants et aux usagers notoires, c’est- à dire connus (art.7 al. 2).
Dans le délai de 2 mois, à dater des publications et notification, les propriétaires
intéressés doivent faire connaître les locataires et les détenteurs de droits réels sur
leurs immeubles, faute de quoi ils restent seuls chargés envers ces derniers des
indemnités que ceux-ci pourraient réclamer au titre de l’indemnité pour frais de
déménagement.
Après l’arrêté de cessibilité (art. 4) aucune construction, ni plantation, ni amélioration
ne peut être effectuée sur les terrains touchés par les travaux sans autorisation
administrative.
Passé le délai de 2 mois les intéressés identifiés ou leurs mandataires doivent
comparaître avec l'expropriant ou son mandataire devant une commission
administrative pour essayer de fixer à l’amiable le montant de l’indemnité (art. 9).Si
l’accord intervient, le Tribunal est dessaisi. A défaut d’accord le dossier est transmis
au tribunal. C’est alors que commence la phase judiciaire de la procédure
d’expropriation.
B- La phase judiciaire et de fixation des indemnités.
La phase judiciaire n’intervient qu’en cas d’échec de la procédure amiable conduite
au cours de la phase administrative. D’après l’art. 12, un jugement d’expropriation
est rendu par le tribunal dans le ressort duquel se trouvent les immeubles objets de
la procédure d’expropriation, après transmission du tableau contenant les noms des
intéressés ainsi que les autres pièces justificatives c’est-à-dire l’acte qui autorise les
travaux, l’acte qui les déclare d’utilité publique, l’arrêté de cessibilité et une liste des
personnes ne s’étant pas présentées devant la commission ou ayant refusé de
signer le PV d’accord amiable, l’indication des immeubles à exproprier.
Le jugement d’expropriation prononce le transfert de propriété du particulier à
l’Expropriant et fixe le montant de l’indemnité en tenant compte :
- de la valeur de l’immeuble à la date du jugement d’expropriation ou de
l’Ordonnance autorisant la prise de possession à l’amiable dans le cas
d’urgence,
- de la valeur des constructions, plantations et amélioration autorisées depuis
l’arrêté de cessibilité,
- de la plus-value ou de la moins-value qui résulte pour la partie de l'immeuble
non expropriée, de l'exécution de l'ouvrage projeté.
L'indemnité d'expropriation prend uniquement en compte les dommages actuels et
certains directement causés par l'expropriation.
Le jugement du tribunal est exécutoire, nonobstant toute procédure d’appel et
moyennant consignation de l’indemnité d’expropriation. (En cas d’urgence, la
procédure de référé peut être requise (art. 27)).
Le décret n° 95-817 du 29 septembre 1995 fixant les règles d'indemnisation pour
destruction de cultures dispose également que lorsqu'il y a expropriation pour cause
d'utilité publique déclarée, l'indemnisation doit être juste et, au besoin, préalable à
l'occupation des terrains, sauf s'il y a urgence appréciée par l'Administration.
Si l'indemnité n'est pas acquittée ou consignée dans les six mois de l'acte de cession
amiable ou du jugement du tribunal, les intérêts de 5% par an courent de plein droit
au profit du propriétaire dès l'expiration de ce délai.
206
G CORNU., « Vocabulaire juridique », Paris, PUF, 2012, p. 987.
113
Les successions foncières n’échappent pas à cette perception culturelle qui rappelle
la politique de l’autruche.
Mais en tout état de cause, la crainte de l’au-delà ne peut éluder la question de la
transmission des terres à cause de mort. Cette question ne saurait être examinée
sans tenir compte de la politique foncière de l’Etat dont l’un des objectifs majeurs
vise à sécuriser l’accès à la terre et à orienter le droit foncier vers le développement.
Comme corollaires de cette politique, l’individualisation des terres et la diffusion de la
propriété foncière, associées à l’essor des cultures d’exportation ont
progressivement entamé l’essence collective de la propriété coutumière. Cette
désarticulation des structures sociales traditionnelles s’est opérée au profit d’un ordre
juridico-social nouveau postulant le primat de la famille dite nucléaire.
Il résulte de ce qui précède que de plus en plus, l’individu et non le groupe est au
centre de l’appropriation foncière. Partant de ce constat, l’étude des successions
foncières va porter successivement sur les droits transmissibles (section 1), les
personnes successibles (section 2) et les modalités de la transmission (section 3).
114
Le caractère transmissible du certificat foncier résulte de l’article 17 du décret n°
2019-266 du 27 mars 2019 fixant les modalités d’application au domaine foncier rural
coutumier de la loi précitée relative au domaine foncier rural. Ce texte dispose qu’en
cas de décès du titulaire d’un certificat foncier individuel, un ou plusieurs certificats
individuels ou collectifs sont établis au profit des héritiers. Une telle transmission à
cause de mort n’était guère possible sous l’empire du défunt décret du 16 février
1971 relatif aux procédures domaniales et foncières.
En consacrant la reconnaissance de la propriété foncière coutumière à travers
l’institution du certificat foncier, la loi du 23 décembre 1998 relative au domaine
foncier rural permet donc aujourd’hui au prédécédé titulaire d’un certificat foncier de
transmettre son bien foncier à ses ayants-droit. Si le problème ne se pose pas pour
les certificats fonciers individuels, des interrogations demeurent pour les certificats
fonciers collectifs, c’est-à-dire pour les certificats portant sur les terres collectives.
La terre est dite collective lorsqu’elle appartient coutumièrement à une entité sociale
(famille, lignage, village, etc.). La prise en compte de la nature collective du bien
foncier en matière de succession est conforme non seulement à l’équité, mais aussi
au droit car on ne peut transmettre qu’un bien dont on est propriétaire. Les règles de
succession comme l’a relevé le professeur OBLES LOHOUES 207 tiennent compte de
la nature du bien foncier concerné. Lorsqu’il s’agit d’une terre collective, la loi du 23
décembre 1998 permet à la collectivité concernée d’obtenir un certificat foncier
collectif. L’obtention du certificat foncier confère au groupement de personnes
physiques dûment identifiées la capacité juridique d’ester en justice et d’entreprendre
tous les actes de gestion foncière dès lors que le certificat est publié au Journal
Officiel de la République.
La question qu’il convient de se poser ici est celle de savoir si les droits reconnus à
chaque membre du groupement peuvent faire l’objet de succession ? Si la
réglementation en vigueur n’apporte pas de réponse à cette question successorale,
elle permet le morcellement du certificat foncier au profit des membres qui en font la
demande. Dans ces conditions, il n’est pas à exclure que les ayants-droit d’un
membre prédécédé dûment reconnus puissent faire valoir leurs droits en saisissant
le gestionnaire du groupement informel. Il leur est donc permis d’hériter de la part du
de cujus au sein du collectif, probablement sous la forme d’un remplacement du De
cujus par l’un des héritiers comme dans le cas de la société coopérative. A moins
que la succession se réalise sous la forme d’une vente forcée à un membre ou à
l’ensemble du collectif ; le prix de vente étant, par la suite, partagé entre les
cohéritiers, suivant les règles légales de dévolution.
Malgré les efforts de l’Administration, la production de titres de propriété ou même de
certificats fonciers reste faible. Il en résulte que l’essentiel du patrimoine foncier fait
l’objet de divers droits d’usage à caractère personnel. Dans quelles conditions ces
droits sont-ils transmissibles ?
207
Droit des successions en Côte d’Ivoire ; tradition et modernisme.
115
S’ils ont en commun d’avoir un caractère personnel, les droits d’usage ne sont pas
régis par les mêmes règles de transmission selon qu’il s’agisse du milieu rural (A) ou
du milieu urbain (B).
116
Aussi, le fait qu’une transmission successorale se réalise dans le cadre villageois ne
change rien. Il suffira pour l’héritier qui veut se doter des actes administratifs de
propriété de suivre la procédure administrative, après avoir signalé le décès de son
parent. Il lui faudra alors fournir non seulement un acte de décès mais aussi avoir la
caution de l’autorité foncière coutumière (notabilité villageoise ou chef de village)
pour convaincre l’administration de son droit. Généralement la preuve de ce droit est
facilitée par un recours au registre foncier villageois réalisé et tenu à la suite d’un
lotissement.
SECTION 2 : LES PERSONNES SUCCESSIBLES
L’examen portera ici successivement sur les règles générales (para 1), et sur les
spécificités propres au monde rural (para 2).
Les successions sont déférées dans l’ordre aux enfants et autres descendants du
défunt, à ses ascendants, à ses parents collatéraux et à son conjoint survivant. Les
enfants ou leurs descendants de même que la conjointe survivante constituent le
premier ordre de succession208. Suivant ce premier ordre de succession, les trois
quarts de la succession sont dévolus aux enfants ou à leurs descendants et un quart
à la conjointe survivante. A défaut de conjointe survivante, la succession est
entièrement dévolue aux enfants ou à leurs descendants.
Le patrimoine foncier peut être détenu en indivis par les héritiers. Toutefois, la loi
successorale est claire à ce sujet : les héritiers ne peuvent être contraints à
demeurer dans l'indivision. Mais ils peuvent convenir de suspendre le partage
pendant un temps limité. Au cas où le partage est décidé, l'attribution des lots doit se
fait par tirage au sort, dans la recherche d’une certaine équité, et pour éviter que les
plus influents l’emportent sur les plus faibles.
En cas d’entente, un procès-verbal est dressé sur le partage et homologué par le
tribunal. Mais s'il s'élève des contestations, le notaire, le commissaire de justice ou
l'expert commis dressent le procès-verbal des difficultés et des dires respectifs des
parties et les renvoie devant le tribunal.
Les héritiers sont tenus d'acquitter toutes les charges de la succession, et doivent
contribuer entre eux au payement des dettes et charges de la succession, chacun
dans la proportion de ce qu'il y prend. Ainsi, chaque héritier doit contribuer au
remboursement des dettes rattachées à l’héritage, au prorata de ce qu’il a lui-même
reçu.
L’application de ces règles en pratique, surtout en milieu rural se heurte à diverses
contraintes et difficultés liées au contexte sociologique. Si les unions coutumières
non légales restent largement majoritaires, les prétentions coutumières en matière
successorale doivent faire face à la forte progression de la succession en ligne
directe. Il y a, en effet, une évolution des mentalités en rapport avec celle des
intérêts économiques centrés désormais sur une cellule familiale réduite. L’influence
de cette nouvelle donne économique combinée à celle de l’éducation occidentale a
208
Loi n° 2019-573 du 26 juin 2019 relative aux successions (article 26).
117
fortement impacté le contexte sociétal et familial avec des incidences sur les
décisions judiciaires. Ainsi, il est de plus en plus difficile d’exclure les enfants de la
succession de leur défunt ascendant. Il leur est même reconnu le droit d’entamer une
procédure en réclamation d’un bien ayant potentiellement appartenu à leur parent
défunt. L’arrêt Dame Lamizana en avait posé le principe. La cour avait souligné que :
« Considérant qu'en transférant à un nouveau concessionnaire un terrain faisant
déjà l'objet d'une concession provisoire sans tenir compte du droit des héritiers….le
Ministre de la Construction et de l'Urbanisme n'a pas donné de base légale à sa
décision »209.
L’observation de la pratique judiciaire en matière de succession foncière fait donc
état d’un certain hétéroclisme et d’une incertitude amenant, bien souvent, les parties
en conflit à tenter une négociation à l’amiable. Ainsi, certaines stratégies de partage
des biens entre la famille du défunt d’un côté, et l’épouse et les enfants de l’autre, se
sont mises en place pour éviter les conflits. La veuve, au nom de ses enfants, cède
une partie de la succession de son mari à sa belle-famille et obtient en échange la
tranquillité pour elle-même et ses enfants210. La situation est plus complexe quand il
s’agit d’un mariage polygamique ou encore quand les enfants ne sont pas issus du
même lit. Ce sont là des cas de conflits qui s’observent de plus en plus avec une
tendance pour les enfants plus âgés à exclure leurs jeunes demi-frères 211. C’est le
cas aussi pour les enfants légitimes qui tentent d’écarter de la succession les enfants
illégitimes, s’ils n’ont pas été élevés dans la maison familiale212.
En dépit des règles générales qui demeurent les mêmes, les successions en milieu
rural n’en comportent moins des particularités qu’il importe d’examiner.
Paragraphe 2- Les particularités successorales en milieu rural
Les terres rurales sont soumises à des règles spécifiques qui sont : l’attribution
préférentielle (A), le salaire différé (B). A ces règles spécifiques, il convient d’ajouter
celles relatives à la nationalité de l’l’héritier (C).
A- L’attribution préférentielle
Le Code civil dans ses dispositions initiales appliquait de manière rigoureuse le
principe de l’égalité de partage en exigeant à la fois l’égalité en valeur et l’égalité en
nature. En conséquence, les lots à partager devaient comporter chacun une part
égale des différentes catégories de biens de la succession. L’application de telles
dispositions aux successions agricoles avait pour effet d’entraîner la dislocation des
exploitations agricoles. Ce qui a fait dire à Frédéric le PLAY que le Code civil était
une machine à hacher le sol.
C’est pour faire obstacle au démantèlement de l’exploitation agricole que le Code
civil a alors institué le système de l’attribution préférentielle. L’attribution
préférentielle permet d’attribuer l’exploitation agricole et corrélativement le fonds de
terre à un seul héritier présomptif à charge pour celui-ci de payer une soulte aux
autres cohéritiers. Au regard des dispositions du Code civil (article 832-1),
l’attribution préférentielle peut être obligatoire ou facultative.
209
Arrêt n°16, Dame Lamizana du 06 juillet 1988, consultable sur le site de la CSCA :
http://juris.consetat.ci/page_book.php.
210
Les craintes ici concernent certes le harcèlement physique, le poison, mais aussi les représailles d’ordre
spirituel ou ésotériques comme la malédiction ou la sorcellerie.
211
IIPEC, Rapport 2013, op. cit.
212
Il est courant, en effet, dans la pratique des ménages urbains, que des enfants adultérins soient élevés dans la
maison familiale.
118
Le système de l’attribution préférentielle comporte des conditions de mise en œuvre
qui sont :
- le demandeur doit être copropriétaire de l’exploitation : tel est le cas du
conjoint commun en biens ou des descendants du de cujus ;
- l’exploitation agricole concernée constitue une unité économique ayant la
forme d’une entreprise ;
- le bénéficiaire de l’attribution doit avoir participé à l’exploitation du bien ;
- le paiement d’une soulte par le bénéficiaire au profit des cohéritiers : la durée
de cette soulte ne peut excéder cinq ans.
B- Le salaire différé
Le salaire différé est essentiellement une créance légale attribuée aux aides
familiaux (enfants ou conjoint) qui ont travaillé sur l’exploitation agricole sans recevoir
de rémunération de la part du chef d’exploitation. Il apparaît comme une mesure
d’équité visant à rémunérer a posteriori le travail fourni par les aides familiaux. Le
salaire différé permet notamment de payer la soulte due aux cohéritiers. Il est
exigible en cas d’ouverture de la succession du chef d’exploitation.
Pour bénéficier du salaire différé, les intéressés doivent d’abord avoir effectivement
participé à l’exploitation ; peu importe qu’ils aient exercé parallèlement une autre
activité. Ensuite, il faut qu’ils ne soient ni salariés, ni associés aux bénéfices de
l’exploitation agricole concernée. Ils doivent enfin n’avoir pas abandonné la
profession agricole au moment du règlement de la créance. La preuve de la
réalisation de ces conditions peut être établie par tous moyens. Le salaire différé est
évalué d’une manière forfaitaire selon des bases de calcul fixées par voie
réglementaire.
119
grandes superficies de terres ont été mises en valeur par des travailleurs non
nationaux qui les occupent depuis plusieurs décennies.
C’est peut-être pour remédier à cette situation que l’amendement foncier de 2004 a
été accompagné d’amendements du code de la nationalité, notamment les articles
105214 et 107215. Ces amendements du code de la nationalité visent à faciliter
l’acquisition de la nationalité ivoirienne pour certaines catégories de personnes. Il
s’agit notamment des personnes qui étaient installés en Côte d’Ivoire avant
l’indépendance et celles nées en Côte d’Ivoire avant 1973. Ces amendements, qui
sont, en réalité, des mesures d’accompagnement de la modification de la loi de 1998
sont censés favoriser l’acquisition de la terre par des personnes d’origine étrangère
en leur permettant de remplir la condition de nationalité. L’acquisition de la nationalité
ivoirienne permet à ces personnes d’acquérir la propriété foncière et de transmettre
celle-ci à leurs héritiers.
214
L’article 105 nouveau indique que les personnes ayant eu leur résidence habituelle en Côte d’Ivoire
antérieurement au 7 août 1960, peuvent être naturalisées sans conditions de stage et de santé, si elles formulent
leur demande dans un délai d’un an à compter de la publication de la présente la loi.
215
De même, l’article 107 nouveau donne droit à tout individu né en Côte d’Ivoire de parents étrangers d’acquérir
la nationalité ivoirienne par déclaration dans un délai d’un an, à compter de la publication de la présente loi, si à
la date du 20 décembre 1961, il était mineur ou s’il est né avant le 25 janvier 1973, s’il a en Côte d’Ivoire sa
résidence habituelle et si la preuve de sa naissance en Côte d’Ivoire résulte d’une déclaration à l’état civil ou d’un
jugement supplétif.
120
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
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